Préjudice pour les entreprises de la sur-transposition du droit européen

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle un débat sur le préjudice représenté, pour les entreprises françaises, par la sur-transposition du droit européen en droit interne, demandé par la commission des affaires européennes et la délégation sénatoriale aux entreprises.

Mme Élisabeth Lamure, présidente de la délégation sénatoriale aux entreprises .  - Depuis quatre ans, la délégation sénatoriale aux entreprises sillonne la France à la rencontre des entreprises. Partout, le désavantage compétitif de notre pays lié à la sur-transposition nous est signalé. Nous le mentionnions déjà dans le rapport de février 2017, « Simplifier efficacement pour libérer les entreprises », citant l'exemple de l'industrie du bois en Saône-et-Loire, les normes européennes en matière de poussières de bois étant cinq fois plus basses que celles que la France a choisi de s'imposer.

La commission aux affaires européennes l'a confirmé dans son propre rapport de février 2017 « La simplification du droit : une exigence pour l'Union européenne », relevant l'exigence excessive de la France en matière d'application du droit européen.

D'où ce débat souhaité par Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, et moi-même.

Le Gouvernement n'ignore pas ce problème, évoqué lors des premiers comités interministériels à l'action publique (Cimap) du 18 décembre 2012 et du 2 avril 2013.

La circulaire du 17 juillet 2013, qui en découlait, prévoyait la limitation de l'inflation normative et de la sur-transposition. Un rapport sur les écarts de sur-transposition entre la France et ses voisins a été rendu au ministre de l'économie, Emmanuel Macron, en mars 2016 : aucune suite ne lui a été donnée.

Une nouvelle circulaire a été prise en juillet 2017, pour interdire toute sur-transposition sans justification et visant le flux comme le stock de normes, et une mission d'inspection devait rendre ses conclusions en mars 2018.

Sans attendre le projet de loi promis, la commission des affaires européennes et la délégation sénatoriale aux entreprises se sont mobilisées pour expertiser le sujet, lançant notamment une consultation en ligne, dont notre collègue René Danési a synthétisé les résultats. Je lui cède immédiatement la tribune. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; MM. Franck Montaugé et Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, applaudissent également.)

M. René Danesi, au nom de la commission des affaires européennes .  - Le 28 juin dernier, la commission des affaires économiques et la délégation sénatoriale aux entreprises ont adopté le rapport intitulé « Sur-transposition du droit européen en droit français : un frein à la compétitivité des entreprises ». Son apport est simple : toute sur-transposition doit être écartée car il en résulte des coûts, une charge administrative et une dissymétrie concurrentielle.

M. Charles Revet.  - Tout à fait !

M. René Danesi.  - Extension du champ, obligations supplémentaires, maintien d'obligations préalables, non-exploitation des souplesses offertes par le droit européen : les cas de figure sont nombreux.

Le rapport formule vingt-six recommandations. En vrac : la participation active aux négociations pour faire prévaloir les normes françaises, refonte en profondeur de nos dispositifs, identification de nos sur-transpositions et évaluation au regard de l'objectif poursuivi, examen par le Parlement des insuffisances provenant des transpositions par voie d'ordonnances... Le Gouvernement en est conscient puisqu'il a déposé un projet de loi à cette fin, inscrit à l'ordre du jour du Sénat mardi prochain. C'est là une première étape seulement. Une mission inter-inspections a éclairé utilement ce qu'il reste à faire. La loi pour un État au service d'une société de confiance était une première étape.

Le Sénat souhaite enfin que soit traité le stock de sur-transpositions législatives au moyen d'un véhicule dédié. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; Mme Annick Billon et M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, applaudissent également.)

M. Charles Revet.  - Très bien !

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances .  - Je suis heureuse de débattre de ce sujet avec vous dans le cadre de votre semaine de contrôle.

Le président de la République et le Premier ministre ont pris des engagements forts pour simplifier la vie des entreprises.

Le débat s'inscrit dans une séquence riche : le rapport Danesi a fait le tour du sujet, et la commission compétente a examiné le projet de loi remédiant à la sur-transposition hier même.

Il y a au moins trois méthodes de sur-transposition : laisser subsister des règles anciennes plus contraignantes, dépasser les standards européens, s'abstenir d'exploiter les possibilités de simplification offertes par le droit européen lui-même. Tout cela, sans apporter de garanties nouvelles aux entreprises ou à nos concitoyens !

C'est pourquoi le Gouvernement a décidé de s'atteler à ce problème. Car plus le droit français sera sur-transposé, plus son attractivité en pâtira.

Premier principe fixé par le Premier ministre : mettre un terme à toute sur-transposition non justifiée. Cela suppose d'évaluer le stock de sur-transpositions existantes, effort maintenu au fil de l'eau pour les nouvelles directives. Cela implique-t-il la fin de toute sur-transposition ? Non, car nous assumons parfois d'aller au-delà de ce qu'impose Bruxelles. L'Europe n'est pas synonyme d'un nivellement systématique par le bas et nous serons très présents dans les négociations pour défendre des niveaux de normes correspondant à nos attentes. Tel est l'esprit du projet de loi que vous examinez en ce moment.

Nous allégeons les obligations comptables des entreprises, par exemple pour mieux les protéger. Autre exemple, dans la loi Pacte : le relèvement du seuil de certification légale des comptes qui a un coût, estimé à 5 500 euros pour les entreprises par an, et qui n'a pas été jugé pertinent.

Enfin, la suppression de l'obligation pour les chambres de compensation françaises d'être agréées supprimera une contrainte lourde pour la place financière de Paris. Voilà la logique que nous comptons mettre en place. (Mme Élisabeth Lamure, présidente de la délégation sénatoriale aux entreprises, MM. René Danesi et Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, applaudissent.)

M. Fabien Gay .  - La sur-transposition est le nouveau mot magique, qui ne fait que reprendre le vieux discours « Trop de contraintes ! ». Certes, il y a une inflation législative et la loi est parfois bavarde. Mais votre critique de la sur-transposition est à géométrie variable. Lorsqu'il s'agit d'aller plus loin que les libéralisations dictées par Bruxelles, personne ne s'en émeut ! Nous pensons que sur-transposer est une bonne chose en matière de prévention du surendettement, de sécurité alimentaire ou de droit du travail.

Comment le seul coût économique peut-il être pris en compte lorsqu'est en jeu la santé des travailleurs, l'environnement ou la sécurité des consommateurs ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État.  - Je vous rejoins : le droit doit être stable, simple, lisible et compréhensible.

Sur les sujets importants comme la sécurité ou la santé au travail, on peut assumer de sur-transposer. Je ne crois toutefois pas qu'il faille plus de normes pour être plus efficace. Leur prolifération peut même au contraire asphyxier les entreprises et complexifier la vie des citoyens. Nous devons mener une pondération entre calcul économique et notre socle de valeurs.

M. Henri Cabanel .  - On dit que c'est un mal français. C'est en tout cas un vrai serpent de mer, qui donne lieu à des rapports aux conclusions tranchées... Et si la vérité était nuancée ?

Nous sommes législateurs responsables de la quantité de lois votées. Elles reflètent parfois le poids des lobbies.

Derrière la quantité se pose la question des objectifs poursuivis, et de notre capacité à faire prévaloir notre position dans les négociations européennes.

Qu'attend-on pour prendre en compte l'avis de toutes les parties prenantes et pour évaluer l'impact des textes ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État.  - Oui, l'Europe est parfois loin des citoyens et des entreprises, qui s'en défient en retour.

Les derniers mois, nous avons précisément travaillé à mettre plus de concertation dans nos process et à mieux prendre en compte, je n'ose dire les intérêts, mais les attentes des entreprises et des citoyens.

Nous procédons en outre systématiquement à des évaluations des politiques menées, tels les programmes d'investissement d'avenir (PIA).

Le rapporteur Danesi voit juste : nous allons dans son sens, tant en amont par la législation, qu'en aval par l'évaluation.

M. Henri Cabanel.  - Comme sous l'ancien quinquennat avec le diméthoate, se pose à présent la question d'interdire l'utilisation d'une matière dangereuse, le glyphosate : elle doit être décidée à l'échelle européenne !

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes.  - Très bien !

Mme Sylvie Goy-Chavent.  - Exactement !

M. Franck Menonville .  - Beaucoup d'entreprises vont utiliser les ports du Nord dans le cadre de solutions multimodales. Cela réduit le mouvement de camions en proportion à travers une optimisation des plans de chargement.

La directive 96/53/CE du 25 juillet 1996 transposée en 1997 dans le code de la route détermine des normes de poids des véhicules. Certains transporteurs étrangers profitent d'une lacune de transposition pour transporter des conteneurs surchargés. Si le contrôle technique est possible, il n'y a aucun texte répressif prévu par la transposition.

Que comptez-vous faire, madame la ministre, pour lutter contre cette concurrence déloyale ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État.  - Le trafic international est limité à 40 tonnes, la France limite à 44 tonnes le transport intérieur. Vous avez pointé le non-respect des règles par certains.

Le ministre des transports réalise des consultations pour définir un cadre de sanctions.

M. Claude Kern .  - La surtransposition est source de difficultés pour nos entreprises. Tous, entrepreneurs, agriculteurs et industriels en souffrent, notamment dans les zones transfrontalières.

Cela nuit à l'attractivité économique de notre pays, notamment dans le contexte du Brexit, qui devrait être une opportunité de développement. Encore faut-il que ces entreprises fassent le choix de la France !

Dans le projet de loi actuellement en cours d'examen, une mesure renforce l'attractivité de la place financière de Paris. Mais il faut aussi penser aux entreprises, y pensez-vous ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État.  - Le Gouvernement a lancé un plan ambitieux pour l'attractivité de la place financière de Paris, et une mission a aussi été confiée à Ross McInnes sur les entreprises ; la semaine dernière, une dirigeante de Morgan Stanley me faisait part de ses remarques pour alléger les sur-transpositions.

Annoncés par le Premier ministre en juillet 2017 puis en juillet 2018, la suppression de l'obligation d'agrément des chambres de compensation, les allègements pour les sociétés cotées, l'élargissement de l'accès au système de règlement à livraison y participent.

Nous avons identifié un écart de compétitivité-coût, notamment avec l'Allemagne, qui n'est pas le pays le moins-disant socialement. Les écarts de salaire peuvent atteindre 30 % avec notre voisin. C'est aussi un sujet dont nous devons traiter. Nous devons régler tous les problèmes de compétitivité, y compris la réduction de la dette publique.

M. Jean-Pierre Decool .  - Le débat interroge les législateurs français et européens et l'influence française en Europe. La sur-transposition n'est pas forcément un mal. Veillons à évaluer les sur-transpositions, et arbitrer entre les inconvénients et l'intérêt général.

Mais nous sommes trop peu présents à Bruxelles, dans la phase de consultation, ainsi qu'au sein des comités techniques notamment.

Notre modèle d'influence bicéphale, avec la représentation à Bruxelles d'un côté, le Secrétariat général aux affaires européennes de l'autre, est souvent critiqué pour sa lourdeur. Comment renforcer l'influence française pour renforcer nos standards et davantage associer les entreprises en amont et en aval des décisions ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État.  - La France a souvent été critiquée pour son influence limitée, par rapport à d'autres, qui savent très bien tirer leur épingle du jeu, comme les Anglais !

Nous travaillons le plus en amont sur nos objectifs, afin de négocier avec nos voisins européens. Ainsi, nous essayons de construire une position commune sur la fiscalité numérique.

Nous savons combien c'est difficile... Nous devons associer les entreprises, mais en faisant attention à bien être objectifs. Nous devons aussi associer les ONG et les autres acteurs concernés.

Mme Anne-Marie Bertrand .  - Le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) existe déjà, d'autres instances pourraient limiter les sur-transpositions aux entreprises. Comment en est-on arrivé là ? La sur-transposition est le résultat d'un État qui peine à faire appliquer des lois et en recrée sans en attendre les effets. Cette boulimie législative provoque des lacunes entre excès de législation, sur-transposition et études d'impact : la machine s'est emballée et plus personne ne s'y retrouve !

La solution n'est-elle pas de laisser les gouvernements moins légiférer mais mieux appliquer les lois existantes ? Un tiers de ces lois ne sont pas mises en oeuvre faute de décret d'application. Certes, députés et sénateurs doivent prendre toute leur part de cet effort.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État.  - « Quand la loi bavarde, le citoyen ne lui prête qu'une oreille distraite », apprenait-on en cours de droit public. Oui, il faut améliorer la loi, pour qu'elle soit lisible et applicable.

La loi doit s'effacer parfois devant le règlement dont elle prend trop souvent la place et pour une norme créée, deux doivent être supprimées, d'après une circulaire du Premier ministre.

Mme Anne-Marie Bertrand.  - Merci. J'ai conscience que ce travail est ingrat, mais pour autant essentiel pour ne pas pénaliser nos entreprises.

M. Franck Montaugé .  - En mars dernier, une proposition de loi socialiste pour confier les études d'impact à des cabinets indépendants a été adoptée à l'unanimité. Or la même démarche pourrait être adoptée au niveau européen sur l'élaboration des directives et leur transposition dans le droit national.

Le Conseil d'État a regretté le défaut d'information sur les motifs, le manque de contextualisation des textes de transposition et l'absence d'évaluation d'impact social, économique, culturel. Envisagez-vous la mise en oeuvre de ces études d'impact des directives transposées et si oui selon quelles modalités et quel calendrier ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État.  - Les études d'impact comprennent systématiquement une évaluation du droit européen. Toutes les démarches de simplification vont dans ce sens. Certes, ces études d'impacts peuvent être améliorées sur bien des aspects que vous avez cités, à part sans doute, l'aspect culturel, qui n'est guère présent dans la plupart des textes européens.

M. Franck Montaugé.  - En Europe, les populismes montent. Or la vie des entreprises est plus gérée par le droit européen que par le droit français. Une étude d'impact de ces sur-transpositions donnerait plus de sens à vos mesures.

M. Olivier Henno .  - La sur-transposition nuit à la compétitivité des entreprises, vous l'avez rappelé. Nous rejoignons la volonté du Gouvernement dans ce domaine, mais regrettons que le Parlement ne soit pas davantage associé.

Le Sénat a été à l'origine de nombreux rapports mettant en évidence des sur-tanspositions évidentes. (M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, approuve.)

Associer le Parlement permettrait une action de plus grande ampleur et une stratégie de plus long terme sur les transpositions. Actuellement, les parlementaires bénéficient de trop peu de temps pour examiner la transposition des directives. Les associer en amont permettrait d'approfondir le travail. Pouvez-vous nous assurer que le Parlement sera mieux associé ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État.  - Oui, c'est par une meilleure appropriation de tous des enjeux européens que nous améliorerons la vie des citoyens et des entreprises. Parfois, les négociations s'étirent et sont difficiles à résumer devant vous. Mais nous intervenons lors de débats devant votre commission des affaires européennes, afin d'améliorer notre position et notre influence commune, pour une meilleure compétitivité de la France et une meilleure protection des citoyens.

M. Olivier Henno.  - La sur-transposition du droit européen n'est pas le diable, mais tout dépend des équivalences. Les parlementaires peuvent vous aider à les évaluer.

Mme Patricia Morhet-Richaud .  - Pouvoir conforter la première place française de leader du tourisme et atteindre l'objectif de 100 millions de touristes en 2020, le Gouvernement a fait des annonces dont, sénatrice des Hautes-Alpes, je me réjouis. Avec 53,8 millions de journées skieurs et 120 000 emplois induits, les stations françaises sont la deuxième destination ski au monde après l'Autriche.

Attention aux seuils très bas applicables aux stations prévus par l'article L. 122-2 du code de l'environnement, avec des études d'impact obligatoires pour les aménagements alors qu'elles ne sont pas nécessaires, au vu des seuils très bas.

En montagne, une étude d'impact nécessite douze mois au minimum. Comme le prévoit la directive de 2014 sur l'évaluation environnementale, le droit français pourrait-il s'aligner sur le droit européen ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État.  - Cette question m'est chère... Il y a deux semaines, je dirigeai l'une des deux entreprises leaders sur ce sujet. Je vais en conséquence devoir me déporter sur cette question.

M. Daniel Gremillet.  - Ce n'est pas normal !

M. Jackie Pierre.  - En effet !

Mme la présidente. - Il conviendrait en ce cas d'apporter une réponse écrite à Mme Morhet-Richaud.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État.  - Oui, je demanderai aux services de préparer une telle réponse.

Mme Patricia Morhet-Richaud.  - Merci donc de votre future réponse écrite.

M. Joël Bigot .  - Les sur-transpositions sont généralement le fait de la volonté politique de l'État ou du législateur. Ainsi la loi du 17 août 2015 sur la transition énergétique pour la croissance verte sur-transpose-t-elle la directive du 23 avril 2009, en choisissant de porter la part des énergies renouvelables dans la consommation finale brute d'énergie en France à 23 % en 2020 et 32 % en 2030, alors que la directive du 23 avril 2009 ne fixait qu'un objectif minimal de 20 % en 2020. Voilà un exemple de sur-transposition bienvenue pour notre économie, puisque l'objectif plus ambitieux doit servir la montée en puissance d'un secteur économique qui a besoin d'un signal fort.

Autre exemple, l'interdiction d'un pesticide, le métam-sodium, qui a fait plusieurs dizaines de victimes en Maine-et-Loire après son utilisation pour protéger la culture de la mâche.

Simplifier le droit, d'accord là où c'est possible, mais attention à ne pas rogner trop hâtivement notre droit de l'environnement ou de la consommation sur l'autel de la concurrence libre et non faussée. Le rapport de notre collègue propose « de mieux associer le monde économique aux négociations sur les projets d'actes législatifs européens en amont de la transposition » : attention à ne pas oublier les consommateurs et les usagers.

En 2016, le Conseil d'État proposait un conseil unique d'évaluation des normes avec trois collèges représentant collectivités territoriales, État et usagers ; qu'en pensez-vous ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État.  - Nous assumons nos standards plus protecteurs. Il n'est pas question de dé-transpositions sauvages.

Quant à la représentation des consommateurs et parties prenantes, elle est déjà assurée dans le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) placé auprès du ministre de l'intérieur.

M. Daniel Gremillet .  - La compétitivité de notre économie est trop souvent entravée par des contraintes nationales, qui ne sont presque jamais débattues. Le travail de notre commission des affaires européennes, de notre présidente de la délégation aux entreprises et de notre collègue René Danesi est d'autant plus précieux.

Pourquoi se fragiliser ainsi alors qu'en Allemagne, toute sur-transposition non justifiée par l'intérêt des entreprises nationales est tout simplement interdite ?

Dans le processus d'autorisation des auxiliaires de fabrication dans le domaine alimentaire, les entreprises sont contraintes de publier leurs listes des ingrédients, pas leurs concurrentes européennes qui en profitent ! Madame le ministre, quels garde-fous comptez-vous mettre en place pour prévenir toute nouvelle sur-transposition ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État.  - Cette question est prise en compte dans l'article 5 du projet de loi de dé-sur-transposition. De manière plus générale, tout projet de transposition doit comporter un volet de simplification et envisager des dispositions à dé-transposer. C'est un processus organisé.

Quant aux directives qui entraînent des sur-transpositions, soit celles-ci sont assumées et transparentes, soit elles n'auront pas lieu : c'est simple.

M. Daniel Gremillet.  - Égalim est pourtant bien un exemple de sur-transposition ! Autre exemple, en France, on interdit les drones en agriculture alors que leur utilité est prouvée. On tourne le dos au progrès, au contraire de nos voisins. C'est dommage ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Laurent Duplomb .  - La sur-transposition empêche le développement des énergies renouvelables, notamment l'hydroélectricité.

En effet, l'administration sur-transpose sans vergogne la directive européenne dite DCE sur les continuités écologiques en précisant à foison le concept de continuité à travers une kyrielle de lois et règlements - R181-15, R181-4 et j'en passe. Et je ne parle pas de l'arrêté de prescriptions techniques générales du 11 septembre 2015, qui impose toutes mesures au titre de la préservation de la continuité écologique sur les cours d'eau non classés...

La sur-transposition crée une instabilité économique et juridique, d'autant qu'une directive européenne sur les énergies renouvelables et la loi du 17 juillet 2015 sur la transition énergétique prônent le développement des énergies renouvelables, en particulier l'hydroélectricité. Comptez-vous enrayer cette frénésie ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État.  - Cette question intéresserait mon collègue M. de Rugy. Nous sommes très engagés sur les énergies renouvelables, notamment à travers le programme des investissements d'avenir.

La gestion des cours d'eau doit concilier objectifs environnementaux et accès à l'eau - en luttant contre les déstabilisations de zones hydriques - et mixité des usages.

M. Michel Vaspart .  - On le dit souvent : rien ne permet de justifier certaines sur-transpositions.

Les élevages français de porcs et de volailles sont en particulier pénalisés par la sur-transposition de la directive européenne sur l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés, dite EIE. Les seuils en France sont plus contraignants que ne le prévoit la directive. La réalisation des études d'impact pour les élevages de volailles étant longue et coûteuse, les élevages français sont pénalisés.

Cette sur-transposition, surtout, est de niveau réglementaire. Elle ne peut donc pas être supprimée dans le texte que nous examinerons bientôt - et qui, soit dit en passant, manque singulièrement d'ambition. Que compte faire le Gouvernement contre ces sur-transpositions réglementaires ? (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes.  - Excellente question !

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État.  - Les états généraux de l'alimentation avaient pour objectif de mieux rémunérer les agriculteurs. Des mesures de simplification ont été prises pour les installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE). Avec Didier Guillaume, nous allons passer des contrats stratégiques de filières (CSF) dans l'agroalimentaire apportant des réponses claires aux éleveurs. Transmettez-nous tous les points qui gênent ces derniers, et nous les examinerons avec soin.

M. Benoît Huré.  - Très bien !

M. Vincent Segouin .  - La sur-transposition du droit européen est dénoncée par les entreprises de tous secteurs et toutes tailles - elle frappe en particulier les transporteurs routiers français, à qui on impose des règles qui ne s'appliquent pas aux autres transporteurs européens qui font du cabotage sur les routes françaises. Les entreprises françaises ont un coût horaire de travail quatre fois supérieur à celui de la Pologne ! Les plus grosses entreprises sont ainsi en mesure d'optimiser leurs résultats.

Le projet de loi du Gouvernement va dans le bon sens ; mais, a averti René Danesi dans son rapport, il faudra participer activement aux négociations européennes sur les directives, évaluer immédiatement l'impact des transpositions, et réduire le stock de sur-transpositions en France. Ce dernier volet est le point faible de votre texte. Que comptez-vous faire ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État.  - Le ministre Le Maire est particulièrement impliqué sur le sujet de l'harmonisation des coûts du travail en Europe. Il faut anticiper les situations de sur-transposition au niveau européen, j'en conviens avec vous, sans négliger la question de l'impact environnemental.

Le projet de loi que vous examinerez bientôt est une première réponse mais pas exhaustive, nous en sommes conscients.

Pour chaque loi structurante, un volet de dé-transposition sera inclus pour rendre la loi plus lisible et mettre fin à l'inflation normative.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; M. Franck Menonville applaudit également.) La commission des affaires européennes suit avec attention les transpositions dans le cadre d'une mission de suivi que nous a confiée, à titre expérimental, la Conférence des présidents. Nous avons ainsi examiné trois textes récents, en matière de protection du secret d'affaires, d'encadrement des services de paiement, et de protection des données personnelles. Le projet de loi Pacte sera une nouvelle occasion d'exercer notre mission.

Il convient d'évaluer la pertinence des transpositions, de prendre en compte l'intérêt du consommateur français.

À travers ses propositions de résolution et ses avis à la Commission et au Parlement européens, la commission examine le périmètre de l'harmonisation proposée et le traitement réservé à nos normes en matière de protection des consommateurs, de lutte contre la fraude, de protection de l'environnement ou encore de santé publique.

Nous nous efforçons de suivre les travaux européens, de mesurer les conséquences potentielles des mesures proposées pour nos opérateurs économiques.

Le droit européen ne doit pas être appréhendé comme un recul du cadre national mais comme l'occasion de promouvoir notre modèle au niveau européen.

Les recommandations de notre collègue Danesi sont particulièrement éclairantes ; je profite de ce moment pour saluer son engagement dans ce domaine. Des améliorations méthodologiques doivent être apportées dans la phase de négociation des directives et dans celle de la transposition.

Le Conseil d'État l'a dit en 2015 : toute sur-transposition doit être justifiée. La commission demande au Gouvernement de la tenir informée, dans cette perspective, des négociations européennes. C'est un état d'esprit à changer. Le projet de loi que nous allons examiner est un pas dans le bon sens. Madame la ministre, entrez dans cette nouvelle culture, avec le Sénat où vous savez que nous sommes liés aux territoires, pour mieux dialoguer et être plus présents à Bruxelles ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et UC)