Mission de la Croix-Rouge française (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à l'exercice, par la Croix-Rouge française, de sa mission statutaire de rétablissement des liens familiaux.

Discussion générale

Mme Juliette Méadel, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de l'aide aux victimes .  - Veuillez excuser l'absence de Bernard Cazeneuve, en déplacement en Guyane et aux Antilles.

Merci encore aux 57 000 bénévoles et aux 18 000 salariés de la Croix-Rouge pour leur travail de secours. Merci à la Croix-Rouge et à son président, Jean-Jacques Eledjam, pour la formation qu'elle assure auprès des Français sur les gestes qui sauvent. Je souhaite que ces formations dans les collèges et lycées s'étendent aux entreprises.

On connaît moins la mission de rétablissement des liens familiaux de la Croix-Rouge. Certaines informations détenues par l'administration lui échappent. Le Gouvernement a donc décidé de soutenir la présente proposition de loi qui répond aux attentes légitimes de la Croix-Rouge française.

Ainsi, 562 demandes de recherches ont été déposées et 23 familles ont pu être réunies l'année dernière... Cette mission connaît aujourd'hui un renouveau avec la crise migratoire dans la zone euro-méditerranéenne, la plus grave depuis la Seconde Guerre mondiale. Plus d'un million de personnes sont arrivées l'année dernière et 3 700 migrants ont perdu la vie.

Face à ces drames, notre responsabilité, c'est de tout faire pour redonner de l'espoir à ces familles qui ont tout perdu ou presque. Cela suppose de donner à la Croix-Rouge les moyens de remplir sa mission de rétablissement des liens familiaux.

Ce texte introduit trois dérogations au droit commun. Sous le contrôle de la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada), les organisations devront examiner le caractère indispensable des demandes de la Croix-Rouge, ce qui permet d'éviter des recherches inutiles. La Croix-Rouge obtient la copie intégrale des actes d'état-civil.

Remercions le Sénat et particulièrement sa rapporteur, Marie Mercier, pour les améliorations qu'elle a apportées au texte. Lorsque la cause est noble, les forces républicaines savent se rassembler. Espérons que le Sénat votera ce texte à l'unanimité, comme l'a fait l'Assemblée nationale avant lui. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois .  - Vous avez, madame la ministre, dressé un tableau fort complet des missions de la Croix-Rouge, présente dans 190 pays.

En dépit de son nombre de salariés et de son budget, la Croix-Rouge reste une association, et a besoin d'un cadre juridique adapté, respectueux d'une certaine confidentialité. C'est pourquoi les bénévoles de l'association, auxquels je tiens à rendre hommage, n'auront pas accès aux informations échangées, réservées aux salariés.

J'espère que ce texte contribuera à renforcer la Croix-Rouge. (Applaudissements)

M. Philippe Kaltenbach .  - Cette proposition de loi, adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale, vise à donner à une institution reconnue les outils nécessaires à la réalisation de ses missions. Fondée en 1864, la Croix-Rouge française a été reconnue d'utilité publique en 1945 ; elle est aujourd'hui la première association française. Elle mobilise 50 000 bénévoles et 18 000 salariés. Son maillage territorial est impressionnant, avec 800 groupes locaux, 600 établissements et une centaine de délégations départementales. Elle agit également dans 35 pays. D'autres chiffres peuvent être cités : 1,5 millions de personnes accueillies et accompagnées ; 55 millions de repas distribués ; 1 million de personnes formées ou initiées aux premiers secours ; 2 444 000 personnes aidées dans le monde.

Urgences civiles, action sociale, santé et solidarité internationale..., ses missions sont larges. Celle qui nous occupe aujourd'hui, le rétablissement des liens familiaux n'est pas la plus connue, mais n'en est pas moins essentielle. Elle consiste à rechercher les membres de la famille, à rassembler les proches, à transmettre les informations nécessaires, et à faire valoir leurs droits le cas échéant. Jusqu'en 2013, l'État participait à cette mission ; le dispositif de recherches dans l'intérêt des familles, créé après la Première Guerre mondiale, est malheureusement tombé en désuétude. La Croix-Rouge française, seule désormais à remplir cette mission, se heurte parfois au refus de l'administration de communiquer les informations qui lui seraient utiles. D'où cette proposition de loi, qui correspond à un engagement présidentiel et a fait l'objet d'un vote unanime de l'Assemblée nationale le 15 juin dernier. Je ne doute pas que ce sera le cas au Sénat aussi.

Premier apport du texte : la communication de données administratives indispensables à la détermination du sort de personnes recherchées, par dérogation aux règles de droit commun et sous contrôle de la Cada. Deuxième dérogation : la possibilité pour la Croix-Rouge d'obtenir connaissance des originaux des documents d'état civil. Troisième dérogation : la Croix-Rouge pourra saisir le préfet pour connaître la situation de telle personne sur les fichiers électoraux. Grâce à Mme la rapporteur, Marie Mercier, cela s'étend également aux listes consulaires.

Cette proposition de loi se justifie par la qualité et le sérieux - reconnus - de l'action de la Croix-Rouge. Elle nous renvoie à une exigence morale : celle d'aider les victimes à retrouver leur famille, dans un contexte de multiplication du nombre de réfugiés. En adoptant cette proposition de loi, nous allons respecter nos engagements internationaux - contenus dans les conventions de Genève -, être fidèles à la tradition humaniste de la France et concrétiser un engagement présidentiel. (Applaudissements)

Mme Esther Benbassa .  - Cette proposition de loi de Bruno Le Roux et d'autres députés a un objectif simple : aider la Croix-Rouge à réunir des familles séparées par des guerres, conflits armés ou catastrophes naturelles, les autres cas de figure étant exclus. Dans ce but, le code des relations entre le public et l'administration est modifié pour que la Croix-Rouge bénéficie des trois dérogations au droit commun que M. Kaltenbach a rappelées. La commission des lois, à l'initiative de Mme Mercier, a actualisé le texte et assuré son application dans les collectivités territoriales d'outre-mer.

Cette proposition de loi est utile, fait manifestement consensus, et le groupe écologiste lui apportera tout son soutien. Mais derrière la technicité de ce texte se cachent les drames des conflits armés et des catastrophes naturelles.

« Vous pouvez vous mettre à l'abri pour échapper aux obus, mais comment ne pas souffrir quand vous n'avez aucune idée de ce qui est arrivé à votre fils ? » Ces mots simples de Mirvat, 65 ans, réfugié au Liban, disent tout l'enjeu du rétablissement des liens familiaux.

Ces mots simples nous rappellent que, derrière ceux que nous n'appelons plus que migrants, ce sont des pères, des mères, des enfants qui souffrent d'être séparés de leurs proches. Ceux qui ne parviennent pas à rétablir ces contacts essentiels vivent dans un état d'incertitude émotionnel qui les empêche de reprendre leur vie ou même de songer à faire son deuil.

En tant que législateur, nous avons le devoir d'adopter cette proposition de loi, qui contribuera à rendre effectif le droit à obtenir des nouvelles de leurs proches. (Applaudissements)

M. Jean-Noël Guérini .  - Le rétablissement des liens familiaux n'est certes pas l'activité la plus connue de la première association française, mais elle est essentielle. C'est bien plus qu'un sujet politique, un enjeu de conscience.

Les recherches de généalogie ou de disparus dans des circonstances étranges sont bien sûr exclues. Il s'agit plutôt des victimes frappées par un sort funeste, auxquelles la Croix-Rouge apporte son aide depuis 1866, via 189 sociétés, au moyen de 100 millions de bénévoles qui ont valu à cette association le prix Nobel.

Cette proposition de loi, qui concrétise un engagement du président de la République, prend un relief particulier à la lumière de la tragédie du conflit syrien. Depuis vingt-quatre mois, les services de la Croix-Rouge ont vu les demandes de rétablissement des liens familiaux augmenter de 50 %, passant de 200 à 299 demandes entre les premiers trimestres de 2015 et de 2016.

Face à cet état d'urgence humanitaire, nous avons le devoir de nous mettre au diapason de nos voisins - Allemagne, Belgique - qui nous ont devancés il y a quelques mois.

Ce n'est qu'en 2016 que le dispositif de recherche dans l'intérêt des familles a été supprimé, hélas, certains imaginant qu'internet pourrait y suppléer, ironisant sur le fait qu'il était souvent mobilisé pour la recherche de pension alimentaire...

Nous voterons ce texte, qui facilitera le travail de la Croix-Rouge française.

M. Olivier Cigolotti .  - La Croix-Rouge française est la première association française et cette proposition de loi facilite sa mission de rétablissement des liens familiaux en lui accordant, par dérogation au droit commun, un accès à des données administratives. La Croix-Rouge exerce trois misions : l'aide en cas de calamité publique et en matière de sécurité civile, la diffusion du droit international humanitaire et le rétablissement des liens familiaux, dans un contexte de déplacement de populations - cette dernière mission, depuis 1949.

Près de 15 % des 50 000 dossiers traités depuis la Seconde Guerre mondiale concerne ce conflit. Plus de 500 dossiers ont été instruits l'an passé. Le respect de l'intégrité familiale fait partie intégrante du respect de la dignité humaine. Balzac disait que la famille sera toujours la base de la société. C'est dire l'importance de cette mission.

Le rétablissement des liens familiaux est d'ailleurs un droit protégé par la convention de Genève sur les conflits armés et non armés.

Je veux saluer l'excellent travail de Marie Mercier. Le groupe UDI-UC votera ce texte nécessaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)

Mme Éliane Assassi .  - Depuis 1949, il incombe à chaque État, partie à la convention de Genève, d'agir en faveur du droit de chacun à connaître le sort de ses proches disparus. Jusqu'en 2013, les préfectures y participaient à travers la recherche dans l'intérêt des familles.

Mais si les conflits armés ont augmenté considérablement, le nombre de demandes également. La Croix-Rouge française, désormais le principal acteur de cette mission fondamentale, n'a pas toujours les moyens d'accéder aux informations administratives qui lui permettraient d'identifier les membres de familles éclatées.

Nous connaissons les raisons de cette situation : multiplication des conflits, en Syrie, en Ukraine, en Afrique. Dans ce contexte, cette proposition de loi, si légitime soit-elle, ne doit pas nous empêcher de débattre de ces raisons profondes.

Pourquoi le ministère de l'intérieur a-t-il fait le choix de se désengager de cette mission d'intérêt général de la Croix-Rouge française en 2013 ? Nous n'ignorons pas les risques qu'il y a à confier une telle mission à un organisme non étatique. La Croix-Rouge est toutefois reconnue aux niveaux national et international, et nous soutenons son action. Nous voterons donc cette proposition de loi.

La discussion générale est close.

Discussion des articles

L'article premier est adopté, de même que les articles 2 et 3.

L'article 3 bis reste supprimé.

L'article 4 est adopté, de même que l'article 5.

ARTICLE 6

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par Mme M. Mercier, au nom de la commission.

I.- Alinéas 5 à 9

Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :

II. - À l'article 3 de la présente loi, la référence : « L. 28 » est remplacée par la référence : « L. 37 ».

II. - Alinéa 10

Remplacer la référence :

2

par la référence :

7

Mme Marie Mercier, rapporteur.  - Pour des raisons techniques opposées par l'Insee, cet amendement suggéré par le Gouvernement, prévoit qu'après la mise en place du répertoire électoral, la Croix-Rouge française continuera à s'adresser aux préfectures comme auparavant.

Mme Juliette Méadel, secrétaire d'État.  - En dépit de la création du répertoire électoral unique, l'Insee n'a en effet pas été chargé de communiquer de telles informations à des tiers.

Le Gouvernement se félicite des échanges constructifs avec la rapporteur ; avis favorable.

L'amendement n°3 est adopté.

L'article 6, modifié, est adopté.

La proposition de loi est adoptée.

M. le président.  - À l'unanimité !