Accord fiscal concernant Saint-Barthélemy

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification de l'accord entre la République française et l'Union européenne visant à l'application, en ce qui concerne la collectivité de Saint-Barthélemy, de la législation de l'Union sur la fiscalité de l'épargne et la coopération administrative dans le domaine de la fiscalité.

Discussion générale

M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes .  - Le Sénat est appelé à se prononcer sur l'accord signé par la République française le 17 février 2014 avec l'Union européenne.

Le 1er janvier 2012, l'île de Saint-Barthélemy, de région ultrapériphérique (RUP), est devenue pays et territoire d'outre-mer (PTOM), statut mieux adapté à son éloignement de la métropole et à ses contraintes économiques. L'île conserve toutefois l'euro. Le nouveau statut réduit les exigences d'application des normes européennes de droit commun, mais le Gouvernement et l'Union européenne ont souhaité que continuent à s'appliquer à Saint-Barthélemy les règles concernant la fiscalité de l'épargne, la lutte contre la fraude fiscale et l'échange d'informations fiscales. Cet accord prévoit aussi l'application du mécanisme d'échange automatique des informations, promu par cinq pays dont la France depuis 2013 et qui sera généralisé au plan mondial en 2017, ou 2018 au plus tard. Le Parlement a déjà ratifié l'accord d'échange automatique de renseignements Fatca. Le présent accord est lui aussi exemplaire.

Sur tous ces sujets, la contribution du Sénat a été remarquée. Je pense notamment au rapport Bocquet de 2012 relatif à l'évasion des capitaux et ses incidences fiscales.

C'est pourquoi je vous invite à ratifier cet accord, qui prend acte de la législation européenne sur la coopération fiscale et qui prévoit d'en appliquer les évolutions futures, au premier chef la nouvelle directive sur les échanges automatiques d'informations financières.

M. Éric Doligé, rapporteur de la commission des finances .  - L'île de Saint-Barthélemy a été tour à tour espagnole, française, propriété de l'Ordre de Malte et suédoise. Elle n'est pleinement française que depuis 1878.

Longtemps rattachée administrativement à la Guadeloupe, dont elle était une commune depuis la loi de départementalisation en 1946, Saint-Barthélemy est devenu collectivité d'outre-mer en 2007. Les collectivités dotées de ce statut prévu à l'article 74 de la Constitution exercent des compétences élargies, notamment en matière fiscale.

Au regard du droit de l'Union européenne, tant qu'elle était une RUP régie par les articles 349 et 355 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, Saint-Barthélemy était partie intégrante de l'Union européenne, soumis de plein droit aux règles européennes.

Le 20 octobre 2009, la collectivité a demandé à relever du statut de pays et territoire d'outre-mer (PTOM). Le Conseil européen a accédé à la demande de l'île par décision du 29 octobre 2010. Elle est devenue un PTOM le 1er janvier 2012.

Dès lors, la collectivité de Saint-Barthélemy ne fait plus partie de l'Union européenne, mais jouit d'un régime d'association, plus souple. Elle n'est plus soumise de plein droit aux normes européennes, dont certaines, malgré l'existence de dispositions spécifiques aux régions ultrapériphériques, n'étaient pas adaptées aux caractéristiques économiques et géographiques de l'île. Surtout, elle a conservé son régime douanier de « droit de quai », taxe qui frappe l'ensemble des marchandises entrant sur son territoire à 5 % de leur valeur.

En matière monétaire, un premier accord entre la France et l'Union européenne, destiné à assurer le maintien de l'application du droit européen dans les domaines essentiels au bon fonctionnement de l'Union économique et monétaire, a été ratifié par la loi du 28 décembre 2011.

En matière fiscale, un second accord assure le maintien sur le territoire de Saint-Barthélemy des mécanismes prévus par le droit de l'Union européenne, en matière de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. Il a été signé le 17 février 2014. Le présent projet de loi a pour objet de le ratifier.

Plus précisément il prévoit explicitement l'application de deux directives européennes à la collectivité de Saint-Barthélemy dans le cadre de son nouveau statut : la directive du 3 juin 2003 relative à la fiscalité des revenus de l'épargne et la directive du 15 février 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal. Elles constituent la base du mécanisme européen d'échange d'informations entre administrations fiscales, qui permet d'identifier les titulaires réels des comptes et les bénéficiaires réels des revenus qu'ils produisent.

Toutes les évolutions de ces deux directives s'appliqueront également à Saint-Barthélemy. Précisément, les deux textes ont été modifiés, le 28 mars 2014 et le 9 décembre 2014, en vue du passage à l'échange automatique d'informations d'ici le 1er janvier 2016. C'est un progrès considérable : jusqu'à maintenant, les échanges se faisaient à la demande, ce qui supposait que l'administration requérante sache quelles informations demander, et que l'administration requise fasse preuve de bonne volonté. Désormais, les États transmettront automatiquement et systématiquement les informations relatives aux comptes bancaires domiciliés chez eux, facilitant la détection des comptes dissimulés.

Il s'agit d'un progrès de dimension mondiale, également porté par l'OCDE et le G20, qui a fait l'objet d'un accord international signé à Berlin le 29 octobre 2014. Saint-Barthélemy, précisons-le, n'est nullement un paradis fiscal, contrairement à certains de ses voisins des Caraïbes considérés comme non coopératifs par l'OCDE. Il n'y a pas de secret bancaire. Saint-Barthélemy jouit certes d'un statut fiscal particulier et bénéficie de dépenses fiscales spécifiques à l'outre-mer, mais ses particularités s'arrêtent là. La direction générale des finances publiques indique que l'échange de renseignements fonctionne d'ores et déjà de manière pleinement satisfaisante, quoiqu'il trouve rarement à s'appliquer.

Le présent projet vise donc essentiellement à ratifier un dispositif de coordination, prévoyant que le droit actuel continuera à s'appliquer dans les mêmes conditions, y compris s'il est amené à évoluer. En fait, l'accord supprime pour ainsi dire toute spécificité de Saint-Barthélemy, s'agissant de coopération administrative en matière fiscale.

Je vous propose d'adopter sans modification ce projet de loi de ratification, qui est accueilli favorablement par la collectivité. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, écologiste et RDSE)

M. Éric Bocquet .  - Le groupe CRC, lors de la création des collectivités territoriales de Saint-Martin et Saint-Barthélemy, avait exprimé ses réticences. La situation des deux îles est très différente. Saint-Barthélemy ne connaît pas les difficultés économiques de Saint-Martin. Doté d'un code des contributions inspiré en partie du droit français, ce territoire doit bien être considéré comme un petit paradis fiscal : 4 000 entreprises pour 9 000 habitants, voilà qui est exceptionnel ! C'est comme si la métropole comptait 28 millions d'établissements industriels et commerciaux... Les entreprises acquittent en moyenne un impôt entre 2 000 à 5 000 euros, voilà qui rappelle les îles Comores ou les îles Vierges britanniques. Pas d'impôt sur le revenu ni d'ISF, alors que l'île abrite 450 villas de grand standing ; uniquement une taxation des plus-values... Avec ce projet de loi, tout est fait dans les règles, la convention est incontestable et indispensable. Mais il s'agit bien d'un paradis fiscal, par conséquent, en dépit de la démarche positive qui consiste en une coopération administrative sur le plan fiscal, le groupe CRC s'abstiendra.

M. Jean-Claude Requier .  - Saint-Barthélemy : 24 kilomètres carrés, 10 000 habitants, une île ensoleillée, qui nous rappelle les vacances -  malheureusement terminées. Les territoires d'outre-mer français sont pour certains des régions ultrapériphériques, pour les autres des PTOM : Polynésie française, Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna et désormais Saint-Barthélemy.

Toutefois, la France a souhaité maintenir l'île dans la zone euro. En contrepartie, Bruxelles a demandé des garanties de bon fonctionnement en matière économique et monétaire, mais aussi de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. La France est du reste très investie dans le dossier de l'échange automatique d'informations. L'évasion fiscale coûterait 80 milliards d'euros chaque année à la France, même si l'action de notre administration a permis de récupérer 20 milliards dans la période récente.

L'ensemble des membres du groupe RDSE votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, écologiste et RDSE).

M. Daniel Raoul .  - Ce texte découle lointainement de la révision constitutionnelle de 2003. Devenue COM, puis PTOM, Saint-Barthélemy ne fait plus partie de l'Union européenne mais est devenue un territoire associé. L'euro toutefois continuera à y avoir cours, ainsi que la législation sur la fiscalité de l'épargne.

Un accord a déjà été signé le 14 septembre 2010 entre l'État et la collectivité pour lutter contre la fraude et l'évasion fiscales. L'État peut ainsi, par exemple, contrôler sur place la réalité des opérations ouvrant droit à défiscalisation. En outre, Saint-Barthélemy continue à respecter les engagements internationaux de la France touchant la lutte contre l'évasion des capitaux. Je me réjouis du reste que la régularisation de la fraude fiscale rapporte 1 milliard de plus que prévu au budget 2015...

Cet accord s'ajoute aux nombreuses mesures prises par le Gouvernement depuis 2012 en ce domaine : plus de 70, dont la loi du 6 décembre 2013 contre la délinquance financière, et la création d'un parquet spécialisé pour les affaires de grande ampleur. Les moyens de l'administration fiscale ont été renforcés pour lutter contre la fraude visant la TVA, qui coûte entre 80 et 100 milliards d'euros à la France, qu'il s'agisse de fraudes carrousel ou de data mining. La ratification de ce projet de loi confirmera l'engagement de la France contre la corruption et les paradis fiscaux. Nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe RDSE)

M. André Gattolin .  - Ce texte achève un processus d'autonomie motivé par des raisons fiscales plus qu'identitaires... En 1878, lors de la rétrocession de l'île à la France par la Suède, Saint-Barthélemy a continué à bénéficier du statut de zone franche, conservé parce que l'île connaissait une grande pauvreté. Après un siècle de quasi-indifférence de la France pour ce petit territoire -  le premier préfet a été nommé à Saint-Martin en 1963  - l'essor du tourisme dans les années quatre-vingt a éveillé l'appétit de Bercy... Le Conseil d'État a alors jugé infondé son régime fiscal dérogatoire.

En 1986, le Gouvernement Chirac avait imposé un moratoire de fait sur les recouvrements dans l'île ; la proposition de loi du député Mazeaud en 1996, tendant à entériner de larges exonérations fiscales, fut cependant enterrée l'année suivante pour cause de dissolution de l'Assemblée nationale...

En 1997, le nouveau statut de COM a conféré aux autorités de l'île la compétence fiscale, qui fonde aujourd'hui son régime très avantageux... L'absence de fiscalité des bénéfices et des revenus profite aux grandes entreprises, plus qu'à leurs employés. Les habitants cautionnent pourtant ce régime - leur perception de la solidarité nationale serait peut-être différente si la métropole n'avait pas tenu l'île dans une indifférence durable.

Toutefois, Saint-Barthélemy n'est jamais devenu un paradis fiscal off shore. Le groupe écologiste votera cet accord qui consolide le droit existant et la lutte contre la fraude. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et RDSE).

M. Michel Magras .  - Je m'abstiendrai de rappeler l'historique, puisque cela vient d'être fait. Par délibération du 20 octobre 2009, le Conseil de l'île a demandé son changement de statut au regard du droit européen, conformément au souhait exprimé depuis longtemps.

Nous voulions préserver notre droit de quai. Le PTOM nous permet de conserver les compétences douanières. Les transferts budgétaires étant très faibles, la présence de l'Union européenne se manifestait surtout à travers l'application de ses normes. Le statut de PTOM nous attribue plus de souplesse. Voilà pour la France un terrain d'expérimentation intéressant à l'heure où l'on évoque souvent l'adaptation des règles aux réalités locales.

En 2012, la COM est devenue PTOM. L'État et la collectivité souhaitaient le maintien de l'euro. L'accord signé est conforme avec l'exigence européenne de promouvoir un système financier plus sûr, plus simple et plus transparent, facteur de croissance durable. La France et Saint-Barthélemy s'engagent à faire appliquer le droit européen en matière d'épargne et de lutte contre l'évasion fiscale.

M. le rapporteur a très bien rappelé que le droit européen s'y applique déjà. Si Saint-Barthélemy devenait un paradis fiscal, l'État porterait la responsabilité car c'est lui qui reste compétent en matière bancaire et financière, et qui détermine les défiscalisations. L'échange d'informations fonctionne déjà. Quant aux nombre d'entreprises, il n'est dû qu'à l'application du droit français et au statut d'auto-entrepreneur.

Cet accord est aussi une mesure de protection pour Saint-Barthélemy. Nous ne souhaitons pas devenir vulnérables à la délinquance financière. Nous n'envisageons pas de législation sur l'épargne contraire au droit international.

Ainsi, nous souhaitons la ratification de cet accord, que nous appelions de nos voeux bien avant que la France le signe. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, écologiste et RDSE).

La discussion générale est close.

Discussion de l'article unique

L'article unique est adopté.

Le projet de loi est définitivement adopté.