Économie bleue (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour l'économie bleue.

Discussion générale

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargé des transports, de la mer et de la pêche .  - Résultat d'un travail important d'Arnaud Leroy, cette proposition de loi traduit une volonté politique ambitieuse pour la mer - après la loi sur les activités de protection des navires du 1er juillet 2014, et celle sur la manutention dans les ports marins du 8 décembre 2015.

Au-delà des postures politiciennes, des déclarations de principe, il faut mener des actions concrètes. Il y va de l'avenir de nos navires, de notre environnement. Il faut à la fois agir vite - d'où l'urgence sur ce texte - et avec pragmatisme, pour être efficace. Plusieurs des mesures de cette proposition de loi sont attendues depuis longtemps par les marins.

Le dernier comité interministériel de la mer du 22 octobre 2015, sous la présidence du Premier ministre, a tracé une feuille de route : renforcement de la compétitivité de nos grands ports maritimes, renouvellement de la flotte de commerce, soutien à la pêche maritime, affirmation d'une ambition aquacole de la France, ambition pour les grands fonds marins, ou encore, valorisation du potentiel considérable de notre domaine maritime, surtout dans les régions ultramarines.

Des rapports parlementaires ont souligné également l'importance de développer l'hinterland de nos grands ports maritimes, dans le prolongement des projets stratégiques adoptés par les grandes places portuaires.

Comme l'a dit le président de la République au Havre à l'automne dernier, la mer est une force considérable si nous savons la mettre au service de l'emploi, de l'activité, du développement durable, des énergies renouvelables. La mer est une ressource, un investissement et un domaine à protéger.

Je salue l'engagement et la maîtrise de M. Leroy, au service de la croissance bleue : ce texte n'oublie aucun des secteurs concernés, gens de mer, flotte de commerce, pêche, plaisance, aquaculture, modernisation des services. Il s'est enrichi par rapport à la version initiale, une dynamique parlementaire s'est mise en place ces derniers mois. Les avancées sont réelles, je pense à la francisation et au jaugeage des navires, ou à la modernisation de la gouvernance de nos ports, sans changer les équilibres issus de la réforme de 2008.

La réforme sociale du statut des gens de mer est utile et acceptable : je suis favorable à son principe, si elle ne dégrade pas notre modèle social. Ce sera un point de vigilance pour le Gouvernement. La modernisation du droit s'impose au regard des nouvelles pratiques.

Sur les pêches maritimes, la décision relève de la politique commune de la pêche, donc de l'échelon européen : interdiction des rejets, nouvelle organisation commune des marchés, programme Feamp. Nous avons ainsi l'obligation, avec les régions qui sont les autorités de gestion déléguées, de rendre le programme opérationnel dans les prochaines semaines.

Les chiffres de 2015 confirment une embellie, la valeur de la production augmente, les stocks se reconstituent : c'est le moment de pousser les adaptations structurelles, de poursuivre la construction de nouveaux navires. La profession sait faire preuve de responsabilité, j'en ai été témoin lorsqu'il a fallu prendre des décisions difficiles sur le bar et la sole. Le Premier ministre a cité au comité interministériel la piste de l'aquaculture durable : cette proposition de loi y contribue utilement.

Le nombre d'amendements déposés témoigne de l'intérêt de la représentation nationale pour l'économie bleue. Je souhaite que la discussion se poursuive dans un esprit constructif, comme à l'Assemblée nationale : la France maritime a besoin de ces mesures, qui amplifieront la dynamique en cours. (Applaudissements à gauche)

M. Didier Mandelli, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - L'économie bleue est un atout majeur et un levier de croissance : 300 000 emplois directs, 69 milliards d'euros de chiffre d'affaires, c'est plus que l'automobile, l'aéronautique ou les télécoms ! Son poids économique devrait atteindre 2 550 milliards d'euros en 2020 à l'échelle mondiale, et presque tous les marchés concernés sont en croissance.

Ce segment de notre économie est fait de secteurs traditionnels, mais aussi de secteurs d'avenir, l'aquaculture par exemple, dans laquelle la France excelle, mais où une seule nouvelle entreprise a été créée depuis 1995 ; les biotechnologies bleues fournissent nourriture, énergies, cosmétiques, plastiques innovants... Le tourisme littoral apporte un tiers du chiffre d'affaires du secteur. Quant aux énergies marines renouvelables, la France a connu des débuts difficiles mais les innovations se multiplient. Sur la question des fonds marins, nous sommes en retard par rapport au Japon, à la Chine ou au Canada.

Je regrette notre calendrier contraint : quatre semaines pour préparer cet examen, contre huit mois à l'Assemblée nationale.

M. Charles Revet.  - Eh oui !

M. Didier Mandelli, rapporteur.  - Or le texte a triplé de volume, et nombre d'articles ont été écrits par les ministères ; les sujets n'ont pas toujours de lien avec l'économie maritime et il n'y a bien sûr aucune étude d'impact puisqu'il s'agit d'une proposition de loi... Le Gouvernement avait déjà agi de la sorte sur la piraterie maritime. Je ne m'attarderai pas sur l'absence de politique maritime du Gouvernement que l'intitulé du ministère de Ségolène Royal ne suffit pas à dissimuler. (M. Claude Bérit-Débat proteste)

Cette proposition de loi ne contient pas de grandes mesures, elle ressemble plutôt à un catalogue de dispositions administratives - dont certaines sont cependant utiles. C'est pourquoi la commission du développement durable a tâché de les améliorer, au service de la compétitivité de l'économie bleue, de la situation des gens de mer, de la simplification du droit, de la lutte contre le terrorisme en mer. Nous avons fixé une date butoir à la généralisation de la distribution de gaz naturel liquéfié (GNL) et à l'alimentation électrique dans les ports - l'air y est particulièrement pollué aujourd'hui.

Je salue l'impulsion donnée par M. Leroy, car le monde maritime est trop négligé par le Gouvernement. Au mieux, les mesures tendent à réduire le fossé de compétitivité par rapport à nos concurrents. Faute de courage politique, cependant, on évite les vrais sujets. Ce texte est utile, votons-le, mais le principal reste à faire.

Le Gouvernement vient de confier une mission à six parlementaires sur les axes portuaires de Dunkerque, Le Havre, Marseille, selon un autre calendrier que celui de cette proposition de loi. La France a tout pour réussir en mer : il nous manque les hommes politiques dotés d'une vision ! (Applaudissements à droite)

M. Michel Le Scouarnec, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques .  - La commission de l'économie s'est saisie pour avis des dispositions concernant la pêche maritime et l'aquaculture, qui sont au coeur de l'économie bleue : 1,1 milliard d'euros de chiffre d'affaires annuel pour la pêche, 15 500 emplois en métropole et 7 500 outre-mer, sans compter les emplois induits dans les conserveries, la transformation, etc. : trois emplois à terre pour un en mer. Les huîtres représentent la moitié du chiffre d'affaires de l'aquaculture. Les Français aiment les produits de la mer, mais nous en importons toujours plus : 80 % de notre consommation totale. La balance commerciale accuse un déficit de 3,5 milliards d'euros.

Pour l'aquaculture, nous pouvons prendre des décisions au plan national. En revanche, pour la pêche, elles relèvent de Bruxelles. Les autorités européennes interdisent par exemple le rejet des prises accessoires ; il est urgent de construire les bateaux du futur... Nos schémas régionaux de développement de l'aquaculture restent lettre morte, pas une ferme aquacole n'a été créée ces dernières années.

Ne négligeons pas le besoin de modernisation du secteur des pêches maritimes. Notre pêche est encore artisanale ; et depuis la fin des aides publiques en 2004, les nouveaux navires sont rares. La conjoncture est bonne, le niveau des prix élevé, le carburant meilleur marché : profitons de cette situation favorable pour construire plus de bateaux et pour promouvoir une filière de déconstruction, incluant la plaisance.

La commission de l'économie a peu modifié les articles votés par l'Assemblée nationale, car ils sont de bon sens. La proposition de loi assouplit la définition de la société de pêche artisanale, donne une base juridique aux fonds de mutualisation contre les risques naturels et sanitaires, encourage la diversification des pêcheurs, avec l'aqua et le pescatourisme. La prise en compte des schémas régionaux dans les documents locaux d'urbanisme est améliorée, tout comme la surveillance de la qualité des eaux conchylicoles. Le texte contient aussi des mesures spécifiques aux régions d'outre-mer. Les députés ont introduit des dispositions sur l'origine des produits de la mer, prévoyant une mention facultative, à laquelle nous avons préféré une obligation.

Le comité interministériel a fixé des objectifs ambitieux. Encore faut-il que les réalisations suivent. J'espère que nous progresserons encore sur le code des transports et l'exigence de casier judiciaire vierge pour les patrons-pêcheurs, comme sur le statut des dirigeants de coopératives maritimes et les élus des comités de pêche. Leur activité est mal valorisée. Il faudra trouver des solutions, faute de quoi la gouvernance professionnelle des pêches et de l'aquaculture s'effondrera. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen et sur plusieurs bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques.  - Très bien !

M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - Bravo à M. Mandelli, il a mené un travail remarquable, pour son premier rapport au Sénat, sur un texte touffu, voire fourre-tout, examiné dans des conditions déplorables. Un débat haché, puisque nous l'interromprons tout à l'heure pour le reprendre dans deux semaines : le Parlement et l'économie bleue méritent mieux !

Ce texte n'est pas la grande loi attendue par les professionnels. Le Gouvernement dit attacher une grande importance au secteur maritime, mais les actes comptent plus que les discours : nous comprenons mal votre position sur l'autoliquidation de la TVA à l'importation, grand combat de M. Revet car il y va de la compétitivité de nos ports - aujourd'hui, 2 à 3 millions de conteneurs nous échappent chaque année, soit 1 milliard d'euros de chiffre d'affaires, menaçant 8 000 emplois. Nous devons surmonter les craintes de Bercy et faire confiance aux opérateurs.

Nous devons, ensuite, être pragmatiques : nous avons ajouté des dispositions sur le droit du travail, sur la réglementation des jeux de hasard sur les navires, sur les conditions de travail des gens de mer - trop de règlementation tue l'initiative, M. Leroy a le mérite d'avoir apporté des solutions concrètes.

Enfin, nous devons renouveler la gestion de nos grandes infrastructures maritimes, en associant davantage les régions - il y va de notre compétitivité.

Ce texte est une étape, nous devons aller plus loin pour que la France cesse d'être constamment distancée par ses concurrents ! (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Odette Herviaux .  - « La mer, un moteur pour l'emploi » : voilà le titre d'un cahier spécial publié la semaine dernière par un grand quotidien régional. Cela devrait nous inspirer : c'est le coeur de la question. Le rapport de M. Leroy, Osons la mer, avait été unanimement salué. Il a débouché sur cette proposition de loi.

Le président de la République en octobre dernier, le comité interministériel ensuite, ont rappelé l'objectif, défendre notre économie maritime dans toute sa diversité. Nous devons adapter nos règles et nos institutions à la concurrence internationale. Ce texte y contribue. Il n'est qu'une étape mais elle est essentielle.

Avec 69 milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel, ce secteur fait mieux que l'automobile ou l'aéronautique et il est en progrès : nous soutenons la croissance bleue, pour transformer un atout géographique en levier de richesse globale. Nous avons accepté de nombreux amendements du rapporteur, dont l'ouverture en commission contraste avec son propos plus polémique, voire politique, ici.

M. Jean Desessard.  - Très politique ! (M. Jacques Chiron renchérit)

Mme Odette Herviaux.  - Cette proposition de loi donne aux ports de l'oxygène, sans sacrifier les standards écologiques et sociaux. La démarche de net wage prévue à l'article 8 renforcera l'attractivité de notre pavillon.

L'autoliquidation de la TVA améliorera la situation de nos ports face à la concurrence.

M. Charles Revet.  - Très bien ! (M. René Vandierendonck renchérit)

Mme Odette Herviaux.  - Le renforcement du contrôle des règles concernant les gens de mer devrait garantir notre droit social maritime. Je me satisfais aussi du principe d'un rapport sur l'avenir de l'Enim.

Sur la sécurité, la contribution d'une flotte stratégique pour l'approvisionnement en énergie sera un signe fort, de même que la lutte contre le dumping sécuritaire et l'extension du PNR au transport maritime.

Sur la gouvernance portuaire, je me félicite du renforcement du rôle des régions comme des associations de protection de l'environnement : j'avais proposé ces mesures.

Le défi maritime français nécessite de l'ambition et des moyens...adaptés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Jean Desessard .  - Nous avons besoin d'une politique maritime transversale, traitant de tous les aspects et non seulement des transports. Cette proposition de loi va en ce sens : c'est une bonne chose. Des centaines d'emplois sont détruits chaque année, le nombre de navires décroît alors que nous avons la deuxième façade maritime au monde et des formations reconnues dans le monde : il est urgent d'agir. Ce texte apporte des avancées, le groupe écologiste les soutiendra.

Nous relevons certes des insuffisances. La perspective environnementale n'est pas suffisamment prise en compte ; quelle pêche restera possible, quand tous les océans seront pollués, quand la surpêche aura tout ravagé ? Des rapports internationaux estiment que 90 % des stocks sauvages sont surexploités ou en voie de l'être. En Europe, 40 % des stocks le sont déjà, 90 % en Méditerranée. Nous proposerons des amendements pour rétablir l'équilibre.

De même, sur la subvention au secteur de la pêche, il faut rendre les données publiques, car l'argent public ne doit pas encourager la surpêche.

Nous proposerons de contrôler les rejets d'antibiotiques et de pesticides liés à l'aquaculture et à la conchyliculture, avec des sanctions à la clé ; d'imposer l'étiquetage des huitres élevées en mer ou en écloserie et de renforcer le suivi des bassins ostréicoles. Nous entendons aussi interdire l'extraction minière dans les sites Natura 2000 et le chalutage en eau profonde, dont l'Ifremer a souligné les ravages dans son rapport de 2014, alors qu'une dizaine de navires français seulement sont concernés par cette pêche destructrice.

Les citoyens se mobilisent, à nous de relayer leur action, au service d'une pêche équilibrée !

M. Guillaume Arnell .  - Deuxième puissance maritime mondiale, la France mérite une politique plus ambitieuse et une stratégie claire, équilibrant économie et écologie. Le texte constitue le point de départ, sans doute, d'une réflexion plus vaste.

Nous déplorons la brièveté du délai qui nous est laissé pour la conduire : nous avons eu trois semaines quand les députés ont eu huit mois ! Le recours à un projet de loi nous aurait fait bénéficier d'une utile étude d'impact.

En tant qu'ultramarin, je sais l'importance de ces territoires pour l'économie bleue, et déplore la place qu'ils occupent dans ce texte, alors que 97 % de notre zone économique exclusive (ZEE) est ultramarine...

Nos ports maritimes souffrent d'un manque de compétitivité et notre pavillon perd en attractivité ; les mesures de simplification ici prévues sont donc très attendues.

Je salue l'attribution d'un rapport à l'eurodéputée allemande Ulrike Rodust sur ces questions. L'économie bleue est aussi fondamentale dans la lutte contre le changement climatique.

La simplification normative est un obstacle à la réalisation de projets d'énergies renouvelables, comme l'éolien maritime. Ce texte y apporte d'utiles corrections.

Le groupe RDSE se prononcera en fonction des amendements qui auront été adoptés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Jérôme Bignon .  - Ces vingt dernières années, la mondialisation s'est accompagnée de l'explosion du trafic maritime. La France, dans ce processus, n'a pas su tirer son épingle du jeu, alors qu'elle dispose de la première façade maritime en Europe, sans compter ses outre-mer.

Dans sa lettre de mission adressée à M. Vandierendonck et moi-même, le Premier ministre écrivait : « Rien ne peut expliquer que la France, première façade maritime d'Europe, soit durablement un acteur de seconde zone dans le domaine du transport maritime de marchandises ». Ces mots font écho à ceux d'Erik Orsenna en préface à un document publié par le Centre d'études supérieures de la Marine : « les évidences sont les vérités les plus difficiles à voir. Elles aveuglent trop ». De fait, comme La Lettre volée d'Edgar Poe, la mer est là, sous nos yeux. Elle est partout, et pourtant oubliée, alors qu'elle conditionne notre avenir et que 90 % des fonds marins sont inexploités.

Un porte-conteneurs représente 6 000 semi-remorques, 1 000 avions cargos A 380, un train de 300 kilomètres de long. Plus de 80 % du transport annuel de marchandises, soient 9 milliards de tonnes, se font par mer.

Le constat du Premier ministre doit nous mobiliser tous. Que faire dans ces circonstances ? Les grands objectifs du Comité interministériel de la mer sont ambitieux et justes mais, sans moyens, il n'y a pas de politique maritime. La défense d'une stratégie nationale logistique est essentielle, vous avez raison, monsieur le ministre.

Les missions confiées par le Premier ministre à quatre binômes de parlementaires sont bienvenues, mais quel dommage de n'avoir pas lancé ces travaux il y a cinq ans.

Notre collègue Revet, rapporteur spécial, a évoqué un document de politique transversale intitulé Politique maritime de la France qui, pour la première fois, donne une vision consolidée des crédits. Hélas, comme le note un peu tristement Charles Revet, le montant des crédits inscrits ne représente même pas 0,1 de PIB...

J'en viens au texte. Je salue d'abord le travail du rapporteur ; ces mesures, globalement, sont utiles et attendues. J'ai tendance à voir le verre à moitié plein... Nous aurions toutefois pu faire plus et mieux, pour renforcer l'armement maritime et les ports de commerce, notamment. Catalogue à la Prévert, ont dit certains. Ce n'est pas faux, mais c'est toujours cela.

L'article 3 quater sur l'autoliquidation de la TVA, l'article 8 sur le net wage sont attendus alors qu'un marin français, à salaire égal, coûte 20 % plus cher qu'un marin britannique et 40 % plus cher qu'un italien.

La politique maritime est centrale car il y va de la croissance et de l'emploi : elle concerne la mer, mais aussi la terre. Pensons aux deux. (Applaudissements)

Mme Annick Billon .  - Nous n'avons de cesse de mettre en avant notre patrimoine, notre industrie, nos compétences. Malheureusement, faute de politique adaptée, la France peine à s'affirmer comme puissance maritime.

Cette proposition de loi vise deux objectifs : compétitivité et simplification. Mais face à l'immensité des besoins, une proposition de loi est une réponse bien timide... Un grand projet de loi ambitieux aurait été plus approprié. Les rapporteurs ont bien souligné le manque de volonté politique en matière maritime - je n'y reviens pas, ni n'insisterai sur les conditions d'examen du texte.

Les pêcheurs ont su s'adapter, malgré l'état de la flotte et les déficits de main-d'oeuvre. En Bretagne, ils travaillent avec des navires vieux en moyenne de vingt-six ans, M. Canevet le sait bien.

Nous défendrons des amendements sur les sociétés de pêche artisanale, les conditions de moralité pour le recrutement des chefs mécaniciens, l'encadrement de la pêche à pied, la clarification des règles sociales applicables aux marins-pêcheurs, la formation pratique. Mme Jouanno proposera de limiter les émissions de polluants atmosphériques des navires.

M. Jean Desessard.  - Très bien !

Mme Annick Billon.  - Espérons aussi que les associations d'accueil des marins en escale, qui font un travail remarquable, trouveront enfin des ressources pérennes.

Je souhaite que nos discussions nous donnent l'occasion de revenir sur l'application de la loi Littoral, dans un souci de développement durable. Le rapport Bizet-Herviaux a montré comment le développement des communes littorales en était entravé... Comment expliquer autrement la faiblesse de notre aquaculture, sachant que, comme l'a dit M. Le Scouarnec, la production aquacole devra doubler d'ici 2030 pour nourrir la planète.

Cette proposition de loi est un bon point de départ, nous la voterons. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Évelyne Didier .  - Les conditions d'examen de ce texte sont étranges, voire anormales. On est clairement devant un projet de loi mais le recours à la proposition de loi sert à éluder le passage au Conseil d'État et l'étude d'impact... De plus, son périmètre aurait pu conduire à la création d'une commission spéciale.

Entre 2006 et 2012, 10 000 emplois ont été perdus, ce que certains appellent l'effacement maritime français. Les conditions sociales d'activité, et les écosystèmes marins se sont dégradés. Ajoutons à cela la politique communautaire de libre concurrence et de libre circulation, favorisant le dumping social et fiscal. Dans la droite ligne du rapport Leroy, cette proposition de loi est censée améliorer les choses avec toujours les mêmes recettes : plus de libéralisme, moins de régulation.

Nous ne partageons pas cette philosophie, et voyons dans le titre I des régressions sociales. Élargir l'accès au Registre international français ? C'est un pavillon de complaisance. Relancer l'emploi par la baisse des charges ? Les expériences menées dans d'autres secteurs ne prêtent guère à y croire. On trouvera toujours quelque part une main-d'oeuvre moins chère...

Nous devrions plutôt emprunter le tournant du développement durable. Les marchandises doivent bénéficier d'infrastructures de report modal : nous sommes en retard sur ce point.

Deuxième nécessité : investir dans la recherche sur les navires performants. La création d'une commission des investissements au sein de chaque grand port maritime ne suffira pas.

Nous regrettons que la création d'une flotte stratégique ait été abandonnée. Elle aurait permis de préserver des compétences, de maintenir des filières d'officiers et de marins français, de conserver une flotte d'excellence. Le décret paru récemment nous inquiète.

Le titre II, lui, est positif, qui renforce l'aquaculture et la traçabilité des produits de la mer. Les dispositions de lutte contre le terrorisme n'ont en revanche rien à faire ici. Nous voterons contre cette proposition de loi.

M. Serge Larcher .  - Cette proposition de loi répond à la volonté du Gouvernement de valoriser l'espace maritime. L'économie bleue est en effet riche de potentialités, alors que nous cherchons toutes les opportunités économiques et les moyens de réduire le chômage.

La France a la première façade maritime au monde grâce, il faut le rappeler, aux outre-mer, qui comptent pour 97 % de notre zone économique exclusive.

Les mesures renforçant l'aquaculture et modernisant la gouvernance des navires de pêche sont très positives. Le fonds de mutualisation sera utile à des professionnels soumis aux aléas climatiques, parfois extrêmes, outre-mer.

Le travail réalisé par Mme Huguette Bello et M. Serge Letchimy a été crucial pour renforcer le volet ultramarin de cette proposition de loi, qui contribuera ainsi à soutenir l'activité de pêche, particulièrement importante en Guyane, et dont les pratiques diffèrent de celles de l'Hexagone.

Le Gouvernement doit être attentif à définir une vision intégrée de l'activité de pêche. Le rapport de la délégation à l'outre-mer du Sénat a proposé des perspectives stratégiques de court, moyen et long termes, que je vous invite à consulter... La recherche constitue le premier maillon de la chaîne.

Dans une économie mondialisée, les océans sont fondamentaux. Nous avons le devoir d'en tirer le meilleur parti.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Mme Agnès Canayer .  - 72 % de nos échanges internationaux s'effectuent par voie maritime. Or le port le plus actif au monde n'est pas français : c'est Singapour. La concurrence n'est plus nationale, mais européenne et mondiale. Changeons de paradigme.

Premier enjeu : porter une stratégie maritime et portuaire. Un plan Marshall pour les ports, comme le demandent les opérateurs et les autorités du port du Havre, avec des investissements de long terme. L'État doit jouer son rôle d'impulsion, de coordination, de négociation au niveau européen, afin de capter les flux de marchandises.

Deuxième enjeu : mieux connecter les ports à l'économie terrestre. Le lien avec l'hinterland et les grandes zones d'activité européenne est une donnée clé de l'économie maritime. C'est pourquoi nous tenons à la jonction Serqueux-Gisors.

Troisième enjeu : le modèle portuaire. La question est complexe : il faut passer d'un port outil à un port propriétaire, gérant l'aménagement, les tarifs, etc... Allons plus loin que les derniers textes, en associant davantage acteurs publics et privés.

C'est en développant les synergies que nous relèverons le défi de la mondialisation portuaire. (Applaudissements à droite)

M. Michel Vaspart .  - Je salue à mon tour le travail de M. Mandelli, et celui du groupe d'étude mer et ports dont je suis membre.

Le Gouvernement a choisi la méthode des petits pas : après les textes de 2014, 2015, voici une nouvelle proposition de loi, dépourvue donc d'études d'impact : c'est dommage, je le redis.

Ne confondons pas domaine et puissance maritime : la France est loin de tirer de son domaine maritime, le premier du monde, la valorisation écologique, économique et touristique qu'elle pourrait. Le Gouvernement manque d'ambition, à preuve l'absence d'un ministère dédié à la mer.

Malgré tout, cette proposition de loi est utile, qui simplifie les normes, lutte contre le dumping, étend le champ des exonérations des charges. Le rapporteur l'a considérablement améliorée afin d'alléger les contraintes pesant sur les professionnels et d'améliorer notre compétitivité.

J'ai déposé un amendement sur les navires amphibies trop rapidement rejeté.

La protection du littoral est ignorée par ce texte. Le rapport excellent d'Odette Herviaux et Jean Bizet est manifestement, comme d'autres, resté dans un tiroir. Or certaines communes sont, en application de la loi Littoral, trainées devant le tribunal administratif qui leur réclame des dizaines de milliers d'euros. Celles qui délivrent des certificats d'urbanisme doivent bénéficier d'un peu de sécurité juridique. Je serai attentif sur ce point. (Applaudissements à droite)

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État .  - Nous venons d'apprendre le décès de Claude Estier. J'ai une pensée pour la famille, les proches de ce grand serviteur du Sénat et de la démocratie.

Le retard de la France en matière d'économie maritime n'est pas une découverte récente. Faut-il un ministère de la mer ? Le général de Gaulle, à qui Michel Debré le proposait, lui avait répondu « Et pourquoi pas un ministère de la terre ? ».

J'ai été inquiet du ton offensif de M. Mandelli - jusqu'au moment où il a évalué à dix ans « l'inertie » qu'il blâmait : il reconnaît ainsi que la responsabilité de ce Gouvernement est, pour le moins, partagée !

M. Le Scouarnec a évoqué notre flotte. La situation évolue depuis peu et les bateaux en construction sont nombreux mais demeurent des interrogations sur le financement des investissements nécessaires.

La question de la TVA est très technique et délicate, monsieur Maurey. J'espère avancer avec Bercy.

Je remercie Mme Herviaux pour son propos sur les « progrès significatifs » accomplis.

M. Desessard a cité le chiffre de 41 % de stocks surexploités en Europe. Il reconnaît ainsi que 60 % ne le sont pas et me fournit l'occasion de répondre aux critiques injustes parfois formulées sur la politique européenne de la pêche.

Je partage l'analyse de M. Arnell et son insistance sur les énergies renouvelables.

Comme Jérôme Bignon, je préfère considérer le verre à moitié plein. Pourquoi n'avoir pas agi il y a cinq ans, me demandez-vous ? Parce que nous n'étions alors pas aux affaires.

Mme Billon a raison de se préoccuper de notre aquaculture.

Madame Didier, l'objectif du Gouvernement n'est nullement d'attiser le dumping, bien au contraire.

Je partage les propos de Serge Larcher sur les outre-mer - je n'oublie pas la dimension sociale de ces questions.

Madame Canayer, la restructuration de la ligne Serqueux-Gisors pour le fret, dans la perspective de l'ouverture du canal Seine-Nord, est suspendue à l'acceptabilité locale du projet. On trouve que trois trains par nuit représentent une grave nuisance... Je compte sur le soutien des élus.

L'insécurité juridique ne procède pas seulement de la loi Littoral, monsieur Vaspart, mais aussi de la multiplication des recours juridictionnels.

Ce texte n'est certes pas la grande loi dont vous rêvez, mais il est bon et il a le mérite d'exister. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

La discussion générale est close.

M. le président.  - Un hommage sera rendu mardi prochain à Claude Estier.