Questions d'actualité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.

Notre séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur le site internet du Sénat.

Au nom du Bureau du Sénat, je rappelle les principes d'usage dans cette maison : le respect des uns et des autres et du temps de parole.

Antisémitisme (I)

Mme Catherine Morin-Desailly .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) L'actualité, ce sont hélas des actes d'une ignominie telle qu'ils mettent en cause notre pacte républicain. C'est le lâche assassinat de Mireille Knoll, la mémoire d'Ilan Halimi et de Simone Veil outrageusement bafouée, les insultes jetées à Alain Finkielkraut et, ce matin, la découverte d'un cimetière juif en Alsace profané.

Mais de grâce, ne légiférons pas sous le coup de l'émotion ; analysons plutôt les maux de notre société. Il faut d'abord réguler internet et les plateformes qui autorisent tous les débordements, le Sénat a fait des propositions très fortes sur ce sujet.

Il faut ensuite préciser la lettre que le ministre de l'Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a adressée aux enseignants le 31 août 2018. Le Sénat examinera bientôt le projet de loi relatif à l'école de la confiance, c'est l'occasion de mettre l'accent sur l'importance des faits historiques et l'éducation aux médias qui demeure largement insuffisante.

Au-delà du grand rassemblement prévu ce soir à Paris et dans la France entière, quelles mesures prendrez-vous pour reconstruire le pacte républicain ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UC et sur quelques bancs des groupes CRCE, SOCR, RDSE, LaREM et Les Républicains)

M. Édouard Philippe, Premier ministre .  - Ces actes, que vous avez dénoncés, ont été rendus visibles parce qu'ils ont été filmés. Ceux qui demeurent invisibles n'en sont pas moins répugnants, ils n'en sont pas moins dirigés contre la France, la République.

Les rassemblements qui auront lieu ce soir sont nécessaires pour que tous, sans exclusive, disent que ces faits sont inacceptables, mais ils ne sont pas suffisants. Face à ces attaques répétées et croissantes, nous ne pouvons pas nous contenter d'une condamnation morale ; le champ des actions à mener est considérable.

D'abord, le soutien aux enseignants confrontés à des propos et des actes antisémites, la formation des policiers, des gendarmes et des magistrats qui concourent à réprimer ou à prévenir ces atteintes.

Ensuite, oui, s'il ne faut pas légiférer sous l'emprise de l'émotion, il ne faut pas renoncer à légiférer quand cela est nécessaire. Et cela l'est au moins dans un champ : internet et les réseaux sociaux sur lesquels une forme d'impunité a pu donner le sentiment de se développer. Le droit national n'est pas adapté ; c'est la raison pour laquelle nous voulons, à la suite du rapport de Mme la députée Avia, les compléter pour apporter la réponse pénale sévère que nous sommes en droit d'attendre. Cela vaut la peine de légiférer, je le crois profondément, et de se battre pour qu'il en soit de même au niveau européen, de même que ces propos et ces actes doivent être systématiquement poursuivis et sévèrement punis.

J'appelle, pour dénoncer l'inacceptable, à l'union sacrée sans exclusive, sans hypocrisie et sans incohérence. (Applaudissements sur tous les bancs)

Fusion d'Aix-Marseille Provence et des Bouches-du-Rhône

M. Michel Amiel .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM) À l'approche des élections, l'arlésienne qu'est la métropole d'Aix-Marseille refait son apparition.

M. Philippe Dallier.  - Comme la métropole du Grand Paris !

M. Michel Amiel.  - II est question d'un rapport du préfet, de rencontres diverses ; chacun y va de son idée. Le problème peut se résumer en grands chapitres. D'abord, la fusion entre la métropole et le département, en se souvenant que le social constitue le plus grand poste du budget de fonctionnement, reflet d'une culture à part. Ensuite, la question des 29 communes du nord du département, dont certaines sont regroupées autour d'un projet commun qui se voudrait expérimental : la création d'une collectivité territoriale à statut particulier. Troisièmement, l'avenir de deux communes hors département, Saint-Zacharie dans le Var et, surtout, Pertuis, dont le retour vers le Vaucluse ne fait pas l'unanimité - la ville, de par son hôpital, est davantage tournée vers Aix que vers Avignon. Enfin, la date et le mode de scrutin, sujets éminents complexes et politiques, mais surtout la question budgétaire - ce n'est pas en touchant à l'attribution de compensation des communes autour que l'on renflouera Marseille.

Madame la ministre, quand y verra-t-on plus clair ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ; Mmes Mireille Jouve et Samia Ghali applaudissent également.)

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales .  - La métropole d'Aix-Marseille est une réalité géographique et économique. Elle est une chance, et non une menace, pour les territoires et la ville de Marseille. Le Premier ministre a chargé le préfet d'une étude sur l'opportunité d'une fusion entre Aix-Marseille et le département, dont les conclusions seront rendues très prochainement. Cela éclairera le Gouvernement sur les questions que vous posez : celle du périmètre, de la répartition des compétences entre la métropole et les communes, des moyens financiers, des questions électorales sans oublier celle des territoires situés au nord de la métropole. L'enjeu est de taille : faire en sorte que Marseille, cette très grande ville française, cette métropole méditerranéenne, puisse répondre aux défis du présent et de l'avenir. (M. André Gattolin applaudit.)

M. Michel Amiel.  - Faut-il rappeler que Marseille, en difficulté financière, ne pourra se renflouer sans l'aide de l'État ? Un Premier ministre s'y était engagé mais c'était dans l'ancien monde...

Démocratie représentative

Mme Mireille Jouve .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE) Monsieur le Premier ministre, nous ne pouvons pas masquer notre inquiétude pour la démocratie représentative que Pierre Rosanvallon qualifie de « seul horizon reconnu du bien politique ».

Si certaines musiques comme la réduction du nombre de parlementaires ou d'élus locaux sont agréables à l'oreille de beaucoup de nos compatriotes, elles peuvent également se révéler pernicieuses. Le 14 février dernier marquait le cinquième anniversaire de la loi interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec un mandat de député ou de sénateur,...

Voix à droite. - Quelle erreur !

Mme Mireille Jouve.  - ... avec le recul, on s'interroge au sein du Gouvernement et de la majorité : le débat démocratique souffrirait-il désormais d'une forme de déconnexion de la Représentation nationale ? Ce qui était volontiers présenté comme un privilège était souvent le garant d'une politique ancrée dans la proximité. Y renoncer paraissait nécessaire pour réconcilier les Français avec leurs représentants. Effectivement, quelle réconciliation ! (M. Mathieu Darnaud rit.)

Pourquoi continuer de courir derrière un lièvre irrattrapable ? Quand des députés représentant plus de 200 000 électeurs seront devenus invisibles, quand près de la moitié des départements ne compteront qu'un seul sénateur, que ferons-nous ? Pourquoi le maire demeure-t-il le dernier élu à trouver grâce aux yeux des Français ? Par sa proximité ; j'aurais même envie de dire, par sa réalité physique.

M. le président.  - Veuillez conclure.

Mme Mireille Jouve.  - Monsieur le Premier Ministre, alors que vous entendez faire évoluer nos institutions, saurez-vous garder à l'esprit que la légitimité du politique passe aussi par sa disponibilité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE et sur quelques bancs des groupes UC, Les Républicains et CRCE)

M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement .  - Vous avez cité Pierre Rosanvallon : la démocratie représentative est le seul horizon reconnu du bien politique 

M. Roger Karoutchi.  - Il a raison !

M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État.  - Je vous rejoins et, d'ailleurs, dans ces temps où il a été beaucoup question de démocratie directe, chacun d'entre nous a rappelé l'importance de la démocratie représentative et de l'élection.

Mais je partage aussi ce que Pierre Rosanvallon écrivait dès 2006 dans La contre-démocratie, la politique à l'âge de la défiance. C'était avant la loi de 2015, c'étaient les prémices de ce délitement du lien entre nos concitoyens et leur classe politique.

La question du nombre de parlementaires n'épuise pas la question de la vitalité démocratique ; elle ne règle pas la question du lien entre les élus et les citoyens. Reste que, (Exclamations amusées à droite) pour renouer avec nos concitoyens, il faut aussi être fidèle aux engagements de campagne...

M. Roger Karoutchi.  - Lesquels ?

M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État.  - ... dont la baisse du nombre de parlementaires.

Mme Éliane Assassi.  - Il n'y avait pas la suppression de l'ISF dans vos engagements de campagne !

M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État.  - Nous le voyons dans le grand débat national, la question de la place de notre démocratie parlementaire. Nous pouvons nous réjouir collectivement que nos concitoyens y participent, en nombre.

Contreparties aux aides sociales (I)

M. Pascal Savoldelli .  - Ne parlons pas d'acquis sociaux mais de conquis sociaux, disait Ambroise Croizat, car le patronat ne désarme jamais.

Quelles seront les « contreparties » aux aides sociales que vous avez évoquées, monsieur le Premier ministre, lors d'un débat dans le Finistère ? L'allocation aux adultes handicapés faut-il la mériter pour l'obtenir ? La personne sans emploi a-t-elle une dette envers la communauté ou les allocations qu'elle reçoit sont des droits qu'elle a acquis par son travail et ses cotisations ? Cette stigmatisation des plus fragiles et des plus pauvres devient proprement insupportable. Vous brisez les rêves, mais les corps aussi ; vous distillez l'humiliation au lieu d'insuffler l'espoir. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE et une grande partie des bancs du groupe SOCR)

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé .  - Le principe du grand débat national est de poser des questions et de réfléchir ensemble au modèle que nous voulons pour l'avenir.

Dans ce cadre, le Premier ministre s'est interrogé : faut-il des contreparties aux allocations de solidarité ? En réalité, le RSA emporte déjà des contreparties puisqu'il s'agit d'une contractualisation permettant la réinsertion dans l'emploi. Nos aides sociales sont nombreuses, fragmentées, construites par sédimentation ; nos concitoyens ont du mal à s'y retrouver. Nous avons décidé de simplifier l'accès aux aides sociales, (On en doute sur les bancs du groupe CRCE.) notamment pour réduire le non-recours. C'est le revenu universel d'activité sur lequel nous travaillons.

Les aides sociales, ce sont aussi des trappes à pauvreté. Aujourd'hui, 50 % des allocataires du RSA ne se voient pas proposer un parcours de réinsertion et une contractualisation. Il est nécessaire de poser cette question des droits et des devoirs. Il est hors de question de revenir sur l'accompagnement de nos concitoyens les plus en difficulté, cet accompagnement ne se limite pas aux aspects financiers...

Mme Annie Guillemot.  - Et les retraites chapeaux ?

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Il doit être global. (M. Martin Lévrier applaudit.)

M. Pascal Savoldelli.  - Merci au Premier ministre pour sa réponse. Je rappelle l'article 11 du Préambule de la Constitution de 1946 : « [La Nation] garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence. » À défaut de respecter l'héritage de la Résistance, respectez la Constitution ! Des allocations éparpillées, sédimentées, dites-vous. Mais soyons précis, auxquelles allez-vous toucher ?

Je vous offrirai à la sortie de l'hémicycle un livre d'Édouard Louis : Qui a tué mon père...

M. le président.  - Merci de ne pas déborder sur votre temps de parole et les droits d'auteur...

M. Pascal Savoldelli.  - Vous y lirez que la politique est une question esthétique et touche aussi à la différence entre vivre et mourir. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE et une grande partie des bancs du groupe SOCR)

Contreparties aux aides sociales (II)

Mme Sophie Taillé-Polian .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Ma question s'adressait au Premier ministre car j'avais cru comprendre qu'il avait émis une opinion personnelle à propos des aides sociales mais la réponse précédente de Mme Buzyn montre qu'il s'agit plutôt d'une orientation gouvernementale ! Comment peut-on demander des contreparties à des femmes et des hommes en difficulté, qui sont les victimes du système économique mondial ?

On entretient à dessein une petite musique « si les chômeurs ne trouvent pas de travail, c'est qu'ils ne veulent pas traverser la rue pour en trouver »... Les emplois non pourvus, même chiffrés à 300 000, sont une goutte d'eau dans l'océan du chômage de masse.

Les ordonnances de 1945 qui ont posé les fondations de la sécurité sociale visaient à « débarrasser les travailleurs de l'incertitude du lendemain, de cette incertitude constante qui crée chez eux un sentiment d'infériorité et qui est la base réelle et profonde de la distinction des classes entre les possédants sûrs d'eux-mêmes et de leur avenir et les travailleurs sur qui pèse, à tout moment, la menace de la misère. »

Les possédants sûrs d'eux-mêmes et de leur avenir, leur a-t-on demandé des contreparties lorsque l'on a supprimé l'ISF ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE ; Mme Mireille Jouve et M. Joël Labbé applaudissent également.)

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé .  - Nous ne parlons pas des allocations de sécurité sociale, financées par les cotisations, mais des aides sociales financées sur le budget de l'État. ASS, RSA, APL, prime d'activité feront l'objet de ce travail, d'une concertation. Oui, pour une personne au RSA, ne pas se voir proposer de contrat d'insertion au bout de six mois, c'est une perte de chance. (Marques d'agacement sur les bancs des groupes SOCR et CRCE) Nous parlons, non d'une vision punitive, mais d'un accompagnement qui doit être adapté. Les grandes associations de lutte contre la pauvreté disent toute son importance. (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

Mme Sophie Taillé-Polian.  - Ne confondez pas accompagnement social et contrôle social ! Votre majorité a repoussé la proposition de loi socialiste créant un revenu de base sans même en débattre ; c'est pourtant cela qu'il faut : des aides inconditionnelles pour que les plus pauvres puissent relever la tête. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)

Lutte contre les discours haineux sur internet

Mme Colette Mélot .  - « Sale juif, tu vas mourir ! », voilà ce qu'il est encore possible d'entendre dans les rues de Paris si l'on est Alain Finkielkraut et que l'on croise une délégation de gilets jaunes, amalgame d'une ultra-gauche, d'une droite fascisante et d'un islamisme radicalisé.

Ce que nous vivons dans les rues de Paris, nous le retrouvons de manière décuplée sur internet où l'antisémitisme côtoie le sexisme le plus primaire comme l'affaire de la ligue du LOL l'a honteusement montré.

Il faut se donner les moyens d'agir contre la haine. Tout est prêt : les propositions de Laetitia Avia sont connues depuis le 20 septembre 2018 : obliger les plateformes à retirer dans un délai de 24 heures tout contenu manifestement illégal, fournir l'identité des auteurs, multiplier par cent le montant des amendes pour les moteurs de recherches et les réseaux sociaux qui manquent à leurs obligations, standardiser les procédures de signalement, étendre les prérogatives du CSA à la lutte contre la cyber-haine.

Nos voisins allemands ont été plus prompts pour réagir et contrer la déferlante antisémite, suivis par l'Europe. Quel agenda proposez-vous ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants)

M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement .  - Je veux, comme vous, dénoncer l'ignominie des propos tenus à l'égard d'Alain Finkielkraut et des actes antisémites commis à l'occasion des manifestations dont vous avez parlé.

Les réseaux sociaux sont un espace de liberté, de démocratie et font tomber des murs pour beaucoup de nos concitoyens Mais ils constituent aussi un déversoir des haines de toute sorte. Plutôt que de ligue du LOL, c'est bien de ligue de la haine dont il s'agit !

Mme Schiappa et M. Mahjoubi ont proposé un plan pour lutter contre le cyber-harcèlement, un projet de loi sera déposé avant l'été. Il faut améliorer la réactivité des plateformes pour une suppression rapide des contenus haineux et préciser le parage des responsabilités entre éditeurs et hébergeurs. S'il n'est pas question de supprimer l'anonymat, il doit être levé lorsque des propos haineux sont tenus.

Le Parlement apportera ses lumières sur ces questions complexes.

Mme Colette Mélot.  - Nous attendons de l'État qu'il mette hors d'état de nuire ceux qui diffusent la haine sur internet et sur le sol de notre République. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Indépendants et Les Républicains)

Antisémitisme (II)

M. Bruno Retailleau .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) « Il faut dire ce que l'on voit et, par-dessus tout, il faut voir ce que l'on voit ». Ces mots de Péguy dont Alain Finkielkraut avait fait sa devise, prennent depuis samedi une résonance particulière. Le déferlement de haine, les mots et les images virales insupportables nous obligent à voir, qu'en plus de la hausse inquiétante des actes antisémites, nous assistons au surgissement d'un nouvel antisémitisme qui, comme l'ancien, s'en prend à nos compatriotes. Or il a longtemps été nié, relativisé, pour des raisons idéologiques. Il faut dire à présent le lien entre ce nouvel antisémitisme et l'islamisme.

Un antisémite est un antisémite, qu'il soit fasciste ou fréro-salafiste ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains)

Nous irons marcher tout à l'heure, mais pas les yeux bandés. Oui à l'union sacrée, mais dans la lucidité. Pensez-vous, monsieur le Premier ministre, que modifier la loi de 1905 soit le bon remède ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Édouard Philippe, Premier ministre .  - Je partage votre dénonciation des actes antisémites et votre référence à Péguy, à qui Alain Finkielkraut a consacré son livre Le Mécontemporain. Nous avons assisté avec consternation et colère à la mise en cause crue, brutale, d'un homme, Alain Finkielkraut, qui représente la figure de l'intellectuel engagé dans le débat républicain.

Vous dénoncez l'antisémitisme, moi aussi. Mais il faut reconnaître, avec humilité, que l'antisémitisme est profondément enraciné dans la réalité française. La France n'est pas antisémite, à chaque période de notre histoire il y a eu des femmes, des hommes et parfois des institutions qui ont su défendre ce que nous pensons de notre pays ; mais tout au long de notre histoire, aussi, des formes d'antisémitisme variées ont coexisté. Vous évoquez un antisémitisme issu d'une radicalisation de l'islam, des théories salafistes. Il existe. Il ne faut rien cacher, rien ignorer. L'antisémitisme n'est l'apanage d'aucune formation politique, il a été, malheureusement, largement partagé. Le combat contre l'antisémitisme est redoutablement difficile, il faut l'aborder avec détermination mais lucidité. Ne nous payons pas de mots. Disons où est l'ennemi, faisons le pari de l'intelligence, de la formation, de l'éducation.

J'appelle à l'union sacrée sans hypocrisie, ni exclusives ni incohérences. Beaucoup ont dit : « Je dénonce l'agression d'Alain Finkielkraut, mais... ». Pour moi, il n'y a pas de mais. (Applaudissements des bancs du groupe Les Républicains aux bancs du groupe SOCR ; MmeLaurence Cohen et Esther Benbassa applaudissent également.)

Préservation des lignes ferroviaires d'aménagement du territoire

M. Éric Gold .  - Nous examinons demain la proposition de loi visant à faciliter le désenclavement des territoires. Les transports y jouent un rôle fondamental, notamment les transports ferroviaires. Or la Cour des comptes conseille à l'État de renoncer à son rôle d'autorité organisatrice pour les trains du territoire (TET) à cause de la faiblesse des moyens et des difficultés qu'il rencontre pour établir une relation contractuelle équilibrée avec la SNCF. Parmi les pistes proposées, le transfert total de la compétence aux régions et le déconventionnement.

L'investissement de l'État dans le transport ferroviaire doit répondre à une exigence de justice territoriale. Trente années de financement des lignes à grande vitesse ont mis en péril l'avenir des trains d'équilibre du territoire.

Parmi ces lignes structurantes, la ligne Paris-Clermont-Ferrand fait l'objet de toutes les attentions en raison de son caractère stratégique et de l'engagement des élus, des acteurs économiques et de ses usagers. Le projet de loi d'orientation des mobilités prévoit 760 millions pour la régénération des infrastructures et des trains de cette ligne.

Mais nous nous interrogeons sur l'avenir de cette ligne à plus long terme. Le troisième volet du programme de modernisation, en effet, n'est pas financé. Quelles sont les intentions du Gouvernement sur les lignes ferroviaires d'aménagement du territoire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports .  - Les lignes Intercités jouent un rôle essentiel pour l'aménagement du territoire, auquel les Français sont très attachés. Oui, elles coûtent, mais l'aménagement du territoire ne doit pas être seulement comptable ! Les propositions de la Cour des comptes auraient pour effet de réduire, voire de supprimer des dessertes essentielles. Ce n'est pas envisageable.

Le Gouvernement a engagé la modernisation des trains d'équilibre du territoire. Dans la loi d'orientation des mobilités, 700 millions d'euros sont prévus pour la rénovation des trains sur la ligne Clermont-Ferrand, en particulier de ses 28 rames. De plus la réforme ferroviaire sécurise 3,6 milliards d'euros chaque année pour aider SNCF Réseau à moderniser le réseau ferroviaire. D'ici 2025, la ligne Paris-Clermont-Ferrand aura donc été dotée de matériels neufs et performants.

Vous le voyez, le Gouvernement est engagé pour la modernisation des trains qui participent à l'aménagement du territoire, après trente ans de « tout TGV » dont nous constatons tous les dégâts. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE ; MM. Jean-Marie Bockel et Jean-Claude Luche applaudissent également.)

Handicap

M. Philippe Mouiller .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Le Gouvernement a engagé de nombreuses réformes dans le handicap, mais des inquiétudes subsistent chez les familles.

Six mois après la loi sur la liberté de choisir son avenir professionnel, la réforme de l'obligation d'emploi de travailleurs handicapés (OETH) reste inconnue.

Pour qu'une personne handicapée puisse intégrer un jour le monde du travail, ne faut-il pas investir plus précocement dans la formation ?

À l'école, le statut des accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) reste flou et les différences entre le public et le privé subsistent.

Ne faut-il pas prendre des engagements plus fermes en faveur de l'école inclusive ? (Applaudissements à droite et au centre).

Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées .  - Merci pour votre question. L'emploi des travailleurs handicapés, d'abord. Le Gouvernement redonne sa pleine effectivité à l'OETH vieille de trente ans. La réforme entrera en vigueur le 1er janvier 2020. C'est le temps nécessaire pour la mettre en oeuvre la déclaration sociale nominative (DSN). Les modalités de la sous-traitance doivent être précisées. Le partenariat renforcé avec l'UNEF, l'UAPI et France Handicap permettra de porter le soutien public à 500 millions d'euros, pour créer davantage d'emplois - l'objectif est de 40 000 emplois d'ici 2022.

À l'école, nous misons sur l'inclusion avec plus d'accompagnants, qui seront des AESH seulement, et une vraie formation - vous y reviendrez bientôt dans le cadre de la loi portée par Jean-Michel Blanquer.

Grâce à votre action, nous continuerons à progresser. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM)

M. Philippe Mouiller.  - Merci pour cette réponse technique, mais la concertation n'est pas le fort du Gouvernement, qui met souvent les acteurs devant le fait accompli.

Il faut enfin davantage de reconnaissance pour les AESH, qui ne touchent parfois que 700 euros par mois... (Applaudissements sur tous les bancs, à l'exception de ceux du groupe CRCE)

Places dans les crèches

Mme Christine Lavarde .  - Sous le quinquennat précédent, le pouvoir d'achat des familles s'est érodé avec l'abaissement du plafond du quotient familial, la suppression de l'universalité des allocations familiales, l'abaissement du seuil de ressources pour la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje) - résultat, le taux de natalité a baissé pour la quatrième année consécutive ! (On se récrie à gauche.)

Le Gouvernement prévoit une subvention de 2 000 euros par place de crèche créée, sous conditions de ressources - les revenus des familles ne devront pas dépasser 25 000 euros avec un enfant, 30 000 euros avec deux enfants. Le taux global d'accueil des enfants de moins de 3 ans est le plus faible dans les zones où le marché de l'immobilier est tendu. Dans ces territoires, avec 2 500 euros par mois pour élever deux enfants, vous êtes loin d'être riches !

Votre Gouvernement propose donc aux maires de créer des places pour les familles pauvres au détriment des classes moyennes, faisant fi de toute mixité sociale. Cette politique va limiter la création de places en crèche, voire en faire diminuer le nombre, tant le reste à charge est important pour les communes.

Quand la France aura-t-elle un Gouvernement qui prendra à bras-le-corps la politique familiale ? (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé .  - Nous avons favorisé la mixité sociale dans l'accueil du jeune enfant : bonus mixité sociale, bonus territoire, réforme du complément mode de garde, soutien à l'accueil individuel...

L'attribution des places de crèche doit être plus transparente. Un rapport sur le sujet a récemment été rendu par Mme Laithier. La surreprésentation des plus aisés dans l'accueil collectif -  5 % seulement des enfants de moins de trois ans des 20 % des ménages les plus modestes sont accueillis, contre 22 % des ménages aisés - alimente un sentiment d'injustice sociale. Des propositions sont faites, en particulier la réforme des critères d'attribution, adaptée aux spécificités locales, ainsi qu'une harmonisation des pratiques. (M. Martin Lévrier applaudit.)

Mme Christine Lavarde.  - Vous n'avez pas bien compris ma question... Votre politique va accroître le fossé entre ceux qui financent les prestations sociales et n'en bénéficient pas, et ceux qui les touchent. Puisque vous êtes aussi un élu des Hauts-de-Seine, je vous invite sur le terrain à constater les conséquences de votre politique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Écoles supérieures du professorat et de l'éducation

Mme Nelly Tocqueville .  - Ma question porte sur les 32 Écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE), intégrées aux universités, que nous avions créées pour former les enseignants après la suppression brutale des IUFM par Nicolas Sarkozy. (Protestations à droite)

Le projet de loi « pour une école de la confiance » envisage de les transformer en instituts, mesure symbolique, mais coûteuse - un million d'euros, tout de même, à l'heure où nos concitoyens sont invités à faire des efforts. Les ESPE sont inquiètes : cela pourrait affecter la lisibilité de la formation d'autant que la mesure n'a fait l'objet d'aucune concertation et que la réforme sera mise en oeuvre dès septembre.

Il aurait pourtant été judicieux de consulter les enseignants en amont. Pourquoi ne l'avez-vous pas fait ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ; Mme Christine Prunaud applaudit également.)

Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation .  - La formation des enseignants reste perfectible et nous y réfléchissons - je songe notamment aux concours. Nous voulons faire en sorte de concilier au sein des futurs instituts une formation disciplinaire d'excellence et la compréhension des réalités du métier d'enseignant, en rattachant mieux la pratique professionnelle avec la recherche. Les instituts ont donc évidemment leur place à l'université.

Le dialogue se poursuit depuis plusieurs mois ; je rencontre demain les organisations syndicales.

Nous souhaitons que les pré-recrutements soient opérationnels dès la rentrée 2019, pour que les jeunes puissent rejoindre les instituts à la rentrée 2021. La forme du concours sera également adaptée.

Mme Nelly Tocqueville.  - Je note que vous continuez à réfléchir sur la réforme. Ce n'est guère rassurant... J'ajoute que vous n'avez pas répondu à la première question. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)

Contreparties aux aides sociales (III)

M. Philippe Adnot .  - Le Premier ministre a évoqué ses opinions personnelles sur la mise en place de contreparties aux aides sociales. J'ai trouvé son projet intéressant, puisqu'il dépasse les clivages habituels d'être pour ou contre le libéralisme et que loin d'être punitif, vise plutôt à être incitatif et à prendre en compte le juste retour des politiques de solidarité. Cependant, un tel projet, mal construit, pourrait être explosif.

Quand le Premier ministre en fera-t-il un projet gouvernemental ? Y a-t-il un calendrier ?

M. le président.  - M. le Premier ministre a dû nous quitter en raison d'un impératif soudain et nous prie de l'excuser.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé .  - Je l'ai dit, nous travaillons à simplifier les aides sociales pour réduire le non-recours aux prestations existantes, via la création d'un revenu universel d'activité ; une grande consultation sera lancée. La logique droits-devoirs existe déjà.

Le RSA implique déjà des contreparties ! Le problème est que 50 % des bénéficiaires du RSA pâtissent d'un manque d'accompagnement vers l'emploi et ne se voient proposer aucune offre dans les six premiers mois. Nous renforcerons l'insertion par la formation et l'activité afin d'éviter les trappes à pauvreté.

Les idées seront soumises à une consultation ; elles seront aussi discutées dans le cadre du grand débat.

M. Philippe Adnot.  - L'État semble le seul responsable des aides sociales, à vous entendre... Vous oubliez les départements qui financent le RSA.

Dans l'Aude, on compte 10 000 prestataires du RSA, ce qui représente un coût de 40 millions d'euros pour un département de 300 000 habitants. Ces personnes pourraient accompagner les personnes en Ehpad, par exemple, rendre des services... Votre réponse était donc un peu courte, madame la ministre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains).

Prochaine séance demain, mercredi 20 février 2019, à 14 h 30.

La séance est levée à 17 h 50.

Jean-Luc Blouet

Direction des comptes rendus