Violences faites aux femmes

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes et la proposition de loi relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.

Discussion générale

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice.  - Je salue le travail remarquable de votre infatigable rapporteur, de Mme Laborde et de Mme Dini. Adapter notre législation à une délinquance très souvent renvoyée à la sphère privée relève d'une responsabilité partagée. L'année 2010 est placée sous le signe de la lutte contre les violences faites aux femmes ; la présidence espagnole en a fait une de ses priorités. Les violences doivent être mieux connues pour être mieux combattues. En 2009, 59 427 affaires nouvelles ont été recensées, contre 42 500 en 2005, tandis que le nombre de condamnations correctionnelles passait de 10 600 à 16 700.

Le phénomène est donc loin de diminuer. Et que de suicides, de femmes blessées, de cicatrices psychiques qui fragilisent toute reconstruction !

L'ampleur du fléau est inconnue. La loi du silence prévaut encore, par peur, honte ou sentiment de culpabilité.

Le temps où l'on fermait les yeux sur les violences commises dans la sphère privée est révolu. Notre dispositif pénal s'est peu à peu étoffé, créant une dynamique salutaire, depuis la loi du 26 mai 2004 sur le divorce jusqu'à la loi du 10 août 2007 sur la lutte contre la récidive.

La protection de la victime par éviction de l'auteur des violences et l'obligation de soins qui lui est imposée ont constitué un premier progrès, mais la justice doit apporter des réponses plus rapides. Le Gouvernement vous proposera de n'exclure aucun mode de saisine.

Une ordonnance de protection est instituée, assortie d'une série de mesures renforçant la protection de la victime, grâce à une communication étroite entre le juge civil et le juge pénal, privilégiée par les mesures restrictives de liberté.

L'éviction est élargie aux concubins et partenaires de Pacs, assurant une égale protection quel que soit le régime de vie commune.

La protection des enfants est élargie : les interdictions de sortie du territoire seront inscrites par le Procureur de la République au fichier des personnes recherchées.

Grâce à Mme Morano, des mesures liées à l'usage des technologies de la communication sont inscrites dans le texte, comme le téléphone d'alerte ou le bracelet électronique.

En matière de sanctions, certaines sont alourdies et de nouvelles incriminations sont créées : la violence psychologique, reconnue par la jurisprudence, est inscrite dans le code pénal. L'aide juridictionnelle est accordée à toutes celles qui bénéficient d'une ordonnance de protection.

Des formations spécialisées seront dispensées à tous, depuis les policiers jusqu'aux professionnels de l'éducation nationale.

Les Français attendent une action ferme et sans faiblesse. Les femmes victimes de violence doivent savoir que l'État est déterminé à les protéger. La représentation nationale est bien dans sa mission avec ce texte, dont nous pouvons être fiers. (Applaudissements au centre et à droite ; M. Roland Courteau applaudit aussi)

M. François Pillet, rapporteur de la commission des lois.  - (Applaudissements à droite) Ce texte consacre l'aboutissement d'un travail consensuel. Les violences conjugales sont un phénomène d'ampleur mal connue : les données statistiques sont peu fiables sur des actes commis dans le huis-clos familial. L'exclusion les amplifie.

Elles donnent lieu à un contentieux limité, débouchant trop souvent sur un renoncement de la victime.

Sur cet espace sombre de souffrance, de violence et d'atteinte aux libertés, nous devions légiférer. M. Courteau et Mme Borvo au Sénat, Mme Bousquet et M. Geoffroy à l'Assemblée s'y sont attelés, comme beaucoup d'autres.

Déjà, notre droit permettait d'évincer le conjoint violent ; déjà, le viol est reconnu au sein du couple, les violences conjugales sont considérées comme circonstances aggravantes, priorité est donnée aux victimes pour l'accès au logement social, les femmes étrangères peuvent se voir accorder la protection subsidiaire dans le cadre du droit d'asile : les progrès ont été constants.

La lutte contre les violences a fait l'objet de plusieurs plans et a été déclarée grande cause nationale en 2010.

Nos ambitions ont montré que la passation de conventions entre les acteurs était source de progrès. Il faut saluer le travail des associations, qui accomplissent un travail indispensable.

M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi.  - Exact.

M. François Pillet, rapporteur.  - Des efforts importants demeurent cependant à accomplir pour mieux protéger les victimes.

M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi.  - C'est vrai.

M. François Pillet, rapporteur.  - Nous avons examiné conjointement la proposition de loi qui nous vient de l'Assemblée nationale et celle de M. Courteau qui vise à mieux protéger, mieux prévenir, mieux réprimer.

Qui dit violence dit prévention. D'où cet instrument juridique novateur qu'est l'ordonnance de protection, qui doit stabiliser temporairement la situation de la victime. Le juge aux affaires familiales pourra interdire à l'auteur des violences de rencontrer la victime -qui pourra rester dans le domicile familial ou choisir de vivre dans un lieu tenu secret ; il pourra également fixer les modalités d'exercice de l'autorité parentale, organiser le droit de visite et d'hébergement des enfants.

La commission a voulu rendre la saisine du juge plus aisée et plus rapide, tout en préservant l'examen contradictoire. De même, les associations pourront assister la victime sans cependant avoir la faculté de devenir parties au procès. Le non-respect de l'ordonnance de protection sera pénalement sanctionné et l'appréhension de l'auteur des violences sera dans ce cas facilitée. Un rapport est demandé au Gouvernement sur la mise en place d'un observatoire national des violences au sein du couple. D'autre part, des actions de sensibilisation seront organisées à l'école et dans les médias. Les personnes coupables de violences pourront être contraintes à un suivi socio-judiciaire. La médiation pénale sera proposée dans les cas les moins graves, la victime pouvant cependant la refuser.

Votre commission a modifié la rédaction de la proposition de loi des députés pour rendre le délit spécifique de violences psychologiques plus sûr juridiquement, tout en évitant que les auteurs de violences physiques puissent le détourner pour excuser leur propre faute. Elle n'a pas souhaité en revanche de nouvelle définition du harcèlement sexuel. Elle a enfin procédé à certaines harmonisations pour rendre le texte applicable dans les communautés d'outre-mer.

Constatant que les articles premier, 2 et 3 de la proposition de loi de M. Courteau étaient totalement ou partiellement satisfaits, la commission ne s'est pas prononcée sur l'institution d'une journée nationale de sensibilisation.

Enfin, elle propose que l'intitulé du texte soit élargi pour en décrire aussi précisément que possible le contenu. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Muguette Dini, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.  - La commission des affaires sociales est sensible à la dimension humaine et sociale du texte. Je souscris à l'analyse de la commission des lois, ainsi qu'à celle de la Délégation aux droits des femmes, mais j'insisterai sur la formation à l'accueil des victimes et sur la violence psychologique.

On dit qu'il est difficile d'apporter la preuve de violences psychologiques, mais je suis convaincue qu'on peut mesurer la sincérité de la plaignante si celle-ci est accueillie comme il convient au moment du dépôt de plainte.

En décembre 2007, ma filleule Justine tombe amoureuse d'un garçon jaloux, à l'enfance difficile et au comportement coléreux et violent. Cet homme a trois enfants d'un précédent mariage. Comme il a des problèmes avec sa banque, il suggère que Justine prenne à sa charge abonnements et crédits. Le couple convient d'emménager dans un logement commun... mais les comptes et les revenus d'Alexandre sont inconnus de Justine.

En mars 2008, il prend des photos compromettantes de Justine et lui fait du chantage. D'ailleurs, elle est nulle, de même que ses amis. Malgré tout, il veut avoir un enfant. En juin, Justine est enceinte et les coups se mettent à pleuvoir. Il veut, dit-il, la mort du bébé à naître. Elle consulte un obstétricien qui ne réagit pas au récit des violences. Pourquoi ? Celles-ci reprennent après la naissance du bébé. Au commissariat où elle se rend visage marqué et vêtements déchirés, la plainte est refusée, faute de certificat médical. Est-ce normal ? Alexandre la menace de représailles. Même la mère de Justine donne tort à sa fille qui ne sait dès lors plus à qui parler.

Lorsqu'elle me contacte, je l'invite à se tourner vers une association, ce qu'elle refuse, ayant trop honte et disant que les associations sont là pour les cas graves. Elle ne veut pas quitter Alexandre, elle pense à son enfant ; c'est à elle, soutient-elle, de maintenir l'équilibre. Après une nouvelle alerte, je l'accompagne chez un médecin qui lui délivre une ITT de quatre jours, avant de déposer plainte au commissariat. Je suis effarée par le comportement de l'inspectrice de police, qui procède davantage à un interrogatoire qu'elle n'écoute.

Alexandre n'ayant pas de portable, il ne peut être convoqué ; on invite Justine à l'informer. Lorsque les deux jeunes gens se revoient, les coups pleuvent à nouveau, accompagnés de menaces. Justine appelle le commissariat, où on traite sa demande avec désinvolture. Finalement, Alexandre passe quelques heures en garde à vue, reconnaît les faits et est convoqué à la maison de justice, où il ne se rendra pas. Il n'a jamais été reconvoqué.

Cette histoire illustre la nécessité d'une véritable formation spécifique des personnels qui auront à mettre en oeuvre le texte...

M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi.  - Très bien !

Mme Muguette Dini, rapporteur pour avis.  - ...la nécessité de s'assurer que la loi est respectée par les forces de sécurité ; la nécessité enfin de reconnaître l'existence de violences psychologiques. Selon les Canadiens, 24 à 30 % des conjoints sont manipulateurs et auteurs de telles violences.

La brigade de protection de la famille du Rhône a élaboré deux documents remarquables permettant de cerner la personnalité de l'auteur de violences psychologiques. On gagnerait à les généraliser.

La commission des affaires sociales approuve ce texte.

Il faudra aussi envisager la situation des hommes victimes de violences, notamment psychologiques. Le résultat pour les enfants est le même. Tous les départements devraient avoir les moyens de créer des espaces de rencontre entre enfants et parents en nombre suffisant.

Il est urgent de protéger les femmes et les enfants qui vivent ces grandes détresses. (Applaudissements sur l'ensemble des bancs)

Mme Françoise Laborde, rapporteur de la délégation aux droits de femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.  - La loi doit protéger le faible contre le fort. Reconnaître une réalité occultée : nous avons franchi ce premier pas avec la loi du 4 avril 2006, qui a suscité un déclic social, judiciaire et législatif.

Les deux propositions de loi ayant débouché sur le texte de la commission des lois introduisent une grande variété de mesures depuis la formation jusqu'à une nouvelle définition du harcèlement au sein du couple, sans oublier la lutte contre les mariages forcés. Nous lançons ainsi un signal de pacification des relations familiales et un message de soutien aux associations d'aide.

L'Assemblée nationale a voté un dispositif modifiant neuf codes en vigueur : l'approche est donc transversale, ce qui ne va pas sans risques. Il faut aider ceux qui en ont besoin, non les procéduriers.

Les victimes de violences sont souvent retenues de peur d'être accusées de dénonciation calomnieuse. Celle-ci ne pourra donc plus être invoquée lorsque la relaxe de l'agresseur est prononcée au bénéfice du doute. Nous approuvons l'article 8.

L'article premier institue une ordonnance de protection, inspirée par l'exemple espagnol, dont la transposition pure et simple n'était guère envisageable. Comme il s'agit d'accorder à la victime le temps de réflexion, la délégation veut renforcer l'information de la victime.

L'article 17... Le harcèlement moral au sein du couple est admis depuis longtemps par la jurisprudence. Harceler autrui au téléphone est réprimé par le code pénal. S'il y a dans cet article une innovation juridique, la difficulté sera d'apporter la preuve du harcèlement ; et certaines associations de femmes craignent que les maris violents n'invoquent à leur tour une forme de harcèlement moral pour justifier leurs débordements.

La délégation souhaite le maintien de cette disposition, notamment pour prévenir un report des violences physiques sur le plan psychologique. Il faut rappeler l'efficacité de stages permettant à chacun de maitriser ses émotions. En outre, la formation au civisme doit inclure l'égalité entre hommes et femmes.

A court terme, les conditions concrètes d'application seront déterminantes ; la délégation a insisté sur l'importance des groupes de parole, pour les victimes comme pour les auteurs de violence, et celle du traitement médical des conjoints violents.

A moyen terme, l'usage du volet répressif devrait reculer grâce à une prévention efficace. La délégation préconise une large diffusion des supports de formation, de conseils et stages permettant de gérer les conflits. Une attention particulière doit être attachée à la formation des professionnels mais aussi à celle des enseignants. Dès le plus jeune âge, les enfants doivent apprendre les exigences de la vie en groupe et le respect des autres.

En pratique, les femmes sont plus souvent victimes des violences que les hommes mais elles ne sont pas les seules. L'intitulé du texte doit être rendu plus neutre pour en tenir compte. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.  - Dans un journal, j'ai lu un fait divers : n'acceptant pas la séparation, un homme a tué sa femme à coups de couteau en présence de leurs enfants. Cette femme a rejoint les 156 victimes tuées par leur compagnon et recensées par Amnesty en 2008.

Connaît-on l'exacte ampleur du fléau, quand la loi du silence prévaut ? Cris étouffés, souffrances secrètes, existences détruites : les violences au sein des couples portent une grave atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine ; il y a là un moyen pathologique de s'imposer dans une relation de couple. Ne confondons pas le conflit et les violences -qui refusent à l'autre la qualité de sujet.

La violence prend souvent sa source dans un certain conditionnement socioculturel, dans les inégalités persistantes entre hommes et femmes. Il était important que le Parlement dise que le domicile familial ne pouvait plus être une zone de non-droit. D'où les premières propositions de loi à l'origine de la loi de 2006. Il a fallu ensuite attendre 1989 et les initiatives de Mme Michèle André, ministre des droits des femmes ! Puis peu de choses jusqu'en 2006, où un texte spécifique a été soumis pour la première fois au Parlement. Tans mieux si cette loi a enclenché une dynamique générale, tant mieux si les tabous ont commencé à tomber, tant mieux si la justice est enfin entrée dans la sphère privée.

L'ampleur du phénomène impose une prévention massive. Il faut encore changer certains schémas ancrés dans les mentalités, nous devons agir dès l'école. « Tout commence sur les bancs de l'école » disait Romain Rolland. Qu'est-ce que le sexisme, sinon l'inscription de la différence des sexes dans un rapport hiérarchique de domination du masculin sur le féminin ? Voilà pourquoi nous avions proposé dès 2006 de compléter les programmes scolaires en ce sens. Nous persistons. Je remercie la commission pour son avis favorable à notre amendement. Nous proposerons par ailleurs que le 25 novembre devienne une journée consacrée à ce fléau, qu'il faut faire reculer.

Mais la prévention passe aussi par le repérage des victimes, ce qui exige une formation adaptée de tous les intéressés. A défaut, comment évaluer la situation ? Comment repérer un manipulateur ? La formation actuelle est insuffisante. Je regrette que l'article 40 ait été opposé à notre amendement sur ce point.

Autre remarque : il semble que les commissariats et gendarmeries abusent des mains courantes. (On approuve sur divers bancs) Ne nous étonnons pas que la victime ne revient pas, alors que la crainte des représailles la dissuade déjà trop souvent d'agir.

Pour protéger la victime et ses enfants, nous avons voulu élargir la compétence du juge aux affaires familiales aux partenaires liés par un Pacs et aux concubins.

Le repérage des violences psychologiques est difficile, mais est-ce une raison pour ne rien faire face à ce qui est une mise à sac de l'estime de soi ? Ce vrai travail de destruction morale prépare souvent la violence physique et inflige des blessures invisibles mais indélébiles.

Autre technique d'usure, la menace de rupture : « Si tu pars, tu ne verras plus tes enfants et je te tue après !». C'est du vécu...

Aujourd'hui, lorsque la violence psychologique s'exerce à l'intérieur du couple, la justice reste à la porte. La victime doit-elle se résigner ? Combien ont mis fin à leur calvaire en se donnant la mort ? Nous approuvons la rédaction de la commission.

L'aide juridictionnelle doit être accordée sans conditions de ressources dès lors qu'il s'agit de violences au sein du couple. C'est de bon sens, mais l'article 40 a bloqué notre amendement...

Il faut appliquer l'éviction du domicile et l'injonction de soins. Sur ce point, notre proposition de loi n'est pas reprise, ce que je regrette. On nous dit que nous manquons de médecins coordonateurs pour assurer l'injonction de soins... parce qu'ils ne sont pas assez indemnisés ! Quand on a la fièvre, faut-il casser le thermomètre ? Les injonctions de soins sont très rares, alors qu'elles aident à réduire le taux de récidive. La France manque de structures spécialisées d'accueil. Là encore, l'irrecevabilité a été opposée à un de nos amendements, qui éviterait pourtant des journées de prison, autrement plus coûteuses !

A quoi sert de voter la loi si les moyens financiers ne suivent pas ? Nous sommes favorables à la création de lieux de rencontre sécurisés mais là encore, il faudra des moyens. Le Gouvernement compte sans doute sur les associations...

S'agissant des titres de séjour, la commission propose d'excellentes dispositions. En revanche, nous estimons que la victime doit être considérée a priori comme refusant la médiation pénale, qui tend à la rendre partiellement responsable. Si on frappe quelqu'un dans la rue, c'est le pénal !

S'agissant de l'intitulé du texte, nous proposerons de viser les violences au sein du couple.

Dernière remarque : j'aurais aimé faciliter l'insertion professionnelle des victimes ayant subi une importante ITT à la suite de violences au sein du couple.

Nous nous félicitons de l'examen concomitant des deux propositions de loi. (Applaudissements sur les bancs socialistes ; Mme Escoffier et M. Dufaut applaudissent également)