Commerce des armes (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi autorisant la ratification du traité sur le commerce des armes.

Discussion générale

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères .  - Le Traité sur le commerce des armes (TCA) est le premier grand traité universel du XXIe siècle sur la sécurité internationale. Je m'étais engagé à ce que la France soit le premier pays à le ratifier, et à ce que le Sénat soit le premier à se prononcer. Merci au président Carrère d'en avoir demandé l'inscription à l'ordre du jour dans cette semaine de contrôle.

La France, qui a connu de nombreuses guerres, est l'une des principales promotrices du désarmement. Nous nous sommes d'abord battus contre les armes non conventionnelles. Dès le XVIIe siècle, l'accord de Strasbourg entre la France et le Saint-Empire romain germanique interdisait les balles empoisonnées. Depuis, notre engagement ne s'est pas démenti, avec le désormais fameux protocole de Genève de 1925 et la convention sur l'interdiction des armes chimiques de 1993.

Nous avons aussi commencé à démanteler notre arsenal nucléaire. Le traité de non-prolifération reste le socle du désarmement nucléaire. La négociation du traité d'interdiction du commerce de matière fissile destinée à l'armement reste devant nous. En employant des armes chimiques contre son peuple, Bachar el-Assad a suscité une prise de conscience. Le Conseil de sécurité a déclaré que l'usage de ces armes menaçait la sécurité mondiale.

Nous combattons aussi la prolifération nucléaire. En rencontrant récemment à New York le président iranien, le président de la République a donné une chance au dialogue, sans naïveté parce que nous savons que pendant les discussions, les centrifugeuses tournent. Les discussions reprendront le 15 octobre à Genève et nous verrons si l'Iran cherche à gagner du temps ou s'il veut s'engager vraiment dans des négociations.

Mais cela ne suffit pas. Il faut aussi agir contre les armes classiques, dont la prolifération déstabilise aujourd'hui le Sahel.

Nous avons convié les chefs d'États africains à Paris le 5 décembre pour envisager avec eux la sécurité du continent. Il est de notre devoir de les accompagner. S'agissant des armes classiques, la France a toujours incité la communauté internationale à prendre ses responsabilités. La France a soutenu de nombreuses initiatives. Elle a signé la convention d'Ottawa contre les mines antipersonnelles, ainsi que la convention d'Oslo. La lutte contre la dissémination des armes classiques est une nécessité pour protéger les civils. En République démocratique du Congo, 5 millions de personnes ont été tués par des armes à feu depuis 1998. Des armes disséminées sans contrôle servent à tuer mais aussi à menacer et à commettre enlèvements, viols, tortures ; elles détruisent la société. Elles entretiennent aussi les trafics.

Nous avions besoin de nouveaux instruments. Le TCA est à la mesure du problème.

J'entends beaucoup d'inexactitudes. Le TCA est novateur par la place qu'il accorde aux droits de l'homme et au droit international humanitaire. Il interdit, en effet, la vente d'armes s'il existe un risque qu'elles soient employées en vue de crimes contre l'humanité ou de guerre. Il impose également la transparence sur les transferts d'armes. Enfin, c'est le premier traité universel en la matière.

La France a beaucoup oeuvré pour l'adoption de ce traité exigeant. Nous avons dû convaincre. Sans cette action, et celle des ONG, ce traité n'existerait pas.

L'Assemblée générale des Nations unies l'a adopté le 2 avril 2013 à une majorité écrasante.

La France étant l'un des principaux exportateurs d'armes, est-il hypocrite de ratifier ce traité ? Celui-ci va-t-il entraver notre commerce ?

M. Jean Desessard.  - Ah !

M. Laurent Fabius, ministre.  - Deux fois non. La France ne vend pas n'importe quoi à n'importe qui. L'encadrement du commerce des armes est particulièrement robuste en France. En outre, notre pays ne vend pas d'armes légères, les plus meurtrières. Comme disait Jaurès, il faut aller vers l'idéal, mais aussi comprendre le réel.

Puisse la France montrer l'exemple et le Sénat parler d'une seule voix ! (Applaudissements sur le banc des commissions et sur les bancs socialistes)

M. Daniel Reiner, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées .  - Ce texte intéressera peu les médias. C'est dommage, car il est de ceux qui ajoutent à la sagesse du monde. Aux Nations unies, seuls la Syrie, la Corée du Nord et l'Iran ont voté contre.

Dès la fin des années 1990, les ONG ont demandé un instrument universel de régulation. En 1997, Oscar Arias, le président du Costa Rica, faisait de même, avec d'autres prix Nobel de la paix. Après le Royaume-Uni, tous les pays de l'Union européenne ont soutenu ce projet, bientôt suivis par les États-Unis. Le traité fut finalement signé en avril 2013. La Chine, la Russie, l'Inde et certains pays arabes se sont abstenus ; au total, ils étaient 22.

Ce texte est majeur. Il porte sur une grande variété d'armes et de munitions, à l'exclusion de celles qui sont destinées au maintien de l'ordre. En revanche, les activités non explicitement commerciales, comme les échanges et dons, y échappent, au grand dam des ONG.

Son article 6 prohibe toute exportation violant les obligations internationales de l'État exportateur, ou qui faciliterait la commission d'un crime contre l'humanité ou d'un crime de guerre.

Comment prouver, cependant, l'intention de l'exportateur ? Nous nous réjouissons de la prise en compte des droits de l'homme, mais que signifie un « risque prépondérant » ? Quid des mesures d'atténuation des risques ? Nous aimerions savoir quelle interprétation la France fera de l'article 7.

D'autres mesures garantissent la transparence des transferts. L'intégration de ce traité en droit interne, européen ou français, ne posera aucun problème. La France, par son rapport annuel au Parlement sur les exportations d'armes, respecte déjà les obligations de transparence.

Nous devrions être le huitième pays à ratifier ce traité, signé par les États-Unis le 25 septembre. L'article 26 est une faille de ce texte. Il dit à la fois une chose et son contraire, et pourrait autoriser des dérogations. Cependant, ce texte est une bonne base de départ. Selon Amnesty International, chaque minute une personne est tuée par les armes, quinze sont blessées, 80 % des morts dans les conflits sont des civils. La France s'honorera en ratifiant ce traité, comme le Sénat en suivant sa commission unanime. (Applaudissements)

M. Jean-Marie Bockel .  - La paix et la sécurité collectives sont les premiers biens publics. La prolifération ne concerne pas seulement les armes nucléaires, biologiques ou chimiques, contre lesquelles la communauté internationale s'est déjà prémunie. Les armes les plus basiques sont les plus meurtrières : plus de 500 000 morts par an.

Chaque jour, l'usage d'armes légères contribue dans certains pays à l'escalade de la violence. Sur les mines, des progrès ont été faits. La prolifération met en péril non seulement la sécurité internationale, mais aussi celle des États, puisqu'elle fournit des armes aux mafias ou aux terroristes. Songez au drame norvégien.

La chute de l'URSS, puis celle du régime libyen ont entraîné une dissémination d'armes conventionnelles. Il était temps de réagir.

Ce traité viendra compléter une législation nationale et européenne, déjà très contraignante. La France, grande exportatrice d'armements, a le devoir de veiller à leur usage. Le transport d'armes sera conditionné à l'absence de risques pour les droits de l'homme.

Certes, ce texte n'est qu'un point d'étape. Il ne suffira pas à tarir les trafics. Quoi qu'il en soit, le groupe UDI-UC le votera, témoignant ainsi de son attachement à la paix et à la sécurité internationales. (Applaudissements au centre)

Mme Michelle Demessine .  - Ce débat est d'une brûlante et tragique actualité, alors que la guerre fait rage en Syrie. Le TCA constitue une étape décisive qui clôt sept années d'atermoiements ; la France y a joué un grand rôle, aux côtés d'ONG.

M. Laurent Fabius, ministre.  - Merci de le souligner !

Mme Michelle Demessine.  - C'est la première fois depuis l'adoption du traité d'interdiction des essais nucléaires en 1997 que les États du monde s'engagent à limiter la progression des armements.

Ce traité est globalement satisfaisant. Nous nous félicitons qu'il couvre les armes légères, prenne en compte les munitions dans une certaine mesure et fasse référence aux droits de l'homme. Il est appréciable que l'interdiction de vendre des armes destinées à perpétrer des crimes contre l'humanité soit inscrite dans le marbre.

Toutefois, son champ d'application est trop étroit. Les drones en sont exclus. Les munitions feront l'objet de contrôles moins complets.

Veillons à ce que les principaux exportateurs d'armes y adhèrent rapidement. Je compte, là encore, sur l'efficacité de notre diplomatie.

La question soulève des problèmes éthiques, mais aussi d'efficacité. Je comprends le réalisme du Gouvernement, soucieux de la défense de nos intérêts économiques et géopolitiques. Mais je crois qu'un traité international de ce type peut aider à surmonter ces difficultés.

Il faut donner plus de cohérence à notre politique d'exportation des armes. Un contrôle plus démocratique et plus transparent du commerce des armes peut nous y aider. J'y invite le Gouvernement. Le rapport annuel sur le commerce des armes est publié trop tard, et il est trop peu précis. Le groupe CRC souhaite vivement que le rôle du Parlement soit renforcé dans le domaine de la défense, comme le président de la République s'y est engagé.

Le groupe CRC approuve pleinement ce texte. (Applaudissements à gauche)

M. Robert Tropeano .  - Quand, à Nairobi, des terroristes, lourdement armés, ont tué à bout portant des femmes et des enfants, quand certains États n'hésitent pas à envoyer au front des enfants soldats, la circulation incontrôlée des armes est un fléau. Certes, nul ne croit à l'utopie d'un monde sans armes et au mot de Victor Hugo : « Ôtez l'armée, vous ôtez la guerre ». La France exporte beaucoup d'armes, ce qui contribue au dynamisme de son industrie. Mais ce commerce est strictement encadré.

La France a également toujours oeuvré pour la non-prolifération. Le président de la République a montré beaucoup d'énergie.

Je salue aussi le travail des ONG .La négociation a été longue mais le ralliement des États-Unis a accéléré la conclusion du traité, qui fut adopté à une très large majorité par l'Assemblée générale des Nations unies. Au moins 107 pays l'ont signé. Nous sommes parmi les premiers à le ratifier : cela honore la France.

Ce traité encadre le commerce d'armes entre États et vise à prévenir le commerce illicite. Il s'intégrera sans peine au droit national, où prévaut un principe général de prohibition. L'encadrement juridique a été encore renforcé par la loi de 2011. Il en va de même du droit européen.

Nous approuvons totalement ce traité, notamment parce qu'il prend en compte les droits de l'homme. Comme le disait François Mitterrand, « La paix n'est pas à préserver, elle est d'abord à conquérir ».

Ne pas soutenir ce traité serait irresponsable. Nous l'approuverons sans réserve. (Applaudissements)

M. Jean Desessard .  - Le commerce des armes doit-il être laissé au jeu de la raison d'État et des intérêts prédateurs ? Il a fallu dix-sept ans pour aboutir à ce traité, depuis l'appel du président costaricain et prix Nobel de la Paix, Oscar Arias.

Fruit d'un large consensus, ce traité ne prévoit aucune sanction mais il énonce un message fort, déjà exprimé par le droit français et européen : la condamnation des ventes d'armes irresponsables.

Selon Oxfam, l'Afrique perd 18 milliards par an en raison des violences armées, soit le montant de l'aide au développement pour tout le continent. L'encadrement du commerce des armes, selon Peter Maurer, le président du Comité international de la Croix Rouge, est une réponse louable. Cependant, ce texte comporte des limites, M. le rapporteur l'a dit. Son champ d'application est restreint : il ne vise ni les pièces détachées ni les munitions.

M. Daniel Reiner.  - Les munitions, si.

M. Jean Desessard.  - Dont acte.

Il ne couvre que les activités commerciales. La notion de « risque prépondérant » est floue. Plus gênant, l'absence de financement pour la Conférence des États signataires et son secrétariat fait douter de la volonté de la communauté internationale. Plus inquiétant encore, des pays aussi importants que la Chine, l'Inde, l'Indonésie, la Russie ne l'ont pas approuvé, tandis que le Sénat américain pourrait refuser sa ratification.

Le chemin sera long. Il faut aider les États impécunieux à appliquer ce texte. C'est un impératif moral pour la France.

Selon le gouvernement américain, la moitié des faits de corruption dans le monde sont liés au trafic d'armes. L'affaire Karachi nous en rappelle les conséquences désastreuses pour notre démocratie.

Ce texte n'est qu'une étape, qui n'interdit pas à la France de renforcer sa propre réglementation, et qui n'aurait pas empêché en 2011 la vente du système d'espionnage Amesys à la Libye. Nous le voterons cependant, car il représente une avancée. (Applaudissements)

M. Raymond Couderc .  - Ce traité est considérable pour les pays qui l'ont signé et tout simplement pour la paix. La France, fer de lance du combat pour le désarmement, sera l'un des premiers pays à le ratifier.

Le cheminement fut long. N'importe, ce traité responsabilise enfin importateurs et exportateurs d'armes conventionnelles. Ce ne serait pas assez ? Mes chers collègues, je vous rappelle que nous partions de rien.

M. Jean Desessard.  - C'est vrai.

M. Raymond Couderc.  - Il n'existait alors aucune disposition juridique, seulement des mesures politiques comme l'embargo contre l'Iran.

Les armes de petit calibre sont les plus meurtrières, nous le constatons jusque dans nos banlieues. Évitons pourtant la caricature : les armuriers ne sont pas de criminels. Le chiffre d'affaires annuel de ce commerce est de 307 milliards ; en 2011, il représentait un tiers du chiffre d'affaires des neuf plus gros producteurs d'automobiles mondiaux. Ce commerce est dominé par les États-Unis ; la France figure parmi les cinq premiers exportateurs mondiaux. Pour autant, elle prend toute sa part de responsabilité. Elle a oeuvré pour un champ d'application du TCA aussi large que possible, après s'être battue pour des règles d'or parmi lesquelles les droits de l'homme.

Soyons fiers, quand l'euroscepticisme devient une posture, que l'Europe se distingue par une législation très contraignante sur toutes les armes conventionnelles.

Le TCA a été voté par une large majorité de pays, dont beaucoup d'Amérique du Sud et d'Afrique. La difficulté est d'obtenir la signature des plus gros producteurs d'armes ; de faire de ce traité, intrinsèquement, un traité de régulation et non d'interdiction ; d'en arriver à l'universalité du traité qui nous évitera des distorsions de concurrence.

Je ne doute pas que la France, qui porte la tradition des droits de l'homme, mènera ce combat ! (Applaudissements)

M. Laurent Fabius, ministre .  - Ce texte est plus important que d'autres dont on parle davantage ; je me réjouis que tous les groupes politiques du Sénat en conviennent.

Monsieur Reiner, vous vous êtes interrogé sur l'interprétation de la notion de risque inhérent ; mais la France est tenue par la position commune européenne selon laquelle un État ne peut autoriser une vente en cas de risque manifeste d'utilisation contraire aux droits de l'homme et au droit international humanitaire. Cette notion de « risque manifeste » fournit un bon critère

Les transferts gratuits ne sont pas expressément mentionnés, mais la France et la plupart des pays européens considèrent qu'ils sont bien couverts par le traité.

L'article 26, selon lequel le traité s'applique sans préjudice des obligations souscrites par les États parties, n'est pas contradictoire avec les objectifs du traité.

Merci à M. Bockel de son soutien. Le traité n'interdit pas, il encadre.

A-t-il des chances d'être ratifié par de grands producteurs ? Oui, madame Demessine, les pays de l'Union européenne, qui représentent 30 % du commerce international des armes vont le faire. La situation est plus contrastée ailleurs : 113 pays ont signé le traité à l'ONU. La Chine s'est abstenue pour des raisons de procédure : elle préférait une adoption consensuelle à un vote. Dès lors que la Corée du Nord et l'Iran votent contre, il n'y avait plus de consensus possible. C'est d'ailleurs une raison de plus pour justifier ce traité, que la Chine devrait finir par signer. M. Poutine aurait voulu que le texte serve mieux les intérêts de la Russie, pays sur lequel il exerce une certaine influence. (Sourires) Le lobby des armes menace sa ratification au Sénat américain, malgré la position de l'administration Obama : on a réussi à faire croire à l'opinion que le traité menaçait le deuxième amendement.

Les drones pourraient être définis comme des avions de combat pilotés à distance et être inclus parmi les avions de combat mentionnés par le traité. En outre, à l'initiative de la France, le traité comporte une clause de révision.

La France a lancé une campagne de ratification de ce texte par tous les États.

Voilà que mes papiers volent comme dans le film Quai d'Orsay ! (Sourires). Avant de conclure, je veux dire à Mme Demessine que nous améliorerons le rapport annuel que le Gouvernement remet au Parlement sur le commerce des armes.

Le Sénat s'honorera en votant à l'unanimité un tel texte. (Applaudissements)

L'article unique est adopté à l'unanimité.

Prochaine séance, mercredi 9 octobre 2013, à 14 h 30.

La séance est levée à 19 h 55.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques

ORDRE DU JOUR

du mercredi 9 octobre 2013

Séance publique

À 14 HEURES 30 ET LE SOIR

Proposition de loi relative aux missions de l'Établissement national des produits agricoles et de la pêche maritime (n°819, 2012-2013)

Rapport de Mme Bernadette Bourzai, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 5, 2013-2014)

Texte de la commission (n° 6, 2013-2014)

Proposition de loi visant à l'indemnisation des personnes victimes de prise d'otages (n° 657, 2012-2013)

Rapport de Mme Esther Benbassa, fait au nom de la commission des lois (n° 25, 2013-2014)

Texte de la commission (n° 26, 2013-2014)

À 18 HEURES 30 ET LE SOIR

Proposition de loi organique relative à la nomination du président de l'Autorité de régulation des jeux en ligne (n° 812, 2012-2013)

Rapport de M. François Marc, fait au nom de la commission des finances (n° 9, 2013-2014)

Texte de la commission (n° 10, 2013-2014)

Proposition de résolution visant à créer une station de radio française « Radio France Europe » : R.F.E., destinée à mieux faire connaître, dans tous les domaines, la vie quotidienne de nos partenaires européens, présentée en application de l'article 34-1 de la Constitution (n° 459, 2012-2013)