Information de l'administration et protection des mineurs (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l'information de l'administration par l'institution judiciaire et à la protection des mineurs.

Discussion générale

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche .  - La garde des sceaux étant retenue à Bruxelles, je m'exprimerai en notre nom à toute les deux. Après la censure du Conseil constitutionnel, nous nous étions engagées à vous présenter un texte équilibré le plus vite possible, équilibré entre impératif de protection des mineurs et exigence de respect de la présomption d'innocence. C'est le cas de ce texte adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale. L'adoption par le Sénat de la proposition de loi de Catherine Troendlé, qui apporte une réponse sensiblement différente, n'a pas fait renoncer le Gouvernement à présenter un texte.

Nous avons voulu une loi de principe qui en finira avec une situation insécurisante pour les magistrats, inconfortable pour l'administration et inconcevable pour les familles. Nous avons vécu sur une faille juridique béante, connue de tous et en particulier des prédateurs. Après la tragédie de Villefontaine, il y avait urgence à donner un cadre juridique à une transmission d'informations aujourd'hui incertaine et aléatoire. Ce texte envoie à la société un signal d'intransigeance et de détermination.

Avec ce texte, nous avons répondu à des questions difficiles : quand informer, qui doit informer, pour quelles infractions ? Nous avons fixé un cadre général concernant toutes les administrations et tous les agents, et un régime particulier pour les personnes en contact habituel avec les mineurs, pour des infractions déterminées.

Nous avons des divergences de fond sur les deux principaux articles, comme les amendements du Gouvernement en témoignent.

Nous devons concilier l'obligation morale et juridique de protéger les mineurs et le nécessaire respect des grands principes de notre droit, dont la présomption d'innocence. Se contenter d'une information au stade de la condamnation définitive priverait le procureur de la possibilité d'informer l'administration d'un danger. Mais laisser à ce dernier toute liberté en cours de procédure dès lors qu'il existe des indices graves et concordants ne me convient pas davantage. Le texte adopté par l'Assemblée nationale a trouvé le juste équilibre.

Toute transmission s'effectuera par écrit et la personne mise en cause sera informée ; en cas de garde à vue ou d'audition libre, sa déclaration sera consignée sur procès-verbal. Toute décision de justice concluant à l'absence de culpabilité sera transmise et la mention antérieure effacée du dossier. Le secret professionnel s'applique à tout destinataire. Nous n'avons pas voulu renoncer aux grands principes ni refusé de trancher, car les professionnels de terrain nous demandent de prendre nos responsabilités. Le Conseil d'État nous a confirmé que le texte respectait l'équilibre entre protection des mineurs et présomption d'innocence. Il n'est donc pas entaché d'inconstitutionnalité.

Les services sont prêts à mettre en oeuvre les dispositions du projet de loi, qui bouleverse les rapports entre justice et administration.

La garde des sceaux et moi-même avons beaucoup travaillé pour amener un changement des pratiques. Les procureurs ont été rappelés dès le printemps 2015 à leur devoir de vigilance et chargés d'améliorer la fluidité des échanges d'informations. À la rentrée dernière, nous avons institué des référents éducation nationale dans chaque parquet et des référents justice dans chaque rectorat. Une circulaire commune du 7 septembre a défini une procédure officielle et sécurisée d'échanges d'informations. Les personnels ont été formés trois jours durant.

Avec ce texte nous définissons le cadre que 22 circulaires n'avaient pas réussi à construire. Toutes les garanties ont été apportées. Les destinataires des informations sont soumis au secret professionnel et les données seront effacées du dossier en cas d'innocence. Toutes les transmissions se feront par écrit.

Le rapport d'inspection décrivait une situation préoccupante. Il n'est pas exclu, disait-il, que certaines condamnations n'aient pas été transmises à l'éducation nationale. Le Gouvernement a pris ses responsabilités. Un décret du 31 décembre a prévu que l'administration ait désormais une vision du bulletin n°2 du casier judiciaire de ses agents sur l'intégralité de leur carrière ; ce matin est paru au Journal officiel un arrêté pour fixer la procédure de contrôle des agents de l'éducation nationale - 850 000 personnes verront ainsi leur casier contrôlé. Les organisations syndicales approuvent. Ce n'est pas un acte de défiance mais le signe d'un engagement collectif.

Je sais que chacun a été marqué par les drames survenus dans l'Isère et en Ille-et-Vilaine. La commission des lois a fait des choix différents du Gouvernement. J'espère que le Sénat se ralliera à la position du Gouvernement pour voter une loi respectueuse de nos valeurs et de nos principes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois .  - Nous débattons de l'échange d'informations entre l'autorité judiciaire - et non l'institution judiciaire, comme on pouvait le lire dans l'intitulé du texte - et l'administration. Une telle imprécision est révélatrice...

Le Conseil constitutionnel a censuré les mesures insérées dans la loi Ddadue pour absence de lien avec le texte. Le Sénat a été rapide, puisque nous avons adopté le 20 octobre la proposition de loi de Mme Troendlé ; malheureusement le Gouvernement et l'Assemblée nationale ont bloqué la navette parlementaire. Une perte de temps...

Je n'ai pas bien compris comment le Gouvernement créait une divergence artificielle avec la commission des lois... Nous sommes presque d'accord sur tout... Mais nous ne transigeons pas sur la présomption d'innocence.

La modification introduite par l'article premier n'est pas acceptée par tous sans réserve, comme l'a montré l'accueil mitigé de la Conférence des procureurs généraux et des procureurs. Mme la garde des sceaux n'a elle-même pas toujours été très claire... Nous aurions aimé l'entendre... Mais nous comprenons ses obligations internationales.

L'article premier crée un régime général de communication d'informations à l'administration en cas de condamnation, même non définitive et en cas de saisine d'une juridiction de jugement ou de mise en examen, régime qui s'applique à un large champ d'infractions ; le parquet peut informer, pour tous les crimes et délits punis d'une peine d'emprisonnement, les administrations, les personnes morales de droit privé exerçant une mission de service public et les ordres professionnels. Un régime renforcé est prévu pour les infractions les plus graves, notamment commises contre des mineurs, pour les personnes exerçant une activité en contact avec des mineurs. Dans ce régime, le parquet sera tenu d'adresser les décisions de condamnation, de placement sous contrôle judiciaire assortie d'une interdiction d'exercer. Il pourra aussi informer l'administration ou l'employeur des gardes à vue et auditions libres en cas d'indices graves et concordants.

Nul ne conteste la nécessité d'assurer aux mineurs la protection la plus complète. Mais le législateur est tenu au respect de la Constitution et doit garantir la présomption d'innocence. Le texte de la commission des lois est plus équilibré. En cas de reconnaissance de culpabilité, la transmission automatique d'informations va de soi. Nous souhaitons aussi que la peine d'interdiction d'exercer une profession en lien avec les mineurs soit plus systématique en cas d'infraction sexuelle. Je ne comprends pas l'opposition du Gouvernement à ce sujet.

La transmission d'informations sur les procédures en cours ne va pas de soi. Nous avons infléchi notre position. Nous en acceptons le principe, à deux conditions : qu'elle soit facultative et s'accompagne de garanties réelles, avec un minimum de contradictoire. Nous refusons le transfert d'informations dès la garde à vue ou l'audition libre, atteinte excessive à la présomption d'innocence. La Conférence des procureurs généraux et procureurs y est d'ailleurs défavorable. Cette mesure revient à transférer la responsabilité de l'autorité judiciaire à l'employeur - c'est-à-dire, souvent, aux collectivités locales !

L'efficacité du dispositif se heurtera au manque de moyens des parquets et des greffes, qui n'ont plus les capacités humaines, informatiques, à cause des dysfonctionnements de Cassiopée, de remplir leurs missions. Le Gouvernement leur donnera-t-il ces moyens ? Évaluer à 15 minutes le temps nécessaire à une transmission d'informations, ce n'est pas sérieux...

Nous avons respecté l'esprit de votre texte, tout en l'améliorant. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Catherine Troendlé.  - Très bien !

M. Jacques Bigot .  - Longtemps les agressions sexuelles sont restées inconnues, parfois tolérées.

En dépit de 22 circulaires, le problème reste posé. Le Gouvernement a su réagir rapidement en ordonnant une mission conjointe des inspections, qui a fait 15 préconisations. Certaines sont d'ordre réglementaire - le Gouvernement a déjà instauré des référents Justice et Éducation - d'autres d'ordre législatif, pour permettre ou obliger les procureurs à informer les administrations employant des personnes condamnées ou soupçonnées de faits de pédophilie.

Ce texte va plus loin en prévoyant une information générale. L'enjeu est de respecter la présomption d'innocence garantie par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la Convention européenne. La présomption d'innocence est mise à mal quotidiennement par la presse ; l'administration doit-elle faire de même ?

Il n'y a aucune difficulté si la personne a été condamnée. La condamnation est publique. C'est plus compliqué en cas de mesures d'investigation. Un contrôle judiciaire peut être décidé avec interdiction d'exercer une activité en contact habituel avec des enfants ou de fréquenter certains établissements. Mais en cas de détention de matériel pédopornographique, la procédure est souvent correctionnelle et ne passe pas par un juge d'instruction - le contrôle judiciaire est alors impossible. D'où ce texte qui va plus loin que la proposition de loi de Mme Troendlé. Le Conseil d'État a été consulté.

En revanche, autoriser le procureur à informer l'administration en cas de garde à vue ou d'audition libre va trop loin. Comme le relève le Conseil d'État, ce sont les seuls cas susceptibles de ne pas déboucher sur la saisine d'une juridiction. Or, si les mises en examen sont connues, les ordonnances de non-lieu et classements sans suite ne le sont pas. En cas d'indices graves, soit le ministère public saisit le juge d'instruction, soit il renvoie en citation directe, voire en comparution immédiate. Ainsi la présomption d'innocence et les droits de la défense seront-ils respectés.

Puisque M. le rapporteur invoque le statut de l'autorité judiciaire, qu'il ne lui impose pas des peines automatiques ! Attention à ne pas voter une loi d'affichage. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; M. Pierre-Yves Collombat applaudit aussi)

Mme Esther Benbassa .  - Le texte vise à renforcer l'information sur les antécédents judiciaires des personnes exerçant une activité auprès des mineurs : fonctionnaires, bénévoles, salariés d'un organisme privé exerçant une mission de service public. Cet encadrement est légitime, jusque-là nous ne disposions que des circulaires. Nos enfants ne doivent plus être les victimes de dysfonctionnement de notre système. Plus jamais Villefontaine.

La nécessité de légiférer fait consensus. Les amendements à la loi Ddadue ont été censurés par le Conseil constitutionnel. Le Sénat a voté la proposition de loi de Mme Troendlé. S'il est urgent que certaines dispositions entrent en vigueur, la défense des droits fondamentaux doit rester notre guide en ces temps troublés. Il convient de savoir si ce projet de loi atteint le délicat équilibre entre protection des mineurs et respect de la présomption d'innocence.

Le texte de l'Assemblée nationale autorisant la transmission d'information en cas de garde à vue ou d'audition libre allait trop loin et était contraire à la jurisprudence de la Cour de cassation. La commission des lois a corrigé ; mais elle a introduit deux dispositions issues de la proposition de loi Troendlé : l'automaticité de la peine complémentaire d'interdiction d'exercer pour les personnes condamnées pour infraction sexuelle contre un mineur et l'automaticité du placement sous contrôle judiciaire assorti de l'interdiction d'exercer en cas de mise en examen pour une ou plusieurs infractions entrant dans le champ du régime obligatoire d'information. Dispositions qui marquent une certaine défiance à l'égard des magistrats et sont contraires au principe d'individualisation de la peine. Nous avons déposé des amendements. Notre vote dépendra de leur sort.

M. Jacques Mézard .  - Notre groupe n'a jamais manqué à défendre les libertés publiques et individuelles. Nous bataillions hier avec nos collègues socialistes contre les lois médiatiques du gouvernement Fillon... Les gouvernements changent, les pratiques demeurent...

Ce texte n'est pas un texte d'équilibre mais de rupture. On ne peut transiger sur certains principes. L'existence de failles dans l'administration ne saurait justifier de mettre à bas la présomption d'innocence. En cas de condamnation définitive, l'information doit être obligatoire et systématique. Ensuite, il faut être réaliste et raisonnable. En cas de fait grave, l'autorité judiciaire a les moyens de protéger la société - comparution immédiate, contrôle judiciaire...

Nous avons déposé un amendement. Si celui-ci n'est pas adopté, aucun membre du groupe RDSE ne votera le texte.

Je remercie M. Zocchetto. La commission des lois a considérablement amélioré le texte du Gouvernement. Mais... Le parquet peut informer ? Certains parquetiers informeront, d'autres non. Informer dès la mise en examen ou lorsque la condamnation n'est pas définitive ou quand une juridiction de jugement est saisie, voilà qui est totalement attentatoire au principe de la présomption d'innocence.

La décision du Conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité, le 17 décembre 2010, visait la possibilité pour l'autorité judiciaire à prendre des mesures restrictives des libertés avant la condamnation ; c'est normal. Mais on ne peut pas marcher sur l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme au motif que des professionnels, sur le terrain, trouvent leur travail difficultueux....

Pourquoi considère-t-on qu'il est bon de surenchérir sur les chaînes d'information continue ? Nous l'avons dit au gouvernement Fillon, nous le redisons aujourd'hui. N'ouvrons pas une brèche dans le respect de la présomption d'innocence.

Le texte n'est pas acceptable. Le groupe RDSE ne le votera que si la transmission ne vaut qu'en cas de condamnation définitive. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE et à droite)

Mme Catherine Troendlé .  - Chacun a en tête les tragiques événements survenus en l'Isère et en Ille-et-Vilaine. Après l'amendement du Gouvernement dans la loi Ddadue, censuré par le Conseil constitutionnel, et l'adoption de ma proposition de loi, ce texte est le troisième sur le sujet.

Nous voulons tous protéger les enfants des prédateurs sexuels. Il ne s'agit en aucun cas de jeter l'opprobre sur les professionnels méritants de l'Éducation nationale ou des associations. Toutefois, la répression du risque pédophile est encore insuffisante : seize révocations d'enseignants ont été prononcées en 2014. La circulaire du 26 août 1997 fixant une ligne de conduite au ministère de l'Éducation nationale n'est guère respectée, non plus que la dépêche du 29 novembre 2001 relative à l'avis à donner aux administrations sur les poursuites pénales engagées contre des fonctionnaires et agents publics.

C'est au niveau de la condamnation qu'une faille existe, nous la comblerons en prévoyant une peine complémentaire d'interdiction d'exercer auprès de mineurs.

Je tiens à saluer l'excellent travail de votre rapporteur, M. Zocchetto, qui a su rendre ce texte efficace, tout en s'inspirant des réflexions de Mme Goy-Chavent et de ma proposition de loi. Le texte de la commission des lois répond à nos attentes et est protecteur.

Je suis opposée à la transmission d'informations dès la garde à vue ou l'audition libre. L'atteinte à la présomption d'innocence est excessive, il y a trop de risques de dérives. Je soutiens la commission des lois qui prévoit une transmission d'informations en cas de mise en examen, avec des garanties.

Mme Taubira avait soutenu notre proposition, déplorant seulement l'absence de consultation du Conseil d'État. Ce n'était pas un texte d'émotion. Dommage que le Gouvernement n'ait pas tenu compte de notre réflexion. Je souhaite que le Sénat adopte le texte équilibré de la commission des lois. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Cécile Cukierman .  - Après la censure du Conseil constitutionnel pour des raisons de procédure, et la proposition de loi de Mme Troendlé, voici un nouveau texte sur ce sujet. De même que nous avions regretté l'initiative politicienne de la droite au moment même où le Gouvernement saisissait le Conseil d'État, nous déplorons aujourd'hui l'attitude du Gouvernement, quelque peu irrespectueuse à l'endroit des parlementaires.

Oui, il y a urgence à améliorer notre cadre de transmission des informations vu les pratiques disparates des parquets. Si la transmission doit être rapide et systématique en cas de communication, la commission des lois a eu raison de la supprimer en cas de garde à vue ou d'audition libre, c'est-à-dire à une étape précoce et dans un cadre procédural qui ne garantit pas le principe du contradictoire. C'eût été une atteinte à la présomption d'innocence.

Ce projet de loi crée une nouvelle catégorie juridique : si l'employeur est informé d'une interpellation, la présomption d'innocence sera proportionnelle au retentissement donné à la mise en cause de l'intéressé.

Les parquets sont surchargés et il est douteux qu'ils puissent remplir les nouvelles missions qui leur sont confiées par le texte. Ils ne disposent d'aucun outil informatique centralisé de transmission. On manque aussi d'interlocuteurs identifiés au sein des rectorats et d'une procédure d'alerte structurée.

Pour protéger les mineurs, mieux vaut s'affranchir de l'émotion et de la pression médiatique. Nous ne voterons pas ce texte.

Mme Élisabeth Doineau .  - La proposition de loi de Mme Troendlé, adoptée par le Sénat, n'a pas été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Les mesures insérées dans la loi Ddadue ont été censurées par le Conseil constitutionnel. Je ne m'étendrai pas sur le manque de respect à l'égard du Parlement. Ce qui importe est de prévenir la répétition d'affaires comme celle de Villefontaine.

La plus grande fermeté s'impose face aux crimes sur mineurs. Il faut garantir à nos enfants un environnement sans danger, sans porter atteinte aux libertés individuelles et à l'ordre constitutionnel.

Je salue le travail de notre rapporteur, François Zocchetto. Je soutiens la suppression de la transmission automatique des informations trop tôt dans la procédure. Faisons confiance aux magistrats pour prendre les mesures proportionnées. Insérer au fichier des personnes recherchées les personnes suspectes d'atteinte sur mineurs est une piste intéressante.

La commission des lois a réintroduit l'article premier de la proposition de loi de Mme Troendlé, qui rend automatique, sauf décision spécialement motivée, la peine complémentaire d'interdiction d'exercer une activité auprès des mineurs.

La vulnérabilité de nos enfants n'est pas à prendre à la légère, et ne saurait faire l'objet de récupération politicienne. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jean-Pierre Sueur .  - La question est complexe. Sont en jeu trois principes fondamentaux : la protection des mineurs, la présomption d'innocence, et le secret de l'enquête et de l'instruction.

En CMP sur la loi Ddadue, nous désapprouvions la rédaction de l'Assemblée nationale, qui ne prenait pas assez en compte la présomption d'innocence. Je salue le travail accompli depuis par M. Raimbourg, Mme Taubira et vous-même, madame la ministre. Nous sommes arrivés à un point d'équilibre, sans doute imparfait, mais le meilleur auquel nous puissions aspirer.

Le groupe socialiste a toujours été hostile à l'automaticité des peines, raison pour laquelle nous avons toujours refusé les peines plancher. Nous avons confiance dans la capacité du juge à juger en fonction des circonstances et de la personnalité de la personne mise en cause. Pour cette seule raison, nous ne pourrons voter le texte de la commission.

S'agissant de la transmission d'informations à l'administration, elle sera obligatoire en cas de condamnation, à la discrétion du procureur en cas de contrôle judiciaire, ce qui est normal. En revanche - et en ceci nous sommes d'accord avec le rapporteur et en désaccord avec le Gouvernement - la transmission d'information dès le stade de la garde à vue porterait atteinte à la protection d'innocence. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER A

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par M. Bigot et les membres du groupe socialiste et républicain.

Supprimer cet article.

M. Jacques Bigot.  - À côté des pouvoirs exécutifs et législatifs, l'autorité judiciaire doit être indépendante. Lui imposer une peine automatique, c'est marquer sa défiance à l'égard des magistrats, ou faire de la communication.

M. le président.  - Amendement identique n°5, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.

Mme Esther Benbassa.  - Le principe d'individualisation des peines doit primer. Les peines automatiques sont une marque de défiance à l'endroit des magistrats.

M. le président.  - Amendement identique n°9, présenté par le Gouvernement.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre.  - Comme la garde des sceaux précédemment, je ne peux que m'opposer à cette atteinte au principe d'individualisation des peines - laquelle ne correspond nullement à l'objet du projet de loi, qui est d'améliorer l'échange d'informations.

M. François Zocchetto, rapporteur.  - Je respecte la position constante de l'opposition sénatoriale. Je comprends moins que le Gouvernement, qui nous propose d'aller très loin pour protéger les mineurs, jusqu'à porter atteinte à la présomption d'innocence, s'oppose à cet article, qui reprend des dispositions déjà existantes dans notre droit. S'il est un moyen de protéger les mineurs, c'est bien de faciliter le contrôle judiciaire, en l'espèce d'interdire d'exercer une activité en contact habituel avec les mineurs ! Si cette peine avait été prononcée, nous aurions peut-être évité les drames de Villefontaine et d'Orgères. Enfin, le juge restera libre de ne pas prononcer la peine, à la condition de motiver sa décision. C'est une mesure efficace et nécessaire.

M. Michel Mercier.  - Évitons les oppositions factices. Le code pénal prévoit de nombreuses dispositions de même ordre. La loi ne demande au magistrat que de s'interroger, et d'exposer systématiquement les raisons qui le conduisent à prononcer ou non la peine complémentaire. Il en va de même pour les peines plancher, écartées dans 60 % des cas.

M. Jacques Mézard.  - Nous ne voterons pas ces amendements. Cependant, il manque à l'article un mot, je sais que c'est à dessein : il manque « définitive » après « condamnation ».

Je comprends mal que le Gouvernement parle dans l'objet de son amendement d'« atteintes inutiles et contestables » au principe d'individualisation des peines. Cela se fait tous les jours, dans de nombreux textes.

M. Éric Doligé.  - Quand il s'agit des enfants, évitons le purisme, les raisonnements des juristes ou de linguistes qui plaisent tant à certains de nos collègues. À propos de la clause générale de compétence, les juristes d'hier sont devenus plus accommodants depuis leur arrivée aux affaires...

Mme Cécile Cukierman et M. Pierre-Yves Collombat.  - Pas tous !

À la demande du groupe socialiste et républicain, les amendements identiques nos1, 5 et 9 sont mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°133 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 344
Pour l'adoption 139
Contre 205

Le Sénat n'a pas adopté.

L'article premier A est adopté.

ARTICLE PREMIER

M. le président.  - Amendement n°7 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collombat, Amiel, Arnell, Barbier, Castelli, Collin, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall.

I.  -  Alinéas 3 à 18

Remplacer ces alinéas par deux alinéas ainsi rédigés :

« Art. 11-2.  -  I.  -  Le ministère public informe par écrit l'administration de la condamnation d'une personne qu'elle emploie, y compris à titre bénévole, lorsqu'elle est définitive et qu'elle concerne un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement.

« II.  -  Le ministère public informe sans délai la personne de sa décision de transmettre l'information prévue au I. » ;

II.  -  Alinéas 34 à 49

Supprimer ces alinéas.

M. Pierre-Yves Collombat.  - L'information de l'employeur est évidemment indispensable. Il est impensable que les individus condamnés définitivement pour infraction sexuelle sur mineur puissent exercer une activité auprès d'eux. On peut d'ailleurs se demander pourquoi nous devons pallier la défaillance de l'administration par des lois.

Mais il ne s'agit pas ici de choisir entre deux principes, mais entre deux malheurs ; la simple diffusion d'un soupçon d'un tel crime est la garantie d'une vie brisée. Rappelez-vous Outreau ! M. Vallini, mieux inspiré comme président de la commission d'enquête sur cette affaire que comme ministre, avait alors rappelé que, sur 60 000 personnes emprisonnées, 20 000 sont en détention préventive et 2 000 seront innocentées... Autant d'affaires dont on ne parlera jamais. Nous ne disposons pas de statistiques, sinon le nombre de demandes d'indemnisation : 140 par an. Ce sont donc au moins 200 personnes par an qui sont ainsi accusées à tort avant d'être innocentées.

Que l'on ne vienne pas pleurer demain, lorsqu'avec ce texte on aura un nouvel Outreau ! En fait, si, on pleurera encore sur les victimes ... de la justice cette fois.

M. le président.  - Amendement n°10, présenté par le Gouvernement.

Alinéas 3 à 15

Rédiger ainsi ces alinéas :

 « Art. 11-2.  -  I.  -  Le ministère public peut informer par écrit l'administration des décisions suivantes rendues contre une personne qu'elle emploie, y compris à titre bénévole, lorsque, en raison de la nature des faits ou des circonstances de leur commission, cette information est nécessaire pour lui permettre de prendre les mesures utiles au maintien de l'ordre public, à la sécurité des personnes ou des biens ou au bon fonctionnement du service public :

« 1° La condamnation, même non définitive, prononcée pour un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement ;

« 2° La saisine d'une juridiction de jugement par le procureur de la République ou par le juge d'instruction pour un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement ;

« 3° La mise en examen pour un crime ou un délit puni d'une peine d'emprisonnement.

« Le ministère public peut informer, dans les mêmes conditions, les personnes publiques, les personnes morales de droit privé chargées d'une mission de service public ou les ordres professionnels des décisions mentionnées aux 1° à 3° du présent I prises à l'égard d'une personne dont l'activité professionnelle ou sociale est placée sous leur contrôle ou leur autorité.

« II.  -  Dans tous les cas, le ministère public informe :

« 1° La personne de la transmission prévue au I ;

« 2° L'administration, ou l'autorité mentionnée au dernier alinéa du même I, de l'issue de la procédure.

« L'administration ou l'autorité mentionnée au dernier alinéa du I qui est destinataire de l'information prévue au même I peut la communiquer aux personnes compétentes pour faire cesser ou suspendre l'exercice de l'activité mentionnée aux premier et dernier alinéas dudit I. Cette information ne peut être diffusée à d'autres personnes.

« Sauf si l'information porte sur une condamnation prononcée publiquement et sous réserve du quatrième alinéa du présent II, toute personne destinataire de ladite information est tenue au secret professionnel, dans les conditions et sous les peines prévues aux articles 226-13 et 226-14 du code pénal.

« III.  -  Les condamnations dont la mention au bulletin n° 2 du casier judiciaire a été exclue en application de l'article 775-1 du présent code ne peuvent être communiquées à l'initiative du ministère public, sauf en application du 2° du II du présent article à la suite d'une première information transmise en application du I. Dans ce cas, l'information fait expressément état de la décision de ne pas mentionner la condamnation au bulletin n° 2 du casier judiciaire.

« IV.  -  Hors le cas où une décision prononçant une sanction a été légalement fondée sur l'information transmise par le ministère public, lorsque la procédure pénale s'est terminée par un non-lieu ou une décision de relaxe ou d'acquittement, l'administration ou l'autorité mentionnée au dernier alinéa du I retire l'information du dossier relatif à l'activité de la personne concernée.

« V.  -  Un décret détermine les conditions d'application du présent article, notamment les formes de la transmission de l'information par le ministère public et les modalités de retrait de l'information en application du IV. » ;

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre.  - Le travail accompli par le Conseil d'État, puis l'Assemblée nationale constituait une base solide, et je doute de l'opportunité de la réécriture opérée par votre commission. Celle-ci a voulu permettre à la personne de formuler ses observations, c'est inutile en cas de condamnation puisque la procédure disciplinaire est contradictoire. De même, la procédure prévue par votre commission en cas de non-lieu ou d'acquittement est excessivement lourde : la personne peut informer elle-même l'administration. Enfin, le renvoi à un décret en Conseil d'État ne fera que ralentir les choses alors qu'un décret simple suffirait.

M. le président.  - Amendement n°3 rectifié bis, présenté par Mme Imbert, MM. Milon, D. Laurent, Béchu, Chasseing, Revet, Joyandet, Laufoaulu, Dufaut et Cardoux, Mme Di Folco, M. Morisset, Mme Morhet-Richaud, MM. Vasselle et de Raincourt, Mme Mélot, MM. G. Bailly et Charon, Mmes Gruny et Deromedi, MM. Savary, Laménie et Kennel, Mme Deroche, MM. Lefèvre, Houpert et Pillet, Mme Lopez, M. Chaize et Mme Lamure.

I.  -  Alinéa 3

Après les mots : 

à titre bénévole

insérer les mots :

ou contre un membre de sa famille habitant le domicile de la personne employée qui exerce ses missions dans son lieu d'habitation

II.  -  Alinéa 8

Compléter cet alinéa par les mots :

ou à l'égard d'un membre de sa famille habitant le domicile de la personne employée qui exerce ses missions dans son lieu d'habitation

Mme Corinne Imbert.  - Les assistants familiaux et les assistants maternels accueillent des mineurs et exercent généralement leur activité professionnelle à domicile. Aussi convient-il que les conseils départementaux, qui emploient les assistants familiaux ou qui délivrent les agréments pour les assistants maternels, aient connaissance des crimes ou délits commis dans leur famille.

M. le président.  - Amendement n°11, présenté par le Gouvernement.

Alinéas 34 à 49

Remplacer ces alinéas par dix-sept alinéas ainsi rédigés :

3° Après l'article 706-47-3, il est inséré un article 706-47-4 ainsi rédigé :

« Art. 706-47-4.  -  I.  -  Lorsqu'une personne dont il a été établi au cours de l'enquête ou de l'instruction qu'elle exerce une activité professionnelle ou sociale impliquant un contact habituel avec des mineurs et dont l'exercice est contrôlé, directement ou indirectement, par l'administration est condamnée, même non définitivement, pour une ou plusieurs des infractions mentionnées au II du présent article, le ministère public informe par écrit l'administration de cette condamnation.

« Il en est de même lorsque la personne exerçant une activité mentionnée au premier alinéa du présent I est placée sous contrôle judiciaire et qu'elle est soumise à l'obligation prévue au 12° bis de l'article 138.

« Le ministère public peut également informer par écrit l'administration de la mise en examen ou de la poursuite devant la juridiction de jugement par le juge d'instruction ou le procureur de la République d'une personne exerçant une activité mentionnée au premier alinéa du présent I pour une des infractions mentionnées au II.

« Le ministère public peut informer par écrit l'administration de l'audition dans les conditions prévues à l'article 61-1 ou de la garde à vue d'une personne exerçant une activité mentionnée au premier alinéa du présent I dès lors qu'il existe, à son issue, des indices graves ou concordants rendant vraisemblable que cette personne ait pu participer ou tenter de participer, comme auteur ou comme complice, à la commission d'une ou de plusieurs des infractions mentionnées au II. Dans ce cas, il ne peut transmettre l'information qu'après avoir recueilli ou fait recueillir, par procès-verbal, les observations de la personne, le cas échéant selon les modalités prévues à l'article 706-71, ou l'avoir mise en mesure de le faire. Lorsque la procédure pénale s'est terminée par un classement sans suite motivé par une insuffisance de charges, hors le cas où une décision prononçant une sanction a été légalement fondée sur l'information transmise par le ministère public, l'administration retire l'information du dossier relatif à l'activité de la personne concernée.

« Les II à III de l'article 11-2 sont applicables aux modalités de transmission et de conservation des informations mentionnées au présent article.

« II.  -  Les infractions qui donnent lieu à l'information de l'administration dans les conditions prévues au I du présent article sont :

« 1° Les crimes et les délits mentionnés à l'article 706-47 du présent code ;

« 2° Les crimes prévus aux articles 221-1 à 221-5, 222-7, 222-8, 222-10 et 222-14 du code pénal et, lorsqu'ils sont commis sur un mineur de quinze ans, les délits prévus aux articles 222-11 à 222-14 du même code ;

« 3° Les délits prévus aux articles 222-32 et 222-33 du même code ;

« 4° Les délits prévus au deuxième alinéa de l'article 222-39, aux articles 227-18 à 227-21 et 227-28-3 dudit code ;

« 5° Les crimes et les délits prévus aux articles 421-1 à 421-6 du même code.

« III.  -  Un décret détermine les modalités d'application du présent article. Il détermine notamment :

« 1° Les formes de la transmission de l'information par le ministère public ;

« 2° Les professions et activités ou catégories de professions et d'activités concernées ;

« 3° Les autorités administratives destinataires de l'information ;

« 4° Les modalités de retrait de l'information en application de l'avant-dernier alinéa du I. »

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre.  - Ici, aussi, je propose de rétablir la rédaction de l'Assemblée nationale. Le contrôle judiciaire obligatoire serait contraire à la Constitution. Quant à la transmission d'informations dès le stade de la garde à vue ou de l'audition libre, elle est indispensable à la protection des mineurs. Il s'agit souvent de procédures lourdes et lentes ! Estimez-vous normal, alors qu'un instituteur mis en garde à vue pour attouchements sur son fils reconnaissait les faits, que l'Éducation nationale n'ait pas été informée ?

Les élus locaux du Conseil national d'évaluation des normes ont jugé appropriée la mesure que nous proposons, le Conseil d'État n'y a pas vu d'obstacle. N'oubliez pas que l'intéressé pourra présenter ses observations, que l'information sera effacée s'il est innocenté.

Je ne partage pas non plus votre avis sur la restriction du champ des infractions concernées : les enfants sont aussi potentiellement en danger au contact d'exhibitionnistes ou d'auteurs de violences sur mineur.

Le placement obligatoire sous contrôle judiciaire d'une personne non condamnée serait contraire aux principes de présomption d'innocence et de nécessité des peines.

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par M. Bigot et les membres du groupe socialiste et républicain.

Alinéa 49

Supprimer cet alinéa.

M. Jacques Bigot.  - Défendu.

M. le président.  - Amendement identique n°4, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.

Mme Esther Benbassa.  - Je l'ai dit, cette automaticité exprime une fois de plus une certaine défiance à l'endroit des magistrats.

M. François Zocchetto, rapporteur.  - La constance de M. Collombat mérite le respect. Avis défavorable néanmoins à l'amendement n°7 rectifié.

L'amendement n°10, il revient sur les garanties apportées par la commission des lois à la personne mise en cause au motif de leur complexité. Porter atteinte pour la première fois à la présomption d'innocence, mais aussi au principe du contradictoire, cela fait beaucoup !

Le Gouvernement voudrait que le procureur puisse se prononcer sur la transmission eu égard au « bon fonctionnement du service public ». Pour la Conférence nationale des procureurs de la République et des procureurs généraux un tel critère n'est pas acceptable en droit pénal. Si les procureurs doivent dire ce qu'est le bon fonctionnement du service public, où va-t-on ?

Le Gouvernement veut aussi supprimer la sanction des divulgations à la presse. C'est pourtant une garantie légitime.

Enfin, pour des mesures d'application du droit pénal et de la procédure pénale, vous tenez qu'un décret simple suffit, mais vu les imprécisions que nous avons relevées, nous préférons un décret en Conseil d'État. Avis défavorable donc.

Retrait de l'amendement n°3 rectifié bis : je présenterai un amendement n°12 qui répond à l'attente légitime de Mme Imbert.

Par l'amendement n°11, le Gouvernement rétablit la possibilité d'une transmission d'informations dès la garde à vue ou l'audition libre. Nous avons fait un pas, au vu de l'avis du Conseil d'État, acceptant l'information au stade présentenciel, mais sans aller jusque-là ! Les procédures pénales, d'accès facile, sont parfois détournées à des fins civiles, tous les praticiens le savent - je pense au droit de la famille. Quant au champ des infractions concernées, l'exhibition sexuelle peut être sans lien avec la question des mineurs.

De même, la condamnation pour une gifle en dehors de tout cadre professionnel doit-elle être systématiquement notifiée ? Laissons le procureur en décider. Avis défavorable, ainsi qu'aux amendements nos2 et 4.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre.  - Retrait ou rejet de l'amendement n°7 rectifié, qui limite terriblement la portée de ce texte. Il faut tout de même se soucier d'efficacité, l'équilibre a été trouvé avec la présomption d'innocence, grâce à des garanties procédurales, dues à l'apport du Conseil d'État. L'amendement nous paraît même reculer par rapport à la pratique des magistrats.

Cela dit, Mme Imbert met en lumière une vraie difficulté. La rédaction de votre amendement n°3 rectifié bis pose cependant problème. Retrait, au profit de l'amendement n°12 du rapporteur ?

Avis très favorable, bien sûr, aux amendements nos2 et 4.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Je m'étonne de l'absence d'étude d'impact. On saurait au moins de quoi on parle !

Les accusations infondées prolifèrent. Qu'elles le soient ou non, en l'absence de preuves matérielles, elles ne reposent le plus souvent que sur de simples témoignages. Les magistrats ne sont pas dépourvus de moyens : contrôle judiciaire, détention provisoire - beaucoup plus fréquente en matière d'infractions sexuelles.

Je sais bien que la raison pèse peu face au choc des émotions, auquel nous nous en remettons ici, mais pourquoi devrait-on préférer un malheur à un autre ?

M. Jacques Mézard.  - Nous maintenons bien sûr l'amendement. À l'article premier A, Mme la ministre parlait d'affichage. La même qualification vaut pour le projet de loi tout entier ! Dire que notre amendement est une régression, c'est original... Actuellement, les parquets transmettraient des informations hors de toute règle ? Peut-être, mais de là à l'inscrire dans la loi...

L'amendement n°7 rectifié n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°10.

Mme Corinne Imbert.  - Merci d'avoir été attentifs au problème que j'ai soulevé. Mais il me paraît assez simple d'établir un lien entre le parquet et le département. Quelle sera la règle pendant les cinq ans que dure l'agrément - qui ne peut être suspendu que quatre mois ?

Bref, mon amendement, au fond, ne me paraît nullement incompatible avec celui du rapporteur.

M. René-Paul Savary.  - En effet, ils sont différents. Il appartient aux départements de placer les enfants, et nous travaillons évidemment avec les parquets. Mais nous avons besoin de garanties : des problèmes se sont déjà produits, il a fallu replacer des enfants en urgence...

L'amendement du rapporteur ne couvre pas non plus le cas de l'agrément des assistantes maternelles. Celui de Mme Imbert est simple et de bon sens.

M. Alain Vasselle.  - Votre amendement, monsieur le rapporteur, permet-il d'informer le président du conseil départemental à la fois au moment de la délivrance de l'agrément et pendant sa durée ? Sinon, l'amendement est nécessaire.

M. Éric Doligé.  - Savez-vous combien d'enfants sont confiés en moyenne aux présidents des conseils départementaux ? Environ 2 000.

M. René-Paul Savary.  - J'en ai 1 300 !

M. Éric Doligé.  - Vous êtes en dessous de la moyenne ! Ils ont besoin du maximum d'informations pour éviter les problèmes.

M. François Zocchetto, rapporteur.  - La commission des lois a examiné cet amendement avec la plus grande attention. Nous connaissons, le plus souvent d'expérience, nous qui avons siégé dans ces assemblées, le problème, pour le président du conseil départemental, de connaître ce qu'il en est pour tous les enfants qui lui ont été confiés.

En théorie, la proposition est recevable ; en pratique, vu la situation des parquets, ils ne pourront pas mettre en pratique ce qui est voté : ils nous l'ont dit ! Le Gouvernement, dans l'étude d'impact, fait l'impasse sur les transmissions d'informations pendant les procédures en cours ; cela montre son impréparation. Nous en revenons à la question : faut-il des lois d'affichage ou des lois efficaces ?

Notre amendement n° 12 est simple : le président recevra le bulletin n°2, dit « B2 » du casier judiciaire, qui contient toutes les condamnations, et non seulement le « B3 ». Voilà une solution efficace.

Si nous votons l'amendement de Mme Imbert, il ne sera pas appliqué. Mais il s'agit aussi du transfert de responsabilité des magistrats vers les responsables des exécutifs des collectivités territoriales.

Certaines personnes transmettront tout, d'autres, rien, ajoutant à l'incertitude. Il restera des risques que nous devrons assumer.

L'article n°3 rectifié bis n'est pas adopté.

L'amendement n°11 est adopté.

L'amendement n°2 n'est pas adopté non plus que l'amendement n°4.

L'article premier est adopté.

L'article 2 est adopté.

ARTICLE 3

M. le président.  - Amendement n°12, présenté par M. Zocchetto, au nom de la commission.

Alinéa 9

Remplacer cet alinéa par trois alinéas ainsi rédigés :

b) Le sixième alinéa est ainsi modifié :

- à la deuxième phrase, les mots : « casier judiciaire n° 3 » sont remplacés par les mots : « bulletin n° 2 du casier judiciaire » ;

- à la dernière phrase, les mots : « bulletin n° 3 » sont remplacés par les mots : « bulletin n° 2 ».

M. François Zocchetto, rapporteur.  - Cet amendement remplace le bulletin dit « B2 » par le « B3 ».

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre.  - Ne pas adopter ce projet dans la rédaction proposée par le Gouvernement présente un avantage : une navette s'ensuivra qui pourra améliorer le texte, en y incluant votre amendement, auquel je suis favorable sur le fond, même si la rédaction en sera sans doute modifiée.

M. Alain Vasselle.  - Merci à Mme la ministre pour son avis. Je voterai cet amendement. Quelle est notre possibilité de légiférer ? Nous sommes bloqués par les moyens mis par le Gouvernement pour appliquer la loi. Cela donne raison à M. Mézard qui parlait d'affichage. Cela me rappelle aussi un avis de M. Badinter, qui refusait un amendement que nous avions déposé, prévoyant que le maire soit prévenu des crimes et délits commis dans sa commune, au motif que c'était inapplicable, faute de moyens...

M. René-Paul Savary.  - Merci, madame la ministre ; vous me rassurez, car le rapporteur m'avait inquiété.

Il y a une différence importante entre les deux amendements. Aux problèmes juridiques s'ajoutent les problèmes budgétaires. Les départements ont à prendre en charge des enfants toujours plus nombreux issus de familles déstructurées, un nombre croissant de mineurs étrangers isolés. Or le coût n'est pas compensé par l'État. Sans moyens et sans couverture juridique, nous ne pouvons pas remplir nos missions.

Mme Corinne Imbert.  - Merci à Mme la ministre. Heureusement, ces situations sont très rares : une par an en Charente-Maritime.

L'amendement n°12 est adopté.

L'article 3, modifié, est adopté.

L'article 4 est adopté.

L'article 5 est adopté.

INTITULÉ DU PROJET DE LOI

M. le président.  - Amendement n°6, présenté par M. Collombat.

Rédiger ainsi cet intitulé :

Projet de loi tendant à remplacer la présomption d'innocence par le principe « pas de fumée sans feu »

M. Pierre-Yves Collombat.  - Cet amendement est le résultat d'une bouteille à la mer. Nous ne jugeons plus les hommes sur leurs actes, mais sur leur dangerosité : rétention de sûreté - violemment combattue par la gauche, jadis - ou législation sur le terrorisme... Voici maintenant les délits sexuels commis sur les enfants. Pourquoi s'arrêter là ?

Il est vrai que, si j'en crois le Premier ministre, expliquer, c'est encore excuser...

Je propose donc de remplacer la présomption d'innocence par « pas de fumée sans feu ». Et nous aurons le feu !

M. François Zocchetto, rapporteur.  - Je ne pourrai m'exprimer qu'à titre personnel - car cet amendement n'a pas été transmis à la commission des lois - même s'il permet à M. Collombat de s'exprimer avec une malice sérieuse. Il est curieux qu'un Gouvernement qui tire sa légitimité du combat pour les libertés individuelles présente un tel texte.

Sagesse pour cet amendement. À titre personnel, je ne le voterai pas.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre.  - Avis défavorable, malgré mon goût pour l'humour. Je regrette que nous n'ayons pas au Sénat la même unanimité qu'à l'Assemblée nationale et que nous recherchions. Toutefois, le Gouvernement est déterminé à aller de l'avant pour protéger les mineurs, tout en respectant la présomption d'innocence.

L'amendement n°6 n'est pas adopté.

Interventions sur l'ensemble

M. Jacques Bigot .  - Ce texte réussit à atteindre un équilibre difficile. Vous avez voulu donner à l'autorité judiciaire les moyens d'une meilleure communication ; mais nous ne pouvons pas voter ce texte à cause de la défiance dont il fait preuve, une fois modifié, à son égard. Les socialistes s'abstiendront. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit)

M. Pierre-Yves Collombat .  - Nous sommes bien loin de l'équilibre allégué entre principe de précaution et présomption d'innocence ! Je regrette qu'il n'y ait pas eu d'analyse précise du nombre de personnes concernées avant de faire une loi de circonstance. Je me souviens de l'affaire d'Outreau : protéger les victimes, oui, mais aussi les victimes de la procédure. La présomption d'innocence se délite progressivement. Il n'en reste déjà plus grand-chose !

À la demande de la commission des lois, le projet de loi est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°134 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 211
Pour l'adoption 187
Contre 24

Le Sénat a adopté.

(Mme Anne-Catherine Loisier applaudit)