Nouvelle organisation du marché de l'électricité (Suite)

Mme la présidente.  - Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant nouvelle organisation du marché de l'électricité.

Discussion générale (Suite)

M. Jean-Claude Merceron.  - La France a fait un choix audacieux en optant dans les années 1970 pour l'électronucléaire. D'où un parc envié par de nombreux pays.

Notre pays dispose ainsi d'une puissance installée supérieure à sa consommation, pour un prix du Kw/h de 30 à 35 % inférieur à celui de nos voisins.

L'héritage du nucléaire historique n'est toutefois pas sans limites, car l'incitation à la création de nouvelles capacités est insuffisante. En outre, les tarifs réglementés sont assimilés à des aides de l'État, prohibées par la législation européenne. D'où la réorganisation voulue par Bruxelles.

Le compromis a minima comporte des dispositions transitoires pour quinze ans. La CJCE sera-t-elle satisfaite ? Ce projet de loi reste timoré en matière de concurrence, notamment parce qu'il ne concerne que la vente et n'incite pas à créer de nouvelles productions d'électricité. La référence du texte limite de facto la concurrence du marché des particuliers. Aujourd'hui, seuls 5 % d'entre eux ont opté pour un concurrent, contre 50 % en Angleterre. Nous proposerons donc des amendements tendant à établir une concurrence saine et durable.

A ce propos, il faut tordre le cou à l'idée reçue d'une menace pour EDF, car le marché de l'électricité n'est pas un gâteau limité. Dans le cadre communautaire, la taille du gâteau s'agrandit.

Quand un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que lui donner un poisson.

M. Roland Courteau.  - C'est bien vrai !

M. Jean-Claude Merceron.  - Transposée au marché de l'électricité, cette maxime de Confucius conduit à inciter les opérateurs alternatifs à investir dans des moyens de production propres. L'approche transitoire du projet de loi doit donc servir de levier pour l'accroissement de la production après 2025 : nous devons anticiper.

Le groupe de l'Union centriste proposera un amendement tendant à relever tendanciellement le tarif réglementé, tout en protégeant les plus démunis.

M. Roland Courteau.  - Il suffit d'y croire !

M. Jean-Claude Merceron.  - Notre groupe veillera à ce que la CRE soit forte et indépendante.

Enfin, pour corriger les faiblesses du projet de loi il faut de la visibilité pour les industriels sur l'après Arenh : aucun dispositif de sortie n'est prévu. Il faut aussi une stratégie claire pour les quarante ans à venir afin que le nucléaire ne soit pas victime de l'insécurité juridique comme le photovoltaïque aujourd'hui. (Applaudissements sur les bancs de l'Union centriste et UMP)

M. Roland Courteau.  - Ce texte est le dernier avatar d'un processus délétère : à quand le coup de grâce pour le système français d'électricité construit à partir de 1946, alors que certains veulent prendre aujourd'hui leur revanche ? Bien souvent, la majorité est allée bien au-delà des exigences européennes.

Pour ceux qui ont cru aux contes de fée du libéralisme, le retour sur terre est douloureux. Votre projet ubuesque impose à EDF de vendre 25 % de sa production, au titre de l'Arenh. Mais à quel prix ? La différence entre 42 euros par mégawatt, voulus par EDF, et 34 euros, estimés par GDF, correspond à 800 millions d'euros ! Une bataille s'engage pour le partage de la rente nucléaire.

Surtout, cette loi organise la hausse des prix. Si le prix de l'Arehn est trop bas, les clients directs en subiront les conséquences. Un avant-goût nous a été offert le 15 août, jour de l'Assomption des prix. (Rires)

A terme, les tarifs réglementés disparaîtront. N'est-ce pas le but ? Bien sûr, de belles explications nous seront servies.

On invoquera une rareté de la ressource, la nécessité d'investir et donc de réaliser des économies d'énergie, pour vanter une hausse vertueuse. Mais on oubliera le pouvoir d'achat et la pénalisation de notre compétitivité.

L'étude d'impact affirme que les entreprises bénéficieront d'un prix juste. Rien n'est moins sûr. Avec la disparition des tarifs jaunes et verts, l'Arenh ne pourra suffire. Les perdants seront les consommateurs, et les territoires où le prix de l'électricité détermine localisations et... délocalisations

M. Martial Bourquin.  - Très juste !

M. Roland Courteau.  - Ce projet de loi n'est donc pas accompagné d'un concert de louanges. Certains crient à la spoliation, au bradage du patrimoine. Le rapporteur craint un fonctionnement partiel du dispositif, si les alternatifs obtiennent une part du marché sans contrepartie industrielle. Au demeurant, ses suggestions ne nous conviennent pas plus. (Sourires)

Contrairement à ce qu'il prétend, le parc nucléaire n'est pas, même partiellement, possédé par des partenaires d'EDF : à Cattenom ou Fessenheim, il ne s'agit que de contrats en participation, sans droit de gouvernance.

Le ministre du budget avait promis à Chinon qu'EDF-GDF ne serait pas privatisée, ajoutant qu'il n'avait pas envie de mentir aux Français : « il y a trop longtemps que le débat politique souffre du manque d'honnêteté ». (On apprécie la référence sur les bancs socialistes) Deux ans après GDF était privatisée !

Partout, la libéralisation a fait flamber les prix, qui ont presque doublé ! En France, il a fallu inventer le Tartam. Le dogme de la concurrence en fait une fin en soi. Pour l'imposer, vous allez jusqu'à risquer de casser ce qui fonctionne si bien. Le toc, trouble obsessionnel de la concurrence, a encore frappé. (On s'amuse à gauche)

Quand on arrive au fond du trou, il ne faut plus creuser ! On reproche à la France d'avoir des prix trop bas ! Pour nous récompenser d'avoir pris des risques, on nous demande d'amputer EDF d'une partie de sa production. Bel exemple d'une concurrence artificielle. Trop performant, le secteur public doit financer un secteur privé inefficace. (Applaudissements sur les bancs socialistes) Où est l'intérêt général ?

L'électronucléaire est accepté par la population parce que son prix est bas. N'oublions pas que l'énergie n'est pas un bien comme un autre. (M. Jacques Blanc proteste) Aujourd'hui, le problème est de savoir si le prix de l'électricité doit rejoindre celui du marché. Hier, on vantait la concurrence, qui fait baisser les prix ; aujourd'hui, on impose une hausse des prix pour permettre la concurrence !

Qui pourrait affirmer que l'énergie électrique ne satisfait pas aux critères européens des services d'intérêt général ? Au dernier conseil énergie, certains ministres ont reconnu que la concurrence ne fait pas baisser les prix. Les socialistes continuent à demander la directive-cadre sur les services d'intérêt général, dont le principe avait été obtenu à Barcelone par Lionel Jospin, avec Jacques Chirac. C'est le gouvernement Juppé qui a signé la première directive ouvrant le marché à la concurrence. Et le gouvernement Raffarin a fait sauter le verrou placé par M. Jospin.

Notre ancien collègue M. Revol a critiqué en 2000 une transposition tardive et insuffisamment libérale de la directive européenne. M. Borotra à l'Assemblée nationale s'est vanté d'avoir négocié celle-ci, pour obtenir la libéralisation du marché. Lorsque Mme Fontaine avait capitulé à Bruxelles en 2002, on s'en est félicité à droite.

Combien de textes depuis 2002 ? Huit ou dix ? On nous vante un monde merveilleux pour les consommateurs, mais la réalité ne sera pas idyllique. Les études d'impact ne sont qu'incertitudes.

Quelles seront les incidences sur les investissements ? La référence aux « incitations appropriées » nous éblouit, bien sûr, mais sans nous éclairer. En outre, rien n'est indiqué pour la suite.

Enfin il y a un risque d'insécurité juridique : l'accord obtenu par M. Fillon n'est pas opposable devant la CJCE. La clause de destination de l'article premier résistera-t-elle aux foudres de Bruxelles  si un client d'un autre pays porte plainte ? Rappelons-nous du précédent GDF/Eon.

Ce texte complexe débouchera sur de nombreux ajustements législatifs. Nous proposerons donc des amendements, en commençant par la défense des consommateurs. Une panne d'électricité laisse l'aveugle indifférent. Je crains qu'il en soit de même pour le Gouvernement face à nos arguments. Dans ce cas, ce sera la loi Dome : désorganisation du marché de l'électricité ! (Bravo ! et applaudissements à gauche)

M. Benoît Huré.  - Le but du texte est clair : assurer à tous les clients un prix bas, grâce à un équilibre entre droits et devoirs des fournisseurs alternatifs, mais aussi d'EDF.

Important, ce texte est indispensable, car il place notre pays sur une voie pérenne et novatrice, tout en évitant un conflit ouvert avec Bruxelles.

Ainsi, les consommateurs bénéficieront des prix de revient du nucléaire, sans que l'incitation à l'investissement n'en pâtisse. Pensez aux pointes de consommation.

Nos entreprises sont exposées au risque de devoir rembourser des milliards d'euros. Nous ne pouvons être les mauvais élèves de l'Europe.

M. Martial Bourquin.  - Sauf pour les Roms !

M. Benoît Huré.  - Le Gouvernement récuse les griefs de la Commission, mais le risque est réel, à moins qu'une nouvelle organisation soit mise en place rapidement. La Commission envisage le démantèlement d'EDF et la suppression de toute régulation...

Aujourd'hui, les acteurs autres qu'EDF sont étranglés par leurs prix d'approvisionnement.

Indépendamment de Bruxelles, notre marché de l'électricité est instable et peu clair. Il ne procure pas l'indispensable visibilité.

Le Gouvernement a suivi les recommandations consensuelles de la commission Champsaur, au niveau national : EDF vendra un quart de sa production, au prix coûtant complet de l'électricité nucléaire historique. Ce ne sera pas un prix bradé. Il n'y a donc ni hold up ni spoliation.

M. Roland Courteau.  - C'est vous qui le dites !

M. Benoît Huré.  - En outre, le texte impose aux opérateurs de créer de nouvelles capacités de production.

Un autre point important est le maintien d'un tarif régulé fixé par le pouvoir politique sur proposition de la CRE.

Après 2015, les particuliers continueront à en bénéficier. (On en doute sur les bancs socialistes)

La loi de février 2000, présentée par le Gouvernement socialiste, a organisé l'ouverture à la concurrence pour les entreprises, sans garde-fous. Notre majorité a dû y remédier dès 2002.

Les augmentations tarifaires n'ont rien à voir avec ce texte, qui n'en dit mot. (On le conteste vivement sur les mêmes bancs) Il faut conserver l'avantage compétitif de notre système.

Le groupe UMP est persuadé que la filière électronucléaire joue un rôle stratégique pour notre indépendance. Seul l'État peut l'assumer.

Ce texte établit un équilibre entre la protection des consommateurs et la concurrence exigée par Bruxelles.

L'avenir du nucléaire civil est l'enjeu de ce texte que le groupe UMP soutient ! (Applaudissements à droite)

M. Yvon Collin.  - L'énergie sera le défi majeur des pays développés au cours de la prochaine décennie.

La politique européenne tente de créer des marchés artificiels, une stratégie contestée aux États-Unis mêmes, où certains États invoquent le modèle français ! Le doute se manifeste aussi en Grande-Bretagne. Se posent aussi les problèmes de la lutte contre le réchauffement climatique et de la sécurité d'approvisionnement.

Grâce à l'hydroélectricité et à la filière nucléaire, la France dispose d'une énergie particulièrement bon marché. Faut-il y mettre fin pour satisfaire des opérateurs privés incapables de faire mieux ? On crée une distorsion de concurrence au détriment de l'entreprise mieux-disante.

Nos concitoyens seront sacrifiés sur l'autel de la course aux profits. (M. le secrétaire d'Etat le conteste)

Avec la disparition progressive du tarif régulé pour les industriels, le Gouvernement ne sacrifie-t-il pas l'essentiel : la valorisation de notre savoir-faire ? Même en Californie, la gestion du parc nucléaire a été ramenée dans le secteur public.

M. Roland Courteau.  - Il fallait le dire !

M. Yvon Collin.  - La diversification indispensable de notre bouquet énergétique ne figure pas dans ce projet de loi. Il ne s'agit que d'un texte qui remet en musique le dogme libéral aujourd'hui dépassé.

M. Roland Courteau.  - Très bien !

M. Yvon Collin.  - Nous serons attentifs à ce débat mais la majorité de notre groupe ne pourra voter ce projet de loi en l'état. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur.  - Dommage !

M. Xavier Pintat.  - Après avoir légiféré en 2000, 2003, 2004, 2005 et 2006, nous sommes une fois encore conduits à débattre de cette question. Nous avons en effet du mal à ouvrir le marché de l'électricité à la concurrence, malgré les appels de Bruxelles. Nous le faisons en prenant soin de protéger les consommateurs.

Nous nous apprêtons donc à supprimer le 1er janvier 2016, le bénéfice des tarifs réglementés pour les consommateurs de plus de 36 mégawatts. Ce texte peut apparaître plus restrictif que la directive. L'avantage qu'offrent les tarifs réglementés est essentiel pour nos PME. Notre commission a significativement amélioré ce texte. Des améliorations restent néanmoins possibles.

Durant un demi-siècle, 5 % de la distribution de l'électricité n'a pas été effectuée par EDF. La plupart du temps, elle était assurée par des services publics locaux très satisfaisants. Le projet de loi prévoit la pluralité de la distribution électrique, mais il remet en cause les distributeurs historiques. Les bénéficiaires de la CMU peuvent obtenir de tarifs spéciaux, mais ils ne sont pas tous au courant de cette possibilité. Il faut donc les en informer.

En ce qui concerne la taxe sur l'électricité, je souhaite remercier M. le ministre. La concertation avec les collectivités territoriales s'est bien déroulée.

M. Jacques Blanc.  - Tout à fait !

M. Xavier Pintat.  - Enfin, certaines questions relatives à la distribution d'électricité sont abordées dans ce texte. Ne conviendrait-il pas de préciser encore certains points ? La décennie écoulée nous a appris à faire preuve d'humilité et de pragmatisme lorsque nous légiférons sur les questions énergétiques. Il faudra sans doute encore remettre l'ouvrage sur le métier pour disposer d'une énergie sûre, compétitive, respectueuse de l'environnement. (Applaudissements à droite)

M. Daniel Raoul.  - C'est ce qu'elle est déjà !

M. Jean-Jacques Mirassou.  - On pourrait disserter sans fin sur ce qui s'est passé à Barcelone en 2002. Roland Courteau a fait le rappel nécessaire. La Commission européenne fronce les sourcils. D'un côté, il y a ceux qui répondent avec zèle à la Commission, comme ils l'ont fait pour La Poste, mais en mettant à mal le service public à la française. L'idéologie peut coûter très cher.

M. Jacques Blanc.  - Propos scandaleux !

M. Jean-Jacques Mirassou.  - Cela remet en cause le régime de 1945.

La libéralisation du secteur de l'énergie risque de mettre à mal l'aménagement du territoire.

Les tarifs réglementés sont maintenus pour les particuliers, mais ce n'est qu'un leurre. Les usagers ont financé le parc nucléaire actuel. Or, l'avantage qu'il procure sera transféré à des fournisseurs d'énergie concurrents. Pour que les tarifs n'augmentent pas, il faudrait qu'EDF vende son énergie 42 euros par mégawatt. Dans ce cas, l'entreprise ne pourra procéder aux investissements nécessaires. Et le piège se refermera sur l'entreprise et ses abonnés.

M. Roland Courteau.  - Belle démonstration !

M. Jean-Jacques Mirassou.  - Pour les particuliers l'augmentation sera de 11 % dès 2012 et de 3,5 % les années suivantes. La hausse sera encore plus importante pour les entreprises. Au moment où grâce au bouclier fiscal certains foyers reçoivent 200 000 ou 300 000 euros, tout cela est indécent.

En ce qui concerne l'énergie hydraulique, nous attendons avec impatience les propositions du Gouvernement. Nous déposerons des amendements.

Un amendement UMP entendait privatiser la Compagnie nationale du Rhône ; il a été retiré, mais les arrière-pensées sont bien là...

L'électricité est un bien de première nécessité. L'accès de tous doit être garanti par la maîtrise des prix, ce qui est incompatible avec une dérégulation qui démantèle le service public. Ce texte dangereux pour notre patrimoine énergétique tourne le dos à notre conception de l'intérêt général. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jean-Pierre Vial.  - Notre pays a su faire des investissements courageux pour se doter d'outils de qualité produisant une électricité au prix le plus bas. Le premier objectif de la loi est de répondre aux exigences communautaires. S'agissant des installations hydrauliques, j'ai regardé ce qu'il en était chez nos voisins : la France a la capacité de production la plus importante, mais aussi le marché le plus ouvert à la concurrence. Une des contraintes importantes tient à la loi Sapin de 1993, qui a soumis à la concurrence les concessions les plus puissantes. Le respect de la libre concurrence n'est pas incompatible avec la défense des intérêts nationaux -nos voisins l'ont bien compris...

La France a la chance d'avoir des leaders en matière d'énergie. Or, 30 000 milliards de dollars devront être investis dans le monde d'ici 2030 pour satisfaire la demande d'électricité. Il convient donc de veiller à ne pas pénaliser nos entreprises nationales.

J'en viens à la question de l'effacement. C'est une question majeure, puisque l'augmentation de la consommation équivaut à la production d'une centrale thermique majeure par an. Il y a plus de dix ans, EDF procédait à deux fois plus d'effacement qu'aujourd'hui. Les États de l'est des États-Unis ont un volume d'effacement sept fois supérieur au nôtre, parce qu'ils se sont dotés des bons outils. Les gros consommateurs, les électrointensifs, disposent de capacités qui pourraient être immédiatement utilisées. Une telle mobilisation nécessite une juste rémunération. C'est pourquoi j'ai déposé un amendement précisant les modalités d'un dispositif transitoire ; je remercie le Gouvernement d'y avoir été attentif. Les capacités d'effacement des gros consommateurs peuvent répondre aux enjeux du Grenelle de l'environnement.

Je regrette de ne pouvoir soutenir le dispositif sur le transport de l'électricité par les gros consommateurs au bas des centrales de production.

On ne peut, après avoir incité au développement des énergies renouvelables, diminuer en aval les avantages qui leur ont été octroyés et les faire contribuer en amont au coût de l'extension des réseaux. Nous ne pouvons développer ces énergies si les dispositifs évoluent en permanence.

La mise en oeuvre de cette loi, que je soutiens, et l'engagement des producteurs dépendront de l'exigence politique pour la faire appliquer. (Applaudissements à droite)

M. Jacques Muller.  - Ce projet de loi pose plusieurs questions de fond, dont certains membres de la majorité se sont fait l'écho en commission, et passe à côté des enjeux essentiels. Après toutes les lois votées depuis 2000, ce texte est une nouvelle étape de destruction d'un outil construit après la deuxième Guerre mondiale. Un certain général de Gaulle avait compris que l'énergie n'était pas un bien comme els autres et que sa production comme son transport et sa distribution relevait non du marché mais du service public.

Ce projet de loi Nome est un nouvel avatar de l'idéologie libérale qui gangrène nombre de cerveaux depuis trois décennies, une idéologie dont les effets désastreux défraient chaque jour la chronique. N'en déplaise à ses promoteurs, l'intérêt général n'est pas la somme des égoïsmes individuels. (On apprécie à gauche) Adam Smith lui-même estimait qu'il y a des domaines où l'État doit se substituer à la main invisible du marché...

Pour nos concitoyens, l'obligation faite par le texte à EDF de céder 25 % de sa production nucléaire à ses concurrents est incompréhensible -d'autant que cela se traduira par une hausse des tarifs. C'est le reflet de la fracture grandissante de la majorité entre gaullistes et libéraux, malgré leur attachement commun au nucléaire.

La cession de l'électricité a prix coûtant laisse perplexe. Si le courant d'origine nucléaire coûte peu cher, c'est qu'il n'internalise pas le coût des traitements des déchets, ni celui du démantèlement des centrales en fin de vie. La technologie du démantèlement n'a pas été développée. Aucun site définitivement arrêté n'a à ce jour été traité dans le monde. Les sommes provisionnées ne reposent sur rien. EDF préfère l'acharnement thérapeutique, comme à Fessenheim en Alsace ; l'entreprise ne souhaite pas ouvrir la boîte de Pandore -ni être confrontée à la vérité des prix.

Ce projet de loi se distingue par une omission emblématique de l'adage présidentiel : « l'environnement, ça commence à bien faire ». On ne pouvait pas ne pas aborder la question d'une tarification antisociale et anti écologique ; à l'heure actuelle, plus on consomme, moins on paye. Il aurait fallu une tarification nouvelle, qui récompense la vertu écologique et sociale ; mais ce n'est pas la priorité de la majorité, pour laquelle seule compte la libéralisation du marché au profit des grands groupes privés. Nous avons déposé quatre amendements en faveur des économies d'énergie et du développement des énergies renouvelables. Nous espérons qu'ils seront votés. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État.  - Nous reviendrons bien évidemment sur toutes les questions évoquées, mais je tiens à répondre à divers intervenants. Pour les petites installations hydroélectriques, nous avons déjà engagé des travaux avec les professionnels pour prolonger les aides dans le cas où des travaux seraient entrepris pour moderniser les centrales.

Les fournisseurs alternatifs pourront-ils intervenir aux côtés d'EDF pour prolonger la vie des centrales nucléaires existantes ? La loi les encourage à conclure des partenariats de gré à gré. Quant au prix de l'Arenh, il doit être non pas égal mais cohérent avec le Tartam.

J'en viens à l'ouverture à la concurrence et aux directives européennes. Comme l'a expliqué M. Marini, ce projet de loi propose la régulation la plus forte qui soit dans un contexte juridique donné. On pourrait débattre pendant des heures des bienfaits et méfaits du libéralisme. J'ai entendu dire que le libéralisme n'a produit que des horreurs pendant 30 ans ; j'aurais aimé les mêmes critiques envers d'autres idéologies qui ont provoqué des millions de morts. (Exclamations à gauche)

C'est la gauche qui a voté en 2000 l'ouverture du marché de l'électricité, avant que la droite ne crée des garde-fous. (Vives protestations sur les mêmes bancs)

Au-delà des caricatures classiques, (rires à gauche) j'aimerais que l'on en revienne à la réalité du texte. M. Merceron a évoqué la question du ciseau tarifaire. Il ne faut pas considérer uniquement le prix de l'Arenh, mais aussi l'ensemble des conditions d'approvisionnement pour s'adapter aux différentes catégories de clients.

Notre priorité est d'investir dans le parc nucléaire actuel, afin de restaurer la performance des centrales existantes et de prolonger leur durée de vie. Il ne sera pas nécessaire de construire de nouvelles centrales avant 2020.

Concernant les électro-intensifs, le projet de loi garantit un prix de l'électricité basé sur les coûts. Nous approuvons l'amendement de M. Vial.

Enfin, monsieur Muller, les charges de long terme du nucléaire sont provisionnées et payées aujourd'hui. (M. Jacques Muller le nie vivement, qui relève qu'on ne connaît pas le coût du démantèlement) Aucune charge ne sera répercutée sur les générations futures, comme pour les retraites. (Applaudissements à droite)

Mme Odette Terrade.  - M. Fillon avait déjà dit cela en 2003 !

La discussion générale est close.

Exception d'irrecevabilité

Mme la présidente.  - Motion n°22, présentée par M. Danglot et les membres du groupe CRC-SPG.

En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant nouvelle organisation du marché de l'électricité (n° 644, 2009-2010).

Mme Mireille Schurch.  - Cette loi présente des dispositions manifestement contraires au droit national et au droit communautaire. L'inconstitutionnalité de ce texte n'est cependant pas son pire défaut.

Depuis plusieurs décennies, l'Europe s'est fixé comme but ultime la construction d'un espace totalement libéralisé. Il en est ainsi du secteur de l'énergie où les différentes directives ont cassé les monopoles publics et favorisé l'émergence d'opérateurs privés. Mais les tarifs ont explosé sans que la qualité de l'offre s'améliore. Avez-vous oublié le désastre californien ou le scandale d'Enron ?

L'argent public est mis au service du secteur privé, ce que le droit européen interdit. La Commission a engagé un recours contre la France en 2006 au motif que le Tartam constituerait une aide d'État ; or, le prix de l'Arenh est fixé « en cohérence » avec celui du Tartam et risque d'être qualifiée de même.

Vous allez contraindre EDF à céder à prix coûtant l'électricité nucléaire à ses concurrents. C'est sans précédent ! Vous maltraitez la liberté d'entreprendre. De plus, si la concurrence libre et non faussée repose sur la multiplication de l'offre, ce projet de loi renforce les intermédiaires. Vous organisez une concurrence faussée qui spolie EDF et avec elle les Français.

Ce projet de loi est contraire à notre pacte républicain. Le Préambule de 1946 dispose que tout bien ou toute entreprise qui a ou acquiert un caractère de service public national ou de monopole de fait doit être nationalisé. La propriété publique d'EDF ne peut être utilisée par l'État pour nourrir d'autres opérateurs. Pour les Français, EDF n'est pas autonome, c'est un service public -ils sont à 96 % restés fidèles aux tarifs réglementés.

J'en viens à la clause de destination de l'article premier. Selon l'analyse du député Lenoir, l'Arenh bénéficie in fine aux seuls consommateurs du territoire national. Ce qui est en contradiction avec la lettre envoyée à Bruxelles par M. Fillon le 15 septembre 2009.

La Commission a condamné Eon et GDF-Suez en 2009 dans le cadre de leur accord avec Gazprom. Ce texte censé répondre aux injonctions de Bruxelles va mettre la France en infraction ! Avez-vous pris la mesure de la crise économique et sociale que nous traversons, monsieur le ministre ?

La Commission poursuit la France depuis décembre 2006 pour non-transposition de directive et en 2007 pour aide d'État. Certes, le Tartam a vocation à disparaître au 31 décembre. Mais les tarifs réglementés en faveur des particuliers sont une infraction au droit communautaire.

Le Conseil constitutionnel estime d'ailleurs que le maintien sans limite dans le temps des tarifs réglementés méconnaît le principe de l'ouverture des marchés voulue par les directives. Or, le mécanisme institué par cette loi méconnaît ce principe.

Depuis toujours, l'acceptation du nucléaire repose sur sa maîtrise publique et transparente. A terme, que deviendra le monopole d'exploitation ? Un premier pas est fait vers l'émergence d'opérateurs nucléaires multiples sur le sol français ; ils sont déjà dans les starting blocks. Cette loi en appelle inévitablement une autre, qui ira au démantèlement d'EDF. M. le rapporteur a d'ailleurs vendu la mèche, en regrettant que le Gouvernement n'ait pas exploré la piste de l'ouverture du capital des centrales nucléaires.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur.  - J'assume !

Mme Mireille Schurch.  - Or, seul le statut public permet de garantir la sécurité.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur.  - C'est le travail de l'Autorité de sureté !

Mme Mireille Schurch.  - Au lieu de faire du bricolage juridique, le Gouvernement devrait s'attacher à redéfinir les objectifs nationaux et européens du secteur. Nous le proposons depuis plusieurs années, afin d'allier efficacité économique, sociale et environnementale. C'est pourquoi nous demandons une réorientation de la construction européenne, au coeur de laquelle doivent se trouver service public et développement durable. C'est pourquoi nous demandons l'abrogation du traité de Lisbonne.

Aujourd'hui, nous vous invitons à voter la motion. (Applaudissements à gauche)

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur.  - J'apprécie l'humour des sénateurs CRC-SPG, devenus défenseurs du libéralisme avant de développer une argumentation plus classique.

Que cela vous plaise ou non, deux procédures ont été engagées contre la France, fondées l'une sur l'existence d'un tarif réglementé, l'autre sur le TaRTAM. On ne peut les balayer d'un revers de la main ! Si vous arrivez demain au pouvoir, vous nous proposeriez des dispositions analogues.

M. Roland Courteau.  - Autres !

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur.  - Les grandes lignes de la réforme ont été présentées en septembre 2009 à Bruxelles par le Premier ministre. Les commissaires à l'énergie et à la concurrence ont répondu que l'adoption de ce texte pourrait conduire à l'abandon des procédures

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État.  - Avis défavorable.

A la demande de la commission, la motion n°22 est mise aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 337
Majorité absolue des suffrages exprimés 169
Pour l'adoption 150
Contre 187

Le Sénat n'a pas adopté.

M. Jean-Jacques Mirassou.  - C'est regrettable.