SÉANCE

du jeudi 9 février 2012

62e séance de la session ordinaire 2011-2012

présidence de M. Jean-Patrick Courtois,vice-président

Secrétaires : Mme Michelle Demessine, M. Hubert Falco.

La séance est ouverte à 9 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Situation de l'industrie automobile française (Débat)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la tenue d'un débat sur la situation de l'industrie automobile en France.

Mme Éliane Assassi.  - Sujet ô combien d'actualité : les enjeux sont cruciaux, tant en termes d'emploi que de stratégie industrielle. Je ne vois pas M. Besson : est-il en train de vendre des emplois low cost à Tanger ? Son absence est une offense aux salariés ; elle signifie que le Gouvernement les a abandonnés, dévoué qu'il est aux grands groupes lancés dans une course effrénée au profit.

Bien des branches dépendent du secteur automobile : c'est l'industrie dans son ensemble qui est sacrifiée par les politiques libérales et des stratégies axées sur la rémunération des actionnaires au détriment de la valorisation du travail : 37 milliards de dividendes versés en 2011 par les groupes du CAC 40 tandis que l'industrie européenne a perdu un tiers de ses effectifs en trente ans. Chez Renault, 4 400 emplois supprimés en France entre 2004 et 2009 et durant la même période, 19 500 emplois de moins chez PSA !

Dans le même temps, on délocalise là où la main-d'oeuvre est bon marché. Un emploi direct de moins, ce sont deux emplois perdus chez les équipementiers et cinq dans la sous-traitance. Gouvernement et grands groupes mettent la crise en avant. Denis Martin annonçait lors de son audition au Sénat que la situation serait difficile en 2012 ; mais PSA a annoncé un chiffre d'affaires en hausse de 9,7 % en 2011 ! Renault et PSA ont bénéficié de 6 milliards de prêt bonifié pour développer, a-t-on dit, des solutions d'avenir, à quoi s'ajoutent les 600 millions de la prime à la casse et les mesures d'encouragement au chômage partiel : autant d'avantages consentis sans contraintes pour les constructeurs, qui s'étaient engagés à ne pas licencier ni à fermer d'usines. La confiance des salariés est entamée. En 2009, le président de PSA affirmait qu'il n'y aurait pas de plans sociaux. Puis est venue la vérité en 2010 avec la fermeture du site de Melun...

Les constructeurs renouaient, la même année, avec leurs profits. Les rémunérations des hauts dirigeants sont passées de 6,5 à 11 millions d'euros entre 2009 et 2010. Renault a touché un résultat de 3,49 milliards. Dramatiser la réalité économique était un subterfuge pour privilégier les marges plutôt que les volumes.

Le parc automobile est vieillissant ; mais les dépenses contraintes des Français ne cessent d'augmenter : comment imaginer qu'ils puissent changer de véhicule ? Il faut produire des véhicules plus propres. Mais les constructeurs se soucient davantage de rentabilité que de stratégie. Voyez le plan d'économies annoncé par PSA, que rien ne justifie ; voyez la menace qui pèse sur Sevelnord sans que le Gouvernement n'ait réagi à la fin du partenariat avec Fiat ; voyez le sacrifice programmé du site d'Aulnay, avec les conséquences dramatiques que l'on imagine pour un département comme la Seine-Saint-Denis, déjà ravagé par le chômage. En novembre, l'entreprise a annoncé que la fin de la C3 était prévue en 2016 : aucun véhicule nouveau n'est prévu.

L'Île-de-France a perdu 124 000 emplois industriels sur 600 000 depuis 2001 ; et l'industrie n'a pas sa place dans le projet gouvernemental du Grand Paris. La spécialisation de certains territoires se met en place au seul bénéfice des grands groupes. On éloigne les salariés les plus modestes, comme avec le report d'activité d'Aulnay à Poissy. La spéculation immobilière fait rage : 306 millions pour le site d'Aulnay en 2010, le triple aujourd'hui. Quand aura lieu la réunion tripartite annoncée ? Les salariés sont inquiets ; nous manifesterons à leur côté le 18 février.

PSA Mulhouse n'est pas mieux loti, qui a perdu 31 % de ses effectifs en dix ans. Il s'agit de concentrer la production à Sochaux : 600 postes supprimés, 600 intérimaires renvoyés. Produire plus avec moins de salariés : méthode inacceptable qui détériore les conditions de travail. La droite accompagne les grands groupes dans cette politique avec ses accords compétitivité-emploi. Chez Peugeot Motocycles, les salariés de trois sites avaient accepté des sacrifices -renoncement aux 35 heures, abandon des RTT, suppression des pauses, réduction d'un quart des effectifs- en échange de la production d'un nouveau scooter... qui sera finalement produit en Chine. Pendant ce temps, le patron de PSA multiplie sa rémunération par quatre : 8 907 euros par jour ! (Applaudissements et exclamations sur les bancs du groupe CRC) Est-ce là le sacrifice que l'on attend des accords compétitivité-emploi ?

Pour nous, c'est l'humain d'abord. De vraies alternatives existent. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Merci au groupe CRC d'avoir pris l'initiative de ce débat. Je suis élu d'une région automobile. Les ventes de voitures neuves en France ont chuté de 22 % en janvier 2012, effet de la récession et des mesures restrictives imposées par Mme Merkel. Le modèle allemand n'est pas transposable : tous les pays ne peuvent être excédentaires en même temps... La campagne absurde lancée par M. Sarkozy en faveur du made in Germany produit ses effets : nos industries en déclin voient s'envoler les résultats de leurs concurrents allemands. Le lancement de nouveaux modèles redynamisera-t-il les ventes ? Je l'espère. Reste que le marché français stagne. La production a diminué d'un tiers en France alors que la production mondiale des constructeurs français augmentait d'un tiers. Comment produire en France ? Tel est le leitmotiv de ceux qui ont pourtant voté toutes les mesures d'ouverture du marché et surenchérissent aujourd'hui dans des mesures de rigueur sans perspective.

En novembre 2011, Sochaux annonçait la suppression de 6 000 postes, dont 5 000 en France -CDD et intérim sont sacrifiés. Il est vital de former les jeunes, de développer l'apprentissage, d'engager une négociation sur les conditions de travail, les rémunérations, les qualifications : c'est un enjeu majeur de compétitivité car la qualité du travail, c'est celle du produit. Les équipementiers, la sous-traitance doivent être préservés pour maintenir une base industrielle et technologique nationale. Il faut aussi des normes communes au niveau européen, une harmonisation de la TVA et des charges sociales. Notre industrie doit pouvoir combattre à armes égales les constructeurs extra-européens -on en est loin. On peut comprendre qu'elle tente de conquérir de nouveaux marchés, mais c'est une tout autre logique qui a conduit à délocaliser en Europe de l'Est pour vendre finalement des véhicules low cost en France.

Pour faire face au renchérissement du prix du pétrole et à la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre, il faut développer la recherche, accélérer la montée en gamme ; mais avec quels moyens, quelles aides publiques ? Quelle stratégie les pouvoirs publics entendent-ils mettre en oeuvre dans les véhicules à énergie alternative sans pour autant verser dans « l'anti-bagnole » ? Y a-t-il des marges de manoeuvre en termes de fiscalité ? L'État doit en tout cas conserver une vue d'ensemble des territoires, sans tout concentrer dans le bassin parisien, et ne pas oublier la Franche-Comté et l'Alsace.

La filière hydrogène mérite tout notre intérêt, même si l'horizon est à dix ou quinze ans. Le centre de recherche technologique de Belfort a besoin d'être soutenu par des contrats de recherche. La France ne doit pas manquer ce grand rendez-vous. Hélas, je crains que le Gouvernement ne soit engagé dans une spirale de renoncement et du déclin. (Applaudissements à gauche)

M. Pierre Hérisson.  - La question de l'industrie comptera beaucoup dans la campagne électorale.

Il ne faut pas avoir honte du patriotisme économique. Les principes idéologiques coupent de la réalité. Notre industrie automobile doit rester compétitive à l'international, sachant que le marché hexagonal et européen est saturé. Notre devoir de parlementaire est de travailler à garder la production en France, quelle que soit la destination des produits. Le moyen ? La compétitivité dans le développement durable. Le secteur n'est pas en panne sèche mais il faut l'alimenter pour les emplois de demain. Certes la concurrence internationale fait rage, mais Renault a décidé de maintenir tous ses effectifs en France. On critique beaucoup la délocalisation à Tanger, mais il faut revenir aux réalités.

Mme Éliane Assassi.  - Lesquelles ?

M. Pierre Hérisson.  - Depuis 2002, une vraie filière industrielle renaît dans notre pays. Renault a rapatrié sa gamme d'utilitaires. En Haute-Savoie, la fusion de SNR et d'une entreprise japonaise a donné naissance à un groupe qui emploie 4 000 CDI en Rhône-Alpes, plus qu'avant la fusion. La diversification devient réalité : l'entreprise, leader dans le roulement ferroviaire, le devient dans l'éolien. Nous devons aider la recherche et le développement dans le domaine des énergies renouvelables. PSA sera le premier constructeur à construire un véhicule hybride diesel ; Renault est le premier motoriste du monde en F1 -mais court sous une marque de boisson...

La concurrence internationale est vive, parfois sans merci ; 42 % du chiffre d'affaires de PSA se réalise hors de France. Est-ce un signe de déclin ? Ou parce que le marché européen est saturé ? Le savoir-faire français est reconnu partout dans le monde : donnons-lui les moyens de la compétitivité et de l'innovation, et cessons de dénigrer sans cesse nos constructeurs. La filière est nécessaire à notre tissu industriel tout entier comme au rayonnement de la France dans le monde. (Applaudissements à droite)

Mme Aline Archimbaud.  - L'industrie automobile, ce sont 2 millions de véhicules produits par an, 440 000 emplois directs et autant dans la distribution et les services. La situation difficile résulte d'une saturation du marché européen. L'exigence d'accroître les exportations dans un contexte de concurrence effrénée a conduit à des délocalisations, à la baisse des effectifs, à la fermeture d'ateliers ou de sites. Vision purement comptable, financière et court-termiste, qui n'aborde le problème que sous l'angle des coûts du travail.

Je veux porter une autre vision, territoriale et humaine. Le site d'Aulnay, en Seine-Saint-Denis, a perdu près de 50 % de ses emplois. Et une menace de fermeture pèse aujourd'hui sur tout le site. Les salariés, pas plus que les fournisseurs ou les sous-traitants, ne sont ni informés, ni associés. Je veux leur dire tout mon soutien. L'entreprise doit assumer sa responsabilité. Sa stratégie doit être discutée avec tous les acteurs : ces choix les concernent directement.

L'automobile voit sa place reculer dans les transports ; la saturation des villes pousse à développer de nouvelles pratiques. Il faut donc penser dès à présent à la reconversion, ce pour quoi plaident les écologistes, pour ne pas reproduire le drame de la sidérurgie des années 1980. Il faut réunir l'ensemble des acteurs pour répertorier les savoir-faire, définir des produits leur correspondant, pour repositionner l'entreprise, adapter les machines, former le personnel -tout cela sans casser l'outil. La filière de recyclage mérite d'être renforcée. Il faut aussi faire évoluer les chaînes de production. L'usine Bosch de Vénissieux, en 2011, s'est ainsi orientée vers le montage de panneaux solaires, ce qui a permis de pérenniser 200 emplois. Quand la volonté est là, une impulsion est possible. (Applaudissements à gauche)

Mme Valérie Létard.  - La filière automobile reste une des grandes filières de notre pays, moteur d'entraînement pour les territoires où elle est implantée. Huit cent mille salariés y travaillent. Cette industrie n'a jamais laissé l'État indifférent : pacte automobile de 2009, prime à la casse, bonus écologique. À quoi s'ajoutent les mesures structurelles, comme le comité stratégique de filière, le fonds de modernisation des équipementiers ou le médiateur.

Les collectivités, quant à elles, sont des facilitateurs sur leurs territoires : mobiliser le foncier, construire des clusters propices à l'innovation. Ainsi à Valenciennes, pour accueillir Toyota, nous avons démarché l'entreprise, mis à disposition le site, aidé à mobiliser les aides, facilité le recrutement de personnels qualifiés, travaillé à améliorer nos équipements scolaires et culturels. C'est en créant de telles dynamiques que l'on attire les industriels.

Mais ne nous voilons pas la face. Des facteurs négatifs demeurent, que la crise rend plus aigus. Ainsi du coût du travail. Voyez le site de Sevelnord, soumis à la forte concurrence des véhicules produits à Vigo, en Espagne. C'est en travaillant collectivement que l'on parviendra à anticiper, trouver de nouveaux partenariats, de nouveaux gisements d'activité. M. Tavares nous disait que l'écart de coût est de 1 300 euros entre une Clio produite en France et en Turquie. Il faut le prendre en compte. Même chose pour les contraintes administratives, qui méritent d'être allégées. On monte une usine en neuf mois en Chine, il faut au moins le double en France. Si nous n'avions pas obtenu des dérogations pour Toyota à Valenciennes, l'entreprise ne serait pas venue. Compte aussi la qualité du climat social. Les acteurs doivent dialoguer pour anticiper. Un code de bonne pratique améliorerait aussi les relations entre donneurs d'ordres et sous-traitants.

Le marché se déplace vers les pays émergents. Nos constructeurs doivent s'y positionner. Pour rendre sa compétitivité à la filière, il faut améliorer la formation, l'adapter aux besoins des industriels, faire grandir nos entreprises intermédiaires, investir dans la recherche et l'innovation, ce qui pose la question de la propriété intellectuelle et de la gestion des brevets entre organismes publics et privés. Nos voisins allemands...

Mme Valérie Létard.  - ...parviennent à faire travailler toute la chaîne. Pourquoi pas nous ?

Évoluer vers les marchés décarbonés est essentiel, de même que compte celui du recyclage et de la déconstruction. Plus que jamais, la stratégie de notre pays doit mettre l'industrie automobile en son coeur.

Mme Éliane Assassi.  - C'est mal parti !

Mme Valérie Létard.  - Il faut travailler tous ensemble, refuser le défaitisme. Retroussons-nous les manches. C'est ce que je fais chez moi, monsieur le ministre ! (Applaudissements à droite ; exclamations à gauche)

M. Dominique Bailly.  - Oui, la filière automobile est à la peine. Les ventes ont chuté de 20 % en janvier, soit le plus bas niveau depuis quatorze ans. Je suis élu du Nord-Pas-de-Calais et puis vous dire que l'inquiétude y est réelle : plus de 10 000 emplois ont été perdus en trois ans. Et certaines annonces récentes ne portent pas à l'optimisme. Le président de PSA annonce 6 000 destructions d'emplois en Europe, un plan d'économies de 800 millions en 2012 et du chômage partiel sur quatre grands sites en février et en mars.

Dans le Douaisis et le Valenciennois, des entreprises sont en grande difficulté. Ainsi de Sevelnord, qui doit faire face au retrait de Fiat. Les salariés goûtent peu le silence du Gouvernement : ils ont le sentiment qu'il est impuissant.

Le lien de dépendance dans la filière est très fort : quand les grands groupes vont mal, les sous-traitants -ceux de capacité ont déjà disparu- subissent la crise de plein fouet. Face à cela, aucune stratégie de l'État.

Les effectifs diminuent petit à petit. Nous avons perdu une capacité de production de 500 000 véhicules par an depuis 2007. Ces chiffres nous rapprochent non de l'Allemagne mais de la Grande-Bretagne, dont le président Sarkozy disait qu'elle avait perdu toute industrie. Pendant ce temps, les marques allemandes progressent sur notre marché intérieur. Nos constructeurs ont tardé à investir sur les nouveaux marchés et la France est maintenant approvisionnée par des véhicules français produits à l'étranger. Renault ouvre une usine à Tanger ! Une relocalisation est urgente ; nous sommes prêts à nous y atteler dans quelques mois. Une stratégie industrielle doit être définie, l'emploi étant la priorité.

La transition énergétique de nos véhicules n'est pas soutenue par le Gouvernement. Certes, la prime à la casse a dopé les ventes, mais sans vision d'avenir. La défiscalisation des heures supplémentaires a abouti à des paradoxes : dans la même usine, certains sont au chômage partiel tandis que d'autres sont contraints de faire des heures supplémentaires !

Votre réservoir d'imagination est à sec. Il est temps d'inciter nos constructeurs à produire en France. Nos ouvriers sont parmi les plus compétents au monde. Le moment est venu de changer de pilote à la tête de l'État et de changer de route. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jean-Claude Carle.  - Vous irez dans le fossé ! (Sourires)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin.  - L'industrie automobile est au coeur de notre développement économique. Pourtant, ces dernières décennies, l'État a été bien modeste. Les politiques libérales sont marquées par l'échec. Le coût du travail trop élevé ? Mensonge : il est moindre qu'en Allemagne !

Selon le Conseil d'analyses économiques, les grandes entreprises françaises ont fait « le choix d'une implantation et d'une production à l'étranger au détriment de la cohérence et de l'efficacité de la base productive française ». PSA, Renault et Renault Trucks figurent ainsi parmi nos dix premiers importateurs ! Entre 2005 et 2010, la production de véhicules en France a diminué d'un tiers tandis que les grandes entreprises françaises s'implantaient en Slovénie, en Roumanie, en Russie, en Corée.

M. Tavares nous a expliqué que les moteurs les plus performants sont montés en France. Certes, mais le plus monté est fabriqué en Russie. La délocalisation de notre industrie, la perte des savoir-faire s'étend aussi à la recherche. Les efforts en ce domaine sont bien plus importants en Allemagne. PSA vient de tailler dans la recherche et développement et tous les sites sont touchés ! Cette pression sur les travailleurs est insupportable. La fuite des cerveaux s'accélère chez PSA, dont le centre de recherche et développement à Shanghai va passer de 450 à 1 000 salariés ! À quoi sert le crédit impôt-recherche voulu par Nicolas Sarkozy ? Quel désaveu ! Quel échec !

Le groupe PSA finance très peu sa recherche, comptant sur l'État et donc les contribuables. La maîtrise de la connaissance est une bataille qui reste à mener. Les salariés doivent reprendre leur destin en main. Il est inadmissible que des groupes aussi excédentaires en temps de crise sacrifient les salariés au nom du profit. Il est temps de remettre l'humain au coeur de l'entreprise.

Vos politiques ne servent pas l'intérêt général. La spéculation doit reculer. Les banques doivent financer l'emploi, la révolution écologique devenir réalité. Les revenus du capital doivent être taxés comme le travail. Prochainement, le groupe CRC défendra une proposition de loi interdisant les licenciements boursiers. Nous voulons une politique d'aménagement industriel du territoire, intégrant recherche et développement, formation et production. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Claude Carle.  - L'automobile est au coeur de l'identité industrielle de notre pays. La crise a été extrêmement forte. Le Gouvernement a su réagir à temps et prendre avec pragmatisme des mesures exceptionnelles. (Exclamations sur les bancs socialistes) La chaîne automobile s'est trouvée asphyxiée tandis que les stocks s'accumulaient et que la production était en chute libre. L'avenir de la filière repose sur l'innovation. Les emplois en dépendent !

La Haute-Savoie connaît bien les problèmes de la sous-traitance : la vallée de l'Arve représente la plus grosse concentration mondiale d'entreprises de décolletage, dont les donneurs d'ordres sont principalement les constructeurs automobiles. Le savoir-faire régional est reconnu. Les PME ont été touchées par la crise mais elles ont su résister. L'État et les collectivités locales ont d'ailleurs consacré d'importants moyens. L'opération « former plutôt que licencier » a permis d'éviter des licenciements.

Au niveau national, le décolletage concerne beaucoup de salariés et d'entreprises. Ce secteur est essentiel pour l'emploi dans notre pays. D'ici 2020, 2 % des véhicules devraient être propres. Il s'agit de véhicules du futur. Notre pays retrouve une place de choix dans la compétition internationale, encore faut-il que nos constructeurs retrouvent une attitude citoyenne. Or, en 2010, une interview de M. Ghosn a sidéré l'ancien salarié de Renault que je suis : Renault ne serait plus un constructeur français ! De tels propos sont inacceptables, d'autant que le coût de la main-d'oeuvre ne représente que 25 % du coût de production. Pendant ce temps, Toyota prouve qu'il est rentable de produire en France. Et Rossignol, dont les capitaux sont australiens et américains, revient à Sallanches.

Certes, le protectionnisme, le repli sur soi, n'est pas la bonne solution. Tout dépend de la productivité, de l'innovation, de la fiscalité, des charges sociales. En France, celles-ci représentent 43 % du salaire brut, contre 29 % en Allemagne ; comment s'étonner alors de la belle réussite de Volkswagen ? Avez-vous l'intention de rappeler à nos constructeurs la volonté du président de la République de maintenir notre outil de production en France ? Il y va de l'avenir de notre filière automobile. Il faut conjuguer capital financier et capital humain, sachant que celui-ci est le bien le plus précieux de toute entreprise. (Applaudissements à droite)

M. Martial Bourquin.  - À la une de la presse, on lit que les constructeurs automobiles poursuivent leur exil. Renault ouvre aujourd'hui à Tanger une usine de 400 000 unités. C'est une tête de pont vers le marché africain, qui servira aussi à réimporter des véhicules en France !

Il y a trois ans, un pacte avait été signé : l'État n'abandonnait pas l'industrie mais l'industrie n'abandonnait pas la France... Souvenez-vous du montant des prêts aux constructeurs. Près de 10 milliards ! Quel bilan ? Depuis 2007, la valeur de la production réalisée sur notre territoire est passée de 13,5 à 9,5 milliards. La crise ? Non : ils n'ont pas moins investi, ils ont investi ailleurs. La part des investissements sur le sol national est passée de 3,8 milliards à 1,5. Ce qui était un des fleurons de notre économie est désormais déficitaire de 3,4 milliards.

M. Tavares a refusé hier de donner la moindre assurance pour l'avenir ; il nous a seulement dit qu'un salaire turc était moindre qu'un français et qu'un ouvrier marocain était payé 250 euros par mois. (Exclamations à gauche)

M. Martial Bourquin.  - Mais quand une nation investit autant en faveur d'une filière, elle est en droit d'attendre une réciprocité en termes d'emplois sur son territoire. Au lieu de quoi, Trèves, qui a reçu 50 millions du FSI annonce 100 suppressions d'emplois à la suite de la rétrogradation que PSA lui impose -pour aller faire construire ses amortisseurs en Espagne, qui ne présente pourtant à peu près aucun avantage concurrentiel. Mais la France perd en l'affaire entre 1 000 et 1 500 emplois directs et indirects. Nous devons tirer les leçons de cet échec : pour chaque euro investi, des contreparties doivent être exigées.

Nous devons adopter une ligne très claire face aux constructeurs, clustériser nos territoires, comme l'a dit Mme Létard, pousser les constructeurs à monter en gamme les véhicules : le haut de gamme se vend bien. Nos deux constructeurs doivent jouer le jeu, sinon nos investissements auront été faits en pure perte. Il faut un État stratège et aussi que les régions prennent les choses en main, comme cela se fait en Allemagne et en Italie. On voit tout ce que fait le Bade-Wurtemberg pour dynamiser ses industries.

Aujourd'hui, M. Besson n'est pas là. J'espère qu'il n'est pas à Tanger ! Nous avons besoin d'un ministère de l'anticipation, pas de la réparation. (Applaudissements à gauche)

Mme Mireille Schurch.  - La sous-traitance est souvent passée sous silence. Or, sachant qu'un emploi chez les constructeurs suscite cinq emplois chez les sous-traitants, ce sont au niveau national, 40 à 50 000 emplois qui sont menacés dans la filière. Les délocalisations se multiplient alors que les carnets de commandes sont pleins. Qu'allez-vous faire, monsieur le ministre ? Le marché mondial est florissant. Les immatriculations ont augmenté en 2011, en France comme en Europe. Pourtant, la sous-traitance n'a pas profité de cette embellie du fait de la pression sur les prix. Les salariés payent le prix de cette politique. La déqualification s'amplifie. M. Estrosi avait dit que les constructeurs devaient aider les sous-traitants, que ce devait être un donnant-donnant. Rien n'y a fait, ils sont au bord du gouffre.

Les problèmes de la sous-traitance ne sont pas que conjoncturels. Le manque de solidarité dans la filière est une réalité : c'est la maltraitance de la sous-traitance, tout cela pour satisfaire les groupes du CAC 40. Les liens entre les donneurs d'ordres et les sous-traitants ne sont jamais remis en cause. Ces derniers ne sont pas des partenaires, mais un réservoir de productivité. Que de comportements illégaux, depuis la pression sur les prix jusqu'à l'incitation à la délocalisation, de la part des constructeurs. Ne prévaut plus le principe de bonne foi qu'énonce l'article 1134 du code civil, mais celui du simple rapport de force. Pourtant, la plupart des réussites industrielles s'expliquent par le dynamisme des sous-traitants.

Toute l'Auvergne est irriguée par l'industrie automobile : Dunlop, Michelin, Bosch... Les pouvoirs publics doivent instaurer un vrai statut de la sous-traitance afin de rééquilibrer les relations avec les constructeurs. Le code de bonne conduite de 2009 se révèle insuffisant. Il ne suffit pas de vouloir fonder une « véritable relation client-fournisseur partenariale » pour que celle-ci voie le jour. Les engagements pris sont intéressants mais, sur le terrain, les sous-traitants attendent un partage de la valeur, des risques et des investissements, que prône ce code. Il faut lutter de manière contraignante contre les abus de puissance économique, le détournement des droits de propriété intellectuelle, le non-paiement des sous-traitants.

Le médiateur de la sous-traitance rappelle que les grands groupes disposent de conseils juridiques, alors que tel n'est pas le cas des sous-traitants, d'où des relations asymétriques. La loi doit donc régler les rapports entre les deux : la logique du partenariat doit s'imposer. (Applaudissements à gauche)

M. Claude Dilain.  - L'activité de l'industrie automobile se ralentit, des emplois sont détruits. Je suis inquiet de l'avenir de l'usine PSA d'Aulnay-sous-Bois. Depuis 2004, son activité se réduit, les effectifs ont été divisés par deux. Elle ne construit plus qu'un seul modèle, la C3. Certes, les dirigeants ont donné des assurances jusqu'en 2014. Mais face à des ateliers vides et au chômage partiel qui s'annonce, comment être rassuré ?

Une fermeture d'usine est une blessure grave pour le territoire. Ainsi en a-t-il été à Sevran, qui fait désormais parler d'elle dans le registre de la pauvreté, de la délinquance, de la violence : c'était une ville riche jusqu'à la fermeture de Westinghouse et de Kodak. Je crains une évolution identique à Aulnay. Un excellent plan social ne peut rien pour le territoire. Si la fermeture est envisagée, il serait scandaleux que les dirigeants tergiversent et mettent l'État et la collectivité devant le fait accompli. Les choses doivent être dites au plus tôt afin que l'on puisse intégrer cette mauvaise nouvelle dans le plan d'aménagement en cours d'élaboration dans le cadre du Grand Paris.

Je souhaite longue vie à l'usine d'Aulnay. Si tel n'est pas le cas, il faut avoir le courage de le dire dès maintenant. (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes)

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé du commerce extérieur.  - J'ai été frappé par la qualité de ce débat. Les trois orateurs du groupe CRC ont été des oratrices, dont les exposés ont été remarquables. Je suis fils d'ouvrier de chez Renault, du temps où l'on peignait au pistolet. Je suis donc sensible à ces raisons. En tant que ministre du commerce extérieur, je suis aussi préoccupé de l'industrie automobile. Ce matin, je suis pourtant en substitut de M. Besson, qui n'est évidement pas à Tanger.

M. Daniel Raoul.  - Encore heureux !

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État.  - Il est à Fessenheim avec Nicolas Sarkozy. Organiser ce débat précisément le jour de l'ouverture de l'usine de Tanger, c'est bien vu !

Nous pouvons être légitimement fiers de notre industrie automobile, c'est un fleuron de notre industrie. Gare toutefois à l'idéologie anti-bagnole. Le discours de Mme Archimbaud était un peu schizophrène là-dessus. Cette idéologie peut inciter les constructeurs à délocaliser vers des pays où l'on n'est pas anti-voiture.

Parmi les dix premiers constructeurs mondiaux, l'un est allemand et deux sont français. Nous comptons aussi des entreprises de premier plan dans la sous-traitance, les chiffres en témoignent. Nous avons produit 2,2 millions de véhicules en 2011, soit 10 % de plus que l'année précédente, et l'ensemble des professions représentent 420 000 salariés. L'automobile reste un sujet de préoccupation pour notre balance commerciale. Pendant que les Allemands réalisent plus de 100 milliards de leurs excédents sur l'automobile,

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Très bien !

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État.  - La France accuse un déficit de plus de 5 milliards ! Ceci résulte de tendances lourdes depuis trente ans. Pendant que l'Allemagne se concentrait sur le haut de gamme, la France faisait les 35 heures et poussait les constructeurs vers les stratégies d'équipement à bas coût.

M. Daniel Raoul.  - Le disque des 35 heures est rayé.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État.  - C'est pourtant la réalité, reconnaissez-le ; on doit pouvoir réfléchir sans idéologie sur notre politique industrielle.

M. Daniel Raoul.  - D'accord.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État.  - En 2001, l'automobile rapportait 12 milliards d'excédents. En 2004, la tendance s'inverse à cause des 35 heures et le premier déficit apparaît en 2007. Ces cinq dernières années, le Gouvernement n'a pas ménagé ses efforts et nous avons obtenu des résultats tangibles. Au plus fort de la crise en 2008, le président de la République est venu en aide au secteur. Le pacte pour l'automobile, c'était 6,25 milliards de prêts aux constructeurs, aujourd'hui intégralement remboursés, avec 700 millions d'intérêts pour l'État. Dans le même temps, nous avons veillé à renforcer la cohésion de cette filière et mis en place un fonds pour la sous-traitance. Un code de bonne conduite a été réalisé. J'ai approuvé ce qu'a dit Mme Schurch sur le traitement réservé aux sous-traitants. Les donneurs d'ordres doivent les respecter, comme c'est le cas chez nos voisins.

Pendant la crise, la production a moins souffert en France qu'à l'étranger. En 2010 et 2011, la production française a continué à augmenter. Nous avons aussi préparé l'avenir. Grâce à la prime à la casse et au bonus, nous encourageons la recherche. Les émissions de CO2 ont diminué de 14 % en quatre ans. Avec les investissements d'avenir, le Gouvernement apporte son soutien aux véhicules décarbonés. Des projets de recherche et développement sont financés dans divers domaines. Huit appels à projets ont été lancés. Notre politique porte ses fruits : les premières offres de services partagés sont en place dans plusieurs villes. Un travail sérieux est fait pour préparer la transition vers le véhicule électrique.

Préparer l'avenir, c'est aussi travailler à affecter en France la production des véhicules du futur. Mondialisation et localisation en France ne sont pas incompatibles, PSA l'a prouvé, qui réalise en France 700 millions d'investissements industriels. De même, Renault a investi 6 milliards entre 2004 et 2011 en France, où Il assemble 100 % des utilitaires vendus en France. Il va investir 400 millions à Douai pour le haut de gamme, 230 millions à Sandouville, sans négliger Flins où sera réalisé le futur véhicule électrique. Des constructeurs étrangers viennent en France : Toyota investit 125 millions à Valenciennes, où je me rends demain.

J'en viens au pacte automobile de génération. Il faut assurer la montée en charge de la technologie française, question clé de l'avenir, développer les savoir-faire par l'alternance, aider les PME à se développer en diversifiant leurs débouchés. Le Fonds de modernisation des équipementiers automobiles (FMEA) doit, en cela, jouer un rôle, comme Unifrance.

La France n'écoule que 5 % de ses exportations vers les grandes puissances émergentes que sont les Brics, contre 12 % pour l'Allemagne. Si notre part de marché dans ces pays passait de 1 à 2 %, notre déficit commercial serait éliminé d'un coup.

Nous ne nous contentons pas d'accompagner ces mutations. Nous voulons favoriser une filière plus patriotique. D'autant que les marchés européens où nos constructeurs sont implantés sont ceux qui souffrent le plus. Nous veillons à ce que les engagements du président de la République soient tenus : pas de licenciement, ni de fermeture de site. Aulnay, largement évoqué, ne sera pas fermé, le président de PSA s'y est engagé.

Le Gouvernement est mobilisé, vous le voyez. Je vous remercie de la qualité de ce débat. (Applaudissements à droite)

Avis sur une nomination

M. le président.  - En application de la loi organique du 23 juillet 2010 et de la loi du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, et en application de l'article L. 4312-2 du code des transports, la commission de l'économie a, par onze voix pour, une voix contre et sept abstentions, émis un vote favorable à la nomination de M. Alain Gest à la présidence du conseil d'administration de Voies navigables de France.

La séance est suspendue à 11 h 40.

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présidence de M. Jean-Pierre Bel

La séance reprend à 15 heures.