Le foncier agricole : les outils de régulations sont-ils toujours pertinents ?

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « le foncier agricole : les outils de régulations sont-ils toujours pertinents ? » à la demande du groupe Les Indépendants.

M. Franck Menonville, pour le groupe Les Indépendants .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et Les Républicains.) Je remercie Alain Fouché à l'origine de ce débat.

M. Emmanuel Capus.  - Excellent !

M. Franck Menonville.  - Dans Utopie foncière, Edgard Pisani écrit : « J'ai longtemps cru que le problème foncier était de nature juridique, technique, économique et qu'une bonne dose d'ingéniosité suffirait à le résoudre. J'ai lentement découvert qu'il était le problème politique le plus significatif qui soit, parce que nos définitions et nos pratiques foncières fondent tout à la fois notre civilisation et notre système de pouvoir, façonnent nos comportements. »

Notre politique foncière agricole s'est construite à l'issue de la Seconde Guerre mondiale pour atteindre l'autonomie alimentaire. Elle a été renforcée dans les années 1950 par la politique agricole commune (PAC). Les structures agricoles ont été profondément modifiées.

Les lois de 1960 et 1962 ont profondément changé le paysage agricole et rural français en créant les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) qui bénéficient d'un droit de préemption, en promouvant les structures d'exploitation familiales, en établissant la parité des revenus entre l'agriculture et les autres usages du foncier.

L'État s'est doté d'outils de maîtrise de cette politique foncière.

La loi de 1960 a consolidé, élargi et modernisé le statut du fermage de 1946, conforté ensuite dans les années soixante-dix.

Les outils d'organisation du foncier sont aujourd'hui fragilisés par l'évolution de la structuration de notre agriculture, de plus en plus sociétaire.

Les exploitations sont moins nombreuses et plus capitalistiques. Elles prennent le plus souvent la forme de groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC), d'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL), de société civile d'exploitation agricole (SCEA), et de société anonyme (SA), mais aussi de groupement foncier agricole (GFA) et de société civile immobilière (SCI).

Ce développement limite les possibilités des Safer, tout en ouvrant la voie à une financiarisation croissante du foncier et à des acquisitions extérieures non contrôlées et non régulées pouvant générer des concentrations foncières très importantes. C'est particulièrement le cas dans le secteur viticole.

Les modes classiques de faire valoir indirect, tel le fermage, sont concurrencés par le travail à façon. Les exploitants font réaliser leurs travaux par des entreprises, à 12 %. Nous devons réfléchir au statut de l'exploitant agricole. Bien d'autres sujets sont importants, notamment les enjeux environnementaux : artificialisation des sols, compensation.

D'autres acteurs interviennent aussi dans l'aménagement foncier. Les collectivités jouent un rôle essentiel dans l'aménagement du territoire. Le notariat, qui contribue grandement à la transparence du foncier, a consacré son congrès 2018 au foncier agricole.

La nécessité d'un ajustement législatif est incontournable pour moderniser nos outils de régulation. Ces outils, depuis soixante ans, ont permis à notre agriculture d'être moderne, performante et diversifiée, avec en fil conducteur notre souveraineté alimentaire et agricole.

Évaluons la pertinence des outils de régulation pour pouvoir les adapter aux réalités d'aujourd'hui.

Une ligne de crête est à trouver. Edgard Pisani nous enjoignait à cesser de toujours mettre en avant les difficultés à faire les choses et à les faire effectivement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, UC et Les Républicains ; M. Guy Cabanel applaudit également.)

M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation .  - Merci, monsieur Menonville, d'avoir pris l'initiative de ce débat, avec votre groupe. J'ai eu l'occasion récemment d'assister à l'hommage qui vous a été rendu par le président de la fédération nationale des Safer pour votre engagement à ses côtés. Merci aussi d'avoir cité Edgard Pisani, plus grand ministre de l'Agriculture de l'histoire...

M. Emmanuel Capus.  - Jusqu'à présent !

M. Didier Guillaume, ministre.  - Le Gouvernement s'est saisi du sujet. D'abord, le foncier est un pilier de l'agenda rural.

Ensuite, le Président de la République, l'an dernier, à l'ouverture du salon de l'agriculture, a annoncé la réflexion sur une loi foncière. Nous y travaillons.

Le foncier est un préalable à notre souveraineté alimentaire. Tout commence par le sol. La défense de notre modèle passe par la régulation du foncier.

J'entends vos propos sur la nécessité de réformer nos outils de régulation et les critiques sur leur manque d'efficacité mais commençons par poser que nous en avons besoin, qu'ils sont absolument indispensables. Notre arsenal de régulation, particulièrement complet, est analysé, au moment même où nous voulons aller plus loin, par des pays agricoles, y compris par nos proches voisins, comme l'Allemagne et la République tchèque.

Tout a commencé par le statut d'ordre public du fermage, acquis fondamental des années soixante, qui limite la liberté contractuelle du propriétaire et de l'exploitant. Il garantissait au fermier le bénéfice de ses gains de productivité et permettait la stabilité de l'exploitation.

Dans les années soixante, la création des Safer a répondu aux enjeux du renouvellement. En 2018, grâce aux Safer, plus de 1 800 jeunes exploitants se sont installés sur un total de 15 000 installations. Alors, ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain !

En vingt-cinq ans, le nombre de petites et moyennes exploitations a été divisé par trois. La moitié des agriculteurs prendront leur retraite dans les dix années qui viennent.

L'artificialisation des sols est un drame mais il est difficile de regarder avec les yeux d'aujourd'hui ce qui a été fait hier. On avait alors besoin de logements, de lotissements, les villages s'étendaient en conséquence.

Il en va différemment aujourd'hui. L'objectif du Gouvernement comme de la profession, c'est zéro artificialisation nette. C'est pourquoi nous avons mené une immense consultation avec toutes les parties prenantes, du printemps à l'automne 2019. C'était indispensable : la profession doit être aux côtés des politiques.

Les orientations sont simples : l'installation et l'accès au foncier et le contrôle des structures. Il faut être vigilant sur les achats de bonnes terres par des structures financières. Nous devons aussi avancer sur le statut du fermage.

Les Safer restent un outil essentiel. C'est avec elles qu'il nous faudra avancer, de manière réglementaire - cela doit se faire très vite - comme législative. Un projet de loi - plutôt qu'une proposition - sera déposé sur le sujet. Mais n'incluons pas tous les sujets d'urbanisme dans ce projet de loi sans quoi nous manquerons notre cible.

J'en appelle à votre sagesse. Oui, les outils de régulation sont toujours pertinents, mais il faut améliorer leur pertinence. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, Les Indépendants et RDSE ; M. Marc Laménie applaudit aussi.)

Mme Noëlle Rauscent .  - L'accès au foncier reste difficile pour les agriculteurs qui souhaitent s'installer. Seuls 8,5 % de nos agriculteurs ont moins de 35 ans. Nous devons favoriser le renouvellement générationnel. Toute décision de passer une terre agricole en terrain constructible doit être justifiée. Il faut aussi réserver les panneaux photovoltaïques aux bâtiments.

Les commissions départementales d'orientation agricole (CDOA) ne sont plus que des chambres d'enregistrement. Le foncier est accaparé par des investisseurs étrangers ou des installations de loisirs. Je ne suis pas favorable à une refonte complète de nos outils de régulation, mais pour une rénovation et un renforcement. Seuls un véritable statut de l'agriculteur professionnel et un registre listant des droits et des devoirs nous aideront.

Comment allez-vous favoriser l'accès au foncier des jeunes agriculteurs ?

M. Didier Guillaume, ministre.  - Le vrai sujet, c'est la concentration et l'agrandissement du foncier. L'installation pose effectivement problème ; les jeunes agriculteurs ont beaucoup d'idées pour la favoriser.

Ma ligne est simple : non aux panneaux photovoltaïques au sol, même à deux mètres au-dessus d'animaux. Ce n'est pas notre modèle ! (M. Pierre Louault esquisse un geste.) Sauf exception, bien sûr ! Tout de même, les sols sont faits pour l'agriculture, non pour l'énergie. L'accès au foncier doit être facilité aux agriculteurs.

M. Laurent Duplomb .  - Quand vous affirmez ne pas vouloir revenir sur les règles régentant le foncier agricole, je m'en félicite.

Mais j'entends par ailleurs une petite musique sur la définition du foncier agricole. On y adjoint le terme de « nourricier ». Cela m'interroge sur le droit de propriété, dans sa définition française, inscrite à l'article 17 de la Constitution, qui est d'user, de jouir et de disposer, si le foncier nourricier devient un bien commun.

Si cela conduit à une reconnaissance du labeur agricole, pourquoi pas, mais j'en doute. Ceux qui défendent cette définition veulent imposer leurs vues aux agriculteurs quant à leur façon de cultiver. Cette question sera lancinante au long de notre débat.

M. Didier Guillaume, ministre.  - La Constitution, c'est la Constitution. Le Gouvernement n'a aucune intention de changer l'article 17.

Nous voulons travailler dans le cadre de la concertation non sur le foncier nourricier mais sur le fait que le droit de propriété du foncier agricole est donné à un exploitant agricole à titre majoritaire. On a des chiffres, notamment dans le Bordelais, qui ne sont pas considérables, mais il faut tout de même rester vigilants.

Nous voulons cadenasser l'accès au foncier agricole pour le réserver aux agriculteurs.

Il n'est aucunement question de changer le droit de propriété. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jérôme Bignon .  - Pour remédier à la disette, la France a remembré, irrigué, artificialisé les sols après la Seconde Guerre mondiale, au service d'une agriculture « pétrolière » utilisant sans limite les matières et les énergies fossiles. D'où 20 000 remembrements, 500 000 kilomètres de haies supprimées, des milliers de champs drainés ou irrigués, des milliers de mares supprimées, des cours d'eau par centaines de kilomètres rectifiés, des milliers d'hectares de zones humides retournées. La note sera lourde pour l'environnement et la planète. Il n'est pourtant pas de meilleur insecticide que l'oiseau, la coccinelle, la grenouille logés dans les arbres, les fossés, les mares, les prairies.

Ne désespérons pas ! L'heureuse réorientation de l'agro-écologie appelle un nouveau projet d'organisation de l'espace. Une loi foncière est attendue. Comme le suggérait Franck Menonville, il faut que qu'elle soit ambitieuse, pour répondre aux souffrances du monde agricole. La notion de localisation agroécologique pertinente des surfaces d'intérêt écologique est importante dans la conditionnalité des aides PAC. L'entretien de ces structures fera l'objet de paiements pour services environnementaux avec le concours des agences de l'eau. Qu'en pensez-vous ?

M. Didier Guillaume, ministre.  - Nous connaissons votre engagement pour l'agriculture de demain. Il faut se garder de tout dogmatisme. S'agissant de la PAC et des services environnementaux, sujets sur lesquels vous avez doublé M. Montaugé (Celui-ci s'en défend.), je suis favorable à leur prise en compte et j'y travaille.

La France doit sortir de sa dépendance aux produits chimiques. Mais l'agriculture de conservation a besoin d'un litre de glyphosate par hectare.

Sans alternative, qu'il convient de chercher, il faudra donc la maintenir. Il faut que les chercheurs travaillent vite à de nouvelles solutions. (M. Patrick Chaize approuve.)

M. Pierre Louault .  - Je remercie le groupe Les Indépendants et M. Menonville pour leur initiative. Nous connaissons l'attachement des Français au droit de propriété, pas même ébranlé par la Révolution, mais cela ne doit pas conduire à fragiliser l'agriculture française en privant les jeunes agriculteurs de la faculté de s'installer.

Il faut moderniser les moyens d'intervention de la Safer à travers des mesures comme les ventes avec cahiers des charges.

Il faut aussi imaginer un moyen de protection de notre patrimoine agricole. Les vignobles en particulier, font partie intégrante de notre patrimoine culturel.

M. Didier Guillaume, ministre.  - La question de la souveraineté est fondamentale. Des sociétés étrangères utilisent des méthodes de contournement bien connues. Mais cette menace doit être relativisée: Seules 1,2 % des transactions réalisées en 2018 est le fait d'étrangers, dont 76 % sont d'origine européenne.

Dans le cadre de la loi Pacte, promulguée en décembre, un décret important a été pris sur les investissements étrangers, passé un peu trop inaperçu à mon avis. Ceux-ci devront être autorisés à compter du 1er juillet 2020 au titre des activités de nature à porter atteinte à l'ordre public, à la sécurité publique aux intérêts de la défense nationale. Cela veut dire que la France pourra dire non.

M. Pierre Louault.  - Il semblerait pour certains que l'herbe pousse mieux à l'ombre des panneaux photovoltaïques, notamment en Normandie. Pourquoi pas ? Laissons la possibilité d'expérimenter !

M. Fabien Gay .  - Ma question porte sur l'avenir du triangle de Gonesse. Il est reproché aux outils de régulations du foncier de ne pas avoir évité l'artificialisation des sols, ni contribué au renouvellement des générations, ni pris en compte les enjeux environnementaux. Le triangle de Gonesse a perdu 10  000 hectares de terre au profit de l'extension urbaine.FC Le projet EuropaCity a été abandonné mais le devenir de ces 670 hectares reste incertain, avec un risque de bétonisation. Il y a peu, la culture maraîchère dominait. Certains souhaitent y revenir, pour développer des circuits courts au plus près de lieux de production, à l'image du projet alternatif Carma (Coopération pour une ambition agricole, rurale et métropolitaine d'avenir) ? Pensez-vous que cela soit possible avec les outils de régulations ? Quid de l'avenir du triangle de Gonesse, monsieur le ministre ?

M. Didier Guillaume, ministre.  - Ce sujet nourrit le débat depuis plusieurs années. Le Président de la République a tranché sur le projet lors d'un conseil de défense écologique : il a dit non. L'heure n'est plus à l'artificialisation des terres pour de grands centres d'achat ou d'autres activités économiques.

Pour autant, le devenir de ce secteur très convoité n'est pas fixé. Le projet choisi devra aller dans le sens de l'agriculture urbaine. La ressource de ce sol est indispensable. Nous nous opposerons à la bétonisation de ce territoire. Je comprends la déception des promoteurs ou des élus locaux au regard des perspectives d'emploi et de développement qu'ils pouvaient en espérer. Mais ce sont des projets du passé. Il faut prévoir les aménagements du futur.

M. Franck Montaugé .  - La gouvernance du foncier agricole, qui avait progressé lors du quinquennat précédent avec Stéphane Le Foll, n'a donné lieu qu'à quelques déclarations d'intention, alors que les enjeux sont multiples : valorisation du foncier agricole, facilitation de la transmission et de l'installation des jeunes, diversification des acteurs agricoles, concurrence loyale et équitable dans l'accès aux terres. Votre Gouvernement envisage-t-il de réguler le foncier agricole en prenant en compte des objectifs en matière d'emploi, d'installation des jeunes, d'attentes des consommateurs ? Selon quel calendrier ? Les Safer auront-elles un pouvoir de contrôle étendu de toutes les cessions de parts de société hors opérations intrafamiliales et de négociation des cas problématiques au regard des enjeux de concentration et de respect des politiques territoriales ?

M. Didier Guillaume, ministre.  - Il ne s'est rien passé, dites-vous ? Il s'est passé énormément de choses sur le foncier depuis un an ! Depuis la loi Le Foll, dont j'étais rapporteur, nous avons beaucoup travaillé avec les Safer sur l'artificialisation des sols. En cas de besoin, il faut prévoir une compensation en terres. Nous consultons sur le foncier depuis le dernier Salon de l'agriculture. Une mission sur le statut du fermage est en cours à l'Assemblée nationale avec Mme Anne-Laurence Petel, M. Dominique Potier et M. Jean-Bernard Sempastous, députés. Les Safer doivent avoir un pouvoir étendu.

M. Franck Montaugé.  - Elles doivent être au coeur de l'action publique rénovée.

M. Henri Cabanel .  - Les Safer sont victimes d'un désengagement financier de l'État qui les finançait initialement à 80 %. Elles sont en conséquence obligées de déstocker le foncier qu'elles avaient en réserve.

Les missions des Safer et des établissements publics fonciers (EPF) régionaux se recoupent parfois. Les EPF reçoivent trois types de ressources : la taxe spéciale d'équipement (TSE) ; les produits de la vente et de la gestion des biens et l'emprunt. Un transfert de ressources via une ponction de la TSE prélevée par les EPF régionaux au bénéfice des Safer semble pertinent. Peut-on l'évaluer ? Comment mieux soutenir financièrement les Safer pour leur permettre d'assumer réellement leurs objectifs ?

M. Didier Guillaume, ministre.  - Nous ne laissons pas les Safer sans moyens ou sans solutions. Elles jouent un rôle majeur et nous souhaitons élargir leurs missions.

Chacun doit travailler de manière coordonnée : Safer et EPF, car leur objectif est similaire.

La loi Pacte, à compter du 1er juillet, permettra d'éviter l'achat de terrain par des sociétés étrangères.

Le projet de loi à venir sera co-construit avec le monde agricole.

M. Henri Cabanel.  - Je ne peux que constater le désengagement de l'État dans le financement des Safer. Il faudrait leur affecter une part de la TSE.

Mme Françoise Férat .  - La maîtrise du foncier est un enjeu essentiel pour les exploitations familiales viticoles et le maintien des équilibres entre le vignoble et le négoce. La fiscalité patrimoniale frappe lourdement les transmissions familiales et fait courir un risque de morcellement et de disparition des exploitations. En Champagne, le nombre d'exploitations moyennes a ainsi reculé de 6 %. Je vous propose, comme je l'avais fait lors du dernier budget, de réduire les droits de succession sur ces terres, de les exonérer de l'IFI, de rendre le contrôle du foncier agricole plus efficient et de rétablir une fiscalité patrimoniale incitative pour les GFA. Qu'en pensez-vous ?

M. Didier Guillaume, ministre.  - La fiscalité appliquée aux transmissions est un sujet vieux comme le monde. Le projet de loi l'évoquera. Nous peinons à régler le problème. La loi de finances pour 2019 a triplé le plafond d'exonération des droits de succession et de donation sur les terres louées par bail à long terme. La mesure est récente et n'a pas encore été évaluée. La loi devra comprendre un volet fiscal, qui ne sera pas simple à négocier avec Bercy. Vos propositions sont de bon sens, en particulier en Champagne, mais elles doivent être expertisées.

Mme Françoise Férat.  - Votre réponse me désole. On dirait, à vous entendre, que rien n'est possible, mais nous devons donner des signes à nos petits viticulteurs.

M. Dominique de Legge .  - Le foncier agricole est largement dominé par l'intervention des Safer, dont, après avoir fait l'éloge, on peut rappeler que la Cour des comptes, en 2014, a pointé certains dévoiements, notamment les accords dits de substitution. Leur coût fiscal s'élèverait à plus de 45 millions d'euros au détriment des départements et des communes et n'ont aucun rapport avec les missions initiales des Safer. Elle permet aux acquéreurs de ne pas s'acquitter de certains droits fiscaux, moyennant une commission pour la Safer.

Allez sur le site de la fédération nationale des Safer, vous pourrez y trouver votre résidence secondaire qui n'est entourée par aucune terre agricole.

Qu'envisagez-vous pour mettre un terme à ce détournement de procédure ?

En matière d'investissement en milieu rural, je ne suis pas sûr que la combinaison du droit de préemption et du mécanisme de fixation du loyer soit attractive.

Enfin, je rejoins Mme Férat : l'IFI sur le foncier agricole est un paradoxe.

On ne peut pas dire à la fois que le foncier ne participe pas à l'économie réelle et qu'il est indispensable à l'agriculture.

M. Didier Guillaume, ministre.  - En effet, votre question prolonge celle de Mme Férat. Modérez votre expression : il n'y a pas de détournement. Selon les régions, l'appréciation sur les Safer peut varier.

Les missions des Safer sont strictement encadrées par la loi. Depuis la loi de 2014, leur champ est très large.

Nous devons améliorer la transparence de leur fonctionnement. Madame Férat, la loi foncière ne fera pas tout, bien évidemment. Il faudra aussi travailler au niveau réglementaire sur le contrôle notamment.

M. Hervé Gillé .  - Le foncier agricole, plus particulièrement viticole, est confronté à de nombreux conflits d'usages. En Gironde le concept des trames pourpres, à l'instar des trames bleues et vertes, permet de combler les dents creuses viticoles en milieu urbain ou en périphérie. Mais nous manquons d'outils de négociation et de compensation opérationnels.

Il serait judicieux d'établir des coopérations fonctionnelles entre les Safer et les EPF pour optimiser les démarches d'urbanisme en respectant tous les acteurs, en particulier les viticulteurs, pour répondre aux enjeux environnementaux et favoriser l'acceptabilité des projets.

Que comptez-vous faire pour résoudre les conflits et tensions liés aux proximités viticoles et urbaines ?

M. Didier Guillaume, ministre.  - Le prix de l'hectare de vigne dans votre territoire reflète précisément les difficultés que vous mentionnez. Des outils de compensation existent mais il faut les améliorer. Peut-être pourriez-vous le faire lors de la prochaine loi de finances ?

La médiation sur la compensation du foncier doit pouvoir se faire. Il y a d'une part les dents creuses, d'autre part les villes qui se développent. Les communes finissent par entrer dans les champs. Ce conflit d'usage doit être réglé. Mon cabinet est à votre disposition.

M. Hervé Gillé.  - Je retiens votre proposition. Les contentieux sur les documents d'urbanisme, de plus en plus nombreux, démontrent l'impuissance publique.

Il est urgent d'installer une médiation.

M. Cyril Pellevat .  - Merci au groupe Les Indépendants pour ce débat et à Laurent Duplomb pour son travail sur le sujet. La politique du foncier représente un atout pour notre pays et mérite d'être préservée. Les Safer ont accompagné la modernisation de l'agriculture en préservant les propriétés familiales, au service d'une agriculture efficace.

Il faut limiter l'acquisition de terres par les pays étrangers. En matière d'accaparement par ces derniers, les outils atteignent leurs limites. Le système peut être amélioré en permettant notamment aux agriculteurs d'acquérir les terres qu'ils exploitent.

Où en est le dispositif Sapin ? Nous devons préserver nos outils tout en les renforçant.

Enfin, il faut éviter le mitage des terres en renforçant les outils de régulation dont disposent les collectivités.

M. Didier Guillaume, ministre.  - Je partage vos propos. À partir du 1er juillet 2020, avec la loi Pacte, la France pourra empêcher l'achat de terres dans le cadre de sa souveraineté ; on recense 1,2 % d'achat de terres par des sociétés étrangères, ce qui n'est pas énorme. Mais sait-on ce que l'avenir nous réserve ? La régulation est indispensable. Les élus de terrain pensent tous la même chose, qu'ils viennent de régions touristiques ou viticoles. Nous y travaillerons avec vous.

Un agriculteur doit pouvoir acquérir ses terres, c'est un principe de base. Le mitage agricole est un vrai problème. Emmanuelle Wargon et Julien Denormandie travaillent sur le sujet. Une feuille de route interministérielle sera définie au printemps prochain.

M. Cyril Pellevat.  - La pression immobilière est forte dans les régions touristiques. Les parlementaires de Haute-Savoie seront ravis d'être associés au travail du ministère sur ce sujet.

M. Hervé Gillé .  - Le Livret vert en faveur de l'agriculture, sur le modèle du Livret A, est une proposition forte que promeuvent différents bancs tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale. Récemment, dans leur rapport de la mission d'information sur le foncier agricole rendu en décembre 2018 à l'Assemblée nationale, Anne-Laurence Petel et Dominique Potier en ont fait l'une de leurs propositions et en 2015, une proposition de loi du groupe Les Républicains proposait cette idée.

Ce Livret vert renforcerait la lutte contre la pression foncière, l'artificialisation et l'accaparement des terres, il aiderait à mettre en place une politique de prêts bonifiés fléchés vers l'acquisition de terres. Il répondrait à des attentes sociétales en incitant à s'engager vers une alimentation saine et sûre. Enfin, il offrirait aux Français un accès à une épargne sûre. Le Gouvernement acceptera-t-il le principe de sa création ?

M. Didier Guillaume, ministre.  - Une épargne verte est une idée séduisante qui dépasse notre sujet. La transition écologique s'accomplit par les agriculteurs. A priori, le Gouvernement n'est pas opposé à la création du Livret vert. Encore faut-il que le projet soit parfaitement travaillé. Le ministère de l'Agriculture n'est pas le seul concerné, puisqu'il s'agit d'épargne. Les répercussions fiscales et financières d'un tel dispositif pourraient être importantes. Je comprends votre question comme une question d'appel et vous en remercie : le sujet mérite en effet d'être abordé.

M. Hervé Gillé.  - La maîtrise foncière par des instruments publics permettrait aussi de réguler les investissements financiers. Nous espérons vivement que le chantier soit ouvert.

M. Patrick Chaize .  - L'artificialisation des terres se poursuit malgré les appels à la sobriété. Je salue à ce titre les habitants de Viriat présents en tribune. Les lois se multiplient sur le sujet, mais rien n'y fait : notre consommation des espaces naturels et agricoles, supérieure à la moyenne européenne, augmente plus vite que la population, à un rythme de 27 000 hectares par an, soit trois à cinq stades de football par heure. Pour atteindre le zéro artificialisation dès 2030, France Stratégie estime qu'il faudrait réduire de 70 % l'artificialisation brute et renaturer 5 500 hectares de terres.

L'application de la séquence « Éviter-réduire-compenser » n'est pas efficace. Le rôle des Safer est de moins en moins prégnant. En quoi la nouvelle loi foncière favorisera-t-elle la réhabilitation des terres agricoles ?

M. Didier Guillaume, ministre.  - Je salue les habitants de Viriat présents en tribune. La consommation des espaces naturels est beaucoup trop forte, en particulier dans l'Ain, à proximité de Genève, où la population s'accroît dans les petites communes. La raison de l'artificialisation est double : il a fallu équiper la France ; les trop nombreux textes et le travail en silo nous ont empêchés d'avoir une vision globale. L'échec est collectif. Il nous faudrait une vision générale que nous donnera la loi foncière.

Je ne sais pas quand elle sortira : le calendrier parlementaire ne dépend ni de moi ni de vous. Cependant, ce sujet est essentiel. Le groupe de travail Artificialisation fera des propositions d'ici à avril pour étayer le texte sur le foncier.

M. Patrick Chaize.  - Cessons de travailler en silo. Ce problème est trop prégnant.

M. Vincent Segouin .  - Dans l'Orne, département très agricole de polyculture avec de l'élevage, des céréales et du laitier, les exploitations se transmettent souvent en famille. Des sociétés civiles d'exploitation agricole du département voisin commencent à en reprendre certaines pour installer de la monoculture pour fournir des unités de méthanisation, et des entreprises y installent des haras de chevaux de course.

La terre se vend alors jusqu'à 20 000 euros par hectare - prix inaccessible pour un jeune agriculteur quand le chiffre d'affaires est de 1 300 euros pour un bénéfice de 450 euros par hectare.

L'installation des jeunes agriculteurs est un enjeu important. Je suis libéral et j'aurais préféré un marché libre qui fonctionne sans les Safer. Mais ce n'est pas possible. Le problème est qu'elles sont incompétentes dans les cas que j'ai cités, car elles n'interviennent pas sur les transferts partiels de parts ; par ailleurs, elles ne bénéficient plus du soutien de l'État depuis 2017. Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Didier Guillaume, ministre.  - L'installation des jeunes agriculteurs est primordiale. Nous travaillons sur un agrément pour la faciliter. Une concertation est en cours. Comme le disait M. Chaize, nous ne devons plus travailler en silo. Le ministère consulte organisations, agriculteurs et autres acteurs pour développer une vision globale.

M. Jean-Raymond Hugonet .  - L'agriculture s'apprête à connaître une restructuration sans précédent. Quelque 160 000 agriculteurs sur les 450 000 chefs d'exploitation recensés par la Mutualité sociale agricole (MSA) arriveront à la retraite dans les prochaines années. Cela représente un tiers des effectifs et 55 000 départs par an. Pendant ce temps, il y a bon an mal an entre 12 000 et 14 000 installations en France. Les fils et filles d'agriculteurs ne pourront pas relever seuls le défi du remplacement de ceux qui partiront à la retraite. Comment susciter de nouvelles vocations ? Ne faudrait-il pas simplifier le contrôle des structures ? Comment encourager l'installation des jeunes non issus du milieu ? Comment contrôler efficacement les prises de participation dans les sociétés d'exploitation ?

M. Didier Guillaume, ministre.  - Je soutiens toutes ces interrogations. La plupart des jeunes agriculteurs qui s'installent le font hors cadre familial. Nous souhaitons effectivement simplifier le contrôle des structures. Nous avons inversé la tendance à la baisse du nombre d'élèves dans les établissements d'enseignement agricole. Un bus va sillonner la France pour promouvoir la profession d'agriculteur.

Monsieur Cabanel, les Safer, en France métropolitaine, se rémunèrent sur leurs opérations. Outre-mer, en revanche, elles ont besoin et peuvent compter sur le soutien de l'État -  Mme Jasmin peut en témoigner.

Enfin, je remercie le groupe Les Indépendants pour ce débat qui démontre la hauteur de vues de la Haute Assemblée sur ces sujets. Certes, nous avons fait des bêtises dans le passé ; mais ne regardons pas avec nos yeux d'aujourd'hui ce qui a été fait hier. La réflexion a évolué. Regardons plutôt avec les yeux d'aujourd'hui ce qui se fera demain. Je sais la France que je ne veux pas. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et Les Indépendants)

M. Jean-Raymond Hugonet.  - Nous sommes sur la même longueur d'onde. Profitons-en !

M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants .  - « Que le souverain et la Nation ne perdent jamais de vue que la terre est l'unique source des richesses, et que c'est l'agriculture qui les multiplie. Car l'augmentation des richesses assure celle de la population ; les hommes et les richesses font prospérer l'agriculture, étendent le commerce, animent l'industrie, accroissent et perpétuent les richesses. ». Dès le XVIIIe siècle, les physiocrates valorisaient déjà le foncier agricole dans leur modèle économique comme un terreau fertile pour nos libertés individuelles avec pour deux piliers la propriété privée des moyens de production et la liberté d'entreprendre.

Ce modèle se trouve désormais en tension avec de nouveaux enjeux, notamment le dérèglement climatique ; ces nouvelles problématiques appellent d'autres solutions. La terre doit faire face à de nouveaux défis : bâtir des logements pour une population en hausse constante, faciliter la mobilité par des infrastructures et garantir un revenu décent aux agriculteurs... La question du foncier agricole est d'une complexité rare et nous oblige à opérer des choix difficiles. C'est pourquoi nous avons préféré un débat à une proposition de loi : les solutions ne peuvent être trop simples. Le Gouvernement en a évoqué plusieurs. Les acteurs de terrain se mobilisent. Afin de préserver nos terres agricoles et réduire leur artificialisation, la Nation devra protéger le foncier comme elle protège la biodiversité et les forêts en refusant de les hiérarchiser.

Mise en valeur du foncier agricole, portage, transmission, rénovation de la régulation, retraites anticipées, fluidification du dialogue entre les différentes parties prenantes du terrain... Les sujets ne manquent pas et intéressent le Sénat au premier chef. Le groupe Les Indépendants poursuivra ses travaux pour apporter des solutions concrètes.

Merci à tous les sénateurs, notamment nos collègues Franck Menonville et Alain Fouché, à l'initiative de ce débat ; merci à M. le ministre pour ses réponses.

Ce débat, nous l'avons vu, était bel et bien nécessaire.

Prochaine séance, mardi 18 février 2020, à 9 h 30.

La séance est levée à 18 h 5.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Jean-Luc Blouet

Chef de publication