Dockers (CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi tendant à consolider et à clarifier l'organisation de la manutention dans les ports maritimes.

Discussion générale

M. Michel Vaspart, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire .  - La CMP, réunie le 10 novembre dernier, est parvenue à un accord. Sans revenir sur le détail du texte, son objectif est de corriger une difficulté d'interprétation née de la disparition progressive des dockers intermittents, non de mettre en cause l'équilibre de la loi Le Drian du 9 juin 1992 qui avait mis fin à 45 ans de monopole syndical. Il fallait lever l'ambiguïté juridique à l'origine de l'affaire de Port-la-Nouvelle. Le rapport Bonny a fourni d'utiles pistes de travail. Je me félicite que le dialogue social fonctionne dans un secteur historiquement marqué par le conflit.

Le Sénat s'est inquiété des autres dispositions du texte, en particulier celles relatives au périmètre d'emploi. Il avait regretté les mauvais choix de calendrier et de méthode, ainsi que l'absence d'une étude d'impact sur les effets économiques d'un texte déguisé en proposition de loi, de surcroît frappé par la procédure accélérée.

Surtout, ce texte anticipe sur des discussions qui auront lieu en 2016 au niveau européen sur la formation et la lutte contre le dumping social dans ce secteur. Il n'y avait pas urgence à légiférer ; la France, contrairement à la Belgique et à l'Espagne, ne fait l'objet d'aucune mise en demeure de la part de la Commission européenne.

La CMP a décidé de revenir au texte voté par l'Assemblée nationale le 25 juin dernier ; nous avons exprimé nos inquiétudes au regard de la fragile compétitivité de nos ports. D'autant qu'une proposition de loi sur « l'économie bleue », là encore projet de loi déguisé, une sorte de loi Macron de la mer, suit le même cheminement. Pour ce texte, l'argument du dialogue social ne tient pas...

Quand 90 % des échanges mondiaux transitent par la mer et que la France possède le deuxième domaine maritime au monde, nous ne pouvons plus nous satisfaire de mesures techniques de réorganisation ni d'annonces grandiloquentes ou de stratégies nationales non suivies d'effet. Le Comité interministériel de la mer a procédé à quelques améliorations bienvenues, mais rien qui nous permettrait de concurrencer Rotterdam ou Hambourg. J'invite le Sénat à s'abstenir avec la conscience du devoir accompli. (Applaudissements sur les bancs de la commission)

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche .  - La proposition de loi sur l'économie bleue est bien une initiative parlementaire, je vous renvoie aux réunions de la commission au cours desquelles j'ai dû batailler pour faire valoir la position du Gouvernement...

M. Michel Raison.  - Peut-être l'avez-vous susurrée à l'oreille des députés ?

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État.  - Cette proposition de loi prend sa source dans un événement local qui, sans intervention, aurait pu se propager à d'autres ports. Nous aurions pu prendre un décret ou recourir à la justice ; nous avons préféré confier une mission à Mme Bonny, dont le rapport est plus riche qu'une étude d'impact, qui a conduit des consultations et finalement abouti à un accord. On peut s'interroger sur la solution juridique retenue. Il n'empêche, elle est la traduction législative d'un accord conclu par les partenaires sociaux. Il n'est nullement question de mettre en cause la capacité à légiférer du Parlement. La bonne solution a été trouvée, nous observerons les suites qui y seront données.

La CMP est parvenue à un accord dans des conditions politiques particulières dans la mesure où il a bénéficié d'un soutien des centristes qui n'était de circonstance. Je me félicite aujourd'hui que l'alchimie compliquée entre démocratie politique et démocratie sociale ait donné un résultat. La société avance mieux quand le rapport de forces finit par le contrat. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste)

M. Michel Canevet .  - Le groupe UDI-UC est très attaché aux questions maritimes. Notre pays a de grands atouts à faire valoir : le deuxième domaine maritime au monde, un linéaire de côtes particulièrement étendu et des îles sur plusieurs continents.

Le texte ne révolutionne pas notre politique de la mer, mais il clarifie l'organisation de la manutention dans les ports maritimes. Après la loi de 1997, la loi de 2008 a créé les grands ports. Celui du Havre a pris l'appellation de Port de Paris. Comme d'autres, il mêle intérêts publics et privés. Il a été reconnu the best green port in the world, et le meilleur port européen pour la quatrième année consécutive. Malgré cela, nos principaux ports sont autour du 50ème rang mondial. Nos voisins Rotterdam et Anvers sont, eux, des places incontournables de commerce mondial.

Nous aurions aimé un texte plus ambitieux pour rendre à nos ports une compétitivité à la mesure de nos capacités maritimes. Cela passe par la baisse des coûts et la simplification.

Nous avons abordé l'examen de ce texte avec prudence. Bien sûr, nous n'aurons plus que deux catégories de dockers : les mensualisés et les occasionnels, le nombre d'intermittents régressant fortement. Il ne faut pas que nos entreprises soient liées par des statuts figés, sans possibilité de s'adapter aux attentes des armateurs, un service efficace qui ne soit pas contrarié par les conflits sociaux qui ont souvent paralysé nos ports.

Deuxième remarque, ce texte apporte une réponse uniforme à des situations diverses. Nous serons vigilants sur son application locale.

Parce qu'il souhaite la mise en oeuvre rapide des dispositions de ce texte, le groupe UDI-UC s'abstiendra. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UDI-UC)

Mme Évelyne Didier .  - Nous nous en sommes tenus à l'objet strict de cette proposition de loi sur les dockers, n'imaginant pas qu'il pourrait être l'occasion de faire des propositions sur la politique de la mer.

La proposition de loi, adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale, est très attendue par les dockers. Le rapport de Mme Bonny valait effectivement étude d'impact.

La CMP a rétabli la version des députés, c'est heureux. Le groupe CRC le votera (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

Mme Odette Herviaux .  - Le Parlement, en votant les conclusions de la CMP, démontrera sans renoncer à ses prérogatives sa volonté de réconcilier démocratie sociale et démocratie politique. Statut des dockers, dynamisation des infrastructures, sécurisation des dockers intermittents et anticipation sur les règles européennes, tout cela va dans le bon sens. Nous soutenons sans réserve ces dispositions issues du remarquable travail de Mme Bonny.

L'article 5 protège plus efficacement les travailleurs précaires en faisant référence à la notion de CDD d'usage ainsi qu'à la convention collective du 15 avril 2011, tout en respectant la priorité d'emploi. L'article 7 précise les possibilités de recours aux dockers intermittents tant qu'ils sont présents sur le port. L'article 6 précise que la priorité d'emploi ne concerne que le travail de manutention, de chargement et de déchargement dans les ports de commerce, dans un objectif d'intérêt général et de protection des personnes et des biens. Il ne faut pas attendre d'être menacé par Bruxelles pour agir d'autant que des manoeuvres dilatoires peuvent être sources de blocage sur le terrain - on l'a vu dans le cas belge.

La charte prévue à l'article 6 facilitera les relations entre les parties dans un souci de développement équilibré des ports et d'optimisation du service rendu. Elle sécurisera les investissements de manière durable en prenant en compte les spécificités locales. L'économie collaborative s'applique aussi aux ports, et c'est une bonne chose.

Le texte de la CMP, reprenant celui de l'Assemblée nationale, reprend le riche compromis passé entre industriels et dockers. Il engage le destin maritime de la France en donnant aux acteurs les moyens de réaliser la croissance bleue. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain et citoyen)

M. Ronan Dantec .  - Avec la crise, la violence monte ; contre elle, il n'y a que le droit et les valeurs. Ce qu'a dit M. Jean-Pierre Raffarin pour Air France est vrai pour les ports. Les conflits peuvent être lourds, je le sais pour représenter ici la Loire-Atlantique. Ce n'est pas le Gouvernement qui a inventé les crises à Fos-sur-Mer. Si inquiétudes il y a dans les petits ports, ne rompons pas l'équilibre de l'accord qui est source de dynamisme pour nos grands ports. L'activité est d'ailleurs repartie. À Nantes, Saint-Nazaire, qui a une longue histoire d'affrontements y compris entre dockers, on réinvestit, dans le ferroutage notamment. Les acteurs du maritime ne sont plus sur la défensive, ils se projettent dans l'avenir. Accompagnons-les par un contrat social sécurisé de moyen terme : c'est le sens de ce texte.

Nous reparlerons, lors de la loi de finances rectificative, de la contribution climat énergie. Si elle augmentait plus vite, cela profiterait aux ports français en améliorant leur compétitivité... L'écologie est une opportunité.

La société avance mieux quand on transforme un rapport de forces en contrat, le ministre a raison. Nous voterons le texte de la CMP. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Mme Mireille Jouve .  - Cette proposition de loi ne réforme pas en profondeur le droit applicable aux ports maritimes de commerce, nous le savons. En revanche, il garantit une meilleure sécurité juridique aussi bien aux industriels qu'aux dockers, dont la priorité d'emploi doit être préservée.

Le métier de docker, dangereux, exige une qualification spécifique, la sécurité des personnes et des biens en dépend. Tous les pays qui ont adopté une législation protectrice l'ont bien compris.

Le texte donne une base législative à la priorité d'emploi des dockers, justifiée par des motifs d'intérêt général liés à la sécurité. Le groupe du RDSE, ayant refusé de l'amputer pour conserver l'équilibre trouvé lors de la concertation menée par Mme Bonny, se réjouit du rétablissement du texte de l'Assemblée nationale et le votera. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe UDI-UC)

La discussion générale est close.

M. le président.  - En application de l'article 42-12 du Règlement, le Sénat examinant le texte après l'Assemblée nationale se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte.

Intervention sur l'ensemble

M. Michel Raison .  - Après les lois 1992 et 2008, la première organisant le passage de l'intermittence au régime du contrat, la seconde unifiant manutentions horizontale et verticale dans les grands ports, cette proposition de loi visait seulement à résoudre un problème précis ; il était indispensable de lever l'ambiguïté juridique à l'origine de l'affaire de Port-la-nouvelle.

D'autres dispositions, qui pourraient nuire à la compétitivité des ports, mériteraient un texte spécifique. L'affaire de Port-la-Nouvelle a servi de prétexte à une modification de l'équilibre de la loi Le Drian de 1992. Il n'y avait aucune urgence à légiférer puisque la France n'a fait l'objet d'aucune mise en demeure. Cette démarche est précipitée voire dangereuse. Le groupe Les Républicains s'abstiendra. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Les conclusions de la CMP sont adoptées définitivement.