Application des lois

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur le bilan annuel de l'application des lois. Je me réjouis avec vous de ce rendez-vous annuel, désormais bien inscrit dans notre paysage institutionnel. Le Sénat fut un précurseur en la matière, puisque c'est lui qui a institué, dès 1972, un dispositif permettant aux commissions de suivre la publication des textes d'application des lois, possibilité ensuite élargie à l'ensemble des citoyens grâce à notre site internet. Ce dispositif a été modernisé et dynamisé avec la mise en place, début 2012, de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois.

Sous la présidence active de David Assouline et en association étroite avec les commissions permanentes, la commission a déjà présenté dix rapports d'information qui trouvent leur point d'orgue avec le rapport annuel. Les binômes formés de sénateurs de la majorité et de l'opposition ont travaillé dans la perspective d'une évaluation qualitative de l'application des lois, laquelle est indispensable à la mise en oeuvre concrète des textes que nous votons.

Le débat qui s'ouvre sera riche d'enseignements, pour nous comme pour le Gouvernement. Je remercie le ministre chargé des relations avec le Parlement des réponses qu'il apportera à nos observations sur des sujets qui préoccupent légitimement nos concitoyens.

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois .  - Tirer un bilan annuel de l'application des lois n'a rien d'un exercice formel. C'est l'occasion d'une réflexion d'ensemble, dès lors que le Parlement ne peut plus se contenter de voter les lois. Contrôler leur application est indispensable, ne serait-ce que pour dégager les améliorations nécessaires. Contrôler plus pour légiférer mieux, tel est notre objectif.

Je remercie les commissions permanentes, le Gouvernement, notamment le ministre chargé des relations avec le Parlement et le secrétariat général du Gouvernement. À la différence des années précédentes, nous avons recoupé les chiffres avec le secrétariat général du Gouvernement. Nos résultats convergent. Le rapport couvre la période de juillet 2011 à septembre 2012, afin de mesurer l'incidence du changement de gouvernement et du début de la nouvelle législature. Entre 2007 et 2012, le gouvernement n'a mis en application que des lois venant de lui-même ou de sa propre majorité. En 2012, le nouveau gouvernement devait gérer à la fois les lois de l'ancienne majorité et les siennes propres.

Durant l'exercice 2011 et 2012, l'application des lois a été une priorité du gouvernement. Il a fait paraître, dans un délai maximum de six mois, les décrets d'application. Le taux global atteint 66 %, pourcentage supérieur à celui de la précédente majorité.

Le taux de l'an dernier était artificiel car le gouvernement Fillon avait, fort logiquement, redoublé d'efforts en fin de mandature pour appliquer les textes qu'il avait fait adopter. Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a maintenu la pression. Près de 90 % des lois de la session 2011-2012 sont en application partielle ou totale. Pour la XIVe législature, près de 80 % des lois sont d'ores et déjà en application totale ou partielle.

Pour les propositions de loi, les chiffres sont à peu près les mêmes, ce qui ne fut pas toujours le cas. Le sénateur que je suis regrette que le Gouvernement se soit montré un peu plus empressé pour les lois qui viennent de l'Assemblée nationale. L'application des lois selon la procédure accélérée révèle un paradoxe : pourquoi réclamer cette urgence si les décrets d'application doivent ensuite tarder ?

La situation montre un réel mieux par rapport aux années précédentes, même si nous n'avons pas atteint les 100 %. Ce n'est pas là la perfection idéale et inatteignable par principe, ce devrait être la norme : une loi votée est faite pour être appliquée.

Pour les retards antérieurs, je suis plus prudent : il est difficile de demander au Gouvernement à mettre toute son énergie pour que des lois votées par la précédente majorité soient appliquées. L'actuel gouvernement a publié 50 textes, soit la moitié de ceux attendus, pour les lois votées entre 2007 et 2012. Pour les lois antérieures à 2007, en revanche, nous ne constatons aucun progrès significatif.

Le taux de dépôt de rapports que le Gouvernement est tenu de remettre au Parlement ne peut me satisfaire. Quand le Parlement aurait dû recevoir 500 rapports, on n'en est, malgré ses rappels incantatoires, qu'à 240. Les parlementaires demandent peut-être trop de rapports, qui ne sont pas vraiment lus et exploités.

Nous devons aussi nous interroger sur le rendement législatif des textes que nous votons. La création de la commission de contrôle de l'application des lois s'inscrit dans cette logique, elle doit faciliter le travail des commissions permanentes. C'est ainsi que nous avons évalué avant de légiférer sur l'enseignement supérieur, la semaine dernière. En mars 2013, nous avons évalué la loi sur les universités de 2008. Dans quelques jours, nous présenterons un rapport sur l'autoentreprise, ce qui permettra de mieux travailler sur ce dispositif.

Nous avons depuis 2012 publié dix rapports sur les conséquences de l'application de certaines lois, afin d'en tirer les enseignements. Beaucoup d'études d'impact se présentent comme des exposés des motifs bis. Cette procédure, sans doute importante, est encore trop mal utilisée ; les effets du futur texte doivent être évalués précisément. Le Gouvernement et les assemblées devraient faire émerger la culture du contrôle.

Je remercie les commissions permanentes, qui ont fourni un lourd travail. Je salue le climat de confiance qui a régné avec le ministre des relations avec le Parlement et le secrétariat général du Gouvernement. Dans les derniers mois du gouvernement Fillon, M. Ollier avait établi des relations très fructueuses avec notre commission.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques.  - C'est vrai.

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois.  - Je tenais à le souligner.

Cette démarche est salutaire, le chantier est ouvert et il répond aux attentes de nos concitoyens. La commission de contrôle de l'application des lois, en capitalisant sur l'expérience du Sénat, est fière d'apporter sa contribution. (Applaudissements)

M. Alain Vidalies, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement .  - Je vous remercie pour vos paroles. Ce deuxième débat illustre la nécessité du contrôle parlementaire de l'application des lois, devenu l'une des modalités à part entière du contrôle exercé par le Parlement.

Le Sénat avait été précurseur dans ce domaine, en créant dès 1972 la base de données suivant les décrets d'application. Le mouvement ne s'arrête plus. Votre jeune commission a déjà présenté dix rapports d'information. Le Gouvernement s'est mobilisé pour vous répondre de façon pertinente : l'application des lois retient toute notre attention. La loi doit s'appliquer sans délai et c'est là une exigence démocratique fondamentale. La période entre la promulgation des lois et la parution des textes réglementaires doit être la plus courte possible. Une circulaire de 2008 fixe un délai maximum de six mois.

Je préside le Comité interministériel de l'application des lois, interlocuteur naturel de votre commission. Beaucoup a été fait en un an, mais beaucoup reste à faire, je le sais. Grâce aux propositions d'harmonisation méthodologique, les bases du Sénat et du Gouvernement ont convergé.

Il est trop tôt pour établir les statistiques définitive de la XIVe législature, mais la tendance est favorable : 37 lois ont été promulguées, dont 14 d'application directe. La totalité des décrets ont été pris pour la loi adaptant notre législation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière, ainsi que pour la loi créant le contrat de génération. Le Sénat accorde une attention particulière aux propositions de loi pour s'assurer que le Gouvernement manifeste la même diligence qu'à ses propres textes. Le ministre des relations avec le Parlement est sensible à vos préoccupations. Les textes issus de l'initiative parlementaire ne sont pas plus mal traités que les projets de loi, même s'il y a une légère avance pour l'Assemblée nationale.

J'ai entendu vos critiques sur le recours à la procédure accélérée. Sur les 259 lois votées sous la XIIIe législature, 172 appelaient des décrets d'application. Sur ces 172 lois, 41 % étaient votées selon la procédure accélérée. En juillet 2012, nous avons voulu identifier les décrets qui manquaient pour les lois votées sous la XIIIe législature. Cette procédure est plus difficile pour les lois antérieures à 2007. Une loi d'abrogation serait la bienvenue, à condition que les groupes politiques se mettent d'accord. S'agissant des lois récentes, il n'est pas possible de laisser les sujets de droit dans l'incertitude.

Les rapports sont souvent remis avec retard, c'est vrai, mais sont-ils exploités ? M. Hyest a posé de bonnes questions quand il s'est demandé s'il fallait vraiment demander un rapport à chaque article de loi, à défaut de pouvoir proposer une mesure à laquelle s'oppose l'article 40. Sans doute faudrait-il se contenter de ne demander que les rapports vraiment utiles...

Certains rapports font double emploi avec d'autres. Sur les 164 rapports attendus au titre de la XIIIe législature, 131 ont été déposés. Beaucoup de ceux qui resteraient à publier ont perdu l'essentiel de leur pertinence politique. C'est le cas, par exemple, de la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris. Pour certaines lois, il y a presque un rapport par article ! Mais ces rapports sont souvent transmis avec retard. Le délai légal de six mois n'a été respecté que trois fois cette année, légère progression par rapport à l'année précédente. La question est de savoir si l'objectif de six mois est pertinent.

Ensuite, les demandes de rapports sont très hétérogènes. Notre réflexion doit, là aussi, cheminer de concert. Pour bien contrôler, le Parlement doit être bien informé, sans pour autant être englouti par des informations inexploitables. Depuis une vingtaine d'années, le droit fait l'objet de critiques récurrentes. Au fil du temps, le droit s'est complexifié. Le récent Comité interministériel de l'application des lois, présidé par le Premier ministre, a pris plusieurs décisions importantes, dont celle d'endiguer l'inflation normative. La création d'une norme doit entraîner la suppression d'une norme existante. La première condition de l'égalité républicaine est l'effectivité de la loi.

J'espère que nous pourrons accomplir ensemble ce vaste dessein, selon le voeu formé par John Locke, dans le Traité du gouvernement civil : « Il n'est pas toujours nécessaire de faire des lois, mais il est toujours nécessaire de faire exécuter celles qui sont faites ». (Applaudissements à gauche)

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale.  - Très bien !

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques .  - Je me félicite de ce débat, qui nous permettra d'enrichir notre fonction de contrôle. La période prise en compte est la même que celle du Gouvernement, ce dont je me félicite.

Le 19 décembre 2011, il a été créé deux commissions à partir de la commission des affaires économiques. Il est donc difficile de suivre l'exacte application des lois mais je vais, en m'appuyant sur l'analyse des textes d'application des 24 lois dont le suivi nous a été confié en fonction de nos champs de compétences nouvellement définis, présenter un bilan qualitatif et faire quelques préconisations.

Sur ces 24 lois, quatre ont été adoptées au cours de l'année parlementaire de référence : la loi relative aux certificats d'obtention végétale, celle portant diverses dispositions d'ordre cynégétique, celle relative à la majoration des droits à construire et celle visant à l'abroger.

Les deux textes relatifs à la majoration des droits à construire étaient d'application directe. On peut regretter que la loi sur la chasse soit encore, quinze mois après sa promulgation, totalement inapplicable, alors qu'un seul décret en Conseil d'État est attendu. Je regrette également que la loi relative aux certificats d'obtention végétale ne soit toujours applicable qu'à hauteur de 12 %. On peut d'autant plus dénoncer cette lenteur qu'il s'agit, là encore, d'un texte d'initiative sénatoriale, qui ne fait certes pas consensus mais le ministre de l'agriculture s'est engagé sur une publication prochaine des décrets à l'issue d'une concertation avec les parties prenantes.

La loi de 2005 sur la politique énergétique n'est applicable qu'à 88 % et celle relative aux activités postales ne l'est qu'à 80 %. La loi de 2010 sur le crédit à la consommation n'est applicable qu'à 89 %. Les modalités de la procédure de sauvegarde des mutuelles et des établissements de surveillance ne sont toujours pas parues. Dans quelques jours, nous examinerons un texte sur les crédits aux particuliers. Il eût fallu évaluer les lois précédentes, dont la loi Lagarde.

Je ne vais pas reprendre le débat sur les rapports : cette solution de facilité ne me convient pas. Sur les 52 rapports promis, seuls 20 ont été déposés le 31 mars 2013. Certains rapports prévus par des lois de 2004 ne sont toujours pas déposés. Que faire des lois toujours pas applicables six ou sept ans après leur promulgation ? Ne pourrait-on pas faire le ménage ?

Faut-il engager une réflexion sur des mesures en déshérence ? J'ai proposé que les textes soient biodégradables, si les décrets ne sont pas parus après cinq ans. (Sourires) Nul n'est censé ignorer la loi, encore faut-il qu'elle existe ! Nous avons confié à des binômes, voire des trinômes, le soin de dresser le bilan de l'application des lois du ressort de notre commission. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales .  - Dans le champ de compétence de la commission des affaires sociales, douze lois ont été examinées au fond, record inégalé. Le niveau d'application est clair : cinq lois sont applicables en totalité, même si la loi relative au suivi des enfants en danger n'est toujours pas applicable, bien qu'elle fût adoptée à l'unanimité au Sénat. Sur 152 mesures d'application, près d'une centaine ont été prises. Autre motif de satisfaction, nos propositions de loi sont appliquées au même niveau que les projets de loi. Moins de la moitié des mesures d'application sont intervenues dans les six mois. Cet objectif reste donc ambitieux.

Durant la période de référence, 54 mesures réglementaires ont été prises en fonction de textes votés antérieurement, dont les lois sur les retraites et HPST. Le gouvernement précédent a édicté de nombreux textes avant les élections, ce qui a gonflé les statistiques.

Comme les mois précédents, votre commission a décelé des distorsions entre les textes du Gouvernement et les mesures introduites par le Parlement.

Cela est encore plus vrai pour les rapports : moins d'une demande sur sept a été honorée. Peut-être faut-il mener une réflexion sur ces demandes de l'application de l'article 40.

Pour la loi sur la sécurité du médicament, 70 % des décrets sont parus. Depuis lors, deux décrets importants ont été publiés. Cette loi bénéficie donc d'un taux d'application satisfaisant.

La loi du 28 juillet 2011 sur les MDPH est appliquée à 60 %. L'arrêté interministériel qui doit définir les contrats d'objectifs et de moyens est toujours en attente. La loi du 5 mars 2012 sur les recherches sur la personne humaine est toujours privée d'effets. Le ministère des affaires sociales nous avait assurés qu'était en bonne voie la parution des décrets concernant la loi du 5 mars 2012 sur le suivi des enfants en danger. Où en est-on ? (Applaudissements à gauche)

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture .  - Ce bilan 2011-2012 de ma commission se concrétise par un nombre de textes en hausse, des lois principalement d'origine parlementaire et des délais d'application raccourcis.

Cinq lois ont été promulguées relevant de la compétence de notre commission, les lois relatives à la régulation du système de distribution de la presse ; à la rémunération pour copie privée ; à l'exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle, visant à renforcer l'éthique du sport et les droits des sportifs et tendant à faciliter l'organisation des manifestations culturelles et sportives. Quatre de ces textes étaient des propositions de loi, dont deux de Jacques Legendre. Tout comme l'actuel, le gouvernement précédent avait mis les projets sensibles en discussion dès le début de la législature, université, Hadopi, audiovisuel.

Aucune des lois promulguées de notre secteur n'était d'application directe. Deux lois sont devenues applicables, celle relative à la distribution de la presse l'est totalement. La commission a organisé des auditions sur la situation du groupe Presstalis. Tous nos interlocuteurs se sont félicités de cette loi due à MM. Legendre et Assouline. Le conflit social dur qui affectait cette entreprise est en voie de règlement, nous y avons contribué.

La loi sur les livres indisponibles est applicable. Celle sur l'éthique du sport n'est applicable que sur un de ses articles. La loi sur la rémunération pour copie privée n'est toujours pas en application. Le décret en Conseil d'État prévu n'est pas pris. Monsieur le ministre, peut-être pourrez-vous nous éclairer sur le calendrier.

Nos observations de l'an dernier restent pertinentes : le délai de publication des décrets tend toujours à se raccourcir. La loi sur le prix unique du livre numérique, vient d'être mise en application. Pour les lois plus anciennes, les retards s'accumulent et l'on peut se demander, à voir les évolutions technologiques dans le domaine des communications, si elles sont encore pertinentes

Nous pouvons nous préoccuper de voir le nombre de rapports en attente depuis 2000 ; il s'élève à 31, la majorité sur le secteur très sensible de la communication audiovisuelle. Nos rapports d'information sur les métiers d'enseignants et sur la carte scolaire ont eu des suites, notamment dans la loi sur la refondation de l'école, à l'initiative du Sénat. La loi sur l'enseignement et la recherche se réfère à nos travaux. Ce texte a été enrichi de conclusions de nos missions et commissions d'enquête. C'est dire l'importance du suivi des recommandations que nous formulons sans oublier notre détermination, avec la Délégation aux droits des femmes, à rester vigilants sur toute discrimination de genre.

Pour rendre notre débat plus vivant l'an prochain, nous aurions tous intérêt à trouver des modalités d'exposés écrits des faits, des tableaux, des nombres, afin de nous contenter à cette tribune de commentaires. (Applaudissements à gauche)

M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable .  - À mon tour, je me félicite du rapport de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois, qui effectue une synthèse instructive des rapports de nos commissions permanentes.

Nous connaissons tous des lois qui ne peuvent s'appliquer faute de décret. Le service après-vote fait partie de nos missions. Notre travail de suivi ne s'est pas limité à notre commission, qui n'a qu'un an d'existence. Sur dix-sept lois examinées, deux sont totalement applicables, celle sur l'eau et les milieux aquatiques et celle sur la Corse. Les quinze autres lois sont partiellement applicables, dont onze à plus de 75 %.

La loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, dite Grenelle II, est applicable à 87 %. La loi sur Voies navigables de France est aussi largement applicable, ce qui traduit un consensus sur la voie d'eau dans notre pays. Les efforts accomplis par les services des ministères doivent être poursuivis. Aucune loi nous concernant n'est totalement inapplicable.

On ne constate aucune différence entre le suivi des lois ayant fait l'objet d'une procédure accélérée et celui des lois ayant suivi la voie parlementaire normale. À titre d'exemple, la loi du 22 février 2012 relative aux ports d'outre-mer, très attendue, n'est applicable qu'à 50 %. Autre point préoccupant, sur les 40 rapports prévus par les lois dont nous avons assuré le suivi, seuls 25 ont été publiés.

Trop de lois ne sont que partiellement applicables. Depuis 2001 nous attendons un décret créant un fichier des bateaux de navigation intérieure ; depuis 2002, un décret en Conseil d'État sur la sécurité des infrastructures de navigation intérieure ; depuis 2009, un texte sur la lutte contre la fracture numérique... Plusieurs initiatives annoncées devraient nous permettre d'avancer. On peut encore progresser pour respecter la circulaire de 2008.

Soyons enfin plus attentifs à ce que nous demandons lorsque nous votons la loi, évitons le recours systématique aux mesures réglementaires, ne multiplions pas les mesures contraignantes pour nos entreprises, nos collectivités locales et nos concitoyens. (Applaudissements à gauche)

M. Philippe Marini, président de la commission des finances .  - (Marques d'intérêt sur les bancs UMP) Le contrôle de l'application des lois est une tradition de notre assemblée. La commission des finances suit un grand nombre de textes réglementaires parallèlement à son activité de contrôle budgétaire. Sur la période sous revue, soit de juillet 2011 à septembre 2012, la commission des finances a été concernée par neuf lois de finances, auxquelles correspondaient 118 mesures d'application. Au total, notre contrôle a porté sur 197 mesures attendues issues de 21 lois.

Le taux de publication des mesures prévues par les textes examinés au fond s'améliore. Les textes sortent plus vite qu'auparavant. Soixante-deux pour cent des textes réglementaires ont été pris dans le délai de six mois. Mais ces chiffres doivent être interprétés avec précaution car toutes les mesures d'application ne se valent pas. Tous les retards ne présentent pas les mêmes inconvénients. Des textes non publiés ont pu devenir sans objet : combien de temps faut-il attendre pour les abroger ? Certains décrets peuvent ne pas sortir parce que le législateur tergiverse, comme sur les décrets sur le fonds de péréquation de la CVAE publiés finalement en avril 2013 avec deux ans et demi de retard.

Cependant, il demeure des mesures clairement voulues par le législateur qui ne sont pas appliquées, comme celles renforçant la transparence de la défiscalisation des investissements outre-mer et réglementant les cabinets de défiscalisation. Une charte de déontologie devait être élaborée et les cabinets devaient être mis en concurrence. Il y avait unanimité sur la nécessité de mieux encadrer leur activité. Pourtant, deux ans et demi après le vote de la loi de finances pour 2011, aucun texte n'est paru. Certains disent qu'un décret n'est plus nécessaire, d'autres en réclame. Il faut que ces mesures s'appliquent ; je vous demande d'y veiller, monsieur le ministre.

En revanche, certains textes plus politiques reçoivent une mise en oeuvre rapide, comme les deux collectifs de 2012, adoptés avant et après les élections présidentielles et législatives.

Le contrôle de l'application des lois est en train de devenir plus qualitatif. En 2004, j'avais commis un rapport intitulé « La loi de sécurité financière un an après son application » ; c'était une initiative isolée... Il est bon que cette démarche se généralise. C'est pourquoi il est utile de disposer d'une commission de contrôle de l'application des lois. Les suites données au rapport réalisé sur la suggestion de notre commission des finances par Mmes Dini et Escoffier sur la loi relative au crédit à la consommation ont été exemplaires - certaines figurent dans la loi bancaire, d'autres dans le texte relatif à la consommation.

J'espère que le second rapport suggéré par notre commission des finances sur le régime de l'auto-entrepreneur connaîtra le même succès.

Il est souvent pratique, pour trouver une issue à une discussion, de prévoir un rapport. Mais c'est une pratique, souvent destinée à provoquer un effet de séance, dont il ne faut point abuser.

M. Alain Vidalies, ministre délégué.  - Tout à fait d'accord !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances.  - L'exemple de l'article 79 de la loi de finances pour 2013 sur la dépense fiscale outre-mer est caricatural. Il est regrettable qu'il n'ait pas été suivi d'effets. L'article 108 de la même loi sur le crédit immobilier de France est de même toujours en souffrance. Je compte sur vous, monsieur le ministre pour relayer nos attentes. Je remercie vivement la commission à l'initiative de l'organisation de ce débat. (Applaudissements à droite ; M. David Assouline applaudit aussi)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois .  - Je sacrifierai à mon tour aux statistiques... (Sourires) Sur la période, notre commission des lois a examiné douze projets de loi, en procédure accélérée à 100 %, monsieur le ministre. C'est une déviance qui concerne tous gouvernements, surtout l'un d'entre eux, mais elle est fâcheuse. La procédure accélérée doit être une exception et la procédure normale, comme eût dit La Palice, la norme. Sur la même période, seuls 36 % des textes d'application sont parus. Je m'élève une nouvelle fois contre ce droit absurde dont disposent les ministres et les gouvernements de ne pas appliquer la loi - il suffit de ne pas publier les décrets... Cela valait pour hier, cela vaut pour aujourd'hui - j'espère que cela vaudra moins pour demain. Nous demeurerons vigilants.

En 2008, nous avons adopté ici une loi qui comportait une disposition relative aux contrats obsèques ; aujourd'hui, des millions de Français sont floués parce que les sommes versées ne sont pas revalorisées au taux légal, alors que nous en avions voté l'obligation à l'unanimité, ici comme à l'Assemblée nationale...

M. Jean-Claude Lenoir.  - On a enterré la loi !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Après d'innombrables négociations, nous avons rédigé un nouveau texte pour rendre la mesure compatible avec les règles européennes. Je présenterai à nouveau les amendements que j'avais déposés sur la loi Lefebvre, qui n'a pas prospéré, sur la loi bancaire ; s'ils ne sont pas adoptés, je les représenterai dans la loi consommation. Voyez la ténacité dont il faut faire montre.

Il existe une loi de programmation relative à l'exécution des peines, sur laquelle nous avons beaucoup travaillé. Certaines de ses dispositions concernent les conditions dans lesquelles le personnel hospitalier peut consacrer une partie de son temps de service à la réalisation d'expertises judiciaires. Interrogé, le ministère de la santé nous répond qu'elles heurtent l'intersyndicale des praticiens hospitaliers... C'est la loi tout de même ! Il faut la faire appliquer.

M. Warsmann était spécialisé dans les lois dites de simplification, qui comptaient une centaine d'articles au départ et qui étaient lourdes de 250 articles à l'arrivée... Monsieur le ministre, vous avez été sensible comme moi au discours du président de la République sur le choc de simplification. Or dix-sept des trente quatre mesures prévues par la loi de mars 2012 ne sont toujours pas parues.

Alors, simplifions, oui, mais publions les décrets d'application. Le site Légifrance fait toujours état d'une prochaine publication des mesures d'application prévues aux articles L.232-21 et suivants du code de commerce... pour le mois de juin de l'an dernier ! (Sourires)

Oui, appliquer les lois demande beaucoup de travail et de ténacité. C'est nécessaire, eu égard au respect que nous devons tous à la loi. (Applaudissements à gauche)

Mme Muguette Dini .  - Le 6 décembre 2011, notre commission sénatoriale de contrôle de l'application des lois a été constituée. Son travail ne se limite pas à lister les textes parus ou non, mais s'étend au travail, avec les acteurs de terrain, pour contrôler l'application des lois, comme nous l'avons fait avec Anne-Marie Escoffier pour la loi Lagarde sur le crédit à la consommation. Nos vingt recommandations ont été, en partie, intégrées au projet de loi sur la régulation des activités bancaires, d'autres, par voie d'amendements, dans le projet de loi relatif à la consommation.

Autre exemple positif... le dépistage précoce des troubles de l'audition prévu dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 est d'applicabilité directe mais les ARS doivent élaborer en concertation un programme d'action. Après des débuts anarchiques, un cahier des charges national est en cours d'élaboration. Le financement est affecté dans le cadre du forfait périnatalité. Les professionnels de santé estiment que le dépistage sera effectif sur tout le territoire dans trois ans. Mais il aura fallu quatre ans pour que la mesure s'applique totalement...

Deux exemples négatifs... La loi du 5 mars 2012 relative au suivi des enfants en danger est inappliquée faute de publication des mesures d'application. La loi de 2007 n'avait pas prévu de coordination interdépartementale, celle de 2012 a comblé ce vide juridique. Un décret en Conseil d'État doit définir les modalités de la transmission interdépartementale des informations. Cette loi reste lettre morte. La ministre de la famille nous a indiqué que le projet de décret d'application, en janvier 2013, est « actuellement soumis à la procédure consultative ». Au moment où tant de dysfonctionnements sont dénoncés dans la presse, peut-on s'en satisfaire ?

Autre cas... Certains textes font l'objet d'une application non conforme à la volonté du législateur à cause d'une administration tatillonne, éloignée des préoccupations de nos concitoyens. Il en va ainsi des maisons des assistantes maternelles, les MAM. Aucune personne en fauteuil roulant n'aura un agrément PMI pour garder des enfants, et pourtant, on exige de ces structures innovantes le respect de dispositions réglementaires sur l'accessibilité qui ne correspondent pas à leur objet.

C'est dire qu'il y a encore du chemin à parcourir pour répondre aux préoccupations de nos concitoyens. (Applaudissements à gauche et au centre)

M. Yves Rome .  - L'étendue des compétences de notre nouvelle commission appelle de notre part responsabilité et minutie. J'ai établi pour elle, avec Pierre Hérisson, un bilan de l'aménagement numérique du territoire. Notre rapport s'intitule État, opérateurs, collectivités territoriales, le triple play gagnant du THD. Nous concluons à l'impérieuse nécessité de revoir notre paradigme normatif en la matière.

Je souligne l'importance du rôle joué par l'Arcep. Le modèle économique du déploiement du très haut débit est décalé par rapport aux objectifs, qui consiste à renvoyer aux collectivités territoriales le soin de financer la couverture de 80 % du territoire, c'est-à-dire là où les opérateurs ne vont pas. Nous appelions de nos voeux le retour de l'État stratège ; c'est le cas aujourd'hui. Je me félicite du choix d'avenir fait par le président de la République et le Gouvernement en faveur de la fibre optique, conforté par la mission Champsaur, visant l'extinction du fil de cuivre. Mais l'État doit encore prendre toute sa place. Quelques dizaines de spécialistes peuplent l'administration centrale, alors qu'agences et autorité administratives, qui n'obéissent à personne sinon à elles-mêmes, en concentrent plusieurs centaines. Dans une matière aussi déterminante pour l'avenir de notre société, le rôle de l'État est déterminant. Il est grand temps que le Parlement adopte une grande loi sur le numérique pour traiter des infrastructures, de la fiscalité, des usages.

Le conseil général de l'Oise que je préside a fait sien l'objectif fixé par le législateur de l'accès au très haut débit pour tous. L'ambition que nous portons pour notre pays doit s'intégrer dans le cadre plus large de l'Europe, comme l'ont proclamé hier Fleur Pellerin et Arnaud Montebourg dans une tribune ; comme ils l?écrivent, « le numérique est l'un des principaux leviers pour le retour à la croissance en Europe ». Je crois avoir prononcé ces mêmes mots ici même...

Il n'y a pas que dans le numérique que les collectivités expérimentent. Dans l'Oise, le huitième aéroport de France, celui de Beauvais-Tillé, est le fruit d'un partenariat fructueux entre les différents échelons territoriaux. Comment stigmatiser le prétendu « millefeuille » territorial quand de tels projets avancent ? La clause de compétence générale nous permet d'agir. Heureusement, elle a été préservée...

L'application de la loi sur les contrats d'avenir témoigne de l'inventivité des collectivités. Dans l'Oise, les communes, les associations, la région, se mobilisent. Le « sel des territoires » est plus que jamais d'actualité. Les collectivités territoriales sont des atouts majeurs pour la France, l'investissement, la croissance.

Mon cher président Assouline, j'appelle de mes voeux, la création au sein de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois d'une mission d'évaluation des innovations des collectivités locales. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale.  - Très bien !

Mme Cécile Cukierman .  - Chaque président de commission a donné ses exemples et ses statistiques. Le contrôle de l'application des lois doit nous amener à réfléchir plus profondément aux textes que nous votons.

L'application des lois pose en effet des questions de fond. Elle ne doit pas être abordée uniquement sous l'angle quantitatif. L'élaboration des lois suppose certaines conditions. Or celles qui entourent le travail législatif se détériorent. Les procédures accélérées, qui dessaisissent le Parlement et nuisent à la qualité des lois, se multiplient.

Malgré les efforts du Gouvernement, qui ont été soulignés, les mesures réglementaires doivent être prises plus rapidement et de façon plus efficace. Ainsi, trop de mesures pénales ont été détournées de leur objet, trop de lois d'affichage ou de circonstance, trop de lois fourre-tout ont été votées, particulièrement sous le précédent gouvernement.

L'application d'une loi dépend également des moyens financiers qui lui sont consacrés : pensez à la loi Dalo, à la loi handicap, à la loi pénitentiaire ! Le principe de proportionnalité des normes cher à M. Doligé, contenu dans la proposition Gourault-Sueur, est inquiétante pour l''application de la loi sur l'accessibilité des personnes handicapées ; elle donne le sentiment à toute une population déjà fragile qu'on l'abandonne - les dérogations risquent de se multiplier.

La création par le Sénat de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois doit être saluée. Ce débat annuel pourrait être plus vivant. Nous restons à vos côtés, monsieur Assouline, pour que nos lois soient mieux appliquées. (Applaudissements à gauche)

M. Yvon Collin .  - Au nom du groupe RDSE, je me réjouis de ce débat. Début 2011, nous avons déjà débattu sur le sujet à la demande de mon groupe. Nous avions déjà conclu, hélas, au décalage entre la volonté de rééquilibrage en faveur du Parlement et le non-respect par le pouvoir réglementaire de ses obligations. Certes, le délai de six mois, fixé par l'article 67 de la loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit pour la publication des rapports demandés au Gouvernement par le Parlement, s'impose, mais nulle contrainte n'est prévue. Il est regrettable que le Parlement, qui vote la loi, ne soit pas suivi par le pouvoir réglementaire. Le RDSE avait déposé une proposition de loi avant-gardiste en 2011 sur cette question ; le Gouvernement de l'époque avait obtenu son enterrement sous les fleurs...

Depuis, l'amélioration est nette. Les ministères ont fait du bon travail, ainsi que notre commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois. Les taux d'application sont meilleurs et je m'en félicite. Je déplore néanmoins que la loi de février 2012, qui visait l'éthique du sport, n'ait pas reçu tous ses décrets d'application ; la loi de mars 2010 sur le service civique est dans le même cas. Je compte sur vous pour faire le nécessaire, monsieur le ministre.

Le Gouvernement veut rationnaliser la production normative. J'appartiens au comité de pilotage qui traite du développement agricole ; tous les acteurs se plaignent de l'inflation des normes. Quant aux collectivités locales, elles sont soumises à 400 000 normes. Le chiffre est effrayant.

L'emballement normatif est le fruit de l'inflation législative. Comme le notait le Conseil d'État en 1991, « quand le droit est bavard, le citoyen ne lui prête qu'une oreille distraite ». Un équilibre est à trouver entre la volonté réformatrice du Gouvernement, les prérogatives du Parlement et les attentes légitimes de nos concitoyens. (Applaudissements à gauche)

Mme Corinne Bouchoux .  - Ni autosatisfaction, ni autoflagellation à cette heure tardive... La commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois nous oblige à porter un regard critique sur le sens de notre travail, sur les lacunes et malentendus qui mis bout à bout font des textes imparfaits. Grâce à des duos parfois improbables de sensibilités différentes, nos textes, à force de vouloir concilier les contraires, sont parfois inapplicables. Il faut treize étapes pour aller d'un avant-projet de loi à l'application du texte voté. Au niveau interministériel, les blocages sont nombreux en raison du choc des cultures administratives et de l'activisme des lobbies. Voilà un tabou que la commission devrait étudier, voilà des noeuds qu'elle devrait explorer avec la détermination de Sherlock Holmes - exercice périlleux mais salutaire...

Nous votons trop de lois bavardes et ne savons pas en abroger d'autres. Certaines sont caduques mais non formellement abrogées. Une ordonnance du 16 brumaire an IX interdit le port du pantalon aux femmes sans autorisation préalable du préfet de police... Le texte est incompatible avec le Préambule de la Constitution de 1946, donc « implicitement » abrogé selon la ministre aux droits des femmes, mais seul le préfet de police pourrait en droit l'abolir - il se refuse, dit-il, à faire de l'archéologie administrative...

Plus près de nous, il faudrait revisiter la loi de 1978 sur l'accès des citoyens aux documents administratifs. Nos concitoyens connaissent de mieux en mieux les textes et comprennent mal que la loi ne soit pas appliquée.

Il se dit que les préfets doivent prendre en compte 90 000 pages de circulaires nouvelles par an ; il est compréhensible qu'ils n'en lisent aucune... La tentation est grande pour le législateur de faire une loi pour montrer qu'il existe ; il ne devrait voter que des lois utiles et strictement nécessaires. Il faudrait aussi se pencher sur l'inégale application de la loi sur le territoire - cet enjeu est peut-être plus important encore que la non-application de la loi... (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jean-Claude Lenoir .  - La fonction de contrôle qui nous est confiée s'est affirmée avec le temps.

Le groupe UMP souhaite rappeler que si la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois a été créée, c'est grâce à la révision de 2008 ; la circulaire Fillon est aussi passée par là... Les statistiques démontrent que des efforts ont été faits. Certes, au cours des derniers mois du gouvernement Fillon, de nombreux décrets ont été publiés. Certaines lois sont applicables totalement ou partiellement, avez-vous dit ; mais c'est le cas de toutes les lois, il suffit que quelques textes manquent...

J'en viens à une analyse plus qualitative des textes réglementaires. Pour qu'une loi soit applicable, il faut qu'elle soit bonne, c'est-à-dire simple. Nos marges de progrès dans ce domaine sont considérables... Les lois existantes mériteraient d'être simplifiées... Vous avez jugé avec sévérité l'initiative de M. Warsmann. L'exercice est pourtant utile : ses textes ont été l'occasion de supprimer des centaines de dispositions obsolètes, dont le certificat prénuptial pour les couples en attente de mariage... Aucun gouvernement ne s'est privé de présenter des textes fourre-tout portant « diverses dispositions... ».

Les rapports qui fondent un texte de loi sont très utiles ; un travail de fond fourni par des parlementaires de la majorité et de l'opposition permet d'avancer. En revanche, d'autres rapports sont là pour nous faire plaisir. Comme ils demandent à l'administration du temps et de l'argent, ils devraient tomber sous le coup de l'article 40... Nous devrions collectivement ne pas tomber dans ce piège.

J'en arrive à une partie de mon exposé plus personnelle, qui concerne les circulaires. On sait qu'elles n'ont aucune portée juridique. Pourtant, l'administration éclaire ses fonctionnaires par des circulaires plus qu'avec la loi... Les exemples abondent de circulaires qui dénaturent la loi.

La loi SRU a été votée sous le gouvernement Jospin. Nous voulions une plus grande souplesse pour la délivrance des certificats d'urbanisme et des permis de construire en milieu rural. Les services de l'urbanisme ont commenté le projet de loi, non la loi votée ; leur circulaire disait le contraire de celle-ci... Il a fallu voter une nouvelle loi pour supprimer la circulaire ! Autre exemple : la LME contenait des dispositions sur l'urbanisme commercial, pour éviter le développement anarchique de grandes surfaces. En août suivant, un directeur d'administration centrale a cru bon de prendre une circulaire selon laquelle les grandes surfaces pouvaient augmenter en une seule fois de 1 000 mètres carrés les surfaces dont elles disposaient, en vertu de son « interprétation » de la volonté du législateur. En quelques années, 500 000 mètres carrés ont été construits. Le directeur en question a été convoqué par les commissions du Parlement et libéré dès la fin de l'année de ses obligations professionnelles. Il a fallu la proposition de loi Ollier pour arrêter les dégâts.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - Le mal était fait !

M. Jean-Claude Lenoir.  - Autre exemple encore : le Parlement a voté récemment une loi qui interdit la fracturation hydraulique pour l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels. La ministre en charge de l'écologie, le 21 septembre 2012, a signé une circulaire qui interdit l'étude sismique des sols, ce qui est contraire à la loi ; cette circulaire illégale doit être retirée.

Nous avons voté une loi sur la refondation de l'école.

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale.  - Superbe loi !

M. Jean-Claude Lenoir.  - Le Gouvernement a fait adopter un amendement dont l'exposé des motifs fait sourire : il s'agissait de faire en sorte que « la loi emprunte les mêmes termes que la circulaire ministérielle » ! Est-ce ainsi que nous devons légiférer ?

présidence de M. Thierry Foucaud,vice-président

M. Luc Carvounas .  - La création de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois répond à nos obligations démocratiques. Comme l'avait dit le professeur Carcassonne, dans les pays européens modernes, les parlementaires consacrent plus de temps au contrôle qu'à la législation. L'évolution de notre travail me semble donc tout à fait souhaitable.

Chacun a pu constater le maquis législatif. Puisque, comme l'a dit Montesquieu, « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires », le « choc de simplification » annoncé par le président de la République, s'imposait. La mise en application des lois votées est une priorité du Gouvernement, ce dont je me réjouis. En revanche, le Sénat reste défavorisé par rapport à l'Assemblée nationale.

Je suis également préoccupé de l'urgence à deux vitesses : des lois qui doivent être votées rapidement, mais qui s'appliquent avec lenteur. Si les parlementaires peuvent comprendre la nécessité d'un recours à l'urgence, il faudrait que l'administration fasse de même.

Une culture parlementaire de l'évaluation doit se développer. Chargé d'un contrôle sur le tourisme, j'ai pu constater toutes les insuffisances de l'action publique. Je suis convaincu que notre commission sénatoriale préfigure le travail parlementaire de demain. Des moyens supplémentaires sont donc nécessaires. Il y va du bon fonctionnement de nos institutions. Nos moyens d'action doivent progresser. La place des études d'impact doit être plus importante en amont, mais aussi en aval.

Nous aurions avantage à solliciter la Cour des compte et le Conseil d'État. Nous sommes en train de transformer ensemble le processus législatif pour le rendre plus efficace. (Applaudissements à gauche)

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale .  - Je salue la richesse de vos interventions.

À chaque fois qu'un sujet de fond est abordé, nous devons asseoir la crédibilité de notre démocratie. Plus la qualité du travail législatif est grande, plus la crédibilité de notre travail est renforcée.

Comme l'a dit Mme Blandin, il faut revoir l'organisation de ces débats. Chaque commission devrait pister quelques décrets qui lui apparaissent essentiels et interroger le Gouvernement à leur propos deux semaines à l'avance, afin qu'il puisse lui apporter des réponses précises.

Au-delà de nos travaux, il faudrait pouvoir interpeller le Gouvernement tout au long de l'année, pour faire vivre notre travail. Bien sûr, il faudra plus de moyens. Quand nous nous sommes installés, nous avions très peu de moyens. Nous avons avancé. Les moyens viendront, m'a-t-on dit. Je suis optimiste, mais nous ne lâcherons pas prise, car le contrôle est toujours dérangeant. Le Gouvernement y est ouvert, c'est une chance parlementaire. Merci, monsieur le ministre, pour votre présence, pour vos réponses. (Applaudissements à gauche)

M. Alain Vidalies, ministre délégué .  - Cette proposition de M. Assouline m'agrée. Tous les orateurs ont cité des exemples précis qui leur tiennent à coeur. Même si ma fonction appelle de ma part une compétence universelle (sourires), il me serait difficile de répondre un à un à propos de tous les décrets qui suscitent votre insatisfaction. À ceux qui ne pourront entendre de réponse de ma part, je donnerai des précisions par écrit.

J'ai sélectionné quelques questions.

M. Raoul m'a interrogé à propos de la loi sur la chasse de 2012.Le projet de décret a obtenu un avis favorable du Conseil national de la chasse et de la faune sauvage le 11 avril 2013 et il est au Conseil d'État depuis le 11 juin.

M. Raoul s'est aussi soucié de la loi du 8 décembre 2011 sur les certificats d'obtention végétale, dont quatre articles sur dix-huit ne sont pas encore entrés en vigueur faute de décret d'application. Le projet de décret concernant, à l'article premier, le code de la propriété intellectuelle, sera transmis au Conseil d'État en juillet. De même pour le deuxième décret, qui concerne l'article 16. Le troisième, qui concerne l'article 2, est en cours de rédaction. Enfin, s'agissant du décret sur l'article 18, les options seront proposées aux parties prenantes et il doit être publié au premier trimestre 2014.

Mme David m'a interrogé sur le texte du 5 mars 2012 concernant le suivi des enfants en danger. La commission consultative d'évaluation des normes a rendu le 4 avril un avis favorable sur le décret qui a été transmis le 6 juin au Conseil d'État. Le texte relatif aux recherches sur la personne humaine est plus problématique : un projet de règlement européen pourrait être publié d'ici la fin de l'année, avec lequel le décret prévu serait en partie incompatible. Il faut donc attendre la parution de ce règlement européen.

Mme Blandin m'a interrogé sur le projet de loi relatif à la redevance pour copie privée. Le décret est soumis à la consultation des professionnels et il est soumis à la Commission européenne qui devait se prononcer avant demain. Il devrait sortir le 1er janvier 2014.

La charte éthique a été adoptée par les instances du sport et le projet de décret sur la loi du 1er février 2012 n'a plus d'objet. À l'article 8, le décret prévu est soumis à consultation et le Conseil d'État sera saisi d'ici fin juillet.

M. Sueur m'a posé diverses questions sur le texte du 27 mars 2012 sur la loi sur l'exécution des peines. Le projet de décret sera soumis aux syndicats des praticiens interhospitaliers. Un moratoire a été retenu. Ce décret risque de rouvrir un débat, l'affaire est compliquée...

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.  - C'est dans la loi !

M. Alain Vidalies, ministre délégué.  - Je ne saurais rivaliser en compétence avec M. Rome sur le très haut débit.

M. Collin m'a interrogé sur un texte relatif au service civique outre-mer. Un dispositif a été adopté le 22 mars 2011 pour la Nouvelle-Calédonie ; pour les autres collectivités d'outre-mer, les discussions sont toujours en cours. Cela n'a pas empêché le service civique de se développer grâce à des mesures transitoires.

Les exemples cités par M. Lenoir sont des expériences partagées. Les mesures de simplification ont été dévoyées, avez-vous dit. C'est exact. Lors de la quatrième loi Warsmann, les limites ont été dépassées. Ce texte a été une compilation d'initiatives qui n'avaient pu aboutir précédemment. Je me souviens avoir vu arriver en pleine nuit un texte complet de cinq pages sur le tourisme de plein air, qui n'avait pu auparavant trouver de véhicule législatif. Abroger des lois ? Il faudrait un code de bonne conduite, puisque dans un projet de loi portant « diverses dispositions » on peut tout mettre sans risque de cavalerie. De tels projets de loi avaient leur utilité.

Le gouvernement est disposé à améliorer les conditions de notre travail et à être au rendez-vous de l'application des lois. L'objectif du Parlement est aussi celui de l'exécutif : notre objectif commun est de travailler pour les Français.

(Applaudissements à gauche)

Le débat est clos.

Prochaine séance, aujourd'hui, mercredi 26 juin 2013, à 15 heures.

La séance est levée à minuit quarante-cinq.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques

ORDRE DU JOUR

du mercredi 26 juin 2013

Séance publique

À 15 HEURES ET LE SOIR

Suite de la deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République (n° 641, 2012-2013).

Rapport de Mme Françoise Cartron, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (n° 672, 2012-2013).

Texte de la commission (n° 673, 2012-2013).

Deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, de séparation et de régulation des activités bancaires (n° 643, 2012-2013).

Rapport de M. Richard Yung, fait au nom de la commission des finances (n° 681, 2012-2013).

Texte de la commission (n° 682, 2012-2013).