Union pour la Méditerranée (Question orale avec débat)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la question orale avec débat de Mme Bariza Khiari à Mme la ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, relative au bilan et à l'avenir de l'Union pour la Méditerranée.

Mme Bariza Khiari, auteur de la question.  - En décembre, quand j'ai déposé cette question, il était envisagé de réunir un sommet de l'UPM : ce n'est plus le cas car le contexte a changé.

Je suis vice-présidente de l'assemblée parlementaire de la Méditerranée (APM) : tous les discours sur la Méditerranée empruntent à l'histoire et au lyrisme : « l'alphabet fut phénicien, le concept grec, le droit romain, le monothéisme sémite, l'ingéniosité punique, la munificence byzantine, la science arabe, la puissance ottomane, la coexistence andalouse, la sensibilité italienne, l'aventure catalane, la liberté française, et l'éternité égyptienne ».

Des antagonismes forts structurent les relations régionales. La Méditerranée a toujours été une zone de conflits, au confluent des cultures du nord et du sud.

En dépit de nos liens humains et historiques et de multiples structures, la Méditerranée demeure la région la plus inégale du monde. Le processus de Barcelone, lancé par Jacques Delors en 1995, était fondé sur la coopération. Mais le conflit israélo-palestinien et d'autres l'ont conduit à l'échec. Au lieu d'en dresser le bilan, la diplomatie sarkozyste a lancé le projet d'UPM, qui a rencontré un large scepticisme.

Ce projet fut profondément modifié par l'Allemagne, mais M. Sarkozy a transformé le fiasco diplomatique en succès médiatique.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Éphémère !

Mme Bariza Khiari, auteur de la question.  - Pendant deux ans, des négociations interminables sur les postes, le financement, la gouvernance n'ont pas abouti. L'an passé, deux sommets ont été reportés sine die. Le site internet vient seulement d'être lancé... en anglais.

La révolution égyptienne pose le problème de la coprésidence, détenue jusque-là par M. Moubarak...

A l'UPM, on ne sait qui décide de quoi. Comment mettre fin à ces problèmes institutionnels ? Les projets de coopération restent brûlants. Comment seront-ils financés ?

L'UPM aurait dû s'appuyer sur un Maghreb uni et fort. Le conflit du Sahel déstabilise la région.

Qu'avons-nous fait pour promouvoir une solution négociée ?

Nos relations avec l'Algérie ont été envenimées par l'inscription dans notre loi des « effets bénéfiques de la colonisation ». L'Algérie a été inscrite sur la liste des pays terroristes, alors qu'elle est la première victime.

Écoutons les peuples, les appels de détresse qui nous parviennent de bateaux de fortune qui traversent la Méditerranée !

L'occident persiste à croire que la démocratie est impossible dans les pays arabes. On confond l'islam politique et le besoin de spiritualité.

La politique française est marquée par trois contradictions. La première consiste à vouloir asseoir son influence sur la rive sud de la Méditerranée tout en attaquant les musulmans installés sur la rive nord. Lors du débat sur l'identité nationale, on est allé jusqu'à laisser croire qu'une chaîne de fast food était la cinquième colonne de l'islamisation ! La future campagne présidentielle s'annonce mal... Et je passe sur le discours de Dakar, si maladroit malgré les avertissements d'un ambassadeur renvoyé depuis.

Les populations de la rive sud connaissent les dérapages du Gouvernement. Par son atlantisme béat, M. Sarkozy entretient l'idée du choc des civilisations, lancée par des néo-conservateurs américains. De même que le président Obama s'inscrit dans une phase post-raciale, les jeunes musulmans sont désormais dans une phase post-islamiste ; ils veulent vivre leur foi dans un monde ouvert.

Ensuite, on veut créer l'UPM en la fondant sur des projets mais on se concentre sur des objectifs migratoires. Ce n'est pas ainsi que nous nous prémunirons de l'instabilité du Sahel. Offrirez-vous enfin des possibilités migratoires aux populations de la rive sud ?

Enfin, le discours sur les droits de l'homme s'oppose à la politique de puissance.

Le président de la République qualifie le souci de liberté publique d'« idéologie droits de l'hommiste »... La diplomatie française est flagorneuse et hypocrite : ne saluait-elle pas les régimes dictatoriaux de Tunisie et d'Égypte ? Le mot français « dégage » est le seul apport de la francophonie aux révolutions arabes...

Si nous savons entendre les populations méditerranéennes, rien n'est perdu. Il faut renouer avec l'idée de progrès et d'universalisme des droits. La Turquie « démocratie musulmane » au sens où l'on peut dire « démocratie chrétienne » apparaît comme un exemple à suivre.

Quels enseignements tirerez-vous des révolutions récentes ?

Aucune coopération n'est possible sans considération. Proposons enfin aux populations de la rive sud un cercle vertueux, gagnant-gagnant ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Robert Hue.  - L'insurrection égyptienne vient de chasser un dirigeant honni : cela doit nous faire réfléchir. Les révolutions tunisienne et égyptienne ont vidé de sens le projet de l'UPM et révélé la dégradation de l'image de la France.

Le président de la République avait insisté pour que le siège de l'UMP soit à Tunis. Il coprésidait l'organisation avec M. Moubarak.

La démission du secrétaire général fut un nouveau coup dur. Il se lassait de l'absence de projets concrets. En 2008, le président de la République croyait avoir tiré les leçons de l'enlisement du processus de Barcelone ; il voulait que l'Europe puisse enfin peser sur le conflit du Proche-Orient et relancer la coopération. N'avait-il pas promis une « diplomatie des valeurs » ? Hélas, les actes n'ont pas suivi. Le président de la République n'a pas trouvé le juste équilibre entre ambitions économiques et droits fondamentaux. Tunisiens et Égyptiens rejettent souvent l'UPM, liée à MM. Ben Ali et Moubarak.

Cette diplomatie s'est faite au gré des événements. Le Gouvernement a une vision strictement néolibérale de la coopération et ne se souvient pas des conditions sociales et politiques du développement. Votre conception est celle des agences de notation qui ont diminué la note de la Tunisie et de l'Égypte quand leurs dictatures se sont effondrées. Vous vous êtes laissé aveugler par l'épouvantail du fondamentalisme musulman. Or on apprend aujourd'hui que l'ancien ministère de l'intérieur égyptien est impliqué dans un attentat contre une église copte, imputé aux islamistes...

Dès 2008, nous avons dénoncé l'abandon du processus de Barcelone, qui fixait des exigences en matière de droits fondamentaux et liait développement économique et progrès social.

Que reste-t-il de l'UPM ? Son bilan est mince : une succession de séminaires déconnectés des réalités. Rien ne peut aboutir avant que soient réglés les conflits entre Chypre et la Turquie, le Maroc et le Sahara occidental, Israël et les Palestiniens. La coopération doit servir les peuples.

Vous prenez aujourd'hui le train de l'Histoire en marche. Il est temps de revoir notre stratégie. L'Occident doit soutenir le processus démocratique et le développement économique et social.

M. Jacques Blanc.  - Madame Khiari, il est dommage de n'avoir fait qu'attaquer le président de la République. Le processus de Barcelone est né après les accords d'Oslo, qui faisaient espérer la paix au Proche-Orient. Il a ouvert des perspectives : accord de libre-échange, création du Meda, opérations communes ou bilatérales, TGV Tanger-Casablanca. Il fallait le relancer : le président de la République l'a osé. Les autres pays européens craignaient une Union qui n'aurait regroupé que les États méditerranéens, ils ont été entendus. En juillet 2008, tous les responsables se sont réunis à Paris.

L'échec du processus de paix entre Israël et la Palestine doit-il être imputé au président de la République ?

Mme Bariza Khiari, auteur de la question.  - Allons !

M. Robert Hue.  - Nous n'avons jamais dit cela.

M. Jacques Blanc.  - Les révolutions tunisienne et égyptienne rendent-elles caduque l'UPM ? Bien au contraire ! Peut-être même l'UPM a-t-elle conforté l'aspiration des peuples à la liberté et au développement. Une politique euro-méditerranéenne est plus que jamais nécessaire, je dirai même : un plan Marshall !

Il faut aussi développer la coopération sous-étatique, qui permet d'échapper aux problèmes qui caractérisent les relations entre États. Lors d'une réunion de l'Assemblée des parlements de Méditerranée, où je rapportais sur le problème de l'eau, j'ai rencontré côte à côte le président de la Knesset et le vice-président de l'Autorité palestinienne !

L'heure n'est pas aux attaques intestines ; créons une dynamique et répondons aux attentes des peuples méditerranéens et de leur jeunesse ! (Applaudissements au centre et à droite)

M. Denis Badré.  - Des bouleversements considérables secouent plusieurs États de l'UPM, sans que l'on entende celle-ci. Elle a pourtant été créée pour donner sa pleine portée politique au processus de Barcelone !

La France doit assumer une responsabilité particulière au Maghreb et n'est pas la plus libre pour parler. Mais la voix de l'Europe est timide. L'UPM serait idéalement placée.

C'est d'abord à des crises de développement que nous assistons. Le mot grec crisis désigne l'instant décisif, où tout est possible, où il faut prendre ses responsabilités.

Une UPM active et responsable manque aujourd'hui. La démarche initiale était juste. L'Union européenne dans son ensemble est concernée : l'UPM participe de sa politique de voisinage. N'est-ce pas au titre de vos responsabilités européennes que vous êtes devant nous, madame la ministre ?

Impliquer l'Union européenne dans le bassin méditerranéen ne peut que faciliter nos relations avec le sud. L'UPM ne peut qu'être intergouvernementale mais elle doit devenir au plus tôt l'affaire des peuples. L'institutionnalisation, oui, pourvu que ce soit sur la base d'une charte des valeurs.

Nous ne devons pas éluder ces questions majeures, il y faudra du courage et de la détermination. Le chemin sera rude, mais la situation actuelle est une bonne occasion pour l'emprunter.

L'Union européenne devrait déléguer toutes ces questions de démocratie et de droits de l'homme au Conseil de l'Europe, dont c'est le coeur de métier. La Turquie et les pays des Balkans en sont d'ailleurs membres. Nous devrions proposer dès maintenant à la Tunisie et l'Égypte le statut de partenaires pour la démocratie auprès de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Le parlement marocain est déjà candidat. Lors de la session d'avril, la délégation française le demandera. J'ajoute que le Conseil de l'Europe peut offrir les services de la convention de Venise.

Le temps n'est plus aux questions subalternes. Le temps est à l'imagination, à la solidarité, à la volonté politique. La Méditerranée, berceau des religions du livre, est aussi celui de la démocratie ! (Applaudissements au centre et sur certains bancs UMP)

M. Simon Sutour.  - Évoquer les rives sud et est de la Méditerranée en ces circonstances revêt un caractère tout particulier. Après la Tunisie et l'Égypte, d'autres pays seront peut-être touchés par ce processus, duquel l'Union européenne et la France sont absents. Nous sommes si proches et pourtant impuissants, maladroits et peu crédibles...

Ce n'est pas une question de proximité relevant de la politique européenne de voisinage : c'est de civilisation qu'il s'agit, d'histoire commune, de futur partagé. La nécessité est impérieuse de construire une communauté de destin avec les pays de la rive sud. La question ne doit plus être « que pouvons-nous apporter aux pays du sud ? » mais « que peuvent-ils nous apporter ? »

L'UPM lancée par le président de la République a été une mauvaise réponse aux difficultés du processus de Barcelone, qui ne faisait pas l'impasse sur des problèmes comme l'immigration, le conflit Israël-Palestine, la lutte contre le terrorisme. L'échec de l'UPM est un revers retentissant pour le président de la République qui, avec sa précipitation et son inconstance habituelles, a abîmé une belle idée.

Dès le départ, l'UPM était mal engagée, comme l'ont vu les pays du nord de l'Union européenne. Après quoi, il y eut des désaccords sur l'éventuelle participation de la Ligue arabe, puis sur la gouvernance. Bruxelles s'est sentie mise à l'écart. Grave erreur ! Le processus de Barcelone engageait, lui, l'Union européenne.

L'UPM renforce le gouvernementalisme, la primauté des intérêts nationaux sur l'intérêt commun -on ne cesse de voir les échecs de cette démarche. A vouloir toujours occuper le devant de la scène, le président de la République a affaibli le poids de la France dans le monde. Aucun projet ne peut faire l'impasse sur les questions politiques, de démocratie, de droits de l'homme, de l'avenir d'Israël et de la Palestine.

Point d'alternative au renforcement de nos relations avec la rive sud. Nos économies sont très complémentaires. Je parle de codéveloppement, de résorption des disparités économiques et sociales, du rôle des sociétés civiles du sud. L'Europe est bien plus frileuse que la Chine ou les États-Unis.

Il reste beaucoup à faire. Il faut faire preuve d'ambition mais aussi de pragmatisme et d'humilité. L'Europe doit reprendre l'initiative, un échec pèserait lourd.

La réussite serait de réaliser un espace de civilisation partagée qui donnerait plus d'écho à la voix de l'Europe, dans l'intérêt de tous. (Applaudissements à gauche)

M. Yvon Collin.  - La récente démission du secrétaire général de l'UPM illustre les difficultés d'une organisation née dans la douleur et menacée aujourd'hui de paralysie. L'UPM est-elle condamnée ? Il est clair que se profile au mieux sa mise entre parenthèses...

Nous sommes évidemment tenus par la transition démocratique en Tunisie et en Égypte ; elle remet en débat la question des droits de l'homme, négligée par l'UPM ; on peut se demander si Ben Ali et Moubarak n'y avaient pas vu un moyen de sanctuariser leurs régimes.

Le projet lancé en 2008 par le président de la République était noble mais il a manqué d'emblée une vraie concertation avec nos partenaires de l'Union européenne. Tel qu'il était présenté, le projet français consacrait l'échec du processus de Barcelone. Il est vrai que certains pays de l'Union européenne regardent vers l'est quand d'autres regardent vers le sud. La vraie réalisation d'une dynamique régionale centrée sur la Méditerranée serait profitable à tous face aux puissances émergentes et stabiliserait l'immigration. Le drame humanitaire qui se joue à Lampedusa touche les deux rives de la Méditerranée.

Le gouvernement français doit prendre des initiatives pour relancer le processus, mais dans le dialogue à 27. Restera toutefois la question du périmètre précis de l'UPM : ce qui se lit sur la carte ne correspond pas toujours à la réalité politique.

Malgré toutes ses difficultés, l'UPM a réussi à concrétiser quelques projets, dans l'énergie solaire en particulier. Ceux-ci méritent d'être poursuivis.

Seuls quatorze kilomètres séparent à Gibraltar l'Europe de la rive sud de la Méditerranée. La France et d'autres pays européens partagent une histoire commune avec les pays du sud, avec lesquels ils entretiennent désormais des relations fraternelles. Le groupe du RDSE plaide pour la relance du processus, pour une diplomatie plus habile et plus visionnaire, pour la construction d'un espace démocratique. Persistons dans le sens de l'Histoire. (Applaudissements à gauche)

M. Jean Bizet.  - L'UPM, lancée trois ans avant le printemps des peuples arabes, anticipait sur l'Histoire. Le schéma initial a dû être rapidement amendé, pour évoluer vers une plus grande association des 27 de l'Union européenne. Seule la Lybie a refusé de se joindre à l'ensemble. Président du groupe d'amitié avec la Syrie, j'insiste sur les relations que ce pays attend d'avoir avec nous.

Les résultats de l'UPM ne sont pas au rendez-vous ? Certes mais elle n'a vu le jour qu'il y a tout juste trois ans. L'opération « Plomb durci », menée par Israël à Gaza, a ruiné les premiers efforts. Le secrétaire général a démissionné mais travaillent ensemble, pour la première fois, un secrétaire général adjoint israélien et un secrétaire général adjoint palestinien. Il ne faut pas négliger, en outre, les clivages au sein de l'Union, entre ceux qui regardent au sud et ceux qui regardent à l'est.

Les réunions ministérielles marquent le pas mais les réunions techniques se poursuivent ; l'assemblée parlementaire travaille. L'UPM, jeune et fragile institution, traverse une zone de turbulences, réunissant des pays dont certains sont en conflit depuis des décennies. Sans doute faudrait-il revenir à l'ambition initiale : une coopération plus souple, plus concrète, sur un mode sui generis. Une Union à 43, c'est imposant mais inévitable ; l'important est de rester flexible et inventif.

Avec six axes de coopération, l'UPM a fait preuve d'un grand optimisme. Sans doute devrait-on se concentrer sur deux ou trois priorités, comme la gestion de l'eau ou la sécurité alimentaire.

La grandeur de l'ambition initiale explique la déception actuelle, qui ne doit pas pour autant mener au renoncement. A l'heure de la crise, l'Union européenne ne peut pas, à elle seule, assumer une charge financière à la mesure de l'immensité des besoins.

Je proposerai quelques pistes : reconnaître que l'UPM n'a pas pour vocation de régler les conflits même si elle peut y contribuer ; se concentrer sur un petit nombre de domaines d'action ; définir plus clairement les priorités de la politique européenne de voisinage ; s'appuyer davantage sur les travaux de l'assemblée parlementaire de l'UPM ; envisager de nouvelles méthodes de fonctionnement et de nouveaux types de financement.

Le moment n'est pas venu de renoncer aux ambitions. Au moment où la Méditerranée revient dans l'histoire, si l'Europe se résigne, d'autres occuperont la place qu'elle aura laissée vide, ce que nul ici ne peut souhaiter. J'espère, madame le ministre, que vous serez soutenue dans ce grand dossier. (Applaudissements à droite, au centre et sur quelques bancs socialistes)

M. Roland Courteau.  - Je me réjouis que, dans le sud de la Méditerranée, le vent de liberté souffle en tempête et que les droits de l'homme gagnent du terrain de façon irréversible. Les combattants de la liberté méritent notre admiration et notre soutien.

Je me suis rendu dans ces pays à plusieurs reprises dans le cadre de l'OPECST. Il y a là beaucoup de grain à moudre pour l'UPM dans les prochains mois. La rive sud regroupe 60 % des pays touchés par le manque d'eau. Une forte réduction de la pluviométrie y aurait des conséquences gravissimes, alors que la population des pays de la rive sud devrait s'accroitre de 50 % d'ici 2025.

Qu'est-il advenu des espoirs nés de la conférence de Paris en 2008 ? Jusqu'aux événements de Tunisie et d'Égypte, l'UPM a suscité peu d'intérêt de la part des pays d'Europe du nord. Sur la zone, il n'y a que deux agences pour le développement, l'allemande et la française. Est-il inéluctable que les rencontres interministérielles sur des sujets techniques comme l'accès à l'eau soient affectées par des problèmes politiques ?

J'ai rendu un rapport sur le risque de tsunami en Méditerranée. Le Centre national d'alerte en Méditerranée occidentale sera opérationnel en 2012 ; il a vocation à devenir régional. Des centres d'alerte doivent voir le jour pour la Méditerranée centrale et orientale. Tous les pays riverains sont concernés. Les enjeux sont économiques et stratégiques. L'UPM serait là dans son rôle : pourtant rien ne se passe. Oui, il y a du grain à moudre pour l'UPM !

Quel bilan tirer de l'action du secrétariat général et des rencontres mensuelles des ambassadeurs ? Quelles perspectives pour l'avenir en attendant la résolution du conflit israélo-palestinien ? Quelles actions la France peut-elle mener avec ses partenaires de l'Union pour relancer le processus ? L'Union européenne dispose de fonds de coopération non négligeables dont l'emploi pourrait servir de levier pour le développement. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Sueur.  - Qui mesure chaque matin dans la presse tunisienne la pente que la France doit remonter ? Mes amis tunisiens déplorent l'attitude de notre pays. En une telle circonstance, il faut dire les choses. Jacques Blanc a bien dit que notre groupe d'amitié France-Tunisie a, dès le début, dénoncé clairement la répression barbare qui s'est abattue sur les manifestants. Il faut une révolution diplomatique. On salue le courage des dictateurs qui s'en vont ; il serait bon aussi de saluer celui des peuples qui ont relevé la tête.

Après la démission du secrétaire général de l'UPM, le Quai d'Orsay ne sait que publier un texte amphigourique, emphatique, sans élan. On aimerait entendre le discours de la France de 1789, de 1848, de la Résistance, de la décolonisation, de celle qui est toujours, parce qu'elle est la France, aux côtés des peuples qui se battent pour la liberté. On a besoin de l'entendre. Le rempart face à l'islamisme n'est pas la dictature mais la démocratie et la laïcité. Il faut le dire avec force !

L'UPM est une structure très complexe. Nombre de Maghrébins m'ont dit leur crainte de voir l'Union européenne se réorienter vers le nord et l'est. Embarquer 43 États dans le même bateau, c'était prendre le risque de l'immobilisme et de l'illisibilité.

Il faut poser la question de la configuration. On nous a dit que Barcelone ne suffisait pas, qu'il fallait faire mieux et plus. Est-on plus avancé qu'avec ce processus pragmatique ? Il faut vraiment s'orienter vers des démarches pragmatiques concrètes. Des universitaires tunisiens qui voudraient renforcer leurs relations avec nous se heurtent à un casse-tête incroyable ; l'UPM accorde un million à une université euro-méditerranéenne en Slovénie. Ce n'est pas à la hauteur !

On progressera avec le savoir et la recherche, avec des projets concrets. Mais il faut d'abord être aux côtés des peuples qui se battent avec les mains nues pour la liberté. (Applaudissements à gauche)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes.  - Vous avez choisi un beau sujet et l'avez bien traité, chacun avec sa vision.

Loin de remettre en cause l'UPM, l'actualité arabe consolide l'ardente obligation de renforcer les liens entre les deux rives de la Méditerranée. Nous devons prendre en compte l'exigence nouvelle d'une démocratie décomplexée, ancrée dans un islam modéré, rejetant toute agressivité face à l'ancien colonisateur. Parce que les peuples sont fiers de ce qu'ils sont et veulent avoir leur mot à dire dans la construction du monde.

Oui, l'UPM est plus que jamais d'actualité. Les conflits pèsent : certains pays refusent de siéger avec certaines personnes. Mais notre devoir est aussi de faire avancer le processus de paix. Hier soir, je téléphonais avec Mme Clinton et nous cherchions comment profiter d'une fenêtre qui s'ouvre. Le déblocage du processus de paix est un de nos soucis principaux.

L'Égypte copréside l'UPM avec la France. La priorité de ce grand pays ami n'est peut-être pas de notre côté ces jours-ci... Ensuite, la démission pour convenance personnelle du secrétaire général de l'UPM appelle la nomination d'un successeur.

L'UPM est un processus irréversible parce que nécessaire et réel. Ce n'est pas une institution fantôme. Nous avons des liens nombreux mais l'enjeu est ailleurs : quand se construisent des pôles d'un milliard d'habitants, nous avons besoin d'une unité entre les deux rives de la Méditerranée, faute de quoi que pèserons-nous face à la Chine, l'Inde, à l'Afrique subsaharienne, à l'Amérique latine ? L'UPM est le fruit d'un constat -notre proximité historique et culturelle- et d'une ambition face aux défis de la mondialisation, du crime organisé, de la dépendance énergétique et alimentaire.

L'UPM est aussi une réalité : son cadre juridique est désormais fixé. Des réunions interministérielles ont pu se tenir, sur l'eau, le tourisme, l'emploi. Le budget a pu être adopté, de même que le programme de travail pour 2011. Cette réalité est concrète : ce sont des projets concrets qui doivent se faire si nous voulons convaincre les opinions publiques. Mieux vaut des projets tranchés et bien ciblés sur des objectifs qu'il est possible d'atteindre à court terme. Si les opinions publiques en voient les effets positifs, nous recueillerons leur adhésion.

Un plan solaire a été lancé. Développer les infrastructures au Maghreb est un des enjeux majeurs ; nos interlocuteurs tunisiens me le disent jour après jour. Y contribuent l'AFD et son homologue allemande, mais aussi Bruxelles et la Banque mondiale. Ce qui est fait en la matière n'a rien de mineur. Un accord a été obtenu pour la création d'un centre stratégique pour la protection civile. Le centre d'alerte au tsunami doit effectivement intégrer cette dimension méditerranéenne.

Il faut aussi, certes, que l'UPM accompagne l'évolution des peuples. Un printemps arabe ? Oui, et c'est un beau sujet. La volonté que l'on perçoit, à croire le groupe d'experts que j'ai créé au sein du ministère, c'est d'abord de retrouver de la dignité -tant face à l'intérieur qu'à l'extérieur-, de mettre un terme à l'humiliation. Ces révoltes sont une protestation contre la faillite de la gouvernance. Des richesses ont été créées mais ressenties comme inéquitablement réparties.

Et puis, il y a aussi les aspirations légitimes à davantage de démocratie, de liberté, ainsi que de peser sur la scène internationale. Il faut avancer vers une solution dans le conflit israélo-palestinien.

La France soutient les aspirations à plus de démocratie et ne se désintéresse pas des populations civiles : ce fut mon message à Gaza. La non-ingérence, c'est reconnaître aux peuples la liberté de choisir eux-mêmes. Je fus la première à dénoncer les violences contre les manifestants tunisiens, à l'Assemblée nationale puis à Europe 1, sur Al-Jezira et par une dépêche de l'AFP : j'ai dit qu'il fallait pouvoir manifester sans craindre pour sa vie et déploré l'usage excessif de la force.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Il y a un petit problème de chronologie...

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État.  - N'en restons pas aux mots, comme trop souvent. La France se mobilise pour la Tunisie et l'Égypte : le Premier ministre a présenté ce matin un plan élaboré avec les autorités égyptiennes. Plusieurs ministres se rendront la semaine prochaine en Tunisie.

Avec ses partenaires de l'UPM, la France cherche à relever un triple défi.

Un défi institutionnel d'abord. Quelle politique de voisinage pour l'Union européenne, et avec quels moyens ? Les conclusions du dernier Conseil européen sont positives, il a fait de l'UPM la nouvelle dimension de sa politique de voisinage. Certains pays regardent vers l'est, mais j'ai rappelé la nécessité de concentrer nos interventions sur le sud. L'attente est grande à l'égard de la France et de l'Europe, en Tunisie comme en Égypte.

Un défi démocratique, ensuite : l'UPM peut aider à le relever, notamment en articulant mieux ses actions avec le Conseil de l'Europe, qui a une expertise particulière. Il faut aussi soutenir la société civile. Le Centre méditerranéen de la jeunesse sera un équivalent d'Erasmus. Des projets visent l'égalité hommes-femmes et l'Union européenne soutient Euromed, association d'ONG.

Troisième défi : le financement. Il faut diversifier ses sources, étant donné les contraintes budgétaires. Pour donner confiance aux investisseurs, l'UPM doit sélectionner des projets d'intérêt commun, les insérer dans un contexte institutionnel et assurer leur sécurité juridique et financière.

L'UPM est plus que jamais à l'ordre du jour. C'est une organisation jeune : où en était la construction européenne après trois ans ? L'important est de s'inscrire dans la durée.

Il faut agir dès maintenant. L'UPM doit être au service de la paix et de la prospérité sur les deux rives de la Méditerranée et mérite mieux que les discours politiciens.

Soyons modestes. Aviez-vous prévu mieux que les gouvernements les évolutions récentes ? Le parti de M. Ben Ali appartenait encore, il y a peu, à l'Internationale socialiste !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Nous n'avions plus de relations depuis dix ans !

M. Ivan Renar.  - Qu'est-ce que c'est que ce dérapage ? On n'est pas à l'Assemblée nationale ici !

Mme Bariza Khiari, auteur de la question.  - C'était bien jusque-là, madame la ministre.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État.  - Si nous y travaillons tous, la Méditerranée peut devenir une référence pour le monde. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères.  - J'ai entendu le réquisitoire de M. Sueur, qui nous change de ses homélies.

M. Jean-Pierre Sueur.  - J'ai beaucoup de registres !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères.  - Ni à droite ni à gauche, nous n'avons fait preuve de prescience. Saluons tous le courage des Tunisiens et leur quête de dignité. Depuis trente deux ans, M. Ben Ali régnait sur la Tunisie et l'on savait depuis dix ans que son régime était autocratique. Dans quelle enceinte a-t-on dénoncé cet état de fait ? L'association France-Tunisie l'a-t-elle fait ?

Comme disait Churchill, ceux qui exercent leur sagacité après les faits devraient se taire. Ne donnons pas de leçon mais aidons les Tunisiens à établir la démocratie dans leur pays. C'est le seul moyen d'asseoir l'UPM. (Applaudissement sur les bancs UMP)

M. Jean-Pierre Sueur.  - Je suis mis en cause à titre personnel.

Mme Bariza Khiari, auteur de la question.  - Ce débat eût mérité que vous évitiez cette polémique. Si nous avions voulu faire un réquisitoire, nous aurions eu beaucoup de choses à dire !

J'espère que le mouvement actuel parachèvera les espoirs du mouvement nationaliste arabe, nés avec la lutte contre le colonialisme mais qui n'avaient pas abouti : les nouveaux maîtres étaient plus difficiles à démasquer parce qu'ils n'avaient pas un visage étranger. Il est vrai qu'un problème de gouvernance se posait. Nous avons l'ardente obligation d'accompagner la transition.

Depuis dix ans, le parti socialiste français n'avait aucun lien avec le parti de M. Ben Ali. Nous avons vérifié.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères.  - Allons donc !

Mme Bariza Khiari, auteur de la question.  - Répondons avec courage aux défis qui nous font face et bâtissons un projet autour des peuples. Cessons d'agiter l'épouvantail islamiste. Les Frères musulmans ne sont pas à la tête du mouvement, qu'ils comprenaient mal. Les jeunes Arabes ne rêvent pas du modèle iranien, répulsif et contesté. Ils ont accès comme nous aux informations en temps réel et s'en saisissent avec voracité. Les problèmes sont ceux de la pauvreté et du déclassement : la question sociale prime, comme partout ; aussi faut-il, ici même, cesser de l'ethniciser comme on ne le fait que trop !

Il faut mener des projets concrets, cesser de voir dans les dictateurs un rempart : c'est la démocratie qui nous protégera de l'intégrisme et du terrorisme et le développement qui préviendra l'émigration -car l'exil est toujours souffrance. Souhaitons que la France soit à la hauteur de ce rendez-vous.

M. le président.  - Le débat est clos.

M. Jean-Pierre Sueur.  - J'ai été mis en cause personnellement. Puis-je intervenir maintenant ?

M. le président.  - Soit, par un rappel au Règlement.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Je rappelle à M. de Rohan que le groupe France-Tunisie fut longtemps présidé par Mme Cerisier-ben Guiga, qui s'est souvent attirée des blâmes pour avoir critiqué le régime de M. Ben Ali.

Depuis que je le préside, notre groupe a reçu Mme Souhayr Belhassen, présidente de la Ligue internationale des droits de l'homme et tunisienne, puis Mme Khadija Chérif, secrétaire générale de la Ligue tunisienne des droits de l'homme.

J'ai reçu M. ben Brik, j'ai écrit à son sujet aux autorités tunisiennes et françaises et je me suis joint à des manifestations en sa faveur.

En Tunisie, j'ai exigé de rencontrer, dans ses locaux, Moktar Trifi, président de la Ligue tunisienne des droits de l'homme. J'ai reçu, à cette occasion, nombre de mises en garde.

Voilà la réalité des faits. (Applaudissements à gauche)