Débat sur le droit de semer et la propriété intellectuelle

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur le droit de semer et la propriété intellectuelle, à la demande du groupe CRC.

M. Gérard Le Cam, pour le groupe communiste, républicain et citoyen.   - Le droit de semer, c'est le droit de resemer sa récolte, de choisir librement ses semences, de procéder à des échanges, des sélections, des recherches. Comment dans le domaine du vivant concilier droit de propriété et les droits universels que les hommes tiennent de leur patrimoine commun ?

La réglementation européenne évolue, avec la mise en place d'un brevet européen unitaire, la réforme de la PAC et celle du Certificat d'obtention végétale (COV). Au-delà, d'autres accords tentent d'imposer une vision ultralibérale de l'agriculture, en faisant de la recherche une bulle spéculative - une société qui détient 100 brevets a plus de valeur financière qu'une autre qui n'en détient que dix. Parallèlement, la protection juridique des opérations commerciales se développe - projet Acta, heureusement rejeté par le Parlement européen, accord de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne. Face à une offensive des puissances financières telles que Monsanto ou Syngenta qui risque d'accaparer toute la filière semencière, l'Europe doit être ferme pour défendre les droits des agriculteurs, des obtenteurs et le COV.

Il est essentiel de ne pas se tromper d'adversaire. La législation française a ouvert un conflit entre obtenteurs et paysans au prétexte de protéger le COV. Or la vraie menace vient du marché et des dérives du brevetage. Or la loi de 2011, en interdisant les semences de ferme sauf paiement a fait des agriculteurs des contrefacteurs potentiels. Les semences de ferme ne sont pourtant pas un obstacle à la recherche. Le système du COV et le principe de l'exception du sélectionneur ont dynamisé la recherche. Newton disait « avoir vu plus loin que les autres parce qu'il était juché sur les épaules des géants » ; le savoir se nourrit du passé. Cependant, les limites entre l'invention et la découverte se sont peu à peu effacées : comment accepter qu'un gène natif puisse faire l'objet d'un brevet ? C'est privatiser le patrimoine génétique mondial, l'héritage séculaire que nous ont laissé les paysans et la nature elle-même. Les conséquences dans le domaine agricole sont très graves. Limagrain verse à Monsanto au titre des brevets un montant équivalent aux bénéfices que réalise l'entreprise sur le marché américain grâce à la vente de semences.

Face à l'appropriation capitalistique des végétaux, la France a mis en place le système du COV par la loi du 8 décembre 2011, bien différent du brevet : un autre obtenteur peut utiliser sans coût la variété protégée pour en créer une autre, c'est l'exception du sélectionneur. Avec le COV, la recherche est accessible à tous. Mais le COV n'interdit pas le brevet, il ne protège pas les agriculteurs et les obtenteurs contre ses effets dévastateurs : aux États-Unis, les agriculteurs achètent des semences brevetées pour ne pas se faire attaquer en cas de contamination de leur récolte... Le COV a cependant des inconvénients majeurs.

Depuis 1961, les conventions de l'Union pour la protection de l'obtention végétale (Upov) n'interdisent pas de développer une variété découverte dans le champ d'un paysan ; le COV valide l'appropriation gratuite des semences paysannes accompagnée d'une tolérance pour les semences de ferme. Dès 1970, le système est remis en cause, les semences fermières sont interdites. Mais il est difficile d'apporter la preuve de la contrefaçon ; dans les faits, la pratique des semences de ferme perdure. Dans les années 1980, un accord interprofessionnel tentera d'interdire le triage à façon. L'Upov connaît d'importantes transformations dans les années 1990 : la convention Upov de 1991 étend les droits d'un titulaire d'un COV aux « variétés essentiellement dérivées », notion très contestable scientifiquement et très fragile juridiquement. Erreur considérable ! En voulant protéger le COV on l'a affaibli, on a perdu la guerre et l'honneur contre la brevetabilité du végétal.

M. Rémy Pointereau.  - Pas du tout !

M. Gérard Le Cam.  - On a changé d'approche : avec la « variété essentiellement dérivée », on a regardé les gènes de la variété pour déclarer si elle était nouvelle ou pas. L'affaire du gène de résistance de la laitue au puceron en illustre à merveille les dangers : un brevet a été obtenu par une entreprise néerlandaise, alors qu'une entreprise française, Gautier, avait bien avant sélectionné une lignée de laitues résistante, sans problème de nanisme des salades ; elle n'avait pas déposé de brevet. La société néerlandaise a demandé aux sélectionneurs de semences potagères d'acquitter une redevance... Finalement, des accords financiers ont été trouvés avec les semenciers, à l'exception de Gautier, trop petite. Il est fondamental ne pas accepter ces brevets ; il faut aussi mutualiser les efforts pour qu'agriculteurs et semenciers ne soient pas isolés.

La protection du COV a été étendue à des fins d'écoulement commercial des semences et des plants. Le règlement communautaire du 17 juillet 1994 fait des semences fermières des dérogations facultatives : elles ne sont autorisées que pour 21 espèces, sous réserve du paiement d'une rémunération aux obtenteurs. De plus, cet usage est strictement limité à l'exploitation de l'agriculteur ; les échanges de semences de ferme protégées par un COV appartenant à un tiers sont interdits.

En dépit de cette réglementation, la majorité des agriculteurs européens a continué d'utiliser les semences fermières sans payer de royalties, sauf pour le blé ferme.

M. Rémy Pointereau.  - Très bien !

M. Gérard Le Cam.  - La loi de décembre 2011 a durci les contraintes illégitimes pesant sur les agriculteurs ; le groupe CRC s'y était opposé au nom du principe du partage des avantages garanti par le Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l'alimentation et l'agriculture.

Les semences de ferme devraient, par principe, être autorisées ; l'agriculteur paie l'obtenteur au moment où il achète la semence certifiée et on en reste là. Il faut modifier en conséquence l'article L.623-4-1 du code de la propriété intellectuelle. Il faut ensuite limiter le régime de contrefaçon prévu à l'article L.623-4-4. La loi de 2011 qualifie les semences de ferme de contrefaçon de variété commerciales et étend les sanctions au produit de la récolte, même lorsque ces semences n'en reproduisent pas les caractères distinctifs et que le produit de la récolte n'est pas vendu sous la dénomination variétale. Hors ces deux conditions, le régime de la contrefaçon ne devrait pas s'appliquer.

Ensuite, le code rural prévoit une obligation de déclaration des semences fermières, ce qui facilite le contrôle des obtenteurs et crée une présomption de contrefaçon. En 2011, le ministre de l'agriculture précisait que le dispositif n'entraînerait aucune charge financière. Nous proposons de limiter le dispositif, étendu par la loi de 2011 à tout plant « destiné à être planté ou replanté », y compris dans le cadre du jardinage amateur...

S'agissant du mode de collecte de l'indemnité due, les agriculteurs ne demandent jamais le remboursement de la cotisation auquel ils ont droit. Il faut préciser la question des échanges de variétés protégées ; ils doivent être permis en cas de pénurie. Et l'autorisation doit être plus large pour les semences paysannes. La direction générale de la santé propose d'exclure du champ d'application du catalogue le matériel de reproduction destiné à des fins de sélection ou à des banques de gènes - qui ne font que de la conservation. La gestion dynamique à la ferme est une méthode de conservation en soi. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'échange en nature entre personnes autres que les opérateurs ? Les agriculteurs qui ne produisent que des semences fermières ne doivent pas être qualifiés d'opérateurs et doivent pouvoir échanger. Enfin, les paysans s'inquiètent de la définition de la variété dans le code de la propriété intellectuelle. Il faut ouvrir les critères pour l'inscription au catalogue.

Face à la finance, tous doivent travailler ensemble à une réglementation qui prenne en compte les intérêts de chacun. Le Gouvernement entend-il organiser une telle concertation ? Tous les syndicats seront-ils associés ? La réglementation éthique et politique est en retard par rapport à la science et aux appétits commerciaux. Quel modèle agricole voulons-nous ? Allons-nous nous armer pour lutter contre la brevetabilité du vivant, qui menace notre agriculture ? Nous semons ; demain, nous voulons récolter notre liberté économique, intellectuelle et écologique. (Applaudissements sur les bancs CRC et quelques bancs socialistes)

M. Rémy Pointereau .  - Ce débat remet en cause la loi relative aux COV adoptée le 8 décembre 2011, avec l'abstention du parti socialiste. Son décret, qui n'est toujours pas paru, donnerait aux agriculteurs la possibilité de bénéficier d'un vrai potentiel de semences. Cette loi a renforcé la spécificité du COV qui, contrairement au brevet, favorise l'innovation variétale et l'accès libre à la biodiversité. Elle sécurise le financement de la recherche, autorise la pratique des semences fermières. La grande majorité des organisations professionnelles agricoles sont d'accord.

Certains ont voulu opposer éleveurs et céréaliers à coup de contre-vérités. Il n'est pas question d'interdire les semences fermières, au contraire : la proposition de loi légalise leur utilisation. Contrevérité encore : loin de rendre les agriculteurs dépendants des financiers privés, elle défend les semenciers français face aux multinationales anglo-saxonnes et chinoises.

Malgré les avancées du texte, qui convenait même aux écologistes, la Confédération paysanne veut remettre en cause tout le travail mené depuis 2006. Nous devons pourtant relever le défi de la sécurité alimentaire et augmenter la production alimentaire de 70 % d'ici 2050 pour nourrir la planète, dit la FAO. Produire plus et mieux, voilà l'enjeu. Toute la filière semence est mobilisée : à elle de proposer des solutions à la crise agricole. Nous n'avons pas pléthore de solutions, sinon la recherche. Il ne s'agit pas ici de relancer le débat sur les OGM - quoique...

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.  - À vous de voir !

M. Rémy Pointereau.  - L'obtenteur, c'est celui qui met au point les nouvelles variétés qui répondront aux contraintes de l'agriculteur comme aux nouvelles attentes de la société. Elles contribuent à l'émergence d'une agriculture productive et durable, pour employer un mot que je n'aime guère. Certaines variétés modernes de blé sont moins dépendantes des engrais chimiques et des fongicides, ont un rendement supérieur aux variétés anciennes.

Financer la recherche variétale ne va pas de soi. Il n'est pas question, en ces temps de crise, de solliciter l'État : tablons sur le droit de propriété intellectuelle - pour le blé, 5 centimes d'euro par quintal. Il est logique que le travail de longue haleine qu'est l'obtention soit rémunéré - M. Raoul qui vient d'une région, l'Anjou, où les semenciers sont légion ne me démentira pas !

La loi de 2011 assure la juste rétribution de l'effort de recherche via le COV. Transposant la convention internationale Upov, elle stipule que chacun est libre d'utiliser une variété protégée par un COV en contrepartie d'une rémunération au sélectionneur qui l'a créée. Avec 72 entreprises de sélection, pour l'essentiel des PME, la France est à la pointe de l'innovation en recherche variétale. La loi COV est un grand pas pour préserver le dynamisme de la recherche et la compétitivité de la filière. Elle reconnaît et revalorise le métier de sélectionneur, au coeur des grands enjeux du XXIe siècle.

La progression des rendements depuis les années 1950 tient à la sélection végétale. Mais ils stagnent depuis les années 1990, en raison des aléas climatiques, de la diminution des intrants et, surtout, de la baisse de la recherche. La recherche doit apporter des solutions, les entreprises de sélection doivent pouvoir tirer les fruits de leur travail pour la financer. Nos obtenteurs - souvent des PME - ont besoin d'être confortés. La France est le premier producteur européen, le deuxième exportateur mondial de semences. Les COV protège les obtenteurs, les multiplicateurs, les agriculteurs ; c'est le meilleur rempart contre la brevetabilité du vivant.

Monsieur le ministre, à quand la publication du décret prévu par la loi de 2011 ? Il aidera à la création d'emplois, sans un sou de l'État ! Conservons nos atouts, et trouvons un juste équilibre ! (Applaudissements à droite et sur quelques bancs socialistes)

M. Richard Yung .  - Merci au groupe CRC d'avoir pris l'initiative de ce débat. Nous ne partageons pas sa position : l'abrogation de la loi de 2011 ne sert à rien puisque la France est signataire de la convention Upov. (MM. Rémy Pointereau et Daniel Raoul approuvent) Mieux vaut que nous élaborions nous-mêmes notre propre législation. Soixante-douze entreprises de sélection et 240 de production, 20 000 agriculteurs faisant du développement de variétés, 15 000 salariés, près de 3 milliards de chiffre d'affaires : la filière semence est majeure entre Angers et Nantes mais aussi un peu plus au nord...

M. Rémy Pointereau.  - Dans le Cher !

M. Richard Yung.  - Nous sommes toutefois talonnés par les Chinois et les Brésiliens... Les Brics arrivent...

La propriété intellectuelle est-elle une entrave au droit de semer ? Non. Le COV autorise l'utilisation de la variété pour en créer une nouvelle, c'est l'exception du sélectionneur et l'utilisation par les exploitants agricoles d'une partie du produit de leur récolte pour ensemencer les suivantes, c'est l'exception de l'agriculteur. C'est un rempart contre la brevetabilité des obtentions végétales (M. Gérard Le Cam s'exclame) voulue par les États-Unis, le Japon ou encore l'Australie. Les négociations vont reprendre, il importe que l'Europe joue un rôle de leader.

La jurisprudence de la chambre des recours de l'Office européen des brevets sur la non-brevetabilité des procédés essentiellement biologiques pour l'obtention des végétaux se stabilise ; elle conforte le COV. L'accord intergouvernemental sur la juridiction unifiée du brevet, à venir, va dans le même sens. L'extension de la protection aux variétés essentiellement dérivées évite que l'introduction d'un gène breveté dans une variété existante aboutisse à un droit de propriété sur l'ensemble de la variété. La loi de 2011 a trouvé un équilibre entre le respect d'un droit plus qu'ancestral - le privilège du fermier - et la protection intellectuelle. La pratique des semences fermières présente de nombreux avantages : traçabilité, sécurité, respect de l'environnement et de la biodiversité. Néanmoins, elles sont utilisées sans contrepartie financière - ce qui place les agriculteurs en situation de contrefaçon. J'encourage le Gouvernement à élargir la liste d'exceptions. Ne laissons pas les agriculteurs seuls face aux entreprises financières, la priorité doit être donnée aux négociations interprofessionnelles ; l'État ne doit intervenir par la voie règlementaire qu'en dernier recours. Dans la situation de crise que connaissent les agriculteurs, il importe que l'indemnité versée en contrepartie de l'utilisation de semences de ferme soit sensiblement inférieure au montant perçu pour la production sous licence de semences de la même variété.

Des accords similaires à celui relatif au blé tendre ont-ils été signés depuis la loi de 2011, monsieur le ministre ? Envisagez-vous d'exonérer d'indemnité les agriculteurs qui produisent des semences de ferme produites dans un but d'autoconsommation ? Quid du financement de la recherche variétale ? Les conditions dans lesquelles les agriculteurs seraient autorisés à pratiquer le triage à façon doivent être clarifiées.

La loi de 2011 laisse plusieurs questions en suspens, parmi lesquelles celle de l'exception du sélectionneur pour les agriculteurs qui n'ont pas les moyens d'extraire d'une variété génétiquement modifiée les caractères brevetés. Je pense aussi à la transmission d'informations et aux variétés anciennes. En 2008 et 2010, trois nouvelles listes de variétés anciennes ont été ouvertes en France au catalogue officiel : deux de « variétés de conservation » et une de « variétés dont la récolte est principalement destinée à l'autoconsommation ».

Trois nouvelles listes de variétés anciennes ont été ouvertes. Sous quelles conditions envisagez-vous le développement de ces listes ? Votre ministère et l'interprofession des semences prennent en charge l'inscription sur les listes de ces variétés, qui doivent être distinctes, homogènes et stables. Or nombreuses sont les variétés anciennes qui ne remplissent pas ces conditions...

Pour lutter contre la contrefaçon, j'avais proposé naguère de spécialiser un tribunal de grande instance en matière de variété. S'il n'y a que cinq ou dix cas par an, la question est complexe. (M. Daniel Raoul approuve) On pourrait le situer à Angers, ou plutôt à Paris - pour éviter toute interférence... J'ai d'autres pistes, que je tiens à votre disposition ! (Applaudissements à gauche et sur quelques bancs à droite)

Mme Mireille Schurch .  - Élue d'un département rural, je suis sensible aux préoccupations des agriculteurs, qui on vu dans la loi de 2011 une attaque contre les semences fermières. Ce débat s'est crispé autour de l'opposition entre deux modèles, productiviste et traditionnel. Monsieur le ministre, vous dites vouloir faire de la France un modèle d'agro-écologie. Avec les semences fermières, les agriculteurs reviennent à des pratiques vertueuses : elles permettent de limiter les maladies et de diminuer l'utilisation des fongicides. Les semences fermières respectent les circuits courts et ne sont pas délocalisables. Le traité international sur les ressources phytogénétiques pour l'alimentation et l'agriculture (Tirpaa), ratifié en 2005, affirme que le droit d'utiliser les semences fermières est un droit fondamental des agriculteurs. Or les semences industrielles ont puisé dans les semences paysannes, interdites ou tolérées sous condition de rémunération. Un premier pas vers la protection des semences fermières serait d'élargir la liste des 21 espèces prêtant à dérogation et de relever le tonnage au-delà duquel la pratique des semences fermières donne lieu à paiement. Une concertation avec les acteurs s'impose. Nous prônons la légalisation totale des semences fermières et souhaitons que soient autorisés les échanges. Les semences fermières ont montré leur utilité aux côtés des semences industrielles - par exemple pour compenser le déficit fourrager dû à la sécheresse en 2011. La filière semencière française a fait la preuve de son excellence. Les semences fermières sont loin de mettre en péril la recherche. Toute la filière agro-alimentaire en bénéficie. Ce sont les coupes budgétaires, la politique d'austérité, qui affaiblissent la recherche publique !

De plus, certaines activités liées au contrôle des semences sont fragilisées en raison de la baisse importante de la subvention à l'Inra. L'autocertification, proposée par la Commission européenne, serait une option dangereuse que nous refusons. Quelle est la position du Gouvernement ?

Enfin, les grandes firmes ont développé depuis des années une stratégie d'appropriation du vivant. Benjamin Coriat décrit la mue du brevet qui ne récompense plus le chercheur mais vise à créer des monopoles. Les semenciers français en ont conscience ; ils militent contre la brevetabilité des gènes natifs. Que fera la France en Europe ? (Applaudissements sur les bancs CRC et socialistes)

M. Jean-Jacques Lasserre .  - Évitons les caricatures et les oppositions simplistes entre semenciers et agriculteurs. Sachons trouver un juste équilibre. C'est une urgence quand il faudra nourrir 9 milliards de bouches en 2050. C'est aussi un enjeu économique puisque la France est le premier exportateur de semences devant les États-Unis et le premier producteur européen.

Le métier de semencier s'est ouvert dans les années 1970 pour devenir la proie des agrochimistes avec l'arrivée de Shell... La crainte du monopole est fondée. Bayer, Monsanto et les autres grands acteurs détiennent les deux tiers du marché, le reste des semences est produit par des petites entreprises et des agriculteurs. Monsanto consacre un milliard d'euros à la recherche, les 72 semenciers français, 250 millions. Donnons-leur les moyens d'investir dans l'innovation. Ma région d'Aquitaine héberge deux grands groupes spécialisés, maïs Adour et Pau Euralis. La France ne peut pas, pour des questions d'indépendance alimentaire, se laisser dominer par les géants américains.

De là la loi sur les COV de 2011, qui transpose la convention Upov et le règlement européen de 1994. Pour la mettre en oeuvre, nous attendons la publication de pas moins de onze décrets...

Certaines associations militent pour l'abrogation de cette loi au nom du pouvoir d'achat des agriculteurs. Cela assécherait le financement de la recherche et, à terme, notre souveraineté alimentaire pour laquelle ces mêmes associations disent se battre. Leurs propositions sont excessives et vont à rebours des intérêts des agriculteurs.

Deux grands modèles s'affrontent : le COV en Europe et le brevet choisi par les États-Unis, l'Australie, le Canada ou le Japon. Le COV garantit au sélectionneur la protection de la dénomination de l'obtention et la rémunération de la découverte durant 20 à 30 ans. En reconnaissant le privilège de l'agriculteur et l'exception du sélectionneur, il met le savoir à disposition de tous, ce qui le distingue clairement du brevet.

Bref, le COV est une solution intermédiaire et équilibrée. Les OGM sont un tout autre sujet ; nous aurons l'occasion de discuter des espèces autogames, des espèces hybrides. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Daniel Raoul .  - Merci au groupe CRC de nous donner l'occasion de faire le point sur la loi relative aux COV de 2011. Monsieur Pointereau, nous étions à l'époque inventeurs et obtenteurs de ce texte, vous comme rapporteur, nous comme contributeurs.

Élu du Maine-et-Loire, scientifique de surcroît, je ne pouvais pas ne pas intervenir. Nous hébergeons entre autres l'Office communautaire des variétés végétales, la Station nationale d'essai de semences (SNES), le Groupement national des semences interprofessionnels et des plants, ... Tout le Val-de-Loire accueille ce secteur hautement stratégique. Deuxième exportateur de semences, la France - mon département en particulier - doit concourir à assurer et à sécuriser l'alimentation du monde.

Le COV est, en fait, semblable à un logiciel libre, ce qui garantit la non-appropriation du vivant et l'accès à la variété protégée. En cela, il protège notre bien commun en concourant à la recherche et au développement - toute la chaîne se tient donc, du début à la fin.

Si je défends le modèle du COV, je ne dresserai pas pour autant un panégyrique de la loi de 2011. Celle-ci a certes eu le mérite de nous mettre en conformité avec le droit européen. Entre autres, nous devons assurer la pluralité de la recherche et aussi financer la recherche privée. Monsieur le ministre, nous attendons encore une dizaine de décrets, des décrets simples, aux décrets en Conseil d'État. Où en sommes-nous ?

Qu'est-ce qu'une variété essentiellement dérivée ? Le sujet est compliqué, je ne vais pas vous faire un cours, encore moins une interrogation écrite à la sortie de l'amphi... (Sourires)

Mme Annie David.  - Ça dérive un peu !

M. Daniel Raoul.  - L'accord « blé tendre » de juin 2011 a fait la preuve que l'on pouvait trouver des compromis entre agriculteurs et semenciers. Inspirons-nous en pour généraliser les accords interprofessionnels et instaurer la contribution volontaire obligatoire - la CVO.

Le soutien à la recherche publique est indispensable, d'autant que les industriels ne privilégient pas forcément les espèces qui consomment le moins d'intrants. Je vous renvoie à l'échec annoncé du plan Écophyto 2018.

En revanche, demander aux agriculteurs de payer des royalties sur l'autoconsommation est absurde. Idem sur les semences utilisées pour les bandes de cinq mètres au titre de la biodiversité. Je connais un agriculteur de Savennières, où ne pousse pas que la vigne, qui cultive des légumes anciens par plaisir. Il lui est interdit de les donner à l'Inra. Certains s'égarent parfois dans ses champs le week-end et le tour est joué...

Il faut simplifier l'inscription au catalogue des variétés anciennes, éventuellement avec une aide de votre ministère, et veiller à maintenir l'exception COV pour le végétal dans le cadre du brevet unique européen ! (Applaudissements sur les bancs socialistes et UMP)

M. Joël Labbé .  - Le groupe CRC rouvre un débat nécessaire. Le cadre européen, complexe, est particulièrement complaisant avec les grands groupes semenciers internationaux. La loi de 2011 a provoqué une vive émotion chez certains agriculteurs comme au sein de la communauté scientifique.

Parce qu'elle privilégie les droits des obtenteurs pour toutes les variétés, à l'exception de 21 d'entre elles, elle ne se contente pas de transposer la convention Upov. La légitimité de l'obtenteur doit se limiter au service qu'il ajoute à un bien commun, pas moins mais pas plus. Ce texte ouvre la porte à un brevet unique européen qui aboutira à la distinction, à l'homogénéité et à la stabilité de la semence et, donc, à une uniformisation des variétés. Cela convient aux firmes semencières, consommatrices d'intrants, mais ne va pas dans le sens de la biodiversité, de l'intérêt général, de l'intérêt supérieur de l'humanité. La biodiversité cultivée a reculé de 50 % dans les 50 dernières années, selon la FAO. Or l'humanité a besoin de cette diversité. Cinq compagnies contrôlent 75 % de la semence potagère mondiale, vieille de plusieurs milliards d'années. L'échange de semences entre agriculteurs contribue, au contraire, à la variété des semences et à l'adaptation au milieu. À nous de le défendre !

La loi de 2011 a fait des semences fermières et des échanges de semences des contrefaçons de variétés commerciales. Les semences fermières sont pourtant des compléments indispensables aux variétés commerciales. Un décret ne suffirait pas à modifier l'article L. 623-1 du code de la propriété intellectuelle, mais aiderait à mieux protéger la biodiversité culturale, un patrimoine inestimable pour nos générations futures ! (Applaudissements sur les bancs écologistes et CRC)

M. Raymond Vall .  - Droit de semer et propriété intellectuelle semble a priori inconciliables. La loi de 2011, avec le COV, a entendu résoudre ce dilemme. Le groupe RDSE l'a soutenue en considérant qu'elle représentait la moins mauvaise solution. Le COV, sorte de logiciel libre initié par la France a été adopté par 69 pays; il aurait été curieux de ne pas y conformer notre législation nationale. Nous n'avions pas pu amender la loi de 2011, pour étendre la liste des 21 variétés ni exonérer de COV les agriculteurs utilisant les semences de ferme ; il est vrai qu'un changement de majorité était intervenu entretemps...

La richesse variétale limite l'apport d'intrants quand certains industriels s'évertuent à développer les espèces hybrides, non reproductibles. Pourquoi laisser la poule aux oeufs d'or aux mains d'une poignée d'industriels et écarter les milliers d'agriculteurs qui concourent à notre biodiversité ?

Puisqu'il y aura 9 milliards d'individus à nourrir en 2050, il y aura de la place pour tous les modèles d'agriculture.

Monsieur le ministre, nous attendons les décrets de la loi de 2011. Faut-il étendre la protection du COV à la récolte et aux semences produites par l'agriculteur lui-même ? Quid des variétés anciennes ?

Une large concertation sera nécessaire. La juxtaposition du brevet et du COV reste un problème majeur. Envisagez-vous, monsieur le ministre, de modifier la législation pour que les semences anciennes et nouvelles librement reproductibles sortent du champ de la législation actuelle sur le commerce des semences ? Qu'entendez-vous faire pour donner à la recherche publique les moyens de relever le défi alimentaire à venir ? (Applaudissements sur plusieurs bancs)

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt .  - Merci pour la qualité de vos interventions. Vous êtes des spécialistes du vivant, des semences, mais ce débat engage aussi un choix de société. Il y avait à choisir entre obtention et brevetage.

Je resterai ce soir sur les questions de principe : pour moi, l'obtention est clairement préférable. C'est un choix politique que nous devons affirmer avec force : je défends l'obtention végétale sur le brevet, parce que je suis pour la liberté contre la captation que représente souvent le brevetage.

M. Daniel Raoul.  - Très bien !

M. Rémy Pointereau.  - C'est déjà pas mal ...

M. Stéphane Le Foll, ministre.  - La France est reconnue pour son expertise. Mon homologue ukrainien m'a interrogé récemment sur les semences, preuve que l'enjeu est aussi économique. D'autant que la filière s'appuie sur un tissu de PME et investit 13 à 15 % de son chiffre d'affaires dans la recherche. Le fait est assez rare pour mériter d'être souligné. Voilà la base de notre discussion.

L'obtention végétale est le fruit d'une sélection variétale empirique pratiquée durant des siècles, puis de la science. M. Griffon parle à raison de « science implicative » ; les chercheurs peuvent s'appuyer sur l'expérience des agriculteurs, c'est une dialectique qui peut être fructueuse. Monsieur Le Cam, monsieur Labbé, trouvons le bon équilibre entre un secteur économique des semences qui réussit, une recherche qui est reconnue internationalement et des agriculteurs dont le droit de ressemer doit être garanti. Ce sera le but de la concertation qui s'ouvrira pour aboutir à la publication de quatre décrets - et non dix - au premier semestre 2013.

M. Daniel Raoul.  - Ni quatre ni dix, onze !

M. Stéphane Le Foll, ministre.  Bien sûr, la protection du COV ne doit pas s'étendre à la récolte et à l'autoconsommation ; bien sûr, nous prendrons exemple sur l'accord interprofessionnel « blé tendre » ; bien sûr, il faudra étendre les exceptions tout en conservant le cadre de la loi de 2011.

Parallèlement, n'opposons pas recherche publique et privée, chacune doit contribuer à l'amélioration des variétés.

Je mène une réflexion sur la question des échanges. La loi à venir sur les groupements d'intérêt économique et écologique sera le cadre adapté pour avancer.

Voilà les enjeux que je retiens de ce débat, même si d'autres ont été évoqués. Dans un système stable, il doit y avoir des possibilités d'obtention végétale. Nous garderons le cadre de la loi de 2011, en poursuivant l'objectif de défendre l'obtention contre le brevetage. Alors que les États-Unis, le Japon et l'Australie sont pour le brevetage, l'Europe défend l'obtention. La France et l'Allemagne sont sur la même ligne : il s'agit d'un enjeu stratégique. Des améliorations, des adaptations sont possibles pour assurer la liberté des acteurs, le financement de la recherche et la place de leader de la France. Les champs ouverts sont immenses ! (Applaudissements sur la plupart des bancs)

M. Daniel Raoul.  - Joli !

Prochaine séance demain, jeudi 28 mars 2013, à 9 heures.

La séance est levée à 23 h 15.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques

ORDRE DU JOUR

du jeudi 28 mars 2013

Séance publique

DE 9 HEURES À 13 HEURES

1.Proposition de loi relative à l'instauration du 27 mai comme journée nationale de la Résistance (n° 350, 2012-2013)

Rapport de M. Ronan Kerdraon, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 433, 2012-2013)

Texte de la commission (n° 434, 2012-2013)

À 15 HEURES

2.Questions d'actualité au Gouvernement

DE 16 HEURES 15 À 20 HEURES 15

3.Proposition de loi visant à l'abrogation du délit de racolage public (n° 3, 2012-2013)

Rapport de Mme Virginie Klès, fait au nom de la commission des lois (n° 439, 2012-2013)

Texte de la commission (n°°440, 2012-2013)

4. Question orale avec débat n° 2 de Mme Aline Archimbaud à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur les droits sanitaires et sociaux des détenus