Immigration (Deuxième lecture - Suite)

Discussion générale (Suite)

Mme la présidente.  - Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale, relatif à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité.

M. Claude Guéant, ministre.  - Je remercie les orateurs, qui se sont exprimés avec conviction, ainsi que le rapporteur, qui a souligné nos points d'accord. Comme l'a rappelé lucidement et courageusement Mme Troendle, (exclamations sarcastiques à gauche), le Gouvernement place sa politique d'immigration sous le signe de l'efficacité républicaine et ce depuis 2003. Comme vous l'avez souligné, la situation des pays du sud de la Méditerranée nous oblige à la vigilance. Certains -Mme Assassi ou M. Yung- proposent que la France ouvre sans conditions ses frontières. (M. Richard Yung le nie)

Mme Éliane Assassi.  - Caricature !

M. Dominique Braye.  - Vous qui aimez les référendums, faites-en un ! Vous verrez le résultat !

M. Claude Guéant, ministre.  - Vous dites notamment que « la France doit accueillir 10 millions de migrants supplémentaires pour compenser les effets du vieillissement » ; je vous laisse l'expliquer aux Français ! (Protestations à gauche) Pas question pour le Gouvernement de mettre un terme à l'immigration de travail, mais 24 % des ressortissants extracommunautaires sont demandeurs d'emplois.

Vous dites vouloir réguler l'immigration, mais rejetez toutes les dispositions pour ce faire !

M. Dominique Braye.  - Ils veulent faire gonfler le Front national !

M. René-Pierre Signé.  - L'immigration est nécessaire !

M. Claude Guéant, ministre.  - Je vous remercierai, en outre, de me citer exactement, sans déformer mes propos, voire les inventer de toutes pièces. (Exclamations à gauche)

M. Dominique Braye.  - C'est leur tactique habituelle !

Mme Éliane Assassi.  - Assumez vos propos !

M. Claude Guéant, ministre.  - La politique du Gouvernement est tout sauf une politique de stigmatisation. (Protestations à gauche) Quand la majorité organise un débat sur la laïcité -après le parti socialiste et le parti communiste- c'est pour que la France n'oublie pas ce principe fondamental.

Mme Éliane Assassi.  - Nous, nous débattons de la laïcité, pas de l'islam !

M. Claude Guéant, ministre.  - Les Français attendent plus d'efficacité dans les procédures d'éloignement. Transposition tardive de la directive Retour, oui, mais c'est le temps de la discussion parlementaire et plusieurs de nos voisins sont encore plus en retard...

Monsieur Ries, la personne placée en rétention peut contester ce placement pendant 48 heures, ce recours étant suspensif.

La réforme du contentieux de l'éloignement n'est pas contestable juridiquement : elle rétablit l'ordre logique de l'intervention du juge. Il fallait clarifier une procédure aujourd'hui illisible. Votre commission propose un délai de quatre jours ; monsieur Zocchetto, le Conseil constitutionnel n'a pas indiqué de délai ferme. Il n'a pas censuré le délai de quatre jours, mais avait censuré en 1980 un délai de sept jours. Le Conseil d'État a validé le délai de cinq jours. Cette réforme ne remet aucunement en cause le rôle du juge judiciaire. Le Conseil constitutionnel, j'en suis certain, confirmera notre analyse.

Nous sommes parvenus à un juste consensus sur le séjour des étrangers malades. La rédaction de votre commission est plus claire, et permet de pendre en compte des circonstances humanitaires exceptionnelles pour l'attribution du titre de séjour. (Applaudissements à droite)

Exception d'irrecevabilité

Mme la présidente.  - Motion n°3, présentée par M. Assouline et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relatif à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité (n° 393, 2010-2011).

M. David Assouline.  - Monsieur le ministre, vos propos récents sur l'immigration légale éclairent différemment ce texte. M. Hortefeux, lui, disait : nous sommes fermes contre l'immigration illégale pour mieux favoriser l'intégration des immigrés légaux...

Si vous continuez sur cette pente, demain, vous direz qu'il faut diminuer les naturalisations, pour, peut-être, mieux préserver la pureté de l'identité nationale !

M. Dominique Braye.  - Vous êtes le roi de l'amalgame !

M. René-Pierre Signé.  - La réalité vous gêne !

M. David Assouline.  - Vous obtempérez aux injonctions du Front national, cassant toutes les digues, gommant les différences avec ce parti qui estime qu'il y a trop d'étrangers légaux...

Quelque 20 000 travailleurs étrangers légaux pour 4 millions de chômeurs : vous voyez un lien ?

M. Dominique Braye.  - Allez donc au Canada !

M. David Assouline.  - Cessez d'être l'éternel directeur de campagne de l'éternel candidat Sarkozy, occupez-vous des problèmes des Français ! Et ne venez pas nous donner des leçons sur la laïcité. C'est par l'école que l'on accède à la raison, que l'on apprend à vivre avec la différence.

M. Dominique Braye.  - Qu'en avez-vous fait !

M. David Assouline.  - Or vous l'affaiblissez, vous qui avez toujours défendu l'école privée ! Nous, nous défendrons toujours nos valeurs.

M. Dominique Braye.  - La faute à la réforme Jospin !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Monsieur Braye, calmez-vous !

M. David Assouline.  - Le Premier ministre aurait déclaré il y a quelques jours devant des parlementaires de la majorité, et sans que ses propos soient démentis, (exclamations à droite) que quelles que soient les modifications du Sénat, le texte de l'Assemblée nationale sera retenu tel quel. Si c'était le cas, ce serait une belle preuve de la considération que ce Gouvernement porte à notre assemblée ! J'espère que, sur tous les bancs de cet hémicycle, nous montrerons que ce texte peut encore bouger.

Par crainte de la censure constitutionnelle, vous avez fait machine arrière sur la déchéance de la nationalité : tant mieux. Sur le reste, les députés de la majorité vous suivent dans votre course démagogique.

La cohésion nationale que vous invoquez serait assurée si tous les partis républicains défendaient les valeurs de notre pays.

M. Dominique Braye.  - Laïcité, intégration !

M. David Assouline.  - C'est ainsi que le Sénat a toujours su se faire entendre, continuons !

Après avoir défendu bec et ongles la déchéance de nationalité, grande mesure annoncée par le président de la République à Grenoble, vous avez reculé. Encore un effort : faites-en autant sur la charte des droits et devoirs. L'adhésion ne se mesure pas dans un contrat ! Le renvoi au décret sur ce point est contraire à l'article 34 de la Constitution. La jurisprudence du Conseil constitutionnel est pourtant sans appel sur ce point : nous sommes dans le domaine de la loi.

S'agissant des zones d'attente « temporaires », la rédaction de l'Assemblée nationale ouvre la voie à la détention arbitraire, contraire à la Constitution.

Enfin, les articles 30 et 37 sur le délai d'intervention du juge contreviennent à la Constitution. Selon la position constante du Conseil, le juge doit intervenir dans le plus court délai possible. Dans la majorité des cas, la décision préfectorale de placement en rétention intervient après une garde à vue : en réalité, la détention est de cinq à six jours ! Or, le Conseil a censuré une durée de sept jours... Vous allongez de même la durée maximale de rétention. Autre recul des droits des personnes. Pensez-vous que le Conseil constitutionnel validera ces deux atteintes à la liberté ?

M. Dominique Braye.  - On en a assez !

M. David Assouline.  - Nous vous demandons de voter cette motion. Ce projet de loi marque un recul par rapport à notre conception de l'accueil et pour tout dire de la République. (Applaudissements à gauche)

M. François-Noël Buffet, rapporteur.  - L'avis est défavorable. Le texte n'est pas contraire à l'article 66 de la Constitution puisque le juge judiciaire intervient. L'article 10 ne remet pas en cause le droit à un recours suspensif ; nous y avons veillé en reprenant la disposition de l'article 802 du code de procédure pénale. Enfin, la charte est une déclaration d'intention, une manifestation d'adhésion par écrit aux valeurs essentielles de notre société ; c'est une formalité légère, mais à forte portée symbolique.

M. Claude Guéant, ministre.  - « Le Front national est une chance historique pour le parti socialiste » : ce propos, me semble-t-il, n'émane pas d'un membre de la majorité présidentielle ! (Applaudissements à droite ; protestations indignées sur les bancs socialistes, où l'on interroge le ministre sur l'auteur du propos)

M. Dominique Braye.  - Ce sont des faux-culs !

M. Claude Guéant, ministre.  - Le Conseil d'État n'a pas formulé d'observations sur ce texte. Et il n'y a pas de régime juridique nouveau en matière de zones d'attente. Le Gouvernement invite le Sénat à rejeter cette motion.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Je veux soutenir l'argumentation de M. Assouline. Ce texte instaure une conception ad hoc de la procédure judiciaire : après les tribunaux improvisés dans les couloirs et les soupentes, voici les zones d'attente flottantes... (M. Jean-Noël Buffet, rapporteur, soupire) Quoi qu'il en soit, je ne serais pas intervenu si, monsieur le ministre, vous n'aviez pas prononcé certains propos, sans les attribuer...

M. Dominique Braye.  - La vérité fait mal !

Mme Alima Boumediene-Thiery. - Quelle vérité ?

M. Jean-Pierre Sueur.  - M. Braye est le champion de l'interruption !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - M. Sueur peut parler ; il est également doué...

M. Jean-Pierre Sueur.  - Monsieur le ministre, je ne comprends pas comment, vous, un ancien préfet si expérimenté, pouvez tenir de telles argumentations. Pourquoi ne pas dénoncer avec clarté le Front national, qui est une menace pour la République, plutôt que de tenir des propos ambigus sur le Parti socialiste ? On a vu les résultats de cette stratégie aux dernières élections, une stratégie qui ne profite qu'au Front national et certainement pas aux démocrates !

M. Dominique Braye.  - Qui a propulsé le Front national à l'Assemblée nationale ?

M. Jean-Pierre Sueur.  - Personne au Parti socialiste !

M. Dominique Braye.  - Et en 1986 ?

M. Jean-Pierre Sueur.  - J'étais député en 1986...

M. Dominique Braye.  - Vous auriez dû le rester !

M. Jean-Pierre Sueur.  - ...et j'ai défendu la proportionnelle car c'est la marque de la démocratie...

M. Dominique Braye.  - Qui a dit que le Front national était une chance pour le Parti socialiste ?

M. David Assouline.  - Cela frise la diffamation !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Il est grotesque de prétendre que soutenir la proportionnelle, c'est soutenir le Front national. La proportionnelle existe dans la plupart des démocraties européennes. Dois-je rappeler que beaucoup de nos collègues sont élus avec ce mode de scrutin ? Que le RPR s'est allié avec le Front national dans quatre régions, dont la mienne ? Il ne faut pas insulter l'histoire ! (Applaudissements à gauche)

M. Dominique Braye.  - Vous avez largement dépassé votre temps de parole !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Monsieur le ministre, ne nous reprochez pas de tenir des propos politiques : cette loi est de pur affichage politique, elle a été portée par un ministre qu'on appelait de l'identité nationale pour mieux opposer les Français. Vous agitez les peurs. Vous avez même inventé le concept de « Français d'origine étrangère ». Nous savons les effets dévastateurs de ce discours, on l'a vu aux dernières élections. Pourtant, vous avez persévéré ; vous continuez à distiller le poison de la division pour masquer l'échec de votre politique antisociale. La Constitution garantit, pourtant, les mêmes droits à tous les citoyens, sans distinction d'origine ! (Applaudissements à gauche)

présidence de M. Bernard Frimat,vice-président

Mme Colette Giudicelli.  - On peut toujours faire de beaux discours... Une de vos coreligionnaires, monsieur Sueur... (Exclamations sur les bancs socialistes) s'est récemment associée dans ma région au candidat du Front national au profit d'un candidat UMP dissident... Préférant les actes aux discours, nous voterons contre cette motion.

À la demande du groupe UMP, la motion n°3 est mise aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 338
Nombre de suffrages exprimés 337
Majorité absolue des suffrages exprimés 169
Pour l'adoption 150
Contre 187

Le Sénat n'a pas adopté.

(Applaudissements à droite)

Question préalable

M. le président.  - Motion n°1, présentée par Mme Assassi et les membres du groupe CRC-SPG.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi relatif à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité (n° 393, 2010-2011).

Mme Josiane Mathon-Poinat.  - Faut-il rappeler le bloc constitutionnel et tous les textes internationaux qui en font partie, de la Déclaration universelle des droits de l'homme à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ? Il garantit des droits minimaux aux étrangers, qui, pour être étrangers, n'en sont pas moins hommes. Il y va du respect de la dignité humaine. Des mesures spécifiques sont possibles mais, selon le droit communautaire que vous invoquez à l'envi, elles doivent être nécessaires, proportionnées et compatibles avec le respect des droits fondamentaux de la personne humaine.

Nécessaires, celles du projet de loi ne le sont pas. Le Gouvernement va au-delà de ce que commandent les trois directives dont il propose la transposition, en évitant d'en reprendre les dispositions plus favorables aux étrangers et en y ajoutant d'autres sur le contentieux de l'éloignement ou les zones d'attente.

Pour justifier votre politique d'immigration choisie, vous avancez des chiffres. Mais selon Pôle Emploi et le Credoc, 1,5 million de postes peu qualifiés manquent de candidats -ce qui contredit votre politique d'immigration choisie. En matière d'asile, la France n'est pas plus généreuse que ses voisins. Et le solde financier de l'immigration est positif de 12 milliards pour les caisses de l'État.

Des mesures proportionnées et compatibles avec le respect des droits fondamentaux de la personne humaine ? Non plus. La France a été condamnée par les plus hautes instances internationales en raison de votre politique honteuse de traque aux Roms. La directive de 2004 leur garantit la libre circulation ; des raisons économiques -la charge pour le système de protection sociale- ne peuvent être invoquées pour la restreindre.

Ensuite, porter à cinq jours le délai d'intervention du JLD est contraire à l'article 66 de la Constitution ; on pourra expulser sans contrôle des pratiques administratives. Décidément, le juge judiciaire dérange... Heureusement, la séparation des pouvoir existe encore, le Parlement ne peut pas laisser passer ce déni de justice !

Le Conseil constitutionnel s'est récemment prononcé défavorablement -faisant fi des mises en garde européennes- sur une QPC dénonçant l'absence de recours suspensif dans la procédure d'asile prioritaire. La CEDH doit trancher le 17 mai. Nous continuerons de nous battre avec des organisations comme Amnesty international pour que notre législation évolue.

Que dire aussi de la suspicion à l'égard des étrangers et des mariages « gris » ? Voilà que la loi encadre les sentiments et l'intimité, ce qui relève du grotesque ! Comment juger l'impalpable ? S'il s'agit de dol, pourquoi une application limitée aux seuls étrangers ?

Je passe sur bien d'autres dispositions inutiles. En première lecture, j'avais défendu la question préalable. M. Richert m'avait répondu que c'était de bonne guerre, de la part d'un parlementaire d'opposition... Non, je défends cette motion par conviction, au nom des valeurs humanistes...

M. Dominique Braye.  - Les communistes ont 100 millions de morts sur la conscience ! Et ils donnent des leçons ! (Protestations à gauche)

M. David Assouline.  - Faites-le taire !

Mme Josiane Mathon-Poinat.  - Vous avez rivalisé de propos xénophobes, monsieur le ministre, avec le Front national...

M. Dominique Braye.  - Vous déformez ! Maintenant, les communistes défendent les droits de l'homme : on aura tout vu !

Mme Catherine Tasca.  - Cessez de vous en prendre aux communistes !

Mme Josiane Mathon-Poinat.  - Vous dites que ce parti ne vous sert pas de boussole, mais vous n'avez cessé de jouer des amalgames entre immigration et délinquance, Roms et fraude, assimilation et intégration. Cette réforme n'est pas anodine. Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, nous avons interdit le racisme d'État. Nous n'avons pas besoin de xénophobie, mais d'ouverture sur l'avenir ! (Applaudissements à gauche)

M. François-Noël Buffet, rapporteur.  - L'avis est défavorable ; le texte renforce la politique d'intégration et transpose trois directives.

M. Claude Guéant, ministre.  - Même avis défavorable.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Je veux aider M. Braye à mettre à jour son dictionnaire des citations. « Plutôt Hitler que le Front populaire », vous vous souvenez ? Ensuite, l'histoire : après 1986, il y eu 1988 et l'élection à Hyères de Mme Piat, député du Front national, après le retrait des candidats du parti de droite, tandis qu'ailleurs, Fréjus excepté, ceux du FN se retiraient. Inutile, donc, de nous jeter des arguments fallacieux à la tête. La situation est politiquement grave, il ne faut pas tenter le diable ! (Applaudissements à gauche)

La motion n°1 n'est pas adoptée.

Renvoi en commission

M. le président.  - Motion n°2, présentée par MM. Mézard, Collin, Alfonsi, Baylet et Chevènement, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.

En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité (n° 393, 2010-2011).

M. Jacques Mézard.  - Merci, monsieur le rapporteur, de vos propos ; je salue votre rigueur vis-à-vis de l'Assemblée nationale.

Suffit-il d'accumuler les lois pour régler les problèmes ? Non, une bonne loi est une loi qui dure, une loi de bon sens, une loi juste, une loi qui rassemble et ne provoque pas de rupture. Monsieur le ministre, vous appartenez à une majorité qui gouverne depuis un bail, dirait-on dans le monde rural. Après des critiques acerbes sur la politique conduite avant 2002, on aurait pu attendre une grande réforme, une loi fondatrice, des solutions permettant de mettre fin aux dérives prétendues. Or, auteur de la trilogie immigration, identité nationale, insécurité, vous avez multiplié les lois, des textes purement médiatiques pour entretenir le feu... Nous ne sommes pas laxistes ; M. Chevènement, l'un des nôtres, l'a montré lorsqu'il occupait votre fonction.

La question de l'immigration restera longtemps prégnante dans la gouvernance des nations du nord. Au regard d'une explosion démographique incontrôlée et de la destruction des ressources énergétiques ou alimentaires, on ne saurait s'en étonner. Pour faire face aux pressions migratoires, nous devons bâtir une politique garantissant le respect absolu des droits de l'homme et l'équilibre sociologique et économique de notre société ; cette politique doit être définie au plan national mais aussi au plan européen -l'exemple des Tunisiens en Italie le montre.

Les immigrés doivent respecter les lois de notre République. Nous ne pouvons pas accueillir tous ceux qui frappent à sa porte dans n'importe quelle condition. Il faut une vision prospective en matière de logement ou d'éducation. Nous en manquons depuis des décennies. Récemment, sur une grande chaîne de télévision, on voyait un immigré en situation irrégulière montrer sa feuille d'imposition... Quelle incohérence ! Nous avons besoin d'un bilan objectif de l'immigration. D'où cette motion tendant au renvoi en commission.

Le septième rapport au Parlement de mars 2011 est éclairant ; dans sa préface, vous notiez que c'est dans l'application rigoureuse des objectifs de lutte contre l'immigration clandestine que vivra la tradition d'accueil et d'intégration de la France. Mais, depuis, vous avez déclaré vouloir limiter l'immigration légale qui est, au reste, peu nombreuse pour une puissance comme la France. Le député Ciotti a affirmé récemment que le regroupement familial progressait... Le rapport dit exactement le contraire ! Tout cela n'est qu'opération de communication.

Enfin, certaines dispositions de ce texte, avons-nous souligné en première lecture, frisent l'inconstitutionnalité. L'exemple de la censure de la Loppsi 2 par le Conseil constitutionnel montre que mieux vaut ne pas trop se hâter -et que nous n'avons pas toujours tort... Quand les divergences sont si profondes entre le Sénat et l'Assemblée nationale, il semble plus raisonnable de reprendre la réflexion.

Sur les mariages « gris », comment apprécier la fraude aux sentiments ? Comment des zones ad hoc peuvent-elles être pérennes ? Est-il conforme à notre droit que le JLD intervienne après le juge administratif, que la purge des nullités soit étendue aux nullités substantielles ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Nous avons travaillé, en commission, sur tous ces sujets.

M. Jacques Mézard.  - Oui, notre commission a bien travaillé, j'allais y revenir... Elle est revenue sur nombre de points. Hélas, le texte va au-delà de nos obligations communautaires. Je m'en tiendrai à ce seul exemple : dans la directive, le prononcé d'une interdiction de retour est une simple faculté, non une obligation.

Pour conclure, que penser d'une politique migratoire structurée par des discours et des actes contradictoires ? En juillet 2006, le futur président de la République déclarait à Rabat que l'immigration, sous certaines conditions, pouvait être une chance pour l'Europe et l'Afrique. Nous considérons que les flux migratoires doivent être régulés dans l'intérêt, aussi, de ceux que nous accueillons. Il faut une politique de l'immigration menée avec responsabilité et humanisme, respectueuse des droits fondamentaux, en aucun cas instrumentalisée à des fins électoralistes. La Nation n'a pas de problème d'identité avec elle-même, elle a besoin, surtout en période de crise internationale et de doutes internes, d'être rassurée, non de vivre dans le conflit. Je demande au Sénat de voter cette motion. (Applaudissements à gauche)

M. François-Noël Buffet, rapporteur.  - L'avis est défavorable ; en commission, nous avons progressé de manière juste et équilibrée sur tous les points évoqués.

M. Claude Guéant, ministre.  - Même avis.

La motion n°2 n'est pas adoptée.