Violences sexuelles faites aux femmes dans les conflits armés

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur les violences sexuelles faites aux femmes du fait des conflits armés et l'application par la France de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies, à la demande de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes .  - Les viols et agressions sexuelles restent, hélas, des armes de guerre. On s'en sert parfois pour transmettre le sida, voire à des fins d'épuration ethnique, comme en ex-Yougoslavie. Face à cette barbarie, la communauté internationale est restée trop longtemps muette.

Les conflits armés affectent les femmes d'une manière particulière, outre qu'elles portent le fardeau de la subsistance de leurs proches dans un environnement périlleux. La délégation aux droits des femmes réfléchit à la question, dans la perspective du colloque sur le rôle des femmes dans la Résistance à l'occupation allemande, qu'elle organise le 27 mai.

Depuis l'enlèvement des Sabines, le viol des femmes en temps de guerre fait partie de notre inconscient collectif - ce qui en aucun cas ne veut dire qu'il est une fatalité. Les statistiques dont nous disposons - de 20 000 à 40 000 viols en ex-Yougoslavie, 400 000 au Kivu entre 2003 et 2008... - sont trompeuses, car bien des victimes, de honte, gardent le silence. La délégation a symboliquement commencé ses travaux quelques jours avant la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes et rendu son rapport, tout aussi symboliquement, à deux jours du vingtième anniversaire de la déclaration des Nations unies sur l'élimination des violences à l'égard des femmes, qui reconnaissait leur vulnérabilité particulière dans les zones de conflit armé.

La délégation aux droits des femmes a voulu exprimer sa solidarité aux associations qui viennent en aide aux victimes dans des conditions souvent périlleuses. Nous avons entendu des témoignages bouleversants, insoutenables. Une participante libyenne disait que le regard de ces femmes est « un regard de mort ». Mme Benguigui, de retour de RDC, parlait de petites filles transformées en « poupées de sang »...

L'objectif des violences n'est pas seulement de détruire leurs victimes, mais aussi d'humilier leurs proches et de faire honte à leur communauté. On peut se demander si les bourreaux ne veulent pas rendre toute réconciliation impossible. La stigmatisation des victimes, la divulgation des images des viols - ou la menace de leur divulgation, souvent sources de revenus pour les criminels - ajoutent encore à la souffrance des victimes.

L'impunité des bourreaux contraste avec la souffrance infinie des victimes. La communauté internationale a pris la mesure du problème, comme en témoigne l'arsenal des résolutions « Femmes, paix, sécurité » adoptées par le Conseil de sécurité. Celle du 31 octobre 2000 est emblématique, qui appelle à protéger les femmes et petites filles victimes de violences sexuelles, à former spécifiquement le personnel participant aux opérations de maintien de la paix, à bannir toute amnistie pour les agresseurs et à reconnaître les femmes comme actrices du processus de paix. En avril 2013, le G20 de Londres a appelé les participants à prévoir les financements nécessaires pour soutenir les femmes et les enfants victimes de viols. Le traité sur le commerce des armes, ouvert à la signature en juin 2013, engage les États exportateurs à s'assurer que les armes classiques ne servent pas à des actes de violence fondés sur le sexe ni à des actes de guerre contre les femmes et les enfants. On peut y voir un signe de détermination de la communauté internationale ou un signe d'impuissance...

Les viols, agressions sexuelles ou stérilisations forcées, qui sont considérés comme des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre, restent trop souvent impunis. Comment dans ces conditions les victimes pourraient-elles se reconstruire ?

Le plan national d'action adopté par la France en 2010 prévoit le renforcement de la place des femmes dans les opérations de maintien de la paix et de reconstruction. Le ministère de la défense, dont je salue l'implication, a mis en place un programme de formation extrêmement efficace et marqué son intérêt pour la participation des femmes aux opérations ; c'est d'autant plus important dans les pays où il est difficile pour les hommes d'entrer en contact avec les femmes.

Ce plan arrive à échéance. Quel bilan en tirer, madame la ministre, et qu'en sera-t-il du prochain ? Je suggère qu'à la présentation de celui-ci les deux délégations aux droits des femmes des assemblées soient associées.

Les viols de guerre ne sont pas une fatalité. Les tribunaux dans les pays concernés doivent voir leurs moyens renforcés, car l'accès des victimes à la justice est indispensable à leur apaisement. Elles doivent aussi se voir offrir l'aide médicale, psychologique et économique nécessaire. Ce qui suppose que les associations aient sur le terrain des moyens à la hauteur des besoins.

M. Roland Courteau. -Très bien !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes.  - Faisons pression sur les pays pour que ces crimes ne restent pas impunis. Il est pertinent d'associer les institutions de la francophonie, comme l'a suggéré Mme Benguigui, et de militer pour l'entrée en vigueur rapide du traité sur le commerce des armes. La politique prometteuse du ministère de la défense mérite d'être soutenue, comme un renforcement de la place des femmes dans les écoles militaires. Pour lutter contre les violences de guerre, il est nécessaire de lutter contre les stéréotypes. La participation des femmes aux Opex doit être encouragée.

La France a un rôle décisif à jouer pour que ces violences cessent d'être des armes de guerre. (Applaudissements.)

M. Alain Gournac .  - Le sujet est aussi grave que complexe. Je me félicite qu'il soit abordé dans cet hémicycle et salue le travail entrepris depuis novembre par la délégation aux droits des femmes. Nous avons entendu des témoignages bouleversants, à la limite du supportable.

Le viol en temps de guerre est de tous les temps. Le but est d'humilier les vaincus, mais aussi de provoquer le conflit. Saint-Augustin, dans La Cité de Dieu, remarquait déjà au Ve siècle que le viol est une pratique habituelle lors des pillages de ville, au même titre que le massacre des hommes. À cet égard, notre monde n'est pas plus civilisé que celui d'hier.

S'il y a eu peu d'évolutions dans les faits, la législation internationale a évolué. La France s'est battue en faveur de l'adoption des résolutions « Femmes, paix, sécurité » par le conseil de sécurité de l'ONU. Elles ne s'appliqueront, hélas, que lorsque les conditions seront réunies. Alors seulement, nous aurons dépassé le stade du symbole.

Les documents sont aussi abondants qu'édifiants - jusqu'à la nausée, du récit d'une jeune Berlinoise en 1945 aux témoignages de femmes rwandaises. La folie humaine fait toujours autant de ravages et les femmes en paient le prix fort. Elles sont atteintes au coeur de leur vie, à la racine de leur épanouissement. Les violences faites aux femmes, en quelque situation que ce soit, ne sont ni excusables, ni compréhensibles, et doivent être combattues en temps de paix comme en temps de guerre. Si la mobilisation internationale ne faiblit pas, beaucoup est à faire : des jeunes filles en Inde sont victimes de viols collectifs ; dans certains pays, c'est la femme violée qui s'expose à une condamnation, non le violeur.

Le rapport de Mme Gonthier-Maurin, au nom d'une délégation à laquelle je suis fière d'appartenir, est un état des lieux et une formidable synthèse. La tâche n'était pas aisée : nous ne sommes ni des juges internationaux, ni de géopoliticiens, ni des médecins. Il est temps d'élaborer des propositions concrètes. Quel rôle pour la France ? À quel niveau ? Je regrette que le ministère des affaires étrangères et du développement n'aient pas été auditionnés. L'audition sur le conflit en République démocratique du Congo a été une des plus pénibles, les exactions commises sur des nourrissons au Kivu sont terrifiantes. Pour que la cause progresse, notre diplomatie doit être plus active et dépasse le strict cadre de la francophonie.

Dans ces matières, toute polémique serait indigne et toute politisation une insulte de plus aux victimes. Le consensus est de mise.

Si nous débattons aujourd'hui, c'est pour mobiliser les citoyens, les pouvoirs publics, nos partenaires internationaux. De nombreuses associations ont répondu à nos sollicitations, ainsi que le ministère de la défense, je m'en félicite.

Si le viol de femmes, d'enfants et de personnes âgées est inhérent aux conflits armés, il ne faut pas le banaliser, mais le dénoncer sans relâche. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, notre continent est épargné par la guerre, qui n'est plus, pour les jeunes, qu'une fiction qu'on regarde à la télévision. Que la femme devienne un exutoire pour la soldatesque est insupportable. Le journal de cette jeune Berlinoise en 1945 est glaçant d'effroi. En ex-Yougoslavie, on a ouvert une nouvelle porte de l'enfer en créant des camps de femmes à violer. C'était hier ! Quand l'Union européenne prépare l'intégration de certains de ces pays, nous devons connaître et regarder en face cette réalité, comme celle de la République démocratique du Congo. Ce sujet a-t-il été traité lors du récent sommet de l'Élysée ? Hélas, non !

La France, qui a un savoir spécifique en matière de chirurgie réparatrice après un viol, devrait mettre en place des coopérations. Je pense à l'Institut de Saint-Germain-en-Laye. La coopération médicale sera le meilleur moyen d'endiguer l'horreur et de redonner à ces femmes le goût de la vie.

Pour conclure, je forme le voeu que notre diplomatie se fasse mieux entendre sur les violences sexuelles faites aux femmes dans les conflits armés. Pour cela, elle doit hausser le ton en rappelant des principes intangibles, loin de tout relativisme culturel. (Applaudissements unanimes)

M. Jean-Marie Bockel .  - En 2009, le Secrétaire général Ban Ki Moon déclarait : « les violences sexuelles sont un crime contre l'humanité ». Nous les découvrions à la fin des années 1990. Près de 50 000 femmes avaient subi de telles violences en Bosnie-Herzégovine, 560 000 femmes au Rwanda, plus de 150 000 femmes en Sierra Leone et 40 par jour dans le Kivu en République démocratique du Congo.

Première difficulté pour lutter contre ce phénomène qui fait des femmes des armes de guerre, le silence des victimes. S'ensuit un sentiment d'impunité des auteurs, renforcé par le manque de moyens de la justice de certains pays. Nous en avons vu l'exemple au Tchad.

Des progrès ont été enregistrés ces dernières années, avec la constitution du Tribunal pénal international et de tribunaux ad hoc. Le viol en temps de guerre est désormais reconnu comme un crime contre l'humanité. Les Nations unies ont également adopté un paquet de résolutions « Femmes, paix et sécurité ».

Nous ne pouvons que nous réjouir de ce cadre juridique international que la France, comme d'autres pays, a déclaré plan national. Oui, il faut renforcer la présence de femmes dans les opérations de maintien de la paix et de reconstruction. L'Europe devrait féminiser son personnel responsable de cette question.

Le traité international sur les femmes, désormais ouvert à signature, est l'occasion d'avancer. Son article 7 prohibe spécifiquement l'utilisation des armes pour faire violence aux femmes. Mieux prévenir, cela passe par la société civile et les ONG dont il faut renforcer les moyens. Mieux protéger, l'ONU doit identifier les victimes et les aider à se reconstruire.

Enfin, poursuivre pour que l'impunité cesse. Utilisons les nouvelles instances de la francophonie.

Pour conclure, si le sujet fait désormais l'objet de l'attention de la communauté internationale, trop peu d'actions sont menées. « Les conséquences des violences faites aux femmes (...) sont un véritable enjeu de civilisation » a dit avec raison M. Ban Ki-moon. Puisse ce débat et l'excellent travail de Mme Gonthier-Maurin aider à faire progresser la prise de conscience à l'égard de ce sujet sur lequel la France a, par sa tradition, un devoir particulier. (Applaudissements unanimes

Mme Michelle Demessine .  - Dans les conflits qui émaillent l'actualité, du Sud-Soudan à la Centrafrique, les violences faites aux femmes s'ajoutent aux autres et sont trop souvent passées sous silence. Après le viol de 30 000 femmes en une seule année au Kivu, la communauté internationale a agi : elle a adopté des résolutions en 2010. Pour autant, une condamnation aussi unanime que solennelle ne suffit pas.

Encourager l'application de la résolution n°1 325 du Conseil de sécurité, voilà ce à quoi nous invite le rapport de notre présidente, Mme Gonthier-Maurin. Une résolution qui représente une véritable révolution : en effet, le viol et les violences sexuelles faites aux femmes y sont clairement reconnus comme armes de crimes contre l'humanité.

Une révolution encore, parce que le texte insiste sur le rôle des femmes dans la reconstruction et la paix. La France a adopté un programme national qu'elle a mis en oeuvre au Mali, en République démocratique du Congo ou encore en Centrafrique. Les femmes ne sont plus considérées seulement comme des victimes ; on reconnaît désormais leur rôle actif dans la résolution pacifique des conflits.

Le ministère de la défense serait le seul à avoir appliqué ce programme en envoyant des femmes militaires sur les théâtres de guerre et en organisant des formations à destination des militaires intervenant en Opex. Celles-ci occupent beaucoup notre commission des affaires étrangères. Ajoutons à notre réflexion le sujet des violences faites aux femmes.

M. Alain Gournac.  - Très bien !

Mme Michelle Demessine.  - Et parlons-en lors de notre prochain déplacement en Centrafrique. De même, notre commission pourrait oeuvrer pour l'application du traité sur le commerce des armes, que nous avons ratifié en octobre dernier et, en particulier, son article 7 qui oblige les pays exportateurs à veiller à ce que les armes ne servent pas à commettre de telles violences.

À nous, car le rapport de Mme Gonthier-Maurin pointe l'impunité des auteurs, de suivre avec attention le procès qui s'est ouvert cette semaine à la cour d'assises de Paris sur des actes commis au Rwanda. À nous aussi de soutenir les associations. Pour ma part, je serai vigilante. Le Sénat s'honorera de faire reculer ces violences. (Applaudissements unanimes)

Mme Maryvonne Blondin .  - Je remercie vivement Mme Gonthier-Maurin et la félicite pour son rapport édifiant. Parmi les atrocités dont les pays en guerre sont le théâtre, les violences sexuelles faites aux femmes sont désormais reconnues comme des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre.

Comme le dit Mme Bangoura, la représentante spéciale des Nations unies, « La violence sexuelle ne peut plus être considérée comme un dommage collatéral malheureux de la guerre ». La majorité des victimes des conflits armés sont des civils, surtout des femmes et des enfants. On se sert des femmes comme d'armes de guerre, on les viole pour transmettre le sida, les rendre incapables d'enfanter ou, au contraire, on les met enceintes en vue d'éteindre un peuple. Beaucoup de ces femmes, humiliées, se suicident.

Le corps des femmes, depuis l'Antiquité, est perçu comme un butin de guerre. Plus près de nous, les Japonais inventèrent les « femmes de confort » durant la Seconde Guerre mondiale. Vingt ans après le conflit rwandais, a lieu à Paris le premier procès d'auteurs de viols grâce à la compétence universelle. Comme l'indique la résolution n°1670 de 2009 de l'Assemblée générale du Conseil de l'Europe, la reconnaissance du viol comme crime contre l'humanité était une avancée majeure du traité de Rome. Il a fallu attendre 2008 et la résolution 1820 du Conseil de sécurité des Nations unies pour que la communauté internationale suive.

Ces dernières années, beaucoup a été fait pour enrayer ces violences. Le cadre législatif est constitué des résolutions 1261, 1321 et 1612 des Nations unies. Encore faut-il qu'il soit appliqué. La dernière résolution 2006 a été votée à l'unanimité le 24 juin 2013. Madame la ministre, à New York, vous avez rappelé que les femmes devaient être tenues pour des acteurs de la reconstruction et de la paix, non pas seulement comme des victimes. C'est tout à fait l'esprit de la résolution 1325. Le premier tribunal international a été créé en 1993. Malheureusement, les violences se sont poursuivies. Renforçons les coopérations internationales.

Au niveau européen, la réglementation est présente : la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains de 2008, la résolution de 2009 à Istanbul et la Convention d'Istanbul de 2011. Aujourd'hui, des milliers de victimes sont privées du droit d'obtenir justice et réparation. Double peine ! Malgré les efforts de la communauté internationale, de l'Europe et de la France, nous ne sommes pas au bout du chemin. Plaçons nos espoirs dans la Cour pénal internationale. (Applaudissements unanimes)

M. Robert Hue .  - Certains ont entendu avec effroi les témoignages bouleversants de femmes et d'enfants victimes de viols barbares en Bosnie, en République démocratique du Congo, au Rwanda. Les témoignages venus de Syrie, de Libye, leur font écho. Pourtant, les violences sexuelles ne sont ni une fatalité, ni un phénomène culturel. On parle beaucoup de l'Afrique, mais Lincoln dénonçait aussi les viols lors de la guerre de Sécession. Les femmes de Colombie y demeurent aujourd'hui exposées, elles ont été légion au Cambodge sous le régime de Pol Pot, comme en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale. Si l'attention se concentre sur l'Afrique, c'est que ces pays sont jeunes ; les institutions de l'État y sont encore fragiles et s'effondrent aisément en cas de conflit.

Le rapport de Mme Gonthier-Maurin décrit le processus de deshumanisation que représente le viol. Attaquons-nous à la racine du mal : le viol doit cesser d'être une arme de guerre. À dire vrai, il doit cesser tout court.

Mes collègues l'ont dit, le cadre international a beaucoup évolué. Bien sûr, il y a eu la convention de Genève, mais il a fallu attendre la jurisprudence des tribunaux internationaux. La France a été le premier pays, après l'Espagne, à décliner la résolution 1325 par un programme national. Oui, il faut des femmes au plus haut niveau dans la résolution des conflits. À cet égard, l'arrivée d'une femme à la présidence de la Centrafrique symbolise l'espoir.

Pour autant, les forces de sécurité commettent encore des viols dans les camps au Mali, au Tchad... La lutte contre les violences sexuelles - et la résolution 1820 y insiste - passe par une action multidimensionnelle : le développement, car sans lui, les femmes ne sortiront pas de l'exclusion ; le renforcement des systèmes judiciaires, pour que les auteurs de viol ne restent pas impunis. C'est la clé de la réconciliation civile, si chère à celui auquel le monde vient de rendre hommage, Nelson Mandela. (Applaudissements unanimes)

Mme Corinne Bouchoux .  - À cette heure, beaucoup a été dit. Alors, je parlerai de Mme G.A.A. - je tairai son nom à dessein. Elle est soudanaise, du Darfour. Elle y a subi des viols. Elle s'est réfugiée en France, qui lui a refusé l'asile. Elle a été « recueillie » dans le Maine-et-Loire par un monsieur qui l'a violée et mise enceinte. Elle a accouché d'un enfant mort-né. Secourue, de nouveau enceinte, elle fut menacée d'être jetée à la rue à la veille de Noël. Elle y a échappé grâce à la mobilisation de tous, jusqu'à celle de l'évêque, mais reste menacée d'expulsion. Voilà du concret : il y a un lien entre notre débat et ce que vivent des gens sur notre territoire. Que vais-je dire aux familles, demain ?

Madame la ministre, la question du genre est essentielle dans ces violences. Qu'allez-vous faire pour la porter ?

Nous ne sommes pas à l'abri des contradictions. Nous vivons en permanence avec nos téléphones portables. Or les minerais utilisés pour les produire sont l'enjeu de guerres où des violences sont infligées aux femmes.

Autre contradiction, le commerce des armes.

Ces victimes sont sur le continent africain, mais aussi en France. Pour elles aussi, il faut une solidarité pour qu'elles ne se retrouvent pas, comme on me l'a assuré, à la rue dans une semaine.

Mme Michelle Meunier .  - À mon tour de remercier Mme Gonthier-Maurin d'avoir engagé la réflexion sur ce sujet si difficile des violences perpétrées contre les femmes, les filles et les enfants.

Les viols de guerre s'accompagnent de la transmission de maladies comme le sida ou des hépatites, parfois de manière totalement stratégique et organisée. Dans certains cas, on stérilise les femmes, dans d'autres, on les force à enfanter.

Je reste très bouleversée par le récit que la ministre Benguigui a fait de la situation qu'elle a découverte en République démocratique du Congo : femmes, fillettes, nourrissons, soumises à la barbarie. Cette expérience l'a conduite à faire de la lutte contre les violences faites aux femmes une des priorités de la francophonie.

L'image et la mise en scène des violences jouent un rôle nouveau ; horreur supplémentaire, ces images sont diffusées dans les réseaux pornographiques. Il faut faire reconnaître ces agissements comme criminels.

Le tableau est horrible. Nous n'avons pourtant ni le droit de fermer les yeux, ni celui de nous boucher les oreilles. Ces violences forment un continuum, tout au long de la vie des femmes, en temps de paix ou de guerre. Nulle fatalité cependant, mais seulement une manifestation de la domination des hommes.

Après les conflits, chaque victime de viol doit être reconnue comme victime de guerre, afin que son bourreau soit condamné. Chacune a droit à un soutien psychologique et à réparation, y compris financière.

Ne laissons pas croire que les guerres ont leurs règles viriles, vielles comme le monde. Comme disait Jean-Claude Chesnay, « le viol est le seul crime dont l'auteur se sente innocent et la victime coupable » : c'est contre cela aussi qu'il faut lutter.

Depuis la guerre en ex-Yougoslavie, une prise de conscience s'est produite. La résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies a fait entrer les violences sexuelles en temps de guerre dans le champ de compétences des institutions chargées de la sécurité internationale. La France a mis en oeuvre son propre plan d'action.

Parmi les recommandations du rapport, je retiens notamment le renforcement des institutions judiciaires des États après les conflits. Je salue également le renforcement de la place des femmes dans notre défense et la création d'un Observatoire de la parité au sein de la défense.

Certaines femmes violées ont mené leur grossesse à terme par contrainte ou faute d'accès à l'IVG. Comment les accompagner et comment aider les enfants à ne pas devenir à leur tour des personnes violentes, comme les enfants soldats de Colombie ?

La France accueille des réfugiées. Faisons-nous tout ce qui est en notre pouvoir pour les protéger et les aider à se reconstruire ? Je n'en suis pas sûre. Mme Bouchoux nous a livré un exemple éclairant.

Le chemin est long et difficile mais je crois comme Gramsci, que le pessimisme de l'intelligence n'interdit pas l'optimisme de la volonté. Alors, avec vous, madame la ministre, je me déclare volontairement optimiste. (Applaudissements)

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement .  - Un projet de loi exemplaire a été déposé en Libye pour accorder un statut aux femmes victimes de violences et leur accorder des réparations, y compris financières. Le ministre de la justice libyen - qui sera à Paris le 18 février - m'a demandé mon soutien pour que le parlement libyen inscrive ce texte à son ordre du jour. Il n'y a là aucune ingérence de la part de notre pays qui a aidé à la libération de la Lybie, sous mandat de l'ONU, mais rappel de son obligation de mise en oeuvre de la résolution sur les femmes du Conseil de sécurité.

Nous vivons dans un monde où le viol est considéré comme une arme. Le corps des femmes est trop souvent un véritable champ de bataille. Voilà pourquoi le Conseil de sécurité des Nations unies a mis en place depuis dix ans, avec la résolution 1325, un cadre juridique assez robuste. La France a mis en oeuvre un plan pour appliquer ces résolutions. Les Délégations des droits des femmes seront associées à la préparation du prochain plan. Nous envisageons de le décliner par zone géographique, là où les forces françaises sont déployées ou engagées, pour plus d'efficacité.

Avec raison, vous avez fait référence à la Cour pénale internationale. Le procureur général est déterminé à mobiliser la Cour et notre coopération est totale. Quand les juridictions nationales faiblissent, la justice internationale doit jouer tout son rôle. Une équipe d'experts est d'ailleurs mise à disposition des États à cet effet par l'ONU. Cela était prévu dans la résolution 1888. Nous verrons bientôt si les autorités congolaises sont décidées à sévir.

Je salue à mon tour le travail du professeur Foldes et de l'Institut de Saint-Germain-en-Laye et note votre proposition, monsieur Gournac, de renforcer la coopération médicale. L'Institut de victimologie de Paris apporte aux victimes de guerre une réponse thérapeutique extrêmement bienvenue.

Cependant mieux vaut prévenir que guérir. La prévention des violences sexuelles fait partie des missions de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali. Je me rendrai prochainement au nord Mali, où les femmes continuent à être victimes de violences et je visiterai la maison des femmes de Gao.

Aucun conflit ne peut être durablement réglé sans les femmes. Les deux derniers secrétaires généraux de l'ONU ont fait preuve de la tolérance zéro à l'égard des casques bleus auteurs de violences sexuelles.

Plusieurs résolutions ont été adoptées pour renforcer la participation des femmes aux opérations.de désarmement, de réhabilitation et aux programmes de justice et de sécurité dans les pays en sortie de crise. Elles soulignent l'importance de l'accès des femmes à la médecine, y compris réparatrice.

La France soutient en particulier cet objectif en Syrie. J'ai présidé une réunion avec trois représentantes syriennes en marge de la réunion de l'Union pour la Méditerranée. Nous apportons notre soutien à deux radios qui serviront en ce domaine.

La lutte contre les violences et les discriminations ne sont pas moins importantes en temps de paix. (M. Alain Gournac acquiesce.) La convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes est notre socle commun, de même que la convention d'Istanbul.

Vous savez combien je suis attachée à l'accès des femmes aux instances de décision, en France comme ailleurs. La récente élection présidentielle en Centrafrique est, à cet égard, un signe encourageant. Le sommet de l'Élysée a bien été l'occasion d'aborder ces sujets au cours d'une réunion de travail avec les premières dames où le problème des violences sexuelles a été évoqué ...

M. Alain Gournac.  - Il n'y a aucun compte rendu.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre.  - ... et leurs préconisations ont été endossées par les chefs d'État.

Notre diplomatie doit en permanence partager cette vision ambitieuse universaliste du droit des femmes, tout en regardant avec bienveillance ce que les autres cultures ont à nous offrir. Les exemples de femmes résistantes doivent nous inspirer. Cela vaut pour l'aide au développement : dans le cadre du programme « genre et développement », 50 % des sommes seront affectées à des programmes bénéficiant aux femmes. Au plan interne, d'ici peu le Parlement sera saisi de la transcription des directives sur les violences de guerre, je le précise à l'intention de Mme Bouchoux.

Ce travail doit être poursuivi. Nous ferons tout, soyez en assurés, pour que les violences sexuelles faites aux femmes ne restent plus impunies. (Applaudissements.)

La séance est suspendue à 18 heures 55.

présidence de M. Jean-Claude Carle,vice-président

La séance reprend à 21h 30.