Protection de l'enfant (Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la suite de l'examen de la proposition de loi relative à la protection de l'enfant.

Discussion des articles (Suite)

M. le président.  - Le Sénat a commencé la discussion de cette proposition de loi le 11 décembre 2014 et l'a poursuivi le 28 janvier 2015. Dans la discussion des articles, nous en étions parvenus à un amendement portant article additionnel après l'article 2.

ARTICLE ADDITIONNEL APRES L'ARTICLE 21

M. le président.  - Amendement n°38 rectifié ter, présenté par MM. Milon, Trillard, Gilles, Mandelli, Cardoux, Bouchet, D. Laurent et B. Fournier, Mmes Mélot et Canayer, MM. César, P. Leroy et Savary, Mme Debré, MM. Lefèvre et Cadic, Mme Giudicelli, M. Dériot, Mme Micouleau et M. del Picchia.

Après l'article 21

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le 1° de l'article 21-12 du code civil est ainsi rédigé :

« 1° L'enfant qui, depuis au moins deux années, est recueilli en France et élevé par une personne de nationalité française ou est confié au service de l'aide sociale à l'enfance ; ».

M. Alain Milon.  - Actuellement, un enfant recueilli et élevé par un Français ne peut réclamer la qualité de Français avant un délai de cinq ans. Les enfants recueillis en kafala dans des pays qui ne connaissent pas l'adoption ne peuvent pas bénéficier d'une adoption simple ou plénière avant de devenir français.

Comme le propose le rapport « 40 propositions pour adapter la protection de l'enfance et l'adoption aux réalités d'aujourd'hui », il est opportun, dans l'intérêt de l'enfant recueilli, de réduire le délai de cinq à deux ans. Il conviendrait alors d'aligner la situation des mineurs étrangers recueillis par l'Aide sociale à l'enfance, en réduisant pour eux le délai de trois à deux ans.

M. le président.  - Sous-amendement n°45 rectifié bis à l'amendement n°38 rectifié de M. Milon, présenté par Mmes Lepage et Conway-Mouret et MM. Leconte, Yung et Guerriau.

Amendement n°38 rectifié ter, alinéa 4

Supprimer les mots :

en France

Mme Hélène Conway-Mouret.  - De nombreux enfants ne connaissant que la kafala se voient privés de la possibilité de demander la nationalité française. L'amendement n°38 rectifié ter est donc bienvenu. Cependant, il faut l'étendre aux Français de l'étranger qui ont des difficultés plus grandes encore que les Français résidant sur le territoire national. Il serait injuste de ne pas leur ouvrir les mêmes droits.

Mme Michelle Meunier, rapporteure de la commission des affaires sociales.  - Favorable au sous-amendement et à l'amendement n°38 rectifié ter.

M. François Pillet, rapporteur pour avis de la commission des lois.  - La commission des lois n'a pu étudier cet amendement, qui excède le champ du texte. Je vous invite à ne pas le voter, non pour exclure toute réflexion sur cette institution de droit coranique mais pour approfondir ses relations avec notre droit de l'adoption. Beaucoup de difficultés pourraient se présenter pour des enfants nés au Maghreb et il risque d'y avoir conflit de droit international privé entre droit français et droit coranique.

Nous devons avoir une réflexion beaucoup plus large sur la cohérence des dispositions juridiques concernant l'adoption.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie.  - Le délai de cinq ans vise à éviter le contournement des règles en matière d'adoption internationale et à harmoniser les règles d'acquisition de la nationalité avec celles s'appliquant aux enfants nés en France de parents étrangers et résidant régulièrement sur le territoire français. Le gouvernement est donc défavorable à cet amendement

M. Alain Milon.  - M. Pillet évoque des difficultés au regard du droit international. Je lui fais observer qu'il n'y a qu'en France que l'on respecte la kafala. Dans tous les autres pays européens, les enfants adoptés sous ce régime prennent la nationalité des parents adoptifs dans les deux ans.

Le sous-amendement n°45 rectifié bis est adopté.

L'amendement n°38 rectifié ter, sous-amendé, est adopté ; l'article additionnel est inséré.

M. le président.  - Amendement n°11, présenté par M. Pillet, au nom de la commission des lois.

Supprimer cet article.

M. François Pillet, rapporteur pour avis.  - Ma position a évolué sur l'inceste. Je considérais que l'inceste était d'ores et déjà réprimé par le code pénal. Or cette notion n'y figure pas textuellement. J'entends l'argument selon lequel la loi doit s'adapter au vocabulaire courant. Pour autant, nous ne pouvons faire fi de la dernière décision du Conseil constitutionnel sur ce point. Il nous faut une réflexion plus approfondie. Des questions complexes se posent. Quid des cousins germains, par exemple ? Ils ont le droit de se marier et pourtant ils seraient considérés comme incestueux ! L'inceste n'est pas forcément lié à une violence.

Il faut que l'on puisse parler de l'inceste mais on ne saurait inscrire cette notion dans le code pénal sans avoir mené une réflexion approfondie et très technique. On voit l'impréparation juridique quand les amendements suivants mettent « incestes » : quel sens a un tel pluriel ? La réflexion n'est pas aboutie, mais que ceux qui défendent cette évolution sachent que nous les avons entendus.

Mme Michelle Meunier, rapporteure.  - La commission des affaires sociales a émis un avis défavorable. L'article 22 permet en effet de reconnaître les violences endurées par les victimes d'inceste.

Il est temps que l'inceste soit reconnu en tant que tel dans notre droit. L'article 22, en outre, respecte la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui impose de définir précisément les personnes concernées. Adopter un tel amendement enverrait un bien mauvais signal aux victimes.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État.  - Le Gouvernement partage la préoccupation de rendre justice aux victimes d'inceste. Toutefois, l'article 22 mérite une réflexion approfondie. Nous souhaitons parvenir à la meilleure rédaction pour éviter une nouvelle censure du Conseil constitutionnel. C'est pourquoi nous avons saisi le Conseil d'État pour trouver une rédaction adaptée. Avis favorable à l'amendement.

À la demande du groupe UMP, l'amendement n°11 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici le résultat du scrutin n°107 :

Nombre de votants 323
Nombre de suffrages exprimés 323
Pour l'adoption 184
Contre 139

Le Sénat a adopté.

L'article 22 est supprimé.

Les amendements nos19, 12 et 13 n'ont plus d'objet.

L'amendement n°43 rectifié n'est pas défendu, non plus que l'amendement n°44 rectifié bis.

L'article 23 est adopté.

Interventions sur l'ensemble

M. Jean-Noël Cardoux .  - Notre groupe souhaitait que l'étude d'impact soit plus approfondie, notamment afin d'évaluer le coût pour les départements. Néanmoins, plusieurs de nos amendements ont été adoptés, modifiant sensiblement le texte dans le sens que nous voulions. Nous avons ainsi limité l'empilement des structures nationales en supprimant le Conseil national de protection de l'enfance qui faisait doublon, en supprimant l'obligation pour le président du conseil départemental de mettre en place une nouvelle commission pluridisciplinaire, en articulant mieux les compétences du juge et de l'Aide sociale à l'enfance, en refusant une modification des principes des règles d'adoption, ce dernier sujet méritant une réflexion globale. Vu ces évolutions, notre groupe votera ce texte.

Mme Claire-Lise Campion .  - Tout d'abord, permettez-moi de rendre hommage à notre ancien collègue, Claude Dilain, grand défenseur des territoires oubliés de la République, dont l'expérience de pédiatre a irrigué nos travaux sur la protection de l'enfance. J'espère que sa proposition de remplacer la notion d'âge de discernement de l'enfant par celle de degré de maturité progressera lors de la navette.

Je remercie aussi Mme Meunier, rapporteure et co-auteure de cette proposition de loi, avec Mme Dini. Ce texte sécurise les parcours d'adoption, tout en améliorant la gouvernance nationale et locale de la protection de l'enfance. Je me réjouis de la sécurisation du parcours de l'enfant placé, grâce aux compétences accrues des assistantes, de la nomination de médecin-référent dans chaque département, de la meilleure formation des professionnels.

En revanche, certaines dispositions auxquelles nous tenions beaucoup n'ont pas reçu l'assentiment de la majorité sénatoriale. Subsiste cependant le diagnostic que cette proposition de loi devait poser. C'est pourquoi nous voterons ce texte avec l'espoir que son parcours parlementaire l'enrichira.

M. Dominique Watrin .  - Nous soutenons les objectifs de ce texte et saluons la qualité des échanges. Nous regrettons toutefois que nos trois amendements sur les fratries ou la sécurisation des tiers dignes de confiance n'aient pas été adoptés. Espérons toutefois que notre réflexion sur le parrainage fera son chemin.

Une fois encore, nous déplorons que cette proposition de loi soit muette sur les moyens nécessaires pour mener une véritable politique de prévention. Avec les amendements de la droite, cette loi perd de son ambition. Espérant des progrès lors de la navette, nous émettons donc un vote positif mais critique.

Mme Michelle Meunier, rapporteure .  - Je rends hommage à mon tour à Claude Dilain, qui avait beaucoup travaillé sur ce texte. Je salue aussi Muguette Dini, co-auteur de la proposition de loi, qui nous écoute sans doute.

Au fil des débats, des positions divergentes ont été émises. Même quelque peu amputé, ce texte est bon pour la protection de l'enfance. Je fais confiance à l'Assemblée nationale et au Gouvernement, à l'écoute des professionnels et des élus, pour enrichir cette proposition de loi. Pour moi, c'était une première et je suis heureuse d'avoir travaillé dans l'intérêt de l'enfant.

Mme Élisabeth Doineau .  - La protection de l'enfance est un travail de l'ombre. Mais c'est un sujet essentiel pour une démocratie. Je regrette que l'examen de ce texte ait été saucissonné de la sorte. Néanmoins, des améliorations ont été apportées. Comme la société bouge, je ne doute pas que nous aurons l'occasion encore d'y revenir.

La proposition de loi est adoptée.

M. le président.  - C'est l'unanimité.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État .  - Je salue le travail en amont de Mmes Meunier et Dini, ainsi que les rapporteurs des commissions des lois et des affaires sociales. Merci au président Milon pour son engagement et au président Bas pour sa bienveillance.

Un texte adopté à l'unanimité, voilà un excellent signal en faveur de la protection de l'enfance ! Le travail va se poursuivre.

La concertation que je conduis avec tous les acteurs de la protection de l'enfance, collectivités territoriales et professionnels, permettra d'enrichir ce texte. Merci à tous les groupes pour leur travail. (Applaudissements)