Financement des transports collectifs (Questions cribles)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur le thème « Quel financement pour les transports collectifs en France ? » à la demande du groupe écologiste.

M. Philippe Dallier .  - Pour financer le Grand Paris Express, l'État s'était initialement engagé à apporter un milliard à la société du Grand Paris (SGP). De nouvelles taxes sur les entreprises et les particuliers ont été votées en 2011 et une partie des Ifer de la RATP a été affectée à la SGP. Au total, 500 millions par an, ce qui devait être largement suffisant. Le Gouvernement a estimé pouvoir ponctionner cette cagnotte de 2 milliards d'euros pour moderniser le réseau existant. Et voici que le Gouvernement a décidé d'affecter 140 millions de nouvelles recettes à la région Ile-de-France - augmentation de la taxe sur les bureaux et de la taxe d'équipement. La région Ile-de-France pourra-t-elle financer la totalité des projets de modernisation et d'extension du réseau actuel ?

M. Roger Karoutchi.  - Bien sûr que non !

M. Philippe Dallier.  - On annonce beaucoup de projets en Seine-Saint-Denis, les études et les enquêtes publiques avancent - sans savoir s'ils seront financés. Quand aurons-nous un plan de financement précis, et pour le Grand Paris Express et pour la modernisation et l'extension du réseau existant ?

M. Charles Revet.  - Très bonne question !

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche .  - Projet majeur qui mobilisera au total 32 milliards d'euros, le Grand Paris doit rassembler les élus d'Ile-de-France et au-delà. Quelque 200 kilomètres de lignes de métro supplémentaires, 70 gares, c'est dire son ambition. Les objectifs font largement consensus. Le 13 octobre dernier, pour répondre aux interrogations, le Premier ministre a confirmé l'octroi de 2 milliards d'euros à la SGP ; les premières conventions seront signées avant la fin de l'année, notamment pour l'extension d'Éole à l'ouest, et de la ligne 11 du métro à l'est. Dans le CPER pour 2015-2020, l'État apportera 1,4 milliard d'euros ; 140 millions d'euros de recettes supplémentaires ont été versées pour la région Ile-de-France. Il n'y a plus d'ambiguïté.

M. Philippe Dallier.  - Les chiffres cités sont exacts. Mais je ne suis pas convaincu que les crédits seront suffisants pour financer la modernisation du réseau et la ligne Grand Paris Express. Je regrette que ne soit pas organisé un grand rendez-vous entre l'État, la SGP et la région pour s'assurer que les crédits seront bien là, et pas seulement jusqu'en 2020. La solution ne peut venir d'augmentations successives des taxes pesant sur les entreprises et les particuliers.

M. Yvon Collin .  - La fin de l'écotaxe avant même le lancement de l'expérimentation est un très mauvais signal. Certes, le manque à gagner en 2015 pour l'Afitf est compensé par l'aggravation de la fiscalité sur le gazole ; mais les 1,9 milliard d'euros prévus ne suffiront pas à financer les infrastructures identifiées dans le rapport Duron.

Après la suppression par l'Assemblée nationale du versement transport interstitiel et alors que les dotations des collectivités territoriales diminuent, comment le Gouvernement va-t-il financer la compensation due à Ecomouv' et assurer le financement de l'Afitf ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État.  - Je vous invite à réfléchir collectivement aux raisons qui ont conduit à suspendre le contrat avec Ecomouv'. L'Afitf devait bénéficier en 2015 de 1,9 milliard d'euros ; ce sera le cas l'an prochain, mais aussi en 2016 et 2017.

Les recettes sont sécurisées : redevance domaniale augmentée de 50 %, d'amendes provenant des radars, augmentation de la taxe sur le gazole de deux centimes pour les particuliers et de quatre centimes pour les poids lourds.

M. Yvon Collin.  - Je ne suis pas complètement rassuré. (On renchérit à droite) J'aurais aimé avoir des assurances sur la ligne TGV Toulouse-Bordeaux, retardée sinon menacée.

M. Ronan Dantec .  - Le financement des transports collectifs est crucial. Or les signaux négatifs s'accumulent, dans un contexte de baisse des dotations : abandon de la taxe poids lourds, hausse de la TVA sur les transports collectifs, difficultés de bouclage des contrats de plan. Renforcer la capacité financière autonome des régions est une nécessité.

C'est donc avec surprise que nous avons appris la suppression du versement transport interstitiel dans le projet de loi de finances pour 2015, que le Sénat avait voté dans la loi ferroviaire. Le Gouvernement dit ne pas vouloir taxer davantage les entreprises ; c'est oublier que la qualité des infrastructures et la qualité des services servent leur compétitivité. Quand les régions seront demain chargées de coordonner les politiques de mobilité, de quels outils financiers les doter ? Versement transport interstitiel, hausse de la part régionale de la contribution transport, péage poids lourds régionalisé ? Les propositions ne manquent pas.

M. Roger Karoutchi.  - C'est sûr !

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État.  - Monsieur Collin, difficile de répondre à une question que vous n'aviez pas posée sur la LGV Toulouse-Bordeaux.

Concernant le versement transport interstitiel, il manquait sa cible : il ne visait que les villes de plus de 10 000 habitants hors du périmètre des transports urbains. Il a été supprimé mais le débat n'est pas clos, il est lié à la question des compétences des régions. Il se poursuivra lors de l'examen de la loi NOTRe.

M. Ronan Dantec.  - J'entends que vous n'êtes pas opposé par principe au versement transport interstitiel ; j'espère que le dispositif pourra être amélioré. Quelle sera, demain, l'autonomie fiscale des régions ? Toute la question est là. (Applaudissements sur les bancs écologistes)

Mme Évelyne Didier .  - Depuis 2004, les régions sont devenues autorités organisatrices de transport. Ce mouvement sera renforcé par le projet de loi NOTRe, sans moyens supplémentaires identifiables pour le moment.

Parallèlement, le Gouvernement s'oriente davantage vers le transport routier et veut favoriser le bus sur le fondement d'un raisonnement tronqué, pour l'environnement comme pour la sécurité, et à courte vue - il faudra bien rénover le réseau.

Les infrastructures sont un atout compétitif pour notre pays - pour reprendre votre vocabulaire. Le groupe CRC a proposé des pistes : livret d'épargne pour financer les transports, généralisation de la taxe poids lourd, augmentation du versement transport, nationalisation des autoroutes. Le Gouvernement a fait d'autres choix mais vous venez d'affirmer que la porte n'était pas fermée. Nous verrons... Quels moyens pour les transports collectifs ? (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État.  - Vous contestez le développement du transport par autocar. Soyons clairs : il ne s'agit pas de concurrencer les TER. Nous constatons qu'en France, et en Europe surtout, se développe un modèle de transport par autocar sur longue distance. Il correspond à un besoin des gens qui doivent eux aussi avoir la possibilité de voyager. On a entendu les mêmes critiques sur les compagnies aériennes low cost. Ce n'est pas réactionnaire, c'est même progressiste... Nous devons regarder le développement de ce mode de transport, gisement d'emplois par ailleurs, avec lucidité et en prenant toutes les précautions nécessaires.

Mme Évelyne Didier.  - Pour le rail, les transporteurs paient la location des sillons à RFF. Il y a distorsion de concurrence avec la route - qui est entretenue par les collectivités locales. Un rééquilibrage s'impose.

M. Jean-Jacques Filleul .  - Les transports collectifs sont financés davantage par les impôts que par la contribution des usagers. Un rééquilibrage me paraît nécessaire. Les collectivités territoriales font face à des dépenses croissantes en ce domaine - sans accroissement des recettes. Les usagers ne financent qu'un cinquième du coût d'exploitation des réseaux de transport en commun.

Le versement transport interstitiel, voté ici puis à l'Assemblée nationale, a été rejeté, hélas, dans le projet de loi de finances pour 2015. Nous comptions sur ces 400 à 450 millions d'euros. Je ne suis pas conseiller régional, mais je m'interroge : comment le Gouvernement compte-t-il aider les régions à financer les TER ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État.  - J'ai déjà répondu sur le versement transport interstitiel.

Globalement, le transport collectif est financé à 70 % par les contribuables et à 30 % par les voyageurs. Cela n'a pas toujours été le cas. Nos prix sont très bas. Si quelqu'un en doute, qu'il compare le prix du ticket de métro à Paris et à Londres, on passe du simple au double... C'est encore plus vrai pour les trains. C'est une question de choix de société, les gens ont besoin de se déplacer, ne serait-ce que pour se rendre à leur travail ; la mobilité ne peut être punitive.

Un réajustement doit intervenir, même si ce n'est pas la seule réponse politique à apporter. Une trop forte augmentation des prix pour les usagers ne serait pas socialement acceptable. Mais il y a des marges de manoeuvre. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jean-Jacques Filleul.  - Monsieur le ministre, je ne doutais pas de votre lucidité. Il faudra travailler sur le financement des transports. Nous pensions avoir trouvé une solution avec le versement transport interstitiel ; le débat est lancé.

M. Jean-François Longeot .  - Le financement des transports collectifs intéresse directement les élus des territoires que nous sommes. Nous en parlions encore mardi dans le cadre du débat sur l'hyper-ruralité, l'État se désengage dans les territoires les plus éloignés des centres urbains et des métropoles.

Investir dans les infrastructures ou le numérique, c'est investir dans l'avenir, c'est améliorer le quotidien des Français, c'est remettre un peu d'égalité entre les territoires. En octobre, l'écotaxe a été purement et simplement supprimée ; la semaine dernière, c'était au tour du versement transport interstitiel. Un coup d'arrêt est donné à l'investissement. En renonçant à ces sources de financement, comment le Gouvernement entend-il lutter contre l'enclavement ? (Applaudissements sur les bancs UDI-UC)

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État.  - Les crédits de l'Afitf sont garantis pour 2015, 2016 et 2017 à leur niveau prévu, 1,9 milliard d'euros. Un groupe de travail a été mis en place avec les transporteurs pour réfléchir à de nouvelles voies de financement. Ils ne contestent pas le principe. Certains pensent à une vignette qui, à l'inverse de la taxe sur le gazole, permettrait de faire payer les poids lourds étrangers. En tout cas, à partir du 1er janvier 2016, nous aurons probablement un système alternatif.

L'Afitf sera abondée comme prévu. Il ne faut pas oublier qu'elle finance le report modal ; elle tire principalement ses ressources de la sorte, mais s'attache à développer le rail et le fluvial.

M. Jean-François Longeot.  - Une vignette, pourquoi pas, mais l'écotaxe, elle aussi, permettrait de faire contribuer les poids lourds étrangers.

M. Jean-François Longeot.  - L'écotaxe est simplement suspendue, quel sera son sort ?

M. Louis Nègre .  - Je sonne le tocsin de notre politique des transports en espérant ne pas devoir bientôt en sonner le glas...

Le déficit annuel de financement du ferroviaire est de 2,5 milliards d'euros, dont 1,5 milliard de déficit structurel ; la dette cumulée de la nouvelle SNCF dépasse les 40 milliards d'euros et ne cesse de croître. Les infrastructures ferroviaires vieillissent et le fret s'effondre.

M. Charles Revet.  - Il y a beaucoup à faire !

M. Louis Nègre.  - L'industrie ferroviaire française, la troisième au monde, annonce des fermetures de sites alors que l'emploi doit être notre priorité à tous. Le réseau routier non concédé se dégrade, les transports collectifs sont les seuls services publics dont le prix en euros constants baisse année après année. La suppression de l'écotaxe est une mauvaise nouvelle. Comment sera financée l'indemnité de résiliation du contrat ?

Ainsi, monsieur le ministre, je vous propose un Grenelle III. Des pistes existent : l'ouverture à la concurrence, la lutte contre la fraude et la hausse de la productivité. Quelles sont les vôtres ? (Applaudissements à droite)

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État.  - Ne vous en déplaise, monsieur le président du Gart, la libéralisation, l'ouverture à la concurrence ne sont pas des solutions miracle. Il y a d'autres pistes. La répartition entre le contribuable et l'usager ne doit pas être taboue. Il faut remettre bon ordre dans notre système : des TET qui ressemblent à des TER ou à des TGV ratés... Autre question, celle du fret capillaire.

Il faut préciser les compétences, maîtriser les coûts, revoir les ressources. Autant de chantiers que le Gouvernement a ouverts.

M. Louis Nègre.  - Vous m'avez presque répondu - quid de l'indemnité de résiliation du contrat Ecomouv' ?

L'ouverture à la concurrence ? Qu'importe que le chat soit noir ou blanc, pourvu qu'il attrape la souris ! Passant le Rhin, je constate que l'ouverture à la concurrence a entraîné une baisse de 20 % du coût pour le contribuable et la collectivité. Merci de considérer la lutte contre la fraude et la hausse de la productivité.

M. François Aubey .  - Je parlerai d'une ligne que je connais bien : Paris-Caen-Cherbourg. Trains bondés, conditions de voyage déplorables, retards, annulations... Elle est classée parmi les douze lignes malades.

M. Charles Revet.  - Toute la Normandie est comme ça !

M. François Aubey.  - Malgré le lancement d'un plan d'urgence, il y a quatre ans, la vie des usagers n'a pas beaucoup changé. Les abonnés ont entamé une grève symbolique de présentation du titre de transport. Personne ne comprend pourquoi les perspectives de développement de la Normandie sont ainsi entravées. Dans les années 1970, le turbo-train reliait Paris à Lisieux en 1 heure 20, il faut 1 h 40 aujourd'hui. Où en est le projet de ligne nouvelle qui doit relier le Grand Paris à sa façade maritime ? Que fait le Gouvernement pour la Normandie ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État.  - Le travail sur les TET, mené par la mission conduite par Philippe Duron, répondra à cette question, de même que le plan de modernisation lancé par RFF. Concernant la ligne nouvelle Grand-Paris-Normandie, M. Huchon, assuré de recevoir les 140 millions d'euros prévus, soumettra la nouvelle convention en janvier 2015. Nous serons donc opérationnels.

M. François Aubey.  - Merci. Nous aimerions que nos trains démarrent... Il faut travailler sur le matériel et la ponctualité.

Mme Odette Herviaux .  - En France, nous savons défendre les spécificités de la montagne, mais pas celles de la façade maritime et de la France insulaire, comme si ces îles représentaient uniquement un espace naturel protégé pour touristes privilégiés. Les insulaires n'ont pas le choix de leur mode de transport. Gouvernement et Parlement doivent assumer leurs responsabilités, et se donner les moyens de faire vivre les principes républicains de continuité territoriale et d'égal accès aux services publics à un tarif raisonnable. La desserte des îles métropolitaines doit bénéficier de mesures de soutien rapides et fortes dans le cadre de la loi NOTRe. Il y a urgence. Nos îliens le méritent bien.

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État.  - Le conseil général du Morbihan a décidé de modifier les conditions de desserte des îles de Groix, Belle-Île et autres de son ressort. Il est souverain, je vous renvoie à l'article L.5431-1 du code général des collectivités territoriales. Saisi par les élus et les usagers, l'État jouera son rôle de médiation. Au-delà se pose la question de la mobilité des insulaires ; la réponse passe aussi par l'Europe.

Mme Odette Herviaux.  - Merci mais je continue de penser que l'avenir de nos îles sera assuré par une contractualisation entre l'Europe, l'État et la région. Le droit à l'expérimentation, à la différenciation doit s'appliquer. Aux Pays-Bas, une île a imaginé un système d'écopartage de véhicules électriques, pour faire baisser le coût de la mobilité sur son territoire comme avec le continent. Soyons créatifs, responsables, solidaires.

La séance est suspendue à 15 h 45.

présidence de Mme Jacqueline Gourault, vice-présidente

La séance reprend à 16 heures.