Transpositions en matière pénale (Conclusions de la CMP)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l'Union européenne et des engagements internationaux de la France.

Discussion générale

M. Alain Richard, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire .  - La CMP a abouti à un accord. Pour résumer, nous avions quatre questions à examiner, dont deux n'ont pas posé de difficulté. Il s'agit d'abord de l'extension des pouvoirs du membre national d'Eurojust. Comme le souhaitait le Gouvernement, nous avons jugé préférable de ne pas lui conférer des pouvoirs de déclenchement des poursuites et de lancement de l'enquête. Il s'agit ensuite du droit des prévenus à la traduction et à l'interprétation des pièces de procédure pénale, sur lequel nous avons trouvé un point de convergence.

Restaient deux autres sujets d'importance en débat. D'abord les incriminations de réduction en esclavage et en servitude. Nous jugions notre arsenal juridique complet tandis que la Cour européenne des droits de l'homme le considérait insuffisant au regard de l'article 4 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, lequel stipule que « nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude ».

Nous aurions préféré prendre le temps de la réflexion mais, aucun autre véhicule législatif ne convenant dans un avenir proche, nous avons créé un groupe de travail pluraliste qui a statué en distinguant l'esclavage de la servitude, à la suite d'un long travail d'exégèse : en un mot, la servitude relève uniquement du travail forcé quand l'esclavage va au-delà et touche à la relation de domination d'une personne, jusqu'aux abus sexuels perpétués à son encontre.

Voilà donc le principal apport législatif de la CMP. Cette innovation, qui entrera dans notre code sans examen approfondi dans l'hémicycle, a fait néanmoins l'objet de débats ouverts à tous au sein du groupe de travail.

Autre motif justifiant ce mode un peu expéditif d'élaboration de la loi, nous devions respecter les engagements internationaux de la France,

Enfin, l'abrogation du délit d'offense au chef de l'État ayant été adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale, nous nous sommes ralliés à cette position. D'autant que son application est marginale dans les tribunaux en raison de la difficulté à le caractériser. La dernière occurrence fut l'affaire Éon, pour laquelle la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme. Ajoutons-y une volonté de s'affranchir des règles traditionnelles, qui est dans l'air du temps.

Des différentes solutions envisagées, la meilleure consistait à faire jouer le principe d'opportunité des poursuites : le parquet sera libre d'ouvrir des poursuites en fonction de l'importance des faits mais à la seule demande du chef de l'État. Voilà le compromis auquel notre CMP est parvenue avant de voter son texte à l'unanimité. (M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois, applaudit)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice .  - De la belle ouvrage que ce travail législatif : nous ne nous en sommes pas tenus à la transposition d'instruments internationaux sous la contrainte du temps -qui, au reste, était relative. Ce texte participe de la construction d'un espace européen et international de droit à partir d'une réflexion sur la cohérence de notre droit pénal et d'une volonté politique de se doter de la législation la plus avancée possible.

La demi-douzaine d'instruments juridiques européens et internationaux que nous transposons portent sur des sujets aussi importants que la traite des êtres humains, les violences faites aux femmes, la lutte contre les abus sexuels commis à l'encontre des enfants et mineurs, les disparitions forcées -pour lesquelles nous avons distingué celles liées à des événements politiques des délits et crimes commis par des personnes physiques.

Nous transposons également des mesures de procédure importantes : le droit à la traduction et à l'interprétation des pièces de la procédure pénale, la consolidation de l'action du membre nationale d'Eurojust. Sur ce dernier point, les débats au Sénat ont convaincu : il fallait renforcer le pouvoir de cette instance sans mettre en péril la cohérence de notre procédure.

Des points de divergence subsistaient sur des sujets qui n'étaient pas minces : l'esclavage, qui existait seulement en tant que crime contre l'humanité dans notre code, et la servitude, dont nous n'avions pas de définition juridique. Les deux assemblées ont pris très au sérieux ces incriminations et avaient la volonté de prendre le temps de les définir correctement. Ce qu'elles ont fait au moyen d'un groupe de travail qui a procédé à des auditions et s'est réuni par deux fois à la Chancellerie. Ce travail remarquable s'est conclu par la distinction de quatre niveaux de gravité. D'abord, les conditions de travail et d'hébergement indignes avec une peine de prison de cinq ans et deux niveaux de circonstances aggravantes avec sept et dix ans de prison ; le travail forcé auquel correspondra une peine de sept ans de réclusion, avec deux niveaux de circonstances aggravantes -lorsque l'infraction est commise sur mineurs ou à l'encontre d'un groupe- qui encourent des sanctions de dix à quinze ans ; la réduction en servitude conçue comme le prolongement du travail forcé, imposé de façon habituelle, incrimination punie de dix ans, avec deux niveaux de circonstances aggravantes. Puis, vous avez eu le courage de vous attaquer à l'incrimination difficile, complexe, de réduction en esclavage présente dans la Convention de Genève de la SDN de 1926 reprise par la convention de l'ONU de 1956. Elle se définira comme la négation de la liberté et de la dignité de la personne en tant que sujet de droit et vaudra une sanction de vingt à trente ans de réclusion criminelle, selon que des circonstances aggravantes sont ou non retenues. Des éléments comme l'exploitation sexuelle et la séquestration ont été pris en compte.

Ce travail exceptionnel en CMP aidera à mieux transposer les instruments européens. Cette expérience enrichira, fécondera, fertilisera notre futur travail de transposition.

Dernier sujet délicat car il touche à la dimension symbolique et solennelle de notre droit : le délit d'offense au chef de l'État. Il s'agissait, comme l'a dit le rapporteur, de moderniser notre droit, de le démocratiser et de le délester de ses derniers héritages monarchiques. Notre président de la République, s'il n'est pas de droit divin, doit être non pas sacralisé en tant que tel mais pleinement reconnu parce qu'il est à la tête de nos institutions, parce qu'il contribue au lustre de notre démocratie. D'où le compromis trouvé pour les cas où le chef de l'État serait victime d'injures et de diffamation : il pourra se défendre au même titre que toutes les personnes dépositaires de l'autorité publique.

Restent deux points. Vous avez accepté de tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 14 juin 2013 sur le mandat d'arrêt européen, qui est d'effet immédiat. Saisis d'une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil a interrogé la Cour européenne qui leur a répondu, le 30 mai 2103, que la décision cadre n'excluait pas une voie de recours. Un recours pourra donc avoir lieu dans les quarante jours et c'est heureux car il fallait combler ce vide juridique.

Nous devons réparer une transposition fautive en rétablissant le délit de port ou de transport sans motif légitime d'armes de sixième catégorie. Ce délit donne lieu à 7 000 procédures, 4 000 condamnations et 400 décisions d'emprisonnement par an, il est lié à ce texte en ce qu'il concerne entre autres des armes blanches, souvent utilisées dans les violences faites aux femmes, les viols.

J'ai travaillé avec un grand bonheur juridique, intellectuel et politique avec vos deux commissions. Puisse ce texte être adopté à l'unanimité. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Éliane Assassi .  - Les mesures de ce texte ont toutes en commun leur dimension internationale. Je me félicite que les discussions européennes aient abouti, en particulier sur le renforcement d'Eurojust.

S'agissant de la traite des êtres humains, notre droit doit être exemplaire. Notre groupe avait d'ailleurs insisté sur la nécessité d'adopter la définition la plus protectrice possible. Il faut continuer à suivre les recommandations de la Commission nationale consultative des droits de l'homme. Cependant, l'introduction de nouveaux éléments, comme la lutte contre le prélèvement d'organes et l'esclavage, représente une avancée incontestable.

Quelque 12 millions de personnes sont victimes de travail forcé dans le monde et 350 000 dans les pays industrialisés. Il fallait donc renforcer notre droit pour mieux lutter contre. Même raisonnement pour la transposition de la convention d'Istanbul, quand plus de 60 000 femmes sont encore victimes de mutilations génitales.

Je salue la suppression du délit d'offense au chef de l'État. C'est pour moi une véritable victoire républicaine sur une tradition monarchiste et bonapartiste qui entravait la liberté d'expression et la liberté de la presse. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Claude Requier .  - Fruit d'une procédure législative exemplaire, ce projet de loi met la France en conformité avec ses engagements européens et internationaux, conformément à notre jurisprudence constitutionnelle.

Le groupe du RDSE se réjouit de la création d'un parquet européen et de l'avènement d'un espace commun de droit et de liberté dans l'Union européenne.

La CMP a trouvé un accord constructif sur les quatre points restant en discussion. Solution prudente et réaliste que celle qui a été obtenue par les deux rapporteurs sur Eurojust. La Cour européenne des droits de l'homme avait par ailleurs relevé le caractère inopérant de notre droit quant à l'application de l'article 4 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme sur l'esclavage et la réduction en servitude. Les débats en première lecture avaient mis en lumière la nécessité d'une réflexion approfondie sur cette question sensible, qui met en jeu la dignité de l'être humain. L'objectif est atteint.

Le délit d'offense au président de la République a toujours suscité le scepticisme de notre groupe, qui refuse toute survivance du crime de lèse-majesté. La Cour européenne des droits de l'homme a marqué, le 14 mars dernier, qu'une telle disposition n'a plus sa place dans un État de droit moderne. Sur ce point, la CMP a trouvé une solution équilibrée et conforme aux principes auxquels nous sommes attachés.

La CMP a fait oeuvre utile. Nous nous félicitons des progrès apportés à notre justice. Le groupe du RDSE votera ce texte à l'unanimité. (M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois, applaudit)

Mme Esther Benbassa .  - Je salue le travail des deux rapporteurs, Mme Karamanli et M. Richard, sur l'inscription dans notre droit pénal de l'esclavage et de la servitude. J'ai participé au groupe de travail qui a auditionné une dizaine de magistrats, universitaires et représentants d'association.

Les incriminations de l'esclavage et de la servitude sont une avancée de notre droit pénal. La Cour européenne des droits de l'homme avait relevé, dans deux de ses arrêts, nos lacunes en la matière. Le premier -Siliadin contre France- concernait une adolescente togolaise arrivée dans notre pays en 1994, privée de son passeport et maintenue en servitude dans une famille où elle était contrainte aux tâches ménagères quinze heures par jour sans qu'il lui soit versé aucune rémunération.

Ses conditions de travail et d'hébergement ont été jugées par la Cour de Strasbourg incompatibles avec le respect de la dignité de la personne humaine. Le travail des deux assemblées a permis de combler le vide juridique.

Le délit d'offense au chef de l'État était un autre point à régler entre nos deux assemblées. Le nouvel article 17 bis, adopté par l'Assemblée nationale, entendait tirer les conséquences de l'arrêt du 14 mars 2013. Le Sénat l'avait supprimé au motif que l'abrogation pure et simple du délit n'était pas opportune. Le texte de la CMP est un bel exemple de compromis : il rétablit l'article tout en alignant le régime de la diffamation ou de l'injure envers le chef de l'État sur celui applicable aux ministres et parlementaires. Le président de la République n'est pas de droit divin... Nous nous réjouissons de ces avancées.

Le groupe écologiste votera ce texte sans réserve, parce qu'il démontre que l'Europe peut contribuer au renforcement des droits fondamentaux des citoyens européens et des pays tiers. (Applaudissements à gauche et au centre)

M. Hugues Portelli .  - Le groupe UMP votera sans hésitation ce texte. Je remercie M. le rapporteur pour son excellent travail, comme d'habitude. Il a fait en sorte que ce texte soit adapté à notre époque en évitant tout anachronisme. Qu'est-ce que l'atteinte à la dignité aujourd'hui ? Qu'est-ce que l'exploitation de la personne humaine ? Il fallait les définir en s'appuyant sur les textes européens.

Bel exemple de transposition, mais ce n'est pas toujours le cas. Ainsi, on a récemment transposé des dispositions relatives aux infractions routières transfrontalières au détour d'un texte sur l'environnement...

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Quelle idée !

M. Hugues Portelli.  - ...ce qui les rend inapplicables. Autre exemple : la directive Services, qui date de 2006 et aurait dû être transposée avant 2009, ne l'est toujours pas... Ici, le travail a été bien fait, ce dont nous nous félicitons.

Le délit d'offense au chef de l'État exigeait aussi qu'on évitât tout anachronisme. La loi sur la liberté de la presse est une loi républicaine et, en République, le chef de l'État, c'est le président de la République. Je vous renvoie à ce que dit le général de Gaulle dans ses Mémoires de guerre. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jean-Claude Lenoir.  - Excellent !

La discussion générale est close.

Discussion du texte élaboré par la CMP

Mme la présidente.  - En application de l'article 42-12 de notre Règlement, le Sénat examinant le texte après l'Assemblée nationale, il se prononcera par un seul vote sur l'ensemble du texte en ne retenant que les amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement.

ARTICLE 17

Mme la présidente.  - Amendement n°1, présenté par le Gouvernement.

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

II. - Le code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction résultant de l'article 1er de l'ordonnance n°2013-518 du 20 juin 2013 modifiant certaines dispositions du code de la sécurité intérieure et du code de la défense (parties législatives) relatives aux armes et munitions, est ainsi modifié :

1° Au 3° de l'article L. 317-8, les mots : « soumis à enregistrement » sont remplacés par les mots : « , à l'exception de ceux qui présentent une faible dangerosité et figurent sur une liste fixée par arrêté » ;

2° Au 3° de l'article L. 317-9, les mots : « catégorie D soumis à enregistrement » sont remplacés par les mots : « la catégorie D à l'exception de ceux qui présentent une faible dangerosité et figurent sur une liste fixée par arrêté ».

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.  - Je m'en suis expliquée. Cet amendement introduit une disposition d'ordre public avec le soutien des rapporteurs et de tous les groupes. Il s'agit de consolider le texte.

M. Alain Richard, rapporteur.  - La CMP suscite toujours une certaine ivresse parlementaire, compte tenu de l'absence du Gouvernement. (Sourires) Il ne revenait pas aux parlementaires de présenter un tel amendement en commission. Sur le fond, nous sommes d'accord. Le contrôle de ces armes est le fruit d'une initiative parlementaire, comme l'ex-députée Christiane Taubira s'en souvient certainement. (Sourires) Le travail règlementaire est en voie d'achèvement, de sorte que l'ensemble du dispositif de contrôle des armes, modernisé, entrera en vigueur en septembre 2013.

Le délit de port et transport d'armes de sixième catégorie présente un grand intérêt pour la sécurité publique ; il permet d'empêcher des auteurs de violence des rues de passer à l'acte, par exemple lors de rassemblements publics. La CMP a soutenu cet amendement à l'unanimité.

Le vote est réservé.

Intervention sur l'ensemble

M. François Zocchetto .  - J'ai souvent recueilli les doléances des magistrats sur les modifications incessantes du code pénal et du code de la procédure pénale. La lutte contre les fléaux visés par ce texte est néanmoins une nécessité. Nous ouvrirons la prochaine session par un projet de loi relatif à l'égalité entre les hommes et les femmes, qui apportera sans aucun doute de nouvelles modifications au code de procédure pénale. C'est ainsi, le travail n'est jamais achevé...

Le président de la République représente l'État au plus haut niveau mais n'en est pas l'incarnation. Rien ne justifiait le maintien du délit d'offense au chef de l'État. Bien évidemment, le groupe UDI-UC votera les conclusions de la CMP. (MM. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois, et Alain Richard, rapporteur, applaudissent)

L'ensemble des conclusions de la CMP, modifiées par l'amendement n°1, sont adoptées.