Demande de création d'une commission d'enquête

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen d'une demande de la commission des lois tendant à obtenir du Sénat, en application de l'article 5 ter de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, qu'il lui confère, pour une durée de six mois, les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête afin de mener sa mission d'information sur les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements.

Il a été donné connaissance de cette demande au Sénat lors de sa séance de ce matin. Je vais mettre aux voix la demande de la commission des lois.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois .  - La commission des lois s'est réunie ce matin et a unanimement décidé de demander au Sénat de lui octroyer les pouvoirs d'investigation d'une commission enquête, comme pour la mise en oeuvre de l'état d'urgence ou pour sa mission d'information sur l'état de la justice.

Ces prérogatives lui permettent d'auditionner toutes les personnes pouvant apporter un éclairage sur les dysfonctionnements liés à l'affaire Benalla et, bien au-delà de cette affaire, sur les dysfonctionnements que nous avons constatés : confusion des pouvoirs entre les responsabilités constitutionnelles du président de la République et celles du Gouvernement dans la mise en oeuvre de la politique de sécurité ainsi que les difficultés que cette confusion fait apparaître en ce qui concerne les conditions de mise en oeuvre de la sécurité du président de la République, qui ne saurait être confiée à des amateurs mais à des professionnels spécialement sélectionnés, formés, entraînés.

Ces pouvoirs nous permettraient, outre les auditions, de recevoir aussi toutes les notes internes de service que nous jugerions utiles.

Je rappelle que le refus de se soumettre à nos convocations est passible de deux ans de prison et 7 500 euros d'amende. Nous souhaitons entendre le ministre de l'intérieur, le directeur de cabinet du président de la République, le secrétaire général de la présidence de la République, le préfet de police, certains hauts fonctionnaires civils et militaires, les syndicats de la police nationale et toute personne susceptible de nous éclairer. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Bruno Retailleau .  - Je ne doute pas que cette demande sera votée à une très large majorité.

Cette affaire ne met pas seulement en cause un individu, un lampiste, un bagagiste comme a dit avec un sens de l'humour consommé M. Castaner ce matin. Elle met en cause nos institutions.

Comment se fait-il qu'un individu déguisé en policier se retrouve au coeur d'une opération de maintien de l'ordre et puisse tabasser des manifestants, au risque de salir l'honneur de la police nationale ?

Elle blesse aussi le principe d'égalité devant la loi : alors même que l'Élysée n'a pas saisi la justice, on apprend que la petite sanction de quinze jours s'est doublée de certains cadeaux, au rang desquels un logement de fonction quai Branly.

Enfin, quelle crédibilité apporter à la parole publique alors que le porte-parole de l'Élysée nous avait assuré que M. Benalla n'exerçait plus de fonctions à l'extérieur du Palais ? Faux, puisqu'on le retrouve à l'entrée au Panthéon de Simone Veil et au commandement du bus qui ramenait les Bleus jusqu'à l'Élysée.

Cette affaire révèle une pratique institutionnelle inacceptable. Le pouvoir d'un seul peut très vite se transformer en pouvoir arbitraire. Au moment où devait nous être soumise la révision constitutionnelle, cette affaire entre en résonnance. Elle nous interroge tous pour savoir ce que nous voulons pour la démocratie, pour la République. Voulons-nous concentrer les pouvoirs entre les mains d'un seul homme ou avoir des contre-pouvoirs au premier rang desquels un Parlement sur ses deux pieds qui assure la continuité de la République et des pouvoirs ? (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)

M. Patrick Kanner .  - Un exécutif fort ne peut se concevoir qu'avec un Parlement fort. Nous soutiendrons la création de cette commission d'enquête pour donner notre conception de ce que doit être l'État de droit. Pour nous, c'est l'équilibre des pouvoirs, un président respectueux des règles, un bicamérisme que nous savons aujourd'hui sinon menacé, du moins affaibli par le projet de révision.

Nous sommes face à une affaire d'État, je ne parle pas de scandale ; la commission d'enquête et les autorités judiciaires se prononceront.

Nous auditionnerons toutes celles et tous ceux qui pourraient éclairer cette affaire. Il ne s'agit pas de donner des sanctions mais d'établir les responsabilités et de veiller au respect de l'état de droit. (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)

Mme Éliane Assassi .  - Dans ma question au Gouvernement de jeudi dernier, j'avais appelé à la création d'une commission d'enquête. Je me félicite donc de la proposition de la commission des lois. Ce sera utile à l'établissement des faits et à l'information du citoyen.

De nouveaux éléments sont apparus ce week-end. Ce n'est pas une affaire individuelle mais bien une affaire d'État qui fait vaciller nos institutions. J'y vois aussi un lien avec le projet de loi constitutionnelle dont le débat a été suspendu jusqu'à la rentrée prochaine.

Toutefois, je voudrais des précisions sur le fonctionnement de la commission d'enquête : qui pourra intervenir lors des auditions ? Les parlementaires qui ne sont pas membres de la commission des lois pourront-ils poser des questions, comme ce fut le cas ce matin à l'Assemblée nationale ? Pourrons-nous aussi proposer des listes de personnes et d'organisations à auditionner ? À l'Assemblée nationale, tous peuvent poser des questions et les présidents de groupe ont été sollicités pour proposer des noms de personnes à auditionner.

M. François Patriat .  - Attaché à la transparence, le groupe LaREM soutiendra la constitution de la commission d'enquête, car nous avons le souci de la transparence et de la vérité. S'il y a eu des manquements, ils doivent être dénoncés et sanctionnés.

Évidemment, nous ne sommes pas dupes des arrière-pensées de certains. Affaire d'État ? Nous en avons connu d'autres par le passé ! Chacun devrait faire preuve d'humilité (Exclamations à droite) Nous demandons à ceux qui se comportent comme des procureurs d'attendre l'issue des travaux de la commission d'enquête.

M. Hervé Marseille .  - Je salue la réactivité du Sénat et de sa commission des lois qui a travaillé de façon sereine et consensuelle, contrairement au désolant spectacle offert par l'Assemblée nationale.

C'est au Parlement et singulièrement au Sénat, non aux réseaux sociaux ou aux chaînes continues d'information, de contrôler le Gouvernement. Nous devons aussi continuer à légiférer, comme ce matin, avec l'examen de la loi ELAN. Nous sommes dans l'incertitude du calendrier à venir, mais je tiens à saluer le rôle du Sénat.

Le préfet de police de Paris a parlé à l'instant de « copinage malsain ». Je pense que nous aurons vite des éclaircissements sur cette affaire ; d'autant qu'une procédure judiciaire a aussi été ouverte.

Au-delà, c'est la question du bicaméralisme et du rôle du Parlement qui est posée avec le projet de loi constitutionnelle. À un exécutif fort, il faut un Parlement fort. La réforme ne peut être celle qui était envisagée il y a encore quelques semaines.

L'Assemblée nationale a eu du mal à obtenir que le ministre vienne s'expliquer. Ce n'est pas normal. Le Parlement et surtout le Sénat devront affirmer leur place dans nos institutions. (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux des groupes LaREM et CRCE)

Mme Maryse Carrère .  - Au nom du groupe RDSE, je salue l'initiative du Sénat visant à faire toute la lumière non pas sur les agissements d'un individu, mais sur des faits de nature politique qui mettent en jeu des questions institutionnelles. Les faits dont il est question ne peuvent que nourrir les populismes et la défiance des citoyens envers les politiques.

Je salue la volonté de notre commission des lois de ne pas s'aligner sur le périmètre d'investigation de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale en s'interrogeant sur l'exercice des missions de maintien de l'ordre par des personnes extérieures aux forces de sécurité intérieure.

Notre démocratie a besoin d'un bicamérisme équilibré et fort, assorti de contre-pouvoirs responsables, à même de maintenir le lien de confiance entre nos concitoyens et leurs élus.

J'espère que nos travaux se dérouleront dans la plus grande sérénité afin de faire éclater la vérité (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains)

Mme Colette Mélot .  - Les Indépendants voteront pour cette transformation de la commission des lois en commission d'enquête. Les faits sont choquants, la lumière doit être faite. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Indépendants et RDSE et sur quelques bancs du groupe SOCR)

M. le président.  - Je mets aux voix la demande de la commission des lois.

Elle est adoptée à l'unanimité. (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe LaREM)

En conséquence, la commission des lois se voit conférer, pour une durée de six mois, les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête pour mener cette mission d'information.

Le Gouvernement sera informé de la décision qui vient d'être prise par le Sénat.

Je vous dis toute ma fierté. C'est important pour notre institution de prendre ses responsabilités.

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Je remercie le Sénat. La commission des lois a désigné ce matin comme co-rapporteurs, Mme Muriel Jourda et M. Jean-Pierre Sueur.

Nous ferons tout pour honorer la confiance unanime de notre assemblée. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)