Produits agricoles ou alimentaires

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi portant diverses dispositions relatives aux mentions et signes de la qualité et de l'origine valorisant les produits agricoles ou alimentaires, présentée par Mme Marie-Pierre Monier et plusieurs de ses collègues, en examen conjoint avec la proposition de loi tendant à abroger la loi du 20 décembre 1957 interdisant la fabrication de vins mousseux autres que la « Clairette de Die » à l'intérieur de l'aire délimitée ayant droit à cette appellation d'origine contrôlée, présentée par M. Gilbert Bouchet et plusieurs de ses collègues.

Discussion générale

Mme Marie-Pierre Monier, auteure de la proposition de loi .  - Issu des États généraux de l'alimentation, le projet de loi EGalim a connu des débats riches débouchant sur un foisonnement de propositions nouvelles. Le Conseil constitutionnel a considéré que 23 de ses articles n'avaient pas de lien direct avec le texte. Pourtant, certaines de ces dispositions étaient utiles pour les consommateurs et les producteurs.

Que fallait-il faire ? Il m'est vite apparu qu'il fallait reprendre, dans une proposition de loi homogène, celles qui, par le truchement des signes et mentions valorisantes, protégeaient les consommateurs, soutenaient les producteurs et valorisaient les territoires. Tel est l'objet de ce texte que j'ai travaillé en étroite collaboration avec MM. Cabanel, Montaugé et Tissot. Seul l'article 2 peut être considéré comme plus spécifique puisqu'il concerne la Clairette de Die, production emblématique de mon département. J'ai accepté que Gilbert Bouchet adjoigne son texte au nôtre car il est identique à notre article 2. Je ne doute pas du soutien de nos collègues de la Drôme. Je laisse à nos rapporteurs, que je remercie pour leur excellent travail, le soin de présenter en détail les autres articles.

Les modes de consommation évoluent avec la montée en puissance d'une exigence de traçabilité, de transparence et de qualité des produits. Pas moins de huit consommateurs sur dix souhaitent davantage de transparence sur les produits alimentaires et 80 % de nos concitoyens sont prêts à payer plus cher pour des produits régionaux ou 100 % français.

Toutes les dispositions reprises dans cette proposition de loi contribueront à restaurer durablement la confiance entre consommateurs et producteurs. Alors que s'accroît une concurrence internationale parfois déloyale, les signes d'identification de l'origine et de la qualité des produits agricoles et agroalimentaires (SIQO) sont facilement reconnus par les consommateurs qui y voient une assurance de qualité des produits. L'étiquetage des produits alimentaires fait évoluer les pratiques. Le pari est que les consommateurs, mieux éclairés, privilégient l'agriculture française, notamment paysanne.

Finalement, à travers ce texte, il s'agit de défendre notre modèle agricole qui, à côté des grandes cultures, développe une agriculture de terroirs, fondée sur le savoir-faire de nos producteurs et la valeur ajoutée de nos produits. À travers les signes de qualité, nous valorisons toute l'économie rurale. La territorialisation de nos productions est un puissant levier pour soutenir l'économie locale mais aussi préserver notre environnement et tendre vers la nécessaire transition agro-écologique.

J'espère que le Sénat parviendra à un consensus pour que ces mesures de bon sens soient rapidement appliquées. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR, CRCE et LaREM ; M. Joël Labbé applaudit également.)

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure de la commission des affaires économiques .  - Avec M. Raison, lorsque nous avons rapporté la loi EGalim, nous avons déploré que le texte ait été, à l'Assemblée nationale, détourné de son objet initial - apporter une réponse à la question du revenu des agriculteurs - par l'introduction de nombreux articles à l'Assemblée nationale faisant peser de nouvelles charges sur les producteurs. Le Conseil constitutionnel a confirmé notre analyse en censurant une partie du texte, dont des mesures qui avaient fait consensus entre les deux assemblées.

Les deux propositions de loi que nous examinons reprennent les dispositions sur l'étiquetage et les mentions valorisantes. Il s'agit de renforcer l'information du consommateur sur les fromages fermiers, le miel et le vin. Il s'agit aussi, dans la proposition de loi de Mme Monier comme dans celle de M. Bouchet, d'autoriser les producteurs du Diois à diversifier leur production.

Depuis un arrêt du Conseil d'État de 2015, il n'est plus possible aux producteurs de fromages fermiers affinés hors de leur exploitation de se prévaloir de la mention de « fromage fermier ». La commission proposera de revenir au texte de la loi EGalim en y ajoutant une protection, proposée par M. Louault, le nom du producteur sur l'étiquette.

Nous aurons un débat sur les miels. La directive européenne qui offre la possibilité d'afficher tous les pays de provenance reste peu appliquée. Monsieur le ministre, nous savons que cette négociation vous tient à coeur. Nous vous proposerons l'affichage des pays en toutes lettres par ordre décroissant d'origine, sans aller jusqu'à la mention des pourcentages. Les miels issus de mélanges seront ainsi mieux identifiés. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC ; M. Joël Labbé applaudit également.)

M. Henri Cabanel, rapporteur de la commission des affaires économiques .  - (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et UC ; M. Joël Labbé applaudit également.) Je remercie Marie-Pierre Monier et Gilbert Bouchet pour leur travail avec un focus sur la Clairette de Die, un sujet qui rappellera des souvenirs à notre ministre...

L'article 2 abroge la vieille loi de 1957 qui interdit aux producteurs de l'AOC de produire d'autres mousseux que la Clairette. En matière de vin, la couleur rose a le vent en poupe... Je parle du vin, bien sûr. (Sourires) La France est le premier producteur mondial de rosé, tranquille ou pétillant ; les volumes produits ont augmenté de 50 % en dix ans. Pourquoi les producteurs de l'Est pourraient-ils produire du vin mousseux rosé, et pas ceux du Diois ? Ils le pourront désormais, mais sans appellation. S'ils le souhaitent, ils pourront entamer un long travail avec l'INAO pour que, peut-être un jour, leurs vins rosés soient reconnus AOC Clairette de Die.

L'article 4 concerne l'étiquetage trompeur de certains vins vendus sous la forme bag in box dans les supermarchés, par des producteurs étrangers. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a constaté les abus. Les producteurs demandent un contrôle accru sur la mention du pays d'origine. Elle est trop souvent dissimulée à l'envers des bag in box. La réglementation en vigueur comporte déjà toutes les dispositions pour lutter contre les abus. Plus que le droit, c'est la pratique qui est en question : il faut davantage de contrôles. Comment le faire si les agents sont insuffisamment nombreux ? Sur le territoire de l'ancienne région Languedoc-Roussillon, il n'y en a qu'une dizaine... Les missions des services de l'État sont essentielles sur nos territoires pour garantir davantage de transparence.

Avec les AOC et les IGP, notre pays peut se targuer d'une production de qualité. Monsieur le ministre, comment comptez-vous la protéger ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE ; M. Joël Labbé et Mme Françoise Férat applaudissent également.)

M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation .  - L'agriculture française connaît un problème crucial : celui des revenus des agriculteurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) La loi EGalim a été un pas en avant mais n'a pas encore atteint son but. Les industriels ont relevé les prix d'achat dans le domaine du lait et d'autres mais le compte n'y est pas. Il est scandaleux que les agriculteurs soient contraints de vendre leurs produits à des prix imposés, et pas à ceux qu'ils choisissent. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE ; MM. Jean-Pierre Decool, Jean-Paul Émorine et Jean-Marie Morisset applaudissent également.)

À voir l'évolution de la grande distribution, les circuits courts devraient se développer. Nous avons de moins en moins de grandes surfaces à 40 000, 50 000 références. D'où la nécessité de renforcer la loi EGalim pour que les agriculteurs puissent vivre de leur travail. Les ordonnances prises sur les seuils de revente à perte, les prix anormalement bas et les promotions y contribueront.

Les Français seraient prêts à payer plus cher pour des produits de qualité ? Je n'en suis pas certain car beaucoup de nos concitoyens n'en ont pas les moyens. Mais il n'y a pas que les riches qui ont droit aux produits de qualité, tous nos produits le sont ! Montée en gamme des produits, montée en revenus des producteurs, c'est la mission que je me suis donnée.

Comme je le dis souvent, le prix que nous voyons dans les grandes surfaces, ce n'est pas ce que coûte le produit. Moins cher, ce n'est pas toujours mieux. (M. Michel Canevet approuve.)

Nous voulons développer une agriculture de qualité, suffisamment rémunérée et accessible. (MM. Michel Canevet, Yvon Collin, Daniel Dubois et Bernard Delcros applaudissent.)

Le Gouvernement est favorable aux cinq articles que vous présentez. L'Assemblée nationale est en train de préparer une proposition de loi sur le même titre II de la loi EGalim. Nous aurons donc l'occasion d'en reparler.

L'alimentation, c'est la vie. Il est essentiel de réaffirmer la nécessité de manger des fruits et des légumes de saison, mais aussi de la viande dont l'origine est clairement identifiée...et une baguette, sans laquelle un repas n'est pas complet. Notre gastronomie est inscrite au patrimoine immatériel de l'Unesco. Un repas français avec une bonne baguette et arrosé d'un bon vin, c'est l'extase et c'est la France. Et dans cet hémicycle, vous êtes la France. (Applaudissements)

Attention : trop d'information tue l'information. Pas besoin d'étiquettes aussi longues que des parchemins pour savoir ce que nous allons manger. Une alimentation saine, sûre et durable, voilà ce que nous devons offrir à nos concitoyens. Si nous développons la transparence sur ces sujets, nous aurons fait oeuvre utile.

Attention aussi de ne pas céder à la tentation de la surtransposition. Y a-t-il de bonnes et de mauvaises surtranspositions ? Y a-t-il de bonnes et de mauvaises normes ? Je n'en sais rien. Restons prudents.

Il faut soutenir notre agriculture dans son ensemble, qu'elle soit biologique ou traditionnelle, en circuit court ou en circuit long. Il y a de la place pour tous sous le soleil. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, RDSE, UC et Les Républicains)