Essais nucléaires français en Polynésie (Suite)

Discussion générale (Suite)

M. le président.  - Nous reprenons l'examen de la proposition de loi relative au suivi des conséquences environnementales des essais nucléaires français en Polynésie française.

M. Jean-Claude Lenoir.  - Le sujet est particulièrement symbolique pour nos compatriotes Polynésiens : il touche à leur histoire, à leur patrimoine, à leur culture. Nous comprenons leur émotion. Mais émotion n'est pas raison...

Nous abordons aujourd'hui le volet environnemental. Ce débat n'est donc pas l'occasion de revenir sur la loi Morin de 2010, je le rappelle aux associations de vétérans que je salue en tribune. Le contexte a évolué depuis : il y a eu Fukushima... Le climat est anxiogène dès que l'on parle de nucléaire. Mais il ne faut pas entretenir la suspicion ni tenir de discours culpabilisant envers nos dirigeants passés. Acte doit être donné aux Polynésiens de leur participation à la politique de dissuasion de la France.

En 1964, les Polynésiens ont délibéré en ce sens sans, je le reconnais, disposer de toutes les informations. Mais qui, à l'époque, en possédait davantage ? Impossible dès lors de parler de déni de démocratie. De Gaulle est responsable de quatre essais nucléaires, Pompidou de 23, Giscard d'Estaing de 62, Mitterrand de 88 et Chirac de 6, le dernier ayant eu lieu le 27 janvier 1996. Au reste, la Grande-Bretagne et les États-Unis, qui sont à l'origine du plus grand nombre de tirs, ont également procédé à des tirs en Australie et dans le Pacifique sud. Les tirs français n'ont pas été entourés du secret défense le plus absolu ; je vous renvoie aux visites d'Haroun Tazieff, du docteur Atkinson ou du commandant Cousteau.

Ayant dit ces vérités, le groupe UMP, pour des raisons juridiques, ne votera pas ce texte. Les deux atolls ayant depuis 1981 le statut d'installation nucléaire intéressant la défense, cette proposition de loi ne peut organiser leur transfert de propriété, d'autant que la loi organique de 2004 a précisé que le domaine de la défense relevait de l'État. Seule une loi organique peut lever cet interdit. Si la proposition de loi de M. Tuheiava était adoptée, elle serait immanquablement censurée par le Conseil constitutionnel. Autre raison juridique de refuser ce texte, l'activité n'a pas cessé sur les deux atolls. Or c'est une condition posée par la délibération de 1964. Le suivi des conséquences des essais est assuré par l'armée avec le département de suivi des campagnes d'expérimentation, dont le budget n'est pas négligeable.

Moi qui vous parle, je me suis rendu en septembre 2000 à Mururoa. Vous pouvez le constater : je suis en forme ! (Exclamations sur les bancs du groupe écologiste) J'ai vu des atolls comme il y en a tant dans le Pacifique... J'ai été frappé seulement par la longueur de la piste d'atterrissage, où s'était posé le Concorde de M. Mitterrand après l'affaire du Rainbow Warrior...

M. Roland Courteau, rapporteur.  - Ah ! Vous deviez le rappeler, ne serait-ce qu'au détour d'une phrase !

M. Jean-Claude Lenoir.  - J'ai vu que la nature avait repris ses droits. J'ai vu quelques bâtiments, qui abritent des laboratoires. L'AIEA y intervient, de même que la commission géo-mécanique internationale. Nul ne comprendrait que l'État français n'assure pas ses responsabilités en disant aux Polynésiens : vous voulez ces atolls ; et bien prenez-les !

M. Roland Courteau, rapporteur.  - Nous prévoyons que l'État poursuive sa mission de surveillance !

M. Jean-Claude Lenoir.  - Vous désirez une commission nationale de suivi ? Elle existe ! Le conseil d'orientation...

M. Roland Courteau, rapporteur.  - Il n'est composé que de Polynésiens !

M. Jean-Claude Lenoir.  - ... peut avoir accès à toute l'information qu'il souhaite ; le délégué à la sûreté nucléaire s'est d'ailleurs rendu devant lui à plusieurs reprises.

M. Roland Courteau, rapporteur.  - Ce n'est pas la structure de dialogue que nous envisageons !

M. Jean-Claude Lenoir.  - D'après la commission de géomécanique, Mururoa est l'endroit le plus ausculté au monde... Ce qui ne veut pas dire que tout ne doit pas être fait pour apaiser les inquiétudes.

En l'état actuel du droit, vos demandes sont superfétatoires. Enfin, j'ajoute que rien ne permet d'affirmer que les atolls sont contaminés. Pourquoi le président de la commission de l'économie ne saisirait-il pas l'Opecst, qui a déjà rendu deux rapports remarquables en 1997 et 2002 ? (Applaudissements à droite)

M. Ronan Dantec.  - Le 8 août 1945, quelques heures après la bombe lancée sur Hiroshima, Albert Camus, dans un éditorial célèbre de Combat, écrivait : « la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l'utilisation intelligente des conquêtes scientifiques » -propos qui marque peut-être la naissance de l'écologie politique... Vingt ans plus tard la France, qui voulait sa bombe, a débuté des essais dans le Sahara.

Vous savez la position du groupe écologiste sur le nucléaire ; le débat est aujourd'hui de reconnaître la maltraitance dont la Polynésie française fait l'objet. Je ne détaillerai pas toutes les négligences commises à Mururoa ; comme dans tant d'autres occasions, le secret militaire sert d'abord à couvrir les erreurs et les fautes plutôt qu'à protéger le schéma technique de la bombe. Je dirai à M. Lenoir, que si le commandant Cousteau est allé dans le lagon, Mme Rivasi, présidente de la Criirad, n'a pu y aller...

M. Jean-Claude Lenoir.  - Elle a refusé d'y aller au dernier moment !

M. Ronan Dantec.  - Quinze ans après la fin des essais, il est temps de rétrocéder les atolls et de voter la transparence. La France doit à la Polynésie française cette loi de résilience et de protection. Il faudra d'ailleurs revenir sur celle de 2010 qui a suscité beaucoup de déceptions.

La proposition de loi a enfin une charge symbolique très forte. On ne peut parler de l'avenir des atolls sans évoquer la mort du photographe Fernando Pereira dans l'explosion du Rainbow Warrior, de sinistre mémoire...

M. Jean-Claude Lenoir.  - ...pour la gauche socialiste !

M. Ronan Dantec.  - Il faut faire le choix de la résilience et choisir, comme l'écrivait si bien Camus, entre l'enfer et la raison ! (Applaudissements à gauche)

M. Henri Tandonnet.  - Après la Seconde guerre mondiale, la France, du désert du Sahara aux atolls de Polynésie française, a tout fait pour posséder la bombe atomique.

Le Parlement, en 2010, a accordé toute son attention aux victimes de ces essais : 4 000 personnes, civiles et militaires, ont travaillé sur le site des essais entre 1966 et 1996. Le texte d'aujourd'hui concerne les conséquences environnementales des essais ; le suivi et la prévention des dommages, en raison de son coût et des moyens humains à mobiliser, ne peut relever que de l'État.

Quant à la rétrocession des atolls, on pourrait se demander s'il faut une loi pour respecter un engagement contractuel... Pour autant, comment dissocier la propriété de la surveillance et de la dépollution ? Il faut reporter la rétrocession tant que la stabilité environnementale ne sera pas acquise. Pour reprendre la comparaison de M. Tuheiava, les deux fils ne sont pas prêts à rejoindre la table familiale...

C'est pourquoi le groupe UCR s'abstiendra.

Mme Michelle Demessine.  - Cette proposition de loi répond à une demande légitime des Polynésiens. De fait, la loi de 2010 avait totalement ignoré les conséquences environnementales des essais nucléaires pratiqués durant des années par la France sur ces territoires éloignés.

Le retour des atolls dans le domaine public polynésien est la condition d'une réappropriation culturelle et symbolique de ces territoires par les Polynésiens, estime l'auteur du texte : c'est la condition de la résilience. Quinze ans après la fin des essais, il est grand temps d'appliquer le dispositif prévu en 1964. Notre collègue Tuheiava a raison de défendre les intérêts des Polynésiens, et la commission d'encadrer le retour de ces territoires par ses amendements. Confier à l'IRSN la surveillance est une bonne chose, de même que la création d'une commission de suivi.

Toutes ces dispositions complètent utilement la loi Morin, dons nous avions dénoncé, en son temps, le caractère partiel. Nous invitons le Sénat à voter ce texte, un incontestable progrès pour les Polynésiens. Nous déplorons une indemnisation au rabais ; avec le décret et la réintroduction de la dosimétrie, c'est pire encore ! Cette situation illustre le poids du lobby militaire... Nous devrons, un jour ou l'autre, revenir sur la loi de 2010. Notre groupe a proposé la création d'une mission d'information sur le sujet. (Applaudissements à gauche)

M. Raymond Vall.  - Après la deuxième guerre mondiale, la France a fait le choix stratégique de la dissuasion nucléaire. Cette politique, initiée par Pierre Mendès France, fut poursuivie par toutes les majorités, ce qui n'exonère personne de reconnaître la réalité des conséquences des essais.

Le relatif échec de la loi de 2010 -seuls deux dossiers ont reçu une réponse négative- a fait obstacle à la restauration d'un climat de confiance. D'autant que le suivi radiologique et géomécanique est toujours entouré du plus grand secret. Certes, le Gouvernement a fait appel à des experts internationaux -c'est un signe de bonne volonté- mais les Polynésiens attendent davantage, ce que le groupe du RDSE comprend. Il est ici question de la réappropriation d'une histoire dont ils sont fiers mais dont ils subissent les conséquences douloureuses.

L'article 5 crée à juste titre une commission de suivi ; l'article 3 organise la coopération entre l'État et la collectivité. Quant à l'article premier, il prévoit la rétrocession des atolls à la Polynésie française, ce qui est juste et conforme à l'engagement de 1964.

C'est pourquoi le RDSE voit favorablement ce texte. (Applaudissements à gauche)

M. Philippe Esnol.  - Ce texte est d'une portée historique. Historique parce qu'il nous oblige à regarder en face notre histoire et les conséquences dramatiques de nos choix stratégiques pour des populations qui ne sont pas lointaines mais françaises. Il a une force symbolique évidente. S'il ne saurait résoudre toutes les difficultés, il marque une avancée en ce qu'il traite des conséquences environnementales des essais. Encore faut-il les connaître... Je salue l'engagement exemplaire de Richard Tuheiava.

La loi Morin de 2010 était un premier pas timide mais nécessaire ; il faudra évidemment revoir le régime d'indemnisation, trop restrictif. Il faut désormais évaluer les dégâts, non en les mesurant sur la santé, mais sur l'environnement ; on dit qu'il y a deux tonnes de plutonium dans le lagon et que le risque géomécanique est majeur... Notre devoir est de prévenir, par des dispositifs concrets, ces risques que certains militaires de métropole connaissent mieux que les élus locaux. D'où la création d'une commission de suivi et l'intervention de l'IRSN.

Pour autant, ce texte a aussi un enjeu symbolique majeur : tourner la page ouverte en 1960, avec le retour des deux atolls, entre Français de métropole et Français de Polynésie, entre Français d'aujourd'hui et d'hier. C'est ainsi que Mururoa redeviendra Moruroa, le « grand îlot ». Le maître mot doit être la coopération dans la transparence avec les Polynésiens.

Notre groupe attend des autres formations politiques un geste historique de réconciliation auquel, lui, est prêt ! (Applaudissements à gauche)

M. Gérard Longuet, ministre.  - Merci aux orateurs de leurs interventions. Je reste persuadé que la présence de l'État est la meilleure garantie qu'il assumera sur la durée ses obligations.

Une précision à Mme Demessine : le nombre de dix-huit, c'est celui des demandes qui proviennent de Polynésie française, non des décisions positives. Enfin, je m'engage à transmettre à tous les orateurs le volumineux rapport annuel de la commission de suivi ; chacun se rendra compte qu'il contient toutes les informations nécessaires.

La discussion générale est close.

Discussion des articles

Article premier

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par M. Lenoir.

Supprimer cet article.

M. Jean-Claude Lenoir.  - J'ai dit l'essentiel lors de la discussion générale.

Cet amendement supprime l'article. Le transfert des atolls à la Polynésie française relève de la loi organique. La délibération de l'Assemblée de Polynésie française estime que les expérimentations ont pris fin mais les activités du Centre se poursuivent dans l'intérêt des populations.

L'État français doit assumer ses responsabilités : après les campagnes d'expérimentation hier, la surveillance et l'observation des atolls, pour garantir aux populations que rien ne leur est caché. Tout figure d'ailleurs dans les rapports disponibles sur internet.

M. Roland Courteau, rapporteur.  - Avis défavorable.

Cet article prévoit la rétrocession, les essais ayant cessé depuis seize ans. La surveillance de l'État reste, bien entendu, nécessaire.

Enfin, la loi organique ne dit pas que ces deux atolls sont du domaine militaire : c'est du domaine règlementaire.

M. Gérard Longuet, ministre.  - Avis favorable.

M. Philippe Esnol.  - Nous voterons contre l'amendement.

L'amendement n°1 n'est pas adopté.

L'article premier est adopté.

Article 2

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par M. Lenoir.

Supprimer cet article.

M. Jean-Claude Lenoir.  - Mme Rivasi alors qu'elle était membre de l'Office parlementaire, avait voulu participer au voyage. Elle a renoncé au dernier moment. Je n'autorise pas M. Dantec à dire qu'elle en aurait été empêchée.

Mon amendement est défendu.

M. Roland Courteau, rapporteur.  - Avis défavorable.

M. Gérard Longuet, ministre.  - Cet amendement rétablit une sanction plus lourde pour ceux qui contribueront à la diffusion des armes de destruction massive.

L'amendement n°2 n'est pas adopté.

L'article 2 est adopté.

Article 3

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par M. Lenoir.

Supprimer cet article.

M. Jean-Claude Lenoir.  - Défendu.

L'amendement n°3, repoussé par la commission mais accepté par le Gouvernement, n'est pas adopté.

L'article 3 est adopté.

Article 4

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par M. Lenoir.

Supprimer cet article.

M. Jean-Claude Lenoir.  - Défendu.

L'amendement n°4, repoussé par la commission mais accepté par le Gouvernement, n'est pas adopté.

L'article 4 est adopté.

Article 5

M. le président.  - Amendement n°5, présenté par M. Lenoir.

Supprimer cet article.

M. Jean-Claude Lenoir.  - Défendu.

L'amendement n°5, repoussé par la commission mais accepté par le Gouvernement, n'est pas adopté.

L'article 5 est adopté.

Article 6

M. le président.  - Amendement n°6, présenté par M. Lenoir.

Supprimer cet article.

M. Jean-Claude Lenoir.  - Défendu.

L'amendement n°6, repoussé par la commission mais accepté par le Gouvernement, n'est pas adopté.

L'article 6 est adopté.

Article 7

M. le président.  - Amendement n°7, présenté par M. Lenoir.

Supprimer cet article.

L'amendement n°7, repoussé par la commission mais accepté par le Gouvernement, n'est pas adopté.

L'article 7 est adopté.

La proposition de loi est adoptée.

(Vifs applaudissements à gauche)

Prochaine séance demain, jeudi 19 janvier 2012, à 9 h 30.

La séance est levée à 18 h 40.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques

ORDRE DU JOUR

du jeudi 19 janvier 2012

Séance publique

DE 9 HEURES 30 À 13 HEURES

Proposition de loi tendant à modifier la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés (Procédure accélérée) (n° 264 rect, 2009-2010).

Rapport de Mlle Sophie Joissains, fait au nom de la commission des lois (n° 41, 2011-2012).

Texte de la commission (n° 42, 2011-2012).

DE 15 HEURES À 19 HEURES

Proposition de loi relative à la délinquance d'imprudence et à une modification des dispositions de l'article 223-1 du code pénal instituant le délit de « mise en danger délibérée de la personne d'autrui » (n° 233, 2010-2011).

Rapport de M. François Zocchetto, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (n° 246, 2011-2012).

Proposition de loi modifiant le délai de prescription de l'action publique des agressions sexuelles autres que le viol (n° 61, 2011-2012).

Rapport de M. Yves Détraigne, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (n° 249, 2011-2012).