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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Communications diverses

Questions d'actualité

Plan de relance

M. Hervé Marseille

M. Jean Castex, Premier ministre

Situation critique dans les hôpitaux

Mme Laurence Cohen

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé

Situation du Haut-Karabakh (I)

M. Bernard Buis

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Situation sociale

M. Patrick Kanner

M. Jean Castex, Premier ministre

Lutte contre la covid-19

M. Henri Cabanel

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé

Taxe sur les transactions financières

M. Guillaume Gontard

M. Jean Castex, Premier ministre

Transferts de compétences aux intercommunalités

Mme Vanina Paoli-Gagin

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales

Perspectives pour la Nouvelle-Calédonie

M. Philippe Bas

M. Jean Castex, Premier ministre

Rapprochement entre Veolia et Suez (I)

M. Serge Babary

M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises

Rapprochement entre Veolia et Suez (II)

M. Thierry Cozic

M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises

Lutte contre les violences à l'encontre des forces de l'ordre

M. Sébastien Meurant

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté

Impacts du Covid-19 sur le tourisme et les transports

Mme Catherine Morin-Desailly

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique

Situation du Haut-Karabakh (II)

Mme Valérie Boyer

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Moyens supplémentaires pour la santé

Mme Corinne Féret

M. Gabriel Attal, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement

Occupation illicite de terrains par des gens du voyage

M. Cyril Pellevat

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté

Annulation des stages au collège

Mme Laure Darcos

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports

Modification de l'ordre du jour

Rappel au Règlement

M. Bruno Retailleau

Commission spéciale (Nominations)

Modification de l'ordre du jour

Rappel au Règlement

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois

Code de la sécurité intérieure (Procédure accélérée)

Discussion générale

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur de la commission des lois

M. Christian Cambon, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

CMP (Nominations)

Discussion générale (Suite)

M. Alain Richard

M. Jean-Claude Requier

Mme Éliane Assassi

M. Philippe Bonnecarrère

M. Jean-Yves Leconte

M. Alain Marc

Mme Esther Benbassa

Mme Jacqueline Eustache-Brinio

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

ARTICLE 2

ARTICLES ADDITIONNELS

ARTICLE 3

Avis sur une nomination

Conseil économique, social et environnemental (Procédure accélérée)

Discussion générale

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission des lois

Mme Nathalie Delattre

Mme Marie-Noëlle Lienemann

M. Arnaud de Belenet

M. Jean-Yves Leconte

M. Dany Wattebled

M. Guy Benarroche

M. Thani Mohamed Soilihi

M. François Bonhomme

M. Jean-Pierre Sueur

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

ARTICLES ADDITIONNELS

ARTICLE 2 (Supprimé)

ARTICLE 3

M. Xavier Iacovelli

Annexes

Ordre du jour du jeudi 15 octobre 2020

Nomination d'un membre d'une commission spéciale

Nomination des membres d'une éventuelle CMP




SÉANCE

du mercredi 14 octobre 2020

5e séance de la session ordinaire 2020-2021

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : M. Daniel Gremillet, M. Loïc Hervé.

La séance est ouverte à 15 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Communications diverses

M. le président.  - J'informe les présidents de groupe que je les réunirai dans le bureau de départ à l'issue des questions d'actualité au Gouvernement.

Questions d'actualité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.

Je rappelle le respect des règles sanitaires en vigueur et notamment le port du masque, obligatoire dans tout le Palais.

La séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

Au nom du Bureau du Sénat, j'appelle chacun à observer l'une des valeurs essentielles du Sénat : le respect des uns et des autres et celui du temps de parole.

Plan de relance

M. Hervé Marseille .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Monsieur le Premier ministre, alors que le Président de la République s'apprête vraisemblablement à durcir les mesures sanitaires pour faire face à la deuxième vague, je veux évoquer leur impact social : 715 000 emplois ont été détruits au premier semestre ; ils seront un million d'ici la fin de l'année.

Le pays est inquiet. Votre tâche n'est pas facile, mais c'est vous qui êtes en responsabilité et je vous invite à recalibrer le soutien à l'économie, comme vous recalibrez le volet sanitaire.

Dès le mois de juillet, le Sénat vous exhortait à mettre en place un plan de relance le plus vite possible, comme nos voisins anglais et allemands, mais vous n'avez eu de cesse de repousser ce plan jusqu'au début de l'année prochaine, de PLFR en PLFR. Il figure désormais dans le PLF 2021. C'est-à-dire que vous ne dégainerez pas avant janvier, avec plusieurs mois de retard, alors que nos concitoyens, artisans et commerçants en particulier, ne peuvent attendre : ils ne tiendront pas trois mois, pas plus que de nombreuses TPE et PME ! Des secteurs sont en extrême difficulté.

Monsieur le Premier ministre, accélérerez-vous la mise en oeuvre du plan de relance ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Jean Castex, Premier ministre .  - J'adresse mes plus sincères félicitations aux nouvelles sénatrices et aux nouveaux sénateurs, comme à vous, monsieur le président, pour votre brillante réélection. (Applaudissements au centre et à droite)

Monsieur le président Marseille, oui, la situation de la France est très difficile. Comme l'Europe entière, elle est confrontée à une deuxième vague forte qui pousse le Gouvernement à prendre des mesures complémentaires que le Président de la République présentera ce soir.

Oui, cette crise a des effets délétères sur la situation sociale et économique du pays.

Un rapport récent confirme que la France a été l'un des tout premiers pays à engager des moyens, à hauteur de 470 milliards d'euros, dès le début de la crise -  qui ne sont pas tous encore entièrement dépensés.

Tous les secteurs touchés par la mise en oeuvre de mesures administratives exigées par la situation font l'objet de la solidarité nationale : temps partiel, exonérations de charges, report des dates d'échéance, fonds de solidarité seront non seulement prolongés jusqu'à la fin de l'année, mais au-delà, le contenu et la portée de ces mesures seront renforcés.

Les ministres et moi-même ne cessons de nous entretenir avec les représentants des secteurs concernés. Je sais que des progrès sont à faire, en ce moment, sur les loyers et les assurances.

Nous prendrons les mesures sanitaires qui s'imposent. Mais l'activité économique doit continuer - c'est le cas, heureusement, pour environ 90 % des entreprises aujourd'hui, qui fonctionnent à peu près normalement. Même chose pour la vie scolaire - à part quelques clusters, l'éducation fonctionne aussi normalement.

La montée des chiffres du chômage et de la pauvreté sont inquiétants, car ce sont hélas les plus vulnérables qui sont les plus exposés, dans une telle crise. Le plan de relance est là en partie pour cela. Je vous le confirme au passage : il y aura bien un PLFR 4.

Les jeunes sont les premières victimes du système actuel et c'est pourquoi le volet « jeunes » du plan de relance est déjà entré en vigueur pour plus de 6 milliards d'euros. Le rebond des chiffres de l'apprentissage et de l'alternance en août est tout à fait encourageant, après la chute du premier trimestre.

La situation des plus démunis est préoccupante. J'ai reçu l'ensemble des associations concernées et je leur ai dit que samedi, à l'occasion de la journée internationale de lutte contre la misère, j'annoncerai, après la concertation, un certain nombre de dispositions que les circonstances actuelles exigent.

Croyez bien que le Gouvernement tout entier est mobilisé et déterminé derrière le Président de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)

Situation critique dans les hôpitaux

Mme Laurence Cohen .  - En cette période de rebond de la covid-19, notre système de santé est à nouveau sous tension. Tous les voyants sont au rouge.

Les nouvelles restrictions de liberté que va sans doute annoncer le Président de la République ne sont pas la solution. Vous n'avez pas tiré les leçons de la première vague et à nouveau les hôpitaux sont saturés.

Les personnels soignants crient leur inquiétude, leur colère. Ils sont épuisés, démunis, sous-payés. Les démissions se multiplient. La pandémie se répand partout sur le territoire ; donc, il ne pourra pas y avoir de renforts venus d'autres régions. L'hôpital, qui manque de lits et de personnel n'a plus assez de moyens et le secteur de ville est aussi en difficulté.

Que dites-vous aux soignants qui seront dans la rue demain pour dire que le Ségur ne fait pas le compte, et à ceux qui démissionnent, comme le Dr. Maurice Raphaël, chef des urgences de l'hôpital du Kremlin-Bicêtre depuis dix ans, et aux autres soignants ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé .  - Je leur dis : « Tenez bon, on est avec vous, merci pour votre action, on y arrivera. » (Protestations à gauche, tandis qu'on ironise sur les travées du groupe Les Républicains.) J'ai cru un instant, en entendant le début de votre question, que vous ne parliez pas d'une pandémie due à un virus qui a mis à plat les trois quarts de la planète des mois durant...

D'ici quelques semaines, vous aurez à examiner un PLFSS qui prévoit la création de 4 000 lits et de 15 000 postes de soignants à l'hôpital alors que depuis des années la masse salariale n'y était plus adaptée à la charge de travail, la sortie de la tarification à l'activité remplacée par une dotation populationnelle, le changement de la gouvernance interne à l'hôpital pour que les professionnels de santé y soient mieux représentés, ou encore quelque 8,8 milliards d'euros de revalorisation salariale pour 1,6 million de salariés dont 85 % de femmes. (Mme Patricia Schillinger applaudit.) C'est la plus forte réduction de l'écart salarial entre les hommes et les femmes jamais vue ! Tous les soignants et même les personnels non-soignants et non-médicaux à l'hôpital ont déjà touché 90 euros nets de plus par mois - ce n'est pas rien ! - auxquels s'ajouteront, à partir du mois de mars, 35 euros par mois, fruits du travail que nous avons mené sur les grilles salariales.

Je respecte profondément le dialogue social. Vous citez ceux qui y sont opposés, mais les syndicats, majoritairement, ont signé le Ségur de la santé et en assurent la promotion, parce que ces accords sont bons, utiles, efficaces et durables.

Encore merci aux soignants : c'est aussi cela qu'ils ont envie d'entendre de votre part ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)

Mme Laurence Cohen.  - Comment oublier le virus, la pandémie ? Le défi est important mais vous continuez à ne pas entendre les soignants qui réclament 300 euros par mois.

Il faut aussi arrêter avec les cadences infernales à l'hôpital qui n'en peut plus. Avec le PLFSS, vous continuez à faire des choix qui l'étranglent et mettent à genoux la médecine de ville. Si vous ne voulez pas entendre les soignants dans la rue, si vous restez sourd à notre appel, alors prenez garde à ne pas vous exposer à l'accusation de non-assistance à personnel en danger ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur diverses travées du groupe SER)

Situation du Haut-Karabakh (I)

M. Bernard Buis .  - Nul besoin de rappeler la longue histoire d'amitié entre la France et l'Arménie. La Drôme, l'Isère, le Rhône, de nombreuses régions, notamment parisienne et marseillaise, ont noué des liens d'amitié avec le Haut-Karabakh. En 2015, ces liens ont été formalisés par la signature d'une charte entre le département de la Drôme et le Haut-Karabakh.

Le 27 septembre 2020, nous avons assisté impuissants à l'offensive de l'Azerbaïdjan contre les Arméniens du Haut-Karabakh, ravivant brutalement le « conflit gelé » autour de ce territoire, qui bénéficiait depuis l'accord de cessez-le-feu de 1994, d'une relative stabilité.

Aujourd'hui, notre inquiétude est grande, face à des affrontements d'une extraordinaire violence, non seulement le long de la ligne de front mais aussi à Stépanakert, ville amie avec la ville de Valence, ainsi qu'à Chouchi, à Martuni. Les premières victimes en sont les populations civiles, des familles arméniennes que nous connaissons.

Je sais que, au sein du groupe de Minsk, vous ne ménagez aucun effort pour aboutir à une solution, mais le cessez-le-feu conclu samedi dernier est violé.

Dans de nombreuses villes de France et hier soir à Paris, nous avons affirmé, nombreux, notre entier soutien au peuple arménien et karabahiote et notre indéfectible amitié.

Monsieur le ministre, que peut faire la France pour stopper cette offensive meurtrière de l'Azerbaïdjan contre les populations civiles d'Artsakh ? (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, SER, RDSE, INDEP, UC et Les Républicains)

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Il y a dans cette affaire grave une urgence, un devoir et une exigence. Une urgence, à cause des nouvelles victimes, particulièrement civiles, qui suscitent une émotion légitime en France, que vous avez exprimée et que je partage, en raison de nos liens d'amitié avec l'Arménie, que vous avez rappelés, et qui justifient que nous accélérions nos efforts pour faire respecter l'engagement de cessez-le-feu trouvé samedi à Moscou, en notre présence.

Les ingérences étrangères, en particulier celle de la Turquie, sont inacceptables car elles alimentent l'escalade.

Nous avons le devoir de travailler au sein du groupe de Minsk dont nous assurons la coprésidence, fixé par le cadre de l'organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), dans lequel nous poursuivons notre travail sans relâche, y compris en ce moment même, à Erevan et à Bakou.

Enfin, une exigence s'impose, celle de l'impartialité : c'est la condition de notre crédibilité de médiateur ! L'amitié qui nous lie au peuple arménien serait mal servie, si nous renoncions à ce rôle d'équilibre, ce qui laisserait la porte ouverte à un rôle plus direct de la Turquie dans le règlement de la crise. Il n'est pas possible qu'un pays puisse être à la fois protagoniste d'un conflit et partie prenante de son règlement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)

Situation sociale

M. Patrick Kanner .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La crise sanitaire que nous vivons est grave et sera longue. Elle a fait basculer un million de Français dans la pauvreté, en plus des neuf millions qui le sont déjà. France Stratégie nous annonce dans le même temps que la flat tax et la suppression de l'ISF a considérablement augmenté les revenus des 0,1 % des Français les plus riches, alors que la distribution de dividendes explose.

Votre politique aggrave les inégalités sociales et territoriales. Vous auriez dû agir mais il est trop tard ; je vous demande donc de réagir.

Je fais un rêve, celui d'un Gouvernement capable de se réformer, qui abandonnerait le bouclier fiscal devenu un tremplin fiscal, qui lutterait contre les inégalités sociales, qui empêcherait de nouvelles catégories de tomber dans la pauvreté, qui penserait aux jeunes en leur offrant le RSA, qui donnerait, enfin, un coup de pouce au Smic. Ce serait un Gouvernement qui lutterait contre les inégalités pour dégripper l'ascenseur social. Allez-vous changer de cap ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Jean Castex, Premier ministre .  - Contrairement à vos affirmations, avant la crise sanitaire, grâce à la politique de baisse des impôts, contraire à celle que vous préconisez, la croissance française était l'une des meilleurs de l'Union européenne, le niveau du chômage baissait et les investissements étrangers en France n'avaient jamais été aussi importants depuis dix ans. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains)

Bref, des résultats bien meilleurs que ceux du précédent quinquennat. (Vives protestations à gauche tandis qu'on applaudit sur les travées du groupe RDPI.)

Certes, nous assistons à une forte dégradation des chiffres du chômage et de la pauvreté. Notre système de protection sociale dispose heureusement d'amortisseurs - soyons-en fiers - qui nous ont permis de passer la crise avec moins de dégâts qu'ailleurs. (Mme Cécile Cukierman s'exclame.)

Non, nous ne sommes pas inactifs. Plus de deux milliards d'euros ont été débloqués. Une aide exceptionnelle de solidarité a été versée le 15 mai à 4,1 millions de foyers. 160 millions d'euros ont été débloqués sous la forme de 200 euros versés en juin à 800 000 jeunes.

L'allocation de rentrée scolaire a été revalorisée d'un peu plus de 100 euros. 100 millions d'euros ont été consacrés au logement des plus démunis.

Compte tenu de la deuxième vague et de ses conséquences sociales, nous ajusterons ces moyens.

Nous ne souhaitons pas instaurer un RSA Jeunes. Notre objectif est de protéger les plus démunis, mais cela ne va pas contre nos objectifs de plus long terme, qui sont d'insérer par le travail plus que d'enfermer dans l'assistance. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)

M. Patrick Kanner.  - Votre réponse ne décrit pas une politique : c'est un slogan. Lorsque les Français tombent, vous protégez les plus riches. Leur demander plus n'aurait pas été scandaleux. Les Français vous jugeront. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. le président.  - Merci aux collègues qui ont accepté de siéger dans les tribunes.

Lutte contre la covid-19

M. Henri Cabanel .  - Dès le mois de juillet, tout le monde prévoyait une nouvelle vague. Ça y est, nous y sommes. Montpellier vient ainsi de passer en alerte maximale.

Mais beaucoup de nos concitoyens ont du mal à comprendre les nouvelles règles et les volte-face. Pourquoi fermer les bars alors que les restaurants sont ouverts ? Pourquoi sommes-nous toujours confrontés à une pénurie de lits en réanimation ?

Loin des 12 000 lits prévus, nous sommes en difficulté dans les services de réanimation. Pourquoi ne pas avoir pensé une stratégie d'urgence ? Les Français ne comprennent pas. À la crise sanitaire, nous répondons par des mesures liberticides, mais rien sur les moyens de l'hôpital public.

Je suis pragmatique : lorsqu'un tuyau est soumis à une trop forte pression, je le remplace par un tuyau plus gros, je ne ferme pas l'eau.

La crainte des médecins est un risque de retard dans la prise en charge des autres pathologies.

Qu'avez-vous prévu face au burn-out des soignants ? Cela ne suffit pas de penser à eux. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé .  - Nous n'avons pas vécu le même été. Lorsque des populations jeunes ont commencé à être infectées dans des villes du sud, en août, j'ai surtout entendu nombre de pseudo-experts nous expliquer que l'épidémie était derrière nous et que le virus avait muté et était moins méchant.

Augmenter les lits de réanimation, ça ne se fait pas tout seul. Il faut dix à douze ans pour former un anesthésiste-réanimateur. Nous avons supprimé le numerus clausus il y a deux ans.

Nous ne sommes pas responsables de l'état actuel de la démographie médicale. En revanche, nous avons formé nombre de personnels rapidement : en Île-de-France, nous avons formé pas moins de 750 infirmiers à la réanimation. Au 15 avril, nous avions 10 700 lits de réanimation armés pour le Covid : il y avait alors 8 500 malades du Covid.

Vous parlez de gros tuyaux. Notre logique n'est pas de remplir les lits de réanimation mais d'empêcher les gens de mourir...

M. le président.  - Concluez !

M. Olivier Véran, ministre.  - ... et pour cela, il faut maîtriser la circulation du virus.

M. le président.  - Chacun doit respecter son temps de parole ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Taxe sur les transactions financières

M. Guillaume Gontard .  - Pour faire face à une crise sans précédent, l'Union européenne a adopté un plan de relance de 750 milliards d'euros - mais le cadre budgétaire 2021-2027 est revu à la baisse... Déshabiller Paul pour habiller Jacques n'a jamais fait une politique ambitieuse.

Grâce aux écologistes, le Parlement a voté le 16 septembre une résolution clé en main pour instaurer une taxe plastique, une taxe carbone aux frontières, une taxe sur les Gafam, et surtout une taxe sur les transactions financières de 50 milliards d'euros par an : quoi de plus juste que de taxer ceux qui échappent à l'impôt ou qui polluent ? Les multinationales doivent aussi contribuer à l'effort.

Pourquoi rien n'a été fait depuis des décennies ? Cette taxe sur les transactions financières avait été refusée par Pierre Moscovici en 2014. Le Président de la République actuel n'a pas fait mieux. Sa proposition est très modeste, celle d'un simple impôt boursier à l'image de celui instauré par la Grande-Bretagne, ne rapportera que 3,5 milliards d'euros par an, soit dix fois moins que le projet de 2013.

Au Conseil européen de demain, le Président de la République fera-t-il des propositions ambitieuses ou se contentera-t-il de mots au détriment de l'intérêt général européen ? (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Jean Castex, Premier ministre .  - Je vous surprendrais si je vous disais que j'étais d'accord avec vos observations, quoique la France plaide inlassablement pour une taxe sur les transactions financières au niveau européen. Il en existe déjà une nationale en France depuis 2012, mais le niveau européen est le plus pertinent.

Or, en matière fiscale, c'est l'unanimité entre les États membres qui prévaut. Cela n'a pas découragé la France, à l'initiative de la relance des négociations sur la taxe sur les transactions financières, interrompues sous le précédent quinquennat.

Le 26 septembre 2017 à la Sorbonne, le Président de la République en avait rappelé les principes. Depuis, les négociations se poursuivent ; elles sont difficiles mais la France et le Président de la République ne baissent pas la garde.

Sur la taxation du carbone aux frontières extérieures de l'Europe, la France porte des propositions parmi les plus audacieuses.

À la différence de la crise de 2008-2010 que j'ai suivie de près, l'Europe s'est fortement mobilisée avec un plan européen de relance et une contribution de 40 % aux plans de relance nationaux. L'Europe est une union d'États : il faut donc plus de force de conviction pour entraîner l'adhésion de tous. Le Président de la République et la Chancelière ont su en faire preuve pour obtenir l'accord historique de cet été.

Ne doutez pas de notre détermination ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)

M. Guillaume Gontard.  - Nous resterons attentifs et espérons que, pour une fois, vos actes rejoindront vos discours... (Applaudissements sur les travées du GEST)

Transferts de compétences aux intercommunalités

Mme Vanina Paoli-Gagin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Il est des lois dont les effets indésirables se font sentir dans la durée. Les transferts de compétences entre collectivités territoriales du dernier quinquennat compliquent la vie des élus encore aujourd'hui.

D'abord, la loi ALUR de 2014 prévoit que les communautés de communes et intercommunalités deviendront compétentes de plein droit au 1er janvier 2021 sur les PLU, sauf si un nombre significatif de communes s'y opposent dans les trois mois qui précèdent ce transfert.

La loi NOTRe de 2015 prévoit un transfert de la compétence eau et assainissement des communes aux agglomérations sauf si, grâce à un correctif prévu dans loi Engagement et proximité, une majorité de communes s'y opposent. Mais là encore, l'échéance est fixée au 31 décembre.

Les nouveaux élus n'ont pas eu le temps de s'informer et de se consacrer à ces questions pour prendre leur décision. Un report de ces échéances vous semble-t-il possible pour permettre aux élus de l'Aube et d'ailleurs de se déterminer de manière éclairée ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales .  - Comme vous l'avez dit, la loi Engagement et proximité a assoupli quelques règles en matière de transfert d'eau et d'assainissement. Ainsi les intercommunalités peuvent déléguer leurs compétences aux communes, sans date barrière.

Les communes peuvent le réclamer, l'intercommunalité ayant trois mois pour se prononcer.

Pour le transfert de la compétence PLUi, les EPCI deviennent compétents de plein droit au 1er janvier de l'année suivant le renouvellement des conseils municipaux et communautaires, sauf si une minorité de blocage a été réunie.

Avec la crise sanitaire et le décalage des élections, le délai a été mécaniquement raccourci. Il pourrait exceptionnellement être rallongé du fait de la situation sanitaire, comme Mme Gatel me l'a demandé il y a quelques jours. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)

Perspectives pour la Nouvelle-Calédonie

M. Philippe Bas .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le 4 octobre, les Calédoniens ont rejeté l'indépendance lors du deuxième référendum. Il y en aura un troisième. Le problème de ces référendums est que les tensions entre les communautés et les provinces de Calédonie se cristallisent. Pendant ce temps, aucune perspective n'est ouverte. Le Gouvernement confond impartialité et indifférence à l'égard de l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.

Avec les accords de Nouméa, il s'est passé plus de vingt ans pendant lesquels il était possible de construire. Mais que peut-on construire quand chacun retient son souffle ? Le Gouvernement va-t-il jouer son rôle pour fédérer les Calédoniens autour d'un avenir qui dépasse l'horizon d'un éventuel troisième référendum ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Jean Castex, Premier ministre .  - Je pourrais me contenter de répondre « Oui » à votre question.

Je ne suis pas responsable des vingt dernières années mais je doute que les gouvernements précédents aient renoncé à jouer leur rôle. J'en atteste en tout cas pour Édouard Philippe qui s'est pleinement engagé en faveur de la Calédonie, comme je vais continuer à le faire.

Les accords de Matignon puis de Nouméa étaient parfaitement clairs. Ils prévoyaient l'organisation de référendums. Les scrutins, certes, peuvent diviser mais ils sont l'expression de la voie démocratique.

L'État s'était engagé à une stricte neutralité, tant dans la campagne électorale que dans l'organisation du scrutin. Nous y avons veillé scrupuleusement. Les électeurs mais aussi les observateurs ont reconnu que le scrutin s'était déroulé dans des conditions démocratiques incontestables, avec un taux de participation de 86 % - ça fait rêver !

Les électeurs ont répondu « Non » à 53,26 % contre 46,74 % pour le « Oui ». Le choix est clair et réitéré, celui de rester dans la communauté nationale. Le Gouvernement l'accueille comme une marque de confiance et un motif de fierté. Le score est cependant serré. Il nous faut donc aussi beaucoup d'humilité.

Le scrutin passé, nous allons reprendre l'initiative, dans le respect et le dialogue. Sébastien Lecornu est parti jeudi dernier pour le Caillou, pour examiner les voies du développement de la Nouvelle-Calédonie.

Ce n'est qu'à partir d'avril 2021 que le Congrès pourra demander officiellement un nouveau référendum. Matignon, dont c'est la charge depuis Michel Rocard, se penchera sur l'avenir de ce territoire sans tabou. Nous souhaitons le maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la République, évidemment. (M. François Patriat applaudit.)

M. Philippe Bas.  - Je ne suis pas sûr que vous soyez porteur d'une vision de l'avenir pour la Nouvelle-Calédonie. (Rires sur les travées du groupe Les Républicains) Au-delà du scrutin, vous gagneriez à écouter davantage notre collègue Pierre Frogier, l'un des signataires des accords de Nouméa.

Un avenir doit être ouvert, des perspectives dessinées. Vous ne pouvez être simple spectateur. Vous êtes responsable. Réunissez les Calédoniens à Paris pour dessiner avec eux l'avenir de ce territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Rapprochement entre Veolia et Suez (I)

M. Serge Babary .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le groupe Veolia, leader mondial dans la gestion de l'eau et du traitement des déchets, s'est lancé après deux tentatives vaines en 2006 et 2012 dans une entreprise agressive de rachat de son rival Suez. Le groupe Engie a accepté de vendre ses parts de Suez à Veolia. Cette initiative hostile interroge.

L'argument qui consiste à vanter la création d'un géant mondial est très relatif : les deux entreprises réunies représenteraient moins de 5 % du marché mondial. L'opération ressemble donc plus au dépeçage d'une entreprise qu'à l'addition de deux groupes.

Le bénéfice en termes d'emploi est difficile à percevoir. Que deviendront les 30 000 collaborateurs de Suez en France ? Les précédentes opérations, comme celle concernant Alcatel et Alstom, ont conduit à des plans sociaux.

Enfin, la concurrence en France est menacée. Le secteur, essentiel pour les collectivités territoriales et les citoyens, est déjà très concentré : est-il raisonnable d'aller plus loin ? Est-ce raisonnable de faire intervenir un fonds de pension alors qu'une vision stratégique à long terme est nécessaire sur ce marché ?

Où est l'État face à ces questions ?

Bruno Le Maire demande des garanties en termes d'emploi, mais la même cause produira-t-elle les mêmes effets délétères ?

L'État ne tient-il pas un double langage ? Le 3 septembre, le Premier ministre s'était enthousiasmé pour « un mariage qui fait sens »... (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises .  - Les Français connaissent bien ces deux entreprises et leur font confiance. Nous ne pouvons accepter que ces deux champions se fassent la guerre. Il faut qu'ils se parlent et échangent sur le projet, pas dans la force et la précipitation. Bruno Le Maire a appelé les deux parties au sens des responsabilités. L'État a fixé des conditions : la sauvegarde de l'emploi des 30 000 femmes et hommes de Suez d'abord, la logique industrielle ensuite : il faut un groupe crédible, robuste et engagé sur le long terme dans un secteur stratégique.

Cette fusion ne peut être le prélude d'une perte de souveraineté dans ces secteurs sensibles et stratégiques.

L'intérêt patrimonial enfin, puisque l'État est actionnaire d'Engie. Bruno Le Maire a posé d'emblée ces critères qui ont guidé le choix de l'État au conseil d'administration d'Engie. Faute d'accord entre Veolia et Suez, l'État ne pouvait empêcher cette cession qui n'était pas acceptée par les parties prenantes, notamment les salariés de Suez. (Marques d'incompréhension sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Valérie Boyer.  - La réponse est dans le ton !

Rapprochement entre Veolia et Suez (II)

M. Thierry Cozic .  - Monsieur le ministre de l'Économie et des finances, ce qui s'est passé au conseil d'administration d'Engie est un camouflet sans précédent sous la Ve République. Votre immobilisme interpelle. En temps normal, cela aurait dû déclencher un séisme et une réaction immédiate de l'État actionnaire. Votre attitude est ambiguë. Vous semblez avoir agi à l'insu de votre plein gré... Vous n'avez pas fait grand-chose pour empêcher l'OPA et vous justifiez votre impuissance dans la presse.

Quelle étrange situation. Le premier actionnaire d'un groupe qui nomme le président ne peut pas se faire entendre ? Ce rachat conduira à supprimer 10 000 emplois dans le monde ! La gestion de l'eau et des déchets représente des enjeux capitaux. Comment peut-on accepter que, par votre inaction, vous laissiez se créer une entreprise privée en situation monopolistique, privant les collectivités territoriales de la possibilité de faire jouer la concurrence ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, SER et CRCE)

M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises .  - Dans cette opération, l'État a favorisé trois objectifs : préservation des emplois et des implantations, maintien d'une offre concurrentielle, accord entre les parties. Les administrateurs d'Engie n'ont pas suivi l'État ; nous le regrettons. (Protestations sur de nombreuses travées)

M. Patrick Kanner.  - Réponse peu convaincante !

M. Alain Griset, ministre délégué.  - Nous insistons pour que les dirigeants des entreprises s'entendent, dans l'intérêt des entreprises et des collectivités territoriales. Nous serons vigilants sur la suite des événements. (Exclamations à droite)

Lutte contre les violences à l'encontre des forces de l'ordre

M. Sébastien Meurant .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La France connaît des violences brutales et barbares : à Champigny, à Montbéliard devant une école maternelle, cette nuit encore à Savigny-sur-Orge... Les exemples se multiplient.

Pendant ce temps, vos ministres s'empêtrent dans des querelles de théologiens concernant le terme d'ensauvagement. On se croirait à Byzance alors que les Ottomans cernaient la ville.

Nous sommes loin du B.A.BA d'une politique efficace : un diagnostic clair et partagé. Avec ce jeu de rôle convenu entre Justice et Intérieur, votre Gouvernement se voile la face et refuse d'agir, paniqué par l'idée de remettre en question son idéologie multiculturaliste.

Rappelons ce que disait Gérard Collomb sur le communautarisme : « Nous vivons côte à côte ; je crains que demain, nous ne vivions face à face ».

Quel diagnostic portez-vous sur l'ensauvagement de la France ? Quand comptez-vous rétablir la paix civile et la concorde ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté .  - Gérald Darmanin est actuellement à Juvisy auprès des collègues du policier renversé cette nuit et qui se trouve dans un état critique.

Depuis le début de l'année, 8 724 policiers ont été blessés. Dans la gendarmerie, on compte une agression toutes les deux heures.

Face à cette réalité, le Gouvernement agit : plus de 325 millions d'euros seront destinés aux forces de l'ordre. Pas moins de 15 millions supplémentaires sont débloqués pour le matériel, 125 pour le parc automobile, à qui s'ajoutent les 740 millions d'euros, à travers les appels à projet du plan de relance, pour rénover les commissariats.

Le Président de la République reçoit demain les syndicats concernés.

Nous ne sommes pas dans l'idéologie, mais dans l'action concrète et résolue. L'ordre républicain nous protège de celui des clans. Nous sommes aux côtés des forces de l'ordre. (Exclamations indignées à droite)

M. Sébastien Meurant.  - Assez de discours : il faut changer d'état d'esprit. La peur doit changer de camp ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

Impacts du Covid-19 sur le tourisme et les transports

Mme Catherine Morin-Desailly .  - Le sixième comité interministériel du tourisme (CIT), le 12 octobre, a marqué quelques avancées : accès au Fonds de solidarité, recours au chômage partiel, extension des mesures aux entreprises du transport touristique, mais la situation reste alarmante pour le secteur. Les réservations ont chuté de 50 %. Quelque 73 % des agences de voyages pensent déposer le bilan ces prochains mois. Rappelons que le tourisme représente deux millions d'emplois et 9 % du PIB...

Le plan de soutien de 18 milliards d'euros au secteur de mai dernier et les 50 milliards d'euros dans le plan de relance ne lèvent pas les inquiétudes.

Les régions se sont mobilisées, d'abord dans le plan de relance, puis dans le cadre de leurs compétences. Normandie et Bretagne se sont associées à hauteur de 85 millions d'euros dans le sauvetage de Brittany Ferries, alors que l'État n'y mettait que 15 millions. Qu'allez-vous faire structurellement pour le secteur, et en particulier pour Brittany Ferries ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique .  - Cette question relaie les interpellations de députés ou de votre collègue Mme Goulet. La crise sanitaire affecte profondément le tourisme et les transports. Air France a ainsi opéré 10 vols sur 1 000 quotidiens pendant le confinement et Brittany Ferries a dû réduire ses rotations de moitié.

Le maintien de fermeture de certaines frontières et les mesures restrictives ont compromis la reprise du trafic, notamment pour Brittany Ferry du fait de la quatorzaine imposée par les Britanniques. Compagnies d'autocars, croisiéristes souffrent également.

Nous accompagnons les acteurs touchés par la crise par des aides financières ; mesures de droit commun puis élargissement de l'accès au plan tourisme au transport routier, aides à Brittany Ferries, harmonisation des politiques de tests et des règles sanitaires au niveau européen ; enfin le CIT du 12 octobre a renforcé le Fonds de solidarité, étendu le prêt garanti par l'État, ainsi que le chômage partiel. Nous sommes aux côtés de ces secteurs. (M. François Patriat applaudit.)

Mme Catherine Morin-Desailly.  - Les parlementaires bretons et normands restent très mobilisés pour Brittany Ferries. Les sommes du plan de relance sont insuffisantes.

Situation du Haut-Karabakh (II)

Mme Valérie Boyer .  - Voici dix-sept jours que nous assistons en spectateurs à des bombardements sans pitié contre le Haut-Karabakh par un régime qui s'enfonce dans la dictature, celui d'Ilham Aliyev. Voici trente ans que les populations de l'Artsakh luttent contre la dictature d'Aliyev et de son complice le dictateur d'Ankara, qui marchande les migrants, massacre les Kurdes que nous avons abandonnés, occupe Chypre, cherche à déstabiliser la Libye et la Syrie, et souffre d'amnésie dès que l'on mentionne le génocide des Arméniens.

Ce régime va jusqu'à envoyer des djihadistes pour tuer des Arméniens. Il veut poursuivre le génocide culturel et ethnique.

Rester neutre, c'est soutenir l'agresseur. La France ne peut abandonner sa soeur, l'Arménie. Ce serait nous renier. Il faut agir : sanctionner véritablement la Turquie et l'Azerbaïdjan, rappeler nos ambassadeurs à Ankara et Bakou, dire à la Turquie qu'elle n'a plus sa place dans l'OTAN. Il faut une intervention des forces internationales au sol et une reconnaissance de l'État indépendant d'Artsakh. Un nouveau génocide se met en place. Il faut agir. On ne pourra pas dire qu'on ne savait pas. (Applaudissements sur les travées Les Républicains)

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Les provocations de la Turquie sont un facteur de déstabilisation de l'ensemble de la région. Au Haut-Karabakh, la Turquie a été la seule à ne pas appeler au cessez-le-feu. Son déploiement de mercenaires syriens internationalise le conflit. Nous devons demander des explications, mais aussi agir comme membre co-président du groupe de Minsk pour mettre fin au conflit. Il faut utiliser tous les moyens, et pour cela, respecter notre signature - ne pas revenir sur nos engagements de 1994.

Sinon, la Turquie pourrait remettre en question l'impartialité de ce groupe et s'insérer dans le règlement diplomatique d'un conflit dont elle est partie prenante. Nous ne voulons pas de cette logique. (M. François Patriat applaudit.)

Mme Valérie Boyer.  - Cela ne fonctionne pas !

Moyens supplémentaires pour la santé

Mme Corinne Féret .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) À la veille de la journée nationale de la santé, je souhaite relayer le découragement et la colère des soignants, dans les hôpitaux publics mais aussi les établissements médico-sociaux.

Vous avez annoncé l'ouverture de 12 000 lits de réanimation mais sans évoquer les moyens humains ; le renoncement aux congés imposé au personnel ne motive pas celui-ci, alors que les métiers de l'hôpital public sont déjà peu attractifs.

Par ailleurs, le Ségur de la santé a exclu des revalorisations salariales quelque 40 000 agents de la fonction publique hospitalière, privés du bonus de 183 euros. Cela nourrit un sentiment d'injustice.

Comment allez-vous répondre aux inquiétudes de ces professionnels épuisés et inquiets ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)

M. Gabriel Attal, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement .  - Veuillez excuser M. Véran, qui a dû s'absenter.

Le Ségur constitue un progrès majeur pour le personnel hospitalier. Nous ne pouvons nier qu'une augmentation nette de 200 euros améliore l'attractivité. La création de 15 000 postes, le financement de 4 000 lits supplémentaires sont également des progrès. Par le passé, nous en aurions rêvé ! (Murmures indignés sur diverses travées)

La crise a permis au Gouvernement et aux responsables politiques d'ouvrir plus encore les yeux sur la nécessité de progresser plus vite que le plan Ma Santé 2022 ne le prévoyait.

Nous n'avons pas connu un tel progrès depuis des années et il peut donner à l'hôpital public des raisons d'espérer. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP)

Mme Corinne Féret.  - Entendez-vous les alertes et l'inquiétude des professionnels de santé face à la deuxième vague et le manque de moyens humains sur l'ensemble du territoire ?

Nous attendons le Gouvernement sur les moyens supplémentaires qui seront accordés dans le cadre du PLFSS. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)

Occupation illicite de terrains par des gens du voyage

M. Cyril Pellevat .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ma proposition de loi sur les gens du voyage a été adoptée en 2018 ; elle n'a hélas pas suffi.

Je suis fréquemment contacté par des élus désespérés, qui ne peuvent lutter contre les installations illicites des gens du voyage - lesquelles sont souvent accompagnées d'incivilités. La situation n'est plus tenable pour eux, pas plus que pour les agriculteurs et les chefs d'entreprise touchés.

L'État a des devoirs envers cette communauté, mais celle-ci en a aussi : notamment de participer au vivre-ensemble.

Le Gouvernement dispose de plusieurs leviers pour améliorer la situation. D'abord, évaluer l'application de la loi de 2018, pour la renforcer par un texte complémentaire. La réactivité des services de l'État étant très variable, une circulaire aux préfets serait bienvenue pour renforcer leur réactivité en cas d'occupation illégale.

Plusieurs dispositions jugées trop répressives avaient été supprimées à l'Assemblée nationale.

M. le président.  - Posez votre question.

M. Cyril Pellevat.  - Comment fera le Gouvernement pour accompagner les élus ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Loïc Hervé.  - Très bien.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté .  - Je réponds au nom du ministre Darmanin.

Le terme de « gens du voyage » regroupe des populations diverses dont le mode de vie se caractérise par la mobilité. Un tiers est nomade, un tiers semi-nomade et un tiers sédentaire.

Votre loi de 2018 a marqué des avancées fortes : information préalable du préfet trois mois avant l'arrivée de groupes de 150 caravanes ; assouplissement des conditions de saisine du préfet pour procéder aux expulsions ; le maire peut également interdire le stationnement en dehors des aires aménagées. Les sanctions pénales ont été renforcées.

M. Bruno Retailleau.  - Merci ! Nous connaissons cette loi !

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée.  - Les préfectures font déjà un bilan annuel des grands passages estivaux. L'État apporte un concours financier aux communes via la dotation globale de fonctionnement (DGF). (On s'indigne à droite.)

Avec le garde des Sceaux, nous allons donner suite à votre proposition de circulaire, afin de mieux faire appliquer les décisions de justice.

Annulation des stages au collège

Mme Laure Darcos .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les collégiens des classes de troisième doivent effectuer un stage de découverte en entreprise au cours de l'année scolaire, pour découvrir le monde du travail et préparer leur orientation.

La crise a un effet catastrophique sur les entreprises qui, en lutte pour leur survie, n'ont guère le temps de se pencher sur ces demandes de stages.

Il faut comprendre l'inquiétude de parents dont les enfants ne trouvent pas de stage, faute d'être pistonnés... Les dossiers de convention de stage sont actuellement distribués. Après les prochaines vacances il sera trop tard pour revenir en arrière.

C'est pourquoi avec mes collègues nous vous avons adressé une lettre ouverte hier. Nous vous demandons d'annuler pour cette année l'obligation de stage. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

Mme Marie Mercier.  - Très bien.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports .  - On mesure l'importance de ce stage dans la scolarité. Nous y tenons tous. Tout le monde a pris l'habitude de voir arriver ces jeunes élèves pour une première expérience du monde du travail.

J'ai bien reçu votre lettre et je partage votre diagnostic. Il n'est pas facile pour les entreprises de répondre aux demandes. Avec Julien Denormandie, j'avais créé le site monstagedetroisième.fr qui a permis de proposer 30 000 stages à des jeunes dont les familles n'ont pas de réseau de relations.

Nous continuerons à être volontaristes pour aider les collégiens à trouver un stage. Nous ferons preuve de pragmatisme : je répondrai très prochainement positivement à votre demande. Les élèves de troisième qui n'auront pas trouvé de stage bénéficieront de modules renforcés sur le monde du travail avec des vidéos. Cette crise sera une opportunité pour améliorer l'information sur les métiers.

Mme Laure Darcos.  - Je vous remercie ; je suis très touchée et heureuse pour les nombreuses familles qui s'inquiètent sur ce point - leur réaction à notre proposition de lettre ouverte en témoigne. Nous attendons les palliatifs que vous proposerez aux lycéens, notamment de la voie professionnelle et aux apprentis. Peut-être pourront-ils, exceptionnellement, faire leur stage l'an prochain, en classe de seconde ?

Modification de l'ordre du jour

M. le président.  - Par lettre en date de ce jour, le Gouvernement retire de l'ordre du jour du Sénat le projet de loi prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l'état d'urgence sanitaire.

Il demande en conséquence que l'ordre du jour de cet après-midi reprenne pour l'examen du projet de loi relatif à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure et du projet de loi organique relatif au Conseil économique social et environnemental, et que l'examen de ce dernier se poursuive ce soir et, éventuellement, demain matin.

Acte est donné de cette modification.

J'invite tous les présidents de groupe à bien vouloir me rejoindre au Cabinet de départ afin d'évoquer la suite de l'organisation de nos travaux.

Je vais suspendre la séance. Elle sera reprise à 17 h 15 pour l'examen du projet de loi relatif à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure.

La séance est suspendue. J'invite les présidents de groupe à me rejoindre pour évoquer la suite de l'ordre du jour.

Rappel au Règlement

M. Bruno Retailleau .  - Hier soir encore, nous avons poursuivi notre séance assez tard pour examiner un texte que le Gouvernement retire soudainement et brutalement de l'ordre du jour. Cela illustre le pilotage à vue du Gouvernement sur la crise sanitaire ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, SER, GEST, CRCE et sur plusieurs travées des groupes UC et RDSE)

La séance est suspendue à 16 h 30.

présidence de M. Pierre Laurent, vice-président

La séance reprend à 17 h 15.

Commission spéciale (Nominations)

M. le président.  - J'informe le Sénat qu'une candidature pour siéger au sein de la commission spéciale sur le projet de loi relatif à la bioéthique a été publiée.

Cette candidature sera ratifiée si la Présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre Règlement.

Modification de l'ordre du jour

M. le président.  - Par lettre en date de ce jour, le Gouvernement a demandé l'inscription à l'ordre du jour du jeudi 5 novembre, à 9 h 30, de 45 questions orales. En conséquence, les séances de questions orales des mardis 20 octobre et 3 novembre sont retirées de l'ordre du jour.

Rappel au Règlement

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois .  - Nous venons d'apprendre, lors de la séance de questions d'actualité au Gouvernement, que le projet de loi prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l'état d'urgence sanitaire a été retiré de l'ordre du jour. Nous en avons été avertis sans explication, ni de forme ni de fond.

Nous avons travaillé tard hier soir pour ne pas dire tôt ce matin, il ne restait à examiner qu'une petite vingtaine d'amendements, et nous voilà, hélas, privés de débat. Quelles sont les raisons de ce retrait ?

M. le président.  - Acte vous est donné de votre rappel au Règlement.

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur.  - Je transmettrai votre question au ministre des Relations avec le Parlement et au Premier ministre.

Code de la sécurité intérieure (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure.

Discussion générale

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur .  - Cher François-Noël Buffet, permettez-moi de vous féliciter d'abord pour votre élection à la présidence de la commission des lois. Au-delà de nos différences, je forme le voeu que nous puissions travailler ensemble de manière constructive.

Je salue également votre rapporteur, cher Marc-Philippe Daubresse. Il y a trois ans, le Sénat adoptait la loi renforçant la Sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT). Il s'agissait de sortir de l'état d'urgence qui n'avait pas de vocation permanente tout en maintenant un niveau de sécurité extrêmement exigeant, à la hauteur de la menace.

Avec des outils nouveaux et adaptés, la loi SILT avait trouvé un équilibre entre l'efficacité de la lutte anti-terrorisme et la préservation des libertés.

Nous sommes tous conscients du danger. L'attaque du 25 septembre dernier devant les anciens locaux de Charlie Hebdo en témoigne. Depuis le début de l'année, quatre attaques ont eu lieu : le 3 janvier à Villejuif, le 4 avril à Romans-sur-Isère, le 27 avril à Colombes et le 25 septembre à Paris. Vingt personnes ont été tuées lors de onze attentats depuis 2017. Ayons une pensée pour les victimes et leurs familles. J'ajoute que, depuis 2017, 32 attentats ont été déjoués. Je salue le travail quotidien de nos services de renseignement, en particulier de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), de nos policiers, de nos gendarmes, engagés pour faire échec à ces projets meurtriers, parfois au péril de leur vie. La loi SILT leur a permis de travailler, après la fin de l'état d'urgence, dans un cadre efficace, validé par le Conseil constitutionnel.

L'autorité administrative s'est vue reconnaître des compétences nouvelles, toujours sous le contrôle du juge : périmètres de protection, fermeture de lieux de culte où est faite l'apologie du terrorisme, édiction de mesures individuelles de contrôle administratif (Micas), visites domiciliaires.

L'étude d'impact comprend un premier bilan de l'application de ces mesures : sept lieux de culte ont été fermés, 553 périmètres de protection ont été établis, 334 Micas ont été prononcées dont 60 toujours actives, et 175 visites domiciliaires ont été effectuées. Ces mesures sont toujours ciblées et proportionnées, sous le contrôle du juge.

Conformément à l'article 22-10-1 du code de la sécurité intérieure, le Parlement a été informé sans délai de leur mise en oeuvre et la délégation parlementaire au renseignement est destinataire d'un rapport annuel classifié « secret défense ».

Le Gouvernement a fait un usage raisonné de la technique dite de l'algorithme. Trois systèmes d'information de traitement automatisé ont été mis en place, après avis favorable de la Commission nationale de contrôle technique et de renseignement (CNCTR).

Je suis convaincu de la nécessité de ces algorithmes. Ces systèmes sont régulièrement évalués. Ils ont démontré toute leur pertinence dans la lutte contre le terrorisme.

La mission de contrôle du Sénat a montré que la loi SILT avait été mise en oeuvre de façon équilibrée ; elle a souligné le consensus des acteurs judiciaires comme administratifs sur l'efficacité et l'utilité de ces mesures dans un contexte de menace extrêmement élevée, alors que le terrorisme peut frapper à tout moment, partout sur le territoire national.

C'est pourquoi la mission sénatoriale a plaidé pour une pérennisation de ces mesures. Vous avez logiquement repris ses conclusions, au nom de la commission des lois. La discussion des amendements fera apparaître quelques différences d'appréciation.

Le Gouvernement a rendu compte au Parlement de ses actions de police administrative dans deux rapports annuels et dans celui du 30 juin sur les algorithmes.

Un projet de loi devait être soumis au Parlement avant l'été dernier, soit avant la crise sanitaire.

Les services de renseignement, le ministère de l'Intérieur, le ministère des Armées y étaient prêts. Mais les débats n'ont pas pu se tenir pour cause de crise sanitaire.

Ces sujets, qui touchent aux libertés fondamentales, méritent d'être discutés avec sérénité en se donnant le temps nécessaire. Le Gouvernement a donc décidé de repousser le débat d'un an et juge la pérennisation prématurée.

En outre, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a rendu le 6 octobre une décision sur le régime de conservation des données par les opérateurs de télécommunications, dont il faudra tirer les conséquences dans la loi. C'est pourquoi le Gouvernement propose de prolonger l'expérimentation jusqu'au 31 décembre 2021, plus loin que le 31 juillet retenu par l'Assemblée nationale. Cela permet aux services de renseignement de continuer à travailler comme avant, avec des outils qu'ils estiment nécessaires.

La lutte contre le terrorisme est une priorité du Gouvernement. Avec le soutien du Sénat, nous avons augmenté les moyens des services spéciaux. Depuis l'élection du président de la République, 1 000 postes supplémentaires ont été créés dans les services de renseignement. Les crédits augmentent de façon inédite : ceux de la DGSI ont doublé entre 2015 et aujourd'hui.

La lutte contre le terrorisme est une mobilisation totale, un combat sans relâche. Nous ne renoncerons jamais à traquer ces ennemis de la République qui attaquent notre mode de vie et nos valeurs : la laïcité, la liberté d'expression, la liberté de culte et de conscience, l'égalité entre les femmes et les hommes.

Ce projet de loi doit continuer à faire vivre l'équilibre de la loi SILT. C'est par souci d'efficacité mais aussi pour respecter le débat parlementaire que nous souhaitons reporter la discussion à l'été prochain, afin notamment de tirer les conséquences de la décision regrettable de la CJUE.

Je remercie la commission des lois, la délégation parlementaire au renseignement et la mission d'information sur la loi sur le renseignement pour la qualité du travail mené avec mes prédécesseurs et moi-même. Je souhaite poursuivre avec vous ce travail républicain, pour la protection de notre sol, de nos habitants, de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur plusieurs travées du groupe UC)

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur de la commission des lois .  - La France est confrontée depuis plusieurs années à une menace terroriste élevée, durable, concrétisée par des attentats spectaculaires qui ont fait de nombreuses victimes. Le dernier exemple est l'attentat contre les anciens locaux de Charlie Hebdo.

De nombreux attentats ont pu être déjoués et je m'associe à la gratitude du ministre vis-à-vis des forces de sécurité. Je suis moi-même fils d'un policier spécialisé dans le renseignement et je sais l'abnégation qu'exige l'exercice de ce métier.

Ce n'est pas le moment de baisser la garde. La préoccupation du terrorisme reste prégnante chez nos concitoyens, malgré la crise sanitaire, et le Gouvernement doit y répondre.

Face à cette menace, nous nous sommes dotés d'un arsenal législatif renforcé grâce à la loi dite SILT. Les outils, autorisés à titre expérimental, ont fait leurs preuves. C'est le cas des périmètres de protection, des fermetures de lieux de culte, des Micas et des visites domiciliaires qui se sont substituées aux perquisitions.

Ces quatre mesures temporaires arrivent à échéance le 31 décembre, date connue depuis longtemps.

Nous les avons évaluées, avec vos services, et avons réfléchi à leur pérennisation. L'expérimentation de la technique dite de l'algorithme arrivera à échéance à la même date. Elle a suscité beaucoup de craintes lors de son adoption. Le débat aurait dû intervenir courant 2020 ; nous y étions prêts, après deux rapports d'évaluation. Le Gouvernement a estimé que la crise sanitaire empêchait la tenue d'un débat serein sur ce sujet. Ce n'est pas notre avis.

Ce projet de loi prévoit donc une prorogation sèche de ces mesures jusqu'au 31 décembre 2021.

L'Assemblée nationale a ramené la date au 31 juillet 2021, ce qui obligerait le Parlement à légiférer à nouveau avant l'été.

La commission des lois souscrit au maintien des différents outils - face à la menace, cela me semble indispensable, même s'ils ne font pas l'unanimité.

La commission des lois a adopté sans modification l'article 2 sur la technique de l'algorithme. Sa prolongation apparaît justifiée au regard des premiers résultats encourageants.

Il faut, bien sûr, trouver le bon équilibre s'agissant de la préservation des libertés. Les trois algorithmes développés ont permis d'identifier des personnes jusqu'alors inconnues des services, mais la technique est encore en phase de développement et la décision de la Cour de justice est une épée de Damoclès. Sur ce point, reporter la discussion à la loi sur le renseignement parait sage.

En revanche, nous n'avons pas suivi le Gouvernement et les députés sur le report de la pérennisation des mesures de la loi SILT. Ces mesures ont fait l'objet d'un important travail d'évaluation. Nous avons déposé une proposition de loi très explicite connue depuis longtemps, qui permettrait de travailler sereinement avec le Gouvernement.

Après deux ans d'évaluation, j'ai dressé un bilan très positif de ces techniques. En réécrivant l'article premier, nous ne portons nullement une atteinte disproportionnée aux droits et libertés. Le Conseil constitutionnel a d'ores et déjà validé de nombreux dispositifs.

La commission des lois a apporté des évolutions assez consensuelles, visant à une meilleure efficacité : étendre le champ de la mesure de fermeture administrative des lieux de culte aux lieux connexes - librairies, salles de sport, centres de loisirs - qui sont des lieux de prosélytisme ; renforcer l'information de l'autorité judiciaire sur les Micas, pour une meilleure articulation avec les mesures de contrôle judiciaire ; élargir les possibilités de saisie informatique lors des visites domiciliaires. Il ne faut pas reporter la mise en oeuvre de ces mesures consensuelles, qui répondent à de vrais besoins.

Enfin, je veux manifester mon inquiétude sur la sortie de détention des condamnés pour terrorisme. Dès février, nous avons proposé des mesures de sûreté. Le Conseil constitutionnel qui a censuré en août leur traduction législative n'a pas totalement fermé la porte. Un nouveau texte est envisageable. Il y a là une faille à combler.

Face au défi du terrorisme, nous devons doter nos services des outils nécessaires. Le Sénat a toujours fait preuve de responsabilité, dans le strict respect des libertés individuelles.

Je vous invite à adopter le texte tel qu'amendé par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Christian Cambon, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées .  - La commission des affaires étrangères s'est saisie pour avis de l'article 2 relatif à la technique de l'algorithme. Je porte aussi la position de la délégation parlementaire au renseignement.

Nous nous souvenons de nos débats nourris en 2015 lors de l'adoption du dispositif expérimental ; il ne s'agit pas de les rouvrir. Nous recherchons toujours l'équilibre entre efficacité de la lutte contre le terrorisme et préservation des libertés publiques. Il est atteint en l'espèce, compte tenu des garanties apportées en 2015 : l'objet du dispositif doit être ciblé sur des impératifs de lutte contre le terrorisme. Il est contrôlé par la CNCTR dont quatre des neuf membres sont des parlementaires - je rends hommage au remarquable travail de notre ancien collègue Michel Boutant dans ce cadre. L'algorithme ne traite que des données de connexion, non de contenu. Enfin, les résultats sont anonymisés sauf dérogation accordée par le Premier ministre qui statue après avis de la CNCTR.

Au vu des craintes soulevées, la réalité se révèle très modeste. L'enjeu opérationnel des trois algorithmes est de restreindre les résultats aux éléments pertinents et utilisables, loin du contrôle de masse indiscriminé que redoutaient certains.

La technique est encore récente ; la question se pose désormais de sa pérennisation et d'éventuels développements futurs. Nous en débattrons lors du projet de loi sur le renseignement.

Notre commission a émis un avis favorable à ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

CMP (Nominations)

M. le président.  - J'informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de l'éventuelle commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de ce projet de loi ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la Présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre Règlement.

Discussion générale (Suite)

M. Alain Richard .  - Je n'ajoute rien aux propos du ministre et du rapporteur sur la menace terroriste et la nécessaire vigilance.

Le projet de loi apporte une mise à jour de portée limitée des mesures de la loi SILT, ainsi que de la prolongation de la technique des algorithmes de tri de données pour une durée d'un an, dans l'attente d'un projet de loi plus précis, dont la crise sanitaire a différé la préparation.

Les divergences entre la commission des lois et le Gouvernement me paraissent surmontables. Il importe d'adapter la procédure aux quatre mesures de la loi SILT dans le code de sécurité intérieure, notamment en précisant la notion de lieu de culte, ce qui n'est pas si facile, les conditions d'intervention du juge des libertés et de la détention sur les délais et les facilités d'approche, ainsi que les critères et le cadre de fonctionnement des algorithmes. Ce dernier point est rendu plus difficile par la récente décision de la CJUE, qui ne permet pas d'imposer aux opérateurs télécom la conservation de données. Le Conseil d'État aura à appliquer les termes de cet arrêt à la législation française.

Cette décision ne prive cependant pas complétement l'État d'une utilisation de ces algorithmes. Nous ne pouvons rester sur l'échec collectif de la censure du texte relatif aux mesures de sûreté applicables aux terroristes sortant de prison ; alors que le Conseil constitutionnel laisse la possibilité de définir des mesures de sûreté, certes plus restreintes.

Notre groupe soutient l'option du Gouvernement : simple prorogation, suivie d'un texte en 2021 pour stabiliser la législation, mais les positions sont proches. En matière de lutte contre le terrorisme, il y a toujours eu un accord entre le Gouvernement et le Sénat. Nul doute que la CMP saura aboutir à un texte opérationnel et respectueux des libertés.

M. Jean-Claude Requier .  - Le projet de loi vise à proroger jusqu'au 31 juillet 2021 plusieurs mesures et une expérimentation de la technique des algorithmes. Nous comprenons la nécessité de les sécuriser juridiquement au-delà du 31 décembre 2020, mais cela ne vaut pas blanc-seing. Le Parlement doit pouvoir exercer sa mission de contrôle du Gouvernement et se prononcer sur les mesures privatives de liberté. Le Défenseur des droits l'a rappelé, un équilibre doit être préservé entre l'exigence de sécurité et la protection des droits et libertés, entre rôle de l'autorité administrative et de l'autorité judiciaire.

Les conditions d'exercice des libertés fondamentales demandent un débat approfondi. Les textes d'exception ne doivent pas devenir une habitude : nous avons besoin d'une stabilisation législative en matière de sécurité intérieure et de renseignement, sans céder à l'angélisme.

La commission des lois a renforcé plusieurs mesures, notamment s'agissant des fermetures administratives des lieux de culte, de la saisie de matériel informatique ou d'information de l'autorité judiciaire. Ces évolutions nous semblent utiles.

Nous sommes plus dubitatifs sur la technique de l'algorithme, tout en prenant acte de la position de la commission des affaires étrangères et de la défense. Nous plaidons pour un renforcement du contrôle parlementaire sur ces techniques de surveillance qui font appel à l'intelligence artificielle, dans un environnement mouvant. La commission des lois pourrait s'en saisir, dans la perspective de la loi Renseignement.

Le groupe RDSE, par esprit républicain plus que par conviction, votera ce texte.

Mme Éliane Assassi .  - Ce projet de loi s'inscrit dans la lignée des dispositifs reconduits pour cause de Covid.

Les quatre premiers articles de la loi SILT arrivent à échéance au 31 décembre. Sous prétexte de crise sanitaire, le Gouvernement souhaite les proroger d'une année. La commission des lois a préféré les pérenniser d'emblée, sans évaluation, alors que ces dispositifs font l'objet de nombreuses critiques. Or le Conseil national des barreaux les considère très intrusifs, s'apparentant à des assignations à résidence et à des perquisitions contrôlées par l'administration, contournant la procédure judiciaire et les droits de la défense.

Ce sont les mêmes mesures liberticides que celles de l'état d'urgence sanitaire, qui ouvrent la voie à des discriminations, d'autant qu'elles sont fondées sur des informations confidentielles.

L'état d'urgence n'a pas fait la preuve de son efficacité pour prévenir les actes de terrorisme mais a donné lieu à des dérives. L'assignation à résidence a ainsi été utilisée contre des militants écologistes !

Les mesures dérogatoires ne sont plus utiles, n'en déplaisent au ministre ou au rapporteur. Notre droit pénal et nos services de renseignement, dont il faudrait renforcer les moyens, sont suffisants. Amnesty international a d'ailleurs dénoncé de possibles dérives, et plusieurs États se sont inquiétés, à la tribune des Nations unies, du manque de respect des droits humains dans le cadre de la lutte contre le terrorisme en France.

L'article 2 proroge l'expérimentation de la technique des algorithmes qui apparaît peu utile au regard de ses résultats : elle aurait permis de détecter une petite dizaine de profils à faible risque... Dans son arrêt du 21 décembre 2016, la CJUE considère un tel dispositif comme une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux.

Nous dénoncions déjà en 2017 la banalisation des mesures d'urgence et les atteintes aux libertés fondamentales et à l'état de droit. Aucune évaluation des mesures de la loi SILT n'a été menée, malgré la censure du Conseil constitutionnel. Ni sa proportionnalité ni son efficacité n'ont été démontrées.

La vraie réponse, c'est de donner plus de moyens à la justice et aux services de renseignement ; les fonctionnaires de terrain en témoignent, ce ne sont pas les textes qui manquent mais les financements.

Nous voterons contre ce projet de loi. (Applaudissements à gauche)

M. Philippe Bonnecarrère .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Notre groupe est à l'aise sur ce texte et sur les conclusions de la commission des lois. La menace terroriste est toujours là, comme l'a rappelé le ministre : 11 attaques depuis 2017 et 20 morts, pour 32 attaques déjouées.

Nous avons pu travailler en amont sur ces sujets car la loi SILT prévoyait un suivi régulier des mesures par le Parlement mises en oeuvre. Une mission de contrôle a été mise en place sous l'égide de Marc-Philippe Daubresse. C'est une bonne méthode de travail.

Une pérennisation des quatre mesures nous apparaît souhaitable. Leur utilisation est d'ailleurs raisonnable : 330 mesures Micas depuis 2017, mais la plupart ont été prises dans la foulée de la loi et seules 60 restent en vigueur. Ces mesures, approuvées par le Conseil constitutionnel, sont très contrôlées juridiquement. L'extension de certaines nous semble également utile pour renforcer leur efficacité - je pense aux lieux connexes des lieux de culte ou à la saisie de matériel informatique lors des visites domiciliaires.

Le Gouvernement souhaite prolonger l'expérience jusqu'au 31 décembre 2021. Je préfère la logique de la commission des lois qui consiste à consolider le droit après trois ans d'expérience et un bilan robuste. Une année de plus n'y changera rien. En outre, la pérennisation permet d'éviter de prolonger des mesures d'exception, notre commission ayant une préférence marquée pour le droit commun. Enfin, la sérénité du débat public risque d'être mise à mal par une discussion à l'automne 2021, la proximité d'une élection majeure pouvant favoriser une instrumentalisation du sujet.

Nous sommes favorables à la prolongation de l'expérimentation de l'algorithme. Le rapport d'évaluation est très technique. Les choses ne sont pas stabilisées juridiquement, et les conséquences de l'arrêt de la CJUE sur l'extension des données nécessitent que les travaux soient poursuivis.

Le groupe UC est attaché aux libertés publiques. Mais en matière de terrorisme, les atteintes sont désormais bien encadrées. La CMP permettra de lever les dernières difficultés.

M. Jean-Yves Leconte .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) 2015, 2016 : nous avons vécu ces années dans la douleur, dans nos coeurs, mais dans la colère aussi. La France n'a pas été seule touchée ces années-là. Nous avons tous été stupéfaits par cette violence et cette haine. La victoire du terrorisme serait que nous renoncions à notre liberté pour notre sécurité, que nous renoncions à être Charlie, à être nous-mêmes.

Le groupe socialiste écologiste et républicain est fier de l'action de François Hollande et Bernard Cazeneuve, qui n'ont jamais dévié de la ligne de fermeté républicaine dans le respect de l'État de droit. Je rends hommage à ceux qui se sont engagés dans la lutte anti-terroriste : renseignement, armées, justice.

En 2015, avec la création de la CNCTR, nous avons encadré l'action des services de renseignement et nous avons prévu des expérimentations pour l'utilisation d'algorithmes pour les données de connexion.

En 2016, l'inscription de l'état d'urgence dans la Constitution, mal introduit, n'a malheureusement pu prospérer.

Les lois dites SILT ont été adoptées en 2017 à la sortie de l'état d'urgence. En réalité, nous avons changé de vocabulaire : visites domiciliaires pour perquisition, « Micas » pour assignation à résidence.

À l'époque, la commission des lois du Sénat, à l'initiative de son président Philippe Bas, avait voulu la mise en oeuvre expérimentale de ces mesures pour trois ans : le Gouvernement demande maintenant une prorogation de sept mois, pour les mesures SILT comme pour les algorithmes.

Faute d'avoir pu en débattre cette année, et en raison de la covid et de la nouveauté que constitue la décision de la CJUE sur la conservation des données de connexion, nous n'avons pu examiner une loi de plus grande ampleur.

Il aurait été plus raisonnable d'en rester au texte du Gouvernement. La commission se contredit quelque peu : il y a trois ans, le Sénat a renforcé le contrôle parlementaire et a prévu l'extinction du dispositif au bout de trois ans ; désormais, il propose une pérennisation, se privant de ce contrôle. Et quand on propose une simplification de la saisine de la CNCTR et du contrôle des données, la commission n'en veut pas...

Les mesures sur les Micas sont plus fortes que celles que le Conseil constitutionnel a censurées.

Le groupe socialiste écologiste et républicain votera donc la suppression de l'article premier et proposera de renforcer la motivation de mise en oeuvre des visites domiciliaires.

Nous défendrons aussi un renforcement de contrôle de la CNCTR, comme plusieurs de ses rapports d'activité le proposent.

L'article 2 nous pose moins de problèmes et nous pourrions accepter une pérennisation des mesures de l'article premier si un contrôle parlementaire pointilleux était garanti.

Mais nous n'aurons sans doute pas gain de cause, ce qui nous contraindra à voter contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Alain Marc .  - Le niveau de la menace n'a pas faibli depuis 2015. Le danger islamiste est toujours présent. La plus grande vigilance reste donc de mise. Les islamistes avancent dans nos quartiers, avec des attentats terroristes à bas bruit. La menace persiste : l'attaque devant les anciens locaux de Charlie Hebdo il y a quelques jours est la quatrième de ce genre depuis janvier.

D'ici la fin de l'année, 45 individus condamnés pour faits de terrorisme seront libérés. Il en reste 5 050 dans les geôles françaises.

Le Gouvernement nous demande de proroger quatre dispositions de la loi SILT, ainsi que la technique de l'algorithme consistant à analyser des flux de données pour détecter une menace terroriste. La technique, très encadrée, a été autorisée à titre expérimental, d'abord jusqu'en 2018 puis jusqu'au 31 décembre 2020.

L'État a besoin de ces outils, d'où sa demande de prorogation : les articles premier et 2 procèdent respectivement à la prorogation des dispositions de la loi SILT et de l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure relatif à l'algorithme. L'article 3 rend cette prorogation applicable dans certaines collectivités d'outre-mer.

Initialement fixée à un an, la durée de ces prorogations a été ramenée à sept mois par l'Assemblée nationale, afin de ne pas retarder la tenue d'un débat de fond sur les mesures concernées.

Je me félicite que la commission des lois ait pérennisé ces mesures plutôt que de prolonger les dispositions de la loi SILT dont l'efficacité est prouvée. Le débat sur l'algorithme mérite d'avoir lieu lors de l'examen du projet de loi sur le renseignement.

Je veux rendre hommage aux services de renseignement, aux policiers, aux gendarmes qui font chaque jour un travail exceptionnel pour identifier les menaces, suivre les individus dangereux et faire échouer leurs projets meurtriers.

Notre groupe votera ce texte modifié par la commission.

Mme Esther Benbassa .  - Notre tâche n'est pas aisée : trouver un précaire équilibre entre les libertés et la sécurité de nos concitoyens.

Ce projet de loi n'y parvient pas. En 2017, la loi SILT incorporait des mesures de l'état d'urgence dans le droit commun : des dispositions d'exception étaient ainsi banalisées.

Le législateur d'alors leur avait donné un caractère temporaire. L'échéance arrivant, l'exécutif, plutôt qu'engager un débat sérieux, demande une simple prorogation au prétexte de la crise sanitaire.

La loi SILT laisse la police administrative définir des périmètres de protection, fermer des lieux de cultes, prendre des mesures individuelles de surveillance, effectuer des visites domiciliaires.

L'article 2 proroge l'utilisation des algorithmes introduite en 2015 et prorogée en 2017, pour détecter les menaces terroristes sur les réseaux internet et de téléphonie mobile.

La commission des lois n'a hélas pas voulu améliorer ce texte, proposant d'intégrer l'article premier, qui fait la part belle au soupçon et à l'arbitraire, à la dénonciation, à la stigmatisation, au détriment du contrôle du juge judiciaire. Pour quelle efficacité ? Les algorithmes ont permis en 2017 et 2018 d'identifier moins de dix personnes à risques, sans danger immédiat ou sérieux pour la sécurité nationale. Sans amélioration drastique du dispositif, qualifié par le rapporteur lui-même de « trop peu sophistiqué », il n'est pas pertinent de continuer à investir dans ces moyens d'espionnage numérique.

Personne ne nie ici la menace terroriste qui pèse et plane sur notre nation. Il faut évidemment doter nos services de renseignement de moyens humains, techniques et financiers et tout doit être fait pour assurer la sécurité de nos concitoyens. Mais sans débat sérieux, il ne convient pas de proroger ces mesures.

Le groupe Écologiste-Solidarité et Territoires votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST)

Mme Jacqueline Eustache-Brinio .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Comme le rappelait le garde des Sceaux, les chiffres sont inquiétants : 260 personnes sont actuellement détenues pour condamnation pour une infraction à caractère terroriste en lien avec la menace islamiste ; 252 sont en détention provisoire. En 2020, 31 détenus sortiront de prison après l'exécution de leur peine, 62 en 2021, une cinquantaine en 2022...

Nous faisons face à un phénomène dont il est difficile de prendre la pleine mesure ; pourquoi se borner à proroger des dispositions qui ont prouvé leur efficacité ? Pourquoi attendre un projet de loi ? Le rapporteur l'a préconisé : il faut pérenniser et pas seulement prolonger les quatre dispositions de la loi SILT.

Notre obligation première est d'assurer la sécurité des Français ; sans l'assumer, on aura beau jeu de dire que l'on fait tout pour assurer leur liberté.

Une étude du Centre d'analyse du terrorisme montre que plus de 50 % des djihadistes récidivent.

La lourde censure du Conseil constitutionnel nous oblige au pragmatisme. Sans sécurité, l'exercice de nos libertés fondamentales est-il possible ?

Je remercie notre rapporteur pour la qualité de son travail. Le groupe Les Républicains votera ce texte tel qu'amendé par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Supprimer cet article.

Mme Éliane Assassi.  - Défendu : j'en ai longuement parlé lors de la discussion générale.

M. le président.  - Amendement identique n°3 rectifié, présenté par Mme Benbassa, MM. Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.

Mme Esther Benbassa.  - La loi SILT introduit dans le droit commun quatre mesures administratives liées à l'état d'urgence. Leur prolongation aurait dû faire l'objet d'une évaluation et d'un vrai débat parlementaire ; le Gouvernement en a fait fi. La droite sénatoriale est allée encore plus loin en les pérennisant.

M. le président.  - Amendement identique n°5, présenté par M. Leconte et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

M. Jean-Yves Leconte.  - La loi SILT donne à l'administration des pouvoirs exorbitants qui bafouent les droits de la défense et contournent les prérogatives du juge judiciaire. La lutte contre le terrorisme ne peut se faire à ce prix.

Nous refusons la pérennisation de ces mesures exceptionnelles. Même si le Conseil constitutionnel les a validées dans un cadre provisoire, il nous appartient de juger de l'équilibre entre sécurité et libertés ; cela passe par un contrôle rigoureux du Parlement.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur.  - Avis défavorable à ces amendements qui s'opposent non seulement à la pérennisation mais aussi à la prorogation. La commission a mis en place une mission permanente de contrôle, qui a mené de multiples auditions et s'est déplacée en différents lieux. Il est erroné de dire qu'il n'y a pas de contrôle.

De plus, ces mesures font l'objet d'un consensus des services administratifs et de l'autorité judiciaire. Enfin, il n'y a pas de risque constitutionnel.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Même avis.

Les amendements identiques nos1, 3 rectifié et 5 ne sont pas adoptés.

M. le président.  - Amendement n°13, présenté par le Gouvernement.

Rédiger ainsi cet article :

Au II de l'article 5 de la loi n°2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, l'année : « 2020 » est remplacée par l'année : « 2021 ».

M. Gérald Darmanin, ministre.  - J'en ai déjà longuement parlé. Nous avons une différence avec le rapporteur : nous considérons qu'il faut un débat plus long et construit entre les deux chambres pour pérenniser ces mesures.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur.  - Avis défavorable, sans surprise. En février, nous avons déposé une proposition de loi pour pérenniser ces mesures.

Le Gouvernement ne se prive pas de déposer des amendements devant l'une des assemblées sans que la seconde puisse les examiner.

M. Jean-Yves Leconte.  - Notre position est de refuser la pérennisation ; nous voterons donc cet amendement.

L'amendement n°13 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°8, présenté par M. Leconte et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Alinéa 1

Supprimer cet alinéa.

M. Jean-Yves Leconte.  - L'alinéa que cet amendement supprime annulait le contrôle parlementaire, qui est pourtant essentiel.

M. le président.  - Amendement n°9, présenté par M. Leconte et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Alinéa 2

Supprimer cet alinéa.

M. Jean-Yves Leconte.  - Amendement de coordination.

M. le président.  - Amendement n°6 rectifié, présenté par M. Leconte et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Après l'alinéa 3

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

....  -  Après le sixième alinéa de l'article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure, insérer un alinéa ainsi rédigé : « La mise en oeuvre de ces vérifications ne s'opère qu'en se fondant sur des critères excluant toute discrimination de quelque nature que ce soit entre les personnes. »

M. Jean-Yves Leconte.  - Cet amendement sécurise le cadre légal des périmètres de protection, en inscrivant dans la loi, par souci de lisibilité, la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel.

M. le président.  - Amendement n°7, présenté par M. Leconte et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Après l'alinéa 6

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

....  - L'article L. 229-1 du code de la sécurité intérieure est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Un décret en Conseil d'État établit un référentiel des pièces types permettant de motiver les requêtes des visites domiciliaires et saisies et d'étayer les critères prévus au présent article. »

M. Jean-Yves Leconte.  - Les juges des libertés et de la détention ont fait état des difficultés. Il faut un référentiel transparent, comme la mission de contrôle le propose.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur.  - En cohérence avec notre position précédente, et le dispositif de la loi SILT s'autodétruisant à la fin, nous ne pensons pas que le maintien d'un contrôle parlementaire renforcé soit nécessaire : le rapporteur a en effet pour mission de contrôler l'application de la loi.

Avis défavorable aux amendements nos8 et 9.

Avis favorable à l'amendement n°6 rectifié : nous partageons l'avis de M. Leconte.

Nous sommes d'accord sur le fond de l'amendement n 7 mais pas sur le vecteur privilégié. Après avoir auditionné les services de police, nous pensons que le référentiel visé ne doit pas relever d'un décret en Conseil d'État : il ne faut pas en faire un acte réglementaire. Avis défavorable à l'amendement n°7.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Avis défavorable aux quatre amendements.

L'amendement n°8 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°9.

L'amendement n°6 rectifié est adopté.

L'amendement n°7 n'est pas adopté.

M. Jean-Yves Leconte.  - L'abandon du contrôle parlementaire sur des dispositions importantes et lourdes n'est pas raisonnable. Nous votons donc contre l'article.

L'article premier, modifié, est adopté.

ARTICLE 2

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Supprimer cet article.

M. Fabien Gay.  - La technique de recueil de renseignement algorithmique, que nous dénonçons depuis 2015, n'a formellement fait l'objet que d'une mise en oeuvre relativement limitée, puisqu'à la fin de l'année 2019, trois algorithmes auraient été mis en oeuvre depuis leur légalisation. Selon un rapport confidentiel, les techniques en question n'auraient même jamais permis d'empêcher un seul acte terroriste. Infirmez-vous ou confirmez-vous cette information, monsieur le ministre ?

L'analyse en continu des données par les « boîtes noires » n'aurait permis de détecter qu'une petite dizaine de profils faiblement à risque. Est-ce le cas ? La disproportion entre ces résultats et les moyens mis en oeuvre pour écouter et observer la société tout entière doit nous interroger.

En outre, dans son arrêt du 21 décembre 2016, la CJUE a estimé qu'une telle conservation des données constituait en soi une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux. Cette jurisprudence est l'énième signal du caractère dangereux de cette technique de renseignement intrusive et inefficace qui n'aurait jamais dû être légalisée, même sous forme d'expérimentation.

M. le président.  - Amendement identique n°4 rectifié, présenté par Mme Benbassa, MM. Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.

Mme Esther Benbassa.  - Défendu.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur.  - Avis défavorable à ces deux amendements. Nous souhaitons comme le Gouvernement un débat, et en attendant une prorogation, monsieur Gay, la DGSI m'a indiqué en audition avoir eu des résultats avec cette technique.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Avis défavorable. Nous souhaitons prolonger l'expérimentation de ces techniques en attendant un débat parlementaire serein. Il y a une délégation parlementaire au renseignement ; C'est son travail de juger de l'efficacité de ces techniques. Il existe aujourd'hui trois algorithmes qui font l'objet de jugements différents selon les services, mais ils permettent de lever des doutes ; ils protègent ainsi les libertés individuelles.

L'État serait-il le seul à ne pas avoir le droit d'utiliser les algorithmes ? Les Gafam, dans votre téléphone, le font, et un État souverain, sous contrôle du Parlement et de manière très encadrée, ne le pourrait pas ?

M. Jean-Yves Leconte.  - Lors de l'examen de la loi Renseignement en 2015, j'étais très réservé sur l'usage d'algorithmes. J'ai constaté depuis combien la CNCTR était impliquée dans sa mission de contrôle, grâce aux moyens dont elle dispose. Compte tenu de ce suivi, nous pouvons considérer que l'expérimentation de l'algorithme peut se poursuivre.

Nous ne voterons donc pas les amendements de suppression, mais défendrons des amendements qui améliorent encore le fonctionnement de cette commission.

Les amendements identiques nos2 et 4 rectifié ne sont pas adoptés.

M. le président.  - Amendement n°14, présenté par le Gouvernement.

I.  -  Alinéa 2

Remplacer la date :

31 juillet 2021

par la date :

31 décembre 2021

II.  -  Alinéa 3

Remplacer la date :

31 décembre 2020

par la date :

30 juin 2021

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Défendu.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur.  - Avis favorable.

L'amendement n°14 est adopté.

L'article 2, modifié, est adopté.

ARTICLES ADDITIONNELS

M. le président.  - Amendement n°11, présenté par M. Leconte et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le I de l'article L. 822-2 du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié : 

1° Au 1°, le mot : « trente » est remplacé par le mot : « soixante » ;

2° Au 2°, les mots : « cent vingt » sont remplacés par le mot : « soixante ».

M. Jean-Yves Leconte.  - Cet amendement renforce les moyens de la CNCTR en harmonisant des durées maximales de conservation de données entre les paroles et les images captées à titre privé. La différence entre 30 et 120 jours est totalement aberrante. Nous proposons une durée maximale unique de 60 jours.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur.  - Le Gouvernement s'engage à avoir une réflexion de fond sur la loi relative au renseignement. Cet amendement fait des propositions intéressantes, mais elles doivent prendre place dans ce débat. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Même avis.

L'amendement n°11 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°10, présenté par M. Leconte et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le 2° de l'article L. 833-2 du code de la sécurité intérieure est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« L'accès permanent, complet et direct prévu au premier alinéa du présent 2° s'applique notamment aux traitements intéressant la sûreté de l'État dont la liste est fixée par décret en Conseil d'État, y compris lorsque ces traitements comportent des éléments communiqués par des services étrangers ou par des organismes internationaux ; ».

M. Jean-Yves Leconte.  - Cet amendement donne à la CNCTR un accès permanent, complet et direct aux fichiers de souveraineté, y compris s'ils comprennent des éléments fournis par des services étrangers. Ainsi, nous pouvons espérer que la CNCTR aura les moyens d'exercer sa mission en confiance : il faut agir au plus vite sans repousser le débat. Je ne peux me contenter d'un simple avis défavorable du ministre lorsque je présente un amendement.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur.  - Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Je ne peux pas laisser dire à M. le sénateur que la CNCTR n'aurait pas les moyens de faire son travail. Je m'associe à votre hommage au Premier ministre Cazeneuve, mais ses moyens étaient moindres sous son Gouvernement.

La CNCTR est consultée avant toute autorisation et ses avis ont toujours été suivis par le Gouvernement. Elle dispose de tous les éléments utiles prévus dans la loi.

Lorsqu'elle est saisie par une personne, elle peut contrôler la ou les techniques qui auraient été mises en oeuvre.

Lorsque vous étiez en responsabilité, la majorité sénatoriale suivait le Gouvernement sur ces questions car la situation l'exigeait.

J'ai entendu MM. Cazeneuve, Valls et Fekl affirmer que la France avait raison de continuer à s'armer administrativement contre la menace terroriste, sous le contrôle bien sûr du Parlement et du juge.

En tant que membre du Gouvernement, je crois avoir la liberté de choisir quand et comment présenter mon argumentation.

M. Jean-Yves Leconte.  - Nous avons voté tous vos amendements ! Nous sommes d'accord pour renforcer les moyens de la CNCTR. Elle fait état de données qui ne lui sont pas transmises lorsque des éléments sont fournis par des services étrangers. Une évolution législative est donc nécessaire.

Je comprends que vous ne vouliez pas le faire maintenant et que ce soit compliqué. J'espère qu'on pourra cependant en discuter dans un futur projet de loi, en tenant compte bien sûr de la CJUE.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Nous sommes en désaccord : vous avez indiqué que vous ne voteriez pas le projet de loi du Gouvernement. Je constate que vous changez d'avis selon que vous êtes aux responsabilités ou non.

Cette commission indépendante contrôle déjà ce qu'elle peut contrôler dans le cadre de la loi. Nous respectons ses avis même si nous aimerions parfois aller plus loin pour la protection du territoire. Enfin, je ne me satisfais pas de l'arrêt rendu par la CJUE qui va handicaper les services de renseignement, alors qu'il s'agit d'un sujet de souveraineté.

M. Bonnecarrère l'a dit, son interprétation n'est pas claire - moins en tout cas que ce qu'en a dit la presse. Il désavoue les États dans un acte tout à fait souverain, celui de la protection de leur territoire. Laissons le politique faire son travail qui ne doit pas se borner à appliquer benoîtement une jurisprudence ; il doit aussi pouvoir faire évoluer les lignes au niveau européen.

L'amendement n°10 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°12, présenté par M. Leconte et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le premier alinéa du I de l'article L. 853-3 du code de la sécurité intérieure est complété par une phrase ainsi rédigée : « L'introduction dans un lieu d'habitation à la seule fin de retirer les dispositifs techniques précités ne peut être autorisée qu'après avis rendu par un membre de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. »

M. Jean-Yves Leconte.  - Cet amendement de simplification prévoit que l'avis de la CNCTR ne nécessite pas dans tous les cas une formation collégiale.

Monsieur le ministre, c'est très étrange, vous êtes opposé avec tout ce qui vient du groupe socialiste et donnez l'impression que vous êtes d'accord avec le rapporteur, dont les conclusions sont pourtant très différentes des nôtres.

Nous aurons à tirer les conclusions de l'arrêt de la CJUE. Je le constate. Monsieur le ministre, ne construisez pas des hyperboles ! Notre but est de garantir la confiance des Français dans l'action de nos services de renseignement, afin de faire pièce aux théories bizarres sur la façon dont ils fonctionnent. Il y a quelques éléments à simplifier.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur.  - C'est précisément parce que la CJUE a rendu cet arrêt, parce que les actions antiterroristes de la France en seraient sérieusement entravées, et parce que cette jurisprudence n'est pas automatiquement applicable, qu'il faut un débat de fond lors d'un prochain projet de loi sur le renseignement. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Monsieur Leconte, je vous sens jaloux de ma proximité géographique et amicale avec Marc-Philippe Daubresse, faite de bières flamandes et de waterzoi. (Rires)

Votre point de vue était différent, me semble-t-il, sur ces questions, lorsqu'un gouvernement que vous souteniez était en responsabilité.

Vous invoquez des théories du complot. Je n'accepte pas ces procès, même s'il y a parfois de l'opacité. Les services de renseignement français sont extrêmement contrôlés. Ils ne sont plus aux ordres de l'exécutif, qui lui demandait jadis des écoutes illégales ou d'autres interventions intempestives. Ce temps est révolu, les services agissent pour protéger les Français et la souveraineté nationale.

M. Jean-Yves Leconte.  - Je regrette qu'on n'évoque pas le fond de mes amendements : une simplification, une harmonisation. J'aurais aimé entendre le Gouvernement sur ce point, même si nous devons attendre pour trouver des solutions.

L'amendement n°12 n'est pas adopté.

ARTICLE 3

M. le président.  - Amendement n°15, présenté par le Gouvernement.

Rédiger ainsi cet article :

Les dispositions de la présente loi sont applicables en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie, à Wallis-et-Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises.

M. Gérald Darmanin, ministre.  - Amendement de coordination. Défendu.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur.  - Avis défavorable, par cohérence.

L'amendement n°15 n'est pas adopté.

L'article 3 est adopté.

Le projet de loi, modifié, est adopté.

Avis sur une nomination

M. le président.  - En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution et des lois organiques du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des affaires économiques a émis, lors de sa réunion du 14 octobre 2020, un avis favorable à la nomination de M. Philippe Mauguin à la présidence de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (33 voix pour, aucune voix contre).

La séance est suspendue à 19 h 25.

présidence de M. Georges Patient, vice-président

La séance reprend à 21 h 30.

Conseil économique, social et environnemental (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au Conseil économique, social et environnemental.

Discussion générale

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Comme je l'avais annoncé en juillet, j'ai l'honneur de vous présenter ce projet de loi organique, concrétisation de l'engagement du Président de la République pour raviver le débat démocratique et renforcer la participation citoyenne à l'action publique.

Malgré plusieurs réformes successives élargissant son champ de compétence, le CESE n'a pas encore réussi à trouver la place qu'il mérite. Nous poursuivons trois objectifs afin d'y remédier : renforcer le rôle et la visibilité du CESE, en faire un puissant levier de la démocratie participative et renouer avec sa vocation de représentation des forces vives de la Nation.

Je vais tenter de répondre à certaines de vos inquiétudes. Tout d'abord, le CESE n'est pas une troisième chambre, il n'en a jamais été question ; il ne représente pas les collectivités territoriales, rôle dévolu au Sénat par l'article 24 de la Constitution. Il est une assemblée consultative, destinée à éclairer les pouvoirs publics sur les enjeux économiques, sociaux et environnementaux de notre temps.

Premier objectif : renforcer la fonction consultative et la visibilité du CESE. Il ne rend que 25 à 30 avis par an, dont 80 % sur auto-saisine. Ce projet de loi organique renforce les liens du CESE et des conseils consultatifs locaux ; ces liens sont assez faibles, y compris avec les conseils économiques et sociaux régionaux (Ceser). Il faut fluidifier ces échanges entre l'échelon national et ces organes locaux, afin que le CESE se nourrisse davantage des expériences et connaissances territoriales. C'est l'objet de l'article premier.

Le texte fait aussi du CESE le carrefour des consultations publiques d'où le nouvel l'article 6-1 de l'ordonnance de décembre 1958 qui vous est proposé : sa consultation par l'État dispenserait des autres consultations prévues. Je note que votre commission a supprimé cette mesure, pourtant considérée par le Conseil d'État comme une « mesure de simplification bienvenue ». Nous partageons le constat d'un sous-emploi du CESE, inutilement concurrencé par la multitude d'organismes consultatifs qui existe aujourd'hui.

Votre crainte d'un appauvrissement des études d'impact est infondée. Le CESE rassemble des profils et compétences très divers qui enrichissent ses avis.

Environ la moitié des organes consultatifs ne seraient plus consultés en cas de saisine du CESE, mais le rôle d'instances éminentes comme les comités des finances locales serait préservé. D'où notre amendement de rétablissement de l'article 6 du projet de loi organique dans sa rédaction soumise en première lecture à l'Assemblée nationale.

Deuxième objectif : ajouter une dose de démocratie participative, dans des proportions et un cadre maîtrisés, grâce à deux leviers : le recours aux pétitions et la participation des citoyens tirés au sort aux travaux du CESE.

Tout le monde en convient : le droit de pétition, trop strictement entouré, n'a pas été exercé jusqu'à aujourd'hui. Nous proposons trois modifications : l'abaissement du seuil de recevabilité de 500 000 à 150 000 signatures, la dématérialisation des procédures - pour faire entrer le droit de pétition dans le XXIe siècle - et l'ouverture de ce droit aux jeunes dès 16 ans. Notre jeunesse pétitionne déjà sur des plateformes comme change.org. Elle s'exprime et s'organise sur les réseaux sociaux. Pourquoi nos institutions leur dénieraient-elles ce droit et cette voix au chapitre ? Ce n'est pas une concession faite à la jeunesse, mais un accélérateur de citoyenneté et une reconnaissance de ce qu'elle est capable de nous apporter sa soif de débat.

Le Gouvernement souhaite élargir le droit de pétition : il n'est donc nul besoin de l'assortir de nouvelles contraintes, d'ajouter une condition de domiciliation : nous sommes en désaccord total, madame la rapporteure, sur ce point.

Le texte pérennise également l'expérience de la convention citoyenne pour le climat, en consacrant la possibilité de consultations publiques, y compris par tirage au sort ; des citoyens ainsi choisis pourront participer aux travaux du CESE. En juillet, le président Retailleau avait moqué à ce propos une « démocratie de courte paille... ». Les jurés de cours d'assises apprécieront...

M. Philippe Bas.  - Ce n'est pas du même ordre.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Sans remonter à Athènes, le tirage au sort existe dans de nombreuses démocraties, en Allemagne, en Irlande, en Islande, en Estonie, au Canada, à des fins consultatives.

Elle s'applique depuis la Révolution aux jurés d'assises. Nulle concurrence avec le droit de vote et l'exercice de la souveraineté nationale par les représentants de la Nation. Le tirage au sort n'affaiblit pas la démocratie. Au contraire, plus nos concitoyens participeront au débat public, plus la légitimité de ceux qu'ils éliront sera renforcée.

L'expérience réussie de la Convention citoyenne pour le climat doit nous rassurer sur le tirage au sort. Le Gouvernement a donc déposé des amendements de rétablissement des articles 4 et 9.

Enfin nous voulons réformer la composition du CESE, en diminuant de 25 % le nombre de ses membres, en supprimant les 40 personnalités qualifiées et en ramenant toutes les catégories - sauf « vie associative » et « écologie » - à quatre grandes catégories. Et ce, pour plus de souplesse, tout en conservant un équilibre de représentation de la société civile.

L'institution d'un comité indépendant pour conseiller le Gouvernement sur la répartition des membres dans ces catégories est une garantie.

Enfin, ce texte apporte de vraies avancées en matière de déontologie des membres du CESE. Je rends hommage à la rapporteure pour ses apports sur la question des conflits d'intérêts.

Telle est l'ambition de ce texte : renforcer le rôle du CESE, faciliter la participation citoyenne. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP ; M. Arnaud de Belenet applaudit également.)

Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission des lois .  - (Applaudissements à droite) La commission des lois n'a pas totalement partagé l'analyse du Gouvernement quant à la nécessité de cette réforme. Le CESE existe depuis 1925 ; il a pour rôle de représenter la « société civile organisée » : syndicats, coopératives, mutuelles, notamment. Il compte 193 membres représentant la société civile auxquels s'ajoutent 40 personnalités qualifiées et jusqu'à 72 personnalités associées, également nommées par le Gouvernement, pouvant participer aux travaux sur un thème donné. Il a un rôle de dialogue social et de conseil des pouvoirs publics - le Gouvernement comme les assemblées. On peut s'interroger sur ce rôle. Son importance en matière de dialogue social est difficile à percevoir. Quant à sa mission de conseil, je rappelle que, dans 80 % des cas, il s'autosaisit.

Nous partageons donc le constat, avec le Gouvernement, d'une difficulté à s'affirmer. Il y a une dizaine d'années, un précédent projet de loi voulait y remédier, comme le présent texte. Ce dernier parvient-il ? La commission des lois n'est pas convaincue.

D'abord, certaines des mesures proposées portent sur des méthodes de travail déjà utilisées. Un espace de liberté n'est pas forcément un vide juridique ! D'autres mesures affaiblissent le CESE au lieu de le renforcer. Même chose pour la consultation des Ceser : nulle avancée décisive ici.

Quant au droit de pétition, la dématérialisation est bienvenue ; mais, s'agissant de l'abaissement du seuil, le CESE s'est toujours saisi des pétitions, même en dessous du seuil des 500 000 signatures - du reste, seule une pétition a atteint ce stade et elle a été jugée irrecevable. Même, il recherche les pétitions qui circulent, car c'est une indication des sujets qui intéressent la société.

Troisième élément : le recours à la consultation de personnes tirées au sort. Le CESE l'a déjà fait deux fois... auprès de 28 puis de 30 personnes, échantillons qui n'ont pas grand sens.

Le tirage au sort est un point de désaccord majeur avec le Gouvernement. Il n'interviendrait pas seulement comme méthode de travail, mais se substituerait aux personnalités associées.

Le tirage au sort ne constitue nullement un apport du texte. Je ne dis pas que la consultation des citoyens est inintéressante. Les élus locaux que nous sommes passent leur temps à consulter le public, sur les marchés, dans les conseils de quartier, lors des réunions publiques.

Mais la consultation sur tirage au sort n'est pas dans cet esprit ; elle cède plutôt à l'air du temps. On tire au sort des citoyens qu'on forme en quelques week-ends de manière un peu orientée, en leur faisant croire qu'ils prendront des décisions.

Ce n'est pas la bonne façon de faire. Il y a des centaines d'occasions pour eux de participer : c'est l'élection. En démocratie, en conférant un pouvoir aux élus, on leur confie des responsabilités. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Deuxième point contentieux, la diminution de 25 % des membres du CESE. En quoi le renforce-t-elle ? Monsieur le garde des Sceaux, s'il fallait prendre pour critère la parole du Président de la République, il aurait fallu le réduire d'un tiers, puis plutôt d'un demi, puis d'un tiers à nouveau, maintenant un quart...

Le président du CESE, nolens volens, ne s'y est pas opposé. Nous proposons quant à nous de supprimer simplement les personnalités qualifiées, en conservant tous les représentants de la société civile. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. René-Paul Savary.  - Très bien !

Mme Nathalie Delattre .  - Le projet de loi organique s'inscrit dans la tradition séculaire des réformes de nos institutions. Le CESE est né en 1925 de la volonté du président du Conseil radical Édouard Herriot, pour étudier les politiques de la vie économique du pays et créer un centre de résonance de l'opinion publique. Ce n'est, disait Édouard Herriot, « en aucun cas un Parlement ni une chambre professionnelle ».

Il est devenu Conseil économique et social en 1959 puis CESE en 2008. Il a su s'adapter à l'évolution des demandes de la société.

J'ai commencé ma vie professionnelle en étant chargée de mission dans un Ceser. Des années plus tard, je suis devenue membre du CES, en tant que présidente de l'association des visiteurs de malades en établissement hospitalier de ma région.

Méconnu, le CESE est critiqué, malgré des avis pertinents et des rapports de qualité. L'outil est mal utilisé ; il est nécessaire d'en modifier les contours, ce que propose ce texte. Le Gouvernement renforce la participation citoyenne et simplifie, par la subrogation de la consultation des avis, à recueillir lors de l'élaboration d'une loi. Tel ministre a dû interroger 14 instances avant de présenter son texte en conseil des ministres !

Je partage la proposition de notre rapporteur sur la suppression des personnalités qualifiées et sur la déontologie. Nous sommes également favorables à l'article 12, pragmatique, qui permet au CESE de modifier lui-même son fonctionnement.

Nous ne comprenons pas en revanche l'idée de l'article 2, qui nous semble redondant avec l'action des commissions parlementaires pour évaluer l'application des lois. Nous soutenons donc la suppression de cet article.

Le texte élargit le droit de pétition notamment aux jeunes de 16 ans.

M. François Bonhomme.  - Et les pré-ados ?

Mme Nathalie Delattre.  - Le groupe RDSE, attaché à la démocratie participative, défend ce droit mais estime que la multiplication des pétitions ne constitue pas un progrès démocratique. Nous soutenons également sur ce point la position de la commission.

Notre groupe votera ce texte ainsi modifié par notre rapporteur.

M. Philippe Bas.  - Très bien.

Mme Marie-Noëlle Lienemann .  - Cette réforme est engagée dans un cadre institutionnel que nous contestons : comme si la baisse du nombre de représentants dans les assemblées améliorait la démocratie ! Bien au contraire, elle renforce une verticalité dangereuse et inefficace du pouvoir et les dérives technocratiques qui vont avec. Nous soutenons sur ce point la position adoptée par la commission des lois, qui se contente de supprimer les personnalités qualifiées ; nous présenterons un amendement allant un peu plus loin.

Nous approuvons l'ensemble des mesures destinées à renforcer la démocratie participative et l'implication des citoyens. Il est essentiel qu'elles nourrissent la démocratie représentative, qui n'en sera nullement affaiblie. Qu'avons-nous à craindre d'une irruption des citoyens dans le débat ou de la coproduction, alors que nous nous trouvons en pleine crise de confiance à l'égard des décideurs ? Adosser le CESE à la société civile organisée va dans le bon sens. Nous soutiendrons cette mesure.

Quant à l'article 6, qui érigeait le CESE en guichet unique de la consultation, il était trop systématique. Oui, il faut rationaliser, car il y a des structures inutiles, mal organisées, formelles. Mais dans de nombreux organismes consultatifs siègent des associations ou mouvements qui ne sont pas représentés au CESE. Je pense notamment au secteur du logement social, qui n'a qu'un représentant. Veillons à ne pas simplifier sans véritable réflexion.

Notre groupe ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Arnaud de Belenet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le Président de la République confirmait le 29 juin sa volonté de transformer le CESE en chambre des conventions citoyennes, réforme présentée en conseil des ministres le 7 juillet par le garde des Sceaux.

Institution ancienne, le CESE peine à trouver sa place. Il est souvent critiqué pour le manque d'assiduité de ses membres, son faible nombre de saisines, le peu de visibilité de ses travaux.

Ce projet de loi organique ne révolutionne pas le CESE mais vise à l'adapter. Il n'est pas question d'en faire une troisième chambre : seuls l'Assemblée nationale et le Sénat disposent de cette prérogative. Mais le conseil n'en est pas moins un atout pour le débat démocratique.

Cet outil, peu connu et mal employé, peut jouer un rôle utile. À cet effet, ce texte facilite la saisine et accélère la procédure.

L'actualité sociale puis sanitaire nous a privés d'une réforme constitutionnelle dans laquelle le projet de loi organique aurait pu s'insérer. La commission des lois a émis des critiques sur la réforme : en premier lieu, le risque d'empiéter sur le fonctionnement des collectivités, à l'article premier. S'adresser aux conseils consultatifs locaux, oui, mais nous avons soutenu l'amendement du rapporteur qui conditionne les prérogatives de consultation à l'accord des collectivités territoriales et de leurs groupements.

La crainte que le CESE vienne empiéter sur le pouvoir du Parlement a conduit à la suppression de l'article 6. Nous soutenons cette position. La commission des lois a également supprimé les personnalités qualifiées, dont le choix prêtait souvent le flanc à la critique.

Je salue le travail de Muriel Jourda. Cependant, nous ne sommes pas aussi méfiants s'agissant du tirage au sort, dès lors qu'il ne concerne pas les représentants de la Nation. Il peut au contraire être utile pour rendre plus réticulaire notre organisation, en favorisant l'appropriation de sujets complexes par un plus grand nombre de nos concitoyens.

Le projet de loi organique porte une réforme intelligente du CESE : le groupe UC le soutiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Jean-Yves Leconte .  - (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe SER) La Nation a besoin d'une assemblée où se confrontent ses forces vives, notamment lorsqu'elle a pour habitude de dialoguer par le conflit et d'évoluer de crise en crise. Tel est le rôle du CESE, dont je salue le bureau qui nous écoute ce soir. Ce conseil n'est, hélas, pas reconnu à sa juste valeur et, depuis 2017, trop peu sollicité par le Gouvernement, sûrement parce que nous légiférons dans l'urgence.

La réforme mériterait d'être maturée et consensuelle entre les deux chambres. Pouvez-vous vous engager, monsieur le ministre, à ne pas l'imposer par l'intermédiaire de l'Assemblée nationale ?

Nous saluons l'action du rapporteur sur l'article 2, limite d'un point de vue constitutionnel, et sur l'article 6, qui faisait l'impasse sur des consultations nécessaires, notamment celle de structures qui ne sont pas représentées au CESE. Il était logique de supprimer l'article, même si nous aurions pu trouver un compromis.

Nous refusons aussi de faire de cette réforme le reliquat d'une réforme constitutionnelle avortée. Transformé par un simple projet de loi organique, le CESE serait la seule assemblée à perdre 25 % de ses membres. Là encore, nous partageons la position du rapporteur.

Nous nous opposons en revanche au sort fait à la participation citoyenne. Ne faites pas de celle-ci, monsieur le ministre, ce que fut le plébiscite au Second Empire ! (Rires)

Alors que les partis politiques sont remis en cause dans leur fonctionnement par la révolution numérique, la participation citoyenne doit se conjuguer avec la démocratie représentative : il ne s'agit pas de les opposer. Il faut des parlementaires pour faire du lien. (Mme Victoire Jasmin applaudit.) Il faut aussi que chaque citoyen soit un peu un responsable politique, et réciproquement, même si les élus ont seuls la légitimité de prendre des décisions parce qu'ils en assument la responsabilité. Nous soutenons l'article 4, même si le parallèle avec les jurys d'assises, monsieur le ministre, n'est pas pertinent. Participer à un jury d'assises est obligatoire.

Nous défendrons des amendements en assumant notre désaccord avec le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Dany Wattebled .  - Quand posera-t-on vraiment la question de l'utilité du CESE et de l'intérêt de sa suppression ? Il n'a pas échappé aux reproches, car en dépit de plusieurs réformes, il peine à trouver sa place.

Créé en 1925, il a connu de nombreuses évolutions. Il a trois missions : conseiller le Gouvernement, favoriser le dialogue avec les forces vives de la Nation et éclairer le Parlement. Il compte 233 membres. Les critiques sont récurrentes, ses travaux restent méconnus. Du reste, il s'autosaisit en majorité : 80 % de ses avis ont été rendus de cette manière en 2009.

Ce projet de loi organique vise à le réformer, hélas sans ambition. Votre texte comporte également des dispositions inadaptées. Je me félicite de la position de la commission des lois, sur le tirage au sort, sur la réduction de 25 % du nombre de membres - alors qu'il est question de mobiliser davantage l'institution ! Le choix de la commission des lois d'établir le nombre des membres à 193, soit une baisse de 7 %, nous convient.

Le CESE représente les forces vives organisées, non les collectivités territoriales, il était bon de le rappeler.

Bien qu'en deçà des annonces du Président de la République, le groupe des Indépendants votera en faveur de ce texte.

M. Guy Benarroche .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Monsieur le ministre, vous dites vouloir envoyer un message fort à la jeunesse. (M. François Bonhomme s'exclame.) Face à une démocratie en crise - mouvement des gilets jaunes, échec du Grand débat - la confiance dans les autorités politiques continue à s'effriter.

La volonté de renforcer les corps intermédiaires est louable, mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Il faudrait une réforme constitutionnelle pour renforcer la participation des citoyens et de la société civile et prendre en compte le long terme dans notre démocratie. À défaut, le texte manque d'ambition.

Le CESE, peu visible, peu écouté, est rarement pris en compte dans la fabrique de la loi. Ce texte ne suffira pas à lui donner toute sa place. Nos amendements vont bien plus loin, autant qu'il se peut à droit constitutionnel constant.

La prise en compte du long terme, des enjeux environnementaux, devrait être la marque de fabrique du CESE, son label.

Au-delà du manque d'ambition, ce texte, en particulier dans sa version initiale, comporte des régressions démocratiques, entre suppression des consultations obligatoires et renforcement de la procédure simplifiée. La commission des lois a vu le risque en supprimant l'article 6 : nous nous opposerons à son rétablissement. La procédure simplifiée, peu utilisée, doit être complètement supprimée.

En revanche, le tirage au sort est un moyen bienvenu de compléter la démocratie représentative et de revitaliser le débat démocratique. Il suffit d'un regard pour voir que notre assemblée n'est pas totalement représentative de la société française.

S'appuyer, dans notre mission de législateur, sur des assemblées de citoyens tirés au sort, représentant une diversité de points de vue, améliorerait la qualité des décisions, créerait une confiance renouvelée avec les concitoyens et renforcerait notre légitimité de parlementaire.

Le citoyen éclairé est un nouvel acteur de la démocratie. Nous proposerons de rétablir le tirage au sort, y compris pour siéger au sein des commissions du CESE. Il faut, bien sûr, des garde-fous : une information éclairée, des processus encadrés.

Nous soutenons la saisie du CESE par voie de pétition, dès 16 ans.

Enfin, nous souhaitons renforcer la place des enjeux environnementaux au sein du CESE. Le changement climatique se fait de plus en plus sentir, il est responsable de la multiplication des catastrophes naturelles a rappelé l'ONU le 12 octobre. La perte de la biodiversité s'accélère. Face à l'urgence climatique, renforcer la place des acteurs de la protection de la nature au CESE relève du bon sens.

Notre vote dépendra du sort de nos amendements. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Thani Mohamed Soilihi .  - Assemblée consultative régie par la Constitution, le CESE a pour mission de favoriser le dialogue entre les forces vives de la Nation et éclairer les pouvoirs publics par ses avis. Or ceux-ci sont trop peu suivis, en dépit de leur qualité : je songe à deux avis de 2017 et 2020 portant sur les outre-mer, sur les violences faites aux femmes et sur l'accès aux services publics dans ces territoires.

Devant le Congrès, le Président de la République annonçait le 3 juillet 2017 une réforme du CESE pour en faire « la grande instance consultative qui fait défaut ». Cet engagement a été renouvelé à l'occasion du Grand débat, qui a donné lieu à 1,9 million de contributions, et de la Convention citoyenne pour le climat.

La réforme de 2008 a modernisé l'institution mais n'en a pas renforcé la légitimité. Pour renforcer la dimension de démocratie participative du CESE, le présent texte facilite sa saisine par voie de pétition, en abaissant le seul de recevabilité et l'âge minimum à 16 ans. Nous aurons un débat sur ce point. Loin d'y voir la tyrannie du jeunisme, nous considérons qu'une telle extension prépare ce groupe d'âge au plein exercice de sa citoyenneté.

La commission des lois a supprimé le recours au tirage au sort au motif que cela affaiblirait la démocratie représentative. Nous ne partageons pas cette position. Le texte ne propose qu'une simple faculté, encadrée, pour alimenter les travaux du CESE. Il n'y a pas de confusion de légitimité. Nous avons déposé des amendements pour le réintroduire.

Ce texte renforce aussi le rôle consultatif de l'assemblée sur les projets de loi : nous demanderons le rétablissement de la dispense, pour le Gouvernement, de procéder aux consultations préalables aux projets de loi quand il en saisit le CESE.

Enfin, le texte réforme la composition du Conseil en réduisant de 25 % ses effectifs. Les outre-mer, qui y comptent onze membres, soit un par collectivité d'outre-mer, craignent de ne plus y être représentés. Leur présence est pourtant indispensable.

L'Assemblée nationale proposait « une répartition équilibrée des territoires de la République, notamment des outre-mer ». La commission est allée plus loin en intégrant expressément les outre-mer au collège ; nous proposons de les énumérer pour éviter d'en faire un bloc unique.

Pour le groupe RDPI, cette réforme renforcera le rôle du CESE ; aussi nous lierons notre vote au sort de nos amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)

M. François Bonhomme .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Certains citoyens qui regardent nos débats découvriront peut-être que le CESE existe toujours... C'est dire la place singulière et somme toute relative qu'il occupe.

Les plus diplomates décrivent le CESE comme un lieu d'échange et de consensus. Mais à quoi sert-il ? La réponse pourrait tenir en un mot, mais cela serait dommage pour l'intérêt de notre débat. Ce n'est pas la première fois que la question, peut-être inconvenante, de l'intérêt d'une troisième assemblée est posée : le comité consultatif constitutionnel présidé par Paul Reynaud la soulevait en 1958. Il s'agissait alors de se doter d'un lieu du dialogue social susceptible d'assurer la paix sociale. Bel objectif. Pourtant, le Royaume-Uni ou l'Allemagne n'ont pas cru devoir créer un tel organe. Pierre Mendès France en 1954, le Général de Gaulle en 1969 ont voulu le réformer ; en vain.

Les périphrases sont nombreuses pour le désigner - « assemblée consultative », « assemblée du premier mot », « chambre du futur », « forum de la République »... Les rabat-joie de mon espèce y verront la confirmation de la richesse de la langue de plomb politico-administrative.

Jusqu'à la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le CESE ne pouvait être saisi par le Gouvernement. Les modalités de « la participation des différentes catégories socio-professionnelles entre elles et à la politique économique et sociale du Gouvernement » sont tellement évasives qu'il s'agit d'un acte de foi. Pour Dominique-Jean Chartier, ce laconisme témoigne de l'ambiguïté fondamentale d'une institution qui n'est pas assemblée parlementaire mais organisme consultatif.

Or elle s'est dotée au fil du temps de certaines prérogatives d'un Parlement : immunité de ses membres, contrôle du Conseil constitutionnel sur son règlement, impossibilité pour le Président de la République de s'y rendre librement, autonomie budgétaire et administrative... On peut voir dans ce mimétisme un instinct de survie.

Son rôle de conseil de l'exécutif reste à démontrer tant ses avis demeurent obscurs, voire occultes.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - N'importe quoi !

M. François Bonhomme.  - Le CESE souffre de la concurrence des dizaines de conseils supérieurs, hauts conseils, comités nationaux et autres hautes autorités.

Pourquoi le CESE passe-t-il inaperçu de l'opinion publique, mais aussi, plus grave, des pouvoirs publics ? À quoi bon le réunir si ses travaux ne sont ni connus ni reconnus de ceux qui sont censés le consulter ?

Maxime Block-Massart, membre du Comité consultatif de 1958, portait un constat encore actuel : les travaux du Conseil économique, « toujours remarquables », sont « vains » car « ses activités se déploient dans le vide »... La qualité de ses membres n'est pas en cause. C'est d'ailleurs inquiétant.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - On en dit autant du Sénat !

M. François Bonhomme.  - Faute de saisines de l'exécutif - sept en 2018, quatre en 2019 -, il s'autoalimente en s'autosaisissant... Curieux paradoxe pour un organe consultatif ! Cela lui fait perdre toute visibilité ; il fonctionne en vase clos.

Les ajustements proposés sont superfétatoires ou contre-productifs, qu'il s'agisse du droit de pétition ou du tirage au sort.

La suppression de 40 personnalités qualifiées est la seule mesure bienvenue, tant l'instrument a été dévoyé.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Très bien.

M. François Bonhomme.  - On se souvient de la nomination de Georgette Lemaire ou de Jean-Luc Benhamias, placé en position non-éligible sur la liste aux élections européennes, mais qui, rappelant qu'il n'avait pas fait voeu de « chasteté institutionnelle », fut promptement récompensé... Il sera à nouveau nommé, en remerciement d'une opération de transformisme politique aussi rapide que remarquable.

Je citerai aussi le rappeur Rost, auteur de L'Avenir, c'est nous, qui ouvrait les meetings du PS (Exclamations indignées à gauche), mais pas le cortège d'anciens ministres ou élus, courtisans, apparatchiks ou hiérarques ayant bénéficié de ce lot de consolation... (Mêmes mouvements à gauche, où l'on signifie que l'orateur a dépassé son temps de parole.)

Vous l'avez compris, je voterai contre ce texte qui suscite beaucoup de réserves. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, huées à gauche)

M. Jean-Pierre Sueur .  - Monsieur le garde des Sceaux, je m'étonne que vous cédiez à cette vieille lune selon laquelle il y aurait trop de parlementaires et de membres du CESE. Cette idée très contestable a pour conséquence de bloquer d'importantes réformes constitutionnelles parce qu'il faudrait que cette disposition y fût inscrite.

Monsieur le garde des Sceaux, dissociez cette question de celle de l'indépendance du parquet. Vous avez quelques mois pour le faire...

Je soutiendrai la proposition de M. Leconte consistant à augmenter le nombre de membres du CESE dès lors que l'on renonce aux personnes qualifiées.

Mme la rapporteure a eu la bonne idée de mettre fin à la mesure baroque de l'article 2 permettant la saisine à soixante députés ou sénateurs sur la mise en oeuvre d'une disposition législative. Contresens absolu ! La mise en oeuvre de la loi, c'est le rôle du Gouvernement, sous le contrôle du Parlement.

Vous avez également eu raison de supprimer une autre bizarrerie, qui voudrait que la consultation du CESE, prévue à l'article 6, dispensât de toutes les autres.

Vous avez aussi mis fin à un organisme bizarroïde, inscrit à l'article 7, composé de trois députés, trois sénateurs, trois membres du CESE, un membre du Conseil d'État et un membre de la Cour des comptes - manque le raton laveur - pour travailler sur l'évolution future de la loi. Si le Gouvernement ou le Parlement souhaitent changer la loi, qu'ils le fassent !

Il faut que le CESE joue pleinement son rôle consultatif et que la loi conserve sa prééminence. Ne nous privons pas d'exercer notre rôle de législateur !

Je vois que le temps s'écoule... Il fut un temps où Robert Badinter doublait le temps de parole qui lui était accordé sans que personne n'ose lui en faire la remarque. Il est vrai que tout le monde n'est pas Robert Badinter, et je ne l'imiterai pas ! (Applaudissements à gauche)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux .  - Je salue la présence en tribune du président Bernasconi, qui aura apprécié les interventions successives. (Applaudissements à gauche)

Je sacrifie, dites-vous, madame le rapporteur, à l'air du temps. J'aimerais presque que vous ayez raison ! À l'heure de la désaffection de la démocratie, des taux d'abstention record, ne négligeons aucune occasion de ramener les citoyens vers la démocratie, fut-elle participative. (Applaudissements sur les travées du GEST)

Pourquoi réduire le nombre de membres de 25 % ? C'est le compromis qui a été trouvé au sein du CESE, et qui permet de conserver les équilibres entre ses différentes composantes.

Monsieur Leconte, j'aimerais vous faire des promesses mais je ne pourrais les tenir : l'Assemblée nationale a, constitutionnellement, le dernier mot, sauf pour les lois constitutionnelles et les projets de loi organiques relatifs au Sénat.

Madame Delattre, le Gouvernement partage votre analyse sur la saisine par soixante députés ou soixante sénateurs. L'amendement de rétablissement de l'article 2 écarte cette possibilité introduite à l'Assemblée nationale.

Monsieur Sueur, je pourrais moi aussi disserter sur l'immense talent de M. Badinter, mais ce n'est pas le sujet. Je n'ai jamais évoqué ici la réduction du nombre de parlementaires.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Très bien.

La discussion générale est close.

Discussion des articles

L'article premier A est adopté.

ARTICLE PREMIER

M. le président.  - Amendement n°16 rectifié, présenté par M. Benarroche, Mme Benbassa, MM. Gontard et Parigi, Mmes de Marco et Poncet, M. Salmon, Mme Taillé-Polian et MM. Dossus, Fernique, Labbé et Dantec.

Avant l'alinéa 1

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

... Le troisième alinéa de l'article 1er de l'ordonnance n°58-1360 du 29 décembre 1958 précitée est complété par les mots : « , notamment afin de prendre en compte leurs effets à long terme. »

M. Guy Benarroche.  - La prise en compte des enjeux de long terme doit être le label du CESE. Il apporte une temporalité différente et complémentaire de celle des assemblées parlementaires.

La montée des enjeux environnementaux appelle une meilleure prise en compte des conséquences à long terme des politiques publiques. Certaines de nos décisions ont des conséquences irréversibles.

Mme Muriel Jourda, rapporteur.  - Avis défavorable. Formellement, l'emploi de « notamment » n'apporte ni clarté ni précision. Sur le fond, le Parlement s'intéresse au long terme, et le CESE est pour sa part souvent saisi de questions de court terme.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Le Conseil d'État a convaincu le Gouvernement que cet amendement, dépourvu de portée juridique précis, n'avait pas sa place dans le texte mais plutôt dans l'exposé des motifs. Avis défavorable.

L'amendement n°16 rectifié n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°46 rectifié, présenté par M. Mohamed Soilihi et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

Alinéa 2

Supprimer les mots :

prévues par la loi et

M. Thani Mohamed Soilihi.  - Cet amendement réintroduit la faculté de consultation, par le CESE, des instances consultatives créées auprès des collectivités territoriales et qui ne sont pas prévues par la loi, comme les budgets participatifs. Il faut laisser au CESE une faculté d'appréciation.

Mme Muriel Jourda, rapporteur.  - Le périmètre du texte, même modifié par la commission, est encore très large. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - L'objectif du Gouvernement est de donner un nouveau souffle et une meilleure visibilité au CESE. Il ne faut pas le priver des compétences des conseils consultatifs locaux. Avis favorable.

L'amendement n°46 rectifié n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°6 rectifié, présenté par Mme Jasmin, M. Lurel, Mme Conconne et MM. Antiste et P. Joly.

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

« Le Conseil peut désigner en son sein des représentants chargés de promouvoir régulièrement ses avis et études devant les instances consultatives de chaque territoire. »

Mme Victoire Jasmin.  - Cet amendement ressort de mes échanges avec la délégation à l'outre-mer du CESE, avec le président du Ceser de Guadeloupe et des membres des Ceser de Guyane et de La Réunion.

Les travaux du CESE sur l'outre-mer passent trop souvent inaperçus auprès des instances locales et des citoyens, en dépit de leur utilité. L'article institue non pas un lien hiérarchique mais des liens étroits entre les échelons local et national. Ce sera utile notamment pour les territoires les plus enclavés ou insulaires.

Mme Muriel Jourda, rapporteur.  - Le CESE communique comme il l'entend avec les Ceser. Il me paraît plus urgent de faire valoir ses travaux devant les collectivités locales que devant les instances consultatives. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Avis défavorable pour la même raison.

M. François Bonhomme.  - Je m'étonne que l'on déplore l'invisibilité des travaux du CESE sans s'interroger sur la raison de cette ignorance. Cet amendement qui crée des liens endogamiques entre des instances qui souffrent du même mal ne résout rien.

Mme Cécile Cukierman.  - Même si je comprends l'objectif de l'amendement, il comporte un risque, car le CESE n'est pas le représentant des Ceser. Les corps intermédiaires, méprisés par le Gouvernement depuis le début du quinquennat, doivent s'organiser pour contribuer au débat public. Pour autant, il n'existe pas de hiérarchie entre les Ceser, qui sont au service de la collectivité régionale, et le CESE, qui est au service de la communauté nationale, du Parlement et du Gouvernement.

L'amendement n°6 rectifié n'est pas adopté.

L'article premier est adopté.

ARTICLES ADDITIONNELS

M. le président.  - Amendement n°17 rectifié, présenté par MM. Benarroche, Gontard, Labbé et Dantec, Mme Taillé-Polian, MM. Fernique, Salmon et Dossus, Mmes Poncet, Benbassa et de Marco et M. Parigi.

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le premier alinéa de l'article 2 de l'ordonnance n°58-1360 du 29 décembre 1958 précitée est complété par une phrase ainsi rédigée : « Ces avis sont déposés sur le bureau de la première assemblée saisie en même temps que les projets de loi auxquels ils se rapportent. »

M. Guy Benarroche.  - Cet amendement améliore la visibilité et l'accessibilité des travaux du CESE en prévoyant que ses avis soient déposés sur le bureau de la première assemblée saisie, en même temps que les projets de loi auxquels ils se rapportent.

Mme Muriel Jourda, rapporteur.  - Votre amendement est satisfait par le droit positif. Retrait ou avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Cette disposition ne concerne pas l'organisation et le fonctionnement du CESE, mais la procédure parlementaire. Avis défavorable.

Mme Cécile Cukierman.  - Il aurait fallu aller au bout pour redonner de la légitimité au CESE, en prévoyant que ses avis soient transmis aux deux assemblées. Cet amendement manque d'ambition.

L'amendement n°17 rectifié n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°18 rectifié, présenté par MM. Benarroche, Gontard et Dantec, Mme Taillé-Polian, MM. Fernique, Salmon et Dossus, Mmes Poncet, Benbassa et de Marco et MM. Parigi et Labbé.

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 4 de l'ordonnance n°58-1360 du 29 décembre 1958 précitée est ainsi rédigé :

« Suite à un avis du Conseil économique, social et environnemental, le Gouvernement lui envoie un rapport motivé indiquant celles de ses recommandations dont il a tenu compte et expliquant les motifs de la décision de ne pas retenir les autres. 

« Chaque année, le Premier ministre présente un bilan global et chiffré des suites données aux avis et productions du Conseil économique, social et environnemental. »

M. Guy Benarroche.  - Cet amendement prévoit une réponse motivée du Gouvernement aux avis ou productions du CESE.

Comme l'a montré l'expérience de la Convention citoyenne pour le climat, le succès de la démocratie participative est en grande partie lié à la transparence sur les suites données aux consultations.

L'amendement conserve et précise le bilan annuel qui permet une vue d'ensemble de la prise en compte par le Gouvernement des avis du CESE.

Mme Muriel Jourda, rapporteur.  - Là encore, le droit en vigueur satisfait votre amendement. L'étude d'impact précise les suites données aux avis du CESE. Retrait ou avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Cet amendement revient à confier au CESE un pouvoir de contrôle sur l'action du Gouvernement. Avis défavorable.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Nous soutenons cet amendement. Il ne s'agit pas de contrôler le Gouvernement mais de lui demander quelles suites il a données aux recommandations du CESE, pourquoi il les a retenues ou non.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Cela revient bien à contrôler l'action du Gouvernement. (On le conteste vivement à gauche.)

L'amendement n°18 rectifié n'est pas adopté.

ARTICLE 2 (Supprimé)

M. le président.  - Amendement n°19 rectifié, présenté par MM. Benarroche, Gontard, Labbé et Dantec, Mme Taillé-Polian, MM. Fernique, Salmon et Dossus, Mmes Poncet, Benbassa et de Marco et M. Parigi.

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

Le second alinéa de l'article 3 de l'ordonnance n°58-1360 du 29 décembre 1958 précitée est complété par une phrase ainsi rédigée : « À ce titre, il peut être saisi par le Premier ministre, le président de l'Assemblée nationale, le président du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs d'une demande d'avis sur la mise en oeuvre d'une disposition législative entrant dans son champ de compétence. »

M. Guy Benarroche.  - Cet amendement rétablit l'article 2, supprimé par la commission, dans la rédaction de l'Assemblée nationale.

La possibilité pour le Premier ministre, les présidents des deux chambres, 60 députés ou 60 sénateurs, de saisir le CESE sur la mise en oeuvre d'une disposition législative entrant dans son champ de compétence concourt à sa mission de contrôle et d'évaluation des politiques publiques. Nous sommes conscients du risque d'inconstitutionnalité de cette disposition.

M. le président.  - Amendement n°42, présenté par le Gouvernement.

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

Le second alinéa de l'article 3 de l'ordonnance n°58-1360 du 29 décembre 1958 précitée est complété par une phrase ainsi rédigée : « À ce titre, il peut être saisi par le Premier ministre, le Président de l'Assemblée nationale ou le Président du Sénat, d'une demande d'avis sur la mise en oeuvre d'une disposition législative entrant dans son champ de compétence. »

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Cet amendement rétablit l'article 2 en écartant la saisine du CESE par 60 députés ou 60 sénateurs qui relève de la Constitution, et non d'une loi organique.

L'amélioration de l'évaluation des politiques publiques est indispensable à la modernisation de l'action publique. Cette mission, citée par l'ordonnance de 1958 relative au CESE, est insuffisamment mise en oeuvre, comme le relevait le CESE lui-même en 2015.

L'article 2 a l'intérêt, ainsi que l'a relevé le Conseil d'État dans son avis du 25 juin 2020, de prévoir expressément une des modalités concrètes de la participation du CESE à la fonction d'évaluation des politiques publiques.

Il s'agit de renforcer les outils d'évaluation des politiques publiques.

Mme Muriel Jourda, rapporteur.  - Le champ de compétences du CESE est très large. En outre, c'est au Parlement de contrôler l'application des textes qu'il vote, et nous rendons d'ailleurs un bilan annuel détaillé.

Enfin, la saisine du CESE par 60 parlementaires apparaît inconstitutionnelle. Sur le fond, une telle faculté ouvrirait la voie à une instrumentalisation par des groupes divers. Avis défavorable aux deux amendements.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Avis défavorable à l'amendement n°19 rectifié.

M. Jean-Yves Leconte.  - Qui saisit et sur quoi ? Les dispositions actuelles sont tellement larges que ces amendements n'apportent rien. Si nous estimons qu'une saisine du CESE serait utile, faisons plutôt évoluer le Règlement des assemblées parlementaires.

En vérité, nous légiférons dans l'urgence, ce qui ne laisse pas la place à une consultation du CESE. Nous l'avons encore vu hier : on légifère un soir, et le lendemain, le président de la République a changé d'avis ! La difficulté tient à notre pratique législative. Pour la résoudre, encore faudrait-il que le Gouvernement anticipe !

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Absolument ! La facilitation de la saisine du CESE nécessite une évolution de notre Règlement.

L'amendement n°19 rectifié n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°42.

L'article 2 demeure supprimé.

ARTICLE 3

M. Xavier Iacovelli .  - Nos concitoyens ont démontré un désir croissant de participation à la vie publique comme en témoigne la multiplication des initiatives locales et des pétitions en ligne. Pourtant, une seule pétition a atteint le seuil de recevabilité de 500 000 signatures depuis la révision constitutionnelle de 2008. Conscient de cet échec, le CESE a donc créé un dispositif de veille des pétitions sur les plateformes en ligne.

Le projet de loi organique fait du CESE un acteur essentiel de la démocratie participative en assouplissant les modalités des pétitions, en abaissant à 16 ans l'âge minimal et en établissant à 150 000 signatures le seuil d'éligibilité. Je salue ces avancées, chères à nos concitoyens, qui contribueront à renforcer leur participation.

M. le président.  - Amendement n°29 rectifié, présenté par MM. Bonhomme, Frassa, Brisson et Bonne, Mme Micouleau, M. Paccaud, Mme Puissat, MM. Vogel, Cardoux, Piednoir, Mandelli, B. Fournier, Bazin, D. Laurent et Bouchet, Mme Belrhiti et MM. Segouin, Sautarel et C. Vial.

Alinéa 3

1° Deuxième phrase

Remplacer le nombre :

150 000

par le nombre :

500 000

et le mot :

seize

par le mot :

dix-huit

2° Dernière phrase

Remplacer les mots :

d'un an

par les mots :

de six mois

M. François Bonhomme.  - Cet amendement maintient le seuil de 500 000 signatures pour éviter la multiplication des pétitions.

De même, l'âge minimal des pétitionnaires doit rester à 18 ans. L'exemple de Greta Thunberg doit nous inviter à agir avec prudence...

Enfin, cet amendement abaisse le délai pour le recueil des signatures à six mois, délai plus raisonnable que celui d'un an. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE)

M. le président.  - Amendement n°30 rectifié, présenté par MM. Bonhomme, Frassa, Brisson et Bonne, Mme Micouleau, MM. Paccaud, Vogel, Cardoux, Piednoir, Mandelli, B. Fournier, Bazin, D. Laurent et Bouchet, Mme Belrhiti et MM. Segouin, Sautarel et C. Vial.

Alinéa 3, deuxième phrase

Remplacer le nombre :

150 000

par le nombre :

500 000

M. François Bonhomme.  - C'est un amendement de repli.

M. le président.  - Amendement n°31 rectifié, présenté par MM. Bonhomme, Frassa, Brisson et Bonne, Mme Micouleau, MM. Paccaud, Vogel, Cardoux, Piednoir, Mandelli et B. Fournier, Mme Di Folco, MM. Bazin, D. Laurent et Bouchet, Mme Belrhiti, MM. Segouin, C. Vial, Sautarel et Rapin et Mme Lherbier.

Alinéa 3, deuxième phrase

Remplacer le mot :

seize

par le mot :

dix-huit

M. François Bonhomme.  - Défendu.

M. le président.  - Amendement n°32 rectifié, présenté par MM. Bonhomme, Frassa, Brisson et Bonne, Mme Micouleau, MM. Paccaud, Vogel, Cardoux, Piednoir, Mandelli, B. Fournier, Bazin, D. Laurent et Bouchet, Mme Belrhiti et MM. Segouin, Sautarel et C. Vial.

Alinéa 3, dernière phrase

Remplacer les mots :

d'un an

par les mots :

de six mois

M. François Bonhomme.  - Défendu.

Mme Muriel Jourda, rapporteur.  - Retrait de l'amendement n°29. Avis défavorable à l'amendement n°30 rectifié : 500 000 signatures est un seuil trop élevé puisqu'une seule pétition l'a atteint. Certes, il n'y a pas de chiffre d'or, mais 150 000 nous semble un bon compromis.

Sagesse sur l'amendement n°31 rectifié, qui maintient l'âge minimal à 18 ans. À titre personnel, je m'interroge sur l'abaissement du seuil à 16 ans : on a l'impression qu'il faut, pour attirer l'attention des pouvoirs publics, faire preuve d'une capacité d'indignation inversement proportionnelle aux connaissances et à l'expérience.

Avis défavorable à l'amendement n°32 qui réduit le délai de recueil des signatures. Le texte n'en prévoyait aucun et la commission a jugé utile de le fixer à un an.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Monsieur Bonhomme, si vous vouliez paralyser le CESE, vous ne procéderiez pas autrement.... Je n'ai pas senti dans ces amendements une grande force progressiste. (Sourires) Le seuil de 500 000 ne fonctionne pas. Il faut donc le changer. Nous avons retenu 150 000 en nous appuyant sur des expériences étrangères. Aux États-Unis, c'est 100 000.

La réduction du délai rend évidemment plus difficile la saisine du CESE.

Quant au seuil de 16 ans, ce n'est pas parce qu'on n'est pas un citoyen qu'on n'a pas d'idées. Je considère que tout ce qui peut rapprocher la jeunesse de la démocratie va dans le bon sens. On ne peut se plaindre du désintérêt des jeunes pour la chose publique, pour la res publica, et s'opposer à l'abaissement de l'âge de pétition. À 16 ans, on peut conduire, chasser, ouvrir un compte... On a des droits. C'est parfois, dans une famille, l'enfant de 16 ans qui a la bonne idée. (M. François Bonhomme s'exclame.) Par conséquent, avis défavorable à ces quatre amendements.

M. François Bonhomme.  - Je retire l'amendement n°29 rectifié.

Je regrette, monsieur le ministre, de ne pas appartenir aux forces progressistes... Pourquoi a-t-on du mal à recueillir 500 000 signatures ? Il faut se poser la question.

L'âge de vote est à 18 ans parce que c'est à ce moment-là que l'on fixe la capacité d'émancipation, de discernement, ce qui n'a rien à voir avec le fait de conduire.

J'ai vu les chefs d'État s'aplatir à l'ONU devant une jeune fille qui ne parlait que par slogans et par leçons de morale. Cela en dit long sur l'infantilisation de la société. (Protestations à gauche tandis qu'on applaudit sur quelques travées à droite.)

L'amendement n°29 rectifié est retiré.

M. Fabien Gay.  - Monsieur le garde des Sceaux, je suis pleinement en accord avec vous. Monsieur Bonhomme, pensez-vous que dans ce pays, il y a trop de débats politiques ?

L'abstention massive aux différentes élections ne doit-elle pas nous interpeller ? Si vous préférez empêcher les gens d'accéder au droit de pétition, votez cet amendement.

Nous en avons un exemple avec le référendum d'initiative populaire (RIP) sur la privatisation d'ADP. Sur les 4,5 millions de signatures requises, nous en avons recueilli 1 million, et encore avons-nous ramé, tant le Gouvernement a tout fait pour étouffer ce débat. Il ne faut donc pas seulement abaisser le seuil de recevabilité, mais aussi faire la promotion du droit de pétition.

Le débat sur le CESE dépasse largement cet organisme ; il nous renvoie à la démocratie participative.

La Convention citoyenne sur le climat ne rend de comptes qu'au Président de la République, qui choisit ce qu'il en retient, chaque ministre retranchant quelques-unes des propositions... Cela me gêne que le Parlement n'ait aucun contact avec la Convention citoyenne sur le climat.

M. Xavier Iacovelli.  - Abaisser l'âge requis à 16 ans n'est pas faire preuve d'un jeunisme mal venu. On ne peut écarter d'un revers de main l'envie croissante de la jeunesse de s'investir dans la vie publique.

Dès le lycée, les jeunes sont intéressés à la chose publique.

Des collectivités territoriales retiennent l'âge limite de 16 ans. Ne pas être électeur, ce n'est pas être incapable de pétitionner.

M. Bonhomme est caricatural, utilisant la figure controversée de Greta Thunberg pour décrédibiliser toute participation de la jeunesse au débat public.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Tout ce qui permet aux citoyens de se sentir acteurs de la vie publique est une avancée. Les jeunes s'engagent, et cela ne fait pas toujours plaisir.

Préférez-vous les actes de révolte plutôt qu'une pétition ? Vous avez peur du peuple et le peuple le sent. Il y a une crise de la représentation. Les jeunes s'engagent aux Restos du coeur, à ADT Quart Monde, mais ils ne pourraient signer une pétition pour cette ONG ? Je vous rappelle que le droit au logement opposable, que nous devons au Président Chirac, est issu d'une recommandation du CESE. De quoi avons-nous peur avec ce droit de pétitionner accordé aux jeunes ?

Mme Cécile Cukierman.  - Nous devons nous prémunir du progressisme, qui n'est jamais une avancée. Ce débat nous renvoie à une question fondamentale : qu'est devenu le CESE ?

Le CES, issu de la guerre et de la volonté de trouver un espace de discussion, de proposition et d'expertise avec les corps intermédiaires, a progressivement évolué. On ne lui a pas seulement ajouté un « E » : nous sommes passés des enjeux fondamentaux pour notre pays que sont les questions sociales à des questions sociétales, atomisant ainsi la représentation politique et démocratique.

Je ne suis pas favorable à l'abaissement à 16 ans du droit de pétition. Je voterai l'amendement n°31 rectifié, mais pas les autres.

M. Jean-Yves Leconte.  - Sur le couvre-feu annoncé ce soir, n'aurait-il pas été utile de connaître l'avis de la jeunesse ? La citoyenneté s'apprend progressivement, elle n'apparaît pas avec le droit de vote. Ce n'est pas un tout ou rien : je récuse cette vision binaire.

C'est la même chose pour les mineurs isolés étrangers : du jour au lendemain, ils passent du statut d'enfant à celui d'adulte. Cela ne se passe pas ainsi, nous le savons bien.

Il faut reconnaître le besoin qu'a la société de l'expression des plus jeunes.

M. Philippe Bas.  - Je suis bien aise d'entendre les ardents défenseurs de la jeunesse constater le besoin irrépressible de celle-ci de s'exprimer via le droit de pétition au CESE ! Et je vais immédiatement m'assurer que mes petits-enfants s'en saisissent. (On s'amuse sur les travées du groupe Les Républicains, tandis que Mme Marie-Noëlle Lienemann s'exclame.)

M. Cédric Vial.  - Ce qui est en cause, ce n'est pas le droit de pétition, qui existe déjà pour les mineurs. Les jeunes ont des instances d'expression, et comme l'a dit Philippe Bas, pétitionner auprès du CESE n'est pas une revendication de la jeunesse.

Avant la citoyenneté, il y a son apprentissage. Le droit de pétition en dessous de 18 ans existe déjà, comme le droit de manifestation. Je voterai donc l'amendement n°31 rectifié. (Applaudissements sur diverses travées du groupe Les Républicains)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Monsieur Bas, je ne sais pas si vos petits-enfants veulent pétitionner auprès du CESE, mais si vous leur parlez du CESE vous leur en donnerez peut-être l'envie.

Monsieur Bonhomme, que direz-vous aux jeunes des Républicains de moins de 18 ans ? Les mettrez-vous à la porte des chapiteaux de vos réunions électorales, dans la période qui vient, en leur assénant qu'ils n'ont pas atteint l'âge du discernement, qu'ils ne sont que slogans et leçons de morale ?

L'amendement n°30 rectifié n'est pas adopté, non plus que les amendements nos31 rectifié et 32 rectifié.

La séance est suspendue pour quelques instants.

M. le président.  - Amendement n°8 rectifié, présenté par M. Leconte et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Alinéa 3, deuxième phrase

1° Supprimer les mots :

domiciliées dans au moins trente départements ou collectivités d'outre-mer,

2° Compléter cette phrase par les mots :

et porte sur un sujet d'intérêt national

M. Jean-Yves Leconte.  - La commission des lois, sur initiative de sa rapporteure, a introduit un nouveau critère de recevabilité pour les pétitions en exigeant que les 150 000 signataires résident dans au moins 30 départements ou collectivités d'outre-mer. Cela nous semble trop strict. Atteindre ce nombre de signataires représente déjà une exigence significative. Nous avons fait l'expérience des efforts requis pour atteindre le million ! Aussi, nous proposons de remplacer la condition géographique par celle-ci : que la pétition porte sur un sujet d'intérêt national. Ce filtre nous apparaît suffisant.

M. le président.  - Amendement n°20 rectifié, présenté par MM. Benarroche, Gontard, Labbé et Dantec, Mme Taillé-Polian, MM. Fernique, Salmon et Dossus, Mmes Poncet, Benbassa et de Marco et M. Parigi.

Alinéa 3

Supprimer les mots :

domiciliées dans au moins trente départements ou collectivités d'outre-mer,

M. Guy Benarroche.  - Le seuil de 150 000 citoyens est suffisamment élevé pour garantir que les pétitions portent sur un sujet d'intérêt national. Il faut faire confiance aux citoyens.

Notre amendement revient à la rédaction de l'Assemblée nationale et à l'esprit du texte, qui consiste à faciliter le droit de pétition.

M. le président.  - Amendement identique n°43, présenté par le Gouvernement.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Cet amendement supprime la condition de domiciliation dans 30 départements. La saisine du CESE doit être, en effet, simple et accessible à tous les citoyens. Le Gouvernement est donc opposé à tout nouvel obstacle, telle cette exigence de dispersion territoriale.

M. le président.  - Amendement n°14 rectifié bis, présenté par M. Yung et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

Alinéa 3, deuxième phrase

Après le mot :

départements

insérer les mots :

, circonscriptions législatives des Français établis hors de France

M. Richard Yung.  - Cet amendement rétablit la possibilité, pour les Français établis hors de France, de présenter une pétition adressée au CESE.

Les Français d'outre-mer sont bien représentés dans la procédure et je m'en réjouis, mais ce droit doit aussi être ouvert aux Français de l'étranger qui sont quand même trois millions. Ils doivent pouvoir saisir le CESE des sujets qui les concernent, tels l'administration consulaire, les passeports...

Mme Muriel Jourda, rapporteur.  - Il convient de s'assurer que les pétitions présentées au CESE ont bien un intérêt national et non local. Les amendements nos20 rectifié et 43 suppriment tout critère de domiciliation, tandis que l'amendement n°8 rectifié remplace le critère de domiciliation par celui de l'intérêt national du sujet. Je préfère la solution, simple, de la commission des lois. Il suffira au signataire d'indiquer son département de résidence lorsqu'il signera la pétition par voie électronique, puisqu'elle est dématérialisée, ce que nul ne conteste.

Avis défavorable, donc, aux trois amendements qui suppriment ce critère géographique.

En revanche, avis favorable à l'amendement n°14 rectifié bis, même si les Français de l'étranger peuvent déjà signer des pétitions, en tant que Français. Ce nouveau critère permettra de les prendre en compte.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Avis favorable également à l'amendement n°14 rectifié bis, mais avis défavorable à l'amendement n°8 rectifié.

L'amendement n°8 rectifié n'est pas adopté.

Les amendements identiques nos20 et 43 ne sont pas adoptés.

L'amendement n°14 rectifié bis est adopté.

L'article 3, modifié, est adopté.

M. le président.  - Nous avons examiné 15 amendements ; il en reste 40.

Prochaine séance aujourd'hui, jeudi 15 octobre 2020, à 10 h 30.

La séance est levée à minuit et quart.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Annexes

Ordre du jour du jeudi 15 octobre 2020

Séance publique

À 10 h 30

Présidence : Mme Valérie Létard, vice-présidente Secrétaires : Mme Patricia Schillinger - Mme Corinne Imbert

Suite du projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au Conseil économique, social et environnemental (texte de la commission, 14, 2020-2021)

Nomination d'un membre d'une commission spéciale

Le groupe du Rassemblement démocratique et social européen a désigné M. Bernard Fialaire membre de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique, en remplacement de M. Jean-Pierre Corbisez, démissionnaire.

Nomination des membres d'une éventuelle CMP

La commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale a désigné pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure :

Titulaires : MM. François-Noël Buffet, Marc-Philippe Daubresse, Mme Muriel Jourda, MM. Philippe Bonnecarrère, Jean-Yves Leconte, Mme Marie-Pierre de La Gontrie et M. Alain Richard ;

Suppléants : M. François Bonhomme, Mmes Jacky Deromedi, Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Hervé Marseille, Jean-Pierre Sueur, Mme Éliane Assassi et M. Jean-Yves Roux.