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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Hommage au Conseil national de la Résistance

Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (Déclaration du Gouvernement suivie d'un débat)

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre

M. Jacques Gautier

M. Jacques Berthou

Mme Michelle Demessine

M. Jean-Marie Bockel

M. Jean-Michel Baylet

Mme Leila Aïchi

M. Xavier Pintat

M. Jeanny Lorgeoux

M. Jean-Pierre Chevènement

M. André Trillard

M. Gilbert Roger

M. Jacques Gautier, pour la commission des affaires étrangères

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères

M. Daniel Reiner, pour la commission des affaires étrangères.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense

M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur

Déblocage exceptionnel de la participation et de l'intéressement (Procédure accélérée)

Discussion générale

M. Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation

Mme Anne Emery-Dumas, rapporteure de la commission des affaires sociales

Mme Isabelle Debré

M. Dominique Watrin

M. Hervé Marseille

M. Yvon Collin

M. Jean Desessard

Mme Jacqueline Alquier

M. Benoît Hamon, ministre délégué

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

M. Dominique Watrin

Interventions sur l'ensemble

M. Jean-Noël Cardoux

M. Hervé Marseille

Décès d'un ancien sénateur




SÉANCE

du mardi 28 mai 2013

105e séance de la session ordinaire 2012-2013

présidence de M. Jean-Pierre Bel

Secrétaires : Mme Michelle Demessine, Mme Odette Herviaux.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Hommage au Conseil national de la Résistance

M. le président.  - Avant d'en arriver à l'ordre du jour de notre séance, je voudrais, en notre nom à tous, rendre hommage à l'oeuvre fondatrice que des hommes courageux et épris de liberté ont engagée il y a désormais 70 ans.

En effet, le 27 mai 1943 eut lieu la réunion constitutive du Conseil national de la Résistance. Cette date essentielle pour l'unification de la Résistance marqua l'aboutissement de rudes négociations avec les mouvements, les syndicats et les partis républicains, négociations conduites par Jean Moulin, en liaison avec le général de Gaulle établi à Londres.

« Ainsi », écrira le général de Gaulle dans ses Mémoires de guerre, « sur tous les terrains et, d'abord, sur le sol douloureux de la France, germait au moment voulu une moisson bien préparée. »

La première réunion du Conseil national de la Résistance rassemble dans la clandestinité des représentants des huit grands mouvements de résistances, de la CGT, de la CFTC et des six principaux partis de la IIIe République.

Comme l'a rappelé Daniel Cordier, « l'union était fragile, comportant des malentendus, des germes de contestations et de conflits ; mais des hommes que seul le lien patriotique unissait et que tant d'arrière-pensées divisaient, étaient désormais unis pour débattre d'une manière permanente de tous leurs problèmes dans une assemblée où le verbe remplaçait les armes, symbole de la démocratie renaissante ».

Cette date marque à jamais l'histoire de notre pays, car elle symbolise l'union de ceux qui avaient gardé confiance dans l'avenir de leur pays et qui trouvèrent dans leur attachement à la patrie et aux valeurs de la République le courage et l'énergie du sacrifice.

Ils ont posé les grands principes qui fondent notre démocratie économique et sociale, du rétablissement du suffrage universel à la création de la sécurité sociale.

Fort de l'appui de l'armée des ombres, le général de Gaulle entama des pourparlers avec le général Giraud et avec les Alliés. Les deux généraux signèrent le 3 juin l'ordonnance instituant sous leur présidence conjointe le Comité français de libération nationale.

Mais le 21 juin, à Caluire, Jean Moulin, l'architecte de la Résistance, tombait aux mains des nazis.

Frappé par ce coup terrible, le CNR poursuivit néanmoins l'oeuvre qu'il avait commencée. Il définit et organisa un plan d'action immédiate pour lutter contre l'occupant et le régime de Vichy. Il adopta, dans son Programme d'action, des mesures à appliquer à la libération du territoire pour rétablir la démocratie et instaurer « un ordre social plus juste ».

Pour ces grands résistants, plus rien ne pouvait recommencer comme avant.

Le programme du CNR, qui a inspiré les réformes fondatrices de l'après-guerre, est devenu une référence commune, le socle du modèle social dont je sais, monsieur le Premier ministre, que vous souhaitez le renforcer.

Mes chers collègues, le 28 mars dernier, notre assemblée a adopté une proposition de loi de notre collègue Jean-Jacques Mirassou relative à l'instauration du 27 mai comme journée nationale de la Résistance.

Je souhaite que ce texte poursuive son chemin à l'Assemblée nationale, pour que cette date devienne un jour d'hommage national à ces femmes et à ces hommes, connus ou anonymes, qui se sont engagés, et qui ont payé au prix lourd leur engagement et leur attachement à la liberté. (Applaudissements prolongés)

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (Déclaration du Gouvernement suivie d'un débat)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, sur le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre .  - (Applaudissements à gauche)

Vous voudrez bien excuser mon départ et celui du ministre de l'intérieur après cette intervention car nous devons nous rendre à l'Assemblée nationale pour répondre aux questions d'actualité.

Le Livre blanc de la défense fait oeuvre de vérité et d'ambition. Nous le devions à la France et aux Français, à nos armées et à nos soldats dont l'engagement doit être accompagné de perspectives claires. Au Mali comme sur d'autres théâtres d'opérations, notre armée est l'honneur de la France et nous vaut d'être respectés partout dans le monde. C'est une garantie pour l'avenir, qu'il faut bâtir de manière lucide et responsable, alors que la crise fait rage.

Il faut rétablir une cohérence dans la durée entre les menaces et les moyens dont nous nous dotons pour y faire face. Le précédent Livre blanc nous avait conduits dans une forme d'impasse. Dès 2011, de hauts responsables militaires donnaient l'alerte : des contrats opérationnels ne pourraient être réalisés. En juillet 2012, la Cour des comptes soulignait l'écart de trois milliards entre les prévisions et les réalisations, indiquant qu'il irait s'accroissant de manière vertigineuse.

La France doit conserver la maîtrise de son destin. De là le devoir impérieux de définir de nouvelles orientations pour la défense et la sécurité nationale tout en intégrant pleinement la nécessité du redressement des comptes publics - condition essentielle de notre souveraineté.

Notre pays est confronté aux menaces de la force : conflits entre États, prolifération des armes de destruction massive, développement de capacités informatiques infinies, aux risques de la faiblesse : défaillance de certains États qui favorise l'essor des trafics, de la piraterie et du terrorisme. Il y a une amplification des menaces : la mondialisation facilite la prolifération et l'action des réseaux terroristes, démultiplie les risques sanitaires.

Ces menaces sont loin d'avoir diminué depuis 2012. Nous y apportons une réponse à la mesure de nos engagements et de notre place dans le monde. Outre la protection de nos ressortissants, sur tous les théâtres de conflits, il faut nous placer en mesure de nous engager de façon déterminante. Le modèle d'armée du Livre blanc répond à ces priorités : protection de notre territoire et de la population par des moyens appropriés - jusqu'à 10 000 hommes en renfort aux forces de sécurité civile ; dissuasion nucléaire, qui nous prémunit de tout chantage, dans ses deux composantes, océanique et aéroportée, qui sera maintenue dans le principe d'autosuffisance. Cette garantie est plus qu'indispensable, comme l'a rappelé le président de la République vendredi dernier à l'IDHEN : il n'est pas excessif d'y consacrer 10 % du budget. Il faut, enfin, conforter nos capacités d'intervention extérieure. Outre une force d'intervention immédiate de 2 300 hommes, nos armées pourront intervenir sur trois théâtres distincts, à hauteur de 7 000 hommes, soit plus qu'aujourd'hui au Mali. Nos armées pourront aussi mener une guerre contre un adversaire étatique, avec 15 000 hommes des troupes terrestres, avec les composantes aériennes et maritimes. Nos forces restent dotées d'une capacité d'entrée en premier dans tous les milieux, et à conduire les opérations seules ou en coalition.

Le Livre blanc répond à un principe d'autonomie stratégique. La France doit pouvoir prendre l'initiative, comme elle l'a fait au Mali, et jouer son rôle dans une coalition - ce qui exige de pousser plus loin la mutualisation de capacités polyvalentes et rares.

Le format de nos armées répond à ces ambitions, et nos alliés ne s'y sont pas trompés.

Je ne méconnais pas pour autant l'ampleur de l'effort que ce modèle imposera : 24 000 postes de moins, mais à mettre en regard des 54 000 postes qu'il avait été décidé de supprimer en 2008. Je fais confiance à Jean-Yves Le Drian pour conduire cette réorganisation.

Notre attention la plus grande sera portée aux territoires, au dialogue avec les élus, pour accompagner les évolutions. Nous prenons aussi la mesure de l'attention à porter aux personnels, la précipitation qui a prévalu ces dernières années a provoqué des dysfonctionnements comme celui du système de paie de Louvois. (« Ce n'est pas correct ! » à droite)

M. Christian Cambon.  - Premier dérapage !

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre.  - Nos soldats et nos officiers doivent se sentir soutenus et respectés.

La réflexion qui a associé défense et justice pour éviter une judiciarisation de l'action militaire se traduira dans la future loi de programmation militaire.

Je veux renouveler ici l'hommage de la Nation à nos soldats, qui méritent des équipements performants, renouvelés selon un calendrier précis.

Ce modèle d'armée consolide une démarche de modernisation raisonnée sans sacrifier les effectifs. Il préserve et prépare l'avenir. Telle fut aussi notre préoccupation pour l'industrie de défense, qui est un atout majeur pour le dynamisme de notre économie.

Les choix préserveront l'essentiel et nous avons veillé à éviter toute rupture. Les efforts de recherche seront maintenus au niveau de 2013 et nous soutiendrons activement les exportations de défense.

Nous entendons poursuivre la mobilisation pour construire l'Europe de la défense, dont nous connaissons les limites actuelles mais aussi le potentiel. Nous procédons avec pragmatisme, en favorisant les démarches communes et les programmes de coopération. La filière des missiles en est un exemple. Nous devons construire des champions européens. Notre partenariat avec le Royaume-Uni doit être un modèle pour l'Europe. Nous devons affirmer cette dynamique à l'échelle de l'Europe, qui a rendez-vous au Conseil de défense du prochain mois de décembre. Cela va de pair avec une participation entière au sein de l'Otan. Le président de la République l'a souligné, la France y conservera son identité et son autonomie et elle veillera à ce que les initiatives qui y seront prises confortent la dynamique européenne.

Pour les autres dimensions de la sécurité nationale, un contrat général interministériel, au plan national, préservera nos capacités civiles en cas de crise grave. Une attention particulière sera portée à l'outre-mer.

Le renseignement est aussi une clé de notre autonomie stratégique et particulièrement dans la lutte contre le terrorisme. Le Parlement pourra pleinement exercer son contrôle sur cette politique. Une stratégie ambitieuse de cyberdéfense est également engagée.

Ces choix reflètent une double exigence : maintien d'un effort de défense volontariste et retour à l'équilibre de nos comptes en 2017. Trois cent soixante quatre milliards seront consacrés à la défense entre 2014 et 2025, dont 179,2 milliards dans la prochaine loi de programmation militaire. Un effort annuel de 31,4 milliards sera maintenu les premières années, que le retour à l'équilibre nous permettra d'accentuer. Le projet de loi de programmation vous sera transmis cet été. « La France a besoin d'une défense forte pour rester ce qu'elle est, une grande Nation, un allié fiable, une puissance qui porte à l'échelle mondiale d'éminentes responsabilités » a déclaré le président de la République.

Je salue la qualité de vos travaux, qui ont contribué à la préparation de ce Livre blanc, qui dessine un modèle renouvelé, fidèle à nos ambitions et porteur d'avenir. La France restera au premier rang en Europe, restant une des seules puissances à disposer d'une force de dissuasion, d'une capacité d'intervention extérieure et d'une industrie de défense performante.

Ce débat, je l'espère, permettra de renouveler l'adhésion des représentants de la Nation à cet ambitieux projet et je vous remercie à l'avance de votre appui. (Applaudissements à gauche)

M. Jacques Gautier .  - Dans le concert des nations, la France occupe une place qui va au-delà de son poids démographique, économique et financier. Mais si nous conservons notre place de membre permanent du Conseil de sécurité, c'est parce que depuis 50 ans, la France s'est donné les moyens de disposer d'une force de défense robuste, reposant sur une vraie puissance industrielle.

Telles sont les facettes de l'indépendance. Si le président de la République a pu projeter nos forces au Mali, c'est grâce à l'action de ses prédécesseurs, depuis le général de Gaulle, qui ont tous préservé nos armées en dépit des enjeux financiers.

M. Charles Revet.  - Très bien !

M. Jacques Gautier.  - La France entend tenir son rang aux Nations unies, défendre ses intérêts, ses approvisionnements et contrôler les espaces où s'exerce sa souveraineté. Mais nos moyens diminuent. Après une confrontation virile entre le ministère des finances et le ministère de la défense, où on nous a resservi un remake de Chérie, fais moi peur !, la décision de bon sens, prise in fine par le président de la République, pour préserver notre outil de défense mérite d'être saluée. C'est un succès collectif, qui vous doit beaucoup, monsieur le ministre de la défense. Comme il doit aux industriels de défense, et un peu aussi aux parlementaires qui ont montré qu'ils n'étaient pas prêts à sacrifier nos armées.

M. Bruno Sido.  - Très bien !

M. Jacques Gautier.  - Je salue le talent de notre président de la commission des affaires étrangères, M. Carrère, qui veille à préserver un consensus bipartisan (« Quel hommage ! » sur les bancs socialistes) et à plaidé pour un effort de défense à 1,5 % du PIB.

Reste que le budget des armées perdra 24 milliards d'euros d'ici 2020, avec des effets néfastes sur l'effectif et les équipements de nos forces et, partant, un impact sur nos industries de défense et l'emploi.

Des solutions existent : les participations publiques représentent 55 milliards, 12 milliards pour les seules industries de défense. Elles ne servent, économiquement à rien. L'échec du projet de fusion EADS-BAE devrait nous alerter. Mme Merkel, sans participation dans EADS, a eu plus de poids que le président de la République, alors que notre pays détient 15 % des actions. La Cour des comptes a montré les carences de l'État actionnaire en matière de défense. Les crédits seraient mieux utilisés en faveur de l'emploi. Certes, la privatisation est une mesure à un coup, mais elle pourrait nous aider à mettre en ordre nos finances.

Le Livre blanc est trop vague dans le format d'armée et trop pauvre dans le programme d'acquisitions. Tout dépendra de la loi de programmation et de son exécution. Lors de son examen nous formulerons cinq préceptes : « la recherche, tu chériras ». Cela se passe de commentaire ; « l'entraînement, tu maintiendras ; les pièces de rechange, tu commanderas » - voir ce qui s'est passé pour les hélicoptères Tigre HAD ; « les grands programmes en coopération, tu poursuivra » - c'est un engagement de l'Agence européenne de défense, et il faudra convaincre nos partenaires pour économiser, de faire du probing and sharing ; « les lacunes, tu combleras » - transport stratégique, ravitaillement en vol, renseignement - je salue votre décision d'acheter des Reaper mais il faut préparer le drone européen.

De votre aveu, monsieur le ministre, vous avez suivi en cela les recommandations de notre assemblée. D'où mon sixième précepte : « Le Sénat, tu écouteras ». (On renchérit à droite)

Le groupe UMP est prêt à s'investir sans réserve à vos côtés pour nos armées - nous le devons à nos soldats, dont l'engagement n'a jamais failli. Si, en revanche, vous deviez faire de la défense une variable d'ajustement, nous serions vos plus farouches opposants. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Jacques Berthou .  - Tout est informatique, tout est numérique dans notre société. En vingt ans, les nouvelles technologies de l'informatique et de la communication (NTIC) ont bouleversé nos relations humaines, économiques, industrielles. La convergence des réseaux présente des avantages, mais aussi des dangers bien réels. Chaque jour, des millions d'attaques polluent nos systèmes informatiques. Le Sénat en a subi une, dans la nuit du 25 au 26 décembre. Songeons à ce qu'il en serait si de telles attaques ciblaient nos systèmes de défense ! Or la menace existe, le Livre blanc de 2008 la mentionne déjà. Mais de rapides évolutions nous appellent à nous adapter. La cyberdéfense est un élément essentiel de notre souveraineté. Notre commission des affaires étrangères a publié deux rapports sur le sujet : l'un de M. Bockel, l'autre que j'ai cosigné avec lui. Le colloque du 16 mai dernier « Quelles perspectives après le Livre blanc ? » récapitulait les menaces auxquelles nous devons faire face et s'interrogeait sur la politique industrielle à mener pour la cyberdéfense.

Le cyberespace est désormais un champ de confrontation à part entière. Il faut nous donner les capacités de protection et les moyens nécessaires, ainsi qu'un dispositif juridique définissant les standards de sécurité, tout en poursuivant notre coopération avec la Grande-Bretagne et l'Allemagne. Déjà, un comité interarmées sous l'autorité du chef d'état major est chargé de conduire l'action en matière de cyberdéfense. Un réseau de réservistes de la réserve citoyenne devrait aussi être mis en place.

La cyberdéfense est une chance pour nos industries ; elle créera des milliers d'emplois et contribuera à redresser notre appareil productif. Il s'agit aussi de développer nos capacités de renseignement en ce domaine. Le Livre blanc fait de la cyberdéfense une clé de la défense du futur. Je salue cette lucidité. L'organisation de la cyberdéfense sera étroitement intégrée aux forces, affirme le Livre blanc. Je ne doute pas que nous y parviendrons et j'approuve, avec le groupe socialiste, les dispositions proposées. (Applaudissements à gauche)

Mme Michelle Demessine .  - Conformément à la Constitution, vous nous avez exposé les grandes lignes de votre stratégie de défense et de sécurité, que le président de la République a approuvées le 29 février dernier. Les grandes forces politiques ont ainsi la possibilité d'exprimer leurs analyses, je m'en réjouis, tant la représentation nationale est souvent, sur ces questions, bafouée, comme l'a montré l'intervention du président de la République devant l'Institut des hautes études de la défense nationale, avant même ce débat parlementaire.

M. Bruno Sido.  - Eh oui !

Mme Michelle Demessine.  - Dans le Livre blanc, la continuité idéologique, cependant, est frappante. Ne s'y ajoute que la crise. Je me réjouis du choix de maintenir l'effort de défense, sans transiger. Mais 10 % de nos forces n'en seront pas moins supprimés, et nos programmes d'armement étalés.

Certes, on peut, entre sensibilités différentes, partager certains principes fondamentaux, mais je regrette que votre vision de l'état du monde et de notre pays n'ait rien de nouveau. Elle est, une fois de plus, soumise à la contrainte budgétaire. Le président de la commission du Livre blanc a d'ailleurs reconnu que la version initiale avait été récrite par le ministère...

On ne pouvait, avec une telle version, mener un vrai travail de réflexion conceptuelle. Le retrait rapide d'Afghanistan et l'accent mis sur la légitimité des Nations unies laissaient présager une doctrine prudente et moins interventionniste. Alors que la menace est devenue diffuse et multiforme, est-il logique de s'en tenir ainsi à la continuité ? Nos forces terrestres ont besoin de moyens de protection efficaces. Or, le sujet n'est pas traité et pire, le contrat opérationnel de l'armée de terre est divisé par deux, à doctrine constante, passant de 30 000 à 15 000 hommes. Quel manque de cohérence !

Certes les moyens du renseignement vont être renforcés et nous serons mieux renseignés mais nos capacités de gestion des crises seront réduites. Je regrette donc que les grandes orientations stratégiques précédentes n'aient pas été infléchies. Ainsi vous conservez le concept de sécurité nationale. Cet amalgame me semble dangereux pour les libertés publiques et individuelles. Cette notion de sécurité globale risque d'amalgamer menaces à la sécurité de l'État et crises sociales. Les risques ne sont pas hiérarchisés, allant des cyberattaques aux pandémies ! On ne se donne pas ici les moyens de répondre aux causes des menaces et des crises. Pourtant, notre intervention positive au Mali semblait annoncer que prévaudrait désormais l'appui économique sur l'action militaire. Mais dans son discours d'Addis-Abeba, pour le cinquantenaire de l'Union africaine, le président de la République n'a guère affirmé cette orientation.

En matière de dissuasion nucléaire, aussi, les dogmes restent intangibles. Au lieu de conserver notre arsenal dans ses deux composantes, il eût fallu s'interroger sur les nouveaux types de menaces à nos intérêts vitaux - lesquels mériteraient d'être définis.

Outre que notre outil nucléaire ne va pas sans nos forces conventionnelles, j'observe que nous ne remplissons pas tous nos engagements sur la non-prolifération en sortant du cadre de la « stricte suffisance ».

J'en viens à notre maintien dans le commandement intégré de l'Otan.

Nous avions pourtant critiqué cette décision de Nicolas Sarkozy qui risquait de nous faire perdre notre autonomie et de conduire à l'abandon de l'Europe de la défense. Un rapport a été commandé à M. Védrine : il serait, paraît-il, urgent de ne rien changer. Malheureusement, le Livre blanc entérine cette vision d'une France qui ne serait qu'une puissance moyenne, un pion dans la partie de dominos que jouent les États-Unis. Merci de votre attention. (Applaudissements sur les bancs CRC et écologistes ; M. Jean-Pierre Chevènement applaudit aussi)

M. Jean-Marie Bockel .  - Ne nous y trompons pas, les Français sont attachés à leur armée. Le Livre blanc, surtout avant sa parution, a suscité de vives inquiétudes : on craignait la mise en oeuvre du fameux « scénario Z » qui signifiait des coupes drastiques. Fort heureusement, les sénateurs emmenés par notre pugnace président de la commission des affaires étrangères plaidant pour le maintien de notre effort de défense à 1,5 % du PIB, semblent avoir obtenu gain de cause. Nous le vérifierons dans la future loi de programmation militaire.

La France sera-t-elle en mesure, avec ce nouveau Livre blanc, de faire face aux nouvelles menaces et de tenir son rôle ? S'il est trop tôt pour le dire, rappelons que la menace est devenue multiforme ; tout le monde en est d'accord et le Livre blanc est souvent plus descriptif que prospectif.

La question essentielle est : répondrons-nous à l'attente de France qu'on constate partout dans le monde ? Le Livre blanc affirme trois priorités : protection de nos ressortissants, sanctuarisation de la dissuasion nucléaire et développement de notre capacité de projection extérieure. Nous avons tiré les leçons de l'intervention au Mali, qui marque le retour de l'Afrique comme zone prioritaire de sécurité après de longues années tournées vers l'Afghanistan. La situation au Sahel, dans la corne de l'Afrique et le golfe de Guinée le justifie. La question de nos bases en Afrique est posée.

Autre interrogation : le renforcement des équipements bénéficiera-t-il à des forces réduites ? L'action de la France ne peut se concevoir hors de nos alliances. Le retour de la France dans l'Otan ne souffre plus question, mais comment la France peut-elle y faire prévaloir sa culture stratégique ? Dans le cadre de l'Union européenne, ne pourrait-on utiliser davantage les coopérations renforcées ? La France doit aussi promouvoir l'Europe de la défense sur laquelle le Livre blanc reste flou ; elle pourrait défendre le projet d'une Livre blanc européen lors du prochain Conseil.

Quelles garanties pouvez-vous nous apporter sur le maintien de l'effectif de nos forces dont le spectre des missions s'élargit ? Une réforme purement comptable aurait des conséquences dramatiques. Il serait bon de ne pas restreindre la réserve à une affaire de spécialistes ; les réservistes font le lien entre l'armée et la Nation.

Concernant nos grands programmes capacitaires, notre industrie de défense, garante de notre souveraineté et de notre indépendance stratégique, est aussi pourvoyeuse d'emplois. Elle doit être une priorité. Or la France s'apprête à acquérir des drones américains... Quid des drones européens ?

Enfin, s'agissant de la cyberdéfense, je me réjouis que le Livre blanc réponde directement aux préconisations que M. Berthou et moi-même avons faites dans un récent rapport.

Poursuivons l'effort. Si le Livre blanc constitue une étape vers une meilleure protection des réseaux de sécurité, il faut faire évoluer les moyens humains et financiers et adopter des mesures législatives. Nous ne sommes encore qu'au milieu du gué.

La principale rupture de ce nouveau Livre blanc réside dans les considérations financières. Le cadre budgétaire doit servir notre stratégie, et non l'inverse. Le groupe UDI-UC y veillera lors de l'examen de la future loi de programmation militaire. Il y va de l'indépendance stratégique de notre pays ! (Applaudissements à droite et au centre, ainsi que sur quelques bancs socialistes)

M. Jean-Michel Baylet .  - Concilier prospective à long terme et contraintes budgétaires est toujours un exercice délicat. Je rends hommage à nos soldats engagés au Mali, en Afghanistan et dans la lutte contre la piraterie, ainsi que dans la protection de nos ressortissants avec le plan Vigipirate. En votre nom à tous, je veux assurer de ma considération le première classe Cédric Cordier, violemment agressé dans la rue, et lui adresser nos voeux de prompt rétablissement.

La prochaine loi de programmation militaire ne doit pas céder, comme la précédente, à la tentation de l'incantatoire. Associez, monsieur le ministre, le Sénat, malmené en 2009, à sa rédaction. Une question demeure : la France pourra-t-elle tenir son rang avec les contraintes budgétaires actuelles ? La suppression de 24 000 postes supplémentaires suscite des craintes. Quelle sera la méthodologie retenue pour ce redéploiement ?

L'Europe de la défense, ouverte par le traité de Lisbonne, tarde à se concrétiser. Il faut la relancer ; les parlementaires déplorent le manque de volonté politique et la dispersion des acteurs. L'expérience au Mali, réussie sur le plan militaire, n'en fut pas moins douloureuse.

Quand les États-Unis se repositionnent sur l'axe Asie-Pacifique, l'Europe doit devenir une véritable force militaire. L'achat de drones américains démontre que nous avons manqué la révolution de ces appareils sans pilote. Alors, ne ratons pas le rendez-vous, crucial, du Conseil de décembre prochain ! (Applaudissements à gauche)

Mme Leila Aïchi .  - En 2008, les écologistes ont été associés à l'élaboration du Livre blanc ; en 2012, ils en ont été « vertement » écartés. Celui de 2013 laisse un goût d'inachevé : il appelle 4,5 milliards de recettes exceptionnelles, et nous savons que 390 millions de ces recettes seulement sur 3,47 milliards ont été réalisées dans la dernière loi de programmation militaire. Surtout, la dissuasion nucléaire a été écartée de la réflexion. Notre doctrine reste floue dans un continent pacifié et un monde militairement dominé par les Occidentaux. L'augmentation en valeur absolue des dépenses militaires des pays émergents ne doit pas faire illusion : en pourcentage des PIB, les dépenses d'armement demeurent stables dans le monde.

Ne nous trompons pas de menaces. Sur 125 actes terroristes recensés en France en 2012, 121 étaient le fait de groupes indépendantistes. Cela relativise les postulats idéologiques, sur la menace terroriste. Celle-ci a fait 11 450 victimes l'an dernier contre 30 000 morts dus à l'usage inconsidéré des armes à feu sur le territoire des seuls États-Unis. Après avoir fait la guerre contre un concept comme d'autres contre des moulins, cessons de nous chercher un ennemi pour définir notre politique de défense.

M. Obama a eu raison de dire que la guerre contre le terrorisme, que M. Bush menait au nom d'intérêts économiques, devait, comme toutes les guerres, se terminer. Il a fait de la lutte contre le changement climatique sa priorité en 2008. Quand la France y viendra-t-elle ? Quid des 250 millions de réfugiés climatiques que l'ONU prévoit pour 2050 ? Quand prendrons-nous enfin en compte les risques de stress nourricier, de stress hydrique, de stress climatique ?

L'expérience au Mali nous a donné une leçon magistrale. Charge à la France, dans un monde belligène, de construire une stratégie à l'instar des Anglo-Saxons à la hauteur de notre place de deuxième puissance de la biodiversité. Fixons notre cadre d'action géographique à l'échelon européen. L'Europe de la défense ne doit pas être d'appoint. Le choix des écologistes est celui d'une doctrine réaliste et pragmatique devant la perspective de futurs conflits liés à l'accès à l'eau potable, au sol.

Quand le XXIe siècle sera celui de la raréfaction des matières premières et de l'explosion démographique, le développement durable doit devenir une donnée majeure de notre stratégie de défense.

Les écologistes remettront un Livre vert de la défense au président de la République avant le Conseil du 20 décembre prochain. (Applaudissements sur les bancs écologistes ; Mme Michelle Demessine applaudit aussi)

présidence de M. Jean-Pierre Raffarin,vice-président

M. Xavier Pintat .  - Que retirons-nous de ce Livre blanc ? S'il préserve l'essentiel, sa crédibilité dépendra de la loi de programmation militaire et des lois financières qui le mettront en oeuvre. Aucune des grandes orientations du Livre blanc de 2008 ne sont remises en cause. Nous nous en félicitons : la dissuasion nucléaire nous protège de toute agression étatique. Avec M. Boulaud, dans un rapport sans tabou, nous avons rappelé qu'elle est indispensable à l'équilibre des forces et a éloigné la guerre de l'Europe depuis 60 ans. Maintenue dans ses deux composantes, elle garantit notre indépendance.

Ne boudons pas notre plaisir : votre décision sur les drones Male est celle que nous défendions au Sénat depuis 2011. Aucun constructeur européen ne pouvant nous les fournir, il fallait bien les acheter à l'étranger. Permettez-moi un conseil : achetons le minimum, consacrons nos investissements à un drone européen pour qu'il soit disponible en 2020-2022, plutôt qu'à la francisation des drones américains.

L'alerte spatiale est une condition indispensable du renseignement. Après les résultats intéressants de Spirale, d'autres propositions sont sur la table ; examinons-les comme elles le méritent.

Enfin, la défense missile antibalistique représente une menace, non militaire, mais économique qui a, sans doute, été sous-estimée par les militaires dans le Livre blanc. Des solutions existent ; ce dossier doit être traité.

Si nous apprécions votre action, monsieur le ministre, nous sommes plusieurs à nous interroger, à la commission des affaires étrangères : les militaires ne pourront pas longtemps faire mieux avec moins. Les quelque 6 milliards de recettes exceptionnelles qu'il intègre décrédibilisent le budget annoncé.

Je conclurai en citant Jules Ferry : « le Sénat ne saurait jamais être un instrument de discorde, ni un organe rétrograde. Il n'est point l'ennemi des nouveautés généreuses ni des initiatives hardies. Il demande seulement qu'on les étudie mieux. » (Applaudissements à droite et sur quelques bancs sur les bancs socialistes)

Voix à droite.  - Belle citation !

M. Jeanny Lorgeoux .  - Nous nous réjouissons du retour de l'Afrique dans le Livre blanc, même si nous eussions préféré qu'un chapitre spécifique fût consacré aux crises africaines. Depuis le discours de François Hollande à Dakar du 12 octobre 2012, les bases françaises en Afrique doivent devenir des bases de coopération. Nos partenaires doivent ouvrir grand les yeux : développement de l'Afrique et sécurité sont indissociables.

L'accroissement de la menace terroriste exige de nouvelles capacités dans l'observation spatiale de zones hors de contrôle, comme les zones montagneuses et les déserts. Les forces spéciales, sur lesquelles insiste le Livre blanc, sont particulièrement adaptées à la lutte contre les sanctuaires de l'obscurantisme. L'anticipation par le prépositionnement, le renseignement et la projection est nécessaire à la stabilisation de l'Afrique que les grandes organisations comme la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) bâtissent patiemment.

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Très bien !

M. Jeanny Lorgeoux.  - Tout cela ne prendra sens que dans la coopération avec les pays amis au premier rang desquels l'Algérie, la Mauritanie, le Sénégal, le Niger, le Tchad, le Burkina Faso, voisins de la menace terroriste. L'action de Boko Haram au nord-est du Nigeria montre que la fièvre peut s'étendre. Il faut aussi voir plus loin et compter sur nos bases de Niamey, de N'Djamena, voire d'Abidjan.

Ne nous laissons pas rebattre les oreilles par l'antienne sur le prétendu néocolonialisme : notre unique souci est de faire en sorte que « l'Afrique de Bonne-Espérance » surmonte son « stress nourricier hydrique et climatique » pour assumer son destin ! (Applaudissements)

M. Jean-Pierre Chevènement .  - À votre actif, monsieur le ministre, le maintien des crédits militaires qui nous évitera le déclassement stratégique. À votre actif aussi, l'action réussie de nos forces au Mali. J'approuve, en outre, le recentrage du Livre blanc sur l'Afrique sahélienne que je demandais en 2009.

Nous sommes, naturellement, concernés par la montée des tensions en Asie, ne serait-ce qu'en raison du pivotement américain de l'Atlantique vers le Pacifique. Or la plupart des pays européens se sont installés dans un climat de fausse sécurité. Non pas vis-à-vis de la Russie, surtout préoccupée par la montée de l'islamisme radical dans le Caucase et l'Asie centrale. Qu'elle soit aussi une puissance énergétique de première grandeur ne constitue pas davantage une menace : le fournisseur dépend autant du client que celui-ci de celui-là.

Les menaces de la faiblesse en Afrique sont autrement plus graves et la plupart des pays européens n'en ont pas pris conscience. Les pays du nord de l'Europe s'en sont remis, un peu trop facilement, aux pays du sud de garder leurs frontières, et aux États-Unis et à la France, de préserver l'équilibre fragile, du Proche-Orient, pour les premiers, et de l'Afrique pour la seconde. L'Union européenne serait bien avisée de contribuer à la création de ces forces d'action rapide africaines qui ont manqué à la Cédéao pour intervenir au Mali.

Le danger de déclassement stratégique a donc été écarté ; temporairement seulement. Les effets du TSCG se feront sentir longtemps sur notre économie. L'Allemagne accroît certes ses dépenses mais dans le cadre de l'Otan.

L'Allemagne considère l'Otan comme une sorte de réassurance.

La dissuasion nucléaire est garantie par la déclaration du président de la République, mais pour combien de temps, sachant que des critiques à courte vue s'élèvent contre cet outil qui seul peut nous tenir à l'abri de guerres qui ne seraient pas les nôtres.

Le président Obama veut aller plus loin que le traité New Start. Je rappelle que la France ne dispose que de 300 têtes - les Etats-Unis, plus de 1 600. Nous ne pourrons descendre en dessous de quatre sous-marins lanceurs d'engins et de deux escadrons aériens. Si les armes nucléaires tactiques américaines étaient retirées d'Europe, nous serions le seul pays à part la Russie à disposer d'armes nucléaires sur le continent ; c'est une garantie de la paix sur celui-ci. Autant dire que nous devons continuer de rester à l'écart du « groupe des plans nucléaires » de l'Otan.

On a raison d'affirmer l'objectif d'une Europe de la défense - comme un croyant affirme l'existence de Dieu... (Sourires) C'est la volonté politique qui fait défaut. La France ne peut renoncer à assurer elle-même, en ultime ressort, sa défense. C'est la condition de son indépendance et du maintien de l'esprit de défense sur le long terme.

La République française est confrontée au défi de l'islamisme radical, à ne pas confondre avec l'islam - il faut au contraire tout faire pour aider les peuples musulmans à trouver leur place dans le monde. La sophistication des armements n'est pas une réponse suffisante. La bonne réponse est d'abord humaine et politique. Gardons-nous de la course à la technologisation. Nous avons besoin d'hommes à l'image des Lyautey, des Gallieni, des Charles de Foucauld, qui savent nouer des contacts et comprendre les autres civilisations. La défense repose toujours, en dernier ressort, sur un facteur humain et sur l'étroite union du peuple et de son armée. (Applaudissements à gauche et sur plusieurs bancs à droite)

M. André Trillard .  - La venue du Premier ministre illustre l'importance de ce débat. Le Livre blanc guide nos futures orientations stratégiques et militaires. L'exercice est difficile, tant la dynamique à mettre en place sera complexe pour se conformer à ses prescriptions.

Depuis 2012, votre commission a publié pas moins de huit rapports et créé quatre groupes de travail pour préparer ce nouveau Livre blanc. Un mot de l'agression dont a été victime le chasseur Cédric Cordier, après que le maréchal des logis Ibn Ziaten a été assassiné. C'est la République, à travers eux, qui est visée. Il faut intensifier la lutte sur le territoire national, pour faire face à la nouvelle menace terroriste. Nous avons voté une loi l'hiver dernier, qui visait à poursuivre plus efficacement les personnes ayant suivi un entraînement terroriste à l'étranger. Alors qu'il semble que 200 djihadistes soient partis se battre en Syrie, le dossier complexe des armes mérite une extrême vigilance. Le renseignement doit avoir, aussi, toute sa place.

J'e viens à la question des ressources humaines. Sur les 24 000 postes à supprimer, l'armée de terre sera à n'en pas douter la plus touchée. Les élus locaux aimeraient savoir quelles implantations seront concernées. Quid du devenir humain de nos armées ? Depuis 1996, les bouleversements ont été tels qu'ils ont atteint l'identité même de nos armées. Vingt ans après la suppression du service militaire, il faut recentrer la politique de ressources humaines du ministère autour du soldat et revenir aux fondamentaux. La pyramide des âges exige d'anticiper. La professionnalisation pose aussi le défi de la réintégration des soldats dans la vie civile. Le turn over des personnels impose un rythme soutenu de recrutement, sachant que l'on ne s'engage plus pour la vie. L'armée doit donner envie d'elle-même, même si elle peut être aussi une école de la seconde chance ou une bouée de secours. Les possibilités de formation sont multiples. Il faut aller plus loin et prévoir une valorisation des acquis professionnels, pour une reconversion valorisante.

Aujourd'hui, 90 % du trafic mondial se fait par voie maritime ; 48 000 bateaux de commerce circulent dans le monde. La France est une des deux premières puissances maritimes du monde, grâce à ses territoires ultramarins. Le général de Gaulle, dans son discours de Brest, fut en 1969 visionnaire. La France ne doit pas rester au port, d'autant que les États-Unis se recentrent sur l'axe Asie-Pacifique. Quid de la capacité de notre marine nationale à assurer la libre circulation dans les détroits et la protection des ZEE de nos outre-mer ? On ne peut laisser aucune réserve marine sans surveillance. Une politique plus intégrée, plus globale, plus volontariste des enjeux maritimes est une exigence. (Applaudissements à droite)

M. Gilbert Roger .  - Le président de la République a tenu l'engagement de 2012 : un nouveau Livre blanc a été élaboré pour tenir compte des bouleversements géostratégiques et économiques intervenus depuis 2008. Je salue la qualité des échanges qui l'ont précédé, et le souci stratégique qui l'anime, et que nous envie l'étranger.

Le Livre blanc garantit l'autonomie stratégique de la France malgré les contraintes financières Je me réjouis que le président de la République ait répondu au voeu des groupes politiques du Sénat, en maintenant notre effort de défense à 1,5 % du PIB. Notre budget demeure le deuxième en Europe, le sixième dans le monde. À 31,4 milliards, nous restons au niveau de 2012 et 2013, et l'effort sera poursuivi sur plusieurs années.

Cependant, la révision du format des forces se poursuit, avec la suppression de 24 000 postes. Bien que moindre qu'en 2009 - 54 000 postes sur la période 2009-2015 - je m'inquiète des conséquences sur nos bases de défense. Dans mon rapport coécrit avec André Dulait, j'ai constaté que la réforme avait été menée avec beaucoup de brutalité. (M. Jean-Yves Le Drian, ministre, acquiesce) Ce fut un bouleversement du quotidien pour tous les agents du ministère, et en particulier pour nos unités combattantes. Les modes ancestraux de fonctionnement ont été bouleversés, tandis que la nouvelle carte militaire a été un choc très rude pour bien des collectivités territoriales, surtout à l'est ; elles y ont aussi perdu leur bureau de poste ou leur école et ont dépensé beaucoup pour créer des activités de substitution dont la pérennité n'est pas garantie.

Une nouvelle réduction de la carte de nos bases de défense aurait des conséquences dramatiques pour la croissance et l'emploi, car ces bases font aussi vivre des civils et leurs familles, des artisans, des commerçants, des PME... On peut craindre le départ des populations et une augmentation du chômage dans des territoires déjà fragilisés.

De nouvelles suppressions d'emplois pèseraient sur le moral des troupes et annihileraient les efforts de mutualisation déjà consentis. Certes, le format des bases ne tire pas tout le bénéfice possible du concept d'embasement, mais se contenter de transformer des bases en antennes ne produirait guère d'économies. Il faut mener la réflexion au plus près du terrain, avec les états-majors et les officiers supérieurs, avec des objectifs compréhensibles par tous. Nous travaillerons, lors de la loi de programmation militaire, à éviter la désertification militaire pour préserver le lien entre l'armée et la Nation. (Applaudissements à gauche)

M. Jacques Gautier, pour la commission des affaires étrangères .  - J'ai eu l'honneur de représenter le Sénat à la commission du Livre blanc. Merci à tous ceux, ici, qui m'ont fait confiance. Je salue l'engagement du président Carrère et de mon complice Daniel Reiner, avec qui nous savons travailler au-delà de nos différences dans le respect et l'amitié.

Il importe de se concentrer sur la question de la méthode, pour en faire une critique raisonnée et constructive.

Toute démarche stratégique passe par une phase de réflexion, d'analyse stratégique, puis une phase d'action relative au format des armées et à la stratégie d'acquisition des équipements nécessaires - c'est la politique de défense. Celle-ci ne prend sa dimension que sur le très long terme. Le traité de Lancaster House nous engage pour 50 ans, durée qui est aussi peu ou prou celle de la vie des équipements. On ne peut pas changer sans cesse de braquet. Nos décisions à venir dans la loi de programmation militaire et la loi de finances nous lieront pour longtemps.

Dans l'analyse stratégique, on confronte la prospective de défense, les moyens en hommes et en crédit et les ambitions de défense.

L'intérêt du Livre blanc est de dépassionner le dialogue difficile entre le ministère du budget et celui de la défense, d'être élaboré par un arbitre neutre et indépendant pour éclairer les arbitrages de l'exécutif. En période de disette, il faut choisir avec d'autant plus de pertinence. Le Livre blanc est une charnière entre la réflexion et l'action ; document des grandes orientations, il doit être clair sur nos ambitions, afin que nul n'en ignore, ni nos amis, ni nos ennemis.

La méthode utilisée a été la même qu'en 2008, à ceci près que les membres de la commission de 2013 ont été privés de visibilité sur l'enveloppe budgétaire. Je le dis avec gravité et un peu de colère. Au pays de Descartes, comme dans celui de John Locke, il n'est pas de bonne méthode de parler d'ambition sans parler de moyens. D'où un flou sur le format et plus encore sur la stratégie d'acquisition, qui a obligé les services - terme vague et indéfini - à effectuer le travail en rétropédalage et dans la précipitation. Vous me direz, monsieur le ministre, que les arbitrages n'étaient pas rendus ; je n'en crois rien car l'équation budgétaire retenue est la même que celle indiquée dans la loi de programmation des finances publiques de l'automne : zéro valeur, soit une diminution en termes réels des dépenses de défense. Mon collègue député Christophe Guilloteau et moi-même aurions dû démissionner... Nous ne l'avons pas fait par respect pour nos soldats et conscients de l'intérêt national.

La commission du Livre blanc ne doit plus perdre son temps à élaborer une analyse géostratégique du monde - qui est conduite régulièrement par des organismes dont c'est le métier. Les membres de la commission ne sont pas des spécialistes de géopolitique ou de polémologie et la prospective de défense venait d'être actualisée -  a-t-elle recentrée au motif qu'elle avait été élaborée sous la précédente majorité ? Autre observation, le découpage en groupes de travail nuit à la vision d'ensemble. Ces groupes devraient au moins travailler en synergie, sauf à risquer d'additionner des plaidoyers pro domo, tous fort intéressants, mais qui perdent de vue le fil de l'intérêt général. S'il est légitime, enfin, que le président de la République ait le dernier mot, les rétropédalages de dernière minute doivent être proscrits.

Le prochain Livre blanc devra être plus bref, plus dense. La stratégie américaine tient en huit pages, celle du président russe en deux ; et celle de Ben Gourion pour Israël tenait en une page et est toujours valable. Au pays de Blaise Pascal, sachons aller à l'essentiel ! (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères .  - La commission du Livre blanc a travaillé de longs mois et ce que je regrette surtout pour ma part, c'est qu'elle ait dû conclure trop vite. Nous voulions voir renforcée la représentation parlementaire au sein de la commission : le président de la République nous a entendus.

Un mot sur le groupe de travail relatif au renseignement, où participaient, es qualités, les deux présidents des commissions des affaires étrangères du Parlement. Pour que soit représentée l'opposition, deux parlementaires ont été ajoutés.

Les arbitrages budgétaires ? Mais jamais une révision du Livre blanc ne s'était déroulée dans un tel climat économique. Il était légitime d'avoir en main tous les arguments politiques en matière de défense pour obtenir l'arbitrage du président de la République. C'est dans ce sens que nous nous sommes tous battus. Je crois que nous avons fait oeuvre utile pour notre défense. (Applaudissements à gauche)

M. Daniel Reiner, pour la commission des affaires étrangères. .  - Je veux dire ma satisfaction toute simple d'avoir représenté le Sénat à la commission du Livre blanc. Merci à mes collègues de m'y avoir désigné. Au terme de six mois de travaux, j'ai le sentiment du devoir accompli. Nous avons porté la voix de notre Haute assemblée, notamment nos travaux sur nos capacités industrielles, conduits par M. Pozzo di Borgo. Comme M. Gautier, j'ai été frustré de devoir attendre les arbitrages...

Sur le fond, cette révision avait nourri, eu égard au contexte budgétaire, des inquiétudes. L'arbitrage rendu par le président de la République est un moindre mal : le budget de la défense contribuera au redressement des comptes publics ni plus ni moins que les autres - plutôt moins, d'ailleurs. Il ne sera pas une variable d'ajustement. Je salue l'engagement du ministre, qui a pesé dans l'exercice.

La révision était nécessaire tant la situation avait changé depuis 2008. Néanmoins, en matière d'options stratégiques, c'est la continuité qui prévaut. Le Livre blanc marque, pour moi, la fin d'une époque celle où l'on pouvait réduire encore la voilure tout en maintenant notre autonomie et en faisant une large place aux industriels nationaux dans notre stratégie d'acquisitions.

En matière stratégique, ce Livre blanc acte la réintégration de la France dans le commandement intégré de l'Otan, où le rapport de M. Védrine nous invite à prendre toute notre place - on peut être membre de l'Alliance et rester indépendant.

Le Livre blanc appelle à une relance pragmatique de la politique européenne de défense et de sécurité commune. Il précise que nous devons disposer d'une capacité d'appréciation des situations et d'une complète indépendance de décision et d'action. Le dialogue avec l'Union européenne vise à substituer à une dépendance subie des interdépendances organisées, à concilier souveraineté et dépendance mutuelle. Jolies formules, mais qui perdent leur sens quand on diminue les crédits année après année. S'il faut diminuer les dépenses, faisons à plusieurs ce que l'on devient incapable de faire seul.

Ce qui m'amène à la question du format. Le maintien de notre force de dissuasion nucléaire dans l'intégralité de ses deux composantes est une satisfaction, comme la préservation des forces spéciales et du renseignement et l'accent mis sur la cyberdéfense. Je me réjouis de votre décision, monsieur le ministre, sur les drones Male ; l'indécision n'était plus tenable. Je m'inquiète, en revanche, de la nouvelle décrue des effectifs ; 24 000 emplois, c'est un effort énorme, que nous devons réaliser avec le plus grand respect pour les hommes.

J'en viens aux équipements. Le devenir de certains programmes m'inquiète. Etaler trop largement celui de l'A400M serait un bien mauvais signal pour l'Europe de la défense, comme la réduction de sa cible. S'il faut réduire celle du MRTT, lançons un appel d'offres européen pour faire baisser les prix, constituons une unité multinationale. « Accepter des dépendances librement consenties », dit le Livre blanc...

Sur les stratégies d'acquisition, le Livre blanc ne marque guère de progrès. Il ressemble à un catalogue de bonnes intentions et n'indique pas clairement la stratégie de l'État. En période de disette, concentrons les crédits sur les capacités les plus critiques tout en restant cohérent. Rien de sert d'avoir des Rafale ou des Tigre s'ils ne sont équipés des armes adéquates. Je m'inquiète du délaissement de la filière optronique française.

Appuyons-nous enfin davantage sur le réseau de nos PME. Est-il normal qu'un outil produit par un sous-traitant pour 7 euros soit revendu à 450 euros par un grand groupe ? On passe des appels d'offres pour des boulons mais les grands contrats se passent de gré à gré... Le temps est venu de concentrer l'intervention de la DGA sur les grands programmes, en laissant plus de place, pour le reste, aux états-majors et aux solutions innovantes. L'État ne doit pas renoncer à lutter contre l'augmentation constante des coûts des équipements.

Le Livre blanc, qui reflète la continuité des orientations stratégiques de la France comme les difficultés de l'époque, marque la fin d'une politique qui s'efforçait de concilier l'inconciliable. Monsieur le ministre, vous vous dites pragmatique ; vous avez raison. Pragmatique : de pragma, la preuve. La vérité est dans l'action. Nous jugerons sur les actes, pas sur les promesses, et sommes à vos côtés pour que les actes viennent. (Applaudissements)

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères.  - Les choix auxquels procède le Livre blanc sont fondamentaux. Il y va de la sécurité de nos concitoyens, de notre place dans le monde, de la défense, partout, de nos intérêts. Le président de la République a confirmé les orientations de ce Livre blanc devant l'Institut des hautes études de défense nationale. Ses annonces vont dans le sens d'une plus grande implication parlementaire et d'une plus grande transparence, je m'en félicite.

En juillet 2012, nous avons adopté, à l'unanimité, dix rapports qui ont été autant de contributions aux travaux de la commission du Livre blanc. Ce consensus témoigne, non d'un affadissement des opinions, mais d'un esprit de responsabilité dès lors que les intérêts nationaux sont en jeu.

La tentation était grande d'appliquer une logique comptable. C'était oublier que la défense n'est pas une dépense publique comme les autres, puisqu'elle est le garant de notre sécurité, donc de notre prospérité d'aujourd'hui et de demain. C'est pourquoi nous avions repris le mot d'ordre truculent de Danton en 1792 : « la patrie est en danger » car sa défense l'est. Notre cri a été entendu. Tous les groupes du Sénat, à l'exception des écologistes et de l'abstention positive du groupe CRC, ont soutenu notre position.

Je salue l'action de M. Le Drian, qui a mené la bataille avec les résultats que l'on sait. L'engagement du président de la République fait prévaloir l'intérêt supérieur de la Nation, en cohérence avec ses déclarations de candidat. Dans un de nos rapports de juillet intitulé Forces armées : un format juste insuffisant, nous dénoncions la déflation continue des objectifs : nous avons réussi à préserver l'essentiel, en fixant un plancher à la baisse des dépenses. Mais si le montant annoncé donne un coup d'arrêt à la dégradation, nous ne renonçons pas à l'objectif de 2 % de PIB en normes Otan. (Applaudissements sur divers bancs)

M. Jeanny Lorgeoux.  - Très bien.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères.  - Le chemin passe par l'Europe et des partenariats ; en vue du prochain conseil de décembre, notre commission entend être une force de proposition. Ce sera d'ailleurs le thème des universités d'été de la défense qui se tiendront à Pau et auxquelles je vous invite. La France doit tirer le meilleur parti de la construction européenne et de sa participation à l'Alliance.

Ce débat est une étape dans un processus qui appellera toute notre vigilance dans les années à venir. Le président de la République a fixé le cap : le meilleur possible pour nos forces armées. La loi de programmation militaire devra respecter les orientations du Livre blanc : nous y serons attentifs et je sais, monsieur le ministre, que vous y veillerez. Je veux dire ici à Mme Aïchi que les recettes exceptionnelles prévues sur la précédente programmation ont bien été encaissées à hauteur de 3 milliards d'euros.

Si les engagements n'étaient pas à la hauteur, ce sera au budget général, comme pour les Opex, de remettre les moyens à flot. Il faudra inscrire une clause de revoyure en 2016 pour dresser le bilan de la loi de programmation militaire à mi-parcours. Je n'aurai pas la cruauté de rappeler ce qu'a été l'exécution des lois précédentes...

Nous serons très attentifs aux mesures concernant le personnel, en particulier celles qui doivent éviter le risque de judiciarisation et celles qui doivent accompagner les restructurations. Toute notre attention portera sur l'exécution et le suivi de la loi de programmation militaire.

« Ce que j'exige est que nos engagements soient tenus dans la durée, cela marquera une certaine évolution par rapport au passé » a déclaré le président de la République, le 29 avril dernier.

Beaucoup de travail, nous attend. C'est dans cet esprit de satisfaction et de vigilance, que notre commission vous soutiendra, à condition que vous respectiez la parole donnée ! (Applaudissements sur les bancs socialistes, RDSE, UDI-CU et UMP)

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense .  - Merci pour la qualité et la pertinence de vos interventions ; un salut particulier a MM. Gautier, Reiner et Carrère pour leur participation active à la commission du Livre blanc. Je partage certaines de leurs remarques, en particulier sur le temps de latence. En revanche, monsieur Gautier, tout n'était pas joué : la discussion et les négociations budgétaires se poursuivaient.

L'exercice, délicat, imposait de résoudre deux enjeux de souveraineté : notre souveraineté budgétaire entamée par la crise et notre souveraineté militaire, dont la préservation exigeait que l'on ne baisse pas la garde. L'équation était délicate. Finalement, tous les propos sur les risques de déclassement de la défense ont été démentis : le budget de nos armées ne sert pas de variable d'ajustement, il contribuera moins au redressement des comptes publics que d'autres, tout en étant maintenu, monsieur Chevènement, non seulement pour 2013 mais aussi pour 2014 et 2015. Résultat, la France y consacrera 1,76 % de son PIB, selon la norme Otan ; c'est mieux que les références annoncées à l'automne.

Le Livre blanc assure aussi la continuité des missions de protection, de dissuasion et d'intervention de nos armées. À M. Chevènement, à Mmes Demessine et Aïchi, je veux dire que la dissuasion est consacrée dans sa capacité, conformément au principe de stricte suffisance parce qu'elle seule nous protège d'agressions étatiques. Je le dis avec force, comme je rappellerai que la France a fait son devoir en matière de désarmement en réduisant entre autres ses têtes à 300. La dissuasion est d'autant plus nécessaire que nous faisons face simultanément aux menaces de la force et aux risques de la faiblesse, le Premier ministre l'a rappelé dans son discours, à quoi s'ajoute le risque de surprise stratégique, comme l'a évoqué M. Pintat. Ce choix, que contestent certains experts militaires, sera poursuivi, j'en suis persuadé, dans les prochaines lois de programmation militaires. Certains se sont inquiétés de nos capacités d'intervention mais nous sommes les seuls à posséder une capacité d'entrée en premier et de tenir une intervention dans la durée.

Les 66 000 hommes de la force terrestre permettent de projeter, dans la durée, 6 000 à 7 000 hommes sur trois théâtres d'opérations en même temps. Auxquels s'ajoutent les 15 000 hommes prévus en cas d'opération coercitive majeure. Ce sont au total 20 000 hommes quand la loi de 2008 en prévoyait 30 000 ... sur le papier.

Les missions essentielles sont donc maintenues. Au reste, plus personne ne parle de déclassement stratégique.

Un mot des recettes exceptionnelles. Je ne doute pas qu'elles pourront être mobilisées : 1,3 milliard en 2013, les recettes sont donc au rendez-vous. Elles viendront de trois sources, dont la cession d'actifs - et pas seulement militaires - et la vente de fréquences hertziennes. Le président de la République a pris des engagements qui devraient dissiper tous les doutes.

Si je ne peux répondre à toutes les questions, j'y reviendrai en commission. J'ai noté les six commandements de M. Gautier au premier chef desquels « Le Sénat, tu écouteras ». À preuve, les travaux de votre commission, monsieur Carrère, ont porté des fruits. Les crédits de la recherche, dont j'ai relevé le niveau en 2013 par rapport à 2012, seront sanctuarisés. J'ai pris note de vos commentaires sur les pièces de rechange. Le risque est de se placer sous la pression de la technologie en faisant de notre armée une armée d'échantillons technologiques. L'équilibre est à rechercher dans la différenciation. Évidemment, cela induira des délais plus longs dans les commandes ; nous avons cependant veillé dans le Livre blanc à éviter les ruptures dans la production. Et mieux vaut moins de Tigre avec plus de pièces de rechange que l'inverse.

J'ai pris une décision sur les drones quand j'ai disposé de la lisibilité financière suffisante. Cette décision était nécessaire : nous dépendons du bon vouloir des Américains au Mali pour obtenir des informations. Cet achat sur étagère de drones américains ne nous dispense pas de préparer les drones européens de troisième génération avec les Britanniques, qui y sont prêts, et peut-être avec les Allemands.

L'A400M participe du renouvellement de notre capacité de transport. Tout laisse à penser - je suis prudent - que le premier appareil devrait être livré avant le 14 juillet. Il faudrait élargir l'EATC, le club de l'A400M, dans une optique de mutualisation. Cela constitue, à mes yeux, une première étape de l'Europe de la défense. M. Reiner a parlé de pragmatisme ; quittons les discours incantatoires et préférons à l'Europe de la défense, un concept qui a échoué, une défense européenne en matière opérationnelle et industrielle. Allégeons la chaîne de commandement sur le modèle du corps expéditionnaire franco-britannique qui sera mis sur pied en 2016 ou du projet Atalante. La défense européenne, autrefois un voeu, devient une nécessité.

À propos d'alliance, madame Demessine, puisque nous sommes dans le commandement intégré de l'Otan, ne soyons pas le passager clandestin de cette organisation ; prenons-y, comme le préconise le rapport Védrine, toute notre place en essayant d'infléchir les doctrines, tout en gardant notre autonomie de stratégie et de décision comme nous l'avons fait pour le Mali.

La cyberdéfense, qui était une indication dans le Livre blanc de 2008, est transformé en une véritable capacité militaire.

Monsieur Trillard, nous sommes en phase sur les grands enjeux de la mer pour demain : faire respecter le droit, lutter contre les actes illégaux tels que la piraterie et mener des opérations depuis la mer. L'enjeu maritime est mis en exergue dans le Livre blanc de 2013, ce qui n'était pas le cas dans celui de 2008. Les accords avec l'Afrique doivent, effectivement, être revus pour plus de flexibilité et de souplesse ; nous y reviendrons lors de l'examen de la loi de programmation militaire.

Terminons par les hommes et les femmes de la défense, qui représentent l'essentiel, car ils nous protègent au péril de leur vie, dans l'ombre, car la discrétion est une composante de l'efficacité de la défense. La plate-forme que nous avons mise en place pour le Livre blanc a reçu 7 000 contributions de militaires et 300 000 visites ; nous en ouvrirons une pour la loi de programmation militaire.

Je sais qu'il faudra les accompagner, poursuivre les recrutements et la formation. Je salue, comme vous, leur engagement et leur courage ! (Applaudissements)

M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur .  - Le Parlement doit être associé à notre politique de défense et de sécurité nationale, dont M. Le Drian a rappelé avec talent les grandes lignes.

Le concept de sécurité nationale, qui transcende les frontières, traduit la nécessité de prendre en compte l'ensemble des risques, qui pèsent sur la vie de la Nation et de ses ressortissants, et implique l'association du ministère de l'intérieur à l'élaboration du Livre blanc ; l'affaire Merah et l'assassinat d'un militaire à Londres soulignent la constante de la menace terroriste. Avec les douanes et l'aviation civile, le renseignement permet d'identifier et de démembrer les réseaux. L'arsenal juridique, en constante évolution, autorise désormais à poursuivre des Français comme Gilles Le Guen, engagés dans des actions terroristes à l'étranger. Je me réjouis du vote quasi unanime du Parlement sur la loi du 22 décembre dernier quand nous devons nous mobiliser pour enrayer les départs de jeunes vers la Syrie.

Conformément aux préconisations de l'audit de la DCRI, réalisé après l'affaire Merah, l'IGPN a préconisé de créer une inspection du renseignement intérieur, de renforcer l'articulation entre niveau national et antennes locales et de former des bureaux de liaison. L'heure est au renforcement des moyens avec le recrutement de linguistes, d'analystes, d'experts...

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères.  - Très bien !

M. Manuel Valls, ministre.  - La question de la création d'une direction générale du renseignement intérieur, soulevée par M. Urvoas, est posée. Je ne vous cache pas mon intérêt.

Le contrôle parlementaire, sur lequel vous parvenez à des conclusions différentes de celles des députés, est un autre sujet de débat. La récente loi antiterroriste prévoit des rendez-vous.

Il faut lutter contre le terrorisme en apportant une réponse globale à une menace organisée. Car si nous avons un ennemi extérieur - des Etats, des organisations terroristes - il existe aussi un ennemi intérieur : je vous renvoie à l'affaire Merah, mais aussi au démantèlement de filières vers la Syrie ou encore au phénomène d'autoradicalisation qui a poussé un jeune Français à aller en Belgique poignarder deux policiers belges. Le plan Vigipirate repose sur un principe de responsabilité partagée entre État, collectivités, opérateurs et citoyens, un principe de réponse graduée incarnée par trois couleurs. Depuis 2005, nous sommes au niveau rouge. Ce dispositif sera modernisé pour en conforter l'efficacité ; le Livre blanc en prend acte comme il entérine la nouvelle cybermenace. Le ministère de l'intérieur, qui dispose d'un des trois centres de cyberdéfense, participera au renforcement de la protection des réseaux de l'État.

Le Livre blanc invite à mobiliser tous les savoir-faire, notamment dans les collectivités territoriales et chez les opérateurs, car ils contribuent à la capacité de résilience de la Nation. L'intérieur est également engagé dans la réflexion sur les réservistes, dont on sait le rôle aux Antilles.

Dernier sujet, la gestion de crise qui exige une capacité à mobiliser de plus en plus d'acteurs. Nous vivons dans un monde de réseaux où les interdépendances relativisent la notion de frontières. C'est un danger, mais ce peut aussi être un atout, en favorisant des partenariats et au premier chef en Europe. Car un projet européen, qui peut être validé dans le cadre juridique existant, apportera plus de sécurité à nos concitoyens.

Tels sont les défis qui nous attendent et que le ministère de l'intérieur veut contribuer à relever ! (Applaudissements)

Le débat est clos.

Déblocage exceptionnel de la participation et de l'intéressement (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant déblocage exceptionnel de la participation et de l'intéressement.

Discussion générale

M. Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation .  - Les députés ont proposé le déblocage exceptionnel de l'épargne salariale durant six mois ; c'est cohérent avec la politique menée par le président de la République : restaurer la compétitivité des entreprises avec le nouveau crédit d'impôt et redresser le pouvoir d'achat des Français qui a accusé une forte baisse.

Le déblocage exceptionnel de l'épargne salariale, auquel le président de la République s'était engagé en mars dernier, concernera 4 millions de Français et 90 milliards d'encours.

L'Assemblée nationale a ciblé l'utilisation de ces sommes débloquées sous un plafond de 20 000 euros, vers l'achat de biens et de services - le groupe UDI-UC veut aller plus loin en restreignant le dispositif à l'achat de services, parce que cela servira l'emploi local. Nous y sommes défavorables parce qu'acheter une cuisine ou une véranda revient à acheter à la fois un bien et un service - celui de l'installateur. Certes, les services ne sont pas délocalisables ; mais un bien importé crée des emplois dans la grande distribution, sans parler des automobiles qui peuvent aussi être fabriquées par nos constructeurs nationaux.

Ministre de l'économie locale et solidaire, je signale que se développe une filière de la réparation des biens d'équipement alimentée par ces achats.

Le mérite de ce texte est de fixer une période de six mois, du 1er juillet au 31 décembre avec deux garde-fous : nous excluons l'épargne en vue de la retraite, les Perco, et les fonds dédiés aux entreprises sociales et solidaires, plus patientes, qui nécessitent un soutien financier dans la durée.

Participation et intéressement ne sont pas des salaires différés, mais des outils de partage du profit.

Cette mesure exceptionnelle ne préjuge pas de la réforme à venir, avec l'installation du Conseil de l'orientation, de la participation, de l'intéressement, de l'épargne salariale et de l'actionnariat des salariés (Copiesas)...

Mme Isabelle Debré.  - Créé ici au Sénat !

M. Benoît Hamon, ministre délégué.  - ... qui répondra à trois objectifs. Élargir, tout d'abord, le bénéfice de l'épargne salariale : 8,8 millions de salariés en bénéficient aujourd'hui, mais moins d'un salarié sur cinq dans les entreprises de moins de vingt salariés y ont accès, contre deux sur trois dans les grandes. La réforme doit élargir le régime, sans faire de la participation un palliatif au salaire ; ils ne contribuent pas de la même manière au financement de la sécurité sociale. Simplifier, ensuite, car le dispositif est devenu extrêmement complexe. Quel est le bon niveau d'association des salariés au profit, telle est la question à laquelle il nous faudra répondre avec les partenaires sociaux. Les 90 milliards d'encours, enfin, doivent aller aux investissements productifs, pour en finir avec la trappe à liquidités tant dénoncée.

Mesure de consommation, de soutien à l'activité, donc. Restreindre son application n'aurait pas d'impact sur l'économie, et irait à l'encontre des intérêts du citoyen et de l'emploi. C'est une mesure de bon sens, qui sera utile à l'un et à l'autre. (Applaudissements à gauche)

Mme Anne Emery-Dumas, rapporteure de la commission des affaires sociales .  - Nous examinons cette proposition de loi dans un contexte particulier : après trois ans de dégradation continue, la consommation des ménages et le pouvoir d'achat de nos concitoyens ont atteint un plancher, ainsi qu'en témoignent les récents chiffres de l'Insee.

Alors que la conjoncture reste difficile, il s'agit ici de conforter la stratégie de croissance du Gouvernement, en permettant aux salariés de débloquer les revenus de la participation et de l'intéressement, en leur maintenant les avantages sociaux attachés. Ce n'est pas une première : quatre dispositifs de ce type ont été adoptés dans les années passés. Mais celui-ci se distingue par un spectre plus large et un meilleur encadrement.

Les dispositifs de 2005 et 2008 ne concernaient que la participation. Or les PME et TPE recourent plus souvent à l'intéressement, plus facile à mettre en oeuvre. Les salariés pourront débloquer les sommes entières, quelle que soit leur année. L'utilisation de ces sommes, enfin, sera fléchée.

Ambitieux, ce dispositif, qui concerne 90 milliards d'encours, est très encadré. Il exclut les sommes placées sur les Perco, indispensables complément de retraite pour les salariés les plus modestes, ainsi que les sommes investies dans les entreprises sociales et solidaires. Il conditionne le déblocage des fonds investis dans l'acquisition de titres d'entreprises et dans des parts de Plans d'épargne entreprise (PEE) à la signature d'un accord collectif, afin de ne pas mettre en péril les fonds propres des entreprises.

L'Assemblée nationale a ajouté à ces précautions le fléchage des sommes vers l'achat de biens et de services, pour éviter un simple report vers les supports d'épargne plus liquides ou plus rémunérateurs. Elle a prévu un dispositif de contrôle allégé, qui me paraît équilibré. Les salariés devront tenir les justificatifs à disposition de l'administration. Cela doit suffire à prévenir les abus.

Cette mesure n'est pas la panacée mais elle est bienvenue alors que les réformes structurelles engagées par ce gouvernement commencent à peine à se faire sentir. Je regrette donc que la commission des affaires sociales l'ait rejetée. (Applaudissements à gauche)

Mme Isabelle Debré .  - Le 28 mars dernier, le président de la République annonçait le déblocage exceptionnel de l'épargne salariale afin « de relancer la consommation ». Je regrette que cela se traduise par une proposition de loi, et non un projet de loi, qui aurait été accompagné d'une étude d'impact, et que l'on n'ait pas attendu la création de Copiesas. J'observe que la majorité n'est guère soudée sur cette question : le texte a été rejeté en commission.

En 2004 et 2008, la gauche s'était fermement opposée à des mesures de même nature. M. Godefroy y voyait « un grand classique des périodes de ralentissement de l'économie », un « montage trompeur destiné à masquer l'inefficacité de la politique du Gouvernement ». Mme Le Texier s'exclamait : « Faire passer une baisse de l'épargne pour une augmentation du pouvoir d'achat, il fallait oser ! » Quant à Mme Bricq, elle le considérait comme un « très mauvais signal donné à l'épargne salariale ».

Comme gaulliste, je rappelle que la participation avait clairement pour objectif la réconciliation entre capital et travail, en associant les salariés au résultat de l'entreprise. Elle n'est en aucun cas une substitution de salaire.

Depuis mai 2012, vous matraquez les classes moyennes par une politique fiscale confiscatoire, vous détricotez la politique mise sur pied par la précédente majorité en faveur du travail, comme la défiscalisation des heures supplémentaires. Votre seule initiative en faveur des salariés consiste à reprendre une mesure qui n'a fait ses preuves ni en 2004 ni en 2008, sous des gouvernements que je soutenais. En 2004, sur les 7 milliards dégagés alors, à peine 2 milliards avaient été injectés dans des consommations nouvelles. Même tableau en 2008. Ce n'est qu'un effet d'annonce, qui ranime le mythe éternel de la relance de la croissance par la consommation. Croyez-vous donc qu'en temps de crise, les Français vont se précipiter pour consommer ? Il eût d'abord fallu leur rendre la confiance.

Vous retenez, de surcroît, un plafond très élevé, à 20 000 euros, quand la moyenne des comptes d'épargne salariale atteint 7 500 euros. Nous proposons des amendements le ramenant à 10 000 euros et limitant les possibilités de déblocage aux fonds monétaires pour préserver les fonds propres des entreprises. Nous proposerons également de simplifier le contrôle, pour remédier aux insuffisances du mécanisme impraticable retenu par l'Assemblée nationale.

Relancer la consommation par le pouvoir d'achat ? C'est une fausse bonne idée, comme l'ont montré les expériences passées. Alors qu'une réforme des retraites se profile, mieux vaudrait inciter nos concitoyens à préparer sereinement leur retraite grâce à l'épargne salariale. Nous ne pourrons adopter ce texte si nos amendements sont rejetés. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Dominique Watrin .  - La politique d'austérité entraîne notre pays dans une spirale récessionniste. La consommation des ménages continue sa chute, témoignant d'un changement de comportement des consommateurs, qui renoncent à acheter par prudence ou parce qu'ils ne peuvent le faire.

La financiarisation de l'économie, les salaires hors de limite des patrons, la précarisation des salariés, tout converge pour nous entraîner dans une spirale fatale. Sans parler de l'Accord national interprofessionnel, qui autorise les employeurs à compresser les salaires jusqu'à 1,2 smic sous menace de licenciement.

C'est dans ce contexte que vous proposez cette mesure à un coup, qui laisse le Gouvernement sans aucun levier supplémentaire. En 2014, comment aiderez-vous les salariés à consommer des produits français de qualité, alors qu'ils en sont à renoncer à certains soins ?

On ne peut non plus ignorer les expériences malheureuses du passé. En 2004, sur 7,5 milliards, seuls 2,5 milliards ont été réinjectés, le reste étant placé sur d'autres supports d'épargne. La crise économique aidant, tout laisse à penser que les salariés d'aujourd'hui ne réagiront pas autrement.

Seul satisfecit, ce texte témoigne que le Gouvernement commence à nous rejoindre sur la question de la relance par la consommation. Mais dans le même temps, il renonce à limiter le salaire des patrons, en misant sur une fort hypothétique autorégulation. Vous auriez mieux fait de nous suivre, lorsque nous proposions d'établir une échelle de 1 à 20 dans la grille des salaires des entreprises.

La crise ? Les actionnaires du CAC 40 ne la sentent pas, qui ont fait des salaires la variable d'ajustement de leurs dividendes, il suffit de voir les annonces récentes de M. Lagardère.

Décidément, ce texte ne va pas assez loin. Le groupe CRC s'abstiendra. (Applaudissements sur les bancs CRC)

présidence de M. Jean-Léonce Dupont,vice-président

M. Hervé Marseille .  - La manière dont ce texte a été présenté en commission montre bien ses limites. La mesure, qui n'est pas nouvelle, est circonstancielle et n'exonère pas d'une réforme de l'épargne salariale. Tout est dit ! Rien d'étonnant que le texte ait été rejeté par notre commission. Que n'avez-vous tiré, monsieur le ministre, les leçons des expériences passées ! Cette mesure ne relancera pas la consommation. Le multiplicateur keynésien restera faible, quand notre pays souffre d'un problème d'offre et non de demande.

C'est bien plutôt ces 30 milliards retirés aux ménages qui ont contribué à mettre la consommation en berne. De plus, la mesure est contradictoire avec votre décision de relever le forfait social dans la dernière loi de financement de la sécurité sociale.

C'est l'insuffisance d'investissements productifs qui déprime la croissance et, partant, le pouvoir d'achat des ménages. Le déblocage de la participation risque de fragiliser les fonds propres des entreprises, quand il faudrait les conforter.

Les mesures précédentes étaient limitées. Celle-ci, beaucoup plus large, fait craindre des effets désastreux sur notre économie. Et comment garantir que ces sommes seront effectivement consacrées à la consommation ? L'Assemblée nationale a certes encadré le dispositif, mais il devrait encore être resserré pour ne concerner que les services et les biens, et non d'autres produits d'épargne. Toutefois, le déblocage représenterait une perte de valeur économique s'il servait surtout à acheter des biens produits à l'étranger ; nous défendrons un amendement pour restreindre l'achat possible à des services, car ceux-ci ne sont pas délocalisables.

Notre position dépendra du sort qui sera réservé à nos amendements, mais je crains que la messe ne soit dite. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Yvon Collin .  - Nos concitoyens ont la tête sous l'eau. Le sujet mérite le plus grand sérieux. Faut-il rappeler les chiffres de l'Insee ? Moins 0,4 % de pouvoir d'achat en 2012... Les responsabilités sont très largement partagées. Les causes sont multiples : le ralentissement de l'activité, le renchérissement des loyers et du coût de l'énergie, les hausses d'impôts. Le moral des ménages est au plus bas. Ce texte contribuera à leur sortir la tête de l'eau, même s'il doit s'inscrire dans un dispositif plus large. Relancer la croissance, c'est aussi rétablir la compétitivité de nos entreprises.

Des réformes courageuses ont déjà été engagées, que notre groupe a soutenues. C'est grâce à une telle politique que l'on retrouvera une croissance durable. Le rapport Gallois doit être notre référence. En attendant, cette mesure est une bouffée d'oxygène. Les salariés des PME seront plus largement concernés qu'auparavant. L'Assemblée nationale a évité les écueils, en fléchant l'utilisation des sommes débloquées et en prévoyant un dispositif de contrôle, sur l'application duquel on peut néanmoins s'interroger, car qu'en sera-t-il quand le salarié effectuera de multiples achats ?

Mme Isabelle Debré.  - Eh oui !

M. Yvon Collin.  - La mesure ne déstabilisera pas les entreprises car les précautions sont prises. Pour les sommes investies dans un fonds d'OPCVM, il faudra un accord collectif, les entreprises sociales et solidaires sont exclues.

Cette mesure, souple et efficace, sera un coup de pouce pour les ménages et les membres du RDSE, dans leur diversité, la soutiendront à l'unanimité. (Applaudissements à gauche et sur les bancs du RDSE)

M. Jean Desessard .  - Que disent les textes sur la participation et l'intéressement ? Que ceux-ci visent à associer les salariés aux résultats de l'entreprise ; les sommes ne sont donc pas un salaire différé. Toutefois, la reconnaissance de l'appartenance à l'entreprise devrait passer aussi par une meilleure participation des salariés aux choix stratégiques. Où en est-on, de ce point de vue ? Quid du contrôle des salariés, de la coparticipation dans le cadre du dialogue social ? Les Scop, qui résistent mieux à la crise que les autres, le doivent, comme l'a bien vu le ministre, à leur mécanisme de codécision. Chez elles, les salariés ne sont pas considérés comme de simples facteurs de production. Inspirons-nous en.

Avec cette proposition de loi, 20 000 euros pourront être débloqués, exemptés d'impôt sur le revenu et de cotisations sociales. Les sommes placées sur un Perco ou sur un fonds solidaire sont exclues dans un contexte particulier : la plus forte baisse du pouvoir d'achat des Français depuis 1984. Au moins quatre dispositifs similaires ont déjà été mis en place depuis 1994. Le dernier en 2008, n'a permis de débloquer que 3,4 milliards sur les 9 attendus. Craignons l'effet d'aubaine observé en 2004, quand 70 % des sommes débloquées ont été replacés sur d'autres supports. Souhaitons, enfin, que le fléchage porte ses fruits.

Le groupe écologiste apportera un soutien à ce dispositif exceptionnel, en rappelant qu'il attend beaucoup du projet de loi à venir sur la consommation. (Applaudissements sur les bancs écologistes, socialistes et du RDSE)

Mme Jacqueline Alquier .  - Le pouvoir d'achat des Français accuse une baisse de 0,4 % en 2012, ce qui n'était pas arrivé depuis 1984. Depuis un an, la majorité se mobilise pour relancer la croissance. Laissons le temps aux mesures prises de produire leurs effets, lesquels ne sont jamais immédiats. Entre-temps, cette proposition de loi aidera, en apportant un coup de pouce aux salariés. Si des mesures similaires ont échoué, rappelons qu'elles n'étaient pas encadrées comme cela est ici le cas. J'ajoute qu'un rapport d'évaluation à un an est prévu. Le groupe socialiste apportera son soutien à ce texte qui comble, temporairement, des difficultés liées à la crise en redonnant aux ménages quelques marges de manoeuvre.

Le déblocage porte aussi sur l'intéressement : les salariés des petites entreprises seront donc aussi concernés. Cela ne signifie pas que nous faisons de la participation et de l'intéressement des substituts au salaire. Ce texte doit au contraire nous alerter sur le déséquilibre dans la répartition de la valeur ajoutée. Quand les entreprises ont les moyens de procéder à des revalorisations salariales, elles doivent le faire et non pas distribuer des primes - à quoi le Gouvernement n'a pas voulu les autoriser.

Sont exclues du déblocage les sommes investies en Perco et dans l'économie sociale et solidaire, qui a créé 23 % quand le secteur privé ne créait que 10 % d'emplois nouveaux en dix ans. Ce n'est pas le moment de déstabiliser ce qui fonctionne bien.

L'Assemblée nationale a utilement clarifié le dispositif. Flécher les sommes est une garantie, quand on sait ce qui est arrivé en 2004. Les procédures de contrôle qu'elle a prévues éviteront l'effet d'aubaine. Nous n'avons pas demandé de contrepartie aux entreprises avec le CICE et retenu un mécanisme simple. Il doit en être de même ici. La participation et l'intéressement méritent d'évoluer. Car le nombre de bénéficiaires reste trop faible dans les entreprises de moins de 50 salariés, très nombreuses dans notre pays.

Il faudra réfléchir aux mécanismes d'incitation pour les salariés jeunes et modestes ; mieux protéger les salariés qui le sont le moins. Tel sont les objectifs qui doivent nous guider dans la réforme de l'épargne salariale comme ils nous ont guidés dans la création des emplois d'avenir ou des contrats de génération.

En attendant, ne négligeons pas les aspects positifs de cette mesure de déblocage exceptionnel à laquelle le groupe socialiste apporte son soutien. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Benoît Hamon, ministre délégué .  - Je comprends parfaitement que des formations au sein de la gauche évoquent les licenciements boursiers et les salaires des grands patrons. Mais je l'affirme : le Gouvernement ne confond pas d'une part participation et intéressement, qui sont des formes de répartition des profits et, d'autre part, salaire, qui rémunère le travail.

C'est bien pourquoi nous avons relevé le forfait social, sinon dans les Scop ; nous ne voulions pas qu'ils se substituent au salaire. Si je comprends ces désaccords, je ne comprends pas votre abstention sur un texte qui bénéficiera à nombre de salariés, alimentera l'activité donc favorisera l'emploi. La situation est telle que nous devons rechercher toutes les opportunités, aussi modestes soient-elles, de ranimer la croissance.

M. Roland Courteau.  - Et oui !

M. Benoît Hamon, ministre délégué.  - Je le dis aussi au groupe UDI-UC : on peut vouloir baisser les impôts, demander une réduction plus forte des dépenses publiques ; mais on ne peut contester que cette mesure injectera 3 milliards dans l'économie. Pourquoi se l'interdire ? Et pourquoi interdire d'acheter des biens fabriqués ici en limitant le plafond à 10 000 euros ? Une Picasso coûte 20 000 euros, une Mégane 18 000 euros...

Mes félicitations à Mme Debré : c'est la première fois depuis un an que je vois une parlementaire applaudie par le groupe UMP en ayant dressé un inventaire négatif de la politique de Nicolas Sarkozy.

Mme Isabelle Debré.  - C'est l'honnêteté.

M. Benoît Hamon, ministre délégué.  - Pas de chance pour moi, ce vous est un motif de ne pas voter ce texte... Je regrette que ce reproche ne vous amène pas à reconnaître que plus de la moitié des hausses d'impôt de 2012 sont imputables au gouvernement précédent...

Je vous invite à apprécier ce texte pour ce qu'il est. Le déblocage exceptionnel ne règlera pas tout, mais il créera de l'activité. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

La discussion générale est close.

M. le président.  - La commission n'ayant pas adopté de texte, le Sénat va examiner celui qui lui a été transmis par l'Assemblée nationale.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

M. Dominique Watrin .  - Nous nous inquiétons de la stratégie de croissance du Gouvernement. Le candidat Hollande avait promis une renégociation du traité européen ; il s'est contenté d'afficher un pacte de croissance dont les crédits étaient déjà engagés. En échange duquel les États sont priés par Bruxelles de mettre en oeuvre des réformes structurelles, comme celle du marché du travail... Voici revenu le dogme européen et « le diaphragme des protections dont la multiplication éloigne le citoyen de la dureté de la vie » - dixit en substance un ancien gouverneur de la Banque centrale. Nous sommes bien loin du programme du CNR quand les salariés, encore une fois, seront les premières victimes de la politique d'austérité.

J'ajoute que les Scop, qui représentent un modèle de gouvernance et de compétitivité, pourraient être déstabilisées par ce texte. Nous attendons plus de garanties.

M. le président.  - Amendement n°4 rectifié, présenté par Mme Debré et les membres du groupe UMP.

I. - Alinéas 1 et 2

Remplacer les mots :

dans des entreprises solidaires en application du premier alinéa de l'article L. 3332-17 du même code

par les mots :

en tout ou partie en actions

II. - Alinéas 3 et 4

Supprimer ces alinéas.

III. - Alinéa 5

Remplacer les mots :

titres, parts, actions ou sommes

par le mot :

avoirs

Mme Isabelle Debré.  - Seuls les avoirs placés dans les fonds monétaires doivent être concernés par la mesure. Les fonds en action représentent 50 milliards sur les 94,6 milliards d'encours ; il faut les sanctuariser parce qu'ils contribuent au financement de l'économie.

Mme Anne Emery-Dumas, rapporteure.  - Cet amendement divise par quatre l'épargne déblocable. J'ajoute qu'un accord collectif est rendu obligatoire pour les PEE. Rassurez-vous, les fonds diversifiés investis pour tout ou partie en actions représentent 32 milliards ; en débloquer 10 % aura un effet infinitésimal sur le financement des entreprises.

M. Benoît Hamon, ministre délégué.  - Même avis.

L'amendement n°4 rectifié n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par Mme Debré et les membres du groupe UMP.

I. - Alinéa 1

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

« Le salarié remet au teneur de compte une déclaration sur l'honneur mentionnant l'usage précis des avoirs dont il demande le déblocage. »

II. - Alinéa 2

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

« Le salarié remet au teneur de compte une déclaration sur l'honneur mentionnant l'usage précis des avoirs dont il demande le déblocage. »

III. - Alinéa 11

Remplacer le mot :

salarié

par les mots :

teneur de compte

Mme Isabelle Debré.  - Le teneur de compte doit être l'interlocuteur unique de l'administration fiscale. Le salarié fera auprès de lui une déclaration sur l'honneur, l'objectif étant de cibler les sommes débloquées vers de gros projets plutôt que des petits achats de produits importés. En outre, l'amendement simplifierait le contrôle, si celui-ci doit exister. Le salarié devra-t-il conserver toutes les facturettes ?

Mme Anne Emery-Dumas, rapporteure.  - Cet amendement complexifie le contrôle.

Mme Isabelle Debré.  - Au contraire !

Mme Anne Emery-Dumas, rapporteure.  - Une déclaration sur l'honneur n'a pas de valeur juridique et il reviendra au teneur de compte d'archiver les « facturettes ». Avis défavorable.

M. Benoît Hamon, ministre délégué.  - Évitons un formalisme excessif qui découragerait le déblocage des sommes. Avis également défavorable.

L'amendement n°3 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°7, présenté par MM. Vanlerenberghe, Marseille et Amoudry, Mme Dini et MM. Roche et Zocchetto.

Alinéas 1 et 2

Supprimer les mots :

l'achat d'un ou plusieurs biens ou

M. Jean-Marie Vanlerenberghe.  - M. le ministre a évoqué l'objet de cet amendement dans son propos liminaire. Nous entendons concentrer le dispositif sur la fourniture de services pour soutenir l'économie nationale.

Par définition, les services ne sont pas délocalisables ; et dans certains secteurs, comme les services à la personne, ils sont pour l'essentiel assurés par des associations. Comme les entreprises du bâtiment, elles souffrent de la politique du Gouvernement. À l'inverse, l'achat de biens risque de dégrader notre balance commerciale.

Entendez-vous donc soutenir plutôt la grande distribution ? Que je sache, elle n'est pas en crise, contrairement à la France. Quant à l'automobile, nous sommes prêts à faire une exception pour elle ; notre souci étant la croissance et l'emploi durables.

Mme Anne Emery-Dumas, rapporteure.  - L'objectif est louable mais l'amendement restreindrait l'impact de la mesure, décevrait les Français qui veulent disposer de ces sommes librement et exclurait des pans entiers de notre économie. Rejet.

M. Benoît Hamon, ministre délégué.  - Reprenons l'exemple de la cuisine : je pourrais débloquer 2 000 euros pour sa pose, mais non pour acheter le frigidaire, la cuisinière et les placards ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe.  - La prestation est généralement globale !

M. Benoît Hamon, ministre délégué.  - Au-delà de la grande distribution, des milliers d'emplois sont concernés par le commerce de produits importés. Il ne nous revient pas de hiérarchiser les emplois. Ne manquons pas notre cible : la consommation et, derrière, les emplois. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. François Rebsamen.  - Votre souci est de viser les emplois non délocalisables, très bien. Mais vous n'aviez pas limité ainsi les précédents déblocages... La démonstration du ministre est probante. Peut-être pouvons-nous élaborer un sous-amendement afin de nous retrouver sur cette mesure ? N'empêchons pas l'achat de véhicules français produits en France, ce texte est très attendu par les constructeurs. Tout concourt à tout dans l'économie et il n'existe pas de sous-emplois, a bien dit le ministre.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe.  - Notre groupe est ouvert à la discussion pourvu que le ministre soit prêt à revoir son texte. Jusqu'à présent, ce n'est pas le cas...

Les artisans rendent une prestation globale quand ils installent une cuisine ; les biens sont compris dans la prestation. En fait, tout dépend de la manière dont on définit le service.

Ne dites pas que ce texte favorisera le commerce de proximité : on n'ira pas acheter ses choux et ses carottes au marché avec son épargne salariale.

M. François Rebsamen.  - Je demande une suspension de séance.

La séance, suspendue à 20 h 5, reprend à 20 h 10.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe.  - J'ai profité de la suspension pour discuter avec le président Rebsamen et Mme Demontès. Je pourrai voter un amendement qui ajouterait après les mots « l'achat d'un ou plusieurs biens », les termes « notamment dans le secteur de l'automobile ». Nous sommes sensibles à la santé de ce secteur, qui connaît des difficultés.

Cette mesure n'est peut-être pas parfaite ; nous en mesurerons l'effet dans un an lors de la remise du rapport d'évaluation.

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales.  - Ce ne peut être considéré comme une simple rectification, puisque l'amendement initial visait à supprimer la mention des « biens ». C'est un amendement nouveau sur lequel la commission, ne s'étant pas réunie, ne peut se prononcer. Au reste, un groupe ne peut présenter un amendement nouveau en séance.

M. Benoît Hamon, ministre délégué.  - Sans avoir votre science parlementaire, je propose, si cela peut lever la difficulté, de rejeter l'amendement n°7 et de présenter un amendement au nom du Gouvernement.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe.  - Je retire donc mon amendement initial.

L'amendement n°7 est retiré.

M. le président.  - Amendement n°9, présenté par le Gouvernement.

Alinéas 1 et 2

Après les mots :

l'achat d'un ou plusieurs biens

Insérer les mots :

, notamment dans le secteur de l'automobile,

Mme Isabelle Debré.  - Pardon, mais je ne comprends pas ce que cet amendement apporte : l'automobile est comprise dans « un ou plusieurs biens ». Pourquoi pas les cuisines, le bâtiment, le tourisme, l'immobilier ?

M. François Rebsamen.  - L'adverbe « notamment » a un sens et l'industrie automobile est en crise.

Mme Isabelle Debré.  - Le bâtiment aussi !

M. François Rebsamen.  - La droite avait utilisé la même formule en son temps.

M. Benoît Hamon, ministre délégué.  - Le souci du groupe centriste est de cibler les emplois non délocalisables, l'emploi en France.

Mme Isabelle Debré.  - Je comprends cet argument.

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales.  - L'amendement est nouveau, la commission doit se réunir. Le groupe centriste m'a reproché de ne pas l'avoir fait lors de l'examen du texte sur la biologie médicale. Je rappelle, enfin, l'aversion du Sénat pour l'adverbe « notamment »...

Mme Isabelle Debré.  - ... qui n'a aucune valeur juridique !

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales.  - Je demande une courte suspension pour réunir la commission.

La séance, suspendue à 20 h 20, reprend à 20 h 30.

M. Benoît Hamon, ministre délégué.  - Je rectifie mon amendement pour remplacer « notamment » par « en particulier ». (On se moque à droite)

M. le président.  - Ce sera l'amendement n°9 rectifié.

Mme Isabelle Debré.  - Depuis huit ans que je suis au Sénat, je n'ai jamais vu cela ! Ce n'est pas admissible d'aller ainsi à la pêche aux voix.

Mme Christiane Demontès.  - Ne nous donnez pas de leçons ! Vous ne l'avez jamais fait ?

Mme Isabelle Debré.  - Mais moi, je sais reconnaître nos torts. C'est comme cela que l'on progresse.

Cibler l'automobile alors que le bâtiment et d'autres secteurs vont très mal n'a pas de sens. Nous voterons contre l'amendement et demandons un scrutin public.

M. Jean Desessard.  - Il est vrai qu'il est bien d'autres secteurs qui mériteraient que l'on s'y intéresse. Je m'abstiendrai sur l'amendement.

M. Dominique Watrin.  - Où est le signal fort que voulait l'UDI-UC, alors que cet amendement est exactement inverse à celui qu'il avait présenté ? Et ce n'est pas en ajoutant « notamment l'automobile » que l'on préviendra la délocalisation des équipementiers. C'est l'Union européenne qu'il faudrait réformer.

Mon groupe votera contre un amendement qui crée une illusion.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe.  - Le texte est loin de l'amendement que nous avions déposé. Mais notre souci était, en le déposant, d'éviter les délocalisations. La rédaction retenue pourrait être meilleure, mais on est bien dans l'esprit qui était le nôtre : favoriser la production nationale et l'emploi en France.

À la demande du groupe UMP, l'amendement n°9 rectifié est mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 347
Nombre de suffrages exprimés 335
Pour l'adoption 176
Contre 159

Le Sénat a adopté.

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié, présenté par Mmes Giudicelli et Deroche.

I.  -  Alinéa 1

Compléter cet alinéa par les mots :

ou pour rembourser une ou plusieurs dettes financières

II.  -  En conséquence, alinéa 2

Compléter cet alinéa par les mots :

ou pour rembourser une ou plusieurs dettes financières

Mme Catherine Deroche.  - En dépit de la loi du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation, le nombre de ménages surendettés demeure élevé.

Cet amendement complète le fléchage des sommes débloquées pour anticiper le risque de surendettement des ménages qui présentent des signes de fragilité financière en autorisant le remboursement des dettes y compris les crédits dits renouvelables.

L'amendement n°6 n'est pas défendu.

Mme Anne Emery-Dumas, rapporteure.  - La commission a longuement discuté de cet amendement. Elle a partagé le souhait de voir facilitée la sortie du surendettement mais nous craignons des effets pervers. Le crédit renouvelable que vous visez, n'est dans les faits jamais remboursé et ne vise pas des achats prédéfinis. En outre, le texte vise la consommation. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Benoît Hamon, ministre délégué.  - Il est défavorable. Nous visons la consommation. Rembourser un créancier n'aurait pas l'effet escompté. J'ajoute qu'une personne menacée de surendettement doit pouvoir conserver son épargne. Sans compter qu'une partie de la dette, dans le cas visé, peut être effacée ou échelonnée.

Mme Isabelle Debré.  - Comment inciter des personnes à consommer quand elles sont endettées, ce qui est le cas de bien des ménages ? En somme, vous leur dites « consommez, et surtout ne remboursez pas vos dettes ». Nous voterons l'amendement.

M. Hervé Marseille.  - Nous voterons cet amendement de bon sens, qu'avait aussi présenté Mme Lienemann. On sait que de nombreux foyers connaissent des difficultés, qui peuvent être liées à une séparation. Ce serait les aider à repartir du bon pied. Nous voterons l'amendement.

L'amendement n°1 rectifié n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°8 rectifié, présenté par M. Cardoux et Mme Primas.

Alinéa 6

Après les mots :

au titre du I

rédiger ainsi la fin de cet alinéa :

, à l'exception de celles destinées à la réalisation de travaux immobiliers, ne peuvent excéder un plafond global de 7 500 euros, net de prélèvements sociaux. Pour débloquer ces sommes, le salarié doit présenter un devis ou une facture pro forma auprès du teneur de compte. Lorsque les sommes sont destinées à la réalisation de travaux immobiliers tels que construction, transformation, aménagement et entretien de locaux, quelle que soit leur destination, ce plafond est fixé à 20 000 euros. Dans ce cas, le déblocage des fonds sera effectué par le teneur de compte dans les quinze jours de la remise de la facture par le bénéficiaire. Les deux plafonds ne sont pas cumulables.

M. Jean-Noël Cardoux.  - Après la scène de comédie à laquelle nous avons assisté, j'hésite à présenter mon amendement...Une fois de plus, le Gouvernement vient de se rendre compte qu'il n'a pas de majorité au Sénat. Le vote incantatoire qui vient d'avoir lieu ne donne guère une image flatteuse de nos travaux.

Dans l'esprit de la participation, je proposais ici de réserver le plafond de 20 000 euros aux travaux immobiliers, sachant que le bâtiment est en situation très critique. Et, pour ne pas paraphraser un adage célèbre, si nous réussissons à relancer le bâtiment ce soir, nous aurons fait beaucoup.

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par Mme Debré et les membres du groupe UMP.

Alinéa 6

Remplacer le nombre :

20 000

par le nombre :

10 000

Mme Isabelle Debré.  - J'aurais pu retirer cet amendement si l'amendement n°3, qui ciblait le déblocage de gros achats, avait été adopté. Tel n'a pas été le cas...

Il s'agit ici de limiter l'impact de la mesure sur le financement de l'économie en autorisant un déblocage dans des proportions identiques à celles de 2004 et 2008. Ne mettons pas en péril les capacités de financement des entreprises.

Mme Anne Emery-Dumas, rapporteure.  - La commission est défavorable à l'un et l'autre amendement.

M. Benoît Hamon, ministre délégué.  - Même avis.

M. Dominique Watrin.  - Nous voterons contre ces deux amendements. Je veux ici rappeler que les sommes épargnées sont bien souvent limitées à quelques centaines d'euros pour les ouvriers. Que ce soit 20 000 ou 10 000 euros, nous sommes loin de la réalité vécue par les salariés qui disposent en majorité de moins de 5 000 euros au titre de la participation. D'autant qu'un dispositif permet désormais de mettre en réserve certains fonds avant de les redistribuer, si bien que les sommes diminuent.

L'amendement n°8 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°2.

À la demande du groupe UMP, l'article premier, modifié, est mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 347
Nombre de suffrages exprimés 326
Pour l'adoption 189
Contre 137

Le Sénat a adopté.

L'article premier bis est adopté

L'article 2 demeure supprimé.

Interventions sur l'ensemble

M. Jean-Noël Cardoux .  - Nous voilà au terme de ce débat à rebondissements. Tout le monde sait que la relance par la consommation ne fonctionne pas. Pourquoi avoir démantelé toutes les mesures utiles prises par le gouvernement précédent et s'engouffrer dans la reproduction des échecs du passé ? Où est la cohérence ? On ne peut rétablir la confiance par voie réglementaire ou législative. Ce n'est pas autre chose, au fond, que dit la rapporteure quand elle écrit que cette mesure « ne permettra ni de faire décoller la consommation ni de rétablir la confiance ».

Entre l'appropriation des moyens de production chère à l'extrême gauche et le capitalisme sauvage des ultralibéraux, le général de Gaulle avait trouvé une voie moyenne, que vous mettez ici à mal. Nous avions proposé des amendements qui visaient à favoriser l'investissement productif, à supprimer les mesures de contrôle irréalistes introduites par l'Assemblée nationale - absurdes quand on sait que Bercy a supprimé, pour l'impôt sur le revenu, les pièces justificatives et a dirigé l'utilisateur vers une consommation d'investissement durable. C'était cohérent. Vous n'avez pas voulu saisir notre main tendue. Je voterai contre ce texte, comme la quasi-totalité, si ce n'est la totalité de mon groupe. Quelle occasion perdue ! (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Hervé Marseille .  - Vous entrez dans une voie déjà empruntée par le passé, aussi n'est-ce pas le texte en lui-même qui appelle une observation, mais la méthode. Quand le Gouvernement vient devant le Sénat dont il sait qu'il a du mal à convaincre la majorité, il serait bon qu'il discute, en amont, avec l'opposition.

C'est ainsi que les amendements de Mme Deroche et de Mme Lienemann auraient du être pris en compte. Le Gouvernement conduit sa politique mais il ne peut avoir raison à la fois contre sa majorité et contre l'opposition. Commencez donc par discuter, les textes en seront améliorés.

À la demande du groupe socialiste et du groupe UMP, l'ensemble de la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 347
Nombre de suffrages exprimés 326
Pour l'adoption 189
Contre 137

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements à gauche)

Décès d'un ancien sénateur

M. le président.  - J'ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue, Marcel Costes, qui fut sénateur du Lot de 1983 à 1992.

Prochaine séance demain, mercredi 29 mai 2013, à 14 h 30.

La séance est levée à 21 h 15.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques

ORDRE DU JOUR

du mercredi 29 mai 2013

Séance publique

À 14 HEURES 30 ET LE SOIR

1. Projet de loi autorisant la ratification de la convention du Conseil de l'Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme (n° 419, 2012-2013).

Rapport de M. André Vallini, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 564, 2012-2013).

Texte de la commission (n° 565, 2012-2013).

2. Projet de loi autorisant la ratification de l'accord-cadre global de partenariat et de coopération entre la Communauté européenne et ses États membres, d'une part, et la République d'Indonésie, d'autre part (n° 417, 2012-2013).

Rapport de M. André Dulait, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 562, 2012-2013).

Texte de la commission (n° 563, 2012-2013).

3. Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du grand duché de Luxembourg pour le développement de la coopération et de l'entraide administrative en matière de sécurité sociale (n° 416, 2012-2013).

Rapport de M. Daniel Reiner, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 560, 2012-2013).

Texte de la commission (n° 561, 2012-2013).

4. Projet de loi autorisant l'approbation de l'entente entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Québec relative à l'Office franco-québécois pour la jeunesse (n° 418, 2012-2013).

Rapport de M. Christian Cambon, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 575, 2012-2013).

Texte de la commission (n° 576, 2012-2013).

5. Projet de loi autorisant la ratification du traité d'extradition entre la République française et la République populaire de Chine (n° 529, 2011-2012).

Rapport de M. Jean Besson, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 587, 2012-2013).

Texte de la commission (n° 588, 2012-2013).

6. Projet de loi autorisant l'approbation de l'arrangement concernant les services postaux de paiement (n° 402, 2010-2011).

Rapport de M. Jean Besson, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 589, 2012-2013).

Texte de la commission (n° 590, 2012-2013).

7. Projet de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, habilitant le Gouvernement à légiférer pour accélérer les projets de construction (n° 604, 2012-2013).

Rapport de M. Claude Bérit-Débat, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 608, 2012-2013).

Texte de la commission (n° 609, 2012-2013).

Avis de M. René Vandierendonck, fait au nom de la commission des lois (n° 607, 2012-2013).