Sécurité et lutte contre le terrorisme (Conclusions de la CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme.

Discussion générale

M. Jacques Mézard, rapporteur pour le Sénat de la CMP .  - La discussion de ce texte arrive à son terme : la CMP est parvenue à un accord, car, malgré la procédure accélérée et la contrainte du temps, s'est dégagé un large consensus, facilité, monsieur le ministre, par la confiance que nous avons en votre action personnelle, empreinte d'idéal républicain : nous ne doutons pas que vous userez de fermeté dans le respect de nos libertés fondamentales. Je veux aussi saluer l'implication des membres de la majorité, comme M. Anziani, mais aussi de l'opposition, à commencer par M. Hyest et M. Mercier.

La lutte contre le terrorisme est permanente : les récents événements en Corse en témoignent. À ce propos, un élu corse a toujours réagi contre le terrorisme et défendu les idéaux républicains contre les errements nationalistes. Hélas, les différents gouvernements ont trop peu écouté M. Nicolas Alfonsi.

L'accord intervenu le 6 décembre en CMP aurait été facilité si l'on avait évité une excessive précipitation et l'adjonction in extremis de nouveaux articles à l'Assemblée nationale, inspirés par des faits divers tragiques. La dispersion des groupes de la majorité de l'Assemblée nationale aurait pu être dommageable -heureusement, les radicaux étaient là pour ramener l'harmonie.

M. Jean-Pierre Plancade.  - Très bien !

M. Jacques Mézard, rapporteur.  - Le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale aurait pu éviter de rappeler que les députés auraient de toute façon le dernier mot...

Sans doute répondrait-il à des injonctions externes...

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - C'est difficilement acceptable !

M. Jacques Mézard, rapporteur.  - L'Assemblée nationale a adopté deux articles dans la rédaction du Sénat, en a supprimé deux, modifié cinq ; elle a ajouté six nouveaux articles. A l'article premier, elle a, dans les mêmes termes que nous, accepté de proroger des dispositions de la loi du 23 janvier 2006, notamment celles touchant les interceptions de sécurité.

À l'article 2, qui élargit la compétence des juridictions françaises pour les infractions terroristes commises à l'étranger par des Français, les députés ont préféré viser, au lieu des « personnes titulaires d'un titre de séjour », celles « résidant habituellement sur le territoire français », pour inclure les citoyens européens. Malgré mes réserves à l'égard de cette formulation insuffisamment précise, nous avons accepté cette rédaction.

Les députés avaient ajouté un article 2 bis A, à l'initiative de M. Ciotti, pour viser explicitement le chantage parmi les actes terroristes : nous l'avons supprimé, car il y avait là une redondance, le chantage étant déjà explicitement inclus dans l'incrimination d'extorsion.

L'article 2 bis, introduit au Sénat à l'initiative de MM. Mercier et Hyest, a été maintenu, après débat : selon notre point de vue, incriminer l'acte de recrutement n'affaiblit en rien l'incrimination d'association de malfaiteurs en vue de commettre un acte de terrorisme. Il fallait au contraire combler une lacune, lorsque les actes de recrutement ne sont pas suivis d'effet.

L'article 2 ter, issu d'un amendement de M. Hyest, sous-amendé par la commission, est utile : il autorise le placement en détention provisoire et allonge la prescription, pour les actes d'incitation au terrorisme.

L'article 2 quater A complète l'indemnisation des victimes du terrorisme par le fonds de garantie : il était attendu par les associations.

Bercy a frappé, avec les articles 2 quater, quinquies et sexies, concernant le gel des avoirs financiers en lien avec le terrorisme. Ces dispositions n'avaient pas été annoncées au Sénat, nous le déplorons. Ces articles étendent le champ du gel des avoirs au motif d'incitation, autorisent la publication de la décision par extraits seulement pour protéger l'auteur de la décision, et ajoutent de nouvelles exceptions au secret bancaire pour faciliter la préparation de l'opération de gel. La CMP a cherché en vain un terme meilleur que « incitation ». Nous nous sommes ralliés à ces dispositions efficaces...

L'article 3, relatif à la procédure devant la commission d'expulsion, avait donné lieu à discussions. Nous avions restreint au seul cas des étrangers ayant eu des activités terroristes l'imposition de délais impératifs pour la commission. Le Sénat s'était prononcé contre l'avis de son rapporteur.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission.  - C'est vrai !

M. Jacques Mézard, rapporteur.  - Nous avions retenu le principe d'un délai d'un mois, et d'un mois supplémentaire en cas de motif légitime. L'Assemblée nationale était d'accord pour le renvoi pour motif légitime, mais elle était revenue sur la limitation aux seuls actes terroristes. Elle prévoyait un décret en Conseil d'État. Finalement, la CMP a limité le dispositif aux personnes menaçant gravement l'ordre public, tout en réintroduisant le délai d'un mois renouvelable.

L'article 5, qui autorisait la ratification de l'ordonnance du 12 mars 2012 demeure supprimé. C'était le voeu du Sénat, hostile à cette ratification hâtive de codification... En revanche, l'article 6 habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour inclure dans le code de la sécurité intérieure et le code de la défense les mesures de la loi de mars 2012 n'a pas donné lieu à difficulté.

Enfin, les députés ont introduit un article 6 bis créant deux mentions : « Mort pour le service de la Nation » et « Victime du terrorisme », et précisant les conditions de l'indemnisation des victimes et de leurs ayants droit. Le Sénat ne souhaitait pas une trop large application des dispositions, pour éviter tout risque d'instrumentalisations fâcheuses. Nous nous sommes mis d'accord pour renvoyer la décision d'inscrire la mention « Victime du terrorisme » sur l'acte de décès à la décision discrétionnaire du ministre de la justice.

Ce texte adapte notre arsenal législatif à la menace mouvante qu'est le terrorisme et les conclusions de la CMP ont été adoptées dans un large consensus qui doit beaucoup, je le répète, à la façon dont le ministre mène son action. (Applaudissements)

M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur .  - Sans doute, le parcours parlementaires de ce texte fut-il trop bref, mais il fut utile et c'est là l'essentiel pour nos concitoyens. L'intérêt général qui nous anime tous devait primer, a fortiori après les événements de vendredi dernier en Corse et les tentatives dévoilées ce matin. Une lutte résolue est nécessaire contre cette violence qui, sous couvert de motifs politiques, relève en réalité de l'affairisme et de l'extorsion de fonds. Nous avons besoin de l'implication de tous les élus, et vous avez eu raison de citer M. Alfonsi, pour éradiquer ce mal qui ronge la Corse depuis trop longtemps. Certains, dans l'opposition -un seul, à vrai dire- critiquent nos méthodes et donnent des leçons. Mais nous devons reconnaître ensemble un échec qui dure depuis longtemps. Menons ensemble ce combat : je sais pouvoir compter sur le Sénat.

La menace terroriste la plus sérieuse vient des mouvances de l'islamisme radical : celui-ci se caractérise par l'autonomie des cellules de base, la multiplication des théâtres d'action géopolitiques du djihad -sur le territoire national et dans les bases d'entraînement et zones de combat à l'étranger- et la radicalisation rapide de certains jeunes, nés en France, en mal de repères. Les djihadistes utilisent, nous le savons, le cyberespace, pour le prosélytisme comme pour l'organisation. Nous avons besoin d'une législation performante. Tirons les leçons des drames de Toulouse et de Montauban, c'est ma ligne depuis mon arrivée au ministère de l'intérieur.

Le texte de la CMP est équilibré et opérationnel, conforme aux intentions initiales du Gouvernement : il répond aux besoins des services opérationnels et à l'exigence constitutionnelle de garantie des libertés. Il s'inscrit dans la lignée des travaux de M. Mercier -qu'il soit remercié de son implication. Le texte a été enrichi, je m'en félicite.

Un regret, néanmoins : nous envisagions une codification à droit constant, qui me paraît de nature à sécuriser le cadre juridique existant, mais vous avez préféré supprimer l'article 5. Cela dit, ce regret est vite balayé devant la qualité de vos apports. J'en remercie tout particulièrement votre rapporteur.

Le gel des avoirs criminels sera temporaire -l'autorité administrative ne pouvant je le rappelle opérer de confiscation. Il est d'une grande utilité pour sanctionner ceux, prêcheurs ultra-radicaux en particulier, qui incitent au terrorisme. Contre de tels agissements, il faut pouvoir réagir rapidement.

Vous renforcez également le droit des victimes avec la mention « Mort pour le service de la Nation », qui sera applicable aux victimes des attentats de Karachi, aux victimes de Mohamed Merah ou encore au gendarme tué dans la lutte contre l'orpaillage clandestin en Guyane ; la mention « Victime du terrorisme » concernera les victimes assassinées par Merah pour le simple fait qu'ils étaient juifs. La mention sur l'acte de décès sera apposée par décision du ministre avec l'accord des ayants droit et les enfants auront vocation à devenir pupilles de la nation.

Merci pour votre soutien, au-delà de nos sensibilités politiques : vous avez donné à la France les moyens de défendre ce qu'elle est, sa démocratie et ses valeurs. Cela dit, d'autres défis nous attendent : articuler la loi de 1991 et la loi de 2006 et mieux combattre le cyber-terrorisme.

La mobilisation contre le terrorisme implique l'engagement de tous et vous pouvez compter sur ma détermination sans faille. (Applaudissements)

M. Michel Mercier .  - Nous sommes ici pour donner à la France les moyens de combattre plus efficacement le terrorisme. Ce texte est intéressant sur le fond, mais aussi sur la forme. Nous avons fait la preuve de notre capacité de rassemblement pour lutter contre les violences en Corse, contre le terrorisme islamique.

Ne jamais baisser la garde, voilà notre mot d'ordre. Merci au rapporteur d'avoir su créer les conditions de l'accord en CMP -et d'avoir soutenu l'article 2 que M. Hyest et moi-même souhaitions introduire.

Notre législation antiterrorisme est de grande qualité mais doit sans cesse s'adapter à la menace, car les terroristes progressent parfois plus vite que nous. Je pense aux nouvelles technologies en particulier.

Je salue la manière dont les services de renseignements, en lien avec l'administration pénitentiaire, décèlent, très tôt, la radicalisation.

Nous soutenons les grandes mesures de ce texte, à commencer par le gel des avoirs -les criminels supportent les peines de prison mieux que la saisie de leurs biens ! M. le ministre a bien voulu rappeler le lien entre ce projet de loi et celui que j'avais eu l'honneur de défendre : cette continuité est nécessaire.

Monsieur le ministre, vous méritez un grand coup de chapeau pour avoir su convaincre vos alliés qui, il y a quatre mois, disaient ce texte inutile...

Curieuse CMP : on se serait cru au conclave, où le patriarche de Venise, seul détenteur des instructions secrètes de l'empereur, donnait ordre pour que tel cardinal ne soit pas élu souverain pontife ! Le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale nous a en effet dit être porteur d'ordres. Nous aurions aimé, monsieur le ministre, être également informés de vos ordres, pour avoir l'illusion de participer à la décision ! Reste que le groupe UDI-UC soutient ce texte (Applaudissements)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Excellente référence au conclave ! Mais nous ne voulons pas recevoir d'ordres ! (Sourires)

Mme Esther Benbassa .  - Le texte initial déposé par le Gouvernement n'était pas sans poser problème : procédure accélérée d'abord, mesures attentatoires aux libertés ensuite et surtout. L'impératif de la lutte contre le terrorisme aveugle, dont nous avons eu de récentes illustrations à Toulouse, Montauban ou Sarcelles, est impérieux. Ce combat contre l'obscurantisme, les Verts y souscrivent...

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Heureusement !

Mme Esther Benbassa.  - ... Et j'ai personnellement la haine de ces fossoyeurs de notre civilisation. Mais cela ne justifie pas tout, au pays des droits de l'homme et de la femme. Il est urgent de combattre un terrorisme désormais endogène. Il est tout aussi urgent de s'attaquer aux causes profondes, à notre ascenseur social grippé, à l'abandon des quartiers. Sans cela, notre lutte restera inefficace. Pour ces raisons, notre groupe s'était abstenu lors du vote en première lecture.

Nos objections demeurent. Nous sommes contre l'assouplissement de la procédure devant la commission d'expulsion. Tous les étrangers, et non les seuls soupçonnés de lien avec le terrorisme, comme le voulait le Sénat, seront concernés. Cela n'a rien d'anodin. Nous regrettons ce choix de la CMP.

Nous regrettons aussi la détention provisoire en matière d'incitation au terrorisme. Il s'agit du droit de la presse, de la liberté d'expression !

Les deux mesures portent atteinte aux libertés. Nous protégeront-elles des Merah de demain ? Je n'en suis pas convaincue. Nous nous abstiendrons à nouveau.

M. Christophe-André Frassa .  - Par solidarité, notre droit français associe les actes de terrorismes aux actes de guerre, afin que les enfants des victimes bénéficient du statut de pupille de la nation. Je regrette que le texte de M. Leconte sur le sujet ne soit toujours pas venu en discussion. Pour autant, le terrorisme n'est pas la guerre : celle-ci répond aux règles de l'honneur, celui-là est un acte de lâcheté. Ses motivations sont moins politiques qu'idéologiques, il repose sur la violence contre les civils, son objectif est l'emprise psychologique sur des peuples épris de liberté. La tragédie d'Oslo, les évènements en Corse, les manifestations en Irak devant l'ambassade américaine, nous rappellent l'urgence de la lutte contre le terrorisme et la nécessité d'adaptations constantes de nos outils. La réponse doit être adaptée et ferme. Merci aux services de renseignements, pour leur engagement sans faille et pour leur efficacité. Donnons-nous les moyens d'agir face à cette menace internationale, de repousser ces étrangers qui souhaiteraient venir sur notre territoire dans le seul but d'y commettre des attentats, de lutter contre les actes insidieux, le recrutement, l'incitation au djihad, qui accélèrent la radicalisation et enracinent la haine dans nos pays. Les travaux de M. Mercier portent leurs fruits et nous approuverons sans retenue le texte.

Le projet de loi préserve les libertés publiques, dont certains s'inquiétaient ; c'est d'ailleurs le devoir du législateur. Ce texte équilibré est utile : quand la France combat le terrorisme, elle est l'amie de l'humanité tout entière ! (Applaudissements)

M. Alain Anziani .  - Faire face à la menace terrorisme, ne jamais la minimiser, s'adapter à ses nouvelles formes, tel est l'enjeu de ce texte. Le terrorisme ne vient plus seulement d'Afghanistan : comment et pourquoi un Mohamed Merah, suivi depuis juin 2011, et connu pour sa radicalité dangereuse, n'a-t-il pas fait l'objet d'une surveillance prioritaire continue ? La question de la prévention du terrorisme était posée. Le rapport demandé fort justement par le ministre à l'inspection générale de la police a souligné des défaillances objectives, des omissions, des cloisonnements entre services préjudiciables à l'efficacité.

Ce travail sera suivi par la mission d'information menée par le président la commission des lois de l'Assemblée nationale, M. Urvoas, et la commission d'enquête sur l'affaire Merah voulue par les verts.

En CMP, nous nous sommes rassemblés pour conforter la notion d'association de malfaiteurs, véritable pivot dans notre droit, et reconnue par le droit européen.

Pour mieux lutter contre la menace, il faut mesurer l'ampleur du cyber-terrorisme. Hier, j'ai consulté le site « global djihad ». J'ai été effaré. En page d'accueil, on y trouve un véritable mode d'emploi. Il proclame ainsi que les kamikazes et internet sont les deux grands moyens d'action du djihad mondial.

Tout est dit ! D'où l'adaptation du droit de la presse. Bien entendu, prévenir ne suffit pas, il faut réprimer. L'article 2 étend l'incrimination d'association de malfaiteurs aux ressortissants européens et illégaux résidant habituellement en France, qui participent à des actes de terrorisme à l'étranger.

Nous sommes dans notre rôle quand nous veillons au respect des libertés publiques. À l'article 3, nous avons introduit un renvoi pour motif légitime et avons veillé à éviter toute confusion entre l'étranger et le terroriste, trop souvent instrumentalisée ces dernières années.

La lecture précise du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) nous a rassurés : « intérêts fondamentaux de l'État » « menace grave à la sûreté de l'État », le champ est bien circonscrit. En outre, l'avis de la commission de trois magistrats est le plus souvent suivi.

Notre assemblée a refusé de ratifier l'ordonnance relative à la partie législative du code de la sécurité intérieure. C'est une question de principe pour nous. L'Assemblée nationale l'avait accepté au nom du pragmatisme. Nous ne pouvons ratifier d'un coup 552 articles, d'autant que le droit constant est parfois mouvant : M. Hyest a rappelé le précédent de l'outre-mer...

L'article 6 bis correspond à un engagement du président de la République. Nous sommes conscients de la détresse des familles des victimes de Merah et de l'attentat de Karachi. Ces victimes ne sont pas considérées comme les victimes d'une guerre qui, pour être secrète, n'en est pas moins réelle. D'où la création des mentions « Mort pour le service de la Nation » et « Victime du terrorisme » -cette dernière étant soumise à la décision du garde des sceaux. Nous réparons ainsi une injustice et affirmons l'unité de la Nation face au terrorisme.

Je salue à mon tour l'engagement du ministre de l'intérieur, auquel nous devons ce large accord. (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur ceux du RDSE)

Mme Éliane Assassi .  - Nos discussions sur le terrorisme ont toujours été l'occasion de condamner ces atteintes à la République que sont les actes à caractère terroriste. Les actes de cette nature qui ont lieu en Corse sont intolérables. Les Corses sont très inquiets, à raison. Il faut agir, en écoutant les élus locaux. Je citerai tout particulièrement Dominique Bucchini, le président de l'Assemblée de Corse, qui ne ménage pas ses efforts ni ne mâche ses mots. Il faut combattre le mal à la racine dans l'île. Cette union sacrée ne doit pas faire oublier le dilemme démocratique, notre quête de sécurité et sa conciliation avec le respect des libertés et des droits fondamentaux.

Ce respect n'est pas un luxe pour époque de prospérité. La démocratie n'est pas un fait acquis, elle demande un travail constant pour la faire vivre ; c'est un ensemble de libertés et de droits qu'on ne peut démanteler au prétexte de moments difficiles. À cette aune, les articles premier, 2 et 3 de ce projet de loi ne peuvent nous satisfaire. L'article premier proroge jusqu'au 31 décembre 2015 les articles 3,6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006 adoptés à titre expérimental. L'ensemble de la gauche avait combattu l'article 3, pour la raison qu'il pratiquait un amalgame inadmissible entre terrorisme et immigration. L'article 2, qui étend l'application de la loi française aux actes commis à l'étranger, est redondant ; l'incrimination d'association de malfaiteurs est déjà suffisamment large. Faut-il rappeler que des détenus français de Guantanamo ont été condamnés après leur libération par les autorités étasuniennes à leur retour en France ?

L'article 3... Depuis la loi Pasqua de 1993, les avis de la commission d'expulsion ne sont que consultatifs. Introduire la notion de rejet implicite, c'est enterrer doucement mais sûrement la commission départementale, pourtant garante des droits de la défense -d'autant que l'Assemblée nationale, en élargissant le champ de l'article, entretient la confusion entre les dispositions relatives au terrorisme et celles traitant de l'immigration.

Vingt-six ans de lois anti-terroristes ont-ils réduits le phénomène ? Ce n'est pas en multipliant les lois au gré d'une actualité horrible que l'on réussira. Il faut prendre le temps de l'analyse plutôt que d'en venir à considérer tous les citoyens comme des terroristes potentiels ! Pourquoi proroger des mesures qui ont fait la preuve de leur inefficacité ? D'autant que le gouvernement précédent n'a pas remis les rapports d'évaluation prévus par la loi de 2006. Je me félicite de la création d'une commission d'enquête sur le sujet à l'Assemblée nationale.

Je regrette une nouvelle fois que ce texte proroge des dispositions adoptées par l'ancienne majorité que l'opposition d'alors avait dénoncées. Mieux valait prendre le temps d'en mesurer les effets. (Mme Esther Benbassa applaudit)

M. Jean-Pierre Plancade .  - Le groupe RDSE votera ce texte, et salue l'esprit de concorde qui a présidé à son élaboration ; l'enjeu engage la nation tout entière et transcende les clivages partisans. Tous ceux qui sont attachés aux valeurs de la République doivent se rassembler. Monsieur le ministre, vous pourrez toujours compter sur notre groupe sur ce sujet. Je me réjouis que nous ayons su rallier les députés sur plusieurs points importants. Les solutions retenues par la CMP sont raisonnables.

Le Sénat -procédure accélérée oblige- n'a pu examiner certaines dispositions. Je salue celles qui portent sur le gel des avoirs. : frappons les terroristes au portefeuille.

L'article 6 bis, qui crée les mentions « Mort pour le service de la Nation » et « Victime du terrorisme » comblent un vide symbolique. J'ai reçu dans ma ville la mère de l'un des militaires victimes de Mohamed Merah : elle qui mène courageusement un travail de sensibilisation dans les cités y est très sensible. Tout acte de terrorisme est un crime contre la société et la République. Le texte de la CMP est équilibré et laisse aux ministres compétents un pouvoir d'appréciation.

Les moyens mis à disposition de nos services de renseignement, de police et de justice devraient être confortées. Je dis « devraient » car dans ma ville, un leader du FPLP a organisé une réunion dans l'université du Mirail. Son intervention est annoncée par une affiche représentant une femme voilée, une arme automatique à la main. Cet homme, on s'en doute, ne prêche pas l'amour du prochain ! Il était hier à Toulouse, il sera demain à Montpellier, et, aujourd'hui, à Paris. Je ne comprends pas qu'on ne puisse même pas vérifier son identité. La photo de la réunion parue dans un quotidien local et floutée : pourquoi se cache-t-on ? On croirait une conférence de presse du FLNC canal historique !

Nous apprécions le travail de M. Valls, et le RDSE votera ce texte. (Applaudissements)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Face au terrorisme, nous devons être unis pour défendre la République et la démocratie. Elles sont attachées aux libertés, c'est leur honneur d'y tenir en toutes circonstances. Renoncer à nos principes serait donner la victoire au terrorisme. Nous sommes à vos côtés, monsieur le ministre, pour mener cette lutte avec détermination.

Nous avons approuvé l'introduction des mentions « Mort pour le service de la Nation » et « Victime du terrorisme », même s'il eût été préférable que le Sénat examinât lui aussi ces dispositions... Nous avons amélioré le texte en indiquant que l'initiative devait revenir au ministre compétent.

N'en déplaise à M. Mercier, l'actuelle majorité n'a pas été « rapidement convertie ». Les textes d'hier et d'avant-hier faisaient constamment l'amalgame entre terrorisme et immigration, amalgame que nous avons constamment dénoncé : Robert Badinter était le premier à le faire. Le Sénat s'est honoré à voter un texte qui ne portait que sur la question du terrorisme. (Mme Éliane Assassi proteste)

Sur l'article 3, nous avons eu un long débat en CMP : si nous sommes arrivés à un accord, c'est que la rédaction ne vise que les étrangers qui représentent une menace grave pour l'ordre public et dont l'expulsion est une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'État ou la sécurité publique. Je sais que le ministre de l'intérieur y sera vigilant. Il ne s'agit en aucun cas de banaliser un dispositif qui s'appliquerait à tous les étrangers installés en France.

Je remercie tous ceux qui ont participé à ce débat, à commencer par M. Mézard. La CMP doit débattre en toute indépendance, l'indépendance du Parlement qui nous est chère. Vieux parlementaires, nous savons bien que les gouvernements ont tout intérêt à prendre en compte les apports du Parlement. En l'espèce, nous avons amélioré le texte. Union contre le terrorisme, attachement à nos libertés, refus de tout amalgame : voila ce qui nous guide aujourd'hui (Applaudissements à gauche)

La discussion générale est close.

Vote sur le texte élaboré par la commission mixte paritaire

A la demande du groupe du RDSE, les conclusions de la commission mixte paritaire sont mises aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 313
Majorité absolue des suffrages exprimés 157
Pour l'adoption 313
Contre 0

Le Sénat a adopté.