Quelles perspectives pour les études de médecine ?

Mme le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur les perspectives pour les études de médecine, à la demande du groupe RDSE.

Nous sommes dans un espace réservé qui s'achèvera à 20 h 21 précises. Je ne puis vous garantir que chacun aura la possibilité de prendre la parole.

Mme Véronique Guillotin, pour le groupe RDSE .  - La médecine, la répartition territoriale des praticiens et l'avenir de notre système de santé sont devenus un sujet de société, une question récurrente dans nos débats. La santé est dorénavant l'une des premières préoccupations des Français.

Le Gouvernement a lancé la réforme des études en médecine, question fondamentale. Elle intervient alors que l'on observe de grandes difficultés d'accès aux soins, la désaffection des praticiens et le mal-être des étudiants. Confrontés au double carcan du numerus clausus en fin de première année et des Épreuves classantes nationales (ECN) clôturant le deuxième cycle, les étudiants en santé sont soumis à des conditions de vie dégradées comme l'a souligné dans son rapport le professeur Diot. Une vaste enquête, menée en 2017 par l'Association nationale des étudiants en médecine de France le confirme : plus de deux tiers des carabins présentent des symptômes anxieux, un tiers des symptômes dépressifs et un quart des idées suicidaires, avec des passages à l'acte malheureusement trop élevés. La moitié a songé à arrêter ses études. Cursus très sélectif, charge de travail excessive, confrontation à la maladie et à la mort, pratiques de management inappropriées : ce malaise doit être entendu. Nous saluons les engagements que les ministres de la santé et de l'enseignement supérieur ont pris le 3 avril dernier, en réponse au rapport du docteur Donata Marra.

L'outil de régulation qu'est le numerus clausus montre ses limites : inefficace sur la répartition territoriale, son inertie est grande ; il est contourné par les médecins étrangers ou français qui ont étudié la médecine à l'étranger ; enfin, le taux d'échec sans alternative qu'il engendre est inacceptable. Mais la suppression du numerus clausus ne résoudra pas à elle seule les questions d'accès aux soins. Le nombre de médecins en France n'a jamais été aussi élevé : 215 000, soit une hausse de 92 % depuis 1979. Supprimer le redoublement en première année, favoriser les solutions alternatives dans un parcours LMD, voilà des pistes pour diversifier les profils et éviter le gâchis de la Première année commune des études de santé (PACES).

L'avenir des médecins est trop souvent contraint par le classement à l'ECN. La transformation des diplômes d'études spécialisées complémentaires en DES a renforcé cette rigidité. Après le fiasco de l'ECN 2017, le président de la Conférence des doyens de médecine a préconisé sa suppression, en demandant que l'on privilégie le contrôle continu et que l'on introduise une modulation régionale adaptée aux besoins des territoires et aux capacités de formation des universités.

Enfin, le contenu pédagogique. Une plus grande professionnalisation dès le deuxième cycle, davantage de porosité entre les différentes spécialités ainsi que des passerelles au cours des études et de la carrière sont également des mesures à envisager. L'apprentissage du travail en équipe peut passer par l'universitarisation des formations en santé : tous ensemble sur les bancs de l'université, les étudiants pourront apprendre à coopérer, notamment dans le cadre de temps de formation communs. Autre souhait partagé, inciter les étudiants à effectuer plus de stages d'externat, et dès le deuxième cycle en dehors des CHU, dans les hôpitaux périphériques, en maison ou pôle de santé, dans le privé comme dans le public, pour toutes les spécialités. La formation est encore trop hospitalo-centrée et CHU-centrée. Nous saluons les mesures qui ont été prises en ce sens pour le troisième cycle, mais il faudra aller plus loin.

Mais le médecin de demain, c'est aussi celui qui sait tirer profit des avancées technologiques. Les formations doivent intégrer de nouveaux outils tels que l'e-santé et les apports de l'intelligence artificielle. La France, qui se veut en pointe sur ces domaines, doit laisser toute sa place à l'innovation organisationnelle et technologique.

Pour finir, l'origine sociale et territoriale des étudiants en médecine. Pour l'année 2013-2014, quatre étudiants sur dix inscrits en PACES venaient de milieux favorisés. Un enfant de cadre a deux fois et demie plus de chances d'intégrer la deuxième année qu'un enfant d'ouvrier. Ce manque de diversité a des conséquences majeures. Le Centre-Val de Loire expérimente le « parcours ambition PACES » pour susciter des vocations chez des élèves provenant de quatorze lycées ruraux en faisant le pari qu'une partie de ces futurs médecins s'installeront dans leur territoire d'origine. Et le bénéfice est double puisqu'il renforce l'égalité des chances. Je ne crois pas que la coercition soit une solution, les incitations financières ont aussi leurs limites. Les jeunes médecins cherchent avant tout un projet pluriprofessionnel, compatible avec un projet familial dans un territoire où ils se sentent bien. Les collectivités territoriales ont un rôle à jouer, en expérimentant des solutions sur leur territoire.

Pour finir, trois propositions : la création d'un service civil, qui permettrait à des étudiants en fin de cursus, sur la base du volontariat, de renforcer la présence médicale dans des territoires sous-dotés ; création de médecins assistants territoriaux, à l'image de ce qui se fait déjà à l'hôpital ; et, enfin, la généralisation dans les territoires en difficulté des postes de médecins adjoints occupés par des étudiants de troisième cycle.

Quoi qu'il en soit, il faut refonder les études médicales pour les adapter aux enjeux de notre système de santé. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE et sur quelques bancs du groupe UC)

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé .  - Dès notre arrivée en juillet, Mme Vidal et moi-même nous sommes préoccupées de la réforme des études de médecine. En octobre dernier, je présentais, avec le Premier ministre, un plan d'action pour l'accès territorial aux soins. Changement de paradigme, l'installation d'un médecin n'y est plus le seul levier actionné pour projeter du temps médical dans les zones en tension.

Les stages en ville, que ce soit en cabinet, en maison ou en centres de santé, sont essentiels pour en finir avec l'hospitalo-centrisme. La rémunération des maîtres de stage sera bonifiée de 300 euros par mois en zone peu dense. Des procédures sont en cours pour faciliter l'agrément des maîtres de stage.

Pour assurer une pérennité géographique entre la formation et l'exercice, nous mettons en place une prime de 200 euros par mois pour aider les internes à trouver un hébergement en zone peu dense.

Nous avons également annoncé, dans le cadre de ce plan, la création de 300 postes « d'assistants partagés ambulatoires » dans les zones sous-denses.

Enfin, je souhaite que l'on étende aux zones sous-denses la possibilité de donner le statut de médecin adjoint aux étudiants en médecine remplissant les conditions pour obtenir une licence de remplacement.

La réflexion sur les études de médecine ne peut faire l'économie d'un changement de vision sur le numerus clausus, la PACES et l'ECN. Le numerus clausus a doublé en quinze ans mais il est contourné au niveau européen et engendre un gâchis humain ; enfin, il induit une hiérarchisation des professionnels de santé. Une réflexion a été lancée, elle sera sans tabou. Les premières propositions seront présentées fin mai.

La PACES, mise en place en 2009, a échoué à traiter les échecs en première année de médecine. D'où les expérimentations ouvertes par la loi de juillet 2013 pour diversifier l'accès aux études médicales, odontologiques, pharmaceutiques et de sage-femme. Parce que cela nécessite du temps, la loi du 8 mars 2018 les a prolongées jusqu'à la fin de l'année universitaire 2021-2022. Elles feront l'objet d'un rapport du Gouvernement au Parlement.

Le second cycle doit être repensé pour sortir de l'écueil des ECN. Une mission confiée au Professeur Jean-Luc Dubois Rande conclue fin décembre 2017 a formulé des propositions structurantes, dont la fin pure et simple des ECN insuffisamment discriminantes et qui favorisent l'apprentissage théorique sans créer de lien entre les compétences et la pratique. J'ai demandé que cela fasse l'objet d'une grande concertation jusqu'à l'automne.

Avec l'évolution de la médecine, la réforme de troisième cycle était devenue nécessaire. Lancée en 2016, elle est toujours en plein déploiement.

La question du bien-être des étudiants est préoccupante. Une enquête du Conseil national de l'ordre des médecins datant de 2014 a montré que 14 % des étudiants ont eu des idées suicidaires. En 2017, une étude menée à l'initiative de syndicats a établi qu'il y avait de nombreuses situations de maltraitance. Nous avons commandé au docteur Donata Marra, avec ma collègue Mme Vidal, un rapport sur le sujet qui met en évidence la multiplicité des facteurs. Nous avons identifié quinze leviers, qui feront l'objet de quinze engagements. Nous prendrons des mesures immédiates de soutien et d'intervention en réaffirmant le refus des pratiques inacceptables et en saisissant les instances disciplinaires si nécessaire, en créant dans toutes les facultés une structure d'accompagnement et en améliorant les conditions de travail des stages par la généralisation des conventions d'accueils des étudiants dans les établissements de santé. Nous devons également poursuivre la transformation globale des études de santé les centrant sur les compétences à acquérir pour sortir d'une logique de compétition et assurer des passerelles de sortie avec validation des acquis pour tous les étudiants en santé.

Ces chantiers, déjà engagés, doivent maintenant s'articuler les uns avec les autres. Les futurs professionnels de santé sont une richesse pour notre pays, à nous de leur offrir les conditions d'étude qu'ils méritent. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)

M. Bernard Delcros .  - Les études de médecine doivent former de bons médecins dans tous les territoires. La première partie du contrat est remplie mais pas la seconde. Certains territoires sont au bord de la rupture : près de 20 % des personnes qui vivent dans une commune sous-dotée en médecin généraliste sont éloignées de plus de 30 minutes d'un service d'urgence. Ne faut-il pas prendre en compte cette réalité dans la formation, en proposant par exemple une forme de service civique dans les zones sous-dotées ? Il est urgent de stopper la spirale de la désertification médicale. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE ; Mme Sylvie Goy-Chavent applaudit aussi.)

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Je l'ai dit, j'ai fait de cette question une priorité de mon arrivée dès juillet. Commençons par former à la médecine des étudiants qui viennent de ces territoires. Pour cela, nous avons facilité les recrutements hors des facultés de médecine, situées dans les grandes villes. J'ai détaillé, dans mon intervention, les mesures pour un meilleur accès territorial aux soins ; je veux insister sur le déploiement des stages hors de l'hôpital. La découverte des territoires doit être un impératif pour les professionnels de santé.

Mme Marie-Pierre Monier .  - Pas moins de 2,5 millions de Français vivent dans un désert médical. La formation et les stages sont cruciaux pour endiguer la baisse de la présence médicale. Il faut prendre en compte le malade dans sa globalité et inciter les étudiants aux pratiques spécifiques des territoires ruraux.

À Buis-les-Baronnies, dans la Drôme, les stagiaires sont logés à titre gracieux par l'hôpital local où exerce leur maître de stage. Problème, la faculté ne reconnaît par leur stage comme « validant » parce qu'il s'agit d'un hôpital local. Madame la Ministre, quel rôle souhaitez-vous donner aux hôpitaux locaux dans les études de médecine ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Nous développons les capacités de formation des étudiants, externes comme internes, dans les zones sous-dotées. L'hôpital local sera un lieu de formation. En témoigne la création de 300 postes « d'assistants partagés ambulatoires » entre la ville et l'hôpital dans les zones sous-dotées.

Mme Samia Ghali .  - Le rapport du docteur Donata Marra sur la qualité de vie des étudiants en médecine a été rendu public cette semaine. Le temps de travail des internes est au coeur du malaise des étudiants - il peut atteindre 90 heures par semaine. L'ordre des médecins parle de burn-out sévère pour deux étudiants sur trois. Il revient à l'État de les protéger. Il faut des mesures incitatives mais aussi coercitives, des dispositifs de régulation du temps de travail en privilégiant la récupération des heures supplémentaires et des contrôles inopinés par l'ARS.

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Les internes sont à la fois des étudiants en troisième cycle et des agents publics rattachés à un CHU. Leurs obligations sont de dix journées et demie par semaine, contre onze et demie avant 2015. En 2016, les représentants des internes ont demandé une reconnaissance du temps de travail additionnel réalisé. Des discussions sont en cours, nous sommes très attentifs à leur évolution. Nous avons demandé aux hôpitaux la plus grande vigilance sur le temps de travail effectif des internes.

M. Jean-Claude Requier .  - Les politiques menées depuis vingt ans ont été inefficaces. La commission du développement durable le constatait dès 2013 et proposait des évolutions. Comment redonner vie à notre ruralité qui refuse de mourir quand la réforme des études en médecine ne déploiera ses effets que dans dix ans ? Le professeur Patrice Diot, doyen de la faculté de Tours, propose des mesures transitoires d'urgence, dont un service civil médical. Qu'en pensez-vous ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE ; M. Hervé Maurey et Mme Sylvie Goy Chavent applaudissent aussi.)

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - la baisse de la démographie médicale n'a pas été anticipée pas plus que l'évolution des pratiques. Face à cette situation, la solution ne peut pas être d'installer un médecin dans chaque commune. Il faut mieux coordonner les professionnels entre eux et développer les délégations de tâches. Le suivi du diabète et de l'hypertension artérielle peut très bien être assuré par des infirmiers.

Un service civique allongerait de deux ans le temps de formation des médecins qui terminent leurs études entre 30 et 35 ans. Réfléchissons plutôt à une meilleure coopération et organisation territoriale et à la façon de dégager du temps médical par la télémédecine.

Mme Chantal Deseyne .  - L'augmentation du numerus clausus national ces dernières années n'a pas eu d'effet sur la répartition des médecins sur le territoire. Au demeurant, le Centre-Val de Loire paraît peu doté avec 15 places pour 100 000 habitants contre 30 pour le Limousin. Elle fait figure de désert médical avec ses 281 médecins pour 100 000 habitants en 2016, contre 421 en moyenne au niveau national.

Madame la Ministre, votre plan ne comporte aucune obligation de localiser les stages en zone sous-dense. L'Eure-et-Loir a expérimenté avec succès le statut de médecin adjoint. Pourquoi ne pas le généraliser et développer les stages en conséquence ?

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Nous développons de façon proactive les stages dans les maisons de santé pluriprofessionnelles et les cabinets d'exercice libéral. Le problème du logement fait renoncer certains étudiants à les effectuer en zone sous-dense. Le numerus clausus a presque doublé ces six dernières années : nous formons 8 700 étudiants chaque année. Votre proposition sur le statut de médecin adjoint est déjà mise en oeuvre. Les ARS sélectionnent désormais les offres de stage avec les doyens et nous avons créé des aides financières pour l'hébergement des étudiants.

M. Abdallah Hassani .  - Le président de la République visitait ce matin le CHU de Rouen. La démographie médicale de notre pays évolue. Un plan a été annoncé. Je crois peu à des mesures coercitives quand les études sont longues, le métier est difficile. Ouvrir le numerus clausus n'est pas forcément la panacée. Les études de médecine sont trop concentrées sur l'hôpital et la pratique en ville négligée. La communauté médicale au premier rang de la prise en charge de la souffrance au travail connaît le burn-out. Quelle ironie ! Quelles sont vos propositions, Madame la Ministre, pour décloisonner l'hôpital et la médecine de ville dès la formation ?

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Nous souhaitions diversifier l'offre de stage dès le deuxième cycle. Mme Vidal et moi-même avons mis en place le service sanitaire qui sera opérationnel dès septembre prochain. Les jeunes médecins feront de la prévention dans des territoires où peu de médecins interviennent. Nous créons 300 postes d'assistants partagés. Nous facilitons aussi la diversification des lieux de stage avec une bonification pour les maîtres de stage en zone sous-dense.

Mme Laurence Cohen .  - Il y a un paradoxe : les déserts médicaux s'étendent. Le candidat Macron s'était engagé à modifier le numerus clausus. Pourquoi ne pas le supprimer tout bonnement ?

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - La suppression du numerus clausus n'est pas la réponse aux déserts médicaux. Nous formons deux fois plus de médecins qu'il y a six ans. Si nous ouvrons le numerus clausus, les médecins formés en 2018 seront opérationnels en 2030-2035, moment où il y aura déjà beaucoup de médecins.

La question est plutôt celle des compétences que nous voulons attirer en médecine. Actuellement, la sélection, normative, porte essentiellement sur les matières scientifiques. Il nous faut aussi réfléchir aux besoins de demain : l'intelligence artificielle bouleversera l'imagerie médicale. Bref, il faut anticiper pour ne pas reproduire la situation que nous connaissons aujourd'hui.

Mme Laurence Cohen.  - Bien sûr, il faut diversifier les compétences. Cependant, la question du numerus clausus continue de se poser : trop d'étudiants échouent en première année, qu'il s'agisse des médecins ou des orthophonistes. Renforcer les maîtres de stage suppose de donner des moyens aux universités. Si l'on veut plus de lieux de stage pour les étudiants, il faut arrêter de fermer les hôpitaux. Enfin, le service sanitaire obligatoire ne consiste-t-il pas à demander aux jeunes de faire du bénévolat ?

M. Hervé Maurey .  - Dès 2013, nous demandions une réforme des études de médecine, la modification des critères de sélection pour favoriser la mixité sociale, la diversification des enseignements pour y introduire des cours utiles à l'installation libérale et un stage obligatoire en médecine générale. Nous proposions aussi de réformer les ECN : que des QCM déterminent l'avenir des étudiants sans prendre en compte leurs résultats aux examens antérieurs et leur bilan de stages est absurde. Un écart d'un dixième de point modifie de plusieurs milliers de places le classement des étudiants, rendez-vous compte ! Madame la Ministre, modifierez-vous ce système ? Comment fonctionneront les hôpitaux s'ils accueillent moins d'externes ? Un externe ne touche que 100 euros par mois pour un mi-temps...

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Nous avons augmenté le numerus clausus. Nous devons former 8 700 étudiants alors que les hôpitaux avaient l'habitude d'en former 4 000 par an. Les hôpitaux ont, eux aussi, tout intérêt à la diversification des lieux de stage. Nous avons créé 500 nouveaux lieux de stage en zones sous-denses.

M. Joël Guerriau .  - La densité des médecins libéraux en France est l'une des plus faibles d'Europe. Elle devrait encore baisser de 30 % entre 2018 et 2028. Cela inquiète quand pas moins de 5 millions de Français auront 85 ans et plus en 2050. Les médecins doivent rester au centre du système de santé : ils ne peuvent être remplacés par des infirmiers, dont la collaboration leur est très précieuse. Madame la Ministre, pourquoi ne pas augmenter de 10 % le numerus clausus dans les territoires qui sont dans le besoin ?

Pourquoi ne pas mettre en place des stages dès la deuxième ou troisième années ? Ou porter la durée des stages à dix semaines en quatrième et cinquième années ? Ou encore d'augmenter le nombre de maîtres de stage mieux rémunérés ?

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Beaucoup de vos propositions figurent déjà dans le plan d'accès aux soins. La territorialisation n'a du sens qu'au niveau des ECN lorsque les étudiants ont une trentaine d'années et souhaitent s'installer. L'ECN interrégional est une piste. Les études montrent que les médecins ne s'installent pas dans les lieux où ils ont fait leur PACES, mais plutôt dans ceux où ils ont été formés en tant qu'internes

M. Guillaume Arnell .  - La réforme du troisième cycle devait résoudre les problèmes posés par l'internat. Mise en oeuvre à la rentrée 2017, elle a supprimé le Diplôme d'études spécialisées complémentaires (DESC) qui permettait aux médecins de revendiquer une double spécialisation. Cela pose problème, notamment pour la médecine d'urgence qui est devenue une spécialité à part entière, ce qui a supprimé les passerelles avec la médecine générale. Or la carrière d'un médecin urgentiste ne dure en moyenne que sept ans. Ne risque-t-on pas de perdre des vocations de la part de ceux qui ne comptaient exercer aux urgences que quelques années ?

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - J'ai déjà répondu à certaines de vos propositions. Le DES de médecine d'urgence a été réclamé par les urgentistes eux-mêmes, afin de faire reconnaître leur spécialité. Nous avons augmenté le nombre de postes d'internes en médecine d'urgence et 100 % d'entre eux ont été pourvus. La loi de modernisation du système de santé ouvre à tous les médecins la possibilité d'accéder à un deuxième DES. Le décret du 12 avril 2017 organise ce dispositif à partir de la rentrée universitaire 2021.

M. Jean-François Rapin .  - Fin février, vous avez présenté le dispositif de service sanitaire dans le cadre de votre plan de prévention. Il s'appuiera sur des données d'expérience. De nombreux dispositifs de prévention ont déjà échoué. Celui que vous proposez est remarquable. Des questions subsistent. Il est prévu de ne pas alourdir la charge des étudiants. Que supprimera-t-on d'inutile dans les études médicales pour y substituer le service sanitaire ?

Il faudra avancer la date des stages hospitaliers, dès la deuxième année, pour mettre en place ce dispositif, ce qui suppose que ces étudiants bénéficient dès lors du statut d'étudiants hospitaliers.

Les frais de déplacement seront-ils remboursés ? Enfin, y aura-t-il une évaluation ?

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - L'objectif est que les étudiants intègrent complètement la prévention et l'éducation à la santé dans leur pratique, car ils ne sont pas assez formés actuellement dans ce domaine qui a toujours été pensé à l'extérieur du système de soins. Cela va changer : toute une génération de professionnels de santé aura été formée et conservera cette compétence.

Second objectif : développer l'éducation à la prévention dans les collèges.

Le dispositif prévoit trois mois pendant le cursus, qui remplaceront un stage, donneront lieu à l'élaboration d'un projet puis à un temps d'évaluation par des médecins.

Nous souhaitons que ce dispositif soit de formation individuelle et collective de professionnels qui seront amenés à travailler ensemble. Le remboursement des frais de déplacement est prévu et le budget correspondant programmé. Pour l'instant, le dispositif ne concerne que 40 000 étudiants. Nous souhaitons qu'il s'élargisse à 50 000 étudiants.

M. Antoine Karam .  - La répartition des quelque 290 000 médecins inscrits à l'ordre est très inégale. Les outre-mer sont très touchés par la désertification médicale et particulièrement la Guyane, dont les indicateurs de santé montrent une situation sanitaire très préoccupante.

Le sous-développement en matière d'infrastructures explique ce retard. Les études de médecine sont un enjeu de poids. Nous disposons d'une université de plein exercice depuis janvier 2015, mais seule la PACES est dispensée, et reste rattachée à l'université des Antilles, et encore, faute d'enseignants, l'essentiel des cours est-il en visioconférence ou sur supports vidéo.

La Guyane ne disposait que de 12 places en médecine en 2018. Comment développer les études de médecine dans ce territoire ?

Ne faudrait-il pas ouvrir le numerus clausus pour que nos étudiants poursuivent leurs études de deuxième et troisième cycles sur le territoire guyanais ? Ne faudrait-il pas créer à cette fin une faculté de médecine de plein exercice ?

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Je comprends votre préoccupation. Nous favorisons l'accueil en stage des étudiants des deuxième et troisième cycles dans les services hospitaliers de Guyane. Nous avons créé cent postes d'assistants pour une durée de six mois à deux ans en outre-mer, dont la Guyane, qui sera prioritaire.

Nous n'avons pas aujourd'hui les ressources hospitalo-universitaires nécessaires pour créer un CHU supplémentaire en Guyane.

En revanche, nous pouvons renforcer l'attractivité du territoire au moyen notamment de la création des postes d'assistants que j'ai évoquée.

M. Pierre Ouzoulias .  - La première année d'étude de médecine est une catastrophe humaine et pédagogique, qui a des conséquences terribles pour la santé des étudiants. Pas moins de 70 % d'entre eux souffrent de symptômes dépressifs. Leur consommation d'anxiolytiques et de drogues est très élevée. Sous la pression de cette hyper-sélection, une grande majorité d'étudiants achètent les services d'officines privées pour 4 000 à 5 000 euros. C'est une forme de sélection sociale. La loi sur la réussite des étudiants...

M. Jacques Grosperrin.  - Une bonne loi !

M. Pierre Ouzoulias.  - ... a ignoré cet immense gâchis en dépit de ses objectifs proclamés. Pourquoi ?

Les étudiants viennent à 80 % de la série S et le taux d'échec est patent. La forme d'organisation de la PACES n'est-elle pas une anticipation de ce que seront les études universitaires à l'issue de votre réforme ?

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Nous travaillons au contraire contre ces inégalités. Votre propos est à l'inverse de tout ce que je viens d'annoncer : diversification des profils, arrêt de ce concours butoir, nouvelles expérimentations dans les facultés, permises par la loi dite « ESR » et que nous avons prolongées jusqu'en 2021, etc.

M. Pierre Ouzoulias.  - Pourquoi ne pas l'avoir fait dans la loi que nous venons de voter ?

M. Yves Daudigny .  - Le nombre de stages est limité par certains verrous réglementaires, administratifs et financiers. Pourquoi ne pas considérer, dans les zones sous-denses, les médecins généralistes volontaires y exerçant comme des maîtres de stage ?

L'Aisne se situe à la frontière entre les régions Hauts-de-France et Grand-Est. Certains étudiants sont géographiquement proches du CHU de Reims mais relèvent d'une autre région administrative, ce qui les empêche de s'y inscrire. Comment résoudre ce problème qui heurte le bon sens ?

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Aucun obstacle administratif ne s'oppose à cette interrégionalité. Nous avons d'ailleurs déjà donné des instructions sur ce sujet.

Mme Catherine Deroche .  - Une réforme de la PACES est annoncée. Quelle sera-t-elle ? Comment se passera l'année de transition ? Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Mme le président. - Merci pour votre concision.

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Je ne peux présenter encore le contenu de la réforme car une mission de réflexion vient d'être lancée et confiée à M. Antoine Tesnière, vice-doyen de la faculté de Paris V et à la députée Stéphanie Rist, praticien hospitalier.

L'enjeu est de diversifier les parcours, d'éviter les sorties sèches en cas d'échec, de faciliter les réorientations, les passerelles, etc.

Vous comprendrez que je ne puisse m'engager à ce stade alors que les consultations qui doivent durer jusqu'à la fin de l'année viennent de débuter. Toutes les options sont à l'étude pour définir un schéma d'études de médecine qui corresponde aux besoins de la société et aux aspirations des étudiants.

Mme le président.  - Il est 20 h 21. Je suis contrainte de lever la séance. J'en suis désolée pour les trois inscrits qui n'ont pu s'exprimer, MM. Olivier Paccaud, Jacques Grosperrin et Bernard Bonne. Il revient à la Conférence des présidents de décider de l'éventuelle inscription de la suite de ce débat à l'ordre du jour lors d'une séance ultérieure.

Les conclusions de la Conférence des présidents sont adoptées.

Prochaine séance, mardi 10 avril 2018, à 14 h 30.

La séance est levée à 20 h 25.

Jean-Luc Blouet

Direction des comptes rendus