Affectation des avoirs issus de la corruption transnationale

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à l'affectation des avoirs issus de la corruption transnationale.

Discussion générale

M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la proposition de loi .  - Selon une estimation de la Banque mondiale, la corruption transnationale ferait perdre 20 milliards à 40 milliards de dollars aux États en voie de développement, soit 20 % à 40 % du montant de l'aide annuelle au développement.

Le champ des biens pouvant être saisis a été changé et une agence, l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), créée pour leur recouvrement.

Les biens doivent être intégralement restitués à l'État victime par l'État où se trouvent les avoirs illicites.

Pour autant, ces règles ne s'appliquent que très rarement. Elles ne jouent que lorsque les juridictions étrangères ont engagé et mené à leur terme les procédures judiciaires nécessaires aux fins de recouvrer les avoirs illicites se trouvant à l'étranger. Or, lorsqu'il s'agit de corruption transnationale et tout particulièrement lorsque les agissements illicites mettent en cause des agents publics de haut rang, parfois encore en exercice, il apparaît trop souvent illusoire d'espérer que les fruits des confiscations soient rétrocédés aux populations victimes.

En définitive, la confiscation des produits de la corruption transnationale se trouvant en France emporte le plus souvent transfert de leur propriété à l'État français.

Cette proposition de loi vise simplement à restituer aux populations spoliées l'argent qui leur a été volé et à punir les personnes, souvent déjà très riches, qui se sont accaparé ces biens, qu'il s'agisse d'appartements à Paris ou sur la Côte d'Azur, au mépris des peuples.

Un colloque au Sénat organisé avec l'association Transparency International France a montré les progrès réalisés dans beaucoup d'États, qui doivent aussi exister dans notre pays.

Ce texte les transpose dans notre droit en créant un fonds chargé de l'affectation des avoirs retrouvés, pour qu'ils bénéficient réellement à l'État victime.

Transparency International et certaines ONG, dont je salue particulièrement l'action, proposent d'inclure cinq grands principes dans le dispositif d'affectation : la transparence, la solidarité, l'efficacité, l'intégrité - pas de corruption dans le traitement de la corruption - et responsabilité dans la gestion des fonds et la restitution des biens.

Le 27 octobre 2017, le tribunal correctionnel de Paris condamnait le vice-président de la Guinée équatoriale pour des faits de corruption, notamment de blanchiment et de détournement d'argent public. Le tribunal a souligné dans ses attendus que les sommes ainsi blanchies au détriment de la réalisation d'infrastructures et de services publics en Guinée équatoriale étaient dépensées en France pour alimenter le train de vie particulièrement fastueux du personnage ; que la confiscation devait prendre en compte l'intérêt des victimes ; qu'il serait moralement injustifié que l'État dont le chef a si gravement fauté bénéficie de la confiscation de ses biens.

Le tribunal correctionnel de Paris a recommandé une évolution du cadre juridique, afin de l'adapter à la restitution des avoirs illicites.

Madame la ministre, je n'ignore pas les arguments techniques, notamment celui selon lequel un amendement au projet de loi de finances peut être tout à fait opportun. Mais, à la veille du G7 consacré à la question, nous nous honorerions de voter un texte contre cette pratique organisée du pillage des pays pauvres. Qu'il y ait des améliorations techniques, soit ; mais posons un acte qui rejaillirait sur la parole de la France dans le monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)

M. Antoine Lefèvre, rapporteur de la commission des finances .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Lorsque la justice confisque un bien, son produit revient au budget général de l'État, après une éventuelle indemnisation des parties civiles. C'est moralement difficile à admettre ; c'est pourquoi le tribunal correctionnel de Paris a adressé un appel du pied au législateur en 2017.

Ce texte y répond, certes imparfaitement. La commission des finances a relevé des difficultés juridiques et opérationnelles. Ainsi à qui les sommes seront-elles affectées ? À l'État victime, au risque d'alimenter de nouveaux circuits de corruption ? Quid des États « faillis » ? Ainsi comment affecter à la population syrienne les biens confisqués à l'oncle de Bachar Al-Assad ?

Une solution pragmatique serait d'affecter les biens et fonds saisis à l'Agence française du développement (AFD), en s'assurant qu'ils vont bien aux pays victimes et ne sont pas noyés au sein des crédits de l'AFD, et surtout qu'ils s'ajoutent bien à l'aide publique au développement de la France.

La commission des finances n'a pas été mesure, en raison notamment des prescriptions de la loi organique relative aux lois de finances, de proposer des modalités satisfaisantes d'affectations aux populations victimes, par le biais de l'AFD.

Il faudrait aussi revoir la notion de « personnalité politique exposée » et réfléchir au rôle de l'Agrasc, qui n'a pas de compétences propres en matière d'aide au développement.

Enfin, la commission a émis des doutes sur la mécanique budgétaire retenue.

Dans la perspective du G7 de Biarritz, il est néanmoins important d'émettre un signal politique fort.

Madame la ministre, que le Gouvernement se saisisse dès aujourd'hui du sujet, afin de proposer un objectif pleinement opérant dans le plus prochain projet loi de finances ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe SOCR)

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes .  - C'est un sujet particulièrement important, aux confins du droit, de l'éthique et de la diplomatie.

La France a mis en place une politique de prévention et de répression efficace. La législation votée en 2010 permet le recouvrement d'avoirs issus de la corruption, dont la gestion est confiée à l'Agrasc.

La France a aussi mis en place tous les outils et mécanismes de coopération internationale pour la lutte contre la corruption. C'est un engagement fort de la présidence du G7, que nous portons avec Jean-Yves Le Drian et Jean-Baptiste Lemoyne.

Néanmoins, cette politique est inachevée quant à la restitution des biens spoliés aux populations. Seul un accord politique ad hoc avec l'État en question le permettrait, ce qui est souvent difficilement envisageable - faute de quoi les avoirs reviennent au budget de l'État.

On ne peut se contenter de cet état actuel du droit français qui lèse les populations spoliées une dernière fois. Monsieur le rapporteur, c'est dire si votre travail est bienvenu.

Les règles internationales évoluent. La Convention des Nations unies contre la corruption, ratifiée par la France en 2005, prévoit un retour intégral aux États spoliés. Mais dans les faits, c'est très rare. Transparency International a souligné la nécessité de modifier la législation.

En tant que ministre chargée des affaires européennes, je suis frappée par la diversité des situations. L'Allemagne prévoit une restitution sans jugement préalable ; l'Italie permet de transférer les biens confisqués directement aux victimes ; la Suisse inscrit les restitutions dans le cadre de projets de développement. Il n'y a donc pas de modèle unique européen.

La volonté du groupe socialiste rencontre la volonté du Gouvernement. Notre ambition partagée doit être de restituer aux populations victimes les avoirs issus de la corruption, selon un mécanisme exigeant, précis, opérationnel qui articule différentes compétences et d'abord celles de l'Agrasc, avec celles des services de l'État concernés et celles de la société civile.

Cette proposition de loi crée un fonds pour recueillir les recettes des confiscations C'est intéressant mais cela soulève de nombreuses difficultés techniques. D'abord le positionnement du fonds, alors que les fonds de concours général pour l'Agrasc ont un cadre strictement national.

De plus, la proposition de loi ne vise que les délits de blanchiment d'argent public et de recel. Or les notions de corruption ou d'abus de confiance seraient plus pertinentes. Elle introduit la notion de personnalité étrangère politiquement exposée, qui est vague juridiquement.

Cette proposition de loi crée un fonds dans le budget général de l'État et lui affecte des recettes, ce qui est du ressort d'une loi de finances et non d'une loi ordinaire.

Il faudrait expertiser davantage le montage juridique. L'avancée des dossiers judiciaires est par nature irrégulière ; il serait plus simple de financer les fonds de concours par crédits budgétaires à la hauteur des avoirs progressivement recouvrés, au sein du budget général.

Nicole Belloubet lancera bientôt une mission parlementaire sur le sujet, pour étudier toutes les pistes budgétaires. Cette mission, qui se fondera sur vos travaux, pourrait notamment s'intéresser à l'exemple suisse, souvent cité.

Le délai est serré : il faudrait que le texte soit examiné en Conseil des ministres début juillet, pour un vote avant le projet de loi de finances 2020. Je m'y engage.

Pour le Gouvernement, la réponse n'est pas celle de la commission des finances, c'est pourquoi il ne soutiendra pas ce texte en l'état. (Marques de déception à droite ; exclamations sur plusieurs bancs à gauche)

J'appelle donc les sénateurs à ne pas le voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

M. Roger Karoutchi.  - Eh bien !

M. Michel Canevet .  - Le sujet est d'importance. La corruption prospère dans le monde où nous vivons. La fraude fiscale aussi, qui mobilise en particulier, au groupe UC, Nathalie Goulet, et atteint 100 milliards d'euros selon certaines estimations, rien que pour la France - sans parler de la fraude aux prestations sociales et de la fraude documentaire. Nous espérons ainsi que l'Observatoire de la fraude fiscale, annoncé par le ministre du budget, sera créé au plus vite.

L'auteur de la proposition de loi a rappelé le jugement de juillet 2017 contre le vice-président de la Guinée équatoriale, qui n'est pas définitif mais a conduit à la confiscation d'un immeuble avenue Foch à Paris, de dix-huit voitures et des bijoux. Une autre affaire en cours concerne 60 millions d'euros confisqués à une personnalité gabonaise.

En Suisse, à Genève, à nos portes, il subsiste un port franc où sont concentrées plus d'un million d'oeuvres d'art valant 80 milliards d'euros.

L'Agrasc travaille bien ; le groupe de l'Union centriste présentera des amendements pour lui donner les moyens de fonctionner mieux. Elle a consacré à l'entraide internationale seulement 1 % des biens qu'elle a recouvrés.

L'effort à mener est très important. Cela rejoint l'objectif du président de la République de consacrer au moins 55 % du PIB à l'aide au développement.

Le groupe de l'Union centriste soutiendra ce texte, avec tous les garde-fous nécessaires pour assurer la bonne restitution des fonds. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)

M. Alain Marc .  - La corruption transnationale est l'accaparement de biens par des oligarques qui s'enrichissent illicitement. Chaque année, elle ferait perdre entre 20 milliards et 40 milliards de dollars aux pays en développement, soit 20 % à 40 % de l'aide publique au développement.

Ces pays se trouvent privés de ressources dont ils manquent déjà au bénéfice de quelques criminels ; on ne peut ainsi obérer leur développement. L'argent volé là-bas est parfois investi ici.

Cette proposition de loi nous fait aborder le sujet sous un angle nouveau : quand l'État saisit ces biens mal acquis, il ne les renvoie pas à l'État victime, ce qui revient à entériner la spoliation des populations.

La France a signé en 2005 une convention internationale, adopté la loi du 9 juillet 2010, mais il faut aller plus loin. La Suisse a fait bouger les lignes. Les retours d'expérience positifs après des affaires symboliques montrent que l'on peut agir pour réparer les dommages.

Derrière l'intention noble se cachent des difficultés pratiques : à quoi bon restituer des biens confisqués à un État défaillant ?

M. Jean-Pierre Sueur.  - Absolument.

M. Alain Marc.  - Comment s'appuyer sur la société civile, comment confier à un acteur privé une mission d'intérêt général ? L'exemple suisse montre aussi qu'il n'y a pas de solution miracle, qu'il faut une réponse au cas par cas.

Autre obstacle, la création d'un fonds dédié au sein du budget général de l'État ne respecte pas les règles d'affectation des recettes définies par la LOLF.

L'AFD pourrait être le bon acteur pour mener à bien cette restitution ; la solution appartient au Gouvernement.

Le groupe Les Indépendants votera en faveur de l'esprit de la proposition de loi, en espérant que le Gouvernement s'en saisira.

M. Philippe Dallier.  - Esprit, es-tu là ?

M. Alain Marc.  - La présidence française du G7 de Biarritz, en août prochain, sera une excellente opportunité pour engager plus avant notre pays dans une démarche qui lui fait honneur. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et RDSE ; M. Michel Canevet applaudit également.)

M. Didier Rambaud .  - Quelque 20 milliards de dollars à 40 milliards de dollars s'évaporent chaque année. Avec l'entrée en vigueur de la convention contre la corruption, la France a adopté dans son droit plusieurs nouvelles incriminations, étendu les pouvoirs des enquêteurs, permis aux associations de lutte contre la corruption de se porter partie civile. Le parquet national financier a joué un rôle décisif dans la condamnation de Teodorin Obiang, vice-président de la Guinée équatoriale, et validé la vente des biens saisis et l'affectation du produit au budget de l'État.

La proposition de loi vise à l'affectation des recettes des confiscations aux populations victimes, pour améliorer les conditions de vie et renforcer l'État de droit.

Le groupe LaREM s'abstiendra, pour plusieurs raisons. D'abord, le présupposé selon lequel les faits de corruption ne toucheraient que les pays les plus pauvres est faux : selon un rapport de l'OCDE, un cas sur deux se produit dans un pays développé.

La proposition de loi fait courir le risque d'un recyclage des sommes saisies dans un circuit de corruption. Peut-on accepter que les sommes restituées soient utilisées pour payer un marché public auprès d'une entreprise française de BTP ?

Comme il a été dit, la création d'un fonds au sein du budget général contrevient à la LOLF.

Le fisc américain a obtenu du président Teodoro Obiang qu'il renonce à 30 millions de dollars, reversés à des associations caritatives au bénéfice de son peuple ; comme le permet le droit pénal suisse, le produit de la vente de voitures saisies en Suisse a été affecté à une organisation internationale pour un projet humanitaire en Guinée. La Suisse est exemplaire en la matière : sur les trente dernières années, environ 2 milliards ont été restitués aux populations. Autre exemple, quelque 115 millions de dollars ont été restitués au profit de la population kazakhe, en transitant par la Banque mondiale. La Suisse agit au cas par cas, sans automaticité.

Que les sommes confisquées soient affectées à l'AFD est une piste, mais s'appuyer sur les ONG, comme le fait la Suisse, serait plus prometteur. En tout état de cause, notre droit pénal mérite sans doute d'être revu.

Je remercie la ministre pour les preuves d'engagement qu'elle a apportées. Cette détermination honore notre pays. Nous resterons attentifs aux propositions du Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

M. Pascal Savoldelli .  - Merci à M. Sueur de nous donner l'occasion de débattre de cette question. Sa proposition de loi va dans le bon sens. Nous soutenons la restitution aux populations victimes. Il faut être impitoyable avec ceux qui accaparent la richesse de leur peuple.

La France doit être exemplaire. Cette proposition de loi peut même être renforcée. Le Gouvernement doit nous donner des assurances quant au fonctionnement du mécanisme proposé.

Éradiquer la corruption, cette « exploitation des gens sans défense » que condamne Tahar Ben Jelloun dans son recueil Amours sorcières est un impératif économique.

Selon la Banque Mondiale, entre 20 milliards de dollars et 40 milliards de dollars s'évaporent chaque année, entre 20 % et 40% de l'aide publique au développement, La Banque mondiale a souligné dès 2001 que la corruption est l'un des grands obstacles au développement économique et social des pays en voie de développement.

La corruption est l'un des ressorts du capitalisme mondialisé. En 2014, l'OCDE constatait que la corruption transnationale émanait majoritairement des directeurs d'entreprise, et dans 12 % des cas des PDG eux-mêmes ; 11 % des personnes incriminées étaient présidents ou membres de gouvernement.

La France doit faire évoluer son arsenal juridique, car elle n'a pas toujours été exemplaire. Réjouissons-nous du jugement du 17 novembre 2017 visant le vice-président de Guinée équatoriale.

La proposition de loi va dans la bonne direction en prolongeant les efforts des Nations unies qui ont fait adopter en 2003 la convention de Mérida. Cependant, vu le niveau généralisé de corruption qui gangrène certains pays, la restitution aux populations civiles des avoirs issus de la corruption n'est pas aisée ; un accord est nécessaire avec l'État requérant...

Nous proposons, tout en soutenant cette proposition de loi, la mise en oeuvre de plusieurs principes.

D'abord, les sociétés civiles des pays concernés doivent être associées à la restitution.

Les mécanismes doivent ensuite intégrer une coopération avec les autres pays, et une évaluation annuelle de l'action du fonds doit être publiée. Nous revendiquons une protection juridique pour les lanceurs d'alerte puisque la corruption transnationale est souvent mise à jour par les médias.

Enfin, les fonds ne pouvant faire l'objet de restitution doivent venir renforcer les systèmes fiscaux des pays en développement.

Nous voulons une réalisation pleine et entière de cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)

M. Vincent Éblé .  - Les avoirs issus de la corruption transnationale procèdent pour l'essentiel de manquements à la probité de la part de dépositaires de l'autorité publique. L'équité exige que les sommes détournées aillent aux populations privées de services de base comme l'eau et l'électricité que leur État manque à leur fournir.

La mise en oeuvre d'un tel principe est cependant loin d'être acquise ; ces fonds sont transférés au budget général de l'État et bénéficient au Trésor public. C'est une double peine pour les populations victimes.

Il nous revient d'adapter la loi - c'est une question de justice et d'honneur.

La justice a condamné en 2017 le vice-président de Guinée équatoriale, Téodorin Obiang, pour détournement de fonds publics et abus de confiance, entre autres, confisquant un patrimoine d'environ 150 millions d'euros, somme qui serait bien utile aux Equato-Guinéens.

Il y a une attente très forte vis-à-vis de la France sur cette question. Aujourd'hui, seule une minorité de pays, dont la Suisse, le Royaume-Uni et les États-Unis, restitue les fonds aux populations spoliées. Seule la Suisse a prévu dans la loi la restitution des valeurs patrimoniales d'origine illicite de personnes politiquement exposées à l'étranger ; elle a restitué à ce titre près de 2 milliards de dollars.

Le rapporteur a dit partager l'objectif de la proposition de loi et proposé que les fonds transitent par l'AFD. Cependant, notre droit, à commencer par les articles 40 de la Constitution et 36 de la LOLF, contraint nos capacités d'amendement.

Aussi nous comptons sur le Gouvernement, à la veille du G7 à Biarritz, pour reprendre à son compte ce texte, accueilli favorablement par une majorité de nos collègues. Ce serait un signal fort. Le groupe socialiste soutient toute démarche qui permettra de l'améliorer. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)

M. Éric Gold .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE) La corruption transnationale reste un fléau qui hypothèque l'avenir des populations du Sud.

Dans le cadre de leur mission de contrôle budgétaire, Yvon Collin et Jean-Claude Requier se sont rendus au siège de la Banque mondiale où ils ont constaté la trop grande complexité du système d'aide multilatéral, pourtant indispensable. Trop souvent, la solidarité internationale envers les pays les moins avancés est malmenée par les tensions géopolitiques et les tentations de repli.

Cette proposition de loi s'inscrit dans un contexte où la lutte contre la corruption est une priorité. En 1999, les États de l'OCDE ont adopté une convention définissant clairement la corruption transnationale. La convention des Nations-Unies contre la corruption entrée en vigueur en 2005 pose le principe de la restitution des avoirs acquis de façon illicite.

En France, la loi Warsmann du 9 juillet 2010 a créé l'Agrasc, puis la loi Sapin 2 a facilité la poursuite des personnes morales soupçonnées de faits de corruption à l'étranger.

La proposition de Jean-Pierre Sueur vise quant à elle les personnes physiques dites politiquement exposées. Le vice-président de la Guinée équatoriale a été condamné en octobre 2017 à trois ans de prison et 30 millions d'euros d'amende pour détournement de fonds publics. L'oncle de Bachar Al-Assad, Rifaat Al-Assad, pourrait être inquiété pour des faits similaires.

Il peut paraître injuste que l'État français récupère les biens mal acquis, mais la persistance de la corruption dans ces États, voire l'absence d'État digne de ce nom, rendent hasardeuse la restitution.

À cet égard, j'émets quelques doutes sur l'efficacité de la proposition de loi même si je souscris à ses objectifs. Les modalités précises de l'affectation des fonds sont renvoyées à un décret en Conseil d'État. Je pense que l'AFD pourrait être un acteur clé de la répartition des fonds. Malgré ces réserves, le groupe RDSE votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE ; MM. Jean-Pierre Sueur et Michel Canevet applaudissent également.)

M. Roger Karoutchi .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Tout a été dit. Je voterai cette proposition de loi.

Madame la ministre, nous ne sommes que le Parlement - mais tout le Parlement - et sommes conscients que nous ne pouvons régler les détails. Des mécanismes seront mis en place. Confisquer des biens indus est jouable ; s'assurer que les populations des États corrompus en bénéficient est plus ardu. L'AFD ne peut agir qu'avec l'aval des gouvernements des pays concernés - qui accepteront et reprendront pour eux-mêmes une partie des sommes. Donc le jeu, cruel, continue.

Madame la ministre, tout le monde est d'accord sur le principe, même si nous ne sommes pas tous convaincus sur les modalités.

À la place du Gouvernement, je souhaiterais la bienvenue à cette proposition de loi et je l'améliorerais à l'Assemblée nationale en fonction des conclusions de la mission que Mme Belloubet va commander.

Vos propos, madame la ministre, reviennent à enterrer tout texte. (La ministre le conteste.) Donnez donc un avis de sagesse, laissez faire le jeu de la démocratie ! Imaginons enfin que le Parlement et le Gouvernement, d'accord sur le principe, travaillent dans le même sens ! Ce serait à l'honneur de la France, de la République et de la vie parlementaire. (Applaudissements)

M. Jérôme Bascher .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Que dire, après Roger Karoutchi ? Cette proposition de loi, c'est l'honneur de la France, le bon sens et l'intérêt supérieur des populations.

Il y a néanmoins quelques « mais » - dont la LOLF, excusez du peu ! Il s'agit d'affecter systématiquement une recette. C'est la mode des gilets jaunes : l'argent de l'écologie doit aller à l'écologie, celui de la corruption transnationale à l'aide au développement... À ce rythme, il n'y a plus de budget général ! Mais il faut savoir faire des exceptions, notamment parce que les crédits de l'aide au développement sont insuffisants. Il faut aussi, madame la ministre, que la question de la corruption transnationale soit portée au niveau européen.

Je regrette que le Gouvernement nous renvoie, une fois de plus, au projet de loi de finances. Combien de textes sont ainsi renvoyés parce que vous n'avez pas travaillé ?

Cette proposition de loi aurait dû être examinée il y a un mois : vous aviez tout le temps d'y travailler et de déposer des amendements.

À chaque fois que le Sénat a une bonne idée, vous la ripolinez à vos couleurs pour la reprendre ultérieurement. Non ! Nous sommes tous d'accord sur ce sujet. Revenons aux bonnes valeurs, celles du général de Gaulle. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; M. Michel Canevet applaudit également.)

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État .  - Merci pour votre engagement. Vous avez tous insisté pour que les fonds aillent aux populations et non aux régimes. Vous avez aussi relevé les difficultés techniques.

Je veux répondre à MM. Karoutchi et Bascher. Pour augmenter les crédits de l'AFD, il faut soit des décrets d'avance ou d'annulation, soit un budget rectificatif - je ne pense pas que vous le souhaitiez...

Nous avons travaillé, avec la direction du budget, avec la mission de Mme Belloubet pour concerter, pour clarifier l'utilisation finale des sommes en question - en toute transparence. Le bon outil reste le projet de loi de finances. Le travail parlementaire, vous le savez, ne consiste pas à voter l'esprit d'un texte mais le texte lui-même. Au nom des principes budgétaires de notre droit, celui-ci n'est pas recevable.

Le Quai d'Orsay travaille à la réforme de l'aide au développement et je m'engage à porter ce sujet pour le faire aboutir dans le projet de loi de finances 2020.

Mme Laurence Rossignol.  - Tous les ministres disent la même chose, nous n'avons plus confiance !

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

M. le président.  - Amendement n°9 rectifié, présenté par M. Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

« ....  -  Un rapport annuel d'évaluation est publié et transmis aux commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat. »

M. Pascal Savoldelli.  - À la différence du rapport existant, établi par l'Agrasc, celui que nous demandons serait spécifiquement dédié aux actions du fonds. Il faut encourager la transparence - garante, selon Jean-Marc Sauvé, d'une meilleure gouvernance publique - et l'efficacité de l'action publique.

Les parlementaires comprendront mieux le rôle joué par les tiers et les fondations associées aux mécanismes de rétribution.

Enfin, ce rapport annuel ferait la lumière sur les frais de procédure. On pourra ainsi adapter si nécessaire le fonctionnement du fonds.

M. Antoine Lefèvre, rapporteur.  - Sagesse. Il ne me paraît pas pertinent d'ajouter un tel rapport aux documents budgétaires existants.

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État.  - Avis défavorable, par cohérence avec la position du Gouvernement sur ce texte.

Les rapporteurs spéciaux de la commission des finances pourront très bien évaluer le mécanisme dont les frais de gestion. La transparence sera évidemment essentielle.

L'amendement n°9 rectifié est adopté.

L'article premier, modifié, est adopté.

L'article 2 est adopté.

ARTICLES ADDITIONNELS

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié quater, présenté par Mmes N. Goulet et Billon, M. Canevet, Mmes Férat et Loisier, MM. Moga, Guerriau et Chasseing et Mme Dindar.

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au deuxième alinéa de l'article 131-21 du code pénal, les mots : « , et dont le condamné est propriétaire ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition » sont supprimés.

M. Michel Canevet.  - Les amendements de Mme Goulet visent à améliorer le fonctionnement de l'Agrasc. La confiscation de l'instrument de l'infraction est subordonnée à la démonstration préalable de l'existence d'un droit de propriété. Cet amendement supprime cette exigence superfétatoire.

M. Antoine Lefèvre, rapporteur.  - Cette série d'amendements vise à simplifier le régime des saisies et confiscations et améliore le travail de l'Agrasc - dont je salue le travail remarquable. Ils sont sans doute pertinents mais bien éloignés de l'objet de la proposition de loi qui est la restitution des biens mal acquis. Demande de retrait de tous ces amendements.

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État.  - Même avis. Cet amendement, comme les suivants, va bien au-delà du seul sujet des biens mal acquis. Ce n'est pas le bon véhicule juridique.

L'amendement n°1 rectifié quater n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°2 rectifié quater, présenté par Mmes N. Goulet et Billon, M. Canevet, Mmes Férat et Loisier, MM. Guerriau et Chasseing et Mme Dindar.

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 41-4 du code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Au deuxième alinéa, après le mot : « bien », sont insérés les mots : « mobilier ou immobilier » ;

2° À la seconde phrase du dernier alinéa, après le mot : « biens », sont insérés les mots : « mobiliers et immobiliers lorsque ceux-ci sont l'instrument ou le produit direct ou indirect de l'infraction ».

M. Michel Canevet.  - Il est fréquent qu'une juridiction omette de statuer sur un bien immobilier saisi. L'Agrasc, en accord avec le parquet, a déjà été chargée de la vente de l'immeuble sur lequel la juridiction de jugement n'a pas statué. Cet amendement le prévoit explicitement.

L'amendement n°2 rectifié quater, repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°3 rectifié quater, présenté par Mmes N. Goulet et Billon, M. Canevet, Mmes Férat et Loisier, MM. Moga, Guerriau et Chasseing et Mme Dindar.

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 706-156 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La saisie de parts sociales est opposable aux tiers à compter de la publication de la décision au registre des nantissements et des privilèges ou au registre des gages sans dépossession. Les formalités de cette publication sont réalisées, au nom du procureur de la République, du juge d'instruction ou de la juridiction, par l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués. »

M. Michel Canevet.  - Il s'agit ici de décharger les juridictions des formalités de publication, qui seraient confiées à l'Agrasc.

L'amendement n°3 rectifié quater, repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°7 rectifié quater, présenté par Mmes N. Goulet et Billon, M. Canevet, Mmes Férat et Loisier, MM. Moga, Guerriau et Chasseing et Mme Dindar.

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au premier alinéa de l'article 706-164 du code de procédure pénale, après le mot : « confisqués », sont insérés les mots : « , à qui la décision est transmise sans délai, ».

M. Michel Canevet.  - Nous renforçons la transmission de l'information entre les juridictions et l'Agrasc.

L'amendement n°7 rectifié quater, repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°4 rectifié ter, présenté par Mmes N. Goulet et Billon, M. Canevet, Mmes Férat et Loisier, M. Guerriau et Mme Dindar.

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le deuxième alinéa de l'article 706-164 du code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Le mot : « deux » est remplacé par le mot : « six » ;

2° Les mots : « décision mentionnée au premier alinéa du présent article » sont remplacés par les mots : « condamnation civile ».

M. Michel Canevet.  - Le délai de deux mois pour saisir l'Agrasc est trop court. Cet amendement le porte à six mois.

L'amendement n°4 rectifié ter, repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°5 rectifié quater, présenté par Mmes N. Goulet et Billon, M. Canevet, Mmes Férat et Loisier, MM. Guerriau et Chasseing et Mme Dindar.

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa de l'article 373-1, les mots : « portant sur un bien qui n'est pas sous main de justice » sont remplacés par les mots : « d'un bien » ;

2° Au premier alinéa de l'article 484-1, les mots : « portant sur un bien qui n'est pas sous main de justice » sont remplacés par les mots : « d'un bien ».

M. Michel Canevet.  - Il peut demeurer un intérêt à ce que la juridiction ordonne la remise d'un bien à l'Agrasc le jour de l'audience, même lorsque ce bien a été saisi au préalable.

L'amendement n°5 rectifié quater, repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°6 rectifié quater, présenté par Mmes N. Goulet et Billon, M. Canevet, Mmes Férat et Loisier, MM. Guerriau et Chasseing et Mme Dindar.

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai d'un an à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport évaluant la faisabilité d'un rapprochement de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués et de la plateforme d'identification des avoirs criminels, ainsi qu'avec le service Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins.

M. Michel Canevet.  - Le président de la République a dit vouloir simplifier un certain nombre d'organismes publics. Cet amendement demande au Gouvernement un rapport sur la faisabilité d'un rapprochement entre l'Agrasc, la plateforme d'identification des avoirs criminels (PIAC) et Tracfin.

M. Pascal Savoldelli.  - J'ai voté pour les précédents amendements, qui élargissaient les tâches de l'Agrasc. En revanche, je voterai contre celui-ci, qui réduit les moyens de l'action publique, dans la droite ligne des propos du président de la République !

L'amendement n°6 rectifié quater, repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté. 

L'article 3 est adopté, de même que l'article 4.

La proposition de loi, modifiée, est adoptée.

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État .  - Je remercie les sénateurs pour leur travail et salue la directrice générale de l'Agrasc qui est à mes côtés. Cette agence oeuvre avec beaucoup d'efficacité et se modernise pour remplir des objectifs essentiels de politique publique et appliquer nos engagements internationaux. Nous continuerons à travailler sur ce sujet dans la perspective du projet de loi de finances 2020.

La séance est suspendue à 20 h 20.

présidence de M. Philippe Dallier, vice-président

La séance reprend à 21 h 50.