Protection des savoir-faire et des informations commerciales (Procédure accélérée - Suite)

Discussion générale (Suite)

M. Christophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois .  - Dans un rapport d'information de 2015, M. Michel Delebarre et moi-même relevions les risques résultant de la confrontation entre notre système juridique et le système anglo-saxon. Les innovations comme le savoir-faire des entreprises françaises apparaissaient vulnérables, faute d'un régime efficace de protection du secret des affaires. Ce constat demeure malheureusement toujours valable.

Avec cette proposition de loi, nous pourrons surmonter une difficulté majeure : une entreprise française pourra enfin opposer la confidentialité des avis juridiques internes de ses juristes, comme ses concurrentes anglo-saxonnes. Je déplore qu'il ait fallu attendre la transposition d'une directive, de surcroît à la fin du délai de transposition, pour nous doter d'un régime de protection légale du secret des affaires que nous avons à examiner dans des délais extrêmement brefs. Protéger le secret des affaires ne signifie pas ignorer le rôle des journalistes, des lanceurs d'alerte ou encore des représentants des salariés dans l'information de la société civile. Un équilibre doit être trouvé entre des exigences également légitimes.

Dans certains domaines bien circonscrits, le droit français ne connaît que la notion traditionnelle de secret industriel et commercial, et, dans de rares cas, la notion de secret des affaires. Quelques dispositifs épars et sectoriels ne constituent pas une protection générale. Il manque à la législation française un dispositif général et transversal garantissant une vraie protection des informations confidentielles détenues par les entreprises françaises.

Le constat est partagé. En novembre 2011, le député Bernard Carayon, que j'ai auditionné, déposait une proposition de loi visant à sanctionner la violation du secret des affaires, adoptée par l'Assemblée nationale en janvier 2012. Ce texte est demeuré sans suite devant notre assemblée. En 2014, M. Jean-Jacques Urvoas, alors président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, présentait une proposition de loi relative à la protection du secret des affaires, comportant, elle, un volet civil et un volet pénal. Quelques mois plus tard, l'Assemblée nationale introduisait les dispositions de cette proposition de loi dans la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, en première lecture, au stade de la commission, avant de les retirer dès la discussion en séance, au vu de la vive controverse médiatique qu'elles suscitaient. La situation a changé, nous avons à transposer une directive.

Votre commission des lois a adopté 24 amendements et, tirant les conséquences de ces modifications ainsi que des ajouts des députés, renommé le texte « proposition de loi relative à la protection du secret des affaires ». Par souci de conformité à la directive, nous avons distingué les notions de détenteur légitime et d'obtention licite du secret des affaires ; caractérisé l'obtention illicite d'un secret par un accès non autorisé à un support contenant le secret, non par une interdiction d'accès ou le contournement d'une mesure de protection du secret. Votre commission a également prévu que l'information protégée sera celle qui a une valeur économique, et non pas seulement commerciale. Elle a veillé à la clarté et à la cohérence du texte, en prévoyant les règles de prescription en matière d'action civile pour atteinte au secret des affaires et en harmonisant les règles d'évaluation des préjudices avec celles prévues en matière de propriété industrielle et de contrefaçon. Nous avons supprimé le mécanisme d'amende civile, qui méconnaissait le principe constitutionnel de proportionnalité des peines.

Votre commission a approuvé les exceptions au secret des affaires ouvertes au bénéfice des journalistes, des lanceurs d'alerte et des représentants des salariés, au nom de la liberté d'expression et d'information. J'ai retiré mon amendement sur les journalistes qui pouvaient susciter des incompréhensions. Nous avons distingué plus clairement l'existence d'un double régime des lanceurs alerte, celui issu de la directive et celui instauré en 2016 par le législateur français, plus protecteur.

Parce que toutes les hypothèses de violation du secret des affaires à des fins purement économiques ne sont pas prises en compte dans notre droit, nous avons créé un délit de détournement d'une information économique protégée. Les peines encourues seront les mêmes que pour l'abus de confiance : trois ans d'emprisonnement et 375 000 euros d'amende. Les journalistes, lanceurs d'alerte et représentants des autorités sont clairement exclus du champ de ce délit, nécessaire parce que l'action civile ne représente pas une menace suffisamment dissuasive.

Voilà le texte que la commission des lois vous propose d'adopter sous un nouvel intitulé. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)

M. Philippe Bonnecarrère, au nom de la commission des affaires européennes .  - La commission des affaires européennes, à l'unanimité, a donné un avis favorable à ce texte dans la version issue des travaux du Parlement européen et ceux de l'Assemblée nationale, sans s'interdire des améliorations de détails. D'abord, parce que ce texte a une histoire. En 2010 et 2011 ont eu lieu les études préparatoires à la directive, l'enjeu était la protection des actifs immatériels des entreprises ; en 2011-2012, les consultations publiques ; en 2014, l'examen au Parlement européen ; en 2015 l'adoption par le Parlement européen ; enfin, en 2018, l'examen du texte de transposition par l'Assemblée nationale. Le Sénat a travaillé en amont cette directive par l'intermédiaire de sa commission des affaires européennes. Nous avons relevé une transposition de bonne facture : minimale et rigoureuse mais veillant au respect des droits fondamentaux, de l'intérêt général et, à l'initiative de l'Assemblée nationale, de la Charte de l'environnement.

Tout est question de juste milieu, et pas seulement pour les centristes. Je me permets de vous inviter à une grande mesure dans la créativité législative. Ce texte doit garder jusqu'au bout son équilibre. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et LaREM, ainsi que sur quelques bancs du groupe RDSE)

Question préalable

M. le président.  - Motion n°1, présentée par M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, portant transposition de la directive (UE) 2016/943 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites.

M. Éric Bocquet .  - Quel exploit ! Cette proposition de loi présentée, déposée le 19 février dernier, a fait l'objet d'une procédure accélérée déclarée le 21 février pour être expédiée au Conseil d'État ; présentée à l'Assemblée nationale le 22 mars, elle y est adoptée le 28 pour venir dans notre Haute Assemblée où elle doit être votée le 19 avril. Deux mois, montre en main ! Notre proposition de loi sur la revalorisation des pensions agricoles, elle, est toujours en instance.

M. Roland Courteau.  - Hélas !

M. Éric Bocquet.  - Sur la forme, cette proposition de loi constitue un faux-nez utile pour éviter un projet de loi qui aurait eu davantage d'écho médiatique.

Mme Michelle Gréaume.  - Exact !

M. Éric Bocquet.  - Qu'est cette directive qui a recueilli contre elle 550 000 signatures à l'initiative de la journaliste Élise Lucet et 330 000 à l'initiative de Pollinis, Attac ou encore la Ligue des droits de l'homme ? Elle a été écrite sous la dictée des multinationales, symbole du fléau qu'est le lobbying, fût-il déclaré et encadré, dans lequel le monde nouveau voit une représentation de la société civile. La Commission européenne propose ni plus ni moins que d'accorder la priorité au secret des affaires, une notion floue définie tautologiquement.

Cette proposition de loi va à contre-courant du sens de l'histoire. Depuis la crise financière de 2008, la transparence s'impose partout. Et on l'arrêterait aux portes de l'entreprise ?

Le droit français ne protègerait pas suffisamment le secret des affaires ? L'absence d'étude d'impact nous empêche d'avoir une idée précise sur ce point. C'est tout un symbole du passage en force. Raphaël Gauvain, l'auteur du texte, évoque un vide juridique ; notre pays est pourtant doté d'un droit de la propriété individuelle sur lequel se fonde l'action que mènent nos services douaniers. Et, à lire l'article 3 qui toilette une dizaine de codes, le vide juridique est bien rempli ! C'est bien la volonté de faire primer le secret des affaires qui est au fondement de ce texte, une notion qui n'est toujours pas précisée aux dépens de la liberté d'information et de l'exercice des droits salariés. Un syndicaliste allemand pourra communiquer des informations à ses homologues belges seulement si cela ne met pas en danger le secret des affaires de leur employeur commun. Sinon, il lui en cuira et ce sera le licenciement pour faute grave. Un secret des affaires défini de manière très large puisqu'il couvre toute information revêtant « une valeur commerciale, effective ou potentielle, parce qu'elle est secrète. » Bon courage aux juges ! Fichiers clients et fournisseurs, informations sur les coûts et les prix, études de marché, le secret des affaires s'imposera, donnant vertu aux méthodes de marketing les plus éculées, les prix de transfert et la possible vente à perte, les marges arrière ou encore le chantage permanent aux fournisseurs.

Cette vision ne correspond nullement à l'intérêt général, mais à celui de quelques grands groupes et de leurs avocats obligés. Au nom du débat démocratique, j'appelle le Sénat à adopter cette motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE et sur plusieurs bancs du groupe SOCR, ainsi que sur quelques bancs du groupe RDSE)

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - Même si l'on peut critiquer les modalités d'examen de ce texte, - proposition de loi, rapidité... - je ferai remarquer que cette motion aurait pour effet de rejeter le texte.

Mme Éliane Assassi.  - C'est le but !

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - Que ferait-on ensuite ?

Mme Éliane Assassi.  - On retravaillerait le texte !

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - Eh bien non, justement, car nous devons respecter le délai de transposition. Et ce n'est pas moi qui ai fixé le calendrier... Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Même avis. Vous parlez de passage en force, Monsieur le Sénateur. Nous connaissons l'histoire du texte : ce n'est pas la première fois qu'il est porté à la connaissance du Parlement. Ce texte articule droits fondamentaux et protection du secret des affaires - une protection qui sera plus longue que celle accordée par le régime de la propriété intellectuelle.

M. Philippe Bonnecarrère.  - Le groupe UC ne votera pas cette motion. Ce texte ne surprend personne : il est en préparation depuis 2010. Monsieur Bocquet, vous qui participez activement aux travaux de la commission des affaires européennes, vous pouvez témoigner que nous avons travaillé depuis 2014 sur ces sujets. Le délai du 9 juin ne laisse guère de temps au Gouvernement.

M. Jacques Bigot.  - Madame la Ministre, vous souhaitez un débat au Parlement pour rassurer ; en même temps - une expression qui est votre slogan, vous l'écourtez. Grâce au véhicule de la proposition de loi, vous évitez l'étude d'impact, alors que le Conseil d'État le dit bien, c'est un texte très technique. Ce texte mérite mieux. La transposition est rigoureuse, fort bien. Cela n'empêche pas que bien des journalistes et des lanceurs d'alerte nous ont alertés. Le groupe socialiste votera cette motion. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)

M. Thani Mohamed Soilihi.  - Les délais sont en effet contraints. Ce n'est pas la première fois - ce ne sera pas la dernière...

M. Michel Savin.  - C'est rassurant ! (Protestations sur les bancs des groupes Les Républicains, CRCE et SOCR)

M. Thani Mohamed Soilihi.  - Le débat est ancien...

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Pourquoi n'avoir rien fait, alors ?

M. Thani Mohamed Soilihi.  - Je souhaite que ce texte puisse être examiné.

M. Joël Labbé.  - Même si les avis au sein du RDSE sont partagés, je suis très sensible aux arguments de M. Bocquet...

M. le président.  - Les explications de vote s'entendent au nom du groupe.

M. Joël Labbé.  - Je voterai cette motion.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Les groupes peuvent avoir un avis partagé !

À la demande du groupe CRCE, la motion tendant à opposer la question préalable est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°93 :

Nombre de votants 338
Nombre de suffrages exprimés 338
Pour l'adoption 95
Contre 243

Le Sénat n'a pas adopté.

Discussion générale (Suite)

M. Thani Mohamed Soilihi .  - La directive européenne du 8 juin 2016 doit être transposée avant le 9 juin 2018. C'est pourquoi le groupe La République en Marche de l'Assemblée nationale a déposé cette proposition de loi et que le Gouvernement a enclenché la procédure accélérée. L'objectif est de mettre la France au niveau de protection des entreprises étrangères, de créer un cadre juridique européen commun et de prévenir l'espionnage économique. Selon la directive, une information relevant du secret d'affaires doit : ne pas être facilement accessible à des personnes extérieures ; revêtir une valeur commerciale en vertu de son caractère secret ; et faire l'objet de mesures de protection raisonnables de la part de l'entreprise. Cette définition est reprise par le présent texte.

Il prévoit également que les entreprises victimes de vols d'informations pourront ester en justice.

Il s'agit aussi de conjuguer la légitime protection du secret des affaires et le respect de la liberté d'informer, et donc de protéger les journalistes, les lanceurs d'alerte et les représentants des salariés.

L'Assemblée nationale a prévu des garde-fous : le secret des affaires ne pourra s'opposer à la liberté d'expression et de communication, y compris la liberté de la presse. Il ne pourra faire obstacle à des enquêtes de journalistes ou servir de fondement à des poursuites judiciaires à l'égard de journalistes. Des actions en justice contre les journalistes ont déjà été lancées - je pense à la décision Conforama contre le magazine Challenges.

Les lanceurs d'alerte sont également protégés. Dommage que la commission des lois ait supprimé la nouvelle amende civile censée dissuader les « procès-bâillon ».

De même, le texte protège les salariés qui transmettent à leurs représentants des informations internes sur leur entreprise, si leur divulgation est nécessaire à l'exercice des fonctions dudit représentant.

Ainsi parvient-il à un équilibre. Au lieu de hiérarchiser les principes fondamentaux, il nous appartient de les articuler.

Le groupe LaREM défendra des amendements pour rétablir l'amende civile ou supprimer l'infraction pénale spéciale réprimant la violation du secret des affaires, que nous jugeons superfétatoire. Nous conditionnerons notre vote à leur adoption, ou du moins à la présence de gages d'équilibre et de proportionnalité.

Mme Jacky Deromedi .  - L'objectif de cette directive est de garantir des réparations au civil dans le marché intérieur en cas d'obtention ou de divulgation illicite d'informations relevant du secret des affaires.

L'enjeu est important dans l'économie du savoir : ne pas protéger nos savoir-faire et nos informations commerciales - capital économique essentiel - nous affaiblit dans la concurrence internationale. C'est pourquoi l'Union européenne entend mieux protéger la propriété intellectuelle avec sa stratégie UE 2020 et harmoniser la définition du secret des affaires et le cadre juridique.

Le droit français doit être modernisé. Depuis la loi dite de blocage du 26 juillet 1968, qui punissait les atteintes aux intérêts économiques essentiels de la France, le droit de la concurrence comme les réalités économiques ont beaucoup évolué. En 1994, l'OMC avait fait un premier pas avec l'accord ADPIC. En 2011, l'initiative de Bernard Carayon visant à mieux protéger le secret des affaires n'avait hélas pas abouti.

La difficulté est de concilier le secret des affaires et les activités d'information du public et de protection de l'intérêt général - surtout depuis les Panama Papers.

Pour y parvenir, la proposition de loi crée une nouvelle section au sein du code de commerce. La notion de secret des affaires est strictement définie. Le texte détermine les détenteurs légitimes et les personnes obtenant connaissance du secret des affaires de manière licite, tout en protégeant les journalistes, les lanceurs d'alerte et les représentants des salariés. Il s'articule utilement avec la loi du 9 décembre 2016 relative à la protection des lanceurs d'alerte.

Des dispositions permettent au juge civil de prévenir, faire cesser et réparer les atteintes au secret des affaires, mais il reste tenu à la confidentialité.

La commission des lois et son rapporteur ont rendu la transposition plus fidèle à la directive et renforcé l'impact du texte sur notre compétitivité.

Le nouveau délit pénal d'espionnage économique sanctionnera les atteintes déloyales à nos intérêts économiques et à ceux de nos entreprises.

Je regrette toutefois la voie retenue : celle d'une proposition de loi, largement rédigée par la Chancellerie, examinée en procédure accélérée et qui nous prive d'une étude d'impact.

Toutefois, le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Jérôme Durain .  - À cause de la procédure accélérée, les délais ont été serrés. Je salue donc le travail de notre rapporteur et des sénateurs qui ont été en première ligne, notamment mes collègues Bigot et Leconte.

Tout l'enjeu est de concilier la protection du secret des affaires et la liberté d'informer. Des manifestations de journalistes et de lanceurs d'alerte ont eu lieu place de la République, des Youtubeurs ont témoigné leur opposition, des pétitions circulent. Et que fait M. Macron ? Il a confié à un député LaREM, ancien avocat d'affaire, le soin de rédiger une proposition de loi... forcément déséquilibrée. Un débat furtif, porté par un parlementaire peu soucieux de rassurer, un calendrier couperet, un texte dont on ne sait s'il bénéficie aussi aux PME et aux start-up : autant de raisons de voter notre motion de renvoi en commission.

Notre amendement n°51 reprend les préconisations de la lettre ouverte adressée au président de la République par d'innombrables lanceurs d'alertes, syndicats, associations, chercheurs, journalistes - dont ceux des Échos et du Figaro - qui demandent de restreindre le champ d'application du secret des affaires aux seuls acteurs économiques concurrentiels.

Monsieur le rapporteur, je vous reconnais clarté et sincérité.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - Merci.

M. Jérôme Durain.  - Mais la suppression de l'amende civile destinée à protéger journalistes et lanceurs d'alerte contre les procédures abusives déséquilibre le texte.

M. Falciani, Mme Lucet, les syndicalistes du Bangladesh, les anonymes qui dénoncent les excès de leur entreprise sont autant de héros de l'information et de la transparence qui méritent notre respect et notre protection.

Ne nous précipitons pas pour adopter un texte qui fait l'unanimité contre lui dans la société civile. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)

M. Dany Wattebled .  - Dans un contexte de compétition économique internationale toujours plus forte, il est indispensable de protéger les informations économiques et les techniques confidentielles de nos entreprises - ce que ne permet pas le code de la propriété intellectuelle.

La directive du 8 juin 2016 permet de combler les lacunes. Je regrette toutefois la voie choisie, celle d'une proposition de loi, sans étude d'impact, examinée en procédure accélérée à quelques semaines de l'expiration du délai.

Je salue les apports de la commission des lois qui a renforcé la conformité du texte à la directive, précisé les notions de détenteur légitime du secret et d'obtention illicite d'informations, assuré la protection des journalistes, des lanceurs d'alerte et des représentants des salariés ou encore supprimé l'amende civile, contraire au principe constitutionnel de proportionnalité des peines.

Elle a renforcé la précision et la cohérence des procédures judiciaires mises en place et assuré l'articulation du texte avec la loi Sapin 2, car la directive ne doit pas remettre en cause le régime français lorsqu'il est plus protecteur. Je salue enfin la création d'un délit d'espionnage économique pour sanctionner le détournement d'une information protégée à des fins exclusivement économiques, ce qui exclut journalistes, lanceurs d'alerte et représentants des salariés.

Le groupe Les Indépendants votera ce texte en ayant le sentiment de faire oeuvre utile. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants, ainsi que sur quelques bancs du groupe RDSE)

M. Jean-Marc Gabouty .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) La notion de secret des affaires, objet de fantasmes, n'est pas définie en droit français. Si certaines informations sont protégées par le code de commerce, leur périmètre n'est pas clair, le détenteur légitime n'est pas défini, encore moins les procédures judiciaires possibles.

La directive parle d'ailleurs de « secret d'affaires » et non de secret des affaires. L'Anglais parle plus volontiers de trade secrets, dont la traduction se rapproche du secret commercial ou industriel, à moins que ce ne soit un faux ami... Bref, la terminologie est à préciser et expliciter.

Dans un contexte de guerre économique, l'espionnage économique fait rage. Des cas sont restés célèbres, comme le Tupolev 144 semblable au Concorde. La guerre économique entre Volkswagen et General Motors, le piratage par la CIA des ordinateurs de la Commission européenne dans le cadre des négociations du GATT ou encore le pillage des données de Valéo par une étudiante chinoise...

Depuis la loi Sapin 2, les lanceurs d'alerte bénéficient d'un statut juridique et d'une protection. La responsabilité sociale et environnementale des entreprises a été abordée lors de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés-mères.

Les garanties en faveur des lanceurs d'alerte, des journalistes ou des représentants des salariés sont essentiels, tout comme la protection de TPE-PME qui ne peuvent se défendre seules.

Le secret des affaires est défini par son caractère non accessible, sa valeur économique effective ou potentielle, et l'existence de mesures de protection de la part de son détenteur. La commission des lois a apporté des clarifications. Je suis toutefois réservé sur la sanction pénale introduite à l'article premier. Les procédures civiles sont plus efficaces et plus rapides. Nous déposerons des amendements en ce sens. Une proposition de loi était justifiée par le délai de transposition.

Une large majorité des membres du RDSE votera ce texte, certains votant contre à défaut d'adoption de leurs amendements. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)

M. Yves Détraigne .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Au cours des dernières années, 20 % des entreprises ont subi au moins une tentative d'appropriation illicite de leurs secrets d'affaires, et 25 % un vol d'informations confidentielles. L'Union européenne reste le dernier grand espace économique dépourvu de protection harmonisée des informations commerciales.

C'est pour y remédier que le Parlement européen et le Conseil ont adopté le 8 juin 2016 la directive qu'il s'agit de transposer.

Je veux saluer le travail de la commission des lois et de celle des affaires européennes, qui a permis d'éviter des surtranspositions inutiles.

Le choix d'une proposition de loi nous prive hélas d'une étude d'impact, et nous regrettons le recours à la procédure accélérée.

Sur le fond, ce texte permettra de protéger le patrimoine immatériel de nos start-up et PME. Les informations relevant du secret des affaires sont clairement définies, de même que les cas d'obtention licite et, à l'inverse, d'atteinte à ce dernier. Idem pour les mesures susceptibles d'être prises au cours des procédures judiciaires.

Le rapporteur a estimé que les marges de manoeuvre laissées par la directive étaient cependant insuffisamment exploitées dans la proposition de loi initiale. La commission a donc élargi l'information protégée par la prise en compte de sa valeur économique et introduit une peine complémentaire à celle susceptible de découler de l'action civile, censée être plus dissuasive, dont sont exempts toutefois journalistes, les lanceurs d'alerte et les représentants des salariés.

Il faut en effet parvenir à un juste équilibre entre protection du secret des affaires et respect des libertés fondamentales. Des dérogations à la protection légitime du secret des affaires sont prévues lorsque le droit à l'information ou l'intérêt général le justifient. Les prérogatives des lanceurs d'alerte tels que définis par la loi Sapin 2 sont en outre préservées.

Seule ombre au tableau, le dispositif anti-bâillon a, lui, été supprimé par la commission des lois pour des motifs d'inconstitutionnalité discutables, à en croire Philippe Bonnecarrère.

Le groupe UC votera néanmoins ce texte utile et efficace. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)

M. Pierre Ouzoulias .  - Le Parlement a déjà eu l'occasion de débattre de la notion controversée du secret des affaires. Je ne reviens pas sur les tentatives du député Carayon ou sur l'amendement d'un certain Richard Ferrand, lors de la discussion de la loi dite Macron.

Mme Éliane Assassi.  - Eh oui !

M. Pierre Ouzoulias.  - Ce projet renaît par le biais d'une proposition de loi, curieux véhicule pour une transposition. Autre curiosité, les libertés prises avec le principe de subsidiarité. Plusieurs dispositions du texte de l'Assemblée nationale ont pour conséquence, nolens volens, d'amoindrir voire d'abolir des avancées du droit positif français, comme le statut juridique du lanceur d'alerte. En l'occurrence, il s'agit plutôt d'une sous-transposition, voire d'une transposition régressive dont les imperfections juridiques sont masquées par la procédure retenue.

La commission des lois a restauré les droits des lanceurs d'alerte tels que définis par la loi du 9 décembre 2016. Les protéger, ce n'est pas encourager la délation mais se conformer au préambule de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui estime qu'il est du devoir des membres du corps social d'exercer leur droit de réclamation pour assurer le maintien de la Constitution et le bonheur de tous. Ce devoir d'alerter est aussi affirmé par l'article 40 du code de procédure pénale qui s'impose à toute autorité constituée, officier public ou fonctionnaire. C'est l'instrument d'une démocratie rénovée pour laquelle chacun de ses membres agit en conscience pour la défense des intérêts collectifs.

Il n'est pas juste de confondre les citoyens qui oeuvrent bénévolement et parfois au risque de leur vie professionnelle avec les pirates. Il serait donc cohérent d'exclure du champ d'application de cette proposition de loi les personnes qui n'agissent pas, comme le prévoit le nouveau délit pénal introduit par la commission, pour en retirer un avantage de nature exclusivement économique.

En l'état, considérer que toute divulgation d'information économique serait priori frauduleuse est une atteinte à l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen protégeant la libre communication des pensées et opinions.

Cette proposition de loi mêle dans une même suspicion de principe tous les individus qui divulguent des informations à caractère économique, avant de consentir des dérogations - toujours incomplètes en droit, on le sait. Il eût été plus satisfaisant que chercheurs ou journalistes ne fussent pas contraints de prouver leur bonne foi devant les tribunaux et de subir des chicanes juridiques.

Cette proposition de loi amoindrit les avancées de la loi du 23 mars 2017 sur le devoir de vigilance. C'est bien une transposition régressive. Il eût été plus heureux que le Gouvernement assumât et expliquât pourquoi cette loi, votée il y a tout juste un an, n'était pas satisfaisante. (M. Jérôme Durain manifeste son admiration.)

Nous restons dans l'attente d'une démonstration juridique solide de l'inadaptation de notre droit positif. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE et sur quelques bancs du groupe SOCR)

M. Jacques Bigot .  - Cette directive peut apparaître bienvenue. Organiser et harmoniser la protection du secret des affaires dans toute l'Union européenne est nécessaire, et une certaine souplesse est laissée aux droits nationaux. Mais la directive, débattue pendant trois ans, a fait l'objet de controverses, qui renaissent logiquement ici. Les grandes entreprises ne sont pas les seules concernées : les start-up le sont aussi, or elles ne sont pas armées.

Les fraudes, les scandales financiers, sanitaires ou environnementaux doivent pouvoir être révélés. La crainte que le dispositif soit insuffisamment protecteur des lanceurs d'alerte, par exemple, est légitime - et le texte de la commission l'amplifie.

Le renvoi à un délit pénal peut se retourner contre les journalistes ou les organes de presse, qui risquent de se retrouver devant le juge d'instruction. La crainte est que la procédure soit utilisée pour menacer ceux qui nous informent.

Passer de la valeur commerciale à la valeur économique, n'est-ce pas étendre excessivement la protection ? Comment la réduire au champ concurrentiel ? Ce type de question doit être soulevé. Faute de renvoi en commission, nous devrons y répondre dans cet hémicycle. Sans doute est-ce ce que vous souhaitez, Madame la Ministre ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE ; M. Joël Labbé applaudit également.)

La discussion générale est close.

Renvoi en commission

M. le président.  - Motion n°37 rectifiée, présentée par M. J. Bigot et les membres du groupe socialiste et républicain.

En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois la proposition de loi portant transposition de la directive (UE) 2016/943 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites (n°420, 2017-2018).

M. Jacques Bigot .  - Cette motion vise non à éluder, mais à approfondir le débat.

Avant de vous le démontrer, je veux dire notre opposition à la procédure retenue par le Gouvernement. Monsieur le Président de la commission des lois, si cette transposition si urgente peut passer par une proposition de loi, je vous invite à demander aux services de dresser la liste des directives en attente de transposition. Un wagon de propositions de loi les transposant pourrait alors utilement être déposé... (M. Bernard Jomier approuve.)

Le journaliste interrogeant dimanche le président de la République avait raison : ce n'est pas En Marche, c'est En Force ! Nous n'avons pas même d'étude d'impact. Le mépris du Parlement en général, et du Sénat en particulier, est devenu banal, hélas. (On renchérit sur les bancs du groupe CRCE.) Je félicite le rapporteur d'avoir travaillé dans des délais aussi contraints.

La définition du secret des affaires mérite d'être pleinement étudiée. Selon la directive, les informations relevant du secret des affaires doivent d'abord être secrètes. Or vous renvoyez aux personnes « familières » de telles informations. Une telle imprécision est potentiellement dangereuse. De même, vous parlez de valeur économique effective ou potentielle, plutôt que de valeur commerciale : c'est plus large que la directive, et mérite débat.

Le Conseil d'État et le Défenseur des droits ont rappelé que des dispositifs protecteurs des lanceurs d'alerte existent, mais doivent être harmonisés. Les divergences entre le Gouvernement et le rapporteur montrent bien qu'il y a débat.

Autre raison de prendre le temps de la réflexion : rien ne précise dans ce texte le régime de protection des travailleurs, ou des représentants des salariés.

La menace pesant sur la liberté d'expression n'est pas moins forte. Pensons à ce médecin qui a alerté sur le scandale du Mediator. Sous l'empire de ce texte, le laboratoire pharmaceutique en cause l'aurait-il poursuivie ? Vous avez parlé de défendre les libertés, Madame la Ministre, or ce n'est pas le rôle des tribunaux de commerce qui seront saisis dans le cas présent si des journaux, qui ont le plus souvent la forme de société commerciale, sont en cause. Ces questions de procédure civile gagneraient à être réintroduites dans la réforme globale en préparation.

Alors que le Conseil d'État met en garde sur le recours à la voie pénale, on se précipite pour créer une infraction pénale !

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - On ne s'est pas précipité !

M. Jacques Bigot.  - Ces raisons suffisent à motiver le renvoi en commission pour mener un travail plus approfondi. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - Le débat au fond, nous l'aurons à l'occasion de l'examen des amendements que vous avez déposés...

L'article 44 du Règlement du Sénat, à son cinquième alinéa, dispose que lorsqu'un texte est inscrit par priorité à l'ordre du jour sur décision du Gouvernement, la commission doit présenter ses conclusions au cours de la même séance. Si nous adoptions cette motion, nous n'aurions qu'une suspension de deux heures avant de devoir reprendre le débat : nous n'en serions guère plus avancés ! Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - En marche, voire en force, diriez-vous ? Je suis surtout en cohérence et en continuité. Les précédents textes sur la question étaient aussi des propositions de lois. Nous n'allons guère plus loin que naguère, MM. Carayon ou Urvoas.

Cette proposition de loi transpose une directive : elle en reprend la terminologie. Son considérant 14, par exemple, évoque la valeur commerciale « potentielle et effective ».

De nouveaux scandales pourraient-ils avoir lieu avec ce texte ? Je le crois et ne souhaite pas qu'il puisse en être autrement. J'espère pouvoir vous le démontrer.

Les tribunaux de commerce seraient compétents pour les organes de presse ? Pourquoi jeter la suspicion sur le fait qu'ils n'appliqueraient pas les dispositions de ce texte ? Les journalistes et les lanceurs d'alerte, quant à eux, relèveront du tribunal correctionnel, comme aujourd'hui.

Sur la question de savoir si un certain nombre de scandales révélés récemment et notamment celui du Mediator pourraient toujours l'être au bénéfice de ces dispositions, je pense que la réponse est positive, j'aurai l'occasion de le démontrer, mais je pense que la réponse est positive. Quant au choix entre la voie commerciale et la voie pénale, nous aurons une divergence avec la commission des lois, dont nous reparlerons au cours du débat.

À la demande de la commission, la motion tendant au renvoi en commission est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°94 :

Nombre de votants 330
Nombre de suffrages exprimés 329
Pour l'adoption 95
Contre 234

Le Sénat n'a pas adopté.

La séance, suspendue à 16 h 40, reprend à 16 h 50.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Supprimer cet article.

M. Éric Bocquet.  - Cet article est loin de répondre à l'impératif d'équilibre entre la protection du secret des affaires et celle des libertés fondamentales des citoyens. Et comment l'aurait-il pu, faute d'étude d'impact, et avec un examen sous une telle contrainte de temps d'une proposition de loi qui fait l'objet d'un intense lobbying de multinationales ?

Les acteurs de l'économie numérique, si chers au président de la République, ne s'alarment pas moins des dangers pour l'innovation que les défenseurs des libertés, les journalistes, les lanceurs d'alerte, les ONG, qui craignent un verrouillage des marchés.

Ce texte ne fera que renforcer la défiance puisqu'il érige l'opacité et l'irresponsabilité en valeurs essentielles des entreprises. D'où cet amendement de suppression.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - L'adoption de cet amendement entraînerait évidemment la fin rapide des débats... Il se heurte cependant à la position de la commission, soucieuse de mieux transposer la directive et de mieux protéger le secret des affaires. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Même avis pour les mêmes raisons : la France méconnaîtrait son obligation de transposition et encourrait de ce fait des sanctions financières ?

Ce texte poursuit au contraire un équilibre des droits. Les informations protégées sont précisément définies : celles qui font l'objet de mesures de protection raisonnables et qui ont une valeur commerciale effective et potentielle. Aucune révélation destinée à protéger l'intérêt général ne serait donc bridée !

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Je soutiens l'amendement déposé par le groupe CRCE. Cette proposition de loi est dangereuse car elle repose sur un fondement essentiel, le secret des affaires, auquel ne sont assorties que des exceptions. Une logique inverse serait plus juste : ne définir de secret des affaires que là où il est légitime !

Nous avons voté le 23 mai 2017 la loi sur le devoir de vigilance, qui est une véritable avancée et nous la mettons ici à mal ! Cette transposition pose au demeurant un problème au regard du principe de subsidiarité.

Je voterai en conséquence la suppression de cet article premier.

L'amendement n°2 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Alinéa 3

Compléter cet alinéa par les mots :

des entreprises

M. Fabien Gay.  - La mobilisation citoyenne autour du secret des affaires montre la sensibilité du sujet, au carrefour de plusieurs droits et libertés fondamentales. Il convient en conséquence de le circonscrire très précisément. Les bénéficiaires devraient à tout le moins être limitativement énumérés. Nous pensons comme le Centre d'études internationales de la propriété intellectuelle (CEIPI) qu'il vaudrait mieux rattacher le secret des affaires à la notion d'entreprise afin de préciser l'objet de la proposition de loi et son champ d'application.

Malheureusement, sans étude d'impact, il est difficile d'évaluer la portée du texte.

Les algorithmes, de plus en plus utilisés - Parcoursup ou APB le montrent - compliquent le problème et nous incitent à être de plus en plus vigilants. Pour être acceptée et conserver une réelle efficacité, la protection des secrets d'affaires doit rester, comme leur nom l'indique, ancrée dans la vie des affaires.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - Cet amendement est le premier d'une série qui précise que le secret des affaires ne concerne que les entreprises entre elles. J'ai pu concevoir au début la logique de cette approche. Mais en réalité, une personne autre - sans être un journaliste, un syndicaliste ou un lanceur d'alerte - peut porter atteinte au secret d'affaires.

Avis défavorable à tous ces amendements.

Par définition, le secret des affaires protège des informations détenues par les entreprises : la directive est claire. La valeur économique effective ou potentielle est bien déterminante. Les amendements sont donc satisfaits.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Même avis. Cet amendement restreindrait le champ de la directive. La définition de l'entreprise diffère, selon le droit européen, où elle est plus extensive, incluant les entreprises individuelles, et le droit français, où elle est plus restrictive. Ainsi, en droit européen, Johnny Hallyday peut être considéré comme une entreprise.

M. Jacques Bigot.  - Sans revenir sur notre motion de renvoi en commission, nous constatons tout de même, dès le début de l'examen du texte, que nous butons sur des difficultés d'interprétation des définitions mêmes des termes de la directive, dès lors qu'il faut les transcrire dans notre droit. (M. Christophe-André Frassa, rapporteur, se récrie.) Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de préciser ce que propose l'amendement. Mais je proposerai à mon groupe de s'abstenir, car il faut, à l'évidence, approfondir le débat et rassurer ceux qui s'inquiètent, peut-être en vain, parmi les lanceurs d'alerte, la presse, le monde économique.

M. Fabien Gay.  - Il faut qu'il y ait un vrai débat politique. Madame la Ministre, j'espère que vous ne nous répondrez pas par des arguties techniques. Une directive n'est pas un règlement : on peut en débattre et le législateur dispose d'une marge d'appréciation. Répondre à chaque fois « c'est la directive », c'est un peu court.

Nous sommes tous attachés à ce que les entreprises ne soient pas pillées. Mais si vous poursuivez un autre objectif, il faut le dire clairement.

Il y a les journalistes et les lanceurs d'alerte, mais pas seulement : les salariés, les chercheurs, les syndicalistes se préoccupent aussi, qui pourront être traînés devant les tribunaux au nom de la protection du secret des affaires ; cela prendra des années, voire des dizaines d'années, dans le but de leur faire rendre gorge.

L'amendement n°3 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°5 rectifié, présenté par M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Alinéas 8 à 11

Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :

« Art. L. 151-1.  -  Est protégée au titre du secret des affaires, pour les seules personnes présentes sur un marché concurrentiel au sens du premier alinéa de l'article L. 410-2 du code de commerce, les informations essentielles, à savoir les procédés, objets, documents, données ou fichiers de nature industrielle, scientifique, technique ou stratégique, ayant une valeur commerciale directe pour une personne physique ou morale sur le même marché concurrentiel et dont la violation est de nature à compromettre gravement les intérêts de cette entreprise en portant atteinte à son potentiel scientifique et technique, à ses positions stratégiques, à ses intérêts commerciaux ou financiers ou à sa capacité concurrentielle et qui ont, en conséquence, fait l'objet de mesures de protection spécifiques destinées à informer de leur caractère confidentiel et à garantir celui-ci.

M. Pierre Ouzoulias.  - Cet amendement définit plus précisément la notion de secret des affaires. Nous reprenons dans la première partie la définition de secret des affaires donnée par le Vocabulaire juridique de Gérard Cornu. Nous souhaitons ainsi circonscrire plus strictement le champ des informations à protéger, comme le faisait la proposition de la loi Carignon adoptée en 2012, dans le respect de la directive européenne et en prenant en considération la situation des PME.

M. le président.  - Amendement n°40, présenté par M. J. Bigot et les membres du groupe socialiste et républicain.

Alinéa 9

Remplacer les mots :

pour les personnes familières de ce type d'informations en raison de leur secteur d'activité

par les mots :

à une personne agissant dans un secteur ou un domaine d'activité s'occupant habituellement de cette catégorie d'informations

M. Jérôme Durain.  - Derrière une modification présentée comme rédactionnelle, la commission des lois a ouvert la voie, en élargissant le champ de la protection du secret des affaires, à de nombreux contentieux. Nous proposons d'en revenir à la rédaction de l'Assemblée nationale, afin de garantir la sécurité juridique à laquelle aspirent la plupart des acteurs.

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Alinéa 10

Rédiger ainsi cet alinéa :

« 2° Elle revêt une valeur commerciale qui confère un avantage concurrentiel à leur détenteur parce qu'elles sont secrètes ;

Mme Michelle Gréaume.  - La valeur « économique » relève de l'immatériel. Nous lui préférons la notion d'avantage concurrentiel, conformément au premier considérant de la directive et à un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), Pilkington Group Ltd contre Commission européenne de 2016, selon lequel le secret des affaires ne doit pas avoir une valeur en tant que telle, il faut qu'il procure un avantage concurrentiel à son détenteur de sorte que ce dernier ait un intérêt à le protéger. Cela est plus à même de concilier protection du secret et libertés fondamentales.

M. le président.  - Amendement n°82 rectifié, présenté par MM. Labbé, Arnell et Artano, Mme M. Carrère, M. Corbisez, Mme Costes, MM. Dantec et Gold et Mme Laborde.

Alinéa 10

Remplacer les mots :

économique, effective ou potentielle,

par les mots :

commerciale car elle procure à son détenteur un avantage concurrentiel

M. Joël Labbé.  - Cet amendement protège mieux les lanceurs d'alerte, chercheurs, journalistes, syndicalistes, membres des ONG et salariés, qui se mobilisent sur cette proposition de loi, une pétition ayant recueilli 352 222 signatures pour s'opposer aux menaces qu'elle fait peser sur la liberté de l'information.

Pour protéger les entreprises de la concurrence déloyale, il faut une définition plus stricte du secret des affaires, restreint à l'avantage concurrentiel.

Le secret ne doit pas devenir la règle et la liberté d'informer l'exception.

M. le président.  - Amendement n°39 rectifié, présenté par M. J. Bigot et les membres du groupe socialiste et républicain.

Alinéa 10

Remplacer le mot :

économique

par le mot :

commerciale

M. Jérôme Durain.  - L'amendement revient sur l'extension de la définition du secret des affaires opérée à l'initiative du rapporteur et rétablit le texte initial de la proposition de loi.

Si cette extension est autorisée par la directive, il n'en demeure pas moins que cette dernière qualifie de secret des affaires une information qui revêt une valeur commerciale.

Il existe des informations sans valeur commerciale que les entreprises veulent garder secrètes, mais qui peuvent être protégées par d'autres dispositions juridiques comme celles du code du travail, du droit pénal ou du droit de la responsabilité civile.

M. le président.  - Amendement identique n°52, présenté par M. Mohamed Soilihi et les membres du groupe La République En Marche.

M. Thani Mohamed Soilihi.  - Nous souhaitons aussi rétablir la version de l'Assemblée nationale, afin d'être plus fidèle à la directive, l'usage du terme « économique » au lieu de « commerciale » ne nous paraissant pas pertinent à cet égard.

M. le président.  - Amendement identique n°56, présenté par le Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - La définition du secret des affaires a suscité nombre de débats. Il nous faut une définition stricte et précise, afin de rester dans le cadre tracé par la directive. La notion de valeur « commerciale » le permet, comme le Conseil d'État le fait valoir dans son avis du 15 mars dernier. Elle correspond à la lettre de la directive, tout en intégrant les éléments d'interprétation qui figurent dans son considérant 14.

M. le président.  - Amendement n°68 rectifié, présenté par MM. Labbé, Arnell et Artano, Mme M. Carrère, M. Corbisez, Mme Costes, M. Dantec, Mme N. Delattre, M. Gold et Mme Laborde.

Alinéa 11

Compléter cet alinéa par les mots :

, notamment en mentionnant explicitement que l'information est confidentielle

M. Joël Labbé.  - Cet amendement rétablit une disposition introduite à l'Assemblée nationale qui précise les informations susceptibles d'être couvertes par le secret des affaires. La responsabilité de la protection de l'information doit revenir à l'entreprise.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - L'amendement n°5 rectifié, dans le prolongement de l'amendement n°3, restreint la protection du secret des affaires aux seules relations entre les entreprises, ce qui n'est guère conforme à la directive que nous transposons, dussé-je user ce faisant d'un argument qui vous déplaît. Avis défavorable, donc.

Quid des personnes malveillantes ? Vous ne pouvez réclamer un débat sur un point aussi éloigné de la position de la commission. Il n'y a pas que les entreprises entre elles qui se volent des informations.

L'amendement n°40 revient à la rédaction de l'Assemblée nationale concernant le premier critère. Traduite de l'anglais, la version française de la directive est très mal rédigée - car c'est peu de le dire, qu'est-ce qu'« une personne agissant dans un domaine d'activité ? » Ces formulations ne sont-elles pas tout aussi floues ? Comment la rédaction de la commission des lois ouvrirait-elle davantage la voie au contentieux ? Avis défavorable.

De nombreuses informations confidentielles ne confèrent pas un avantage concurrentiel en elles-mêmes, un projet de fusion avec une autre entreprise, par exemple. Mais leur divulgation peut le faire pour une tierce entreprise. Avis défavorable aux amendements nos4 et 82 rectifié.

En préférant la valeur « économique » et non seulement « commerciale », la commission des lois a voulu renforcer le niveau de protection en incluant les algorithmes, sans aucune valeur commerciale, mais qui ont une valeur économique très importante, notamment pour les start-up, tout comme les projets de fusion ou les lancements futurs de produits. La notion de valeur économique sera aussi plus simple à interpréter par le juge. Avis défavorable aux amendements identiques nos39 rectifié, 52 et 56.

L'amendement n°68 rectifié est inutile...

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Oui.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - ... mais surtout source d'insécurité juridique pour les entreprises. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Les règlements européens n'appellent aucune transposition, Monsieur Gay. Le paragraphe 1 de l'article premier de la directive dispose que « les États membres peuvent prévoir une protection plus forte du secret des affaires ».

Il s'agit d'une directive d'harmonisation minimale. Faire moins constituerait donc un manquement aux obligations de transposition de la France et ouvrirait une brèche dans la sécurité juridique au sein de l'espace économique européen.

Sagesse sur l'amendement n°40 qui rétablit la rédaction de l'Assemblée nationale : la rédaction de la commission des lois ne me paraît pas avoir d'incidence sur le fond.

Je partage l'objectif des amendements nos4 et 82 rectifié : adopter une définition la plus précise possible du secret des affaires. Avis défavorable toutefois car les amendements précisent que la valeur commerciale doit être liée à un avantage concurrentiel - ce qui est contraire à l'article 2.1 de la directive. Les adopter représenterait un manquement aux obligations européennes de la France.

Avis naturellement favorable aux amendements nos39 rectifié et 52, identiques à l'amendement n°56 du Gouvernement.

Sagesse sur l'amendement n°68 rectifié qui apporte une précision utile.

M. Fabien Gay.  - Merci pour vos explications, Monsieur le Rapporteur et Madame la Ministre. Aux termes de l'article 288 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, « la directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. » Le législateur national peut et doit avoir un débat. Soit il pratique le copier-coller, soit il fait preuve de création inspirée. Or s'agit-il de protéger les entreprises françaises et européennes contre l'espionnage industriel ? Si c'est le cas, nous sommes tous d'accord pour dire oui. Mais si, après la loi Travail et la loi sur le droit à l'erreur, la ligne directrice est de protéger seulement les entreprises, nous disons non. Représentants syndicaux, chercheurs, journalistes et lanceurs d'alerte ne doivent pas être assimilés à des pirates économiques.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Monsieur le Sénateur Gay, je suis pour la création inspirée dans le cadre du droit - chose encore plus subtile. Naturellement, les États membres ont une marge de manoeuvre mais cette liberté, déterminée par la directive elle-même, n'est pas absolue. Dans le cas d'espèce, nous ne pouvons que renforcer la protection du secret des affaires. L'auteur de la proposition de loi a fait preuve d'une créativité inspirée en trouvant un équilibre dans le cadre de la directive.

L'amendement n°5 rectifié n'est pas adopté.

M. Jacques Bigot.  - Le texte de la commission des lois est plus large que celui de la directive, qui ne veut pas protéger des informations qui, dans le milieu professionnel, ne sont pas secrètes. Le texte de l'Assemblée nationale est meilleur.

L'amendement n°40 n'est pas adopté, non plus que les amendements nos4 et 82 rectifié.

M. Jean-Yves Leconte.  - Le rapporteur assume une surtransposition de la directive : toute information à valeur économique, et non pas seulement commerciale, sera protégée par le secret des affaires. Cela renforce ceux qui considèrent qu'une mise sous mandat ad hoc est une information économique. Challenges a été condamné pour avoir écrit cela sur Conforama. Cette surtransposition a des conséquences lourdes et concrètes sur la liberté de la presse. Nous ne pouvons pas légiférer en l'ignorant. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)

M. Philippe Bas, président de la commission des lois.  - Les uns pensent que la protection du secret des affaires doit s'arrêter aux informations à valeur commerciale ; les autres, couvrir les informations à valeur économique. Si nous avons ce débat politique, c'est parce que la directive ne l'a pas tranché. Elle utilise le mot anglais trade, que nous traduisons par commercial, alors qu'il a une acception plus large.

M. Jean-Yves Leconte.  - Le français est une des langues officielles de l'Union européenne !

M. Philippe Bas, président de la commission.  - L'objet de ce texte est non pas le droit d'accès à l'information par nos concitoyens mais la protection du secret des affaires. Faut-il protéger le lancement d'un produit révolutionnaire ? La stratégie de l'entreprise ? Les informations sur une éventuelle fusion ? Avec la commission des lois, je réponds : oui ! Ce sont des informations économiques. (Quelques applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)

M. Jean-Yves Leconte.  - À la bourse, les projets de fusion sont des informations commerciales !

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - M. Leconte me prête des intentions malignes, je dois donc répondre. Terminons-en avec l'affaire Conforama. Si ce dernier a assigné Challenges devant les tribunaux, c'est parce qu'il a manqué à l'obligation de confidentialité sur le mandat ad hoc prévue dans la loi. Notre débat n'y changera rien. Rien ne sert de monter sur ses grands chevaux, surtout quand on chevauche des poneys.

M. Jacques Bigot.  - La directive est très claire : elle vise les informations à valeur commerciale. Le droit de la France, qui est membre de l'Union, doit s'y référer.

À la demande de la commission, les amendements identiques nos39 rectifié, 52 et 56 sont mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°95 :

Nombre de votants 333
Nombre de suffrages exprimés 332
Pour l'adoption 135
Contre 197

Le Sénat n'a pas adopté.

L'amendement n°68 rectifié n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°46 rectifié, présenté par M. Leconte et les membres du groupe socialiste et républicain.

Après l'alinéa 11

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Ne sont pas protégées au titre du secret des affaires toutes informations relatives à des données personnelles utilisées pour effectuer un profilage privé à des fins lucratives.

Mme Sylvie Robert.  - Le secret des affaires ne doit pas couvrir les données personnelles dont les entreprises se servent pour effectuer un profilage à des fins lucratives. Il doit s'arrêter là où commence le secret de la vie privée et familiale, protégé par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Chacun a en tête le scandale Facebook/Cambridge Analytica.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - Les données personnelles ne peuvent pas être couvertes par le secret des affaires, compte tenu de sa définition. Je vous renvoie au considérant 35 de la directive. En outre, le Règlement européen sur la protection des données, le RGPD, interdit de fonder une décision sur un traitement de données personnelles, sauf en matière de crédit et d'assurance. Dans ces conditions, à quoi sert donc cet amendement ? L'avis est défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Le RGPD autorise le profilage pour le crédit, les mutuelles et la location de voiture ; au-delà, l'article 22 du RGPD en interdit toute utilisation commerciale. La directive du 8 juin 2016 prévoit elle-même l'articulation entre respect de la vie privée, secret des affaires et données personnelles. Avis également défavorable à cet amendement disproportionné.

M. Jean-Yves Leconte.  - Merci de ces explications mais ce que nous voulons, nous, c'est trancher un débat de société en affirmant que les données personnelles et leur traitement n'ont pas de valeur commerciale.

L'amendement n°46 rectifié n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°48 rectifié, présenté par M. Leconte et les membres du groupe socialiste et républicain.

Après l'alinéa 11

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Ne sont pas protégés au titre du secret des affaires les mécanismes de nature fiscale élaborés par une entreprise.

Mme Sophie Taillé-Polian.  - Les esprits cyniques le relèveront, certains montages fiscaux relèvent de l'innovation et de la directive que la directive entend protéger. Pour autant, mieux vaudrait les exclure du champ du secret des affaires.

M. le président.  - Amendement n°7, présenté par M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Après l'alinéa 11

Insérer sept alinéas ainsi rédigés :

« ... -  Ne peuvent être protégées au titre du secret des affaires d'une entreprise notamment les informations relatives à :

« 1° L'impact environnemental et sanitaire de son activité ainsi que celles de ses sous-traitants et filiales ;

« 2° Les conditions de travail de ses salariés, sa politique de recrutement, de licenciement, de rémunération ainsi que celles de ses sous-traitants et filiales ;

« 3° Les relations entretenues par une personne avec ses sous-traitants et filiales ;

« 4° Les informations de nature fiscale relatives à l'optimisation fiscale, à l'existence de montages fiscaux ;

« 5° Les informations de toute nature qui permettent d'établir l'existence d'une fraude fiscale ou sociale, d'une évasion fiscale, de la commission d'infractions pénales, et de financement du terrorisme ;

« 6° Les informations permettant la prévention de la concurrence déloyale.

M. Éric Bocquet.  - Les entreprises ont besoin de protéger les informations commerciales, nul ne le nie. Il s'agit non de se battre contre elles mais de trouver un juste point d'équilibre avec la protection du consommateur. Management agressif, recours massif aux contrats précaires, sous-traitance en cascade inhumaine. Et la notion-phare de responsabilité sociale des entreprises ? On me répliquera que tout cela est déjà dans les textes. Certes, mais cela est aussi le cas du secret des affaires.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - Qu'est-ce qu'un « mécanisme de nature fiscale » ? La rédaction de l'amendement n°48 rectifié n'est pas claire. Si l'évasion fiscale n'est pas légale, l'optimisation l'est et fait d'ailleurs vivre un grand nombre d'avocats sur la place de Paris.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - C'est bien le problème !

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - En tout cas, le secret des affaires n'est pas opposable au fisc qui décide ce qui est licite et ce qui ne l'est pas. Avis défavorable à l'amendement n°48 rectifié comme à l'amendement n°7, qui est largement satisfait.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - La directive ne prévoit pas d'exclure les informations fiscales. Un lanceur d'alerte qui dévoile un montage illicite sera protégé. Avis défavorable à l'amendement n°48 rectifié.

Je comprends la crainte des auteurs de l'amendement n°7 mais l'article L. 151-6 du code de commerce est très clair. Contrairement à ce que j'ai entendu dire, le secret des affaires ne sera pas la règle et la liberté d'expression, l'exception. N'oublions pas qu'elle est protégée par la Constitution !

Mme Sophie Taillé-Polian.  - Monsieur le Rapporteur, vous faites erreur en distinguant optimisation et évasion fiscale. Il y a une zone grise entre les deux qui, comme vous l'avez fait remarquer, fait vivre de nombreux cabinets d'avocats. Le fisc, pour sa part, ne contrôle que 50 000 contribuables par an.

M. Jean-Yves Leconte.  - Madame la Ministre, votre argumentation s'appuie sur la définition du secret des affaires qui est celle de l'Assemblée nationale. Or le rapporteur surtranspose la directive en substituant la notion de valeur économique à celle de valeur commerciale. L'optimisation fiscale, qui n'est pas illicite, est-elle un savoir-faire qui doit être protégé ou bien doit-elle être rendue publique pour que le législateur adapte au mieux la loi ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Je suis surprise par le cynisme de notre rapporteur. Dès lors que l'optimisation serait légale, elle devrait être protégée ? À l'heure où tous les États luttent contre l'évasion fiscale, le meilleur remède est la transparence ? Au coeur du sujet est la fixation des prix de transfert : ils permettent à Colgate de rapatrier en Suisse 90 % des bénéfices faits en France. Cet amendement est essentiel à la bataille qui se joue dans le monde.

Quant à la Constitution, Madame le garde des Sceaux, les directives en France ne sont pas soumises au Conseil constitutionnel, quand elles le sont en Allemagne à la Cour de Karlsruhe - on voit bien sur quel rapport de forces s'est construit l'Europe...

L'amendement n°48 rectifié n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°7.

M. le président.  - Amendement n°6, présenté par M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Après l'alinéa 11

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Art. L. 151-1-...- Toute obligation de confidentialité faisant obstacle au signalement ou à la révélation d'un crime, d'un délit, d'une menace ou d'un préjudice graves pour l'intérêt général, est nulle.

M. Pierre Ouzoulias.  - La protection des secrets de fabrication ne doit pas avoir pour conséquence d'entraver la liberté d'information. Les nombreux scandales sanitaires récents devraient nous alerter sur l'intérêt d'adopter cet amendement...

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - M. Ouzoulias devrait partager mon enthousiasme pour ce texte. Son amendement est satisfait : le secret des affaires n'est pas opposable aux lanceurs d'alerte. Retrait ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Même avis.

M. Pierre Ouzoulias.  - Les scandales sanitaires, qui ont éclaté récemment, montrent tous que les agences de contrôle nationales et européennes n'ont pas un complet accès à la nature des produits commercialisés. Les entreprises font de l'obstruction, ce dont tous les chercheurs publics que nous auditionnons dans le cadre des travaux de l'Opecst se plaignent. Et ce texte la facilite !

L'amendement n°6 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°49, présenté par Mme Lienemann et les membres du groupe socialiste et républicain.

Alinéa 18

Rétablir cet alinéa dans la rédaction suivante :

« 3° L'exercice du droit des travailleurs ou des représentants des travailleurs à l'information et à la consultation, conformément au droit et pratiques nationales.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Sans cet amendement qui reprend une disposition de la directive, les représentants des salariés risqueraient d'être régulièrement mis en cause, notamment lors de la recherche d'un repreneur pour un établissement que l'entreprise mère souhaiterait fermer.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - À nouveau, j'espère que Mme Lienemann partagera mon enthousiasme. Les alinéas 36 et 37 lui donnent toute satisfaction. Retrait, sinon rejet.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Même avis.

L'amendement n°49 n'est pas adopté.

La séance, suspendue à 18 h 20, reprend à 18 h 25.

M. le président.  - Amendement n°51 rectifié, présenté par Mme de la Gontrie et les membres du groupe socialiste et républicain.

Alinéa 21

Après le mot :

légitime

insérer les mots :

, dans un but concurrentiel ou commercial, visant à en tirer un profit, portant ainsi atteinte aux intérêts de l'entreprise victime,

Mme Marie-Pierre de la Gontrie.  - Je salue la créativité dont le président de la commission des lois a fait preuve tout à l'heure. Il a aboli le distinguo entre information à valeur commerciale et valeur économique en se référant au mot anglais trade, oubliant que le français est une langue officielle de l'Union. La directive est claire, notamment ses considérants 1, 9 et 14. Le dernier encourage les États membres à établir une définition homogène du secret des affaires.

M. le président.  - Amendement n°8, présenté par M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Alinéa 21

Après le mot :

légitime

insérer les mots :

à des fins de concurrence déloyale permettant au bénéficiaire des informations de tirer un profit de manière indue, portant ainsi atteinte aux intérêts de l'entreprise victime,

M. Éric Bocquet.  - En érigeant la protection du secret des affaires en principe assorti d'exceptions limitativement énumérées, le texte expose les chercheurs, les ONG, les syndicats, les journalistes et les lanceurs d'alerte à des procédures judiciaires longues et coûteuses.

C'est contre le pillage technologique et l'espionnage industriel, la concurrence économique dans ce qu'elle a de plus sauvage, que nous devons lutter. Nous ne vivons pas dans un monde de Bisounours certes, mais l'économie moderne ne doit pas non plus faire obstacle à l'éthique.

M. le président.  - Amendement n°67 rectifié, présenté par Mme Lienemann, M. Assouline, Mmes Taillé-Polian, G. Jourda, Lubin, de la Gontrie et Meunier, MM. Jomier, P. Joly et Cabanel et Mme Préville.

Alinéa 21

Après le mot :

légitime

insérer les mots :

dans un but de concurrence illégitime, permettant au bénéficiaire des informations de tirer un profit de manière indue, portant ainsi atteinte aux intérêts de l'entreprise victime,

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - En l'absence d'une mention limitant la protection du secret des affaires à l'exploitation déloyale dans le commerce, toute personne ayant un intérêt autre qu'économique à obtenir, utiliser et divulguer des informations protégées devra prouver qu'elle peut se prévaloir de l'une des dérogations prévues. Les ONG, les syndicats, les lanceurs d'alerte, les journalistes seront exposés.

M. le président.  - Amendement identique n°69 rectifié, présenté par MM. Labbé, Arnell et Artano, Mme M. Carrère, M. Corbisez, Mme Costes, M. Dantec, Mme N. Delattre, MM. Gabouty et Gold et Mme Laborde.

M. Éric Gold.  - En imposant aux acteurs de prouver qu'ils peuvent se prévaloir d'une dérogation, on les dissuadera d'agir, au risque de porter atteinte à l'intérêt général.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - L'article 4 de la directive n'est pas aussi restrictif que les auteurs des amendements le disent. Des exceptions figurent déjà dans le texte pour les journalistes, les lanceurs d'alerte ou les représentants des salariés - que vous ne citez pas ici. J'ai déjà expliqué pourquoi il ne faut pas restreindre le secret des affaires aux seules relations entre entreprises. Il y a aussi des personnes malveillantes. Avis défavorable à ces amendements.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - L'obtention illicite d'une information protégée n'est pas toujours le fait d'une entreprise concurrente. Il y a des actions malveillantes, visant à déstabiliser. De plus, le niveau d'harmonisation requis nous oppose à l'adoption de ces amendements. Avis défavorable.

L'amendement n°51 rectifié n'est pas adopté.

L'amendement n°8 est adopté.

Les amendements nos67 rectifié et 69 rectifié n'ont plus d'objet.

M. le président.  - Amendement n°86 rectifié, présenté par M. Frassa, au nom de la commission des lois.

I.  -  Alinéa 25

Après le mot :

résultant

insérer les mots :

de manière significative

II.  -  Alinéa 47

Après le mot :

résultant

insérer les mots :

de manière significative

III.  -  Alinéa 49

Après le mot :

résultant

insérer les mots :

de manière significative

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - Conformément à l'article 2 de la directive, cet amendement précise que seules sont considérées comme une utilisation illicite d'un secret des affaires la production, l'offre, la mise sur le marché, l'importation et l'exportation de produits résultant « de manière significative » d'une atteinte au secret. Il procède également à deux coordinations.

L'amendement n°42 est retiré.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Avis favorable.

L'amendement n°86 rectifié est adopté.

M. le président.  - Amendement n°79 rectifié, présenté par MM. Labbé, Arnell et Artano, Mme M. Carrère, M. Corbisez, Mme Costes, M. Dantec, Mme N. Delattre, M. Gold et Mme Laborde.

Alinéa 25

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Il appartient au détenteur légitime du secret d'établir, au-delà de tout doute raisonnable, que cette personne le savait ou aurait dû le savoir au regard des circonstances.

M. Éric Gold.  - La locution « aurait dû savoir », traduction du droit anglo-saxon, est étrangère au droit français et contraire à la jurisprudence constante de la bonne foi. Il convient d'inverser la charge de la preuve en ajoutant, pour rétablir l'équilibre, la locution anglo-saxonne « au-delà de tout doute raisonnable ».

M. le président.  - Amendement n°25 rectifié, présenté par Mmes Lienemann, Jasmin et Meunier, M. Mazuir, Mme G. Jourda, M. Tourenne, Mme de la Gontrie, M. Jomier, Mme Préville et M. Cabanel.

Après l'alinéa 25

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Il appartient au détenteur légitime du secret d'établir, au-delà de tout doute raisonnable, que cette personne le savait ou aurait dû le savoir au regard des circonstances.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Amendement similaire.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - Ces amendements auraient pour effet de protéger les entreprises qui captent les secrets de leurs concurrents ! Quant au conditionnel, il est déjà connu du droit français - à l'article 2224 du code civil qui fixe le délai de prescription de droit commun.

Cette formulation est exigée par la directive. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Conformément au principe de droit commun, il appartient à la victime d'apporter la preuve de ce qu'elle allègue. La bonne foi est toujours présumée. La précision « au-delà de tout doute raisonnable » nuirait à la sécurité juridique.

Avis défavorable aux amendements nos79 rectifié et 25 rectifié.

L'amendement n°79 rectifié n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°25 rectifié.

M. le président.  - Amendement n°43, présenté par M. Raynal et les membres du groupe socialiste et républicain.

Alinéa 26

Supprimer les mots :

, ou aurait dû savoir au regard des circonstances,

M. Claude Raynal.  - La rédaction actuelle fait planer une suspicion impossible à lever sur la personne qui utiliserait un secret sans savoir qu'il avait été obtenu de manière illicite, d'autant qu'aucune disposition n'exige de protection particulière des informations censées demeurer secrètes. La défaillance d'une entreprise pourrait conduire à mettre en cause un intéressé de bonne foi.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - Cet amendement est similaire aux amendements nos26 rectifié et 78 rectifié à venir, ainsi qu'aux amendements nos79 rectifié et 25 rectifié que nous venons de rejeter. Avis défavorable pour les mêmes raisons que précédemment.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Avis défavorable. L'article L. 151-5 du code de commerce assure une transposition fidèle de la directive ; impossible d'aller au-delà. Quant à l'expression « aurait dû savoir », elle figure déjà dans l'article L. 222-4 du code civil concernant le point de départ du délai de prescription de droit commun.

L'amendement n°43 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°26 rectifié, présenté par Mmes Lienemann, Jasmin et Meunier, M. Mazuir, Mme G. Jourda, M. Tourenne, Mme de la Gontrie, M. Jomier, Mme Préville et M. Cabanel.

Alinéa 26

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Il appartient au détenteur légitime du secret d'établir, au-delà de tout doute raisonnable, que cette personne le savait ou aurait dû le savoir au regard des circonstances.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Défendu.

M. le président.  - Amendement identique n°78 rectifié, présenté par MM. Labbé, Arnell et Artano, Mme M. Carrère, M. Corbisez, Mme Costes, M. Dantec, Mme N. Delattre, M. Gold et Mme Laborde.

M. Éric Gold.  - Défendu.

Les amendements nos26 rectifié et 78 rectifié, repoussés par la commission et le Gouvernement, ne sont pas adoptés.

M. le président.  - Amendement n°57, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 29

Après les mots :

droit de l'Union européenne

insérer les mots :

, les traités ou accords internationaux en vigueur

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Il s'agit de mentionner les traités internationaux pouvant requérir l'obtention, l'utilisation ou la divulgation du secret, en particulier les conventions bilatérales ou multilatérales relatives à la coopération judiciaire comme la convention de La Haye du 18 mars 1970 sur l'obtention des preuves.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - Cette précision est très utile. Avec cet amendement, on se rapproche de la loi de blocage. Avis favorable.

L'amendement n°57 est adopté.

M. le président.  - Amendement n°76 rectifié, présenté par MM. Labbé, Arnell et Artano, Mme M. Carrère, M. Corbisez, Mme Costes, M. Dantec, Mme N. Delattre, MM. Gabouty et Gold et Mme Laborde.

Alinéa 30

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Art. L. 151-7.  -  Le secret des affaires n'est pas protégé lorsque l'obtention, l'utilisation ou la divulgation du secret est intervenue :

M. Éric Gold.  - La commission des lois substitue à « protection » le terme d' « inopposabilité », quand l'article 5 de la directive ne parle que de « dérogation ». Nous rétablissons la formulation de l'Assemblée nationale qui permet une plus grande protection des personnes visées par les exceptions.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - La commission des lois a préféré l'inopposabilité. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Même avis.

L'amendement n°76 rectifié n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°83 rectifié, présenté par MM. Requier, Gabouty, Arnell, Artano et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Collin et Corbisez, Mme Costes, M. Dantec, Mme N. Delattre, M. Gold, Mme Jouve, M. Labbé, Mme Laborde et MM. Menonville et Vall.

Alinéa 31

Remplacer les mots : 

y compris 

par les mots : 

en particulier

M. Éric Gold.  - Le secret des affaires n'est pas opposable dans le cadre de l'exercice de la liberté d'expression et de communication. Le législateur a précisé explicitement que celle-ci comprenait la liberté de la presse et la liberté d'information.

La protection de la liberté de la presse est un principe fondamental des régimes démocratiques, garanti par la loi du 29 juillet 1881 et par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. La liberté d'information est garantie par l'article 11 de la Charte de l'Union européenne.

Cet amendement améliore l'intelligibilité du texte, le choix des termes pouvant apparaitre comme une restriction. Ces libertés sont fondamentales et leur protection va de soi. Leur mention ne devrait donc être qu'une précision.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - Nous avons eu un long débat en commission sur la bonne rédaction pour protéger les journalistes. La commission a finalement préféré ne pas modifier la formulation de la directive. Avis défavorable, d'autant que « en particulier » n'est guère plus clair que « y compris ».

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - De plus, la phrase en deviendrait bancale : on n'exerce pas un respect. Avis défavorable.

L'amendement n°83 rectifié n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°9, présenté par M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Après l'alinéa 31

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« ...° Pour exercer toute activité d'enseignement et de recherche par des enseignants et enseignants-chercheurs, sous quelque forme et sur quelque support que ce soit ;

Mme Michelle Gréaume.  - La protection du secret des affaires doit-elle primer sur toute autre considération, et justifier la restriction de droits fondamentaux ? La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne reconnaît, à l'article 11, la liberté d'expression, d'opinion, de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées. Son article 13 consacre la liberté de la recherche académique. Les chercheurs ne sont pas soumis à une quelconque logique commerciale. Entraver leur action en faisant peser la menace de procédures judiciaires risque de nous interdire de découvrir des scandales sanitaires.

M. le président.  - Amendement identique n°45, présenté par M. J. Bigot et les membres du groupe socialiste et républicain.

M. Jean-Yves Leconte.  - Le secret des affaires ne doit pas être opposable aux activités d'enseignement et de recherche. L'article premier de la directive cite les organismes de recherche non commerciaux, preuve que la recherche entre bien dans son périmètre. Or les enseignants-chercheurs font de plus en plus l'objet d'actions en justice quand leurs activités entrent en contradiction avec les intérêts privés des entreprises.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - Au nom de quoi les enseignants-chercheurs bénéficieraient-ils d'un régime dérogatoire ? La directive vise les « organismes de recherche », non les personnes qui y travaillent, encore moins les enseignants ! Ceux-ci, par principe, par fonction, par nature, ne sont pas détenteurs d'un secret des affaires de par leur métier. L'exception pour les lanceurs d'alerte s'applique quel que soit le métier. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Avis défavorable. Les enseignants-chercheurs pourront invoquer leur liberté d'expression, dont la protection est prévue à l'article L. 151-7 nouveau du code de commerce et leur indépendance, principe de niveau constitutionnel.

M. Jean-Yves Leconte.  - La recherche doit être intégrée aux dérogations prévues dans ce texte. Il en va de la liberté d'innover !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Les garanties évoquées par Mme la ministre plaident pour cet amendement ! Il n'y a aucune raison que les universitaires soient exclus du dispositif.

Je ne comprends pas ce qui motive la différence de traitement entre les journalistes et les chercheurs, dont certains s'intéressent de près à l'activité des entreprises. Le refuser porterait atteinte à la liberté de recherche en sciences sociales dans notre pays.

M. Pierre Ouzoulias.  - Lorsqu'un enseignant-chercheur donne un sujet de thèse à un doctorant, il ne se demande pas s'il risque de se heurter au secret des affaires ! La responsabilité des universités risque-t-elle d'être engagée du fait de tels travaux ? Faudra-t-il en référer systématiquement au service juridique ? C'est une restriction fondamentale du champ de la recherche ! Il faut absolument préserver la recherche sur le vivant, naturel et social.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - Un doctorant, un chercheur aurait donc accès aux secrets des affaires des entreprises ? Si l'on suit la définition qu'en donne la directive et bientôt notre code de commerce, il est évident que non.

M. Jean-Yves Leconte.  - Et si le chercheur trouve ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - Je n'ai jamais entendu parler d'un travail de recherche exploitant le secret des affaires... Quelle entreprise serait assez cinglée pour dévoiler à un chercheur des secrets de fabrication ou des algorithmes susceptibles de le mettre en position de faiblesse par rapport à ses concurrents ? Cela n'aurait aucun sens !

Les amendements identiques nos9 et 45 ne sont pas adoptés.

M. le président.  - Amendement n°53, présenté par M. Mohamed Soilihi et les membres du groupe La République En Marche.

Alinéas 32 et 33

Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé : 

« 2° Pour révéler, dans le but de protéger l'intérêt général et de bonne foi, une activité illégale, une faute ou un comportement répréhensible, y compris lors de l'exercice du droit d'alerte tel que défini par l'article 6 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ;

M. Arnaud de Belenet.  - La commission des lois distingue deux régimes de protection des lanceurs d'alerte, au risque de restreindre le champ de l'exception. Cet amendement revient au texte de l'Assemblée nationale : la locution « y compris » associe les deux définitions, pour une meilleure protection des lanceurs d'alerte.

M. le président.  - Amendement identique n°58, présenté par le Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Cette disposition a suscité de vifs débats à l'Assemblée nationale.

L'article 5 de la directive définit plus largement le lanceur d'alerte que l'article 6 de la loi Sapin 2, ce que traduit la locution « y compris ». Les lanceurs d'alerte au sens de la loi de 2016 bénéficient bien de la dérogation prévue par la directive, contrairement à ce que peut laisser entendre la distinction opérée par la commission des lois.

Le texte de la commission renvoie à l'ensemble des dispositions de la loi Sapin 2 relatives au droit d'alerte, ce qui laisserait supposer que l'exception ne serait effective qu'en cas de respect de la procédure d'alerte, condition non prévue par la directive et qui restreint le champ de l'exception. L'article 5 étant d'interprétation stricte, les alinéas 32 et 33 en l'état ne sont pas conformes à la directive. D'où cet amendement qui rétablit le texte de l'Assemblée nationale.

L'amendement n°11 est retiré.

M. le président.  - Amendement n°27 rectifié, présenté par Mmes Lienemann, Jasmin et Meunier, M. Mazuir, Mme G. Jourda, M. Tourenne, Mme de la Gontrie, M. Jomier, Mme Préville et M. Cabanel.

Alinéa 32

Remplacer les mots :

ou d'un comportement répréhensible

par les mots :

, d'un comportement répréhensible ou d'une menace pour les droits humains et les libertés fondamentales

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - La loi du 23 mars 2017 sur le devoir de vigilance vise à prévenir « les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l'environnement » résultant des activités économiques. La loi sur le secret des affaires ne saurait permettre de réduire la portée de cette loi en matière de transparence, ni priver la loi de son efficacité en empêchant son utilisation par ceux qu'elle protège.

M. le président.  - Amendement n°70 rectifié, présenté par MM. Labbé, Arnell et Artano, Mme M. Carrère, M. Corbisez, Mme Costes, M. Dantec, Mme N. Delattre, M. Gold et Mme Laborde.

Alinéa 32

Après le mot :

répréhensible

insérer les mots :

, d'une menace ou un préjudice pour l'intérêt général

M. Joël Labbé.  - Un détenteur licite d'un secret pourra agir en justice à l'encontre aussi bien d'une personne physique que d'une personne morale - une ONG, par exemple. Il convient, dans l'esprit de la loi Sapin 2, que les personnes morales bénéficient des mêmes exonérations que les personnes physiques lorsque l'intérêt général est en jeu. Les ONG ont leur rôle à jouer pour la protection de l'intérêt général.

M. le président.  - Amendement n°71 rectifié, présenté par MM. Labbé, Arnell et Artano, Mme M. Carrère, M. Corbisez, Mme Costes, M. Dantec, Mme N. Delattre, MM. Gabouty et Gold et Mme Laborde.

Alinéa 32

Après le mot :

répréhensible

insérer les mots :

, d'une menace pour les droits humains et les libertés fondamentales

M. Joël Labbé.  - Cet amendement vise à concilier le secret des affaires et la loi sur le devoir de vigilance. Le Conseil des droits de l'homme des Nations unies a d'ailleurs mandaté un groupe intergouvernemental de travail sur ces sujets.

M. le président.  - Amendement n°10, présenté par M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Alinéa 32

Après le mot :

répréhensible

insérer les mots :

, ainsi que pour la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale

M. Éric Bocquet.  - Il s'agit de mentionner la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale comme dérogation légitime au secret des affaires.

Un texte renforçant la lutte contre la fraude fiscale vient d'être déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale. Luxleaks, Panama Papers, les turpitudes fiscales récentes montrent qu'il reste beaucoup à faire.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - La rédaction de l'Assemblée nationale n'a manifestement pas été comprise. Le problème de l'articulation entre les deux régimes demeurera, le « y compris » de la directive n'y remédie pas. Le secret des affaires n'étant pas opposable au lanceur d'alerte, il n'était pas utile de mentionner dans ce texte la loi Sapin 2, dont la procédure est plus protectrice que la formule hors-sol prévue par la directive. Ce « y compris » pouvait introduire un élément de doute, c'est pourquoi nous l'avons supprimé. Sagesse sur les amendements identiques nos53 et 58.

Les amendements nos27 rectifié, 70 rectifié, 71 rectifié et 10 étendent le champ du droit d'alerte à d'autres matières : menaces pour les droits de l'homme, fraude fiscale... Tout cela est déjà inclus dans la notion fort large de comportements répréhensibles : les amendements sont donc satisfaits par le texte. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - L'amendement n°53 est identique à celui du Gouvernement.

Les amendements n°27 rectifié et suivants apportent des précisions nouvelles sur l'objet de l'alerte qui ne semblent pas nécessaires. Les obligations incombant aux entreprises au titre de leur devoir de vigilance n'en sont pas modifiées. Avis défavorable. Les lanceurs d'alerte pourront invoquer la protection prévue dans ce texte, que les comportements qu'ils dénoncent soient illégaux ou susceptibles de porter atteinte à l'intérêt général.

L'amendement n°10 nuirait à la bonne lisibilité et pourrait être interprété comme restreignant le champ de la mesure de protection. Des faits de nature fiscale peuvent parfaitement faire l'objet d'une alerte.

Les amendements identiques nos53 et 58 sont adoptés.

Les amendements nos27 rectifié, 70 rectifié, 71 rectifié et 10 n'ont plus d'objet.

M. le président.  - Amendement n°12, présenté par M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

I. - Alinéa 36

Après le mot :

obtention

insérer les mots :

, l'utilisation et la divulgation

II - Alinéa 37

Rédiger ainsi cet alinéa :

« 2° La divulgation du secret des affaires par des salariés a? leurs représentants est intervenue dans le cadre de l'exercice légitime de leurs fonctions.

M. Éric Bocquet.  - Cet amendement précise le champ de la dérogation pour les représentants du personnel. Le code du travail prévoit déjà des obligations en matière de secret professionnel et de confidentialité ; si l'entreprise estampille ses données « secret des affaires », celui-ci s'imposera aux IRP. Et si l'obtention de l'information est licite, ce n'est pas le cas de sa divulgation...

M. le président.  - Amendement n°28 rectifié, présenté par Mmes Lienemann, Jasmin et Meunier, M. Mazuir, Mme G. Jourda, M. Tourenne, Mme de la Gontrie, M. Jomier, Mme Préville et M. Cabanel.

Alinéa 36

Après le mot :

obtention

insérer les mots :

, l'utilisation et la divulgation

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - La directive prévoit que l'obtention, l'utilisation et la divulgation du secret des affaires sont licites lorsqu'il est obtenu par l'exercice du droit des travailleurs ou de leurs représentants à l'information et à la consultation.

L'utilisation et la divulgation d'informations aux salariés font partie intégrante des conditions permettant aux salariés de déterminer collectivement leurs conditions de travail, sachant que, élus, ils sont toujours tenus à une obligation de discrétion.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - Ces amendements font une lecture un peu abusive de la directive qui prévoit trois hypothèses d'atteinte au secret - obtention illicite, atteinte illicite ou divulgation - et introduit des dérogations utiles pour les salariés : avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Même avis.

L'amendement n°12 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°28 rectifié.

M. le président.  - Amendement n°13, présenté par M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Alinéa 38

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Ne peut toutefois être engagée, par l'employeur ou le donneur d'ordre détenteur légitime du secret d'affaires, la responsabilité civile du salarié ou du salarié d'un de de ses sous-traitants, que si ce salarié a eu l'intention manifeste de révéler ce secret des affaires et que l'obtention, la détention ou divulgation en cause a un lien direct et immédiat avec les actes de ce salarié.

Mme Michelle Gréaume.  - Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'insertion des dispositions relatives au droit du travail dans le code de commerce pose problème, surtout quand le code de travail est explicite, quant aux compétences et au fonctionnement des comités sociaux et économiques créés par l'ordonnance du 22 septembre 2017. L'article L. 2315-1 dudit code est clair : ceux-ci doivent prendre en compte les intérêts des salariés exerçant leur activité hors de l'entreprise ou dans des unités dispersées. L'article L. 2315-3 précise que les délégués du personnel sont tenus au secret professionnel pour toutes les questions relatives aux procédés de fabrication. Une obligation de discrétion s'impose à eux à l'égard des informations revêtant un caractère confidentiel et présentées comme telles par l'employeur. Bref, la propriété industrielle et les savoir-faire sont protégés.

Cela fait penser à la parabole de l'ajusteur-outilleur, à qui il suffit d'un petit bout de métal pour fournir à ses collègues tourneurs, fraiseurs, finisseurs ou polisseurs l'outil précis dont ils ont besoin : cette culture qui n'a nul besoin de secret des affaires, juste de transmission, reste la marque de fabrique de la classe ouvrière française.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - La proposition de loi prévoit déjà les exceptions au secret des affaires concernant les salariés. Cet amendement n'est conforme ni à l'esprit ni à la lettre de la directive. Si la divulgation d'un secret est le fait d'un salarié, qui n'entre pas dans le champ des dérogations prévues par le texte, c'est au juge d'évaluer son intention. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Même avis.

L'amendement n°13 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°15, présenté par M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Après l'alinéa 38

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Le fait d'entraver ou de sanctionner le signalement ou la révélation d'une information relative à un crime, un délit, une menace ou un préjudice grave pour l'intérêt général est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. 

M. Éric Bocquet.  - Le présent amendement instaure des sanctions pénales contre l'entrave au signalement d'une alerte ou à des mesures de rétorsion à l'encontre d'un lanceur d'alerte.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - L'article 13 de la loi Sapin 2 vous donne satisfaction. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Même avis.

L'amendement n°15 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°14, présenté par M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Après l'alinéa 38

Insérer quatre alinéas ainsi rédigés :

« Section 5

« Protection de la mobilité des travailleurs

« Art. L. 151-...  -  La connaissance d'un secret d'affaire acquise par un salarié dans l'exercice normal de son activité professionnelle ne peut justifier d'autres limitations à occuper un nouvel emploi que celles prévues à son contrat de travail.

« Une clause de non-concurrence insérée dans tout contrat de travail, accord ou convention collective doit dès lors être cumulativement : indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, limitée dans le temps, limitée dans l'espace, tenir compte des spécificités de l'emploi du salarié, comporter une contrepartie financière dont le montant doit être proportionnel à l'ampleur de la sujétion imposée par la clause.

M. Fabien Gay.  - La protection du secret des affaires est importante, mais doit-elle empiéter sur les droits des salariés ? L'article 15 de la Charte des droits fondamentaux est clair. L'article premier garantit le libre exercice d'une profession, l'article 2 la recherche d'un emploi sur l'ensemble du territoire de l'Union pour tous les citoyens européens et l'article 3 pour ceux des pays tiers et le droit du travail encadre les droits d'exclusivité. C'est par ce biais qu'il convient d'aborder le secret des affaires. C'est le savoir-faire des salariés, plus que l'argent des actionnaires qui produit la valeur ajoutée d'une entreprise. Pourquoi brider l'expression de compétences acquises par les salariés ? Il s'agit aussi de protéger le dialogue entre les salariés et leurs représentants, qui ne doit pas s'apparenter à un jeu à énigmes.

M. le président.  - Amendement n°50, présenté par Mme Lienemann et les membres du groupe socialiste et républicain.

Après l'alinéa 38

Insérer quatre alinéas ainsi rédigés :

« Section 5

« Protection de la mobilité des travailleurs

« Art. L. 151-...  -  Les présentes dispositions ne peuvent avoir pour effet d'imposer aux salariés dans leur contrat de travail des restrictions supplémentaires autres que celles imposées conformément au droit jusqu'alors en vigueur.

« Une clause de non-concurrence insérée dans tout contrat de travail, accord ou convention collective doit dès lors être cumulativement : indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, limitée dans le temps, limitée dans l'espace, tenir compte des spécificités de l'emploi du salarié, comporter une contrepartie financière dont le montant doit être proportionnel à l'ampleur de la sujétion imposée par la clause.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Il s'agit de reprendre les restrictions concernant les clauses de concurrence, dégagées par la jurisprudence.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - Avis défavorable à ces amendements dont l'objet est très proche, puisqu'ils consistent à réduire la possibilité de prévoir des clauses de non-concurrence dans les contrats de travail. Ce sujet est distinct, il relève du code du travail et occupe bien les juges.

Les salariés, même en l'absence d'une clause de non-concurrence, sont soumis d'ores et déjà à une obligation de confidentialité et de respect des secrets dont ils ont connaissance, indépendamment de toute clause de non-concurrence, sauf exceptions prévues pour la communication avec les représentants des salariés. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Même avis. Aucune disposition de la proposition de loi ne modifie le droit du travail. La disposition interprétative prévue à l'article premier de la directive précise que ce n'est pas son objet. Il est donc inutile de prévoir une disposition expresse.

Il n'est en outre pas justifié de remettre en cause la jurisprudence constante sur ce point, le considérant 13 de la directive le rappelle clairement.

M. Jacques Bigot.  - Je ne comprends pas que le Gouvernement ne soit pas attentif à préciser davantage les choses dans la loi. C'est important pour les salariés. Nous voterons ces amendements.

L'amendement n°14 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°50.

M. le président.  - Amendement n°47 rectifié, présenté par M. J. Bigot et les membres du groupe socialiste et républicain.

Alinéa 41

Compléter cet alinéa par les mots :

si ce dernier est un organe de presse, même relevant du statut des sociétés commerciales, devant le tribunal de grande instance, par dérogation à l'article 721-3

M. Jacques Bigot.  - Cet amendement donne une compétence exclusive au TGI pour connaître des actions en responsabilité civile intentées par les entreprises contre les organes de presse, même si ceux-ci ont le statut de sociétés commerciales. Ces affaires ne sauraient être jugées par le tribunal de commerce, mais par le TGI, qui est, selon vos propres mots, Madame la Ministre, le garant des libertés.

J'espère donc un avis favorable de votre part et, compte tenu de la rectification que j'y ai apportée sur les instances du rapporteur, également de ce dernier.

M. le président.  - Amendement n°30 rectifié, présenté par Mmes Lienemann, Jasmin et Meunier, M. Mazuir, Mme G. Jourda, M. Tourenne, Mme de la Gontrie, M. Jomier, Mme Préville et M. Cabanel.

Après l'alinéa 58

Insérer trois alinéas ainsi rédigés :

« Section...

« De la compétence des tribunaux

« Art. L. 152-2-... - Il est donné une compétence exclusive au tribunal de grande instance de Paris pour toutes les actions menées.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Cet amendement fait de même, pour les organes de presse qui ont le statut de sociétés de droit privé.

M. le président.  - Amendement n°74 rectifié, présenté par MM. Labbé, Arnell et Artano, Mme M. Carrère, M. Corbisez, Mme Costes, M. Dantec, Mme N. Delattre, M. Gold et Mme Laborde.

Après l'alinéa 58

Insérer trois alinéas ainsi rédigés :

« Section...

« De la juridiction compétente

« Art. L. 152-2-... - Il est donné une compétence exclusive au tribunal de grande instance de Paris pour toutes les actions menées.

M. Joël Labbé.  - Il y a un risque pour la protection des lanceurs d'alerte, des journalistes, des ONG, des syndicats, si le tribunal de commerce est saisi.

Face à ces acteurs, les juges des tribunaux de commerce pourraient en effet se retrouver en situation de juges et parties. Ce sont des bénévoles élus par les délégués consulaires et par leurs pairs ! Protégeons la liberté d'informer, que cette proposition de loi risque de dissuader.

M. le président.  - Amendement n°21, présenté par M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Alinéas 75 à 85

Supprimer ces alinéas.

M. Éric Bocquet.  - Défendu.

M. le président.  - Amendement n°22, présenté par M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

I. - Alinéa 76

Supprimer les mots :

ou commerciales

II. - Alinéa 77

1° Avant la première phrase

Insérer une phrase ainsi rédigée :

Le tribunal compétent en premier ressort est le tribunal de grande instance.

2° Supprimer les mots :

ou commerciale

M. Fabien Gay.  - Les juges des tribunaux de commerce sont issus du monde de l'entreprise et sont donc susceptibles d'être exposés à des conflits d'intérêts - je songe à la non-certification des comptes de Lactalis, où le vice-président du tribunal de commerce de Laval était le numéro deux d'une usine du groupe.

Seuls les magistrats professionnels peuvent garantir les libertés, sans risquer des conflits d'intérêts.

Cet amendement répond aussi à la demande de LES France, association professionnelle qui regroupe 560 industriels et professionnels de la propriété intellectuelle, ainsi que des acteurs industriels majeurs, favorable a? ce que soit privilégiée la compétence des juges judiciaires des tribunaux de grande instance, sans que ne soit pour autant retenue la compétence exclusive des juridictions parisiennes, comme c'est le cas en matière de brevets.

M. le président.  - Amendement n°75 rectifié, présenté par MM. Labbé, Arnell et Artano, Mme M. Carrère, M. Corbisez, Mme Costes, M. Dantec, Mme N. Delattre, M. Gold et Mme Laborde.

I. - Alinéa 76

Supprimer les mots :

ou commerciales

II. - Alinéa 77

Supprimer les mots :

ou commerciale

M. Joël Labbé.  - C'est un amendement de cohérence avec l'amendement n°74 rectifié.

M. le président.  - Amendement n°32 rectifié, présenté par Mmes Lienemann, Jasmin et Meunier, M. Mazuir, Mme G. Jourda, M. Tourenne, Mme de la Gontrie, M. Jomier, Mme Préville et M. Cabanel.

Alinéa 76

Supprimer les mots :

ou commerciales

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Comme le principe tel qu'il est posé est celui du secret, la charge de la preuve inversée, il appartiendra à la personne poursuivie de faire la preuve de la non-violation du secret, ce qui sera le cas pour le journaliste.

Le risque est grand que l'entreprise, afin d'obtenir une décision favorable, saisisse le tribunal de commerce de cette violation en agissant non contre le journaliste, mais contre l'organe de presse, société de droit privé.

Il faut donc prévoir une règle spécifique d'attribution au TGI.

M. le président.  - Amendement n°62, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 78

Rédiger ainsi cet alinéa :

« 1° Prendre seul connaissance de cette pièce, limiter sa communication ou sa production à certains éléments, en ordonner la communication ou la production sous forme de résumé et en restreindre l'accès à certaines personnes ;

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Cet amendement rétablit la rédaction initiale du 1° de l'article L. 153-1, qui permet au juge de prendre des mesures d'aménagement du principe du contradictoire afin de protéger le secret des affaires. La possibilité pour le juge de prendre seul connaissance d'une pièce n'est pas un préalable à l'aménagement du principe de la contradiction, mais une mesure parmi toutes celles prévues à l'article L. 153-1. Dès lors qu'il s'agit de la mesure la plus dérogatoire à ce principe, il est préférable de ne pas la prévoir comme un préalable systématique. Enfin il importe que le juge puisse restreindre l'accès à la pièce au seul avocat ou représentant de la partie en justice, ce que ne prévoit plus le texte de la commission des lois.

M. le président.  - Amendement n°63, présenté par le Gouvernement.

I.  -  Alinéa 82

Après les mots :

s'applique

insérer les mots :

à ses représentants légaux ou statutaires et

II.  -  Alinéa 83

Remplacer les mots :

pas liées par cette obligation dans leurs rapports entre elles

par les mots :

liées par cette obligation ni dans leurs rapports entre elles ni à l'égard des représentants légaux ou statutaires de la personne morale partie à la procédure

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Cet amendement clarifie le périmètre de l'obligation de confidentialité, dont le principe est énoncé au premier alinéa du nouvel article L. 153-2, lorsqu'une partie est une personne morale.

Il précise que dans cette hypothèse, l'obligation de confidentialité s'applique tant à ses représentants légaux ou statutaires qu'aux personnes qui la représentent au cours de l'instance, qui peuvent être des salariés.

Il explicite le fait que l'obligation de non-confidentialité n'est pas applicable entre la personne physique qui représente la personne morale lors de l'instance et les représentants légaux ou statutaires de cette personne morale. Dans la mesure où un salarié peut représenter la société dans laquelle il travaille devant une juridiction, il devra rendre compte des débats auprès de son employeur, le représentant légal ou statutaire de cette société. Dans cette situation, il ne peut en effet y avoir application d'une obligation de confidentialité entre le salarié et l'employeur en vertu du principe du contradictoire.

M. le président.  - Amendement n°88, présenté par M. Frassa, au nom de la commission des lois.

Alinéa 82

Remplacer les mots :

à ceux

par les mots :

aux personnes

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - Amendement rédactionnel.

Les amendements nos47 rectifié, 30, 74 rectifié, 22, 75 rectifié et 32 réservent au TGI, voire au seul TGI de Paris, la compétence sur les cas de violation du secret des affaires. Tribunal de commerce et TGI relèvent pourtant tous deux de l'ordre judiciaire : cour d'appel et Cour de cassation assurent l'harmonisation des jurisprudences.

Les propos de certains font preuve d'une sorte de défiance et de mépris insupportable à l'égard des juges des tribunaux de commerce. Mais, quoi qu'on en pense, le tribunal de commerce ne pourra connaître d'une affaire concernant un journaliste personne physique, un lanceur d'alerte, un syndicat ou une association ! Il n'y a pas lieu de bouleverser les règles de compétences des différentes juridictions : comme les tribunaux de grande instance, les tribunaux de commerce devront appliquer la loi, éclairés par la jurisprudence des cours d'appel et de la Cour de cassation, dans le respect des principes constitutionnels d'indépendance et d'impartialité des juridictions, sans préjudice des voies de recours pour les personnes condamnées Les amendements ne visent en outre que les organes de presse, ce qui ne convient pas. Avis défavorable à ces amendements.

L'amendement n°21 revient sur un apport important de l'Assemblée nationale et l'ordonnance invoquée par son auteur ne couvre pas tous les cas d'actions judiciaires liées à la protection du secret des affaires : avis défavorable.

L'amendement n°62 du Gouvernement revient au texte de l'Assemblée nationale alors qu'il n'est pas tout à fait conforme à l'article 9 de la directive et méconnaîtrait le principe du contradictoire.

Le texte de l'Assemblée nationale a été contesté avec constance lors des auditions que nous avons conduites : avis défavorable.

La commission des lois a prévu une obligation de confidentialité ; l'amendement n°63 l'étend : avis favorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Avis défavorable aux amendements nos47 rectifié, 30, 74 rectifié, 21, 22 et 32 : ne dérogeons pas aux règles de droit commun. Il est inutile de préciser que les lanceurs d'alerte, journalistes, particuliers non commerçants seront soumis au TGI.

Avis défavorable aux amendements nos75 rectifié et 21 pour des raisons similaires à celles du rapporteur.

Avis défavorable à l'amendement n°88 : mon amendement n°63 récrit plus globalement les dispositions.

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Ah ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur.  - Ils sont compatibles !

L'amendement n°47 rectifié n'est pas adopté, non plus que les amendements nos30, 74 rectifié, 21, 22, 75 rectifié et 32.

M. Jacques Bigot.  - Cet amendement prouve bien qu'il y a un problème de procédure. Le juge ne peut décider seul de la communication d'une pièce. Je m'abstiendrai, le problème juridique reste entier.

L'amendement n°62 n'est pas adopté.

L'amendement n°63 est adopté, de même que l'amendement n°88.

M. le président.  - Nous avons examiné 50 amendements. Il en reste 33.