Sincérité et fiabilité des comptes des collectivités territoriales

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la proposition de loi visant à assurer la sincérité et la fiabilité des comptes des collectivités territoriales.

Discussion générale

M. Vincent Delahaye, auteur de la proposition de loi .  - La Constitution dispose que les comptes des administrations publiques doivent être réguliers et sincères et donner une image fidèle de leur situation financière. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, elle, énonce, en son article 15, que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ».

Autre vertu, notre système sépare l'ordonnateur et le comptable, celui qui décide et celui qui paie.

Depuis les lois de décentralisation, un contrôle de légalité est effectué a posteriori ainsi qu'un contrôle des Chambres régionales des comptes (CRC), à leur initiative ou sur saisine du préfet.

Ce système vertueux a pourtant ses limites qui ont été mises en lumière lors des renouvellements des exécutifs départementaux et régionaux, par quelques anomalies, largement commentées, notamment en Poitou-Charentes et dans mon département de l'Essonne.

Ces grandes collectivités qui ne sont pas contrôlées tous les ans, contrairement aux entreprises, où les comptes annuels sont examinés par les commissaires aux comptes, ont des budgets qui dépassent le milliard d'euros, voire, parfois, 5 milliards d'euros. Or les contrôles n'ont lieu que tous les cinq ou six ans

L'ancien président du département de l'Essonne a reconnu que les comptes n'étaient pas tout à fait sincères et que principe d'annualité budgétaire n'était pas respecté avec un report d'un exercice à l'autre de 108 millions d'euros sur un milliard d'euros de budget.

Tout le monde le fait, pourrait-on dire. Heureusement, ce n'est pas le cas.

Ces exemples m'ont poussé à déposer cette proposition de loi afin d'améliorer la présentation des comptes, en renforçant la prévention et la dissuasion. J'y ai travaillé avec des experts. Je me suis inscrit dans la lignée de ce que souhaitait Philippe Séguin en demandant aux CRC de réaliser des contrôles annuels sur les plus grandes collectivités, soit environ 310 collectivités territoriales.

J'ai également souhaité rendre obligatoire la transmission de toute irrégularité constatée à la cour de discipline budgétaire et financière et prévoir les sanctions applicables en cas de manquement.

Je tiens à remercier la rapporteur, Mme Catherine Di Folco.

La loi NOTRe a prévu une expérimentation en matière de certification des comptes qui touchera 25 collectivités cette année. Cette certification trop lourde et coûteuse pour les collectivités, n'est pas nécessaire, selon moi. Ayant travaillé à la certification des comptes de l'État, je sais d'expérience ce que cela représente.

On nous dit qu'il faut aussi prendre en compte l'annualité des produits et d'autres problèmes comme l'amortissement, etc. Je crois qu'il vaut mieux se concentrer sur l'essentiel, à savoir l'annualité des dépenses qui est un risque majeur.

Les chambres régionales des comptes sont indépendantes, certes. En revanche, je reste réservé sur le fait qu'elles soient seules aptes à choisir l'objet de leur contrôle. Est-ce que 17 ou 18 chambres régionales des comptes suffisent à assurer le contrôle ? Il faut peut-être revoir les moyens qui leur sont alloués. La Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) risquerait d'être très souvent saisie, m'oppose-t-on. Je n'en suis pas certain. Le renforcement du contrôle interne et la séparation entre ordonnateurs et comptables devrait jouer un rôle préventif qui réduira les anomalies qui aboutiront à la Cour.

Faut-il arrêter de faire peser des contraintes supplémentaires sur les élus ? Bien sûr, mais on ne parle que de quelques dérives qui déconsidèrent l'ensemble des élus. Le problème existe. Il est limité en nombre de collectivités et d'élus concernés. Un travail complémentaire s'impose. Le rapport d'étape sur la certification des comptes qui sera publié mi-2018 devrait nous permettre d'amender la loi NOTRe. (Applaudissements au centre et sur les bancs du groupe écologiste)

Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois .  - Au terme de l'article 47-2 de la Constitution, « les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères. Ils donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière. » La fiabilité des comptes locaux reste pourtant fragile.

Cette proposition de loi propose des mesures préventives, renforçant le contrôle non juridictionnel des chambres régionales des comptes et répressives, élargissant les compétences de la cour de discipline budgétaire et financière.

L'article premier impose un programme de contrôle de gestion aux chambres régionales et territoriales des comptes et crée un contrôle de l'annualité budgétaire par les chambres. Environ 150 collectivités territoriales et établissements publics, disposant de recettes annuelles supérieures à 200 millions d'euros et près de 400 collectivités territoriales ou établissements, disposant de recettes annuelles comprises entre 100 et 200 millions d'euros, seraient respectivement concernés.

Le texte prévoit la saisine automatique du ministère public près la cour de discipline budgétaire et financière en cas d'infraction, sanctionnée par cette juridiction. Le droit des élus serait aligné sur celui des administrateurs. Les membres du Gouvernement, les administrateurs élus des organismes de protection sociale et les administrateurs et agents des associations de bienfaisance resteraient hors du champ de compétence. Enfin, l'ordre écrit ne serait plus applicable qu'aux membres des cabinets ministériels, aux fonctionnaires ou agents civils ou militaires de l'État ainsi qu'aux représentants des organismes soumis au contrôle des juridictions financières.

L'article 2 propose qu'un décret en Conseil d'État détermine les détenteurs d'un mandat exécutif local pouvant s'assurer contre une sanction pécuniaire en cas d'infraction. La cour de discipline budgétaire et financière pourrait également prononcer une peine d'inéligibilité à l'encontre des élus locaux ayant commis une infraction prévue au code des juridictions financières. Cela modifierait substantiellement l'office de cette juridiction qui ne prononce, en l'état du droit, que des sanctions pécuniaires.

Un an après l'entrée en vigueur de ce texte, le Gouvernement devrait remettre un rapport sur son application selon l'article 3.

Il est assurément nécessaire de poursuivre les efforts de fiabilisation des comptes locaux. Depuis les années 1980, les règles budgétaires et comptables des collectivités territoriales ont été progressivement renforcées.

Les procédures de contrôle des comptes des collectivités territoriales sont déjà bien encadrées. Le comptable public réalise des contrôles internes. II procède à des « contrôles comptables automatisés » et transmet à l'ordonnateur un « indice de qualité des comptes locaux ». Les documents budgétaires et comptables sont, dès leur adoption, transmis au préfet du département qui peut exercer un contrôle budgétaire.

Les chambres régionales des comptes exercent des contrôles budgétaires et de gestion qui peuvent les conduire à saisir le procureur de la République, le procureur général près la Cour des comptes ou le ministère public près la cour de discipline budgétaire et financière. En 2014, le Gouvernement et les présidents des associations d'élus ont signé la charte nationale sur la fiabilité des comptes locaux.

La loi NOTRe a renforcé la stabilité des comptes locaux ainsi que les contrôles des chambres régionales des comptes en prévoyant la publicité des rapports. Ainsi, l'article 107 prévoit la présentation d'une étude d'impact financière pour « toute opération exceptionnelle d'investissement » et, pour les collectivités territoriales de plus de 3 500 habitants, un rapport annuel sur les orientations budgétaires, les engagements pluriannuels envisagés et la structure de la dette.

En vertu de l'article 110, une expérimentation sera conduite entre 2017 et 2023 par la Cour des comptes sur 25 collectivités territoriales volontaires pour établir les conditions préalables à la certification des comptes. Le bilan final est prévu pour 2023.

Dans son rapport annuel sur les finances publiques locales de 2015, la Cour des comptes a relevé les imperfections de la gestion locale : défaut de rattachement comptable des charges et des produits, amortissement insuffisant des immobilisations, information lacunaire sur la structure de la dette.

Nous pouvons nous interroger sur le contrôle de l'annualité budgétaire, qui vient en surplus de l'expérimentation de la certification des comptes dont il vaut mieux attendre les conclusions. Le contrôle de l'annualité budgétaire pourrait représenter une charge non négligeable pour les chambres régionales des comptes.

La Cour de discipline budgétaire et financière risque d'être engorgée par les dossiers à traiter. Il faudrait mieux évaluer les conséquences de ce texte sur la charge de travail des chambres régionales des comptes et de la Cour de discipline budgétaire et financière.

Philippe Séguin, alors premier président de la Cour des comptes, avait proposé en son temps un dispositif mieux encadré. L'Assemblée nationale avait souhaité l'élargir aux ministres. Le texte a fini par tomber dans les oubliettes.

Pourquoi traiter différemment les fonctionnaires territoriaux et les fonctionnaires d'État ?

Enfin, M. Jean-Louis Nadal, président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATPV) a souligné le manque de visibilité et d'efficacité de la cour de discipline budgétaire et financière, qu'un projet de loi de 2009 envisageait de supprimer.

Au terme d'un débat nourri, la commission a jugé nécessaire d'approfondir sa réflexion sur la meilleure façon de renforcer la fiabilité des comptes des collectivités territoriales et de l'étendre à des problématiques plus larges comme les moyens alloués aux juridictions financières et le rôle de la cour de discipline budgétaire et financière ; elle a décidé de déposer une motion de renvoi en commission et de ne pas adopter ce texte. (Applaudissements à droite et sur les bancs du RDSE ; M. Philippe Bas, président de la commission, applaudit aussi)

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics .  - Ce texte motivé par des situations locales observées après des changements d'exécutif départementaux comporte un volet préventif, avec un contrôle annuel des 194 collectivités dont les recettes dépassent 200 millions d'euros et un examen tous les deux ans pour les 112 collectivités dont les recettes dépassent les 100 millions d'euros - mais n'excèdent pas 200 millions d'euros.

L'autre volet, répressif, renforce les sanctions applicables avec des peines d'inégibilité ou des sanctions pécuniaires.

Les objectifs poursuivis, de sincérité et de fiabilité des comptes locaux, inscrits à l'article 47-2 de la Constitution sont évidemment partagés par le Gouvernement.

D'ores et déjà, les comptes de l'État et ceux des organismes de sécurité sociale sont certifiés, tout comme ceux de la plupart des établissements publics nationaux et des hôpitaux. Les collectivités territoriales accusent donc un léger retard à cet égard, même si l'expérimentation de la certification de leurs comptes est lancée.

Votre initiative est utile pour faire un point d'étape. Cependant, les moyens proposés ne sont pas les plus adéquats. Le recours systématique au contrôle du juge financier nécessiterait des arbitrages difficiles en termes de moyens à mettre à la disposition des chambres régionales des comptes qui, pour l'instant, n'exercent un contrôle sur les collectivités que tous les quatre à cinq ans.

Le contrôle budgétaire confié au préfet porte à ce stade sur cinq étapes : la date d'adoption du budget, son équilibre réel, la date d'adoption du compte administratif, son déficit, les crédits relatifs aux dépenses obligatoires. L'annualité et le rattachement des charges sont importants. D'autres irrégularités le sont tout autant : le défaut d'amortissement ou de provisionnement des risques, ou celui d'inventaire du patrimoine, par exemple.

Le Gouvernement privilégie une démarche différente, plus globale, moins péremptoire et plus partenariale. Il faut que les acteurs locaux s'approprient les bonnes pratiques. Les outils existent déjà : indicateurs comptables locaux par exemple. La DGFIP établit des guides et des référentiels internes qui permettent à l'ordonnateur de s'assurer de la régularité des opérations. Provisions pour risques et charges des collectivités ; cycle des recettes ; évaluation du parc immobilier ; immobilisations financières : le champ concerné est large.

Le Gouvernement souhaite surtout aller plus loin, ainsi que le prévoit la loi NOTRe, avec une expérimentation sur 25 collectivités, deux conseils régionaux, six conseils départementaux, dix communes et sept EPCI dont une métropole, tant en Métropole qu'en outre-mer.

La démarche de certification, pilotée par la Cour des comptes mais associant naturellement le comptable public, repose sur un audit des processus à enjeu, une analyse de la qualité des contrôles internes concourant à la fiabilité des opérations financières, mais aussi sur le regard externe d'un auditeur indépendant.

Cette politique a un objectif ambitieux que le Gouvernement partage. Nous avons déjà engagé des réformes d'ampleur sur ce sujet.

Le Gouvernement donnera un avis favorable à la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Alain Richard .  - Le sujet de cette proposition de loi offre l'occasion d'un état des lieux des dispositifs contribuant à la sincérité des comptes des collectivités territoriales et de renforcer celle-ci.

L'origine de ce texte était tout de même circonstancielle. On retrouve des sujets de récrimination réciproque entre certains élus et leurs successeurs... Ce n'est pas sans rappeler les emprunts toxiques.

Ces dysfonctionnements méritent qu'on les corrige, mais on ne peut inspirer une législation optimale en réfléchissant de manière trop circonstanciée.

En 1982, je rapportais, aux côtés de Gaston Defferre, la loi de décentralisation qui donnait alors le sentiment d'un saut dans l'inconnu, et a conduit, en faisant disparaître la vérification par les préfets du budget des collectivités locales, à inventer les chambres régionales des comptes et donc la notion même de juridiction financière, jusqu'alors cantonnée à la seule Cour des comptes.

Le nouveau mécanisme de contrôle des collectivités locales a donné des résultats et a joué un rôle d'anticipation et de mise en garde. Elle a aussi apporté des ressources humaines, des expertises nouvelles. Les effectifs des chambres régionales des comptes se sont étoffés, de sorte que des magistrats de grande qualité sont venus renforcer la puissance de feu de la Cour des comptes.

Philippe Séguin souhaitait que la Cour des comptes, dont il était premier président, et l'ensemble des juridictions financières s'ouvrent davantage à l'évaluation financière, afin d'aider le Parlement et les citoyens à analyser le bien-fondé de l'utilisation des deniers publics, ainsi que le prévoit la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. C'est ce qu'a concrétisé la révision constitutionnelle de 2009.

On s'est également rendu compte que l'expertise des comptables publics n'était pas exploitée à plein. Le Gouvernement peut appeler leur vigilance particulière sur certains cas, ce qui n'est pas négligeable car les infractions en matière d'annualité se constatent à tous les échelons.

Depuis que la cour de discipline budgétaire et financière a été créée, en 1948, il a toujours été prévu que les agents publics professionnels étaient les seuls à être soumis à sa juridiction et pas les élus, d'où le fait qu'elle ne rende que des sanctions pécuniaires.

Après la décentralisation, on a aligné le statut des élus locaux sur celui des élus nationaux, en les rendant non justiciables de la cour de discipline budgétaire et financière. Les dérives de gestion ont diminué dans les collectivités territoriales. Est-ce le moment de rendre les élus justiciables en les menaçant de sanctions financières ou d'inéligibilité ? Si on devait le faire pour les élus locaux, il faudrait aussi - je n'ose à peine le dire ici, monsieur le ministre - y soumettre les élus nationaux et les membres du Gouvernement...

Des améliorations sont assurément possibles. Les articles proposés ne sont pas forcément les plus adaptés.

M. Thierry Foucaud .  - Qui ne peut partager le souci de transparence et de sincérité des comptes des collectivités territoriales ? La très grande majorité des élus locaux est parfaitement respectueuse des règles en vigueur, et les errements constatés ne concernent que quelques situations bien connues. Il ne suffit pas de jeter en pâture le nom de certains élus sans prendre en compte le contexte d'exercice de leurs fonctions. Nous pouvons concevoir de modifier le quantum des peines dès lors que la responsabilité des élus et des principaux fonctionnaires et cadres territoriaux les ayant assistés se trouve engagée quant à la situation de la collectivité ou de l'établissement public en difficulté.

Nous sommes nettement plus circonspects, pour ne pas dire plus, sur le contenu de l'article 2 qui met en place une assurance anti sanction pécuniaire pour les élus locaux. S'abriter ainsi des foudres de la justice ne nous paraît guère conforme à la transparence et à l'éthique !

Les errements qu'on a pu connaître dans l'Essonne, à Mennecy dans les années quatre-vingt-dix, à Yerres dans les années quatre-vingts, à Bussy-Saint-Georges et apparemment à Corbeil-Essonnes, sont parfaitement répréhensibles et ont été sanctionnés comme tels.

La question de la gestion locale, des marges de manoeuvre dont disposent les élus pour mener des politiques originales, reste néanmoins posée.

Nous ne devons jamais oublier qu'en dernière instance, les habitants sont les seuls juges, d'abord par leurs impôts, la facturation des services rendus, leurs contributions directes et indirectes, et parce que ce sont eux qui paient les conséquences de ces infractions. À Yerres par exemple, le jeune maire élu en 1995 a dû mettre en oeuvre un plan financier de redressement particulièrement sévère, pour corriger les errements d'un prédécesseur datant des années quatre-vingts, conduisant à une alternance en 1989 ; ce plan fut confirmé, en quelque sorte, en 2001, mais s'est soldé par une forte hausse des impôts locaux... Comment ne pas citer aussi le cas bien connu de Saint-Cast-le-Guildo, station balnéaire dans les Côtes-d'Armor, surendettée, où les équipes issues d'alternances politiques successives se sont épuisées à tenter de redresser la situation?

Les dépenses des collectivités locales, confrontées à la baisse des recettes fiscales et des dotations d'État, sont en fait de plus en plus sujettes à devenir obligatoires. Je suis convaincu que nos compatriotes attendent de leurs élus locaux des choix originaux et clairs, en faveur des équipements publics, de l'action sociale et de la solidarité, et pas seulement qu'ils mènent partout la même politique ou se contentent d'améliorer la voierie.

Le respect des règles comptables n'est, en dernière instance, que l'instrument de la décision locale.

Le renforcement des effectifs, de la formation et de la qualité des agents de l'administration préfectorale et de ceux des services du Trésor, afin qu'ils puissent mieux accomplir leurs missions et en particulier conseiller les élus locaux, n'est-il pas plus utile ?

Il est grand temps que la politique locale reprenne un peu d'allure et que la démocratie participative, l'engagement des citoyennes et citoyens soient à la base de l'action locale. Quand l'action est partagée, tout est bien plus clair. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et RDSE)

M. Pierre-Yves Collombat .  - Je ne partage pas ce quasi consensus sur la nécessité de renforcer les contrôles sur les élus locaux. (M. Jean Desessard s'exclame) Justifier la tutelle de fonctionnaires nommés par le pouvoir exécutif sur les élus du suffrage universel par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, il faut oser...

Nous sommes tellement habitués aux abandons de souveraineté au profit d'une Europe sans union, au formalisme paralysant de la LOLF, aux réformes comptables important la gestion privée dans la gestion publique, au culte d'une illusoire transparence de papier ! Tout cela pour certifier des comptes tenus à deux mains dont l'une appartient aux fonctionnaires des finances, et mieux sanctionner les ordonnateurs !

Beaucoup de bruit pour rien ? Cette proposition de loi se borne à un effort de vérité visant seulement à établir la situation financière exacte des collectivités annuellement et à sanctionner les ordonnateurs qui auraient manqué à leurs obligations, sans juger les choix budgétaires...

Aux innocents, les mains pleines : ne doutons pas qu'un prochain texte étendra les mesures que vous proposez dans ce texte qui favorise la confusion entre la bonne gestion et la régularité comptable.

La qualité du service rendu, son coût, le poids réel de l'action publique pèsera peu dans la balance face aux chiffres qui feront le titre des gazettes. Le choix des règles comptables dissimule une philosophie de la bonne gestion que l'on tente de nous imposer. Son caractère pervers apparaît dès lors qu'il s'agit d'attester une capacité d'autofinancement purement décorative. Marotte sans portée en période de vache grasse, ce processus devient catastrophique lorsqu'il s'agit d'équilibrer les comptes. La régularité comptable n'est pas toujours synonyme d'une bonne gestion.

J'ai cru que M. Delahaye allait oublier qu'il existait en France une séparation des ordonnateurs et des comptables - et qu'il fallait passer sous les fourches caudines de ces derniers. Il se pratique encore en France un contrôle de légalité...

Plutôt que de compliquer la vie des élus, mieux vaudrait améliorer ce qui existe : donner aux comptables les moyens de faire leur travail, créer une agence de lutte contre les infractions financières, ce que la loi Sapin 2 n'a pas fait.

La démocratie ne retrouvera son dynamisme que par le soutien à ce qui la définit : le débat. Le fonctionnement des collectivités territoriales déjà trop monarchique, est en passe, dans les structures toujours plus grandes des intercommunalités XXL, de rendre le contrôle parfaitement impossible. Bref, des réformes simples, plutôt que davantage de contrôles. Ne comptez pas en tout cas sur le RDSE pour nourrir le climat de défiance envers les élus. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur quelques bancs à droite)

M. Michel Canevet .  - Je veux d'abord remercier Vincent Delahaye pour son travail et la tenue du présent débat. Sa gestion de Massy, particulièrement saine, devrait faire école sur tout le territoire ; c'est un moyen de retrouver la confiance entre citoyens et élus, les premiers étant souvent consternés face à certaines attitudes qui déconsidèrent l'ensemble des élus.

Or la quasi-totalité d'entre eux mènent une gestion rigoureuse... Quoi qu'il en soit la probité dans la gestion publique est une valeur à laquelle tiennent les membres du groupe UDI-UC.

La décentralisation est le point de départ de cette réflexion sur la fiabilité des comptes des collectivités territoriales. Les réformes se sont succédé : métropoles, grandes régions, loi NOTRe... La représentativité des élus au sein des collectivités territoriales de taille XXL est moins évidente, ce qui affaiblit la démocratie.

Les exemples de mauvaise gestion ne sont pas propres à l'Île-de-France ; on les trouve aussi ailleurs, ce qui nourrit la défiance de nos concitoyens. Les organes de contrôle ont longtemps fait défaut pour apprécier la réalité des comptes de l'État avant que l'on n'y remédie : ne peut-on faire de même pour les comptes des collectivités territoriales ? On pallierait ainsi la dilution des plus petits échelons des collectivités dans des ensembles plus grands.

Ce texte vise à protéger les élus. Si les mises en garde utiles avaient été émises à temps, les collectivités territoriales auraient été moins nombreuses à souscrire des emprunts toxiques.

Le texte initial était manifestement d'appel. Il peut être enrichi. Le groupe UDI-UC sera favorable à un examen plus approfondi en commission des lois afin qu'il recueille l'assentiment des élus et des citoyens. (Applaudissements)

M. Jean Desessard .  - La France est à la traîne en matière de transparence des élus et de responsabilité dans la gestion des deniers publics. La presse étrangère nous renvoie régulièrement l'image d'un pays à l'éthique aléatoire.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois.  - L'éthique de la presse étrangère est elle-même sujette à caution...

M. Jean Desessard.  - Le Sénat pourrait, dans cet élan, soumettre sa gestion comme celle de l'Élysée, à un contrôle de la Cour des comptes. Certes, ses comptes sont certifiés, mais allons plus loin !

Le texte propose de créer un nouveau contrôle fréquent du respect de l'annualité budgétaire. Certes, des exemples récents ont montré les dangers qu'il y a de s'en affranchir, mais laissons aux chambres régionales et territoriales des comptes la liberté de définir le champ de leur contrôle. Voyez les partenariats public-privé, outils à haut risque et bombes à retardement budgétaire, selon le rapport Sueur-Portelli ou encore les emprunts toxiques...

Deuxième proposition de ce texte : rendre les élus locaux justiciables de la cour de discipline budgétaire et financière. D'abord, celle-ci n'a pas les moyens d'assurer cette mission ; ensuite, il conviendrait de traiter justement tous les ordonnateurs c'est-à-dire de mettre ministres et maires sur le même plan ! M. Draghi, lui, est devenu président de la banque centrale européenne sans que personne n'ait contrôlé son rôle dans le maquillage des comptes de la Grèce par Goldmann Sachs. Enfin, il reviendrait de remettre à plat les infractions et les peines dont sont passibles les ordonnateurs et les comptables...

Cette proposition de loi pointe des lacunes importantes dans notre législation et ouvre des pistes de réforme mais la réflexion doit se poursuivre. Le groupe écologiste votera la motion. (Applaudissements)

M. François Bonhomme .  - Cette proposition de loi procède des abus observés à la faveur d'alternances locales. Les exemples abondent après chaque élection. Il suffit de citer le cas picto-charentais en 2015, quand le nouvel exécutif a constaté qu'il y avait eu un excès de reports de crédits et 40 millions d'emprunts supérieurs aux besoins. Quand je pense que Ségolène Royal voulait créer un observatoire des engagements pour les citoyens ! Lorsqu'elle proclamait qu'un euro dépensé était un euro utile, il fallait entendre : « un euro dépensé est un euro dissimulé » !

Les chambres régionales des comptes remplissent en général leurs missions, mais arrivent trop tard, quand le mal est fait. Ces nouvelles dispositions sur l'obligation d'information sont utiles mais n'empêcheront pas les tours de passe-passe.

Cette proposition de loi rend les contrôles préventifs plus systématiques -  tous les six ans, tous les deux ans ou tous les ans, selon la taille des collectivités territoriales  - et elle soumet les élus locaux à la juridiction de la cour de discipline budgétaire et financière.

Ces mesures sont fortes, très fortes. Mais les moyens humains et budgétaires ne sont pas au rendez-vous, ce qui risque d'alourdir les charges supportées par les chambres régionales des comptes.

Les dérapages sont encore réels, mais ils diminuent. Les chambres régionales des comptes ont donné la preuve de leur grande efficacité. Cela n'a pas empêché M. Malek Boutih de préconiser la suppression de la Cour des comptes puisqu'elle avait osé dénoncer la gabegie de l'écotaxe.

Attendons le résultat de la certification avant d'aller plus loin. (Applaudissements à droite)

Mme Nicole Duranton .  - Merci à Vincent Delahaye et Catherine Di Folco pour leur travail. L'article 47-2 de la Constitution a été cité. L'exigence légitime qu'il formule est en pratique difficile à réaliser. En Seine-Saint-Denis, en Essonne et en Poitou-Charentes, le principe d'annualité budgétaire a été contourné par l'abus des reports.

L'augmentation des contrôles me laisse dubitative, surtout en l'absence de moyens supplémentaires. C'est pourquoi je soutiens le renvoi en commission. Il conviendrait de mieux évaluer l'impact de cette proposition de loi sur la charge du travail des chambres régionales des comptes et de la cour de discipline budgétaire et financière.

Le rôle et les compétences de cette dernière est une autre pierre d'achoppement. Traiter différemment les élus locaux et les autres ordonnateurs semble délicat. En revanche, il faut vraiment réformer le fonctionnement de la cour de discipline budgétaire et financière, qui manque de visibilité et d'efficacité. Philippe Séguin proposait déjà, en 2008, de la rattacher à la Cour des comptes.

De plus, la procédure de contrôle des chambres régionales des comptes reste inadaptée : elle peut durer trois voire quatre ans, ce qui risque de désorganiser une collectivité. Les contrôles aléatoires mobilisent des ressources considérables. Attendons enfin le rapport sur la certification des comptes des collectivités territoriales, qui sera remis en 2018, avant d'aller plus loin. (Applaudissements à droite)

M. Jean-François Husson .  - Cette proposition de loi est l'occasion d'examiner les moyens de faire respecter l'article 47-2 de la Constitution, afin d'éviter que certaines situations se reproduisent... Sage objectif, assurément.

Les collectivités territoriales doivent gérer les deniers publics de manière saine : c'est la garantie du pacte social. Mais les travaux de certification sont en cours : n'est-il pas prématuré de prévoir un contrôle du respect de l'annualité budgétaire avant que ne soit remis le rapport de l'expérimentation ?

Il y a trois mois, le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution l'exemption des élus locaux du contrôle de la cour de discipline budgétaire et financière. Ne cédons pas à la défiance généralisée de nos concitoyens envers les élus ! Les collectivités territoriales ont vu leur dotation baisser de près de 27 milliards d'euros sur le quinquennat et sont parfois confrontées à de graves difficultés financières. Il n'est pas question d'excuser les abus mais d'expliquer que certaines collectivités ont eu l'impression d'être laissées pour compte dans une impasse budgétaire.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - Vous y allez un peu fort.

M. Jean-François Husson.  - La Cour des comptes a déjà relevé une certaine méconnaissance ou incompréhension par les collectivités territoriales des règles applicables en matière de présentation et de gestion de leurs comptes. Il y a là, assurément, une marge de progression. C'est un travail minutieux que la commission des lois est invitée à fournir.

Le rapport de juillet 2015 de la délégation aux collectivités territoriales a montré que celles-ci voulaient un étalement dans le temps des baisses de dotation.

Puissent toutes ces propositions s'inscrire dans un véhicule présenté ultérieurement. (Applaudissements à droite)

M. le président.  - Vu la règle des quatre heures, je devrai interrompre ce débat dans vingt minutes au plus tard.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État .  - Je ne répondrai donc pas à toutes les provocations.

Certains ont évoqué les emprunts toxiques. Au nom de quoi un préfet ou un comptable aurait-il pu s'y opposer ? Nous présenterons bientôt un bilan de l'assainissement de l'endettement des collectivités territoriales, mais je veux insister : c'est un tout autre sujet.

La discussion générale est close.

Renvoi en commission

M. le président.  - Motion n°1, présentée par Mme Di Folco, au nom de la commission.

En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, la proposition de loi visant à assurer la sincérité et la fiabilité des comptes des collectivités territoriales (n°131, 2016-2017).

Mme Catherine Di Folco, rapporteur.  - Je l'ai défendue. Il y a trois arguments : l'articulation avec l'annualité, la question des moyens pour appliquer ce dispositif, les interrogations sur la cour de discipline budgétaire et financière.

La motion tendant au renvoi en commission est adoptée.

M. le président.  - En conséquence, la proposition de loi est renvoyée en commission.

Prochaine séance, aujourd'hui, jeudi 23 février 2017, à 10 heures.

La séance est levée à minuit cinq.

Marc Lebiez

Direction des comptes rendus