SÉANCE

du jeudi 26 novembre 2015

33e séance de la session ordinaire 2015-2016

présidence de Mme Jacqueline Gourault, vice-présidente

Secrétaires : M. Philippe Adnot, M. Jackie Pierre.

La séance est ouverte à 10 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Financement de la sécurité sociale pour 2016 (Nouvelle lecture)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, de financement de la sécurité sociale pour 2016.

Discussion générale

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes .  - Un mot introductif : il y a un lien entre les attentats du 13 novembre et ce projet de loi de financement de la sécurité sociale. Notre pays a été l'objet d'attaques d'une extrême violence. Demain, la nation rendra hommage à ses 130 victimes et aux centaines de blessés ; 97 sont encore hospitalisés, dont 18 en service de réanimation. Je veux rendre hommage à la mobilisation remarquable du corps médical, dont le professionnalisme force l'admiration.

Cette tragédie a mis en lumière l'importance de la gratuité des soins pour les victimes de terrorisme, disposition introduite dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016. La procédure aujourd'hui est longue et complexe. Je vous ai proposé en première lecture des mesures pour l'assouplir, à cause du caractère particulièrement exposé de notre pays - en espérant n'avoir pas à y recourir. Après les attentats, j'ai décidé, par dérogation, leur application immédiate : les victimes obtiendront une prise en charge des soins à 100 % auprès de leurs caisses habituelles et leurs indemnités journalières versées immédiatement. Un numéro de téléphone dédié est mis en place auprès de l'assurance maladie.

Ce texte comporte trois avancées majeures et d'abord la protection universelle maladie, socle d'une couverture harmonisée des assurés, qu'ils soient étudiants, salariés, retraités ou épouses, créant ainsi une véritable citoyenneté sociale. Voilà une réforme structurelle, décisive, qui fait progresser les droits de nos concitoyens.

Ensuite, nous facilitons l'accès à des complémentaires santé de qualité pour les personnes âgées et les salariés précaires. À l'Assemblée nationale, j'ai repris vos suggestions pour modifier les articles 21 et 22, équilibrant le dispositif avec les couvertures collectives de branches.

Enfin, nous créons une garantie minimum pour les impayés de pensions alimentaires, 100 euros par enfant, afin de mieux protéger les familles monoparentales - le plus souvent des femmes seules.

Nous n'oublions pas pour autant de poursuivre, pour la troisième année consécutive, le redressement des comptes sociaux : le déficit du régime général et du FSV est ramené sous les dix milliards d'euros, et la branche vieillesse est à l'équilibre pour la première fois depuis 2005. Les députés ne vous ont pas suivis sur vos propositions d'économies, les trois jours de carence dans la fonction publique et le report de l'âge légal de départ en retraite à 63 ans, mesures dont nous ne partageons pas l'orientation politique et qui demeurent de toute façon très en deçà des enjeux financiers. Je crains que ces désaccords ne soient pas résolus aujourd'hui...

Pour le reste, je salue nos débats constructifs : le Sénat avait adopté 48 articles conformes, l'Assemblée nationale en nouvelle lecture en a adopté 12 dans la rédaction de la Haute Assemblée ou tenu compte de ses travaux - c'est le cas pour les articles 21 et 22, le régime micro-social des indépendants ou l'affiliation des marins travaillant sur des navires battant pavillon d'États qui n'ont pas de convention de sécurité sociale avec la France.

Je constate que le consensus est hors de portée. Malgré nos différences et nos oppositions, j'apprécie nos échanges marqués par un respect mutuel qui doit beaucoup à la volonté personnelle du président et du rapporteur général de la commission.

Ce texte est une importante étape pour notre protection sociale. Il crée de nouveaux droits et garantit aux Français un modèle social solidaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales .  - Comme Mme la ministre, je veux, avant l'hommage national qui sera rendu demain aux Invalides par une France rassemblée, rendre hommage aux victimes des attentats. Les personnels de santé se sont montrés exemplaires.

En première lecture, le Sénat avait marqué son désaccord en rejetant le tableau d'équilibre. Le Gouvernement, tout en augmentant les prélèvements, a insuffisamment réduit les déficits. Illustration : en 2012, 2,5 milliards de recettes nouvelles pour 200 millions de réduction du déficit ; en 2013, 9,8 milliards de recettes nouvelles pour 3,6 milliards de réduction du déficit ; en 2014, 5,6 milliards de recettes nouvelles pour 1,3 milliards de réduction de déficits... Par son vote de première lecture, le Sénat s'est montré volontariste, afin de maîtriser les dépenses hospitalières et allonger la durée passée au travail et restaurer, sur ce dernier point, l'équité entre privé et public.

Nous avons peu de discordes de fond sur la partie législative du texte. Dès la première lecture, le Sénat a adopté la baisse des cotisations familiales et le relèvement de l'abattement de C3S.

Les autres mesures, de nature technique, font l'objet de divergences limitées. À l'Assemblée nationale, le Gouvernement a proposé un compromis bien compliqué pour les gens de mer à l'article 19 : les marins seront affiliés à l'Enim, les autres au régime général. L'article 7 bis laisse quant à lui pour le moins une impression d'inachevé.

La discussion sur les complémentaires santé n'a pas réglé le problème de façon satisfaisante. Le Gouvernement avait tenu compte des réflexions du Sénat aux articles 21 et 22, mais l'Assemblée nationale a finalement adopté un dispositif complexe. Un comparateur public n'aurait-il pas abouti au même résultat.

Sur les articles 39, 42 et 49 relatifs, nous n'avons pas de désaccord de fond... Nous resterons vigilants sur leur application à la lumière du rapport à venir sur les soins de suite et de réadaptation.

Comment réduire les déficits de l'assurance maladie ? Là est la question. Certes, le texte contient 3,4 milliards d'efforts mais par rapport à la tendance de progression spontanée des dépenses... Ce qui ne ramènerait l'équilibre qu'en 2035 ! Nous avons fait des propositions : réforme de la permanence des soins, jours de carence dans la fonction publique, meilleure organisation du travail à l'hôpital, réforme du temps de travail et meilleure gestion de la hiérarchie, chasse aux actes inutiles... En ville, la Cour des comptes suggère de suivre l'exemple allemand de lutte contre les consultations répétitives.

Toutes ces mesures, madame la ministre, nous pourrions les prendre ensemble. Hélas, cela ne semble pas possible. Il est préférable que la discussion s'arrête là pour avancer sur d'autres sujets ; d'où la motion que nous avons déposée.

M. Jean Desessard .  - La sécurité sociale, qui fête ses 70 ans, procède de l'esprit du Conseil national de la Résistance. Or cet outil de solidarité doit faire face à des assauts répétés. Si le texte comporte des avancées - protection universelle maladie, contraception des mineures, extension du dépistage du cancer -, il comporte des mesures contraires à l'esprit de solidarité qui sous-tend notre modèle : baisse des cotisations familiales et suppression de la C3S au bénéfice des entreprises auxquelles on ne demande aucune contrepartie.

Mme Archimbaud avait tenté, en première lecture, de jeter les bases d'une santé environnementale. En vain. L'huile de palme restera moins taxée dans notre pays que les autres huiles.

Rétablir des jours de carence dans la fonction publique au lendemain des attentats, repousser l'âge de départ en retraite à 63 ans alors que le chômage des seniors progresse, sans parler de l'article 7 bis si scandaleux en temps de crise sociale sonnent comme des provocations.

Le groupe écologiste votera contre le texte.

M. Gilbert Barbier .  - Les quelques progrès de ce texte - protection universelle maladie, garantie des impayés de pensions alimentaires, mesures intéressantes de prévention - ne masquent pas sa fragilité financière : des déficits réduits, oui, mais à cause de 17 milliards de prélèvements supplémentaires en trois ans et du transfert de 23 milliards de dettes de l'Acoss à la Cades.

Le Gouvernement vise toujours les mêmes cibles, la médecine libérale, l'industrie du médicament, les familles. Les reformes structurelles ne sont pas mises en oeuvre, faute de courage. Alors que Jean-Marie Le Guen loue le dialogue qu'instaure le bicamérisme, nous avons eu le sentiment de voir les propositions du Sénat dédaignées. Report de l'âge de la retraite, jours de carence, allègement des cotisations des jeunes agriculteurs... De tout cela, vous ne voulez pas discuter. Et le Haut Conseil des finances publiques de déplorer des économies non documentées.

Est-ce bien nécessaire dans ces conditions de poursuivre la discussion ? Je ne le crois pas. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Corinne Imbert .  - À mon tour de tourner mes pensées vers les victimes et les personnels de santé et de saluer le bon fonctionnement du plan Blanc.

Même si ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 entend réduire le déficit à 9,3 milliards d'euros, le retour à l'équilibre ne cesse d'être repoussé, 2020 voire 2021. La promesse du président de la République n'est pas tenue.

Nous regrettons que nos propositions courageuses n'aient pas été prises en compte. L'Ondam de 1,75 % est certes proche de celui que la commission des affaires sociales avait retenu l'an dernier mais c'est au prix d'une plus forte contribution réclamée à notre industrie pharmaceutique, déjà mise à mal et qui perd du terrain face à ses concurrents. La délivrance des médicaments à l'unité ? Le problème vient moins du conditionnement que de la non observance de la prescription par les patients. Les Français mettent fin au traitement dès qu'ils vont mieux et le reprennent quand ils toussent. Les officines luttent comme elles peuvent contre le gaspillage.

Comment le pacte territoire santé II que vous venez d'annoncer - 1 000 contrats de plus pour l'installation de jeunes médecins dans des zones sous-denses - sera-t-il financé ? Nous y reviendrons. Le tiers payant généralisé ne sera pas source d'économies ; nous y voyons au contraire un facteur de dépenses supplémentaires.

La majorité sénatoriale vous proposait des mesures courageuses : la généralisation de la déduction forfaitaire de 1,5 euros pour les particuliers employeurs, le ciblage de l'aide aux seniors, le report de l'âge de départ en retraite, les jours de carence dans la fonction publique hospitalière - nous déposerons un amendement en loi de finances pour les étendre aux autres fonctions publiques - ou encore le versement de la prime de naissance avant la naissance.

Le groupe Les Républicains, tout autant attaché que vous à la sécurité sociale, soutiendra sans réserve la question préalable. (Applaudissements à droite)

Mme Laurence Cohen .  - Nous ne sommes pas parvenus à faire suffisamment bouger les lignes, d'autant que le texte du Gouvernement a été aggravé par l'opposition sénatoriale. J'ai été particulièrement choquée par les propos d'un député Les Républicains en CMP : il justifiait les jours de carence dans la fonction publique par l'absentéisme à l'hôpital, alors que les professionnels de santé n'avaient pas attendu le plan blanc pour se mobiliser après les attentats ; leur mobilisation a été exemplaire.

Un Ondam hospitalier à 1,75 % quand les urgences sont saturées, quand les lits font défaut, quand les personnels manquent ? Et tout cela, en réduisant les contributions des entreprises - que la droite sénatoriale, trouvant la réduction insuffisante, ont baissé encore. Nous, nous avons proposé de nouvelles recettes par la mise à contribution des dividendes et des retraites chapeau. Il y faudrait la volonté politique...

Comment souscrire à la poursuite de l'étranglement financier de l'hôpital public ? Avec les GHT, comment maintenir une même qualité de soins sur tout le territoire ? Ce modèle, madame la ministre, nous n'en voulons pas plus que vous n'en vouliez quand vous étiez députée : une sécurité sociale privatisée parce que les remboursements réduits chaque année imposent la souscription d'une complémentaire -  ce dont tous les Français n'ont pas les moyens. Et que dire de la réforme des allocations familiales, qui tente de récupérer un peu d'argent sur le dos des Français ?

Madame le ministre, traduisez l'hommage que vous venez de rendre aux personnels de santé et votre courrier à l'AP-HP en actes : une prise en charge des soins à 100 % et de proximité. Le groupe CRC votera contre ce texte comme en première lecture et contre cette question préalable, à l'opposé de notre vision de la sécurité sociale qui fête ses 70 ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

M. Yves Daudigny .  - La solidarité se traduit en actes : l'article 40 de ce texte s'appliquera immédiatement pour les victimes des attentats. Je salue à mon tour la mobilisation exceptionnelle des personnels de santé dans ces circonstances abominables. Que dire des trois jours de carence dans ce contexte ?

Position paradoxale que celle de la majorité sénatoriale sur ce texte, à l'image de son discours sur les forces de police : peu de désaccords sur le fond, le rapporteur général l'a reconnu, comme sur la protection universelle, le financement des SSR, la garantie des impayés de pension alimentaire, la contraception des mineures, le dépistage du cancer du sein pour les femmes à risque, mais un texte déclaré « mauvais »...

Le Sénat a utilement modifié le texte. Entre autres exemples, sur les contrats de coopération que pourront passer les ophtalmologistes.

D'emblée, la CMP a échoué. La raison ? Le tableau d'équilibre, je l'ai sur moi : il est le meilleur depuis dix ans.

M. Francis Delattre.  - Vous affirmiez la même chose l'an passé !

M. Yves Daudigny.  - On pourrait discuter des mesures de cette nouvelle politique, de la stratégie. Vous l'avez refusé. Faut-il réduire le déficit ?

M. Francis Delattre.  - Vous l'avez creusé !

M. Yves Daudigny.  - Vous n'avez pas de leçon à nous donner, je crois... Oui, il faut réduire les déficits. Le redressement n'est pas spectaculaire ? Il pourrait l'être au prix d'une réduction drastique des droits et du niveau de protection des assurés, dans une période où la sécurité sociale est plus que jamais nécessaire. Ce fut le choix de certains en 2010 avec la réforme des retraites sans prise en compte la pénibilité des métiers. Ce n'est pas le nôtre.

Le reste à charge diminue pour la troisième année de suite, le déficit de l'ensemble des régimes de base a été divisé par deux en trois ans, celui de la branche vieillesse par huit, celui de la branche famille par trois. Le régime des AT-MP est à l'équilibre. Ce n'est pas mince !

Certes, les branches maladie et vieillesse ne sont toujours pas à l'équilibre, mais les efforts sont indéniables : 3,4 milliards d'économies sur l'assurance maladie, grâce à un Ondam plus strict que jamais.

La majorité sénatoriale, elle, appelle à la maitrise des dépenses - mais fait des propositions les accroissant : suppression de la régulation du coût des médicaments contre l'hépatite C, baisse du mécanisme de la clause de sauvegarde, suppression du plafond d'exonération sur les parachutes dorés, généralisation de la cotisation forfaitaire pour le particulier employeur, extension du forfait social, suppression des charges sur les dividendes des SARL, de la CSG et de la CRDS sur les revenus du patrimoine pour les Français établis hors de France... Autant de mesures à l'opposé de toute justice sociale !

Comment passer sous silence la mise en oeuvre du pacte de responsabilité, avec l'allègement de 2 milliards en 2014 et l'abattement d'un milliard sur l'assiette de la C3S. L'amélioration des comptes s'accompagne d'une démarche volontaire de traitement de la dette sociale par le transfert à la Cades, à hauteur de 23,6 milliards, avec un apurement prévu en 2017. C'est opportun, dans un contexte de taux bas.

L'Assemblée nationale a rétabli les tableaux d'équilibre et, aux articles 21 et 22, a substitué une procédure de labellisation des contrats de complémentaires santé à celle d'appel d'offres ; je m'en réjouis, pour la protection des plus de 65 ans et la prise en compte de la spécificité des mutuelles. Notre souci était de favoriser l'adhésion des salariés en contrat court à une couverture collective.

La majorité sénatoriale, traversée de contradictions, a rendu une copie hors sujet, sans aucun chiffre : un comble, pour un projet de loi de financement de la sécurité sociale ! Notre objectif est pourtant commun : inscrire dans le XXIe siècle un système de protection sociale reconnu et envié pour redonner confiance à notre jeunesse. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Mme Françoise Gatel .  - Je veux également, au nom de mon groupe, exprimer ma solidarité et ma gratitude à l'égard des personnels médicaux et des services de secours.

À notre grande déception, aucune des améliorations apportées par le Sénat en première lecture n'a été retenue. Le déficit de la sécurité sociale est certes en léger recul par rapport à 2014, à 12,4 milliards ; malgré les efforts consentis, nous restons loin du compte. La branche maladie concentre les deux tiers du déficit, avec un solde négatif de 6 milliards ; la branche vieillesse fait apparaitre un solde légèrement positif, dû à la réforme des retraites de 2010, mais le Fonds de solidarité vieillesse est en situation de déficit structurel... La branche famille est fragilisée : le retour à l'équilibre annoncé pour 2018 tient à des mesures pénalisant les familles et au transfert à l'État de la prise en charge de l'aide au logement.

Le transfert à la Cades de 23,6 milliards d'euros laisse entière la question de la dette sociale. Le retour à l'équilibre, prévu pour 2017, est reporté à 2020 voire 2021. Soeur Anne, ne vois-tu rien venir ? Si avancées il y a, elles sont minces. Pour rétablir l'équilibre, il faudra des efforts significatifs et structurels - que vous refusez.

Nous déplorons à cet égard la suppression des dispositions courageuses votées par le Sénat. D'abord, la proposition de Gérard Roche reportant l'âge légal de départ en retraite à 63 ans à compter de 2019.

Mme Laurence Cohen.  - Ce n'est pas un progrès...

Mme Françoise Gatel.  - C'est indispensable pour garantir la pérennité de notre système, avec l'évolution de l'espérance de vie.

Ensuite, les trois jours de carence pour la fonction publique hospitalière, qui n'enlève rien à notre reconnaissance à leur égard...

Mme Laurence Cohen.  - Paroles !

Mme Françoise Gatel.  - ...et qui devrait même être élargie à toute la fonction publique, par équité avec les salariés du privé.

M. Francis Delattre.  - Très bien !

Mme Françoise Gatel.  - Je regrette également la suppression de l'exonération pour les jeunes agriculteurs, ainsi que du non assujettissement aux prélèvements sociaux des revenus du patrimoine des personnes non affiliées - qui répondait à une jurisprudence européenne. Je regrette que n'ait pas été retenu le dispositif incitant les médecins retraités à exercer en zones sous-dotées, qui aurait été un premier pas, facile et peu coûteux, de lutter contre les déserts médicaux.

Malgré une intention louable, l'article 19 risque de se traduire par une perte d'attractivité des gens de mer résidant en France. Le Gouvernement a proposé un compromis compliqué : affiliation à l'Enim pour les gens de mer marins, et au régime général pour les non marins. Cela manque de lisibilité, et soulève des incompréhensions.

L'article 21 instaurant un contrat labellisé pour les plus de 65 ans a malheureusement été rétabli, avec plafonnement des cotisations en fonction de l'âge. Cette segmentation de l'offre est un frein à la mutualisation du risque et à la solidarité entre actifs et inactifs, au détriment des premiers. Il faudra remettre à plat les dispositifs existants. L'article 22 limite les chèques santé aux salariés en contrats très courts, sans que vous n'en ayez évalué les effets. À coup sûr, les démarches administratives et les charges des entreprises en seront alourdies.

Le Gouvernement ne prend pas la mesure de la menace qui pèse sur notre système de santé et du poids de la dette que nous faisons porter sur les générations futures. L'esprit de solidarité, si importante en ces temps difficiles, devrait nous inciter à plus de lucidité, de courage et d'audace pour rétablir les équilibres. Elle devrait s'incarner dans un meilleur dialogue entre les assemblées parlementaires. Parce que ce n'est malheureusement pas le cas, le groupe UDI-UC votera la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC et du groupe Les Républicains)

La discussion générale est close.

Question préalable

Mme la présidente.  - Motion n°1, présentée par M. Vanlerenberghe, au nom de la commission.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement du Sénat,

Considérant que le niveau de prélèvements obligatoires au profit des organismes de sécurité sociale a atteint un niveau record ;

Considérant qu'en dépit de ce niveau de prélèvements, les déficits, en particulier ceux de la branche maladie et du Fonds de solidarité vieillesse se stabilisent à des niveaux très élevés ;

Considérant que le retour à l'équilibre n'est constaté que pour les branches (famille, vieillesse, accidents du travail et maladies professionnelles) où de réels efforts  ont été demandés aux assurés ;

Considérant que les mesures d'économies par rapport au tendanciel sur l'assurance-maladie sont à la fois insuffisantes et non-assurées et risquent de se traduire une nouvelle fois par des mesures de régulation sur l'hôpital pour « tenir » l'Ondam ;

Considérant que les perspectives pluriannuelles sont insuffisamment renseignées et ne comportent aucune information sur l'Ondam après 2016 ;

Considérant que la loi de 2014 ne suffira pas à garantir la pérennité du système de retraite à moyen terme et qu'il est nécessaire de prendre rapidement des mesures d'adaptation à l'évolution de l'espérance de vie;

Considérant, que la ponction de 0,15 point de cotisation accidents du travail et maladies professionnelles au profit de l'assurance-maladie contrevient au principe d'autonomie des branches ;

Considérant que le texte n'apporte pas de réponse sécurisée à la jurisprudence européenne relative à l'assujettissement des non-affiliés aux prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine et des produits de placement ;

Le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture (n° 190, 2015-2016).

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales .  - Nous avons tous une pensée émue pour les victimes et leurs familles et témoignons toute notre gratitude aux professionnels médicaux et paramédicaux, libéraux et salariés, pour leur dévouement.

En première lecture, le Sénat a apporté une note dissonante au concert d'autosatisfaction du Gouvernement. Certes, le déficit des comptes sociaux a baissé d'un tiers en trois ans, mais il est encore de 6 milliards d'euros pour l'assurance maladie et de 3,7 milliards pour le FSV - à comparer aux 18 milliards d'euros de recettes supplémentaires mobilisées. Le retour à l'équilibre, prévu pour 2014 puis pour 2016, est désormais reporté au-delà de l'horizon couvert par la loi de programmation. Si les recettes sont là, c'est que nous récoltons les fruits de la réforme de 2010, pourtant mise à mal par l'élargissement des possibilités de départs anticipés décidé à l'été 2012. Nous savons qu'il faudra aller plus loin, nos concitoyens en sont pleinement conscients. L'immobilisme les inquiète plus qu'il ne les rassure. Chaque génération doit relever ses propres défis ; le nôtre est celui de la pérennité de notre système de retraite.

M. René-Paul Savary.  - Très bien.

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales.  - Le déficit de la branche famille ne se réduit qu'au prix de coupes dans les prestations ou de mesures de trésorerie peu justifiables, comme le décalage du versement de la prime de naissance.

Notre système de santé ne restitue pas les gains d'efficience, il les absorbe : voyez la ponction opérée sur la branche AT-MP. L'extension des droits se fait au détriment de l'équilibre budgétaire - preuve que respect de l'Ondam et déficit ne sont pas antinomiques. La hausse de l'Ondam est limitée à 1,75 % certes, mais par rapport à un tendanciel moins élevé. « Poudre aux yeux », « antisocial », avions-nous entendu l'an dernier... Le Gouvernement propose le même niveau, les mêmes économies - essentiellement le virage ambulatoire...

Sommes-nous capables de proposer aux personnels hospitaliers une organisation du travail rationnelle, compatible avec leurs missions, qui ménage des temps de repos ?

On a reproché au Sénat d'avoir, supprimant les tableaux d'équilibre, adopté un texte virtuel ; c'est précisément ce qu'avait fait l'actuelle opposition après avoir remporté la majorité au Sénat ! La suppression de ces tableaux plus politiques que juridiques ne signifie ni la suppression des recettes, ni des dépenses.

La commission des affaires sociales n'a pas souhaité renouveler l'exercice de la première lecture, malgré notre désaccord persistant sur les équilibres généraux du texte. D'où cette motion opposant la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe UDI-UC)

Mme Evelyne Yonnet .  - Je me ferai l'avocate du coupable de la réduction des déficits sociaux, de 40% en trois ans. D'un côté, la majorité sénatoriale réclame 100 à 150 milliards d'économies, de l'autre, elle accroit les déséquilibres en augmentant les dépenses et en réduisant les recettes. Vous n'en êtes pas à une contradiction près !

Examinons les chefs d'accusation. Les déficits de la branche-maladie et du FSV se stabilisent à des niveaux élevés, dites-vous. Ce projet de loi de financement de la sécurité sociale était le plus équilibré de ces dix dernières années depuis longtemps, vous en avez supprimé les articles qui en constituaient la charpente. Vous l'avez dénaturé, détricoté. La dette se stabilise, le déficit, lui, se réduit : 15,4 milliards en 2013, 13,2 milliards en 2014, 12,8 milliards en 2015, 9,7 milliards prévus pour 2016... Grâce aux mesures du Gouvernement, le solde du régime général et du FSV retrouvera en 2016 son niveau d'avant 2008. Sans compter que depuis deux ans, les résultats sont meilleurs que les prévisions.

Vous avez noté le retour à l'équilibre des branches vieillesse et AT-MP. Soulignez-donc le courage du Gouvernement, qui a pris des mesures difficiles, demandé des efforts aux assurés. Laisser faire aurait été dramatique.

Mme Michelle Meunier.  - Eh oui.

Mme Evelyne Yonnet.  - L'actuel plan Ondam prévoit des économies pour la période 2015-2017 ; sa progression est historiquement basse, alors que l'on ouvre de nouveaux droits dans le même temps.

Le système de retraite restera à l'équilibre jusqu'en 2030. Rien ne justifie aujourd'hui de reporter l'âge de départ en retraite à 63 ans. Le compte pénibilité retraite que nous avons défendu était au contraire, lui, très attendu.

La solidarité concerne aussi les branches entre elles, d'où celle instaurée entre la branche AT-MP, excédentaire, et la branche maladie. Pour la première fois depuis 2002, la dette sociale baissera en valeur.

Au juste, que reprochez-vous à ce budget ? De lutter contre le gaspillage ? De baisser les prix des produits de santé, de renforcer l'efficience des dépenses hospitalières, de favoriser le virage ambulatoire, d'offrir de nouveau droits - PUMA, généralisation de la complémentaire santé aux plus de 65 ans et aux salariés précaires, garantie des impayés de pension alimentaire ?

Quel dommage, alors que le travail sénatorial est remis en cause, de le miner ainsi de l'intérieur (Exclamations à droite et au centre), de nous priver d'une deuxième lecture sur un projet de loi aussi essentiel, qui répond aux valeurs de solidarité et d'humanisme. Cette motion a un goût amer, car elle nous détourne de notre mandat : discuter, débattre, légiférer dans l'intérêt de la nation  (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Yves Daudigny.  - Très bien.

Mme Marisol Touraine, ministre .  - Je suis bien sûr défavorable à cette motion. Nous avons déjà échangé nos arguments, les sujets de division sont connus. Je remercie ceux qui soutiennent ce texte.

Interventions sur l'ensemble

M. Gérard Roche .  - Opposer une question préalable fait partie du fonctionnement de notre assemblée, rien de plus légitime. En première lecture, nous avions proposé des économies qui dépassaient le surcoût qu'on nous reproche. Le texte du Sénat était assez éloigné de celui de l'Assemblée nationale, qui le lui a bien fait comprendre...

Je veux dire mon amertume sur le sort de mon amendement repoussant l'âge de départ en retraite. Puissions-nous y revenir : c'est une proposition efficace, juste, socialement acceptable.

Je me félicite du climat apaisé de nos débats. Trois jours après l'horreur du 13 novembre, nous nous sommes levés, à Versailles, pour chanter la Marseillaise. Nos concitoyens ont été rassurés par cet élan d'union nationale. Je fais un rêve : que les débats entre l'Assemblée nationale et le Sénat n'aboutissent plus à des constats d'échec, mais à des compromis réalistes et démocratiques.

Le groupe UDI-UC votera cette motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC et du groupe Les Républicains)

Mme Isabelle Debré.  - Très bien.

M. René-Paul Savary .  - Nous venons de vivre un drame très douloureux.

Première observation : la motivation du personnel médical et paramédical ne dépend pas des questions d'horaires ou d'organisation du travail. Les médecins travaillent à l'hôpital parce qu'ils aiment leur métier, que leur métier a du sens.

Mme Laurence Cohen.  - Alors pourquoi leur imposer trois jours de carence ?

M. René-Paul Savary.  - Le pacte de sécurité prime sur le pacte de stabilité, a déclaré le président de la République : on ne peut pas continuer, dans le secteur social, sanitaire et médico-social, à vivre sur le dos de nos enfants.

M. Jean-Louis Carrère.  - Vous êtes des experts !

M. René-Paul Savary.  - Les gouvernements précédents n'ont peut-être pas montré l'exemple. À celui-ci de faire figure de contre-exemple ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Nous regrettons que nos propositions n'aient pas été reprises, et voterons cette motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Dominique Watrin .  - Cette question préalable nous surprend. Vous aviez refusé de voter la nôtre en première lecture.

Mme Isabelle Debré.  - Il fallait discuter !

M. Dominique Watrin.  - Parce que l'Assemblée nationale n'a pas repris votre texte, vous mettriez un terme à la discussion ? Sans doute l'approche des régionales n'est-elle pas étrangère à votre décision...

M. Francis Delattre.  - Nous avons amendé le texte.

M. Dominique Watrin.  - Vous l'avez aggravé ! Report de l'âge de la retraite, remise en cause des 35 heures sous couvert de l'instauration de jours de carence, baisse des prestations, coupes sombres dans notre système de protection sociale. Nous contestons aussi les nouveaux cadeaux aux employeurs, les exonérations massives de cotisations, sans ciblage ni contreparties. Le pacte de responsabilité aboutit à priver la sécurité sociale de recettes. Faisons plutôt porter l'effort sur les hauts salaires et les revenus financiers des entreprises, et épargnons ces sacrifices à nos concitoyens. Vous faites l'inverse ; nous voterons contre cette motion.

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin n°74 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 343
Pour l'adoption 188
Contre 155

Le Sénat a adopté.

Mme la présidente.  - En conséquence, le Sénat n'a pas adopté le projet de loi de financement de la sécurité sociale en nouvelle lecture.

La séance est suspendue à 12 h 15.

présidence de M. Gérard Larcher

La séance reprend à 15 heures.