Octroi de mer (Conclusions de la CMP)

Mme la présidente - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi modifiant la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l'octroi de mer.

Discussion générale

M. Éric Doligé, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire .  - Nous sommes parvenus au terme de l'examen du projet de loi modifiant la loi du 2 juillet 2004 relative à l'octroi de mer. La Commission mixte paritaire, réunie jeudi dernier, a adopté six des sept articles restant en discussion dans la rédaction de l'Assemblée nationale et modifié la rédaction du septième.

Le dispositif actuel de l'octroi de mer arrivera à expiration le 30 juin, le Gouvernement avait donc engagé la procédure accélérée, afin d'éviter tout vide juridique.

Le projet de loi comporte initialement 37 articles ; le Sénat en avait modifié deux, supprimé un et ajouté deux. La commission des finances de l'Assemblée nationale avait adopté le texte conforme, mais les députés avait finalement adopté neuf amendements en séance publique.

À l'article 6 a été élargi le champ des productions auxquelles le droit commun s'applique dans le cadre des échanges entre le marché unique des Antilles et la Guyane. Le Sénat avait adopté un amendement du Gouvernement visant à exclure de l'application des règles dérogatoires du marché antillo-guyanais huit positions tarifaires, dont la référence 4818 10. Les députés ont inclus dans cette liste trois positions tarifaires supplémentaires (4818 20 91, 4818 2099 et 4818 9010). Le texte ainsi modifié satisfait l'ensemble des parties.

À l'article 7, les députés ont adopté un amendement du Gouvernement précisant que les exonérations de certaines importations devront être accordées par position tarifaire, afin de rassurer certains acteurs économiques qui craignaient des exonérations trop larges.

L'Assemblée nationale a en outre précisé, à l'article 6, la mission de la commission tripartite créée par un amendement du Gouvernement adopté au Sénat.

Un travail important a été réalisé sur ce texte, qui a donné lieu à un dialogue fructueux avec le Gouvernement et les députés, en particulier Dominique Baert, rapporteur, à qui je souhaite un prompt rétablissement, et René Dosière qui l'a remplacé. Des interrogations demeurent, mais ce texte apporte les réponses attendues par tous. Le texte de la CMP préserve la totalité des apports du Sénat, et je vous engage à l'adopter.

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances.  - Très bien !

Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer .  - La CMP a adopté sans réserve le texte soumis à votre approbation aujourd'hui.

Chacun mesure l'importance de ce texte pour les outre-mer. L'octroi de mer constitue une ressource indispensable aux collectivités territoriales d'outre-mer. En 2014, avec 1,146 milliard d'euros, il représente 40 % de leurs ressources fiscales. Le mécanisme est, grâce à ce texte, prorogé jusqu'en 2020, et je vous en félicite. Je salue le travail accompli par chacun pour éviter tout vide juridique après le 30 juin.

Ce texte met également fin à de nombreux mois de discussions -deux ans et demi en vérité- avec la Commission européenne. La France a été entendue, notamment sur l'augmentation du nombre de positions douanières bénéficiant d'un différentiel de taxation et sur les spécificités des territoires ultramarins.

Ainsi, les grands équilibres de régime de l'octroi de mer sont protégés. Les filières locales, dont les parts de marché progressent depuis 2005, en bénéficieront. Le différentiel de taxation maintiendra un soutien vital aux activités et à l'emploi.

Le seuil d'assujettissement a été abaissé de 550 000 à 300 000 euros, en étroite concertation avec les élus. 75 % à 80 % des producteurs seront ainsi exonérés.

Ceux qui étaient auparavant assujettis mais exonérés, entre 300 000 et 550 000 euros de chiffre d'affaires, resteront soumis aux mêmes obligations déclaratives, mais ne seront plus automatiquement exonérés ; ils auront néanmoins deux ans pour déduire la taxe ayant grevé leurs investissements en amont.

Les collectivités territoriales voient également le champ des exonérations qu'elles peuvent décider élargi : établissement de santé, de recherche, d'enseignement, organismes philanthropiques et caritatifs. Le Sénat souhaitait inclure les personnes morales exerçant des activités scientifiques de recherche et d'enseignement, ainsi que les établissements et services sociaux et médico-sociaux. Cette volonté n'a été modifiée ni par l'Assemblée nationale ni par la CMP. Ces avancées consolident les marges de manoeuvre données aux collectivités régionales pour construire de réelles stratégies de développement économique et de soutien aux filières productives sur leurs territoires.

Les collectivités pourront accorder des exonérations soit par secteur, soit par nomenclature douanière : c'est une souplesse nouvelle.

Un dialogue constructif a permis d'avancer sur le rééquilibrage des relations économiques Antilles-Guyane : une liste de dix produits préservés a été arrêtée et je salue le sens du compromis dont chacun a fait preuve. Une commission de concertation analysera l'évolution des échanges et proposera l'actualisation de cette liste. Le décret spécifique d'application de cette disposition, en cours de finalisation, en lien étroit avec les parties concernées, précisera sa composition.

Le projet de décret d'application de la loi sera soumis pour examen au comité des finances locales de juillet.

Dernier point : la notification du régime d'octroi de mer au titre des aides d'État, à laquelle j'ai procédé en mars. La commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager, que j'ai rencontrée lundi dernier, m'a indiqué qu'elle ne pourrait aboutir dans les délais impartis. Je le regrette. Néanmoins, je tiens à vous rassurer. Le dispositif d'octroi de mer sera pleinement opérationnel au 1er juillet prochain.

L'octroi de mer restera placé sous le statut de régime de droit commun des aides d'État (RGEC). La Commission prendra en compte nos spécificités en rehaussant de 15 points les seuils applicables de cumuls d'aide afin de sécuriser pleinement les opérateurs économiques.

Les avancées enregistrées dans nos relations avec la commission européenne ne nous empêchent pas de plaider pour une révision du régime général, qui sera, m'a dit la commissaire, engagée dès que possible.

Merci à tous pour votre investissement dans ces travaux. (Applaudissements)

Mme Éliane Assassi .  - Comme en première lecture, et pour les mêmes motifs, nous nous abstiendrons parce que le texte traduit les décisions prises par le conseil de l'Union européenne, et parce qu'on ne saurait aborder la question de l'outre-mer sans traiter, plus largement, de fiscalité, directe et indirecte.

La fiscalité indirecte représente 80 % des ressources des collectivités territoriales antillaises et guyanaises, alors qu'elle est payée par tous, y compris les plus défavorisés, par exemple les 46 % de Réunionnais qui vivent sous le seuil de pauvreté.

Une réforme de la fiscalité doit être envisagée à l'occasion du prochain projet de loi sur l'égalité réelle outre-mer. C'est particulièrement nécessaire à l'approche d'une réforme de la dotation globale de fonctionnement qui devra prendre en compte la situation particulière des collectivités d'outre-mer, dont les ressources sont fragiles. Paul Vergès appelle à en finir avec « l'apartheid social » dont sont victimes nos concitoyens d'outre-mer, 70 ans après la loi de 1946.

Le présent texte a une durée de vie de dix ans, puisqu'il maintient un régime dérogatoire. À l'horizon de vingt ans, fixé par le président de la République pour l'égalité réelle, la question de la stratégie de développement et de double intégration économique des outre-mer, en France et en Europe, reste posée. L'octroi de mer n'en est qu'un paramètre.

M. Philippe Esnol .  - Le projet de loi est apparu soudainement dans l'ordre du jour en raison de son caractère urgent et stratégique. Le dispositif actuel expire le 30 juin ! Cette taxe héritée du colbertisme avait pour but de soutenir l'économie des outre-mer. À partir des années 80, il a fallu mettre le dispositif en conformité avec les règles du marché unique : les produits locaux exonérés ont dû être précisément définis, et l'écart de taux encadré.

Ce texte exonère de toute déclaration les entreprises dont le chiffre d'affaires est inférieur à 300 000 euros. C'est une véritable norme de simplification. Mais en contrepartie, le seuil d'assujettissement est abaissé de 550 000 à 300 000 euros ; 2,5 millions d'euros de ressources supplémentaires sont ainsi dégagées pour les collectivités territoriales ultramarines.

Le champ des activités et établissements exonérés est élargi ; c'est une autre nouveauté positive. L'enjeu financier est considérable puisque l'octroi de mer peut représenter 45 % du budget des collectivités territoriales.

Saluons le volontarisme du Gouvernement qui a su faire fléchir Bruxelles. Mais réfléchissons dès à présent à un système pérenne pour l'après 2020, qui ne pénalise pas les consommateurs dont le pouvoir d'achat est une priorité du Gouvernement. Nous nous félicitons que la CMP ait été conclusive et voterons ce texte.

M. Joël Guerriau .  - La commission européenne a autorisé la prorogation de l'octroi de mer : nous sommes donc condamnés à voter un régime fiscal sans pouvoir l'améliorer ou le modifier.

La CMP a adopté des articles définissant les activités exonérées, les seuils d'investissements, les exonérations de plein droit, etc. La loi du 2 juillet 2004 est ainsi modernisée et c'est une excellente évolution, après les manifestations contre la vie chère de 2009.

Restent à étudier précisément les conséquences économiques et sociales de ce régime particulier. Nous avons cinq ans pour engager un véritable débat sur la fiscalité ultramarine.

Nous n'avons remis en cause aucun équilibre pour ne pas bouleverser la situation financière, déjà fragile, des collectivités territoriales, dont l'octroi de mer représente la première recette fiscale.

Les spécificités perdurent. Sur le marché antillo-guyanais, les conseils régionaux continuent à oeuvrer ensemble pour avoir le mécanisme le meilleur possible. La rotation de la présidence de la commission inter-régionale a fait l'objet au Sénat autant qu'à l'Assemblée nationale d'échanges vifs et sincères avec le Gouvernement. Je salue le travail des Parlementaires qui a permis de mieux préciser le cadre dans lequel les régions des Antilles et de la Guyane inscriront leurs échanges mutuels. Je salue aussi les consignes de souplesse données par la ministre en matière de relations avec les douanes. Car l'octroi de mer suscite aussi bien des convoitises. En Guyane, cette recette censée être reversée intégralement aux communes, est pourtant ponctionnée de 27 millions d'euros par an au profit du Conseil général. Cette exception locale est contestée par les communes déjà classées parmi les plus démunies.

Malgré cette très ancienne taxe, ayant pour objectif de protéger la production locale et d'accompagner les filières de production, le chômage reste élevé, et les productions locales ne décollent pas. Il faudra donc s'interroger sur le bien-fondé de cet impôt inéquitable puisqu'il frappe les riches comme les pauvres. De même, taxer ce qui ne peut être produit localement est forcément injuste. L'octroi de mer étouffe trop souvent l'économie locale et freine les services publics de l'État. J'avais défendu un amendement exonérant les importations nécessaires au bon fonctionnement de ces derniers, et notamment des services de sécurité. À défaut, que l'État augmente leur budget ! Il faut choisir.

Cette loi apporte les précisions nécessaires pour adapter notre droit aux décisions du Conseil de l'Union européenne. Poursuivons nos échanges, pour doter les collectivités territoriales d'outre-mer de nouvelles ressources fiscales, en étant attentifs aux besoins des plus fragiles, aux enjeux du développement économique et à l'autorité de l'État. Il nous reste cinq ans pour proposer un modèle sécurisé juridiquement.

Le groupe UDI-UC votera unanimement ce projet de loi, dans la synthèse à laquelle ont abouti les deux assemblées.

M. Georges Patient .  - Le projet de loi modifiant la loi de 2004 était très attendu dans les DOM. L'octroi de mer est vital pour nos productions comme pour les collectivités territoriales, qui en perçoivent environ un milliard d'euros de recettes.

Le présent texte est le fruit de longs débats. Vice-président de la commission des affaires européennes, j'ai participé à la défense de nos intérêts. Je salue votre patience et votre engagement, madame la ministre, pour aboutir à un nouveau dispositif avant le 30 juin.

Je me félicite des avancées sur le champ des exonérations, la gouvernance, avec la présidence tournante de la commission de concertation, et sur les échanges entre la Guyane et le marché unique antillais. Les négociations sur ce dernier point ont été âpres, à juste titre. La liste de dix produits inclut le papier essuie-mains -nomenclature 4810-, c'est heureux. Mon amendement a été rétabli à l'Assemblée nationale après avoir été refusé au Sénat.

Des points restent en suspens, sur les clauses de reversement, mais aussi sur les conditions de répartition du produit de l'octroi de mer. Chaque année, le conseil général de la Guyane perçoit 27 millions d'euros de recettes qui reviennent normalement aux communes, « anomalie liée à des considérations d'opportunité politique et financière » selon le rapporteur du texte à l'Assemblée nationale, M. Dominique Baert. J'insisterai encore sur la nécessité de le supprimer, même si mes amendements proposant de mettre fin à ce prélèvement, soit immédiatement, soit progressivement, ont toujours été rejetés. M. Doligé avait proposé que la délégation sénatoriale à l'outre-mer se saisisse de ce problème, M. Baert suggérait une mission d'information de la commission des finances de l'Assemblée nationale.

Le rapport d'étape de Mme Pires-Beaune sur l'évolution des concours financiers de l'État est plus que lacunaire sur la situation financière des outre-mer. Je lui ai écrit à ce sujet, avec l'intergroupe parlementaire des outre-mer. Le Gouvernement ne pourra éternellement faire perdurer cette singularité guyanaise, car l'association des maires de Guyane menace d'ester en justice.

Ce texte est le fruit de concertations avec les acteurs concernés. Il faudra les prolonger pour imaginer l'après octroi de mer. N'attendons pas pour préparer la transition vers une fiscalité non discriminatoire. Ouvrons un débat de fond sur les meilleurs moyens de soutenir l'activité de nos territoires sans obérer les recettes des collectivités publiques. Nous comptons sur vous pour ne pas rester passive, dans les cinq ans qui viennent, madame la ministre !

Mme Aline Archimbaud .  - Nous nous félicitons également que les travaux de la CMP aient abouti.

L'article 6 prévoit la création d'une commission évaluant les échanges de biens entre la Guyane et les Antilles, c'est une avancée que nous saluons.

Le mécanisme de l'octroi de mer doit continuer d'être débattu. Poursuivons le dialogue avec l'Union européenne pour pérenniser la ressource au-delà de 2020.

Une réflexion doit aussi s'engager sur le développement économique local : une stratégie forte dans l'écotourisme, les énergies renouvelables, les services aux personnes, doit être élaborée. Cela implique la formation et la participation des populations, au service de l'économie locale.

Nous sommes prêts à prendre toute notre part à cette réflexion, pour lutter contre la crise qui frappe ces territoires et pour valoriser les ressources des outre-mer, à commencer par leur biodiversité terrestre et marine.

M. Michel Magras .  - Nous arrivons au terme du processus législatif. Ce texte proroge le dispositif de l'octroi de mer jusqu'en 2020, et clarifie son régime juridique.

L'octroi de mer est capital pour l'économie ultramarine et pour les collectivités territoriales. À Saint-Martin et Saint-Barthélemy, devenues « pays et territoire d'outre-mer » depuis 2012, et situées en dehors du territoire douanier européen, l'octroi de mer n'est pas applicable, en raison de leur large autonomie douanière. Mais aux Antilles et en Guyane, à La Réunion et à Mayotte, les collectivités territoriales retirent 1,4 milliard d'euros de ressources de l'octroi de mer.

Le seuil d'assujettissement a été abaissé à 300 000 euros du chiffre d'affaires, mais les entreprises situées en deçà seront désormais exonérés de plein-droit, c'est une heureuse mesure de simplification.

Le champ des exonérations a été élargi aux établissements et services sociaux et médico-sociaux ainsi qu'aux établissements de recherche et d'enseignement, ce qui accroîtra la marge de manoeuvre des collectivités territoriales, qui pourront ainsi élaborer une véritable stratégie de développement.

S'agissant des relations économiques antillo-guyanaises, certains produits seront désormais taxables dans la collectivité de destination, comme les alcools ; une commission de concertation fera évoluer les règles d'échanges et de taxation en fonction des besoins. Un rapport sera remis au Parlement pour évaluer le nouveau dispositif.

Le groupe Les Républicains votera le texte.

M. Serge Larcher .  - Je salue votre présence ce soir pour adopter le texte prorogeant l'octroi de mer. Cette ressource est fondamentale pour les collectivités territoriales, qui en retirent 50 % de leurs ressources au niveau communal et 16 % au niveau régional.

Nous nous félicitons que le vide juridique ait été évité, grâce au travail de longue haleine de Mme la ministre et aux négociations qu'elle a menées avec Bruxelles. Nous saluons les avancées permises par les députés s'agissant du marché Antilles-Guyane. Le passage de six à sept produits guyanais, bénéficiant d'un mécanisme de taxation à l'octroi de mer spécifique dans ce cadre, témoigne des échanges constructifs qui ont eu lieu et doivent perdurer, entre Martiniquais, Guadeloupéens et Guyanais. La commission de concertation garantira le respect des intérêts de chacun.

Madame la Ministre, je souhaite vous alerter sur la nécessité de concevoir un système pérenne. Car, oui, l'octroi de mer demeure un système imparfait, aux conséquences lourdes sur le coût de la vie et le taux d'emploi. Les deux objectifs poursuivis de financer les collectivités et de stimuler le développement économique sont difficilement conciliables. Plus notre dépendance à l'octroi de mer augmente, plus l'économie locale se détériore. Trouvons une issue à ce cercle vicieux.

Nos intérêts et nos spécificités sont toujours à défendre ; avançons au plus vite : l'année 2020 est très proche.

Je voterai, bien sûr, ce texte.

Mme George Pau-Langevin, ministre .  - Je remercie chacune et chacun pour son intervention ; il faudra bien sûr avancer sur le rééquilibrage entre fiscalité directe et indirecte, je m'y attèlerai.

Nous oeuvrons également pour promouvoir l'égalité réelle : c'est le sens de la mission confiée à Victorin Lurel et du travail que je mène au quotidien.

Vote sur le texte élaboré par la CMP

Les conclusions de la CMP sont adoptées.

Le projet de loi est définitivement adopté dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

Prochaine séance, lundi 22 juin 2015, à 16 heures.

La séance est levée à 21 h 15.

Jacques Fradkine

Direction des comptes rendus analytiques