Ondes électromagnétiques

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relative à la sobriété, à la transparence et à la concertation en matière d'exposition aux ondes électromagnétiques.

Discussion générale

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique, chargée du numérique .  - La transformation de notre économie et de notre société est accélérée par le numérique. Ce n'est plus une ambition, c'est un constat qui dépasse dorénavant le cercle étroit des techniciens intéressés par la sphère informatique.

Aujourd'hui, le numérique est partout, c'est une grande ambition industrielle. Il peut et doit servir au développement d'une société plus inclusive, plus solidaire, plus respectueuse des citoyens. Le numérique doit être un outil pour tous, disponible partout.

La condition, c'est la confiance. Celle-ci ne se décrète pas ; elle suppose transparence et bonne information du public, accompagnement lors de chaque saut technologique.

Ce texte s'inscrit pleinement dans cette logique, celle du déploiement apaisé du numérique. Il est donc utile : sobriété dans l'utilisation des ondes électromagnétiques, concertation, transparence accroîtront la confiance sans nous exposer au reproche de nous élever contre le progrès.

Cette proposition de loi doit beaucoup au travail engagé par François Brottes et Laurence Abeille à l'Assemblée nationale à l'issue du Grenelle des ondes. Le président Brottes a su faire converger les acteurs autour de dispositions consensuelles. En parallèle à ce travail parlementaire, le Premier ministre Jean Marc Ayrault a confié à MM. Girard et Tourtelier une mission d'étude, unanimement saluée, qui a éclairé le législateur. Des travaux indépendants sont venus compléter le volet sanitaire, dont l'Anses a la charge. L'agence a actualisé son étude de 2009 pour tenir compte de l'essor des nouvelles technologies connectées. L'avis rendu le premier octobre 2013 par seize experts indépendants est clair : l'exposition aux ondes électromagnétiques n'a aucun effet sanitaire avéré.

L'Agence conclut que cela ne conduit pas à proposer de nouvelles valeurs limites d'exposition, mais invite à la vigilance en ce qui concerne l'utilisation du téléphone portable, notamment par les enfants.

M. Roland Courteau.  - Bien sûr.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État.  - Ce texte est parvenu à un équilibre satisfaisant. La commission des affaires économiques a effectué un travail important, qui satisfait la juriste perfectionniste que je suis.

L'esprit de la proposition de loi Abeille est respecté. Certains de ses acquis sont très forts. Dans le titre I, transparence, concertation, amélioration des points atypiques et, surtout, inscription dans la loi des conclusions du Coroc et du Copic, fondés sur des expérimentations locales très concrètes. À Nantes, Paris ou Strasbourg, des chartes ont été signées, qui ont organisé de bonnes pratiques.

Au titre 2, qui reprend les conclusions du rapport de l'Anses sur une meilleure information concernant les terminaux mobiles, la commission des affaires économiques a fait évoluer le texte. Le président Raoul a su trouver la meilleure rédaction possible, à la fois concise et sécurisée, qui réponde aux canons légistiques, ce qui n'était pas facile.

M. Bruno Retailleau.  - C'est un euphémisme !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État.  - Là encore, le Sénat a su témoigner des expériences locales. Le président Raoul s'est inspiré de la charte signée à Angers. Il fallait une structure souple, en évitant le risque de blocage systématique.

Pour la première fois, la loi fixe un cadre au déploiement des antennes de téléphonie mobile, dans le respect de la transparence et de l'information des utilisateurs. Tous les acteurs doivent participer à la nécessaire pédagogie, à commencer par l'État.

La question des antennes est celle de l'acceptabilité sociale ; attention à l'usage des téléphones portables, nous dit l'Anses, à l'heure où les cas de dépendance se multiplient chez les adolescents. Il faut créer les outils nécessaires au dialogue et à la concertation, pour éviter que les nouvelles technologies ne soient source d'angoisse, voire de souffrance, comme pour les personnes hyper électro-sensibles.

Mme Corinne Bouchoux.  - Vrai sujet !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État.  - Les plans d'aménagement numérique sont une réponse à l'urgence écologique et à la nécessaire transition numérique. Les nouvelles technologies ne concourront au progrès humain que si elles sont acceptées avec confiance. C'est l'objet de ce texte. (Applaudissements sur les bancs socialistes et écologistes)

M. Daniel Raoul, président et rapporteur de la commission des affaires économiques .  - La commission des affaires économiques a sensiblement réécrit cette proposition de loi, sans en changer le sens. Adoptée par l'Assemblée nationale le 22 janvier dernier, elle fait suite à un premier texte qui avait été renvoyé en commission. Le Premier ministre avait alors commandé un rapport sur les usages en la matière, rendu en novembre 2013.

Ce texte est au carrefour de plusieurs enjeux : sanitaire et social, d'aménagement numérique, d'innovation et de compétitivité. Selon l'Anses, l'exposition aux ondes électromagnétiques n'a aucun effet sanitaire avéré. L'Agence appelle à une certaine vigilance uniquement pour l'utilisation sans kit mains libres des téléphones portables, pour les utilisateurs intensifs et les enfants.

Nous avons tous été confrontés aux difficultés d'acceptation des antennes relais, d'autant que les opérateurs se sont longtemps comportés comme des hussards sur le toit.

M. Roland Courteau.  - C'est vrai !

M. Daniel Raoul, président et rapporteur de la commission des affaires économiques.  - J'avais demandé, avec l'Opecst, d'imposer un plan d'occupation des toits -un POT : le maire découvre parfois a posteriori l'implantation d'une antenne sur son territoire. Un guide des relations entre opérateurs et communes a été publié : le Groc. Des chartes ont apaisé bon nombre d'inquiétudes sur le terrain. Étonnamment, nos concitoyens sont très sensibles à l'implantation des antennes relais, ce qui est unique en Europe, mais moins aux ondes électromagnétiques émises par leur téléphone mobile. Combien, parmi nous, utilisent systématiquement l'oreillette ou le bluetooth, comme le recommande l'Anses ?

Nous nous battons au quotidien pour réduire les zones blanches et grises de notre territoire, tant la couverture du territoire est indispensable à notre économie. L'Arcep a d'ailleurs lancé plusieurs enquêtes administratives le 27 mai dernier, dont une sur le déploiement du réseau mobile.

Les opérateurs s'inquiètent du délai de déploiement des antennes-relais : deux ans, un record en Europe.

Le secteur du numérique est un secteur clé pour l'innovation et la compétitivité de notre pays. Je veux rappeler l'intérêt pédagogique de développer l'école numérique, et me félicite de la rallonge budgétaire annoncée pour équiper nos écoles. Les gouvernements successifs et les élus locaux ont pris des initiatives pour favoriser le numérique à l'école et au collège. Cette proposition de loi ne peut être examinée sans songer à cet enjeu essentiel. L'article premier de la proposition de loi consacre un objectif de modération de l'exposition du public aux ondes électromagnétiques et instaure une procédure d'information du maire sur l'implantation des nouvelles antennes relais. Il prévoit un suivi des points atypiques, dont nous avons précisé la définition.

L'article 3 consacre une mission de veille et de vigilance de l'Anses en matière de radiofréquence.

L'article 4 étend l'obligation de faire figurer le débit d'absorption spécifique (DAS) sur tous les équipements concernés.

L'article 5 interdit la publicité à destination des moins de 14 ans.

L'article 7 interdit l'installation d'une box dans les crèches.

L'article 8, enfin, prévoit un rapport sur l'hyperélectrosensibilité - vous connaissez mon tropisme sur les rapports... En résumé, cette proposition de loi comporte des dispositions bienvenues, notamment sur l'information du maire avant l'installation d'une antenne relais. Celui-ci ne peut rester à l'écart de la concertation. (MRoland Courteau approuve)

L'article 4 concrétise une recommandation de l'Anses : le consommateur doit connaître la puissance des équipements qu'il achète. La publicité sur l'utilisation du kit main libre est un sujet qui m'est cher depuis mon rapport de 2003. La souffrance des personnes électro-hypersensibles est réelle ; reste la question des causes de cette électro-hypersensibilité... L'Anses devrait remettre un rapport sur le sujet au printemps 2015. La commission des affaires économiques a adopté une soixantaine d'amendements, dont une douzaine de la commission du développement durable. Non, la commission n'a pas cédé au lobbying des opérateurs. Non, elle n'a pas fait passer les intérêts privés des opérateurs avant l'intérêt général !

M. Jacques Mézard et M. Roland Courteau.  - Très bien !

M. Daniel Raoul, rapporteur.  - J'ai été choqué par ces critiques infondées émanant, qui plus est, d'un membre de la commission.

Il a fallu faire un peu de ménage sémantique dans le texte des députés, supprimer des redondances, des dispositions ne relevant pas de la loi -je pense à l'article 6. Nous avons clarifié les objectifs du texte, préférant le terme de « sobriété » à celui de « modération » qui impliquerait une diminution de l'exposition aux ondes électromagnétiques, dont on a vu qu'elle n'était pas nocive. Nous avons précisé la procédure de concertation et d'information. Enfin, nous avons ajusté ou supprimé des dispositions contraires au droit européen : il fallait repréciser l'objectif de résorption des points atypiques.

Je serai au regret de vous proposer la suppression de la mention du DAS sur les terminaux parce qu'elle contrevient à la liberté de circulation des marchandises. Cela me rappelle mon combat en faveur du chargeur universel...

Nous avons précisé des dispositions trop floues, comme l'interdiction de la publicité en direction des moins de 14 ans pour des terminaux qui ne sont pourtant pas portés à la tête ; elle aurait pu pénaliser la filière des jouets et des jeux vidéo.

Je vous invite à adopter ce texte dans la rédaction de la commission. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Raymond Vall, rapporteur pour avis de la commission du développement durable .  - Nous vivons dans un environnement baigné par les ondes, provenant de la télévision, de la radio ou encore des fours micro-ondes -sans qu'aucun effet sur la santé n'ait été constaté depuis cinquante ans.

À la suite du Grenelle des ondes, des mesures ont été réalisées : l'exposition de la population est partout inférieure aux seuils définis par l'OMS. La multiplication des antennes relais conduit, en outre, à réduire leurs émissions.

Selon l'expertise de l'Anses, la seule fiable à cette date, des effets biologiques peuvent être observés, mais aucun lien de causalité avec d'éventuels effets sanitaires n'a été établi. L'agence n'estime donc pas utile de redéfinir les valeurs limites d'exposition aux ondes, se bornant à préconiser de réduire l'exposition des enfants au téléphone mobile sans kit mains libres et à favoriser l'utilisation de ce dernier.

L'État, à travers l'ANFR, est seul compétent pour encadrer l'implantation des antennes sur le territoire. La seule compétence du maire tient à ses pouvoirs en matière d'urbanisme : pas d'installation d'antenne relais sans déclaration de travaux. Dès lors, ce texte, qui place le maire au coeur d'un processus de concertation alors qu'il n'a aucun pouvoir de décision, n'envoie pas un bon signal. Il risque de ralentir la couverture du territoire.

M. Bruno Retailleau.  - Absolument.

M. Raymond Vall, rapporteur pour avis.  - En l'absence d'éléments sanitaires probants, ne mettons pas en péril le désenclavement numérique de nos territoires ruraux.

La commission du développement durable a adopté une trentaine d'amendements pour renforcer notamment l'information du maire, sans le placer au coeur d'une procédure qui n'est pas de sa compétence.

L'interdiction du wifi dans les écoles allait à l'encontre de l'objectif d'école numérique du Gouvernement. Ne nourrissons pas les inquiétudes irrationnelles : il convient au contraire de créer un climat de confiance. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Mireille Schurch .  - Avec cette proposition de loi, le groupe écologiste de l'Assemblée nationale a souhaité légitimement répondre à des inquiétudes anciennes en appliquant le principe de précaution aux ondes électromagnétiques. En l'espèce, la réalisation du dommage n'est pas certaine, les risques non avérés au regard des connaissances scientifiques actuelles, mais il existe une présomption de risque : la preuve de l'absence de risque n'a pas été apportée.

M. Joël Labbé.  - C'est vrai.

Mme Mireille Schurch.  - Nous ne partageons pas la démarche de la commission des affaires économiques qui contourne le principe de précaution. Le Sénat est coutumier du fait -voyez la récente proposition de loi du sénateur Bizet.

Nous sommes bien entendu pour la concertation et l'information du public. Pour autant, la procédure n'est pas très claire. Porte-t-elle sur le lieu d'implantation ou sur l'implantation elle-même ? Le maire ou le président d'intercommunalité en est à l'initiative, dit le texte : c'est faire peser une lourde responsabilité sur les élus locaux. Qui financera cette consultation dont on ne sait encore si elle sera facultative ? Elle risque d'être minimale... Ses conclusions auront-elles une portée sur la décision de l'ANFR ? Nous y reviendrons lors des amendements.

La proposition de loi n'aborde plus la question primordiale du seuil d'exposition maximale. Nous proposerons de le réduire en revenant sur le décret de 2002.

Le titre II, sur les usages en matière de téléphonie mobile et de wifi, a été complètement vidé de sa substance. Depuis les années 1990, et surtout depuis 1996, le secteur des télécommunications a été ouvert à la concurrence. Cela a conduit à la multiplication des infrastructures concurrentes et à celles des émissions en zone tendue alors que des pans entiers du territoire ne sont pas couverts.

Les opérateurs sont particulièrement mal fondés à invoquer l'aménagement numérique du territoire pour critiquer ce texte, eux à qui sont imputables les nombreuses zones grises et blanches. La réponse passe, pour nous, par une maîtrise publique renforcée, notamment en matière de fibrage. L'aménagement numérique du territoire devrait relever du seul secteur public ! Nous aborderons l'examen de cette proposition de loi avec bienveillance. (Applaudissements sur les bancs CRC et écologistes)

La séance est suspendue à 19 h 25.

présidence de M. Jean-Léonce Dupont,vice-président

La séance reprend à 21 h 30.