Instauration d'un revenu de base

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution pour l'instauration d'un revenu de base présentée, en application de l'article 34-1 de la Constitution, par M. Jean Desessard et les membres du groupe écologiste.

Discussion générale

M. Jean Desessard, auteur de la proposition de résolution .  - J'ai le plaisir de vous présenter, avec l'ensemble des membres du groupe écologiste, une proposition de résolution instaurant un revenu universel. Sa dénomination peut varier : revenu de base, revenu universel, minimum d'existence, allocation universelle, revenu citoyen, dividende universel, etc.

L'idée n'est pas neuve. Voltaire, dans L'homme aux quarante écus ou Thomas Paine, dans Justice agraire ont avancé l'idée d'un revenu inconditionnel versé à tous les habitants d'un territoire.

L'économiste Yoland Bresson a émis l'idée d'un revenu « alloué périodiquement à tout citoyen économique, sans autres considérations que celle de son existence ». Des intellectuels comme André Gorz, Jacques Marseille, Cynthia Fleury, plus récemment, l'ont reprise, puis des politiques, au-delà même du parti écologiste. Ainsi, des amendements ont été déposés en ce sens à l'Assemblée nationale par les députés Frédéric Lefebvre et Delphine Batho.

Ce débat n'existe pas qu'en France. Ainsi, la Finlande a lancé une étude en vue de l'expérimentation d'un revenu de base en 2017. Le 5 juin 2016, le peuple suisse sera invité à se prononcer sur l'instauration d'un revenu de base dans le cadre d'une initiative populaire fédérale. Aux Pays-Bas, trente villes envisagent d'expérimenter le revenu de base sur leur territoire.

Le revenu de base, selon les termes de notre proposition, est « un droit inaliénable, inconditionnel, cumulable avec d'autres revenus, distribué par une communauté politique à tous ses membres, de la naissance à la mort, sur la base individuelle, sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie, dont le montant et le financement sont ajustés démocratiquement ».

Ainsi les pauvres, les riches, les chômeurs, les précaires, les milliardaires, y ont-ils droit, sans avoir à effectuer de démarches particulières.

Il permet d'abord de lutter contre la pauvreté, objectif posé par l'article 25 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948. Notre pays compte 112 000 sans-abri en 2012, selon l'Insee, dont 31 000 enfants, ce qui illustre assez que cet objectif n'est pas atteint.

Deuxième objectif du revenu de base : la simplification administrative, puisqu'il se substituerait aux minima sociaux. Au 31 décembre 2013, quatre millions de personnes perçoivent une allocation sociale : l'enjeu est de taille. Simplification pour les bénéficiaires également, qui n'auraient plus à effectuer la moindre démarche, alors que le taux de non recours au RSA, par exemple, avoisine les 50 %.

Le revenu de base est également la nouvelle étape de la citoyenneté. Grâce au revenu de base, le travailleur gagnera en dignité, en capacité de négociation face à un employeur pour refuser un travail pénible sous-payé. Le revenu de base, vu sous cet angle, serait aussi un levier d'émancipation.

Le cabinet d'études Roland Berger estime que le numérique, dans toutes ses dimensions - robotisation, développement de nouvelles applications, etc. - pourra supprimer trois millions d'emplois en France en 2025. Face à cette révolution, le revenu de base apparait ainsi comme une solution durable face à un chômage structurel lui aussi durable.

Le groupe écologiste considère que les gains de productivité entraînés par la robotisation doivent être redistribués.

Cette proposition de résolution demande simplement qu'une étude d'impact soit réalisée sur la mise en place d'un revenu de base. À 525 euros, son coût serait de 400 milliards d'euros, ce qui.... (Sourires et exclamations sur divers bancs)

Mme Nicole Bricq.  - ...n'est rien ! (Sourires)

M. Jean Desessard.  - ...est loin d'être négligeable, certes, (Sourires) alors que les prélèvements de l'État s'élèvent à 291 milliards d'euros et ceux des collectivités territoriales à 127 milliards. Mais il s'agit d'une redistribution. Le revenu de base s'accompagnera nécessairement d'une révolution ou en tout cas d'une grande réforme fiscale...

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Enfin, la fameuse ! (Sourires à droite)

M. Jean Desessard.  - Bref, nous ferons évaluer ces modalités une fois la résolution votée. Car le revenu de base n'est pas une lubie d'altermondialistes ni une rêverie d'écologistes en manque d'utopies...

M. Jean-François Husson.  - Bien sûr !

M. Jean Desessard.  - C'est un outil de solidarité adapté à la transformation économique, efficace pour lutter contre la pauvreté. (M. Jean-Baptiste Lemoyne s'exclame) C'est une nécessité. L'économiste et philosophe Philippe Van Parijs le dit si bien : « Un jour, nous nous demanderons comment nous avons pu vivre sans revenu universel. » (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste ; Mme Annie David et M. Gilbert Roger applaudissent aussi)

M. Yvon Collin .  - Notre excellent collègue Michel Amiel devait intervenir sur ce sujet le 9 mars ; je m'exprimerai à sa place en m'inspirant de son projet d'intervention.

Ce monde globalisé, numérisé, uberisé dans lequel nous vivons a conduit récemment le Conseil national du numérique à réfléchir à notre avenir. L'enjeu ? Endiguer la pauvreté, dans un système qui crée pourtant de plus en plus de richesses. Les détracteurs du revenu universel se réjouissent de voir naître ses prémisses chez Thomas More, l'inventeur de l'idée d'utopie... On la retrouve pourtant plus tard chez Thomas Paine, James Meade, prix Nobel d'économie, ou Jean-Marc Ferry. Michel Foucault voyait aussi dans la création d'une allocation unique le meilleur système de protection sociale.

Un tel revenu de base répondrait à trois critères : universel, individuel, inconditionnel. Il s'agit de préserver la dignité de tous, de rendre effectif le droit à ne pas être laissé sur le bord de la route. L'autonomie de chacun est préservée, et l'automaticité du mécanisme exonère d'effectuer les longues démarches associées à la demande d'une allocation. En raison de son versement unique, le revenu de base simplifierait aussi la charge administrative des prestations sociales.

Le système proposé prête certes le flanc à la critique. Il encouragerait l'oisiveté, dit-on. Il susciterait l'engagement dans des activités associatives, peut-on répondre.

Pour reprendre les termes de l'économiste Yann Moulier-Boutang entre le modèle de la cigale insouciante et de la fourmi laborieuse s'interpose celui de l'abeille vertueuse.

Le revenu de base bousculerait le contrat social, dissocierait droits et devoirs, entend-on aussi. Cela se discute.

Reste à préciser ses modalités de financement. Il coûterait 400 milliards d'euros. Taxe Tobin, réforme de l'impôt sur le revenu, des pistes de financement existent. Nous comptons beaucoup sur les travaux de la mission d'information demandée par le groupe socialiste pour approfondir cette question. Nous soutenons philosophiquement l'idée d'un revenu de base, mais considérons que le débat doit être porté au niveau européen. Ayant trop de réserves à ce stade pour soutenir la proposition de résolution dans sa rédaction actuelle, les membres du groupe RDSE s'abstiendront. (Mme Marie-Christine Blandin applaudit ; Mme Nicole Bricq applaudit aussi)

M. Jean Desessard.  - S'il y a des réserves financières, c'est que cela doit pouvoir s'arranger ! (Sourires)

Mme Nicole Duranton .  - Le revenu de base sur lequel nous sommes amenés à nous prononcer permettrait à chaque citoyen de recevoir une allocation fixe sans considération de revenu. L'idée, on l'a dit, est loin d'être nouvelle : la littérature économique est remplie de telles propositions de revenu ou d'allocation universels censées lutter contre la pauvreté et la crise leur a donné une nouvelle actualité. Le Conseil national du numérique lui-même l'a soulevée récemment.

M. Desessard a cité Thomas More et Thomas Paine. Des personnalités telles que Napoléon et Martin Luther King, s'étaient ralliés à une telle idée.

Nous ignorons en réalité les effets d'un tel mécanisme. En Alaska, un revenu de base est versé depuis 1982, souché sur les recettes pétrolières de l'État...

Mme Nicole Bricq.  - Exact.

Mme Nicole Duranton.  - Aux Pays-Bas, entre 20 et 30 villes disent vouloir l'expérimenter. En Finlande, un revenu de base de 800 euros est à l'étude - M. Jean-François Husson, qui en revient, en parlera mieux que moi.

Le revenu universel, à la vérité, risque d'encourager l'assistanat. Donnons plutôt à chacun le goût d'entreprendre. La France est un pays d'assistés ! (Marques d'indignation sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen et sur plusieurs bancs du groupe socialiste et républicain)

Mon département dépense 80 millions d'euros au titre du RSA. Il compte 13 000 bénéficiaires. Sur 4 000 courriers envoyés aux allocataires, la quasi-totalité des retours indiquaient un changement de situation, 2 000 courriers sont restés sans réponse, et 1 000 avaient abouti, manifestement, à une mauvaise adresse... Une allocation aveugle, qui ignorerait cette réalité, serait inefficace et inutile.

Preuve qu'un tel revenu doit être souple, adapté à la situation de chacun, sinon comme le RSA il entretiendra l'oisiveté, et attirera les immigrants... (Protestations sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

Mme Éliane Assassi.  - C'est proche du Front national ce que vous dites !

Mme Nicole Duranton.  - Le Conseil national du numérique indique en outre que le remplacement de tous les versements existants par un unique revenu universel reviendrait à ne verser que 200 euros par personne et 60 euros par enfant.

Bref, le revenu de base n'est pas concevable en l'état, et pose de nombreux problèmes philosophiques et économiques à ce jour non résolus. Nous ne voterons donc pas cette proposition de résolution. (Mme Éliane Assassi s'exclame à nouveau)

M. Jean-Marie Vanlerenberghe .  - L'idée d'un revenu de base est ancienne, M. Desessard l'a rappelé, Voltaire, John Stuart Mill l'ont jadis défendue.

Il s'agit d'assurer un minimum de bien-être et de simplifier le versement des prestations existantes. En France, Arnaud Montebourg, Dominique de Villepin militent dans le même sens que Jean Desessard. Au-delà de nos frontières, l'idée prospère, semble-t-il, en Finlande - M. Husson qui en revient nous en dira plus - mais aussi en Suisse, aux Pays-Bas et en Alaska. En Belgique, depuis 1986, le Basic Income Earth Network (BIEN) soutient également la mise en place d'un revenu universel.

Dans sa version finlandaise, qui devrait aboutir en 2017, une allocation de 800 euros serait versée à chacun, sans préjudice des revenus d'activité, mais en remplaçant, semble-t-il, certaines prestations sociales, afin, selon les promoteurs de cette mesure, tel le professeur Olli Kangas, de stimuler la recherche d'emploi chez ceux qui n'en ont pas - je ne vois guère comment mais soit.

En 2012, le Centre des jeunes dirigeants d'entreprise a dévoilé un projet Oïkos, en faveur de la compétitivité des entreprises, de la simplification, censé améliorer le pouvoir d'achat de 7 %, qui comprendrait une allocation universelle, de 400 euros par mois pour un adulte, la moitié pour les mineurs, en remplacement de l'ensemble des autres aides sociales.

Le think tank Génération libre propose, lui, un crédit d'impôt financé par l'impôt sur le revenu. Pour le financer, une taxe de 23 % sur les revenus serait créée. La moitié de la population en bénéficierait ; un quart serait contributaire ; pour un cinquième de la population le dispositif serait neutre.

La Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (iFRAP), elle, propose la fusion de 47 aides sociales existantes en une seule allocation unique, avec un cumul entre les aides sociales et le revenu du travail plafonné à 2 500 euros par mois. La gestion serait locale, par un organisme unique - 10 milliards d'euros serait ainsi économisés sur les frais de gestion.

Il y a, on le voit, plusieurs conceptions du revenu de base. Le coeur du sujet reste son montant : il ne doit pas dissuader de travailler, le travail n'étant pas une punition mais une source de lien social, et surtout le moyen de financer les prestations sociales.

Deuxième problème : les modalités de calcul du revenu de base : faut-il y inclure les pensions de retraite, par exemple ?

Intellectuellement, l'idée n'est pas mauvaise. Mais elle soulève de nombreuses questions. Quelle finalité, au juste, confère-t-on au revenu de base ? Quelles modalités de calcul ? Nous n'y répondrons à l'évidence pas cet après-midi. Il convient d'approfondir. La mission d'information créée sur le revenu de base fournira, elle, des éléments précieux. Nous nous abstiendrons. (Applaudissements au centre et à droite ; M. Jean Desessard applaudit aussi)

Mme Annie David .  - Je ne peux commencer mon propos sans m'associer aux manifestations d'aujourd'hui qui réitèrent les demandes de retrait de la loi Travail. Salarié(e)s, étudiant(e)s, citoyens, parlementaires n'ont cessé de vous le dire depuis trois mois : il serait temps de les écouter ; il serait temps d'entendre aussi cette exigence d'une société plus juste, plus solidaire, qui permette à chacun de vivre dignement.

Cela m'amène naturellement à cette proposition de résolution. L'idée est versée au débat public depuis longtemps, dans un contexte de chômage de masse et de précarisation des emplois. Mais attention : ne voyons pas dans le revenu de base une solution miracle à tous ces maux.

Derrière cette idée généreuse, les conditions, les finalités et les modalités d'un tel revenu de base diffèrent, ce débat l'a montré.

Premier objectif affiché par la proposition de résolution : garantir un revenu élémentaire, mais comment le financer ? L'économiste Marc de Basquiat, président de l'association pour l'instauration d'un revenu d'existence (Aire), estime son coût à 400 millions d'euros pour 470 euros par mois par adulte. D'autres économistes jugent le mécanisme inefficace en-deçà de 1 000 euros par mois, niveau du seuil de pauvreté, ce qui coûterait 600 milliards d'euros...

Mme Nicole Bricq.  - Le coût de notre protection sociale...

Mme Annie David.  - C'est en effet le coût de notre protection sociale ciblée. Deuxième objectif : simplifier la gestion des allocations sociales. Cette finalité peut faire craindre des coupes claires dans notre système de sécurité sociale et des suppressions d'emploi.

Troisième objectif : accompagner les mutations de l'économie française. Mais le mécanisme proposé ne propose aucun autre modèle, voire accompagne la poursuite de la libéralisation de notre économie.

Nous portons, nous, un projet de société sans chômage, et n'avons pas abandonné la belle idée d'Ambroise Croizat, fondateur de notre sécurité sociale, de bâtir un système dans lequel on ne passerait pas sa vie à la gagner - le plus souvent, à la perdre... Reconnaissance des qualifications, 32 heures de temps de travail par semaine, accès à la formation professionnelle, retraite à 60 ans pour tous, voire 55 ans pour les métiers les plus pénibles, voilà un projet moderne qui permet de se consacrer à un travail qui nous plait et de jouir de nos loisirs.

Mais cela requiert une profonde réforme fiscale. Ce n'est pas le chemin pris dans notre pays, si l'on en juge par les notes récentes...

M. Jean-François Husson .  - Cette proposition de résolution arrive dans un contexte préoccupant. La célébration des 70 ans de la sécurité sociale doit nous inciter à l'inventivité, car notre régime, l'un des plus généreux du monde, est aussi inefficient et inefficace, si l'on considère que 14 % de nos concitoyens vivent sous le seuil de pauvreté.

Faute d'objectifs clairs, notre système de protection sociale se complexifie d'année en année. Il est urgent de le rendre à nouveau lisible.

Notre économie subit simultanément de profonds bouleversements qui imposent des adaptations.

La France doit dans ce contexte avoir l'audace de regarder hors de ses frontières. Je reviens justement d'Helsinki, où j'étais au titre du groupe d'amitié franco-finlandais que je préside. En effet, y est prévu un revenu de 550 euros par personne, en remplacement de certaines aides sociales existantes. Il n'est pas question, pour l'instant de toucher aux allocations familiales, aux aides au logement ni aux indemnités de chômage. Il s'agit de favoriser le retour à l'emploi et de soutenir les bas salaires.

Dès le 1er janvier 2017, deux mille personnes-tests, choisies aléatoirement par la sécurité sociale finlandaise, en bénéficieront, pour un coût estimé de 20 millions d'euros. Le montant de 550 euros est supérieur au revenu minimum et aux allocations destinées aux étudiants.

L'idée est séduisante, certes, mais bien des questions toutefois demeurent : quel montant pour atteindre efficacement l'objectif de lutte contre la pauvreté ? Quels bénéficiaires pour maintenir une certaine équité ? L'idée d'un revenu perçu de la naissance à la mort me paraît déraisonnable. S'agit-il d'un revenu direct ou d'un impôt négatif ? Les résidents étrangers doivent-ils être éligibles du seul fait de leur présence sur le territoire ? Poser la question, c'est embrasser d'emblée la complexité de la réponse... Cela n'encouragera-t-il pas l'assistanat ? Les taux de retour à l'emploi doivent être, à l'évidence, examinés de près pour mesurer l'efficacité de ce mécanisme. Enfin, quel impact sur les finances publiques et sur les impôts déjà élevés ? Il est douteux que nos concitoyens puissent accepter un prélèvement supplémentaire, fût-ce pour cet objectif louable.

Le revenu de base imposerait en corollaire que tous les ménages soient effectivement assujettis à l'impôt - ce qui fait généralement consensus sur nos bancs.

La question d'une protection sociale du XXle siècle doit être posée, et le revenu de base fait partie des pistes de réflexion que nous pouvons explorer. Cependant une telle réforme de notre système de protection sociale ne peut s'improviser. Donnons-nous le temps d'en débattre, après avoir examiné les résultats des expériences étrangères et interrogé nos concitoyens.

Bref, je salue l'initiative, même si le projet reste encore trop flou. Mon abstention sera donc bienveillante... (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; M. Jean Desessard applaudit aussi)

Mme Nicole Bricq .  - Nos collègues écologistes ont soumis cette proposition de résolution le 2 février dernier, à la suite de leurs congrès de novembre 2013. Leur proposition est très exigeante pour le Gouvernement, à qui vous demandez beaucoup et qui a autre chose à faire...

M. Jean-Claude Lenoir.  - Lutter contre le chômage !

Mme Nicole Bricq.  - Le groupe socialiste ne la votera pas, mais l'idée est ancienne, elle date du XVIIIe siècle, reprise tantôt par la droite, tantôt par la gauche. Il ne faut pas fermer le débat comme a fait Mme Duranton en réduisant le revenu de base à l'assistanat. Les libéraux peuvent aussi apprécier cette proposition et y voir une substitution à la protection sociale. M. Cameron a bien des difficultés d'ailleurs à la mettre en oeuvre. Le groupe socialiste évitera tout procès a priori et reste ouvert à la discussion.

Le Conseil national du numérique dans son rapport de janvier 2016 donne au revenu de base plusieurs missions : répondre aux aléas de la vie, lutter contre la précarité et la pauvreté, ainsi que contre le travail caché lié à la numérisation. Il propose plusieurs pistes de financement : surcoût de CSG, d'impôt sur le revenu, cotisation employeur, taxe sur les transactions financières. C'est assez large et occupe six pages seulement d'un rapport qui en fait deux cents !

Autre sujet : l'intermittence des parcours. France Stratégie propose l'instauration d'un statut d'indépendant et de salarié intermittent, articulé avec le compte personnel d'activité, c'est intéressant. Comme Terra Nova, elle imagine qu'en 2030 le revenu de base fusionnerait tous les minima sociaux. Voilà qui a le mérite de conforter la valeur du travail.

Poser comme préalable le principe de l'individualisation suppose rien moins qu'une vraie révolution fiscale. Je vois déjà les difficultés à mettre en place la retenue à la source.

La réflexion la plus aboutie est celle du député Christophe Sirugue, dans son rapport du 18 avril. Il propose comme l'ont fait les Allemands avec les réformes Hartz, la fusion des minima sociaux existants dans une couverture socle de 400 euros, complétée par une allocation d'insertion, versée par des départements, à hauteur de 100 euros, et un complément de soutien aux personnes handicapées ou âgées. Il facilite donc le financement et l'accès aux droits, sur le modèle de la réforme de la prime pour l'emploi.

Méfions-nous, en tout cas, de la pensée magique. Si l'on s'engage sur cette voie, il faudra indiquer aux Français toutes les conséquences.

Mme Marie-Christine Blandin .  - Notre société est prisonnière d'un paradoxe durable. D'une part, la valeur travail est une valeur cardinale dès l'école et tout au long de la vie, aussi bien pour l'insertion individuelle que pour la transmission des savoir-faire - donc, vive le travail ! Pourtant, notre société n'est plus capable d'en fournir à tout le monde, le diplôme ne suffit plus, il faut aussi de l'aisance verbale lors des entretiens d'embauche.

Selon les critiques de droite, le revenu de base découragerait le travail. L'expérience canadienne dans le Manitoba montre qu'il n'en est rien. Les taux d'activité ont augmenté. Le revenu de base n'est pas un passeport pour l'oreiller mais une passerelle vers l'emploi, car les gens ont besoin d'être sécurisés. L'exemple des 930 habitants d'un village de Namibie montre que l'activité économique a crû, que le chômage a été ramené de 60 à 45 %, que l'activité entrepreneuriale s'est accrue de 300 %.

Selon les critiques de gauche, le revenu de base ne serait que la roue de secours du capitalisme, une manière de comprimer les salaires en offrant en échange un niveau de revenus excessivement bas, qui serait à l'avantage des seuls employeurs.

Les écologistes, au contraire, proposent un revenu suffisant pour renforcer la capacité de négociation et de choix des salariés. Plus personne ne craindra alors d'exercer des travaux pénibles ? Ce qui se passera alors, c'est qu'on améliorera les façons de faire et les outils, par exemple chacun apprendra à mieux gérer ses déchets. C'est bien un changement de société !

Le revenu de base coûterait cher ? Oui mais les cotisations sociales seraient revues, comme la fiscalité. Les niches fiscales baisseraient et la fiscalité écologique monterait en puissance. Quelle réforme mais chacun y gagnerait en dignité ! Oui, madame Duranton, beaucoup n'habitent plus à l'adresse indiquée, c'est que beaucoup sont expulsés ! Le revenu de base est complexe en effet, mais notre société a besoin de cette révolution apaisée. (Applaudissements sur les bancs écologistes et du groupe CRC)

M. Jean Desessard.  - Vive la révolution sereine !

M. Daniel Percheron .  - Si l'on parle du revenu d'existence, on croise Jean-Jacques Rousseau et Milton Friedman. Ce débat fait avancer le progrès social. Je suis élu du département de Thomas Paine, député à la Grande Convention.

Ce débat doit être l'occasion d'une prise de conscience et permettre l'expérimentation. Mettons nos pas dans ceux de Michel Rocard, Lionel Stoléru, Christophe Sirugue, Martin Hirsch, et avançons donc.

On est loin des promesses de la stratégie de Lisbonne, quand nous étions persuadés que nous ferions travailler pour nous tous les ateliers du monde et que nous vivrions de l'économie de la connaissance. Reconnaissons-le : alors que les capitaux ruissellent à la surface de la planète et font sauter le bocage des États-nations, l'Europe n'est pas au rendez-vous de la prospérité, nous nous sommes trompés, et une évolution est plus que jamais nécessaire.

La troisième révolution industrielle annoncée par Jeremy Rifkin est en marche dans le Pas-de-Calais. Quand 40 % des emplois sont menacés par la révolution numérique, il n'est plus question d'imiter les ouvriers du XIXe siècle qui bloquaient les machines avec leurs sabots. Avançons plutôt vers plus de solidarité.

En avons-nous les moyens ? L'État providence est une réalité : 57 % de dépenses publiques ; un taux de dépenses sociales inégalé dans le monde 30 %. Nous avons les moyens de mettre en place ce revenu d'existence ! Nous avons besoin de traçabilité dans le domaine social, car nos concitoyens nous disent « vous ne faites rien pour nous ».

Mme Nicole Bricq.  - Ce qui est faux.

M. Daniel Percheron.  - Comme le dit Jean Tirole, le rôle de l'État est de réguler le marché et d'assurer la protection sociale. Expérimentons !

N'oubliez pas que l'Europe expérimente déjà le revenu de base dans la PAC, avec le découplage des aides. Pourtant, les agriculteurs ne veulent pas être des assistés ! Je viens du Nord : il y a des terres en déshérence. Dans l'arrondissement de Lens, la création de richesses n'est que de 1 000 euros, quand elle est de 8 000 dans certaines vallées alpines.

Notre mission d'information aura pour but d'expérimenter. La Finlande, fidèle à son modèle nordique, ose l'expérimentation. Mais la Finlande ne compte que 5 millions d'habitants et deux millions de syndiqués !

M. le président.  - Si je vous laisse poursuivre, nous sommes encore ici ce soir ! (Sourires)

M. Daniel Percheron.  - Je me hâte. N'oublions pas la maxime de Saint-Just : « Les malheureux sont les puissants du monde. Ils ont des droits sur les gouvernants ». (Applaudissements sur certains bancs à gauche et au centre)

M. Jean-Baptiste Lemoyne .  - Merci au groupe écologiste pour cette proposition de résolution qui nous projette dans l'avenir. Non, nous n'avons pas tout essayé. Il faut sortir du cadre. L'heure n'est plus aux petits réglages des curseurs : il faut tout changer pour que tout change et faire mentir l'auteur du Guépard. Malgré des dépenses sans précédent, notre protection sociale ne nous protège plus assez : les inégalités se creusent, le chômage atteint des sommets.

Tandis que le personnalisme prône le minimum social garanti, les ultralibéraux parleraient plutôt de revenu social négatif. Il est édifiant que ces deux philosophies arrivent à se rencontrer même si les mots ne sont pas les mêmes. Et pour cause, il y a un point commun : favoriser l'autonomie de chacun et promouvoir une souveraineté ascendante, de l'homme vers l'humanité. Bref, une société subsidiaire.

Proche d'Emmanuel Mounier, le personnaliste Alexandre Marc décrivait la crise comme une rupture entre élites et masses, un schisme social, un étatisme envahissant. Cela nous parle ! Le fédéralisme global qu'élaborent les personnalistes a vocation à s'appliquer dans tous les ordres. Ordre politique, avec la valorisation des communes, ces « petites patries » ; ordre économique avec la valorisation d'une association harmonieuse capital/travail ; ordre social avec le minimum social garanti. Bref à la confluence de Pierre-Joseph Proudhon, d'Albert de Mun et de Fernand Pelloutier, le promoteur des bourses du travail et de la libre association de producteurs.

Les libéraux, comme Maurice Allais, Milton Friedman ou Gaspard Koenig, sont sensibles à la simplification et posent comme pendant l'impôt universel. On n'en est pas là.

Il revient au législateur de mettre le revenu de base en pratique. Le consensus risque alors de se briser sur des questions comme celles du périmètre et du montant. Et comment éviter l'inactivité ?

La Finlande, les exemples de l'Inde ou de la Namibie sont un peu éloignés. Pensons plutôt à celui de la Finlande, plus proche de nous à tout point de vue.

Le revenu citoyen est un instrument de responsabilisation. Aux actes citoyens ! Je voterai cette proposition de résolution, des deux mains !

M. Jean Desessard.  - Oui, « de l'audace ! », madame la ministre !

Mme Ericka Bareigts, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de l'égalité réelle .  - La création d'un revenu de base minimal revient au coeur de nombreuses discussions. Il concerne notre modèle de société. La France, en 1990, a été à l'avant-garde, quand Michel Rocard a créé le RMI, pour garantir à chacun la dignité, et non l'assistanat. Puis le RSA a été créé, transformé en prime d'activité récemment, pour encourager la reprise du travail.

Mme Nicole Bricq.  - Très bien !

Mme Ericka Bareigts, secrétaire d'État.  - Le Gouvernement partage plusieurs objectifs de cette proposition de loi : garantir à tous un revenu pour que chacun puisse se soigner, se loger, se nourrir. C'est l'objet du plan de lutte contre la pauvreté : un ménage sur sept vit en dessous du seuil de pauvreté, un enfant sur cinq est en grande précarité. Le plan de lutte contre la pauvreté 2013-2017 vise à réduire la précarité, il comprend 49 mesures précises, dont le plan d'aide renforcé visant des familles pauvres avec enfants, la garantie des loyers pour les étudiants, etc.

C'est ainsi que 2,6 milliards supplémentaires seront reversés à 2,7 millions de ménages, soit 1 000 euros pas ménage et par an. La hausse du taux de pauvreté a été enrayée.

La multiplicité des aides les rend peu visibles et est source d'inégalité. Une simplification est nécessaire. M. Sirugue a fait des propositions. Le Gouvernement s'en inspirera pour simplifier les minima sociaux : dix allocations différentes, c'est trop ! L'objet est de rendre notre système plus simple, lisible, accessible. La garantie Jeunes deviendra bientôt un droit pour tous les jeunes de moins de 25 ans en situation de rupture.

Ainsi le Gouvernement travaille déjà dans le sens des auteurs de cette proposition de résolution. Cependant, le revenu de base ne va pas sans poser question. La diversité des appellations - revenu de base, revenu d'existence, revenu minimum garanti - traduit des divergences réelles. Vous ne dites pas quelles prestations sociales vous remplaceriez par le revenu de base : toutes les prestations sociales seraient-elles fusionnées ? Y compris les allocations familiales et les aides au logement ?

Comment ce revenu de base serait-il financé ? Si le revenu de base n'est financé que grâce au redéploiement des minima solidarité, son montant sera très faible : alignerez-vous les retraites à 700 euros, en plongeant nos seniors en-dessous du seuil de pauvreté ?

M. Jean Desessard.  - Ce n'est pas mon projet !

Mme Ericka Bareigts, secrétaire d'État.  - La question se pose, les Finlandais sont confrontés à ces difficultés. Surtout, les conceptions divergent profondément : s'agit-il d'une simple réforme technique de simplification, ou bien d'un instrument accompagnant la libéralisation du marché du travail ? De plus, cette réforme ne crée-t-elle pas un revenu domestique pour les femmes au foyer ? Ne risque-t-elle pas de remettre en cause le travail, comme espace de socialisation ?

L'action du Gouvernement répond à vos objectifs. Face à l'amalgame de certains entre assistanat et solidarité, nous devrons défendre, et donc réformer notre système de solidarité. Le plan contre la pauvreté simplifie déjà les aides ; la nouvelle prime pour l'activité est une rupture : suppression des seuils, allègement des conditions de ressources, dans une logique d'émancipation et non intrusive.

3,8 millions de personnes en bénéficient déjà. Nous concentrons nos efforts sur les plus modestes.

« Toute société qui prétend garantir aux hommes la liberté, doit commencer par leur garantir l'assistance », disait Léon Blum. Nous oeuvrons en ce sens. L'adoption de cette proposition de résolution est prématurée.

M. le président.  - La Conférence des présidents a décidé que les interventions vaudraient explications de vote.

À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°227 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 211
Pour l'adoption 11
Contre 200

Le Sénat n'a pas adopté.