Rappels au Règlement

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques .  - Cette reprise s'effectue dans une ambiance politique pour le moins électrique. L'affaire Benalla met en lumière des dysfonctionnements majeurs au plus haut niveau de l'État, que le Sénat ne saurait accepter : confusion des pouvoirs, mensonge, sentiment d'impunité, mensonges de ministres à la presse, commentaires surréalistes - M. Benalla serait maintenant bagagiste !

C'est indigne de la République et irrespectueux des Français.

Plus que jamais le Sénat joue son rôle de contre-pouvoir en transformant, à la demande du président Larcher, la commission des lois en commission d'enquête pour que la lumière soit faite et en assurant la continuité de l'État, en poursuivant ses travaux. Toutefois, il me semble désormais impossible, dans ce climat et au regard de l'avancée de l'examen du projet de loi ELAN, d'envisager une CMP sereine avant la fin de la semaine extraordinaire. En tout cas, je m'y opposerai - par respect de la qualité même de nos travaux. (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)

Mme Éliane Assassi .  - Je m'associe à ces propos. Il est vrai que la crise politique déclenchée la semaine dernière est profonde, grave. Pas plus tard que ce matin, nous apprenions que M. Benalla disposait aussi d'un badge lui donnant accès à l'Hémicycle de l'Assemblée nationale - il faudra nous dire pourquoi.

Devant la pression de l'opposition à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a entendu l'impossibilité de poursuivre le débat sur la révision constitutionnelle, car cette affaire fait vaciller les institutions. Le calendrier de son examen doit être revu, c'est certain.

La commission des lois se forme en commission d'enquête, c'est une bonne chose. Cependant, nous avons besoin de précisions. Qui d'autre que M. Collomb sera auditionné ? Tous les membres de la commission seront-ils autorisés à poser toutes questions leur paraissant utiles ? À l'Assemblée nationale, les présidents de groupe ont été sollicités pour établir la liste des personnes auditionnées. Nous aurons demain des questions d'actualité, où l'opposition, malheureusement, disposera d'un temps de parole plus court. Je déplore que l'article 50-1 de la Constitution ne soit pas activé.

Nous avons besoin de réponses précises, car l'heure est grave pour notre démocratie.

M. Philippe Dallier .  - Il est heureux que les plus hautes autorités de l'État se soient rendu compte que l'affaire Benalla ne peut pas être balayée d'un revers de main et que les travaux du Parlement ne peuvent se poursuivre comme si de rien n'était. Il faudra clarifier les responsabilités dans l'organisation des services de l'Élysée : qui a demandé de faire quoi, à qui, et pourquoi ?

Cette affaire a aussi des répercussions sur la révision constitutionnelle, et notamment les prérogatives du Parlement. Plus que jamais, il ne saurait être question de les réduire désormais !

Quant à la loi ELAN, pourrions-nous être éclairés sur son calendrier ? Prévoit-on d'en finir l'examen mardi soir ? Vendredi ?

M. Hervé Marseille .  - Le Sénat ne pouvait rester à l'écart. Je me réjouis de la réactivité de la commission des lois, qui se transforme en commission d'enquête - de façon consensuelle et sereine, ce qui fait notre différence.

Un article dans la presse titre : « Le Sénat : un contre-pouvoir tranquille. » Le bicamérisme sort reconnu de cette affaire. Si nous contrôlons l'action du Gouvernement, nous devons aussi poursuivre notre action de législateur - notre pays a besoin d'une Haute assemblée qui travaille. Nous aurons ce débat lors des débats de la révision constitutionnelle. (Applaudissements)

M. Richard Yung .  - Nous sommes unanimes à condamner les actes révélés pendant le week-end, leurs auteurs sont mis en examen et seront condamnés - j'ai confiance dans la justice de mon pays, les juges feront la lumière sur ce qui s'est produit.

Comme à l'Assemblée nationale, la commission des lois du Sénat se transforme en commission d'enquête, pour faire la lumière sur les aspects non judiciaires mais plus politiques. Je m'en réjouis.

Je me garderai, cependant, d'entrer dans le débat de savoir si ces événements remettent en cause la réforme institutionnelle en cours - ce débat politique vient après. (Exclamations sur de nombreux bancs ; M. Philippe Dallier et Mme Éliane Assassi protestent.)

Il n'y a pas de raison que nous cessions l'examen des textes en cours et que ces événements grippent la machine parlementaire.

Mme Éliane Assassi.  - Nous ne l'avons pas dit !

M. Richard Yung.  - Le Sénat doit poursuivre son travail pour assurer la continuité parlementaire.

M. Xavier Iacovelli .  - Il n'a jamais été question, pour le groupe socialiste, de repousser l'examen de la loi ELAN.

Le 1er mai à Paris, un chargé de mission de l'Élysée et un employé d'En Marche tabassaient un étudiant et commettaient d'autres actes inadmissibles. L'Élysée et le ministre de l'Intérieur en étaient rapidement avertis mais l'article 40 du code de procédure pénale n'était pas déclenché et la justice, pas saisie. Pourquoi Alexandre Benalla est-il, à 26 ans, lieutenant-colonel, plus gradé que M. Arnaud Beltrame, un grade normalement octroyé aux officiers après quarante ans et qui permet de diriger 3 000 hommes ? Cela laisse songeur, sachant qu'à 26 ans, Napoléon n'était encore que capitaine...

Pourquoi le président de la République a-t-il attendu cinq jours pour sortir de son silence ? Pourquoi s'est-il fait représenter par le Premier ministre à la commémoration de la rafle du Vel d'Hiv, alors que, traditionnellement, c'est le président de la République qui y représente l'État ? Comment le ministre des relations avec le Parlement peut-il affirmer qu'il n'a fallu que cinq jours pour licencier Alexandre Benalla, alors qu'en réalité, les faits étaient connus depuis le 2 mai ?

Alors que l'exécutif entend limiter les pouvoirs du Parlement, les Français se rendent compte, avec cette affaire, de l'importance du Sénat et du bicamérisme.

M. Didier Guillaume .  - Jeudi dernier, pendant les questions d'actualité, Mme Assassi a posé au Premier ministre la question qu'il fallait poser sur l'affaire Benalla, entraînant une réaction du Gouvernement. Je salue la réactivité du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste.

L'affaire Benalla est un scandale absolu et une catastrophe politique.

C'est un scandale de voir un homme prendre de telles responsabilités et se comporter ainsi - la commission d'enquête nous fera connaître le détail, il apparaît déjà clair que cet individu doit être sanctionné.

Mais cette affaire renvoie aussi une image catastrophique de la politique à nos concitoyens !

Le RDSE se félicite donc de la constitution d'une commission d'enquête sénatoriale. Le Sénat ne doit pas singer l'Assemblée nationale, nous devons réaffirmer que le bicamérisme est une nécessité, une condition de survie de notre démocratie. M. Collomb répond en ce moment même aux questions de nos collègues députés ; j'espère que la justice et que les commissions d'enquête répondront à nos questions. La Haute Assemblée est à sa place, poursuivons nos travaux législatifs tout en prenant toute notre part dans l'établissement de la lumière sur cette affaire scandaleuse. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)

M. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires .  - Si j'étais encore sénateur, je demanderai comme vous que le Sénat exerce son pouvoir de contrôle et joue son rôle de représentant des Français et des territoires, au service de la démocratie.

Cette affaire illustre ce que j'ai toujours pensé de la Ve République, qui a des avantages, mais manque un peu de contre-pouvoirs. Je ne change pas d'avis aujourd'hui. Cela étant, je salue l'attitude du Sénat qui exerce sa mission de contrôle, mais poursuit en même temps son travail de législateur. Le bicamérisme et la proximité des élus du terrain sont de bonnes choses. Je n'ai jamais changé d'avis et je n'en changerai pas sur la question. (Applaudissements sur tous les bancs)

M. le président.  - Dans une lettre officielle, M. Bas, président de la commission des lois, me demande de changer l'ordre du jour pour examiner à 14 h 30 l'octroi des prérogatives de commission d'enquête à la commission des lois.

L'ordre du jour est ainsi modifié.