Débat sur les dérives sectaires dans le domaine de la santé

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur les conclusions de la commission d'enquête sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé.

M. Jacques Mézard, rapporteur de la commission d'enquête .  - À ma grande satisfaction, nous pouvons revenir ce soir sur les résultats de l'enquête que notre commission a menée durant six mois. Merci à notre président Alain Milon. Au-delà de sa courtoisie et de son esprit d'ouverture, que nous saluons tous, rien de mieux qu'un médecin pour rappeler quelques vérités scientifiques. J'ai été également impressionné par l'implication de chacun des membres de notre commission. Cette enquête fut un moment fort, je pense en particulier aux auditions, impressionnantes, des victimes, mais aussi à celles de personnages pour le moins inquiétants. Si nous ne fûmes pas pionniers au Parlement, car l'Assemblée nationale a consacré trois rapports aux sectes, nous avons ouvert une voie au Sénat en adoptant notre rapport à l'unanimité des présents le 2 avril. Tout attachés à la liberté de conscience que nous sommes, nous nous souvenons que des sectes ont, sous couvert de lutte contre la vaccination et la psychiatrie, éliminé le savoir au profit du croire. Il est trop facile de convaincre un malade que l'on pourra le guérir par la « fasciathérapie », le « biomagnétisme » ou encore la « purification ». Nous avons constaté avec regret que ce champ était mal encadré.

Nous regrettons aussi qu'un rapport du Centre d'analyse stratégique, placé sous l'autorité du Premier ministre, se fasse le prosélyte de certaines de ces pratiques, ce qui devrait être, à l'avenir, évité, de même que certains ordres professionnels et qu'une presse psychologisante... Contre la médecine, qui est seule innovante et véritablement scientifique, le développement d'Internet fait la part belle aux médecines dites douces. Voilà les raisons qui m'ont conduit à proposer cette commission d'enquête.

Les pratiques thérapeutiques les plus farfelues prospèrent aujourd'hui, notre visite au « salon du bien-être » nous a laissé, à cet égard, un souvenir impérissable. Mais c'est surtout la porosité entre dérive thérapeutique et dérive sectaire que nous avons voulu signaler dans notre rapport : l'emprise mentale peut être si forte que les gens croient pouvoir soigner leur cancer avec du jus de citron ou des lavements de café bio ou leur sclérose en plaques à l'aide d'une machine qui s'inspirerait de la physique quantique ! L'emprise se manifeste aussi par la rupture avec le milieu familial. La liberté thérapeutique ne saurait, bien sûr, être invoquée, quand ces pratiques vont à rebours de l'intérêt des personnes. Les auditions des victimes, contenues dans ce volumineux rapport, vous renseigneront, madame la ministre, mieux que je ne puis le faire.

Notre enquête, fondée sur le contradictoire, met en lumière que le contrôle de ces dérives est perfectible - c'est un euphémisme. Une stricte application des lois de la République existantes suffit à le renforcer, aussi ne proposons-nous que de simples ajustements. La loi du 12 juin 2001 sur la répression et la prévention des mouvements sectaires, qui a introduit la notion d'abus de faiblesse dans le code pénal, doit être mieux appliquée ; nous préconisons seulement de modifier à la marge le délai de prescription.

Rappeler aux fonctionnaires leur devoir de signalement, en application de l'article 40 du code de procédure pénale, améliorer la formation des magistrats, qui devrait être, en la matière, systématique, renforcer la Miviludes avec l'immunité de son président, afin de le mettre à l'abri des multiples recours qui entravent son action, contrôler via la DGCCRF les appareils à finalité médicale aussi rigoureusement que le sont, par exemple, les jouets, sont quelques-unes de mes propositions.

Nous avons également mis l'accent sur Internet et les pouvoirs de la cyberpatrouille de la gendarmerie, qui devraient être renforcés sur le modèle de la lutte contre la pédopornographie, sur le nettoyage à faire dans les centres de formation à ces pratiques qui se parent frauduleusement du titre d'université, enfin, l'interdiction aux praticiens radiés, médecins, pharmaciens ou dentistes, de se parer du terme de docteur.

Nous avons également émis des propositions sur la formation professionnelle, qui abrite souvent des pratiques douteuses, les diplômes d'université, dont certains sont farfelus, et la protection des enfants.

En quelques mots, voilà les préconisations concrètes de notre commission. Il appartient à présent au Gouvernement de la République de s'en saisir. Espérons qu'il ne faudra pas attendre une nouvelle commission d'enquête pour les voir appliquer ! (Applaudissements)

M. Alain Milon, président de la commission d'enquête .  - M. Mézard a fait allusion à mes qualités de médecin, à mon tour de saluer ses qualités d'éminent juriste qui nous ont été très utiles. Nous utilisons dans le rapport le seul terme de pratiques non conventionnelles, plutôt que celui de médecine douce ou naturelle, car c'est le seul qui vaille en droit français depuis 1803. Obtenir un diplôme en « médecine chinoise » en quatre ans ou un certificat de « chirurgie immatérielle » en trois jours ne suffit évidemment pas à se parer du titre de médecin ou de chirurgien.

L'engouement pour ces pratiques, qui s'est déjà produit pendant les années 1950, est en fait relativement stable depuis les années 1980 : un Français sur deux y recourt. Rien de dangereux quand cela ne se couple pas avec un refus de la médecine. Dans ce cas, nous sommes en présence de dérives sectaires : parfois soutenues par des médecins, des kinésithérapeutes ou des sages-femmes. M. Mézard a fait allusion à ceux qui prétendent guérir le cancer avec du jus de citron ou des lavements de café bio. Ce discours, violemment anti-médical, qui trouve écho sur Internet, nie les progrès de la médecine.

L'innocuité des pratiques non conventionnelles est un leurre : sait-on que la prise de plantes ou l'utilisation du magnétisme peut se révéler nocive, même couplée à des pratiques conventionnelles ? Non. En revanche, les scandales médicaux sont abondamment relayés par la presse. Autre inégalité, les médecins sont soumis à des évaluations scientifiques rigoureuses et doivent se former durant de longues années, quand les thérapeutes ne se légitiment que par la seule satisfaction du client. Le combat n'est pas à armes égales : qui s'est déjà trouvé mal après un massage ? Ou s'est senti bien après une séance de chimiothérapie ou de radiothérapie ?

Ces pratiques non conventionnelles qui, d'après les travaux d'autorités scientifiques aussi reconnues que le groupe Cochrane, portant sur 598 études, font l'effet au mieux d'un placebo, ont fait leur entrée à l'hôpital : pas moins de vingt pratiques à l'AP-HP et Paris n'est hélas pas une exception. Encadrons-les davantage.

M. Jacques Mézard, rapporteur.  - Très bien !

M. Alain Milon, président de la commission d'enquête.  - Pour mieux contrôler les pratiques non conventionnelles, soumettons leur présence à l'hôpital à l'avis de la commission médicale d'établissement à une majorité renforcée. Une accréditation par la Haute autorité de santé (HAS) améliorera également les choses. Pour les professionnels de santé, rendons obligatoire la déclaration de l'exercice de ces pratiques non conventionnelles à l'Agence régionale de santé (ARS) qui en assurerait le suivi. Autre voie, à suivre dans le prochain projet de loi sur l'enseignement supérieur et la recherche, revoir les diplômes universitaires délivrés pour ces pratiques. Surtout, il faut contrecarrer la déshumanisation du parcours de soins dont se plaignent les patients et qui les poussent vers ces techniques centrées sur le bien-être et l'écoute des individus, en mettant en place des groupes de repérage des patients fragiles, qui pourraient se laisser abuser.

Enfin, interdisons aux médecins radiés de l'ordre de continuer d'exciper du titre de docteur en médecine. Espérons que la discussion du projet de loi sur l'enseignement supérieur et la recherche nous en fournisse l'occasion.

On nous envie notre médecine d'excellence, notre recherche de pointe et notre protection sociale, mais l'humain est au coeur du soin, ne l'oublions pas. Il est du devoir des pouvoirs publics de protéger nos concitoyens. (Applaudissements)

Mme Hélène Lipietz .  - Après six mois d'enquête, 72 auditions, un voyage et une visite un peu épuisante au salon du bien-être, je reste sur ma faim : je ne sais toujours pas, à mon grand regret, ce qui distingue une « dérive » thérapeutique, ni comment se définit la santé, hors la définition de l'OMS. Alors que 60 % des malades du cancer déclarent recourir à d'autres techniques, sont-ils donc tous enrôlés dans une secte ?

Ma petite belle-soeur est morte d'un cancer soigné de manière classique quand des miraculés expliquent devoir leur guérison aux plantes. Après tout, les notaires, les avocats, et entraîneurs sportifs, eux aussi, dévient... Alors, la vraie question n'est-elle pas où commence l'emprise de celui qui sait - tel le médecin allopathe qui impose examens et médicaments - sur celui qui ne sait pas, lorsque chacun est confronté à sa propre finitude ?

André Malraux disait « Tout dialogue avec la mort commence à l'irrationnel »... C'est ainsi que certains préfèrent les bains de siège, à leurs frais, plutôt que de dépenser l'argent de la sécurité sociale.

Plutôt qu'une chasse aux sorcières, les Verts préfèrent une politique de prévention et de détection conjuguée avec l'application des dispositions actuelles sur le délit d'escroquerie, en l'absence d'une définition légale de la secte.

Cela dit, le rapporteur a ouvert une voie en proposant d'entendre les condamnés a priori. Reste à évaluer sereinement les pratiques non homologuées en France. (Mmes Annie David et Laurence Cohen applaudissent)

Mme Catherine Génisson .  - À mon tour de saluer la qualité des travaux de notre commission d'enquête. De l'humour s'est parfois glissé dans nos débats, un paravent nécessaire pour mettre à distance des pratiques ou propos portant atteinte à la dignité de l'être humain. J'ai été bouleversée par les témoignages poignants des victimes et de leurs proches, en colère face à la violence du discours antimédical porté par certains.

Notre médecine est d'excellence, mais les médecins pressés par les charges administratives de tous ordres (M. Roland Courteau approuve) n'ont plus guère le temps à consacrer aux malades qu'on envisage désormais comme des consommateurs de soins. C'est ainsi que l'on oublie que la médecine est une science d'abord humaine, et qu'importe par-dessus tout cette relation essentielle qui s'établit dans le colloque singulier entre patient et soignant. Mesurons de manière plus fine l'activité qu'avec la tarification à l'activité, cela allègerait le stress que subissent les professionnels de santé dans les hôpitaux. Au-delà, il faudra revoir la formation : les relations humaines, cela s'apprend. J'irai plus loin : ne fondons pas uniquement la sélection des médecins sur des critères techniques. (Mme Hélène Lipietz approuve)

M. Roland Courteau.  - Très bien !

Mme Catherine Génisson.  - Rien d'étonnant à l'attrait qu'exerce la « médecine douce » face à cette déshumanisation des soins. La porosité entre médecine traditionnelle et non conventionnelle, sujet grave, doit nous interpeller : nous proposons des mesures à mettre en place rapidement et qui ne nécessitent aucun véhicule législatif.

D'abord, interdire l'utilisation du titre de médecin, pharmacien, ou dentiste en France comme à l'étranger pour ceux qui ont été radiés des Ordres. Ce titre leur gagne souvent la confiance des patients.

Autre proposition, la HAS, institution remarquable, doit accréditer les pratiques non conventionnelles à l'hôpital. Bien souvent, celles-ci ont fait leur entrée sans que personne n'y jette un oeil et y restent sans évaluation. Le directeur de l'ARS ignorait la situation à l'AP-HP, c'est renversant ! Il faut revoir cela. Idem pour les psychothérapeutes, une profession à mieux encadrer ; nous avons dû attendre neuf ans pour que les décrets d'application de l'amendement que j'ai cosigné avec Bernard Accoyer sortent...

M. le président.  - Veuillez conclure.

Mme Catherine Génisson.  - Je sais la détermination du Gouvernement à agir et je serai à ses côtés.

Mme Laurence Cohen .  - L'initiative du groupe RDSE nous apparaît utile. Notre société est soumise à des sollicitations censées répondre à des maux non résolus par la médecine traditionnelle. Les récents scandales sanitaires, les conflits d'intérêt en santé, la recherche de l'équilibre psychique dans un contexte de crise économique fabriquent un terreau qui favorise la soumission de l'individu à un gourou, conduisant à un affaiblissement psychique qui rend inapte à contester. On profite ainsi des gens pour substituer à la rationalité des croyances sans limites, qui peuvent exposer à des risques majeurs - je pense en particulier à ceux qui prétendent guérir le cancer ou le sida avec des plantes.

Le libre choix des personnes ou la liberté de conscience ? Mais elle est aujourd'hui totale. Le rapport de la commission d'enquête est, de ce point de vue, très modéré, et ne condamne aucune des pratiques dites douces, de même que l'hôpital les accueille. Plusieurs propositions du rapport visent simplement à encadrer les pratiques, non à les interdire. Des mesures d'accompagnement et de contrôle s'inscrivent dans une logique d'accompagnement des patients que nous approuvons. Il n'en va pas de même de certaines obligations, comme la vaccination, qui protège non seulement l'individu, mais la société tout entière. Las, la politique de lutte contre la grippe H1N1 avec la présence de représentants de l'industrie pharmaceutique dans le comité contre la grippe et l'inaction sur les adjuvants et les sels d'aluminium nourrissent la suspicion. D'où la nécessité de mieux prendre en compte la parole des patients et de mener une politique de santé démocratique où les associations de patients ne dépendent plus financièrement des groupes pharmaceutiques. L'information des patients, comme l'a dit M. Mézard, est bien la priorité.

Il est temps de passer à une médecine pour tous, tenant compte des singularités des patients. Et de changer le mode de financement de l'hôpital, inadapté à une approche globale du patient. Oui, il faut mieux encadrer la formation professionnelle et mieux protéger les mineurs.

Pour paraphraser Schopenhauer, les sectes sont comme les vers luisants : pour briller, il leur faut de l'obscurité. Puissent ces recommandations être suivies d'effet. (Applaudissements)

Mme Muguette Dini .  - Merci à M. Mézard de son initiative et à M. Milon de sa présidence éclairée. Dans le Rhône, où j'avais été alertée sur un établissement, j'ai mesuré la difficulté à détecter une dérive sectaire. Les dérives thérapeutiques sont plus faciles à déceler. Si certaines thérapies non conventionnelles ont un effet reconnu sur le bien-être des malades, d'autres sont aux mieux inefficaces, au pire dangereuses - et très lucratives, au détriment de clients abusés.

Je veux, madame la ministre, attirer votre attention sur l'emprise mentale, qui peut saisir tous les accidentés de la vie. Les magistrats ont du mal à le reconnaître, dès lors qu'une personne majeure est réputée responsable de ses actes.

Mais depuis la commission d'enquête de 1995, peu de progrès ont été faits. Il faut aller plus loin. Les députés avaient proposé de retenir un faisceau de dix indices. Lors de nos auditions, une liste de neuf critères, dont cinq suffisants, nous a été proposée, qu'il serait utile de reprendre. Prouver la violence psychologique au sein d'un couple est difficile : cette violence est pourtant assimilable à l'emprise mentale, qui peut conduire au désespoir et au suicide.

Notre commission d'enquête propose de faire partir le délai de prescription de la prise de conscience par la victime. C'est ce que je proposais pour la violence au sein du couple.

Notre travail aura été utile pour protéger nos concitoyens contre des gourous inefficaces, parfois dangereux et toujours intéressés. (Applaudissements)

Mme Catherine Deroche .  - Merci au président Milon et à M. Mézard, notre rapporteur, qui ont su, au cours de nos six mois d'enquête, fédérer nos sensibilités.

Le titre final du rapport complète utilement l'intitulé initial de notre commission. Il s'agit d'apporter protection à nos concitoyens, afin que leur santé mentale ne soit pas ébranlée, et leur vie perturbée, tandis que les familles se trouvent dans l'impuissance. Nos auditions de victimes furent particulièrement émouvantes. Celles de pseudo-praticiens furent édifiantes. Certains promettent des miracles, qui ne sont jamais bon marché. D'autres n'hésitent pas à se faire radier de l'Ordre pour se livrer à des pratiques non conventionnelles sans crainte de sanctions.

Auditions des victimes, émouvantes, qui nous alertent sur les dangers des dérives thérapeutiques et leur lien avec les dérives sectaires.

Auditions de « thérapeutes » dont le verbiage accompagne un charlatanisme avéré.

Auditions des professionnels de santé : les pratiques complémentaires peuvent répondre à un besoin. La médecine, devenue de plus en plus pointue, renforce chez les malades un désir de réhumanisation des soins. Mais la pratique complémentaire ne doit pas devenir pratique alternative. Couper un malade du cancer de professionnels compétents n'est pas admissible. J'ai trouvé certains médecins administratifs, des médecins parfois trop naïfs, ou manquant de prudence, pour ne pas dire davantage. Attention doit être portée au contenu des programmes de formation.

Auditions des défenseurs de ces pratiques non conventionnelles parfaitement rôdés aux procédures judiciaires et prompts à éviter les questions embarrassantes.

La Miviludes, depuis sa création en 2002, a fait un important travail. Il convient de s'assurer qu'elle poursuive son action d'information quand 25 % des Français, selon un sondage de 2010, affirment avoir été contactés directement par des sectes et 20 % connaître un proche qui en est victime.

Auditions des administrations concernées, enfin. La gendarmerie nous a prouvé sa motivation, et sa capacité à assurer une veille serrée. Un effort de formation doit être entrepris auprès des fonctionnaires.

Sur la qualification de l'emprise mentale, il faudra aller plus loin. La notion, qui fait débat, n'est pas simple à traduire en termes législatifs, mais la question doit être posée.

Une sensibilisation des élus locaux doit être engagée, un regard porté sur les établissements d'enseignement et leurs programmes.

Nos collègues députés se sont penchés à plusieurs reprises sur le dossier des sectes, ce qui a donné lieu à un arsenal législatif, qui mérite cependant d'être complété. Nous comptons sur vous, madame la ministre, pour nous entendre. (Applaudissements)

M. Stéphane Mazars .  - La question des sectes a déjà fait l'objet d'une attention soutenue des parlementaires. Il ne s'agissait pas d'être redondant, mais d'explorer en détail l'utilisation abusive du thème de la santé.

Le développement des pratiques parallèles pose une vraie question de santé publique. Je félicite donc le président Milon et notre rapporteur, Jacques Mézard, pour leur engagement sur ce sujet difficile. Les prétendus thérapeutes ont besoin d'opacité. La Fontaine le rappelait : « Le monde n'a jamais manqué de charlatans. Cette science, de tous temps, fut en professeurs très fertile ».

Les pratiques que l'on nous a décrites pourraient porter à sourire, si l'on n'avait compris qu'elles peuvent parfois conduire à la mort. Des instruments existent, mais la réponse est insuffisante et des améliorations s'imposent. Nous sommes face à des organisations tenant un discours structuré sur la liberté de conscience - qui tranche avec le caractère farfelu de leurs préconisations. Elles surfent sur les peurs collectives, les situations de détresse individuelle, dont la maladie. C'est ainsi que des patients en viennent à sortir du système médical traditionnel. Et Internet est une aubaine pour ces mouvements. Le nombre de sites référencés et une indexation appellent une action rigoureuse. Il faudrait étendre à la cyberpatrouille de la gendarmerie nationale la possibilité d'investiguer sous pseudonyme.

Il est inadmissible que de l'argent public puisse être dilapidé au profit de pratiques non conventionnelles. Nous serons vigilants quant à la formation professionnelle. Les thérapeutes recherchent une apparence de respectabilité : il importe de les décrédibiliser par une action judiciaire rigoureuse. Mais les magistrats, en raison du principe de la liberté de conscience, sont prudents et les condamnations sont rares. Le manque de moyens humains pose également problème. Les magistrats référents sont souvent démobilisés et les conseils départementaux de prévention de la délinquance ont des compétences trop larges pour être efficaces.

Quand la santé mentale et physique de milliers de nos concitoyens est en danger, il est urgent d'agir. C'est un combat républicain, car ces mouvements menacent aussi la laïcité. Lorsque l'hôpital public ou l'université se laissent gagner par ces mouvements, le principe de neutralité doit leur être opposé. (Applaudissements)

M. Yannick Vaugrenard .  - Notre commission d'enquête aura tenu 72 auditions qui ont vu se côtoyer des témoignages tantôt pathétiques, calculateurs ou fuyants, toujours riches d'enseignement. Que Jacques Mézard et Alain Milon, par sa présidence sereine, soient ici remerciés.

L'étonnement, l'exaspération rentrée et l'humour aussi, furent au rendez-vous, car il faut rire de tout avant d'avoir à en pleurer. Sur cette question de la liberté intime, il importait que nous nous retrouvions. C'est chose faite, puisque les propositions ont été adoptées à l'unanimité. Le sujet, sensible, préoccupe nos concitoyens : 25 % ont été approchés par une secte et 60 % estiment que les sectes sont un danger d'après un sondage de 2010.

La fragilité devant la maladie favorise l'emprise mentale. Notre démocratie ne joue néanmoins pas son rôle protecteur. Ce constat est alarmant. L'engouement des malades pour les pratiques non conventionnelles touche aussi des praticiens. L'alerte doit être lancée : 3 000 médecins entretiennent des liens avec les mouvements sectaires, tandis que 4 000 psychothérapeutes autoproclamés exercent sans avoir reçu aucune formation.

La question, madame la ministre, est bien interministérielle. Elle concerne la puissance publique, qui mérite une attention soutenue des services déconcentrés. Dans le cadre de la formation professionnelle on dispense des « formations » bien exotiques ; les circulaires sont mal appliquées par les préfets ; sur l'Internet circule une information médicale dont le contrôle exige un renforcement des moyens de la gendarmerie ; il faut sensibiliser les magistrats. On voit que bien des ministères sont concernés. Il faut mieux prévenir et mieux protéger : campagne d'information d'ampleur, interdiction aux médecins radiés de faire état de leur titre, encadrement des psychothérapeutes, suites à donner par les procureurs aux plaintes, renforcement de la sécurité de l'information des internautes, investigation sous pseudonymes pour la cyberpatrouille de la gendarmerie, sensibilisation dans les écoles, renforcement des moyens de la Miviludes sont autant de pistes. Il importe aussi de renforcer la coopération internationale. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a condamné récemment la France, contre des sectes avérées, dont le Mandarom et son gourou cosmoplanétaire, à 4 millions d'amende au nom de la liberté de conscience. Parfois, être procédurier confine à la lâcheté. Puissent nos préconisations être suivies d'effets.

Le souci d'efficacité doit nous guider. Pour que chacun reste maître de ses décisions, il faut développer l'esprit critique. C'est en grande partie le rôle de l'éducation nationale. Chacun peut à tout moment être fragilisé par un accident de la vie. Notre démocratie ne peut accepter d'être coupable de non-assistance à citoyen en danger. « L'homme est fait non pour traîner des chaînes mais pour ouvrir ses ailes » disait un de nos éminents prédécesseurs Victor Hugo. Aidons nos concitoyens à se délivrer des chaînes de l'emprise sectaire et à ouvrir les ailes de leur liberté de conscience. (Applaudissements)

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille .  - Je vous prie d'excuser l'absence de Marisol Touraine. En son nom, je veux saluer la qualité de ce rapport, fruit d'un travail approfondi, qui a respecté le principe du contradictoire. Les procès-verbaux ont pour la plupart été rendus publics, démarche inédite qui mérite d'être saluée.

Les dérives sectaires s'accroissent. C'est le constat de la Miviludes. La santé est un secteur à risque : un quart des signalements la concerne. Plus de 3 000 praticiens seraient en lien avec les dérives sectaires, qui se développent en s'appuyant sur des chimères, éliminent le savoir au profit du croire, comme l'a dit le président Mézard. Les pratiques non conventionnelles peuvent être à l'origine de dérives sectaires. Il ne s'agit pas de condamner ces pratiques, mais d'identifier celles qui peuvent être dangereuses. Abuser des personnes malades relève de la manipulation, sous couvert d'un discours pseudo-scientifique. L'Internet a favorisé le développement de ces pratiques, comme la formation professionnelle, qui abrite 1 800 programmes « à risques », selon la Miviludes. L'action de la justice est insuffisante : une centaine de procédures nouvelles en 2011 seulement. Les témoignages à charge sont rares, les enquêtes complexes et il n'existe aucune définition juridique de la secte.

Le ministère de la santé est en première ligne de la mobilisation. Mais cette mobilisation doit être collective. Nous avons besoin des ministères de l'éducation, de la justice et de l'intérieur.

Vous préconisez l'amélioration des formations en santé. Il faut évaluer l'efficacité des pratiques non conventionnelles. Un groupe de travail des ministères de la santé et de la justice, avec la Miviludes, auprès de la direction générale de la santé, est en charge de cette évaluation et a mission d'informer le public et de lutter contre les pratiques dangereuses. Un dossier figure sur le site du ministère, qui s'enrichira de fiches d'informations. Parallèlement, d'autres outils juridiques, qui pourraient s'inscrire dans la prochaine loi de santé publique, sont à l'étude.

Il faut, ensuite, renforcer l'information. La HAS proposera en 2014 un nouveau dispositif qualité sur les sites dédiés à la santé, pour orienter l'internaute, et un site public d'information en santé sera créé.

Troisième axe : encadrer les formations professionnelles, dans leur contenu et la qualité des organismes.

La prochaine réforme de la formation professionnelle donnera lieu à la fin de l'année à un projet de loi, qui pourra intégrer ces outils. La justice joue un rôle clé dans la lutte. Mais il faut renforcer son action. Les procureurs devraient donner systématiquement suite aux plaintes et signalements : cela pourrait faire l'objet d'une circulaire. Les magistrats référents devraient être mieux formés pour sensibiliser les tribunaux. Un magistrat référent a été nommé à la direction des affaires criminelles et des grâces pour assurer le lien avec les administrations et la Miviludes.

L'action du ministère de l'intérieur est également déterminante, entre autres par l'intermédiaire des conseils départementaux de prévention de la délinquance, dont les prochaines orientations pourraient inclure les dérives sectaires.

Mais l'approche ne peut être seulement répressive.

Les dérives sectaires appellent une mobilisation collective. Soyez assurés que les services de l'État sont pleinement engagés pour répondre à l'exigence de protection et de sanction quand cela est nécessaire.

Le débat est clos.

Prochaine séance aujourd'hui, mercredi 12 juin 2013, à 14 h 30.

La séance est levée à minuit vingt-cinq.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques

ORDRE DU JOUR

du mercredi 12 juin 2013

Séance publique

DE 14 HEURES 30 À 18 HEURES 30

Deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, de simplification du fonctionnement des collectivités territoriales (n° 387, 2012-2013).

Rapport de Mme Jacqueline Gourault, fait au nom de la commission des lois (n° 635, 2012-2013).

Texte de la commission (n° 636, 2012-2013).

Deuxième lecture du projet de loi organique, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, portant application de l'article 11 de la Constitution (n° 551, 2012-2013) et du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, portant application de l'article 11 de la Constitution (n° 552, 2012-2013).

Rapport de M. Jean-Pierre Sueur, fait au nom de la commission des lois (n° 632, 2012-2013).

Textes de la commission (nos 633 et 634, 2012-2013).

À 18 HEURES 30 ET, ÉVENTUELLEMENT, LE SOIR

Débat sur la pollution en Méditerranée : état et perspectives à l'horizon 2030.