Désindustrialisation (Questions cribles thématiques)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur la désindustrialisation.

M. Martial Bourquin.  - On annonce 4 000 suppressions d'emploi à PSA en France, 6 000 en Europe. Des problèmes analogues se posent dans le raffinage, à Dunkerque, près de l'étang de Berre, ainsi que dans de nombreuses PME. Nous sommes entrés dans une nouvelle étape de la désindustrialisation. Que fait le Gouvernement ? Il mise surtout sur les grandes multinationales, oubliant les PME. La désindustrialisation n'est pas une fatalité : voyez l'industrie allemande, qui affiche une santé insolente. Nous n'avons plus de politique industrielle ! A Sochaux, l'annonce de PSA a créé un émoi considérable. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique.  - Nous mettons en oeuvre les 23 mesures issues des états généraux de l'industrie, qui ont associé industriels et partenaires sociaux. Une première semaine de l'industrie a ouvert les portes. Nous promouvons le « fabriqué en France ». Nous nommons, en la personne de M. Yvon Jacob, un ambassadeur de l'industrie, chargé, entre autres, de travailler sur la réciprocité commerciale. M. Baroin et moi-même fixons des objectifs aux entreprises publiques.

Le soutien de 200 millions d'euros accordé aux PME a encouragé l'investissement et l'emploi depuis 2010. Douze comités stratégiques de filières ont été créés. France Brevet, le remboursement immédiat du crédit impôt recherche, la suppression de la taxe professionnelle (rires à gauche) : autant de mesures d'encouragement. Et nous allons transformer le livret de développement durable en « livret de développement industriel durable ».

M. Martial Bourquin.  - Tant la taxe professionnelle que l'impôt sur les sociétés diffèrent considérablement selon qu'on est une PME ou une multinationale. Les cadeaux fiscaux accordés aux grandes entreprises n'ont aucune contrepartie. La France n'a plus de politique industrielle ! (Applaudissements sur les bancs socialistes) Les grands groupes prennent l'argent puis vont s'installer ailleurs, en oubliant le territoire national. Nous avons besoin d'un patriotisme économique ! (Applaudissements à gauche)

Mme Évelyne Didier.  - La sidérurgie est en cours de démantèlement en France et en Europe : ArcelorMittal délocalise, alors que le groupe dégage des milliards de bénéfices. Neuf hauts fourneaux européens sont à l'arrêt en 2011 alors que le groupe a dégagé un profit net de 3,5 milliards d'euros durant les neuf premiers mois de l'année 2011 et qu'il a promis un milliard de plus en 2012 à ses actionnaires. A l'annonce de l'arrêt du haut fourneau de Florange, des centaines de travailleurs sont plongés dans l'angoisse, 405 intérimaires et 350 cotraitants sont remerciés, 600 salariés au chômage technique, 160 fournisseurs et sous-traitants menacés. Aucune visibilité. Aucune date de reprise.

Une autre politique industrielle s'impose. Les délocalisations dans la sidérurgie vont accélérer les délocalisations dans la métallurgie. Certains se raccrochent au projet Ulcos de captage et de stockage du CO2. N'est-ce pas d'abord un projet destiné à augmenter la productivité de la filière acier au bénéfice d'ArcelorMittal avec l'argent public ? L'Europe est-elle prête à investir dans un outil qui fonctionnerait six mois dans l'année ? Que fait le Gouvernement ? (Applaudissements à gauche)

M. Éric Besson, ministre.  - La sidérurgie emploie 50 000 personnes en France. ArcelorMittal s'est engagée à ne pas fermer le haut-fourneau de Florange -pourquoi, sinon, y investir 50 millions ? Le projet de captage de CO2 est prometteur. Nous lui consacrons 150 millions d'euros au titre des investissements d'avenir. Je suis allé à Bruxelles pour obtenir des financements européens, à concurrence de 250 millions d'euros. A Gandrange, les salariés ont été reclassés à 99 %. ArcelorMittal finance une convention de revitalisation. Les engagements du président de la République sont tenus.

M. Éric Bocquet.  - Cette réponse n'est pas à la hauteur des enjeux : 600 000 emplois ont été supprimés dans la sidérurgie ces dernières années. La recherche du profit à court terme débouche sur la délocalisation. En France, 16 % du PIB provient de l'industrie, contre 30 % en Allemagne. Il est temps de réagir ! (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Qui, comme moi, parcourt la France constate le saccage de notre industrie, en Picardie, en Lorraine -où 80 000 emplois industriels sont supprimés tandis que 90 000 Lorrains vont travailler dans des banques luxembourgeoises. A Sochaux, Peugeot supprime 4 000 emplois.

La surévaluation de l'euro joue un rôle essentiel dans cette désindustrialisation. La question du change a toujours été occultée par les partisans de la monnaie forte. Malgré la crise, l'euro est à 1,37 dollar, 20 % au-dessous de sa parité initiale. Résultat, la part de l'industrie française dans la valeur ajoutée ne cesse de baisser pour ne plus représenter plus que 13 % de l'emploi en France, soit 3 millions de personnes contre 5,5 il y a trente ans. Une monnaie est faite par un pays !

Au début de son mandat, M. Sarkozy avait des mots forts contre un euro trop cher. Que fait son Gouvernement pour rendre notre monnaie moins chère ? Et pour faire réviser les statuts de la Banque centrale européenne ?

M. Éric Besson, ministre.  - Oui, l'industrie a vu reculer sa part dans l'emploi et la valeur ajoutée, mais ne cédons pas au déclinisme. Pas vous ! L'industrie française occupe toujours le deuxième rang européen, le cinquième mondial. Plus de 360 créations ou extensions d'usines ont eu lieu cette année.

Nos problèmes de compétitivité ne sont pas dus entièrement à l'euro, qui s'est déprécié de 18 % depuis 2008. Sa parité n'empêche pas certaines entreprises d'exporter : voyez Airbus, qui a 4 000 avions à livrer. Certes, il faut protéger notre industrie de toute guerre des changes. Nous le faisons. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Ne vous leurrez pas : le déclin est là !

M. Joël Guerriau.  - A qui la faute ?

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Oui, je sais que le choix de la monnaie forte est ancien. Mais le déclin s'accélère.

M. Tchuruk voulait une France sans usine. Mais c'est la fin de la France ! Je voudrais que vous soyez conscients que, sans une monnaie moins chère, c'en est fini de la France !

M. Jean-Pierre Vial.  - L'industrie recule dans le PIB, malgré des entreprises dynamiques, par exemple dans le domaine des énergies propres. La région Rhône-Alpes est un territoire d'excellence pour le solaire. Si Photowatt vient de franchir une étape difficile, la filière se montre un acteur de niveau mondial dans le solaire par concentration et avec la récente vente d'une usine clé en main par un consortium français face à une compétition allemande et japonaise. Je pourrais aussi évoquer le succès international de la société Fonroche à Agen.

En Savoie, le président de la République s'est engagé, le 9 juin 2009, à diminuer de 20 % les émissions de gaz à effets de serre et à ce que, pour un euro pour le nucléaire, soit dépensé le même euro pour l'énergie propre. Or la France reste très en retard en la matière.

Ne peut-on instaurer une norme environnementale propre à sélectionner les équipements vendus en fonction de leur qualité et des garanties offertes ?

Ne peut-on soutenir la filière industrielle française du solaire, qu'il soit thermique, photovoltaïque ou par concentration, dans le cadre du plan de relance du grand emprunt ?

M. Éric Besson, ministre.  - Nous avons voulu rendre soutenable la politique en faveur du secteur photovoltaïque. Dans l'appel d'offres sur les installations de plus de 250 kW, cette énergie représente 15 à 20 %. Un label a été créé pour soutenir la filière française. Quatre lots sont dédiés à des technologies innovantes. Des instituts d'excellence en énergie décarbonnée doivent être créés. J'ai conduit des chefs d'entreprises à l'étranger pour faciliter leurs démarches à l'export.

M. Jean-Pierre Vial.  - Je connais votre engagement : l'administration doit faire de la qualité environnementale une exigence : c'est un avantage compétitif des entreprises françaises. Merci d'aider la filière photovoltaïque française à exporter.

M. Christian Namy.  - Le déclin de l'emploi industriel est dû à un manque de compétitivité. En outre, nous peinons à implanter des industries nouvelles. Les friches commencent à être valorisées. La dépollution des sols est cruciale pour l'implantation d'activités nouvelles. Votre ministère a déployé 210 millions pour accompagner les projets de réindustrialisation d'ici 2013, mais les collectivités semblent déçues. Quels correctifs comptez-vous apporter ?

M. Éric Besson, ministre.  - L'aide à la réindustrialisation est effectivement une mesure-phare de l'aide de l'État à l'industrie. Plus de 1 000 emplois ont été ainsi créés un peu partout sur le territoire, de Dreux à la Haute-Savoie et à la Marne.

Huit autres dossiers seront bientôt finalisés, pour 120 millions d'investissement et plus de 500 emplois. Notre objectif est au total d'accompagner 40 projets générant 400 millions d'investissement et la création de 2 000 emplois ; à mi-parcours, nous avons déjà soutenu 20 projets, pour plus de 350 millions d'investissement et 1 500 emplois, dans des bassins d'emploi qui en avaient bien besoin. On peut toujours améliorer le dispositif mais nos objectifs seront probablement dépassés.

Mme Josette Durrieu.  - Je suis solidaire des salariés de PSA.

Les Hautes-Pyrénées ont perdu plus de 10 000 emplois en dix ans. Leur réindustrialisation est un vrai défi. Pour le relever, nous encourageons la recherche : les collectivités ont financé des projets d'investissement dans les pôles de compétitivité. Que faites-vous pour les aider ? Les sociétés gestionnaires font des bénéfices mais n'investissent pas ; les OPA sont une menace réelle.

Le conseil général achève l'équipement intégral du département en haut et très haut débit, pour un coût de 29 millions. Sans un euro de l'État -c'est invraisemblable ! Où sont passés les 750 millions destinés à l'équipement des zones peu denses ? Que faites-vous pour les territoires abandonnés ? Les efforts des collectivités seraient-ils vains ? (Applaudissements à gauche)

M. Éric Besson, ministre.  - Plus de 6 milliards de financement public ont été mobilisés depuis 2005 en faveur des pôles de compétitivité.

Notre pays est dans le peloton de tête pour le très haut débit en Europe. Nous nous réjouissons de l'accord conclu par Orange et SFR, qui se sont engagés à couvrir 60 % de la population dans les dix ans. Dans les zones de carence de l'initiative privée, les collectivités locales agissent ; un premier guichet à hauteur de 900 millions est ouvert depuis juillet 2011 ; j'espère la sélection de trois projets d'ici la fin de l'année et douze en 2012. C'est vrai qu'il a fallu un peu de temps, mais le Gouvernement est tenu par le droit européen. Pour les zones très reculées, la solution est satellitaire ; nous consacrons 40 milliards des investissements d'avenir à améliorer la technologie.

La loi relative à la fracture numérique permet aux collectivités de demander aux opérateurs des informations sur les réseaux déployés. Le décret d'application de janvier 2009 a été annulé par le Conseil d'État mais une nouvelle version, fondée sur la loi du 22 mars 2011, sera publiée prochainement. Je vais bientôt saisir l'Arcep et la commission consultative des communications électroniques.

M. Jean-Jacques Mirassou.  - Les collectivités territoriales investissent sur leur territoire, souvent hors compétence. Pourquoi ne sont-elles jamais informées sur la situation de l'industrie dans nos pays ? Pourquoi, par exemple, les élus de Haute-Garonne et de Midi-Pyrénées ne le sont-ils pas de la situation de l'aéronautique ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Alain Chatillon.  - La mission sénatoriale sur la réindustrialisation a formulé en avril dernier 17 propositions pour redynamiser le tissu industriel et accompagner les PME. Combien en avez-vous examiné ? Combien ont été mises en application ?

M. Éric Besson, ministre.  - Répondre en deux minutes à une question extrêmement large et entendre une réplique portant sur un autre sujet sans pouvoir y répondre est un exercice un peu compliqué, monsieur Mirassou...

Ces 17 propositions sont en cohérence avec la politique du Gouvernement. Certaines sont déjà en application, la sécurité et la confidentialité des données stratégiques -un texte législatif est en cours d'élaboration- ou la création d'identités géographiques protégées. Toutes seront mises en oeuvre ; je vous invite à venir les présenter lors d'une des prochaines séances plénières de la Conférence nationale de l'industrie.

M. Alain Chatillon.  - Notre balance commerciale est déficitaire de 50 milliards, celle de l'Allemagne excédentaire de plus de 200 milliards. Outre qu'il est indispensable d'accompagner nos entreprises, il faut convoquer un Grenelle des banques ; en zone rurale, nous ne trouvons plus de banquier ! Certains d'entre eux mettent de trois à six mois à répondre à une demande de crédit de trésorerie ; autant dire qu'alors, le problème est réglé... (Applaudissements à droite)

M. Philippe Leroy.  - La question de M. Chevènement ne doit pas être jetée aux oubliettes ; l'euro fort handicape notre industrie.

S'agissant de la Lorraine, je ne partage pas l'avis de notre camarade Mme Didier sur l'action du Gouvernement ces dernières années. Merci, monsieur le ministre, pour votre engagement en faveur de la sidérurgie. Nous sommes encore vivants en Moselle grâce à l'action forte du Gouvernement. Je peux en témoigner.

Monsieur le ministre, je vous demande d'agir avec Total comme vous l'avez fait avec ArcelorMittal : on peut craindre des délocalisations massives de la chimie européenne et mosellane si son approvisionnement n'est pas sécurisé. Qu'en est-il des projets d'alimentation des entreprises par gazoduc ?

M. Éric Besson, ministre.  - Je n'ai pas écarté la question de fond posée par M. Chevènement mais suggéré que tous les problèmes de compétitivité ne sont pas imputables au niveau de l'euro. Je ne conteste pas qu'il faille des ajustements -le président de la République s'efforce précisément de changer les règles du jeu du système international des changes.

Merci d'avoir rappelé notre action sur le site de Florange. S'agissant de l'approvisionnement de la chimie, le rapport de M. Loos a conclu à l'intérêt du raccordement au réseau européen ; l'étude de faisabilité financée par les industriels a confirmé un investissement de 156 millions d'euros pour deux canalisations éthylène et propylène. Avant tout financement public, j'ai sollicité les principaux chimistes pour savoir s'ils souhaitaient participer au projet. Il faudra s'assurer que le site de Carling n'est pas menacé.

M. Philippe Leroy.  - Je ne doute pas de votre engagement. Je souhaite que le groupe Total soit pressé par le Gouvernement de participer à ce projet européen de pipeline. Il faut forcer la vapeur, il y va de nos industries plastiques dans toute l'Europe.

La séance est suspendue à 18 h 50.

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présidence de M. Charles Guené,vice-président

La séance reprend à 21 h 30.