Agir contre les violences au sein de la famille (Procédure accélérée)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à agir contre les violences au sein de la famille.

Discussion générale

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Plus de 120 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint depuis début 2019. Cette réalité insupportable nous guide collectivement, quelle que soit notre appartenance politique.

C'est dans cet esprit que le Premier ministre a ouvert le Grenelle des violences conjugales ; c'est pour cela aussi que l'Assemblée nationale a voté ce texte à l'unanimité. Dans cet esprit, nous voulons aborder ce débat, pour apporter des solutions opérationnelles rapides, afin que nulle n'ait peur en rentrant dans son foyer.

Je mène une politique extrêmement volontaire et structurée. Ma circulaire du 9 mai 2019 rappelle aux procureurs le caractère prioritaire de ces dossiers et leur demande d'utiliser tout l'arsenal législatif, comme les téléphones grave danger (TGD), ou les ordonnances de protection.

Je souhaite que le recours à l'ordonnance de protection soit plus régulier. Mes services ont analysé les 3 102 ordonnances de protection, très inférieur au chiffre espagnol.

Cela relève que ce dispositif est de plus en plus utilisé.

En raccourcissant les délais de délivrance, la proposition de loi garantit une protection plus rapide et donc plus efficace. Un guide a été réalisé par la division des affaires civiles et du Sceau du ministère de la Justice.

La mise en place du bracelet anti-rapprochement comme peine mais aussi dans le cadre d'une décision judiciaire ou d'une ordonnance de protection a été annoncée par le Premier ministre dès le début du Grenelle. J'avais annoncé un groupe de travail ; les députés LaREM, Guillaume Vuilletet, Guillaume Gouffie-Cha et Fiona Laazar, avaient déposé une proposition de loi. Je me réjouis que pour un travail plus rapide, l'Assemblée nationale ait privilégié la proposition de loi du groupe Les Républicains.

J'ai souhaité renforcer l'offre de formation des magistrats. L'école nationale de la magistrature propose depuis le mois de novembre une nouvelle formation pour les magistrats, le personnel pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse, ainsi que les officiers de police judiciaire, les avocats, le personnel associatif. Ils doivent être formés au traitement spécifique de ces violences. Tout magistrat changeant de poste devra suivre une formation obligatoire sur les violences conjugales.

Il faut travailler à une meilleure synergie entre tous les acteurs et « défragmenter » le travail entre enquêteurs, juges et associations.

Souvent, dans les juridictions importantes, les juges aux affaires familiales (JAF) ou les juges des enfants et les procureurs ne travaillent pas suffisamment en symbiose sur ces sujets.

Au Tribunal de grande instance (TGI) de Créteil a été instauré un schéma modèle de traitement judiciaire des faits de violence conjugale qui intègre l'urgence des réponses.

Le TGI de Rouen et celui d'Angoulême deviendront pilotes : de nombreuses juridictions souhaitant expérimenter ces modèles.

Un groupe de travail à la Chancellerie rassemblera tous les acteurs concernés, suivra les avancées du Grenelle. Il s'est déjà réuni à plusieurs reprises et proposera des améliorations.

La proposition de loi examinée aujourd'hui vise à renforcer l'ordonnance de protection et à généraliser le bracelet anti-rapprochement. Je partage cette volonté, puisqu'il s'agit des deux axes majeurs sur lesquels travaille le ministère de la Justice depuis longtemps. Ce texte incite les parties à demander ces dispositions, à un juge civil, dans une procédure civile, dont les parties ont la maîtrise. L'absence de nécessité de plainte préalable a une vertu pédagogique.

La proposition de loi conforte le traitement de l'urgence. L'Assemblée nationale a voté un amendement raccourcissant le délai maximal de six jours pour que le JAF rende sa décision. Il est indispensable de raccourcir ces délais, mais aussi de respecter le principe de contradictoire.

Je souhaite la célérité, mais le dispositif n'est pas parfait : la notion de fixation de l'audience n'existe pas en procédure civile. (M. Roland Courteau le confirme.)

Le JAF pourra procéder à l'obligation du bracelet anti-rapprochement, mais l'accord du défendeur est requis, et le Gouvernement y a travaillé avec des parlementaires, pour sécuriser ce dispositif et éviter tout risque constitutionnel. À défaut, le procureur de la République pourra mettre en oeuvre les poursuites pénales.

Cette loi importante devra être opérationnelle dans les meilleurs délais. Nos services travaillent déjà à la rédaction de textes réglementaires d'application.

Nous poursuivons notre travail, dans le cadre du Grenelle des violences conjugales, pour protéger toujours davantage les victimes. Je suis personnellement ces travaux, qui trouveront une concrétisation, si possible consensuelle, dans les prochaines semaines.

Je veux vous assurer de l'engagement absolu du ministère de la Justice, mais aussi des avocats des réseaux associatifs et de l'ensemble de la société civile. Tous, nous devons continuer à lutter contre ces actes qui, en meurtrissant chaque jour tant de femmes, heurtent la société toute entière. Cette proposition de loi contribue pleinement à cet objectif. (Applaudissements sur toutes les travées)

Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois .  - Il y a deux mois, Aurélien Pradié égrenait cent prénoms de femmes tuées. Elles sont désormais 129 à s'être effondrées sous les coups de leurs conjoints, soit une femme tous les deux à trois jours.

Souvent, l'homicide, ou la tentative, fait suite à des comportements violents. Chaque année, environ 220 000 femmes sont victimes de violences.

Le 3 septembre, le Gouvernement a lancé le Grenelle des violences conjugales, jusqu'au 25 novembre, date de la journée internationale pour l'élimination de la violence contre les femmes. Dix propositions ont déjà été annoncées par le Gouvernement.

Cette proposition de loi a été adoptée le 15 octobre à la quasi-unanimité par l'Assemblée nationale, au-delà des clivages partisans. L'Espagne a été précurseur, qui s'est dotée depuis une dizaine d'années de juridictions spécialisées et d'un dispositif anti-rapprochement.

L'introduction en France du bracelet anti-rapprochement constitue la mesure phare de cette proposition de loi. Il prévoit différents cas de recours au bracelet anti-rapprochement qui a fait ses preuves.

Le bracelet anti-rapprochement, attaché à la cheville du conjoint violent, et le boîtier donné à la victime, informent la justice et la victime et permet de déclencher une alerte, dans un centre de surveillance, s'ils se rapprochent trop près. Le refus de porter le bracelet anti-rapprochement, possible, peut impliquer la révocation par le juge de la mesure et son placement en détention provisoire.

La commission est favorable au recours au bracelet anti-rapprochement, mais nous regrettons que les deux expérimentations de 2010 et 2017 n'aient jamais été mises en oeuvre malgré la proposition de certaines juridictions, notamment du tribunal de Pontoise, prêtes à le mettre en oeuvre. C'est dommage. Cela aurait facilité sa généralisation et aurait peut-être réduit le nombre de victimes. Beaucoup de temps a été perdu.

La loi prévoit le développement du recours au TGD, lancé en 2014 en Seine-Saint-Denis. La proposition prévoit que la demande peut être adressée au procureur de la République, et introduit un nouveau cas dans lequel l'attribution du TGD serait autorisée en cas d'urgence.

Le second volet concerne le droit civil : l'ordonnance de protection est rendue par le JAF en cas de violence et de grave danger pour les femmes et les enfants. Pourtant, le recours à l'ordonnance de protection est faible : seulement 3 300 en 2018. En outre, seuls 60 % des cas ont reçu une issue favorable du JAF.

La proposition de loi fixe au juge un délai de six jours pour recourir à l'ordonnance. Le JAF pourrait interdire au conjoint de paraître dans certains lieux et de porter un bracelet anti-rapprochement, rendant l'ordonnance un peu hybride, entre droit civil et pénal.

Je doute que le JAF se saisisse facilement de cet outil, mais la commission souhaite cependant donner sa chance à cette expérimentation.

La proposition de loi fait des propositions pour faciliter le relogement des femmes victimes de violences conjugales. Pendant trois ans, deux expérimentations seront menées. La première consiste en une sous-location de logements sociaux relevant du parc social aux femmes le demandant, sous condition de ressources. Deuxième expérimentation : un dispositif d'accompagnement adapté qui s'appuie sur des moyens existants comme la garantie locative Visale couvrant les impayés de loyers, ou le Loca-Pass finançant le dépôt de garantie.

Ce texte apporte des réponses concrètes aux difficultés que rencontrent les femmes victimes. Quelque 80 % des femmes victimes ont des enfants, soit quatre millions d'enfants qui sont des victimes collatérales. Quels adultes deviendront-ils ?

Je ne doute pas que le Gouvernement mobilisera les moyens à la hauteur de ces nouvelles mesures. Veillez, madame la garde des Sceaux à conjuguer volontarisme, efficacité et principes fondamentaux qui garantissent notre liberté. La violence est à combattre dès le plus jeune âge, par l'éducation et l'accompagnement à la parentalité.

N'oublions jamais qu'elle empêche de penser et de vivre. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE ; M. Roland Courteau et Mme Marta de Cidrac applaudissent également.)

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes .  - Le 3 juillet dernier, plus de 150 sénateurs et sénatrices publiaient dans un grand quotidien national, à l'initiative de la délégation, une tribune sur les féminicides, mot terrible qu'une actualité révoltante a fait, jour après jour, entrer dans notre vocabulaire.

« Ces femmes tuées ne sont pas des statistiques, écrivions-nous. Derrière les chiffres, il y a des enfants qui grandiront sans leur mère, des parents qui vieilliront sans leur fille ».

Cette année, le chiffre dépasse les 120. Ce texte traduit une réalité effroyable, souvent occultée, cachée sous le nom de crime passionnel. En prêtant l'attention aux alarmes lancées par les associations, on aurait évité des centaines de victimes et changé le destin de centaines d'enfants.

La fin du Grenelle est prévue dans trois semaines. Alors que l'encre de cette proposition de loi sera à peine sèche, sans doute devrons-nous légiférer à nouveau. Néanmoins, je me réjouis que cette proposition de loi reprenne des recommandations que nous formulons régulièrement.

Je pense notamment à la nécessité de proscrire toute tentative de médiation par le juge aux affaires familiales, dès lors que des violences ont été alléguées - et non commises - par l'un des parents...

M. Roland Courteau.  - Très bien !

Mme Annick Billon, présidente de la délégation.  - Je me félicite aussi de l'établissement du bracelet anti-rapprochement, outil prometteur pour empêcher le passage à l'acte, même si ce n'est pas une baguette magique qui mettra fin au fléau des violences conjugales.

Il est heureux que la commission des lois mette à l'épreuve cet outil aux mains du juge civil...

Mme Marie Mercier, rapporteur.  - Très bien !

Mme Annick Billon, présidente de la délégation.  - Les moyens de sa mise en oeuvre devront être à la hauteur des enjeux. L'outil répressif ne suffit pas. La prévention est essentielle. La meilleure loi ne saurait être efficace si les professionnels ne sont pas formés à la psychologie des victimes et à l'emprise exercée par l'agresseur.

La délégation aux droits des femmes alerte régulièrement sur les moyens des associations, dont les subventions sont calculées au plus juste alors qu'elles sont le bras armé des politiques publiques de lutte contre les violences. Les bracelets anti-rapprochement et les TGD ne serviraient à rien si les associations ne pouvaient accueillir les victimes.

Les violences auxquelles sont soumises les femmes handicapées ne doivent pas être oubliées...

M. Roland Courteau.  - Très bien !

Mme Annick Billon, présidente de la délégation.  - Un enfant témoin de violences est toujours un enfant victime.

Le vote de cette proposition de loi ne nous dédouane pas d'une vigilance permanente. La délégation aux droits des femmes salue un texte qui marque une étape positive pour agir concrètement contre les violences conjugales. (Applaudissements sur toutes les travées)

Mme Marie-Pierre de la Gontrie .  - Je salue la présence rapide mais ô combien symbolique, et rare, du président du Sénat sur ces bancs, montrant l'importance du texte. Quelque 129 femmes assassinées par leur conjoint, c'est insoutenable. Ce chiffre insensé cache d'insondables douleurs.

Combien d'autres souffrent ou se suicident ? Quelque 129 femmes tuées, c'est l'échec de toute la société.

Nous saluons cette proposition de loi adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale, ce qui confirme que les députés sont convaincus de la nécessité d'agir.

Pourtant, pour ce qui a été déclaré, il y a deux ans et demi, comme une grande cause du quinquennat, le véhicule législatif n'est qu'une proposition de loi, sans étude d'impact et sans avis du Conseil d'État, dans un calendrier contraint par la clôture prochaine du Grenelle. Et voilà que nous apprenons que le groupe LaREM à l'Assemblée nationale déposera une nouvelle proposition de loi. Nous n'avons eu en outre que deux semaines pour l'examiner. Puis nous apprenons l'arrivée d'une nouvelle proposition de loi à l'issue du Grenelle, évoquée dans les rappels au Règlement. Quelle conception du travail parlementaire !

Les grandes causes du quinquennat débouchent parfois sur de bien petites lois et je crains que ce soit à nouveau le cas.

Il faut des moyens financiers massifs. L'Espagne, modèle efficace de lutte contre les violences faites aux femmes, y consacre un budget colossal.

La proposition de loi ne va pas assez loin. Les résultats risquent d'être en deçà des enjeux.

Le raccourcissement du délai de délivrance de l'ordonnance de protection à six jours sera-t-il possible sans moyens supplémentaires ?

Nous abordons ce texte, au groupe socialiste, dans un esprit constructif. Nous avons déposé des amendements. Mais nous sommes lucides. Pour mettre fin au funèbre décompte des femmes mortes sous les coups par centaines, il faut des moyens et pour l'instant le Gouvernement est plus généreux en paroles. Soyons optimistes, les discussions budgétaires ne sont pas achevées. Le Grenelle des violences débouchera peut-être sur des moyens pour donner aux acteurs de terrain, les capacités de lutter efficacement contre ce fléau. Nous l'espérons. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR, CRCE et RDSE et sur le banc de la commission)

Mme Josiane Costes .  - L'objectif de cette proposition de loi, consensuel, n'a pourtant que rarement fait l'objet d'un texte spécifique.

Comment expliquer les réticences institutionnelles ? Qui n'a pas appris à l'école le zeugma : « Il battait la campagne et sa femme » ?

Émile Zola dans La Bête humaine, vendu à 99 000 exemplaires à sa sortie, en 1902, relate une telle scène : « Alors ce fut abominable, écrit Zola. Alors ce fut abominable. Cet aveu qu'il exigeait si violemment venait de l'atteindre en pleine figure, comme une chose impossible, monstrueuse. Il la jeta d'une secousse en travers du lit, il tapa sur elle des deux poings. »

Ce passage glaçant de La Bête humaine n'a pas suffi pour venir à bout de la réticence à s'immiscer dans les affaires familiales. Au contraire le devoir conjugal, c'est-à-dire le viol entre époux, a été instauré.

Cette proposition de loi met en oeuvre plusieurs mesures - délai raccourci d'ordonnance de protection, bracelet anti-rapprochement, TGD - qui vont dans le bon sens.

Néanmoins nous nous inquiétons que certaines mesures se heurtent aux fondements de notre droit pénal. Ainsi de la décision d'un juge civil d'émettre l'ordonnance de protection.

Tout cela est dû au manque de moyens de la justice.

Les signaux faibles doivent être mieux pris en compte : consommation excessive d'alcool, difficultés financières subites, discours de légitimation de la violence.

Il faut prévenir tout basculement vers la violence.

La dimension territoriale est un facteur aggravant. La ruralité accroît l'isolement. Des initiatives innovantes ont été développées sur le terrain comme le financement de bus d'aides aux victimes.

Les îles intérieures de la République pourraient servir de refuges.

N'oublions pas les enfants. Combattre la violence au sein de la famille sans évoquer la violence s'exerçant sur les enfants qu'ils soient témoins ou victimes me paraît être un contre-sens énorme. Une part importante d'entre eux deviendra auteurs ou victimes de violences. Le rapport des trois inspections générales propose des recommandations pour lutter contre les morts violentes d'enfants.

Il faut briser le cercle vicieux de la violence familiale. Il serait dommage d'oublier ce volet sous prétexte de la procédure accélérée.

L'intolérance vis-à-vis des violences doit infuser à tous les niveaux de la société française. La parole libérée doit donner lieu à des décisions de justice conforme à notre État de droit.

Cette proposition de loi va dans le bon sens. Nous espérons qu'elle est la première pierre d'un grand projet. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE ; Mme Marie Mercier, rapporteur, applaudit également.)

Mme Françoise Cartron .  - Cette année, 129 féminicides ont eu lieu en France. Ces drames, qui ont des conséquences inimaginables pour les enfants et leur famille, appellent des réponses concrètes rapides, qui éloignent, protègent, enrayent la spirale infernale de la violence aveugle.

Depuis 2017, le Gouvernement a enclenché des initiatives comme le numéro d'appel 3919, Violences femmes Info, pour écouter, informer, orienter les victimes vers des dispositifs d'accompagnement et de prise en charge. (M. Roland Courteau s'exclame.) Les groupes de travail du Grenelle portent 65 propositions, afin de lutter contre les violences faites aux femmes. Des mesures d'urgence ont déjà été annoncées, dont certaines relèvent de la compétence réglementaire, comme 1 000 nouvelles places d'hébergement d'urgence.

Mme Laurence Rossignol.  - Et avant il n'y avait rien ? (On renchérit sur les travées du groupe SOCR.)

Mme Françoise Cartron.  - Ma collègue députée Bérengère Couillaud, qui a copiloté les « Grenelle locaux », a cité hier dans Sud-Ouest l'exemple du Cauva - la Cellule d'accueil d'urgence des victimes d'agression - du CHU de Bordeaux, et rendu ses conclusions.

De nouvelles consultations et annonces seront faites à l'issue du Grenelle, le 25 novembre.

Cette proposition de loi entend agir contre les violences au sein de la famille.

Nous nous félicitons de son adoption quasi unanime à l'Assemblée nationale.

Elle réduit le délai de délivrance de l'ordonnance de protection et élargit le port du bracelet anti-rapprochement dans un cadre préventif. Elle renforce l'hébergement d'urgence, renforce l'utilisation du TGD qui bénéficiera d'un budget supplémentaire indispensable. La généralisation du bracelet anti-rapprochement devra être également soutenue financièrement.

Le groupe LaREM défendra un amendement sur la suspension de plein droit de l'autorité parentale en cas d'homicide volontaire d'un des deux parents, impliquant le second. Autre amendement, l'intervention du juge de la liberté et de la détention pour prononcer la mesure électronique mobile anti-rapprochement dans un titre pré-sentenciel.

Je tiens à remercier la délégation aux droits des femmes pour la qualité de ses travaux.

Améliorer le cadre législatif est indispensable. Ces mesures sont attendues par toutes les femmes en souffrance. Ne les oublions pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Mme Annick Billon.  - Très bien !

Mme Esther Benbassa .  - Aujourd'hui, nous ne parlerons ni de « drame familial » ni de « crime passionnel », dénominations qui sont des minimisations de ces actes.

Mettons fin à la croyance selon laquelle les hommes ont droit de vie ou de mort sur les femmes.

Quelque 129 femmes sont mortes sous les coups.

Statistiquement, depuis la mise en cause d'une mère voilée au conseil régional de Bourgogne, Franche-Comté, plus de huit femmes sont mortes...

M. Max Brisson.  - Cela n'a rien à voir !

M. Loïc Hervé.  - Vous mélangez tout !

Mme Françoise Laborde.  - Esther !

M. Bernard Fournier.  - Allons bon !

Mme Esther Benbassa.  - Saluons le travail du député Aurélien Pradié dont la proposition de loi dégage des solutions de fond quand le Gouvernement se contente de communication sans effet réel.

Seulement 79 millions d'euros ont été consacrés aux violences faites aux femmes, pourtant annoncées comme une grande cause du mandat présidentiel ! C'est une dépense résiduelle au regard du budget de l'État. L'Espagne consacre, elle, plus d'un milliard d'euros à la question dans le cadre de plans quinquennaux.

D'après le Haut Conseil pour l'égalité hommes-femmes, 500 millions d'euros par an seraient nécessaires pour protéger les femmes qui portent plainte et 1,2 milliard d'euros pour les femmes en danger. Nous verrons ce qui sera proposé dans le projet de loi de finances.

Notre arsenal juridique est insuffisant. La réforme de l'ordonnance de protection dont le délai est ramené à 144 heures est un gage de protection renforcée pour les victimes. L'absence d'obligation de dépôt préalable de plainte facilitera sa mise en oeuvre.

L'aide personnalisée au logement pour les personnes victimes de violences conjugales ou le déploiement du téléphone « grave danger » sont aussi de véritables progrès.

La répression des violences conjugales est un devoir mais elle nécessite la formation des personnes accompagnant les victimes et l'éducation des enfants à l'égalité entre garçons et filles pour en finir avec le fléau de la domination masculine.

Notre groupe déposera des amendements pour améliorer ce texte. Nous devons cette loi à Monica, Yaroslava, Leïla, Moumna, Nadine, et toutes ces femmes mortes sous les coups de leur conjoint. Que nul ne les oublie ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

M. Claude Malhuret .  - Trop longtemps la société a tu les violences au sein de la famille. Leur persistance nous impose d'agir. Dans un grand nombre de cas, les victimes décédées avaient signalé aux autorités les violences qu'elles subissaient. C'est insupportable !

Près de 220 000 femmes subissent chaque année des violences de la part de leur conjoint ou ex-conjoint sur tout le territoire. Les violences tuent aussi parfois des hommes et des enfants. Les chiffres sont terribles et nous obligent.

À toutes ces vies ôtées, s'ajoutent celles qui sont brisées pour toujours, celles des victimes dont les cicatrices ne se refermeront jamais. Cette réalité insupportable doit faire l'objet d'un combat sans relâche exempt de considérations partisanes. Il exige l'action ici et maintenant, au sein de cette assemblée, au-delà de nos sensibilités.

Tant que tous les moyens juridiques, humains et budgétaires n'auront pas été établis, notre devoir d'élus ne sera pas accompli.

La proposition de loi votée le 15 octobre à l'unanimité comporte comme mesure phare le bracelet anti-rapprochement. Son volet civil renforce l'ordonnance de protection ; enfin, ce texte comporte des mesures pour le relogement des victimes.

Je me réjouis de l'accélération de la délivrance de l'ordonnance de protection, dont le contenu est enrichi. Créée en 2010, elle prévoit des mesures comme l'évincement du conjoint violent du domicile conjugal ou l'interdiction d'entrer en contact avec la victime. Le juge aux affaires familiales devra statuer dans un délai maximal de six jours. Un dépôt de plainte n'est pas nécessaire pour la délivrance de l'ordonnance. Enfin, cette ordonnance pourra être prise pour un couple qui n'a jamais vécu sous le même toit.

« Toutes les violences ont un lendemain » écrivait Victor Hugo. Ce lendemain doit être apaisé et synonyme de justice pour les victimes, et fait de tourments et de sanctions pour les agresseurs. La peur, la honte et la culpabilité doivent changer de camp.

Le groupe Les Indépendants votera ce texte à l'unanimité. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, UC et RDSE ; M. François-Noël Buffet applaudit également.)

M. Loïc Hervé .  - Ce sujet touche malheureusement toutes les couches sociales et tout le territoire, milieux modestes ou familles aisées, zones rurales ou urbaines.

Je veux avoir une pensée pour toutes les victimes que nous connaissons. Plus de 129 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint depuis le début de l'année et ces chiffres augmentent d'une année sur l'autre.

Le droit a pourtant été amélioré avec l'ordonnance de protection lors de la réforme de 2010. Cependant, on ne peut s'empêcher d'avoir un goût d'inachevé à constater le nombre toujours important des victimes.

Je salue le travail transpartisan initié par le député Aurélien Pradié.

Attention cependant aux fausses bonnes idées. En tant que législateur, nous ne devons voter que des dispositions normatives et applicables pour éviter de susciter de faux espoirs. Je salue le travail remarquable du rapporteur Marie Mercier, qui a abouti à un texte juridiquement plus précis et moins bavard qu'à l'Assemblée nationale.

L'ordonnance de protection est une disposition hybride car rendue par le JAF et débouchant sur des mesures pénales. Dix ans après sa création, cet outil n'est pas suffisamment utilisé. L'obligation du dépôt de plainte en est sans doute la cause. La moitié des ordonnances de protection sont émises dans seize juridictions plutôt urbaines, qui ne concentrent qu'à peine plus d'un quart des affaires familiales. Le rapport de M. Pradié signale que 10 % des juridictions n'ont rendu aucune ordonnance de protection en dix ans, sans doute par manque de formation des JAF.

M. Roland Courteau.  - C'est vrai.

M. Loïc Hervé.  - Ce texte entend améliorer l'efficacité de cette ordonnance. Certains souhaitent que la décision du bracelet anti-rapprochement soit confiée au juge des libertés et de la détention plutôt qu'au JAF, mais ce juge du siège dispose d'une vision globale de la situation d'urgence et d'une palette d'outils. Nous ne serons donc pas favorables à ces amendements. Quant aux mesures sur le TGD, elles vont dans le bon sens. Généraliser son attribution gênerait l'intervention des forces de l'ordre.

L'Espagne a adopté deux grandes lois qui ont montré qu'avec des moyens à la hauteur il est possible de réduire le nombre de féminicides.

Le groupe UC votera cette proposition de loi avec force et conviction. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Indépendants, sur quelques travées du groupe Les Républicains et sur le banc de la commission)

Mme Laure Darcos .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Dans le contexte mortifère que nous connaissons, ce texte apporte des solutions concrètes pour protéger les victimes. J'en félicite le député Aurélien Pradié. Plusieurs dispositions déjà existantes dans le code civil sont renforcées, comme la mise à l'écart du conjoint violent ou la jouissance du domicile familial attribuée à la victime ou encore l'interdiction faite au conjoint violent de se rendre dans certains lieux habituellement fréquentés par la victime et enfin l'exclusion de la médiation familiale dès lors les violences sont alléguées et non plus commises. Ces outils pragmatiques devraient démontrer leur efficacité, et ils sont conformes aux recommandations de la délégation aux droits des femmes du Sénat.

N'oublions pas que plus de 70 000 hommes sont aussi victimes de violences conjugales, et je pense à l'un d'entre eux particulièrement. Les enfants aussi sont touchés : 70 % des violences conjugales sont commises devant les enfants ; ceux-ci les subissent directement dans un cas sur deux. M. Aurélien Pradié rapporte le chiffre de 25 décès d'enfants en 2017. L'altération de la santé de l'enfant, de son comportement ou de son développement psychique sont quelques-unes des conséquences prévisibles. L'observatoire de l'enfance en danger montre la forte propension de ces enfants à devenir eux-mêmes des adultes violents.

La délégation aux droits des femmes a mis l'accent sur la nécessité de mettre en harmonie notre droit civil et notre droit pénal sur ce sujet. Les questions de la garde partagée ou de la médiation familiale doivent notamment être traitées, ce que fait d'ailleurs cette proposition de loi.

Enfin, nous devrons réfléchir à l'évolution de l'autorité parentale, pouvant aller jusqu'au retrait total de celle-ci car elle peut être un moyen pour le parent violent de maintenir son emprise sur les enfants.

Dans son rapport de 2016, la délégation aux droits des femmes avait recommandé au garde des Sceaux de diligenter une mission d'information sur le retrait total de l'autorité parentale dans le cas d'un crime sur la personne d'un autre parent.

Il faut aussi développer l'accompagnement psychologique des enfants pour qu'ils ne risquent pas de devenir à leur tour des adultes maltraitants. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

Mme Laurence Rossignol .  - Pourquoi ne ressentons-nous pas au moment où nous allons voter ce texte, la satisfaction du travail achevé ?

Je veux saluer ici l'initiative du compte twitter « Féminicides par compagnon ou ex-compagnon » qui tient la comptabilité morbide des victimes des féminicides. Je veux aussi saluer le tumblr « les mots tuent », initiative de journalistes qui a fait changer le traitement médiatique du féminicide.

Les annonces du Gouvernement se succèdent qui font écho aux travaux du Grenelle ; nous n'en voyons aucune traduction dans ce texte. Mme Schiappa avait annoncé la levée du secret médical, auquel je suis très favorable. Mais il y a un an, vous vous étiez opposé dans cet hémicycle à l'obligation de signalement par les médecins en cas de violences faites aux enfants. En commission mixte paritaire, vous avez fait tomber cette mesure. Et vous venez désormais reprendre cette mesure au sujet des femmes ? Tant mieux, mais cela manque de cohérence.

La réquisition des armes à feu dès la première plainte ? Très bien, mais pourquoi d'amendement dès aujourd'hui ?

Enfin, j'ai bien peur que tous mes amendements sur l'autorité parentale et à son lien avec les violences conjugales ne reçoivent un avis défavorable de votre part, madame la garde des Sceaux. Les parlementaires ont le sentiment de ne pas avoir la main sur ce texte. Et nous apprenons qu'une deuxième proposition de loi va être déposée par le groupe LaREM : tout cela fait petite cuisine... Le fond et le sérieux le cèdent à la communication.

Mes doutes ne sont pas dissipés en écoutant ce qui se dit. L'ordonnance de protection, le bracelet anti-rapprochement et le TGD figurent déjà dans les codes. S'ils ne sont pas efficaces, c'est parce que nous ne parvenons pas à faire bouger la pratique judiciaire.

Madame la ministre, vous avez dit ce matin sur France Inter que l'actrice Adèle Haenel avait tort de ne pas s'adresser à la justice pour les faits dont elle s'est dite victime. Je comprends mais elle a raison d'évoquer une « violence systémique », ce soupçon permanent qui pèse sur la parole des femmes. Cette présomption d'insécurité et de manipulation, cette croyance tenace qu'un mari violent peut aussi être un bon père. Pourtant, depuis des années, nous répétons avec le juge Édouard Durand que ce n'est pas vrai. C'est aussi le déni par les institutions police et justice de leurs propres carences. Les femmes victimes de violences sont confrontées à une loterie : il faut tomber sur le bon commissariat, la bonne gendarmerie, le bon juge, le bon procureur pour être entendue. Tout cela, c'est un barillet dans lequel il y a quelques balles qui tournent et parfois, celles-ci arrivent sur les femmes...

La violence systémique, c'est aussi son déni. Cette proposition de loi va être votée mais nous attendons de vous que vous disiez aux magistrats qu'il faut changer de pratique et les croire : quand une femme dit qu'elle a peur, c'est qu'elle est en danger, ce n'est pas qu'elle manipule. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE ; Mmes Annick Billon et Michèle Vullien applaudissent également.)

Mme Marta de Cidrac .  - Ce texte pose les fondations d'une politique de défense des victimes de violences conjugales : il était temps ! À Bordeaux, le 21 octobre, une femme de 35 ans s'effondrait dans une cage d'escalier, un couteau planté dans le coeur et des traces de violences autour du cou, victime de son ancien compagnon toujours recherché.

Nous détenons un triste record des féminicides dont nous commençons à comprendre les raisons : oui, il faut une réponse rapide de la justice. C'est le sens de l'ordonnance de protection délivrable dans les six jours sans dépôt de plainte préalable, car une victime a besoin de se sentir protégée au plus vite. Il lui faut un courage inouï pour accepter de témoigner de la violence qui se déroule dans son intimité, remettre en question son univers familial. En moyenne, les femmes retirent leur plainte sept fois, car leur parole n'est pas toujours bien accueillie. Il faut de l'expérience, du temps et de l'espace.

Dans mon département, un portail d'accueil de femmes victimes de violences conjugales a été mis en place avec succès : depuis novembre 2018, 5 000 signalements ont été enregistrés. Il faut développer ce genre de dispositif. Mais si une femme décide de déposer plainte, c'est aussi parce qu'elle a peur pour ses enfants, dont elle ne veut pas risquer de perdre la garde. On oublie trop souvent ces victimes collatérales, estimées officiellement à 90 000, mais qui seraient plutôt 4 millions, selon le docteur Jean-Marc Ben Kemoun, psychiatre expert auprès de la Cour d'appel de Versailles. Les enfants victimes collatérales sont 15 fois plus susceptibles d'être eux-mêmes victime de harcèlement et de devenir eux-mêmes des prédateurs. Ils seront 40 % plus susceptibles de subir un retard scolaire et développeront des troubles du comportement pouvant aller jusqu'au suicide.

La prévention de la maltraitance est ainsi une prévention de la délinquance future : nous devons agir vite.

La formation des professionnels de santé et des enseignants est essentielle pour qu'ils repèrent les signaux faibles et pour qu'ils puissent agir vite.

Il faut aussi respecter la parole de l'enfant et agir vite.

Mettons les moyens financiers face aux besoins matériels avec des programmes de prévention et une formation des policiers à l'écoute de la victime.

Proposons aussi un hébergement d'urgence et de répit, car lorsqu'on protège la victime, on protège aussi l'enfant. À ce titre, je salue l'offre de logements supplémentaires annoncée par le Gouvernement lors du Grenelle, mais offrons à la victime, d'abord, la possibilité de rester dans son foyer en écartant le conjoint violent. Sur ce point, le texte va dans le bon sens.

Les enfants ne doivent pas être oubliés, car ce sont des victimes souvent muettes et qui seront la société de demain.

Enfin, je salue tous ceux qui, sur nos territoires, s'engagent contre les violences faites aux femmes, ainsi que notre rapporteur Marie Mercier pour son excellent travail. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

M. Max Brisson .  - En 2015, tous les trois jours, une femme mourrait sous les coups de son conjoint. En 2019, c'est tous les deux jours. Au pays d'Olympe de Gouges, cela nous oblige.

Je salue donc l'initiative d'Aurélien Pradié, présent en tribunes.

Le Gouvernement ne pouvait que lui réserver un accueil favorable, d'autant que ces propositions figuraient en partie dans le discours du Premier ministre lors du Grenelle. La procédure accélérée assurera un aboutissement rapide.

Il était urgent d'interroger l'efficacité de nos dispositifs. Cette proposition de loi y répond en facilitant le recours à l'ordonnance de protection, sans l'obligation préalable d'un dépôt de plainte, ou encore en mettant en place le bracelet anti-rapprochement et en facilitant l'accès au TGD. Ce texte n'est pas une petite loi !

J'entends la volonté de notre rapporteur d'évaluer le déploiement des bracelets anti-rapprochement, outil nouveau aux mains du juge civil. Il y a urgence à agir.

Le 29 octobre, alors qu'était examiné le budget de la justice et donc les moyens dévolus aux TGD et aux bracelets anti-rapprochement, vous avez lapidairement déclaré, madame la ministre, que les crédits seraient prévus ultérieurement. Pourquoi ne pas le faire dès le projet de loi de finances 2020 ? Cette clarification est nécessaire.

La lutte contre les violences intrafamiliales nous rassemble, toutes les interventions le démontrent, sauf Mme Benbassa qui était hors sujet. C'est un sujet qui exclut toute ambiguïté ou effet d'annonce. Il y va de la crédibilité de l'action publique face à un fléau qui n'a plus sa place dans notre société. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLES ADDITIONNELS avant l'article premier

Mme la présidente.  - Amendement n°50 rectifié, présenté par M. Courteau et les membres du groupe socialiste et républicain.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article L. 114-3 du code du service national est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Une information consacrée à l'égalité entre les femmes et les hommes, à la lutte contre les préjugés sexistes et à la lutte contre les violences physiques, psychologiques ou sexuelles commises au sein du couple, est dispensée. »

M. Roland Courteau  - Combattre les violences nécessite de s'attaquer aux racines du mal que sont les stéréotypes sexistes, à l'origine souvent des inégalités. Sensibiliser, éduquer, former sont incontournables. Cela doit commencer à l'école, puis au collège, au lycée et se prolonger dans la vie adulte. C'est à ce prix que nous parviendrons peut-être à éradiquer ce mal.

Toutes les occasions sont bonnes à saisir : la journée défense et citoyenneté (JDC) en est une. On y délivre une information sur le don d'organes, sur les conduites à risques, sur la santé ou encore la sécurité routière. Pourquoi pas l'égalité femmes-hommes et la lutte contre les violences faites aux femmes ? Il y a eu plus de 1 500 femmes mortes en dix ans.

Mme Marie Mercier, rapporteur.  - C'est une excellente idée que de faire profiter tous les jeunes citoyens de cette information. Avis favorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Je ne partage pas tout à fait cette opinion. Oui à la formation, la sensibilisation dès l'école, mais la JDC n'est pas le meilleur cadre ; nous envisageons plutôt le service national universel (SNU) pour le faire. Retrait ou avis défavorable.

M. Marc Laménie.  - La cour des comptes a récemment rendu un rapport d'information sur la JDC ; j'ai modestement travaillé sur le sujet.

Cet amendement me semble très opportun. Oui, il y a beaucoup de messages à faire passer dans la JDC, qui sera bientôt remplacée par le SNU. Mais ce message de respect est fondamental pour l'avenir.

Mme Laurence Cohen.  - Cet amendement procède de la prévention. Madame la garde des sceaux, l'un n'empêchant pas l'autre, pourquoi vous opposer à cet amendement parce que la formation sera assurée lors du SNU ?

Mme Victoire Jasmin.  - Dans vos propos liminaires, vous avez parlé de synergie entre les différents acteurs. Toutes les actions doivent être complémentaires ; la synergie doit aussi venir du Gouvernement ! Ne restons pas hors-sol. La réalité est là : 129 femmes décédées - et l'année n'est pas terminée. Il faut miser sur la prévention. (Mme Marie Pierre de la Gontrie et M. Roland Courteau applaudissent.)

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Au fond, je propose d'aller plus loin que cet amendement. L'inscrire dans le cadre du SNU en se donnant plus de temps pour développer l'information, (Protestations sur les travées du groupe SOCR) c'est bien approfondir cette volonté.

Mme Victoire Jasmin.  - Alors, ne parlez pas de synergie !

Mme Marie-Pierre de la Gontrie.  - Au moment du Grenelle des violences conjugales, il fallait aller très vite et aujourd'hui, il faudrait se donner le temps et être laborieux... Je ne comprends pas.

Mme Annick Billon.  - La ministre veut aller plus loin mais plus tard... Il faut évidemment voter cet amendement, il y a urgence pour toutes ces femmes. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et CRCE et sur quelques travées des groupes SOCR et Les Républicains)

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Vous trouvez mes explications laborieuses, soit. Nous avons besoin rapidement d'un texte législatif pour développer dans sa plénitude l'ordonnance de protection et le bracelet anti-rapprochement. Contrairement à ce qui a été dit tout à l'heure, nous avons besoin de ce texte pour aller plus loin.

Concernant l'éducation et la formation, l'intérêt est fort mais l'urgence me semble moindre. Je maintiens mon avis de retrait.

M. Roland Courteau.  - C'est tiré par les cheveux !

L'amendement n°50 rectifié est adopté et devient un article additionnel.

Mme la présidente.  - Amendement n°53 rectifié, présenté par Mme Lepage et les membres du groupe socialiste et républicain.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le premier alinéa de l'article 15-3 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Lors du dépôt de plainte, en cas de violences conjugales, la victime peut être assistée par une association de défense des droits des femmes. »

Mme Claudine Lepage.  - Les victimes de violences conjugales ont besoin de se sentir en confiance au moment crucial du dépôt de plainte - étape difficile à franchir. La honte, la peur, la défiance peuvent les empêcher de se présenter dans un commissariat. L'accompagnement par une association spécialisée pourrait jouer le rôle de déclencheur.

Mme Marie Mercier, rapporteur.  - Je partage votre souci, mais les articles 10-2 et 10-4 du code de procédure pénale prévoient déjà un accompagnement. Cet amendement est satisfait. Retrait ou avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Même avis.

L'amendement n°53 rectifié est retiré.

Mme la présidente.  - Amendement n°54 rectifié, présenté par Mme Lepage et les membres du groupe socialiste et républicain.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le premier alinéa de l'article 15-3 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Dans les cas de violences conjugales, l'inscription au registre de main courante ne peut se substituer au dépôt de plainte. »

Mme Claudine Lepage.  - Certaines victimes de violences conjugales, au moment de déposer plainte, sont parfois orientées dans les commissariats vers une simple main courante, qui n'engage aucune action de l'autorité publique. Il s'agit ici de ne pas dissuader les victimes de porter plainte, ce qui est malheureusement trop souvent le cas.

Mme Marie Mercier, rapporteur.  - Je partage votre préoccupation car de nombreuses victimes sont trop souvent dissuadées de porter plainte. Le code de procédure pénale dit clairement que la police judiciaire est tenue de recevoir les plaintes ; de plus, si c'est la victime qui y renonce, devra-t-on l'y obliger ?

Il serait préférable de donner la possibilité de déposer une pré-plainte en ligne, ou de déposer plainte à l'hôpital. Avis défavorable ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Même avis.

Mme Catherine Conconne.  - Dans de très nombreux cas, les commissariats sont débordés et ne souhaitent pas enregistrer les plaintes ; d'où le recours aux mains courantes. C'est une réalité quotidienne.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie.  - Cet amendement est beaucoup plus important qu'il n'en a l'air. Chaque fois qu'une femme est assassinée, on constate qu'elle avait déjà signalé les violences... Je passerai sur l'accueil parfois inadéquat dans les commissariats...

Évidemment, les femmes ont peur et pensent qu'une main courante peut suffire ; mais si on leur dit que cela suffit, nul doute qu'elles n'iront pas plus loin.

Ne pourriez-vous donner des instructions explicites aux officiers de police judiciaire, madame la garde des Sceaux ? Le code de procédure pénale impose une plainte, mais ce n'est pas le cas.

Ne vaudrait-il pas mieux améliorer le code de procédure pénale pour permettre aux victimes de passer ce cap difficile ? Ainsi, le parquet serait informé à chaque fois.

Mme Marie-Pierre Monier.  - J'ai assisté au lancement du Grenelle des violences conjugales à Valence, lors duquel les représentants de la justice insistaient sur la nécessité du dépôt de plainte ; les gendarmes, eux, déploraient le manque de moyens.

Cet amendement ne doit pas être minimisé.

M. Jacques Bigot.  - Pour endiguer le phénomène de féminicide, il faut agir rapidement dès le début des violences. Cela passe par le dépôt de plainte. Un signalement doit déboucher sur une plainte, et pas sur une main courante. Cet amendement sert l'objectif du texte.

Mme Marta de Cidrac.  - Je regrette de ne pas avoir cosigné cet excellent amendement que je voterai : l'urgence est réelle. Madame la rapporteure, je regrette de ne pas partager votre avis, mais il est essentiel de faciliter le dépôt de plainte.

Mme Annick Billon.  - Il y a un réel défaut de formation des policiers, des gendarmes et des magistrats. Il faut que les victimes reçoivent partout le même accueil, ce qui n'est malheureusement pas le cas aujourd'hui. Je voterai cet amendement.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Je partage vos préoccupations. Mais il faut prendre en compte la réalité des violences : souvent, il faut conduire progressivement la femme à la plainte, comme le font par exemple les hôpitaux ou les associations, et non pas l'imposer d'emblée.

C'est pourquoi je suis très vigilante pour conserver plusieurs niveaux de saisine de la police judiciaire. Dire qu'on peut faire une main courante est important, tout en conservant l'article du code des procédures pénales qui dit qu'on ne peut refuser une plainte.

Nous déployons une action de formation tout à fait conséquente, voire colossale, à destination des magistrats. M. Castaner s'est engagé à faire de même pour ses services, et il y a des formations conjointes. On peut former rapidement le personnel au recueil des plaintes.

Le 30 décembre 2013, le ministère de la Justice a adressé au parquet des instructions sur le protocole-cadre rédigé avec le ministère de l'Intérieur : le dépôt d'une plainte suivi d'une enquête judiciaire demeure le principe, mais même en l'absence de plainte, une enquête devra intervenir, le parquet devra être informé en cas de faits graves et une réponse sociale être articulée.

Mon ministère rappellera ces instructions après l'adoption de la présente proposition de loi.

La circulaire du 9 mai dernier à destination des procureurs généraux insiste sur la nécessité impérative de traiter l'intégralité des signalements.

L'amendement ne paraissant pas nécessaire, je maintiens mon avis défavorable.

L'amendement n°54 rectifié est adopté et devient un article additionnel.

Mme la présidente.  - Amendement n°51 rectifié, présenté par M. Courteau et les membres du groupe socialiste et républicain.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Un rapport est présenté par le Gouvernement au Parlement avant le 1er décembre 2020 sur la mise en application de l'article L. 312-17-1 du code de l'éducation qui prévoit qu'une information consacrée à l'égalité entre les hommes et les femmes, à la lutte contre les préjugés sexistes et à la lutte contre les violences faites aux femmes et les violences commises au sein du couple est dispensée à tous les stades de la scolarité.

M. Roland Courteau.  - Depuis les lois de 2006, 2010 et 2014, nous avons voulu sanctionner plus sévèrement et mieux protéger les victimes.

Si l'on veut éradiquer le fléau des violences au sein des couples, il faut sensibiliser dès le plus jeune âge à l'égalité entre les femmes et les hommes et lutter contre les stéréotypes sexistes que l'on retrouve aussi bien dans les jouets que dans les manuels scolaires.

C'est le sens de l'amendement que j'ai fait adopter lors de l'examen de la loi du 9 juillet 2010, qui figure désormais à l'article L.312-7-1 du code de l'éducation, qui prévoit une sensibilisation contre les préjugés sexistes et les violences faites aux femmes à tous les stades de la scolarité. Pour m'être entretenu de ces sujets avec plus de 16 000 élèves depuis 2010, je reste optimiste. Toutefois, cette mesure est diversement appliquée et je m'interroge sur son effectivité. C'est pourquoi je propose un bilan de son application à tous les stades de la scolarité. « Tout commence sur les bancs de l'école », écrivait Romain Rolland.

Mme Marie Mercier, rapporteur.  - Nous ne sommes pas favorables aux demandes de rapports. La délégation aux droits des femmes ou la commission de la culture pourraient se charger de ce suivi. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Même avis.

L'amendement n°51 rectifié n'est pas adopté.

ARTICLE PREMIER

Mme Catherine Conconne .  - Cette proposition de loi suscite de vraies attentes. Dans la lutte contre les violences faites aux femmes, le temps et la réactivité sont clés. Trop souvent, des femmes sont tombées alors qu'elles avaient pourtant entamé une procédure de protection, déposé plainte ou main courante, quitté leur conjoint... Or pour être réactif, il faut que les moyens soient au rendez-vous.

Or les parquets sont sous-dotés en greffiers et en JAF. Dans les commissariats, les policiers sont débordés. Une association nous a dit que l'État avait supprimé la moitié du temps de l'intervenant social qu'elle mettait à disposition dans le commissariat ! Nous avons soif de moyens.

Que le Gouvernement ait le courage de dire que sans moyens, ce texte ne sera qu'une loi de plus. Madame la ministre, je vous sais courageuse. Chiche !

M. Roland Courteau .  - Le Sénat peut s'honorer d'avoir été à l'avant-garde avec la loi du 4 avril 2006. Avec l'ordonnance de protection, la loi de 2010 dotait la France d'un outil rapide lorsque l'intégrité physique de la victime est menacée. Mais sa montée en puissance aurait dû être accompagnée d'une formation du personnel. L'objectif d'une délivrance en 72 heures n'était sans doute pas réaliste, mais les délais ont vidé le dispositif de son intérêt. Certains magistrats ayant pris de mauvaises habitudes, l'article premier rappelle utilement certaines règles.

Le délai de 144 heures est une avancée. Il laissera le temps au magistrat d'apprécier la recevabilité de la requête avant que la partie défenderesse prenne connaissance de la démarche, ce qui devrait éviter certaines représailles - à condition que l'audience ne soit pas fixée plusieurs dizaines de jours plus tard... Comment faire mieux et dans l'urgence tout en respectant le contradictoire ?

Mme Marie-Pierre Monier .  - Ce texte est une opportunité car il faut des solutions immédiates, efficaces et pérennes. On compte 129 féminicides en 2019, plus qu'en 2018. Souvent, les violences avaient été signalées aux autorités... Les outils existants sont souvent mal utilisés ; il faut renforcer les garanties matérielles et juridiques dont bénéficient les victimes, car leur parcours juridique est trop long et semé d'obstacles.

Je salue le courage d'Adèle Haenel qui a porté un nouveau coup à cette insupportable loi du silence. Plus rien ne sera comme avant. Le combat contre les violences faites aux femmes ne se gagnera que si nous parvenons à déconstruire les stéréotypes de genre qui inscrivent dès l'enfance la possibilité de ces violences. Un vaste projet de loi sur le sujet associant police, justice, services sociaux, professions médicales, associations eût été plus fort.

Il faudra allouer les moyens nécessaires à la mise en oeuvre de ce texte dans le prochain projet de loi de finances. Sans moyens supplémentaires, nous n'aurons pas d'impact sur le cours de choses.

M. François Bonhomme .  - Cette proposition de loi peut marquer un tournant. En 2019, il faut en moyenne un mois et demi pour protéger une femme en danger. Fixer le délai de délivrance de l'ordonnance à six jours, sans dépôt de plainte, est un progrès décisif.

Il y a trop de manquements. Dans un cas sur cinq, le juge ne traite pas de l'hébergement des enfants ; dans un cas sur deux, il ne traite pas du logement !

Il faut interdire au conjoint violent de paraître dans certains lieux. Les expérimentations de 2010 et de 2017 ont montré que le bracelet anti-rapprochement restait peu utilisé. Généralisons la pose de ce bracelet, et dans les situations les plus graves, donnons la possibilité au JAF d'agir dans un délai réduit.

Attention toutefois à articuler le recours à l'ordonnance de protection avec le principe du contradictoire et les spécificités de la procédure civile.

Cette proposition de loi offre des solutions opérationnelles rapidement, qui viendront conforter votre circulaire du 9 mai dernier. C'est l'occasion de faire converger nos forces et de dépasser nos différences pour réduire un sinistre bilan.

M. Marc Laménie .  - Le titre de cet article interpelle : derrière ces termes juridiques, que de drames humains ! Nous devons trouver des solutions pour prévenir. Trop de femmes hésitent malheureusement à porter plainte devant la complexité des procédures.

Dans les Ardennes, policiers et gendarmes déplorent le manque de moyens humains. Il conviendra de veiller, dans le projet de loi de finances 2020, aux moyens pour la justice, la sécurité intérieure, les services sociaux... Je voterai cet article.

Mme la présidente.  - Amendement n°28, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Après l'alinéa 1

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

...° Le premier alinéa est complété par les mots : « ou par une association agréée » ;

Mme Esther Benbassa.  - Demander une ordonnance de protection est une procédure lourde or la victime est souvent dans la détresse et n'a pas forcément les connaissances juridiques nécessaires pour rédiger et soumettre sa demande. Il est pertinent qu'une association, plus aguerrie et mieux armée juridiquement, puisse agir en son nom, avec son consentement. Ces associations font un travail formidable, elles apportent une aide juridique mais aussi un soutien psychologique aux victimes. Elles sont un maillon capital de la chaîne de protection.

Mme Marie Mercier, rapporteur.  - S'il faut saluer le rôle éminent joué par les associations, il n'apparaît pas opportun qu'elles se substituent à la victime de violences. Autoriser une association à saisir le juge, avec l'accord de la victime, la constitue partie demanderesse pour une ordonnance qui doit bénéficier à une autre personne, qui, elle, ne serait pas partie à la procédure. Or le dispositif retenu vise la partie demanderesse comme unique bénéficiaire. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Même observation. Le rôle des associations est fondamental dans l'accompagnement des victimes, y compris pendant la procédure. Au civil, le procès est la chose des parties. Une association ne peut pas agir à la place d'une partie. Avis défavorable.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie.  - Je m'étonne de ces arguments. L'amendement permet à une victime d'être accompagnée dans ses démarches pour obtenir une ordonnance de protection par une association agréée, qu'elle mandaterait. L'association ne serait pas plus partie à la procédure que ne l'est un avocat ou un représentant syndical mandaté.

Je ne vois pas ce qui s'oppose à ce que l'association agréée engage la procédure à la demande de la victime. Devant le JAF, c'est la victime qui sera présente.

Mme Annick Billon.  - Je suis perplexe. Pourquoi en effet serait-ce impossible ?

Mme Marie Mercier, rapporteur.  - La victime ne donne pas mandat à l'association ; l'association ne peut faire de démarche au nom de la victime.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie.  - Rien ne s'y oppose !

Mme Marie Mercier, rapporteur.  - Elle ne peut jouer le même rôle que l'avocat.

Mme Laurence Cohen.  - Je soutiens cet amendement, forte des explications de Mme de la Gontrie. Pourquoi serait-il impossible de mandater une association ? Nous sommes législateurs : si besoin, modifions le droit ! Il est primordial que la victime soit accompagnée.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Une association peut parfaitement accompagner une victime et nous le souhaitons. Mais la rédaction de l'exposé des motifs prête à confusion. L'amendement demande que l'association ait un mandat de représentation. Or ce monopole de l'assistance et de la représentation en justice appartient aux avocats. Il faut distinguer entre représentation et accompagnement.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie.  - En tant qu'avocate, je suis bien sûr sensible aux propos de Mme la ministre, mais il est possible de déroger au monopole des avocats.

Je propose un sous-amendement pour préciser, après les mots « ou par une association agréée », « expressément mandatée ».

Mme la présidente.  - C'est le sous-amendement n° 130 à l'amendement n° 28.

Mme Marie Mercier, rapporteur.  - On bricole. C'est la victime qui est demanderesse de l'ordonnance de protection : elle ne peut l'être par l'intermédiaire d'une association. L'ordonnance de protection porte le nom de la victime. Avis défavorable au sous-amendement.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Avis défavorable également. L'état du droit est suffisamment clair, il permet à la victime d'être accompagnée et représentée par un avocat.

Le sous-amendement n°130 n'est pas adopté.

L'amendement n°28 n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°55 rectifié, présenté par Mme de la Gontrie et les membres du groupe socialiste et républicain.

Après l'alinéa 4

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

- les mots : « tous moyens adaptés » sont remplacés par les mots : « voie administrative » ;

Mme Marie-Pierre de la Gontrie.  - Délivrer l'ordonnance de protection dans un délai de six jours, c'est un défi. Il faut que dans ce temps, le défendeur ait été informé de la date de l'audience et que le contradictoire soit respecté.

Mme Conconne l'a dit, dans les affaires de violence conjugale, le temps est un facteur essentiel. Le droit actuel prévoit trois modes de convocation du défendeur : la convocation par huissier, qui coûte environ 150 euros ; le recommandé avec accusé de réception, qui impose un délai de quinze jours ; enfin, la voie administrative, la convocation étant délivrée dans la journée par un officier ou agent de police judiciaire. Nous proposons que la convocation se fasse obligatoirement par cette dernière voie, pour relever le défi des six jours.

Mme Marie Mercier, rapporteur.  - Cela aurait l'avantage de l'efficacité, mais accroîtrait la charge de travail des policiers et gendarmes. L'assignation par huissier est aussi efficace, dès lors qu'elle est prise en charge par l'aide juridictionnelle. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - L'assignation par huissier est utilisée dans 38 % des cas, le recommandé avec accusé de réception, dans 62 %. La convocation par voie administrative est résiduelle.

Cet amendement entraînerait un surcroît de travail pour les services de police et de gendarmerie, qui doivent d'abord se concentrer sur le dépôt de plainte et le suivi de la procédure pénale.

Les frais d'une assignation par huissier, autour de 100 euros, davantage en cas d'urgence, peuvent être pris en charge par l'aide juridictionnelle. La formule actuelle est plus réaliste. Avis défavorable.

Mme Marie Mercier, rapporteur.  - Même avis.

M. Jacques Bigot.  - S'il l'on veut lutter efficacement contre les féminicides, on ne peut opposer l'utilisation résiduelle de la voie administrative ou la surcharge de travail pour la police ! Oui, l'assignation est efficace mais elle suppose des moyens que la victime a rarement. Nous avons affaire à des femmes perdues, déboussolées, qui ont peur de porter plainte. Il faut pouvoir utiliser la voie administrative.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Elle l'est !

M. Jacques Bigot.  - C'est un moyen de saisir très rapidement les deux parties pour que la décision puisse être rendue au plus vite.

Mme Annick Billon.  - Je voterai cet amendement. Depuis le début, on dit qu'il y a urgence. On ne peut opposer un manque de moyens !

M. Vincent Segouin.  - Je voterai moi aussi l'amendement. La voie administrative a le mérite de ne pas coûter cher, ce qui évite une charge supplémentaire pour la victime.

Mme Victoire Jasmin.  - Madame la ministre, vous avez inauguré le nouveau palais de justice de Pointe-à Pitre. Vous avez entendu les magistrats et les avocats dénoncer le manque de moyens. Nous avons besoin de ce type de dispositifs. Il faut pouvoir aller vite. Mme de la Gontrie sait de quoi elle parle, et moi aussi, en tant que membre d'une association. Il faut prendre ces problématiques à bras-le-corps sans attendre les conclusions du Grenelle. Saisissons-nous de cette proposition de loi pour éviter de nouveaux drames.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Nous sommes tous sensibilisés à ce sujet, dont on ne parlait pas naguère. L'actualité douloureuse et dramatique montre l'urgence dans laquelle se trouvent les victimes, qui ont peur, qui sont malmenées. L'ordonnance de protection doit arriver le plus vite possible. On n'a pas le temps de faire de la procédure !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Ce n'est pas de la procédure.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Je soutiens cet amendement avec force, par respect pour ces femmes et par souci d'efficacité.

Mme Josiane Costes.  - Je soutiendrai cet amendement car nous devons agir pour ces femmes, y compris pour les plus démunies.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Je comprends la volonté qui vous anime, mais attention à ce que l'on écrit. Cet amendement ne laisse plus aucun choix au juge alors qu'il dispose actuellement de trois modes de convocation.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie.  - Six jours !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - Vous réduisez sérieusement les possibilités offertes au juge.

J'ai publié récemment le guide pratique de l'ordonnance de protection, extrêmement complet et précis, à destination des magistrats et des associations. Il y est écrit que le greffe du JAF peut ordonner une remise en main propre de la convocation par l'autorité administrative, dans des situations d'urgence ou délicates. Je ne fais pas pour autant de la voie administrative l'unique mode de convocation, pour ne pas introduire de rigidité.

Bien sûr que j'ai les six jours en ligne de mire. J'ai dit que je souhaitais développer des filières et des procédures d'urgence, avec des modalités spécifiques et adaptées dans chaque tribunal. Mais ne rigidifions pas à l'excès le système.

Mme Marie Mercier, rapporteur.  - Ce sujet est hautement émotionnel et sensible. Nous voulons tout faire pour protéger ces femmes, mais il faut raison garder. Rappelons-nous le rapport de François Grosdidier sur les tâches administratives qui étouffent les policiers et gendarmes. Restons dans la rigueur de la loi.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie.  - Je ne suis pas dans l'émotion mais dans l'efficacité ! Le guide de l'ordonnance de protection, que j'ai consulté, s'applique au droit actuel, selon lequel le juge rend l'ordonnance de protection « dans les meilleurs délais ».

Aujourd'hui, nous fixons un objectif de six jours. Comment faire pour respecter ce délai ? Cela suppose de convoquer vite, c'est-à-dire par la voie administrative. Sans quoi nous ne tiendrons pas le délai.

M. François-Noël Buffet, vice-président de la commission des lois.  - Gardons de la souplesse. Si la personne convoquée par voie administrative n'est pas là pour recevoir sa convocation, on se retrouvera en difficulté à l'audience. L'avantage de l'assignation par huissier, c'est que la procédure d'audience peut se tenir dans de bonnes conditions, le juge statuer avec certitude.

Je partage le souci d'efficacité, mais ne nous mettons pas un fil à la patte, si vous me passez l'expression.

Mme Laure Darcos.  - J'entends les arguments de part et d'autre. Ne pourrait-on sous-amender en précisant que la voie administrative est prioritaire, mais en conservant l'assignation ?

Mme Laurence Rossignol.  - Le délai de six jours n'est pas si facile à tenir. Nous avions déjà eu ce débat en 2010. À chaque fois, on oppose l'argument de la souplesse laissée au juge pour repousser des amendements visant à sécuriser les procédures. Le résultat de cette souplesse, c'est que 50 % des demandes d'ordonnance de protection sont rejetées, et que 10 % des tribunaux n'en ont jamais prononcé. Il serait regrettable de devoir dresser le même bilan dans deux ans.

La voie administrative est la plus efficace.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux.  - L'assignation est tout aussi efficace. La convocation n'est pas en cause dans le mauvais fonctionnement de l'ordonnance de protection, mais plutôt le manque des preuves - un certificat médical insuffisant, par exemple. Conservons les trois modes de convocation actuels.

L'amendement n°55 rectifié est adopté.

L'article premier, modifié, est adopté, de même que l'article premier bis.