Délai d'intervention du juge des libertés et de la détention à Mayotte (Procédure accélérée - Suite)

Question préalable (Suite)

M. Jean Louis Masson .  - J'ai déposé cette motion pour deux raisons. Une raison de forme d'abord. L'Assemblée nationale a considéré que le texte voté initialement par le Sénat était mauvais et l'a inconsidérément modifié en y introduisant une erreur. Elle aurait dû la reconnaître et reprendre le texte du Sénat. Ce n'est pas ici le cas.

Pourquoi changerions-nous d'avis sur un texte que nous avons voté il y a quelques mois à peine, en nous alignant sur la version de l'Assemblée nationale ? On ne dit pas assez que les députés ont commis une erreur ; ce n'est pas à nous de nous déjuger.

D'autre part, je trouve excessive l'application de l'article 45 de la Constitution, qui ne permet pas de présenter des amendements sans rapport avec le texte. Je ne remets pas en cause cet article, ni l'interprétation qu'en fait le Conseil constitutionnel en général, mais celle qui a été faite dans le cas d'espèce de la notion de « lien avec le texte » par la commission des lois. Pourquoi un amendement portant sur la loi Asile et immigration visée par cette proposition de loi et son application à Mayotte serait-il jugé hors de propos ? Cette proposition de loi se propose de rectifier ce texte, comment un amendement qui fait de même, pour le même territoire, pourrait-il n'avoir aucun lien avec lui ?

C'est proprement insoutenable. Manifestement, on se sert du Conseil constitutionnel pour évincer des amendements dont on ne veut pas débattre.

Non inscrit, je suis souvent seul en séance pour défendre des idées, mais j'observe qu'en commission, d'autres collègues ont soulevé le problème.

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur.  - Avis défavorable. Je me demande si nous parlons du même texte, monsieur Masson. J'ai souligné que l'Assemblée nationale avait commis une erreur. Il ne s'agit pas de revenir sur notre position, mais au contraire de la maintenir - et de corriger l'erreur légistique commise par nos collègues députés, c'est l'objet même, précis, de cette proposition de loi !

Quant à l'article 45, ce n'est pas moi qui l'ai inventé. Il faut tenir compte de sa lettre et de l'interprétation qu'en fait le juge. Si nous le regrettons, il faudra utiliser la prochaine réforme constitutionnelle pour le réformer.

Un groupe de réflexion, présidé par Alain Richard et Roger Karoutchi, avait en 2015 travaillé sur nos pratiques. Sa recommandation n°35 proposait de renforcer le contrôle des cavaliers législatifs et du respect de la règle de l'entonnoir... Avis défavorable.

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Même avis.

La motion n°24 n'est pas adoptée.

Discussion générale (Suite)

M. Jean Louis Masson .  - C'est un dialogue de sourds ! Je ne mets pas en cause l'existence de l'article 45 de la Constitution, mais la jurisprudence qui s'y applique. Je ne demande pas même de le modifier. Je conteste seulement que l'on retienne une conception si étroite de la notion de lien avec le texte.

Certains d'entre vous, qui viennent de voter contre ma question préalable, ont pourtant défendu le même point de vue que moi en commission des lois !

N'ayant pas, en tant que non inscrit, la possibilité de réunir 60 collègues pour saisir le Conseil constitutionnel, je trouverais utile qu'il clarifie sa position sur l'article 45 de la Constitution.

Mme Lana Tetuanui .  - Après les îles polynésiennes hier après-midi, nous évoquons Mayotte et l'océan indien, c'est dire à quel point notre ordre du jour nous fait voyager !

Plus sérieusement, une erreur légistique s'est glissée dans la loi Asile, aux conséquences très concrètes pour le 101e département français : le délai de rétention administrative passerait de cinq à deux jours, délai de droit commun. Or la situation de Mayotte est exceptionnelle, cela a été rappelé et justifie une dérogation indispensable.

L'immigration clandestine pèse lourdement sur le fonctionnement du département, son hôpital, ses écoles. Il est donc normal qu'une législation dérogatoire puisse s'appliquer, comme c'est déjà le cas pour les règles de nationalité. En l'espèce, le délai de cinq jours paraît justifié.

Nous saluons le travail constructif de la commission des lois, de son rapporteur, Thani Mohamed Soilihi, qui a su travailler très en amont avec son collègue député.

Le groupe UC apportera son soutien à une proposition de loi indispensable à la lutte contre l'immigration clandestine à Mayotte. Veillons, à l'avenir, dans notre tâche de législateur, à éviter les malfaçons législatives. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC ; M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur, applaudit également.)

M. Dany Wattebled .  - Ce texte court vise à corriger un défaut de rédaction intervenu en cours de navette de la loi Asile et immigration. Jusqu'alors, le délai de rétention administrative à Mayotte était de cinq jours, contre deux en métropole. L'objectif de cette proposition de loi est de le ramener à cinq jours.

Ce débat est l'occasion de faire un point sur la situation de Mayotte, dont les habitants, en choisissant la départementalisation, ont souhaité en 2009 que la promesse républicaine soit exaucée sur leur territoire.

Depuis, sa population est passée de 180 000 à plus de 250 000 habitants, ce qui en fait le département français, hors Île-de-France, le plus densément peuplé. Sur ce total, plus de 120 000 sont des étrangers, dont près de la moitié en situation irrégulière. Cette situation démographique singulière met en danger, à présent, le pacte républicain ! Nous ne pourrons tenir la promesse républicaine tant que les flux migratoires resteront aussi importants. La maîtrise de l'immigration clandestine constitue le prérequis de la cohésion sociale de l'île. Nous tenons à doter Mayotte de dispositifs spécifiques pour faire face à une situation inédite.

Le groupe Les Indépendants est donc favorable à ce texte.

(M. le rapporteur applaudit.)

M. François Bonhomme .  - Ce texte nous donne l'occasion de confirmer notre position sur un sujet qui est loin d'être technique. L'Insee, en 2015, nous a déjà indiqué qu'un quart environ des habitants de Mayotte - dont la population est constituée pour près de la moitié d'étrangers - était en situation irrégulière. Près de 20 000 reconduites à la frontière sont opérées chaque année, soit la moitié de celles effectuées sur l'ensemble du territoire national. Tout cela est coûteux humainement et financièrement, et les centres de rétention administrative demeurent inadaptés.

Lors de la discussion de la loi 2018, le Sénat, par la voix de François-Noël Buffet, avait regretté que le Gouvernement n'ait pas démontré l'utilité de l'allongement de la durée maximale de rétention à 90 jours, et dénoncé une mesure d'affichage, qui ne s'attaquait pas aux causes profondes, d'un taux d'éloignement assez dérisoire, en particulier la mauvaise volonté des pays tiers. Tout cela est extrêmement coûteux, humainement et financièrement, et les centres d'accueil sont totalement inadaptés à de longs séjours.

Nous avons simplifié et renforcé le rôle du JLD intervenant au cinquième jour, et au quarante-cinquième jour, afin que l'administration puisse constituer des dossiers solides dans l'intervalle.

Il s'agit ici de rétablir la possibilité de porter la rétention administrative à cinq jours avant l'intervention du JLD ; c'est aussi l'occasion de réaffirmer notre position sur les sujets de l'asile et de l'immigration : clarté en matière d'immigration régulière ; exigence d'intégration ; fermeté face à l'immigration irrégulière ; responsabilité et humanité envers les mineurs étrangers.

Nous défendons la définition d'objectifs chiffrés pour l'entrée et le séjour des étrangers en France, la modification de l'aide médicale d'État en aide médicale d'urgence, réservée aux étrangers en situation régulière, l'information systématique des caisses de sécurité sociale et l'interruption des versements d'aides sociales aux étrangers en situation irrégulière, le renforcement des conditions à remplir pour le regroupement familial et la réévaluation régulière des métiers en tension nécessitant l'apport de travailleurs étrangers.

Monsieur le ministre, vous ne découvrez pas notre position. Nous la confirmons dans une situation qui empire. La Cour des comptes estime à 500 000 le nombre de Mahorais d'ici 25 ans. Si nous n'agissons pas dès maintenant, le problème ne cessera de s'aggraver... (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Esther Benbassa .  - Une erreur de coordination dans la loi Asile et immigration a harmonisé à deux jours le délai de rétention administrative. Pour une fois, l'impair allait dans le bon sens, mettant fin au délai, spécifique à Mayotte, de cinq jours.

La proposition de loi vise à réinstaurer cette rupture d'égalité sur le sol français, cela n'a qu'un objectif : éloigner les personnes en rétention de leur juge, en violation de l'article 66 de la Constitution...

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Non.

Mme Esther Benbassa.  - ... selon lequel nul ne peut être arbitrairement détenu !

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Oui.

Mme Esther Benbassa.  - Nous pourrons dialoguer ! La pression migratoire justifierait cette différence de traitement et c'est au nom de l'ordre public que le recours au JLD est entravé. Mais c'est une obligation constitutionnelle, pour les Mahorais, aussi. J'ai pu observer, il y a 15 jours, lors de ma dernière visite en centre de rétention administrative, au Mesnil-Amelot, les conditions matérielles indignes de rétention, des mutineries, des mutilations, une gestion administrative très autoritaire, qui laisse les retenus sous-alimentés sans suivi médical digne de ce nom. Je n'ose imaginer la situation à Mayotte, où ont lieu 43 % des placements en rétention, dont plus de 4 000 enfants.

Ma préoccupation est partagée par la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH) et Adeline Hazan. La possibilité de déposer une demande d'asile ne leur est pas même notifiée, selon la contrôleure générale des lieux de privation de liberté. Or les populations immigrées de Mayotte ont une très faible connaissance de leurs droits, face aux éventuels agissements arbitraires de l'administration. Les principes de la République ont été suffisamment mis à mal par la suppression du droit du sol à Mayotte.

Nous demandons à ce que la politique migratoire en outre-mer soit respectueuse des droits de l'homme et soumise à de nécessaires règles procédurales, d'autant que les alternatives à la rétention existent dans le droit européen.

Ne laissons pas Mayotte seule face à ce défi ! L'État doit donner des moyens et mobiliser du personnel de justice, plutôt que d'instaurer un droit à géométrie variable, indigne de notre République, auquel nous nous opposons avec force. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

M. Jean-Yves Leconte .  - Depuis juin 2017, aucun Français n'ignore ce qu'est un kwassa-kwassa, mais je n'aurai pas la cruauté de rappeler la petite phrase du président de la République... Ce débat est indigne !

Nous ne pouvons pas considérer qu'une loi, issue de la volonté du Parlement, soit une erreur ! Si nous souhaitons la modifier, il faudrait pouvoir débattre de toutes ses dispositions.

Les kwassa-kwassa, donc. Ce sont 10 000 morts en vingt ans et une situation terrible pour le territoire, en fonction de sa géographie et de son histoire. La coopération sanitaire est insuffisante avec les Comores pour ne pas tenter les Comoriens...

Je suis choqué par le hiatus indigne entre les paroles d'archevêque prononcées dans cet hémicycle et le silence sur les difficultés faites aux immigrés en situation régulière à Mayotte, pour venir en métropole. Un tel niveau d'hypocrisie est-il possible ? Vous ne l'avez pas rappelé monsieur le rapporteur.

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur.  - Parce que ce n'est pas le sujet !

M. Jean-Yves Leconte.  - Vous aviez pourtant posé la question à propos de la loi Collomb. Mais l'usage abusif de l'article 45 ne nous permettra pas cette fois-ci de nous prononcer sur le sujet.

Pourquoi donc est-il si fondamental de fixer le délai de saisine du JLD à cinq jours ? Pour renvoyer les clandestins avant la décision du JLD ! On ne fait que participer à un carrousel permanent. Entre-temps, les kwassa-kwassa continuent leur ronde, nous avons des morts et un non-respect de la dignité humaine.

Entre deux et cinq jours, il n'y a que trois jours de « stock » - pardon de recourir à cette expression...

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Nul ne vous y oblige !

M. Jean-Yves Leconte.  - ... mais c'est mathématique ! Nous devons parler du droit à venir dans l'Hexagone pour ceux qui sont en situation régulière.

Il n'y a pas de droit du sol en France, comme on le fait croire, mais en réalité un double droit du sol, ou la possibilité d'acquérir la nationalité française à partir 13 ans, si l'on est né en France ! Les sénateurs représentant les Français de l'étranger peuvent témoigner des difficultés rencontrées par nos compatriotes nés en Algérie dans les années cinquante ou soixante, pour prouver les titres de séjour de leurs ancêtres, afin d'obtenir un certificat de nationalité française. Nos concitoyens de certains territoires, dans quarante ans, vous maudiront, monsieur le rapporteur !

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur.  - J'assume !

M. Jean-Yves Leconte.  - Et moi je constate qu'il faut parfois, pour défendre son droit à la nationalité française, remonter à Napoléon III ! Nous ne sommes plus au temps des colonies ! Ce n'est pas par des mesures hypocrites qui ne respectent aucune dignité que nous réglerons la situation dramatique de Mayotte.

Fidèles à la loi Cazeneuve de 2016, regrettant l'usage fait à cette occasion de l'article 45 de la Constitution, et combattants d'une République qui doit être la même pour tous, nous ne voterons pas cette proposition de loi. (Mme Esther Benbassa applaudit.)

La séance est suspendue à 13 heures.

présidence de M. Gérard Larcher

La séance reprend à 15 heures.