Débat préalable au Conseil européen des 25 et 26 juin 2015 (Suite)

Débat interactif et spontané

M. Cyril Pellevat .  - La situation en Ukraine ne fait plus la une des médias, mais est toujours aussi critique : 4 600 morts depuis la fin 2014. La dernière réunion en format « Normandie » a-t-elle abouti à des résultats concrets, monsieur le ministre ? Il est à craindre que la crise essaime en Géorgie et en Moldavie - alors que nous sommes en train de ratifier les accords d'association de ces pays avec l'Union européenne.

La question ukrainienne est indissociable de celle du partenariat européen. Que proposera la France ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État .  - La situation en Ukraine reste en effet très préoccupante, notamment dans l'est du pays. Quatre groupes de travail se sont réunis, qui portent non seulement sur des questions immédiates comme l'échange des prisonniers mais aussi sur l'avenir des régions Est.

La mission spéciale doit avoir les moyens de travailler ; nous la dotons notamment de nouveaux moyens de communication.

Enfin, les discussions en format « Normandie » pourront aussi se poursuivre.

M. Richard Yung .  - Le Royaume-Uni, à la suite des élections récentes, demande une renégociation des règles européennes - alors même qu'il ne fait déjà pas partie de la zone euro, non plus que de l'espace Schengen, qu'il n'est pas partie à la Charte européenne des droits de l'homme, et qu'il demande chaque année, pour chaque budget, son « chèque » de rabais. Limites à la libre circulation, retour de compétences à Londres, pouvez-vous nous éclairer, monsieur le ministre, sur les exigences du Gouvernement Cameron ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - La France souhaite le maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne ; la large majorité dont bénéficie M. Cameron doit l'aider à convaincre le peuple britannique de son bien-fondé. Il a déjà formulé quelques indications, mais il lui revient de formuler précisément ses demandes. Le président de la République l'a dit : nous sommes disposés à examiner tout ce qui peut améliorer le fonctionnement de l'Union européenne, sans remettre en cause ses principes fondamentaux comme la libre circulation.

M. Éric Bocquet .  - On observe bien des remous au sujet du projet de traité transatlantique. Après le report du vote du Parlement européen, le président Obama vient lui-même de subir un affront de la part du Congrès. En Europe comme aux États-Unis, le manque de transparence sur les négociations est très préjudiciable. Comment la France fera-t-elle entendre sa voix ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - La transparence est une nécessité absolue, dans l'intérêt même de la réussite du traité transatlantique puisque les parlements nationaux et européens seront amenés à le ratifier. C'est pourquoi la France a demandé la publication du mandat de négociation et communication du projet de traité : nous refusons une consultation dans les ambassades américaines et souhaitions une information au sein des administrations.

Le Gouvernement rencontre régulièrement le secrétaire d'État américain et est à la disposition du Parlement. Cette négociation peut créer des ouvertures, notamment en matière d'accès aux marchés publics, ouverts à 90 % sur notre continent, contre 40 % seulement aux États-Unis.

Mme Colette Mélot .  - La stratégie pour le numérique fait montre d'une ambition certaine : droits d'auteur, protection des données personnelles, cybersécurité. Mais elle oublie les plateformes et les boutiques électroniques. Pourtant leur rôle sur le marché ne cesse de croître, et elles collectent des données personnelles. Quelle sera la position du Gouvernement sur ce sujet ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - De fait, il faudra une régulation des plateformes numériques. La Commission européenne a annoncé qu'elle lancerait une évaluation avant la fin 2015. La France demandera des précisions sur le délai et les adaptations réglementaires envisagées, ainsi que la prise en compte des enjeux industriels, je pense en particulier à la standardisation. Mme Lemaire et M. Macron sont en contact étroit avec leurs homologues allemands sur ces questions. Les seules règles de concurrence sont insuffisantes, à l'heure où ces plateformes captent une part croissante de la valeur.

Mme Christine Prunaud .  - Le Conseil européen abordera la question du numérique : amélioration de l'accès aux biens et services, facilitation du développement des réseaux, établissement d'une concurrence équitable, hausse du potentiel de croissance de l'économie numérique.

Les grands acteurs américains du secteur -les fameux Gafa- voient leur part de marché s'accroître au détriment des entreprises européennes. Au-delà du marché unique, il faut une véritable ambition industrielle. Cela passe par une fiscalité harmonisée car ces entreprises font des profits sans payer d'impôts.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - La position du Gouvernement est claire sur ce point : les bénéfices doivent être taxés là où ils sont réalisés. Les multinationales de l'Internet sont domiciliées fiscalement dans des pays à la fiscalité avantageuse. La Commission européenne a ouvert une procédure d'infraction pour mettre fin à ce détournement de valeur et à cette distorsion de concurrence. La lutte contre l'optimisation fiscale est un enjeu fondamental pour protéger certains secteurs.

M. Simon Sutour .  - Je tiens à dire ma satisfaction de voir ce débat programmé à une heure convenable se dérouler devant une assistance nombreuse, sous la présidence du président du Sénat.

Je partage les avis de MM. Pozzo di Borgo et Requier sur la Russie : le conflit en Ukraine ne pourra se conclure qu'avec un dialogue apaisé avec la Russie et certainement pas en aggravant encore les sanctions.

Ne négligeons pas la politique de voisinage européen. Le sommet de Riga sur le partenariat oriental a eu des résultats mitigés, peu surprenants comme chaque fois qu'un pays balte préside l'Union européenne. Je souhaite que l'on conserve la clef de répartition actuelle : un tiers pour le partenariat oriental, deux tiers pour les relations avec les pays de la Méditerranée. On manque d?un sommet euro-méditerranéen.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - Le sommet de Riga a été utile. La politique de voisinage européen ne se limite pas au partenariat oriental. J'étais ce matin en Tunisie, pays exemplaire dont la nouvelle Constitution garantit la liberté de conscience et l'égalité hommes-femmes. J'y ai évoqué la question libyenne et la transition démocratique, la Méditerranée et le lien entre le Nord et le Sud. Nous devons soutenir les pays méditerranéens qui mènent une politique de transition démocratique courageuse.

M. Mathieu Darnaud .  - Le plan d'action sur les migrations proposé par la Commission européenne prévoit la répartition obligatoire de 40 000 demandeurs d'asile arrivés sur les côtes européennes depuis le 15 avril, ainsi qu'un système optionnel concernant 20 000 personnes se trouvant actuellement dans des camps de réfugiés en dehors d'Europe. Selon la clé de répartition actuelle, la France pourrait être amenée à traiter jusqu'à 9 000 demandes d'asile supplémentaires en deux ans.

Quelle est la position de la France ? Comment empêcher les autres mouvements d'immigration clandestine ? Comment renforcer l'efficacité des pays en première ligne ? Comment distinguer les demandeurs d'asile des immigrants illégaux et reconduire ceux-ci à la frontière ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - Oui à la solidarité et à la responsabilité. La France souhaite que, dans les futurs centres d'attente proposés par l'Union européenne, on se donne les moyens de distinguer les réfugiés qui fuient la guerre des immigrants illégaux qu'il s'agira de reconduire dans leur pays d'origine.

Nous avons demandé de revoir la clef de répartition des réfugiés : cinq pays dont la France accueillent 75 % des demandeurs d'asile. Il faut en tenir compte.

Mme Laurence Cohen .  - En 2008, la Commission européenne avait proposé d'allonger le congé maternité de 14 à 18 semaines. Le Parlement avait proposé 20 semaines, mais, depuis septembre, le Conseil de l'Union bloque cette proposition. N'est-ce pas là une contradiction avec l'engagement européen en faveur des femmes ? Que compte faire le Gouvernement pour faciliter l'adoption de cette directive ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - La France est favorable à cette directive, bloquée à cause de divergences fortes entre les États membres. Nous appelons à un compromis pour trouver la durée de congé maternité la plus favorable aux femmes, un compromis serait préférable à un retrait du texte.

M. Jean-Claude Lenoir .  - Le traité transatlantique devra passer un parcours d'obstacles pour être ratifié par tous les parlements concernés. Comment prévenir et anticiper ces difficultés ? Les éleveurs de bovins sont inquiets. Le traité ne doit pas être un cheval de Troie des Américains. Souvenez-vous que Virgile faisait dire à Laocoon : « Timeo Danaos et dona ferentes », « Je crains les Grecs, même quand ils apportent des cadeaux ».

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - Il ne s'agit pas seulement de boeufs et de chevaux ! (Sourires) Certains secteurs économiques ont à gagner à ce traité. Mais les syndicats et les parlementaires doivent être associés, afin que des peurs n'en bloquent pas la ratification, comme cela s'est produit aux États-Unis à propos du traité transpacifique. Nous souhaitons que le président Obama obtienne la Trade Promotion Authority car, sans cela, on ne pourrait avancer que pas à pas.

M. Didier Marie .  - La disparition de dix mille migrants en Méditerranée est insupportable. L'Union européenne a renforcé son aide à l'Italie et à la Grèce et lancé l'opération navale Navfor Med. Mais Matteo Renzi considère que ces mesures sont insuffisantes et a menacé l'Europe d'un plan B. L'Italie fait face à un afflux massif de réfugiés. Quel serait ce plan B ? Comment renforcer le plan Navfor Med ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - L'Union européenne, à la demande de la Haute Représentante pour les affaires extérieures, a adopté un concept de gestion de crise afin de mieux accueillir les migrants et de collecter l'information en amont des mesures pour lutter contre les passeurs. Certaines de ces mesures, comme l'arraisonnement des navires et l'arrestation des passeurs, nécessitent un cadre juridique international. Des négociations sont en cours à l'ONU. Il s'agit aussi bien de protéger nos frontières que de sauver des vies.

M. Jean-Pierre Bosino .  - Depuis octobre 2014, 6 000 personnes sont mortes en Ukraine et 1,6 million ont été déplacées. L'Union européenne a adopté des sanctions contre la Russie puis les a prolongées jusqu'au 15 septembre pour les sanctions individuelles et jusqu'à fin 2015 pour les sanctions économiques.

Cette logique arrive à son terme. Pour être efficaces, les sanctions doivent s'accompagner d'une négociation politique. Le Conseil européen des 19 et 20 mars a conditionné la levée des sanctions au respect des accords de Minsk II - qui sera évalué en juin. Toutefois, les États-Unis ont annoncé l'installation d'armes lourdes et de 5 000 soldats aux portes de la Russie. Comment, dans ces conditions, progresser vers la paix ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - Les sanctions sont un levier pour des négociations, pas une fin en soi. Les accords de Minsk II doivent être respectés par la Russie et l'Ukraine. L'Union européenne doit avoir une politique de relations nouvelles avec la Russie. Encore faut-il que celle-ci respecte le droit international.

M. Daniel Raoul .  - Je suis persuadé que le prochain Conseil européen évoquera le traité transatlantique. On nous parle du poulet au chlore et des OGM pour nous faire peur mais aussi bien les États-Unis que l'Union européenne ont beaucoup à y gagner. Plus encore que sur la question des normes, c'est sur la cour d'arbitrage que les choses bloquent en ce moment, à Strasbourg en particulier. C'est pourquoi j'ai proposé la création d'une Cour européenne afin de lever les blocages dus au mécanisme d'arbitrage. Une chose est certaine, il faut vraiment une clarification sur l'ISDS.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - La France n'acceptera pas que des juridictions privées puissent prendre le pas sur les choix démocratiques des peuples validés par leurs parlements. L'idée d'une commission ou d'un organisme public nous semble plus adaptée. Les systèmes juridiques existants offrent d'ailleurs déjà des possibilités satisfaisantes.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes .  - On a peu parlé de la Grande-Bretagne. Sa place en Europe est singulière... J'interprète les propos de M. Cameron comme une invitation à une réflexion prospective. Depuis longtemps, il a engagé des négociations avec les pays du Nord et l'Allemagne, mais pas avec la France. Cela est regrettable car notre commission des affaires européennes a déjà commencé à travailler de concert avec son homologue de la Chambre des Lords.

Sur le traité transatlantique, je salue la position courageuse du Gouvernement et l'intervention de M. Raoul. La mondialisation fait partie de notre quotidien. Si nous ne cherchons pas à y faire valoir nos normes, d'autres nous imposeront les leurs, chinoises, indiennes ou brésiliennes. Défendons nos singularités et nos préférences collectives ; c'est bien elles qui attirent chez nous les touristes américains.

Je remercie M. le président Larcher d'avoir présidé cette séance qui illustre l'intérêt du Sénat pour l'Europe. À chaque fois que nous nous détournerons de l'Union européenne, nous nous éloignerons des solutions.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État.  - À mon tour de vous remercier pour ce débat important à l'heure où l'Europe s'interroge sur sa place dans l'histoire, sa politique de voisinage et d'immigration, sur les enjeux de croissance et sur le modèle démocratique et social qu'elle doit préserver.

M. le président.  - Je vous ai entendus et je m'en souviendrai en Conférence des présidents.