Conseil européen des 15 et 16 octobre 2020

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 15 et 16 octobre 2020 (demande de la commission des affaires européennes).

M. Clément Beaune, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes .  - Le Président de la République a rendu hommage à Samuel Paty cet après-midi et je tiens ici à m'y associer. Le Président a souligné que les hommes libres formés par le professeur feront comprendre à notre Nation nos valeurs et notre Europe.

À l'issue du sommet des 15 et 16 octobre 2020 où j'ai accompagné le Président de la République, je vais vous rapporter les positions que la France a défendues et les avancées obtenues s'agissant du Brexit, de la coordination européenne sur le Covid, du changement climatique et des relations extérieures.

Je dirai aussi un mot sur la PAC, premier budget européen, sur laquelle un premier accord a été trouvé hier, porté par le ministre de l'Agriculture Denormandie.

La situation épidémique suscite de vives inquiétudes partout en Europe, et des mesures ont été prises dans l'ensemble des États. La coordination européenne de notre réponse sanitaire a été à l'origine défaillante - il faut dire que ce n'est pas une compétence européenne.

Il est normal que les mesures soient différenciées selon les situations et les territoires, mais face à la reprise de l'épidémie, les décisions européennes doivent aussi être coordonnées et proportionnées. C'est l'objet d'un premier accord au Conseil des affaires générales puis au Conseil européen des chefs d'État et de gouvernement. Nous devons en effet aller plus loin pour harmoniser les mesures, par exemple limiter les restrictions de déplacements, c'est important notamment pour les 350 000 travailleurs frontaliers français.

Nous devons aller plus loin sur la reconnaissance mutuelle des mesures sur les transports, sur les tests développés, sur la restriction des quarantaines ; il faut aussi harmoniser les mesures préalables d'information.

Grâce à ces efforts bilatéraux et européens de coordination, nous sommes dans une meilleure situation qu'au printemps.

Plusieurs fois par mois, les chefs d'État et de gouvernement se concerteront désormais par visioconférence.

Sur les vaccins, l'Europe avance vite pour promouvoir un travail commun. Trois contrats ont été signés et financés par l'Union européenne avec de grands laboratoires de recherche ; trois autres sont en préparation. Nous devrons, lorsqu'un vaccin aura été trouvé, éviter le nationalisme sanitaire et le chacun pour soi. La France pousse à la coordination financière et la préacquisition de vaccins.

Sur la relation future à l'issue du Brexit, ce Conseil européen a permis de rappeler nos priorités communes. Trois d'entre elles sont particulièrement importantes à nos yeux. C'est tout d'abord la pêche, question cruciale pour la France et sept autres pays. Le 1er janvier, le visage du Brexit sera le visage de nos pêcheurs. Nous devons garantir leurs intérêts. Nous n'isolerons pas le sujet de la pêche dans la négociation, malgré la pression tactique des Britanniques, car nos pêcheurs ne valent pas moins que les leurs et nous devons les protéger. Le maintien d'un accès stable, durable et réciproque aux eaux britanniques est notre priorité. Le Conseil européen l'a rappelé.

Notre deuxième priorité est relative à des conditions de concurrence équitables pour nos économies, très intégrées après plus de quarante ans d'appartenance au même ensemble. Il n'est pas envisageable d'accepter un « zéro tarif, zéro quota », autrement dit un accès complet à notre marché, sans garanties solides en matière environnementale, sanitaire et - sujet difficile dans la négociation - sur la question des aides d'État.

En matière de gouvernance, nous avons besoin de mécanismes de rétorsion rapides en cas de non-respect des engagements. Nous souhaitons un accord mais c'est surtout le besoin du Royaume-Uni. Nos priorités sont claires, publiques et transparentes. La négociation continuera je l'espère dans ce cadre, dans les prochaines heures.

Nous devons toutefois nous préparer à l'ensemble des scénarios : soit un accord - qui ne sera pas le statu quo car il y aura des contrôles douaniers, sanitaires, phytosanitaires, que nous préparons - soit un No Deal que nous ne souhaitons pas - avec des contrôles et des barrières, tarifaires et non tarifaires.

Le 12 octobre, le Premier ministre a convoqué les ministres concernés pour faire le point sur ces préparatifs.

Avec onze autres pays, le Président de la République, pour la France, a défendu une réduction de 55 % des émissions de CO2 à l'horizon 2030. Le Parlement, plus ambitieux, a voté 60 %. Mais il ne serait ni juste ni efficace que l'Europe s'engage sur de tels objectifs sans demander des contreparties à ses partenaires commerciaux, notamment via l'instauration d'une taxe carbone aux frontières.

S'agissant des relations extérieures de l'Union européenne, la question turque et le partenariat avec l'Afrique ont aussi été évoqués. Ce dernier fera l'objet d'un sommet spécifique en décembre. Nous devons, en cette période, soutenir l'Afrique, y compris dans la lutte directe contre l'épidémie ; il faut lui garantir un accès abordable au vaccin. Au premier semestre 2021 se tiendra un sommet physique.

Un mot d'une actualité qui n'était pas au menu du Conseil européen. L'accord budgétaire du 21 juillet a permis de stabiliser la PAC au niveau actuel, en particulier les paiements directs aux agriculteurs qui constituent une part importante de leurs revenus.

Les ministres de l'Agriculture - et je salue Julien Denormandie - sont parvenus cette nuit à un accord qui prévoit des écorégimes obligatoires au sein du premier pilier de la PAC à hauteur de 20 % des aides. Oui au verdissement de la PAC... si les obligations s'appliquent à tous.

Un soutien d'urgence à la viticulture française a également été obtenu, complémentaire au plan voté au mois de juillet. (M. Jean-Yves Leconte applaudit.)

M. le président.  - Je vous remercie et vous souhaite la bienvenue au Sénat, pour votre première intervention devant notre assemblée.

M. Pascal Allizard, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées .  - Je suis heureux de vous retrouver ce soir, monsieur le ministre, après vous avoir accueilli la semaine dernière à Port-en-Bessin.

Brexit : l'heure est grave. Les chances d'instaurer un partenariat avec le Royaume-Uni s'amenuisent chaque jour un peu plus ; Jean-Yves Le Drian ne l'a pas démenti cet après-midi devant notre commission des affaires étrangères et de la défense.

Saisissons les dix ans du traité de Lancaster House pour conforter notre coopération bilatérale en matière de défense. Membre du Conseil de sécurité de l'ONU, le Royaume-Uni doit rester associé dans la défense européenne : la géographie est têtue. Le Sénat jouera tout son rôle en la matière. Ne laissons pas le Brexit miner dix ans d'efforts.

La remise en cause du protocole nord-irlandais rouvre la question des frontières. Le camp des indépendants écossais est désormais majoritaire dans les sondages.

La Turquie avance ses pions au Haut-Karabakh - comme dans la République autoproclamée de Chypre du nord, où le candidat soutenu par Erdogan l'a emporté sur le dirigeant sortant, favorable à la réunification de l'île. Quelle sera la réponse européenne ?

Avec les menaces de sanctions contre la Turquie au dernier Conseil européen, nous voyons un diagnostic mieux partagé au sujet des menaces. Mais la baisse des crédits du fonds européen de développement (FED) est un très mauvais signal, y compris en matière spatiale.

L'Europe doit être le refuge du droit mais doit aussi rester une puissance. C'est le message que nous demandons au Gouvernement de porter au niveau européen. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'ordre du jour du Conseil européen était riche, mais c'est surtout la relation future entre l'Union européenne et le Royaume-Uni qui a retenu l'attention de la commission des finances.

On a parlé de « sommet de la dernière chance ». Ce nouvel épisode a finalement ressemblé aux précédents. Le feuilleton bien connu reste le même. Les Vingt-sept ont constaté l'insuffisance des progrès réalisés.

Boris Johnson, à l'issue du sommet, a soufflé sur les braises en regrettant de ne pas bénéficier d'un statut similaire à celui du Canada, mais Londres a également annoncé la reprise des négociations ce soir. Partie d'échecs interminable...

Ces hésitations pèsent sur nos entreprises et sur nos concitoyens. Le temps presse. Estimez-vous, monsieur le ministre, que la France est suffisamment préparée d'un point de vue économique, budgétaire et douanier pour faire face à une absence d'accord ?

Les conséquences économiques de la crise ont pu occulter celles d'un No Deal. Qu'en est-il des prévisions macroéconomiques ?

Le retrait du Royaume-Uni entraîne immédiatement une hausse de 2,1 milliards d'euros de la contribution française au budget européen. À quelle hauteur estimez-vous les effets d'un No Deal sur notre produit intérieur brut (PIB) ?

En ma qualité de rapporteur général de la commission des finances, mais aussi d'ancien rapporteur spécial des crédits de la mission Écologie, je salue la réflexion de la Commission sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre d'au moins 55 % d'ici à 2030. Le levier budgétaire semble indispensable pour y arriver. La Commission propose une nouvelle recette propre fondée sur un système révisé d'échanges de quotas d'émissions, éventuellement étendu au transport maritime. Quelles sont les perspectives d'introduction d'une telle ressource à court terme ? Avec quel rendement ?

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ainsi que sur quelques travées du groupe UC) C'est un honneur pour moi, nouvellement élu président de la commission des affaires européennes, d'ouvrir ce débat. Je rends hommage à mon prédécesseur Jean Bizet qui a tant oeuvré pour porter la voix du Sénat à Bruxelles et faire souffler l'esprit européen dans notre assemblée.

Nous espérons tous construire une relation privilégiée avec le Royaume-Uni. Ce dernier y a encore plus d'intérêt d'un point de vue commercial - 50 % de ses échanges commerciaux dépendant de l'Union européenne - et du fait du passeport financier que l'Union peut décider unilatéralement de lui octroyer ou non.

Le rapport de force est en notre faveur, mais nous sommes particulièrement inquiets pour nos pêcheurs. Certains grands armements négocient déjà en sous-main des droits de pêche dans les eaux britanniques, et l'achat de bateaux sous pavillon britannique, mais la pêche artisanale, elle, qui fait vivre tant de familles sur nos côtes, n'en a pas les moyens. Nous devons accompagner les pêcheurs, quelle que soit l'issue des négociations - plus qu'hasardeuse, tant le Royaume-Uni souffle le chaud et le froid. Comment garder confiance quand la loi sur le marché intérieur récemment votée par le Royaume-Uni viole déjà de manière flagrante l'accord de retrait conclu il y a seulement un an ?

L'ambition climatique européenne est grande. La France en est le fer de lance. Il n'est pas étonnant que les chefs d'État et de gouvernement aient reporté à leur prochaine réunion de décembre la décision sur l'ampleur du relèvement de l'objectif de réduction des émissions carbone. Le climat représente une priorité de l'Europe. L'accord obtenu pour l'instant sur un seuil à 55 %, qui serait respecté par les États collectivement, est une concession faite aux États adeptes du charbon, qui accroît la pression sur les autres, dont le nôtre. Quel sera l'impact sur nos industries et notre agriculture ? La Commission vient seulement de promettre une étude d'impact sur la stratégie « De la ferme à la fourchette » : il était temps.

Monsieur le ministre, aurez-vous des éléments précis à nous fournir d'ici décembre ?

Je me félicite de l'élan donné à notre partenariat avec l'Afrique pour bâtir un socle de valeurs partagées, avec des investissements substantiels dans les infrastructures de développement durable.

Je regrette, en revanche, notre frilosité sur la scène internationale, notamment en ce qui concerne la situation en Biélorussie, dans le Haut-Karabakh, ou encore en Méditerranée orientale, où Russie et Turquie enchaînent les provocations. La diplomatie européenne doit changer de braquet.

Alors qu'il se tient habituellement quatre fois par an, le Conseil européen s'est réuni deux fois en octobre, en raison de la crise sanitaire, mais aussi parce qu'une évolution de fond est à l'oeuvre dans les institutions européennes. Il faut en tenir compte dans la perspective d'une conférence sur l'avenir de l'Europe. Celle-ci devait être lancée en mai dernier mais a dû être reportée. Quelles sont les perspectives à cet égard ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Alain Richard et Mme Nadège Havet applaudissent également.)

M. Pierre-Jean Verzelen .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Loïc Hervé applaudit également.) L'Union européenne traverse l'un de ces moments exceptionnels et ces temps de crise qui jalonnent son histoire. Depuis dix ans, il y a eu la crise financière, la dette grecque, les tensions diplomatiques avec des pays amis, le terrorisme, le Covid, le Brexit... Il n'est que de voir le nombre de sujets abordés par le Conseil européen et leur importance. Dans ces moments, une mission l'emporte sur les autres : les chefs d'État européens doivent protéger les peuples.

Au début de l'épidémie, il y a eu à l'échelle européenne un retard à l'allumage. L'épidémie a évolué différemment selon les régions. Il est nécessaire d'améliorer la coordination et de créer des mécanismes pour rendre l'Union européenne plus réactive désormais. Nous saluons la volonté commune qui s'est exprimée sur les questions transfrontalières, les tests, les quarantaines et les déplacements au sein de l'Union européenne. Nous devons prendre collectivement des engagements clairs sur le vaccin tant attendu, sur sa distribution, sa répartition. Le partage d'informations sur la recherche devra être exemplaire entre les États membres.

Quant au Brexit, je salue le travail de M. Barnier pour bâtir depuis le début une ligne commune et je regrette les volte-face du gouvernement britannique, peut-être en train de préparer un royaume prochainement désuni...

Des apprentis sorciers, comme Nigel Farage proposant de reverser au système de santé britannique les centaines de millions de livres prétendument aspirées chaque semaine par l'Union européenne, un Boris Johnson affichant un tel argument sur son bus de campagne, ont joué avec la vérité. Comme on dit dans mon patois picard : fake news ! (On apprécie.)

Les conditions d'une concurrence loyale et équitable doivent être assurées, de même que le respect du filet de sécurité irlandais. Nous devons aussi être clairs au sujet de la pêche, qui cristallise tant de passions. Si les eaux britanniques nous sont fermées, soyons fermes et ne laissons pas notre marché intérieur européen accessible à la pêche britannique.

M. Christian Cambon.  - Très bien.

M. Pierre-Jean Verzelen.  - Ayons le courage d'affirmer dès maintenant aux pêcheurs britanniques que pêcher c'est bien mais vendre sa pêche, c'est encore mieux ! Comme élu des Hauts-de-France et comme parlementaire, je vous le demande : pas d'accord au rabais sur le dos des pêcheurs français et européens ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; MM. Loïc Hervé et Pierre Louault applaudissent également.)

M. Alain Marc.  - Tout à fait d'accord.

M. Jacques Fernique .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) La question du changement climatique est majeure. Je salue le vote récent du Parlement européen sur un objectif en 2030 de 60 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990. C'est une décision historique, comme l'a dit le président Jean-François Longeot. Cet objectif serait-il irréaliste comme l'a déclaré Jean Bizet ? Je ne le pense pas. C'est une chance pour notre économie qui serait moins vulnérable et qui y gagnerait en emplois.

Le Conseil européen, quoique n'ayant pas tranché, n'a pas validé ce vote du Parlement, reportant sa décision en décembre. Il ne fait pas même mention de sa volonté, se contentant de rappeler les moins 55 % proposés par la Commission européenne, qui semblent donc être le compromis convenu à demi-mot.

Il faut une ligne plus ambitieuse pour limiter l'augmentation des températures à 1,5 degré. L'ambition du Parlement européen est-elle partagée ? Nous savons qu'il y a, attisées par les géants des énergies fossiles, des réticences fortes, notamment dans les pays de l'Est de l'Europe aux économies très carbonées.

J'ai bien entendu l'appel des onze pays, dont le nôtre, à un seuil minimum de 55 %.

Certes l'effort climatique ne peut reposer sur la seule Union européenne et les élections américaines, espérons-le, feront bouger la donne. Reste que l'Union doit engager cette décennie déterminante pour tenir une trajectoire respectueuse des accords de Paris.

Au-delà de cet objectif, nous serons attentifs au plan de relance européen massif, et aux moyens qui lui seront alloués. Des ressources propres - taxes carbone, Gafam, transactions financières - devront être trouvées. Après la réponse encourageante du Premier ministre à la question posée la semaine dernière par le président Gontard, quelles sont les perspectives concrètes en la matière ?

Disons-le, dans notre Chambre des territoires : les élus locaux attendent beaucoup de cet effort de relance. C'est elles et eux qui savent le mieux traduire sur le terrain une dynamique, qui doit être accompagnée dans la proximité, clé du succès. (Applaudissements sur les travées du GEST)

Mme Nadège Havet .  - Le Conseil européen a adopté ses conclusions sur divers sujets. L'Europe est là, et bien là.

Les Vingt-sept ont exprimé leurs inquiétudes sur la crise sanitaire, alors que la deuxième vague déferle. L'Irlande se reconfine, la France vit sous couvre-feu, comme la Belgique, qui ferme cafés et restaurants, l'épidémie s'accélère en Allemagne, en Espagne des habitants sont appelés à rester chez eux, à Londres, il est interdit de recevoir des personnes extérieures au foyer...

Avec 250 000 décès, l'Europe paie un lourd tribut. Elle coordonne davantage ses actions. C'est heureux mais il faut aller plus loin sur les données, les tests et les restrictions temporaires des déplacements non essentiels vers l'Union européenne. Je salue le travail du groupe Renew Europe et de l'eurodéputée Véronique Trillet-Lenoir. Le recours à une cartographie unique du risque, qui facilite les prises de décision, est désormais effectif.

Nous devons aussi mener conjointement le combat contre le changement climatique. L'objectif actuel de 40 % est insuffisant pour atteindre la neutralité climatique en 2050. La décision sera prise en décembre, pour les cinq ans de l'accord de Paris. Ne soyons pas défaitistes : soyons ambitieux comme l'a été le Parlement européen en adoptant l'amendement de Pascal Canfin, président de sa commission Environnement, fixant un objectif de baisse de 60 %.

Ambitieux, il faudra aussi l'être dans nos négociations avec le Royaume-Uni, sur les trois dossiers encore bloqués : la concurrence, le règlement des différends et la pêche.

Sénatrice du Finistère, j'insiste sur ce dernier point, fondamental. Le Royaume-Uni n'a pas d'intérêt à un No Deal, sauf à signer des accords de pêche bilatéraux, comme il l'a fait avec la Norvège. Perdre l'accès à notre système européen de l'énergie lui coûterait plus d'un milliard d'euros, sans parler de l'imposition de droits de douane et de quotas. Il faudra accompagner nos pêcheurs, déjà frappés par les conséquences de la crise sanitaire. Pas d'accord sans un bon compromis, sans visibilité, sans respect dans la durée !

Nous nous félicitons enfin de l'accord trouvé cette nuit sur la PAC, avec des mesures environnementales fortes pour tous les États membres. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI)

M. Henri Cabanel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) Je vais évoquer le sujet de la pêche, à l'approche de l'échéance du 31 décembre. J'insiste : les pêcheurs français ne doivent en aucun cas constituer la variable d'ajustement d'un accord. L'objectif de souveraineté alimentaire doit inclure la pêche au titre de la diversité agricole. Aussi, je me félicite que vous en fassiez une priorité. Nul n'a intérêt à un No Deal sur la pêche. Il nous faut refuser toute annualisation des droits de pêche. La pêche est un métier difficile, parfois dangereux mais toujours exercé avec passion. Imaginez le chaos qui suivrait un mauvais accord ! La France, avec les huit États membres concernés, doit maintenir le cap d'une répartition juste des quotas d'espèces et d'un accès aux eaux réciproque et équitable. Avez-vous un plan B en cas d'échec des négociations ?

Les dernières négociations sur la PAC vont dans le bon sens et je vous remercie des bonnes nouvelles que vous nous avez annoncées. Je pense en particulier aux éco-régimes. Un grand nombre d'agriculteurs sont déjà engagés dans la transition écologique. N'ayons pas peur de l'accélérer !

Notre pays est prêt, mais d'autres vont devoir évoluer. Je soutiens la nouvelle ambition de la PAC et la proposition du Gouvernement de porter à 30 % le niveau des aides directes conditionnées au respect des mesures en faveur de l'écologie.

Où en sommes-nous en matière d'étiquetage harmonisé des denrées alimentaires « durables » ?

Nous devons accepter le verdissement de la PAC et regarder avec attention l'objectif de 55 % de réduction des gaz à effet de serre, qui doit cependant être partagé collectivement par les États membres, et autant que possible être exporté au-delà des frontières de l'Europe. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)

M. Jérémy Bacchi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE) Le Conseil européen a mis en lumière le manque de coordination des États membres lors de la pandémie.

L'objectif de réduction des gaz à effet de serre était également à l'ordre du jour. Je m'étonne qu'il n'ait en revanche pas été fait mention du conflit au Haut-Karabakh, où le couvre-feu est régulièrement violé et où les morts se comptent déjà par centaines, les personnes déplacées, jetées sur les routes de l'exil, par dizaines, voire centaines de milliers. La guerre est aux portes de l'Europe.

Membre du groupe de Minsk, la France ne peut se désintéresser du sujet. À quand la reconnaissance officielle du Haut-Karabakh, seul moyen d'assurer la paix durable dans cette zone instable depuis le fragile cessez-le-feu de 1994 ?

Comment comprendre que l'Union européenne poursuive les discussions avec l'Azerbaïdjan et la Turquie sur d'autres sujets ? Qu'entend Ursula von der Leyen quand elle dit que des sanctions contre Ankara sont « prêtes et peuvent être utilisées immédiatement » ? À quand un processus d'autodétermination sécurisé par une opération de maintien de la paix et le retour du million de déplacés artsakhis, arméniens et azéris ? Comment l'Union européenne compte-t-elle assurer le respect du cessez-le-feu afin de pouvoir secourir la population civile ?

L'assistance civile, l'appui au cessez-le-feu, la reconnaissance de la République d'Artsakh sont les seules solutions. L'Europe n'est pas à la hauteur de l'enjeu. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; MM. Jean-Yves Leconte et Patrice Joly applaudissent également.)

M. Jean-François Longeot .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) J'interviens en tant qu'orateur du groupe UC mais aussi en ma qualité de président de la commission du développement durable.

Nombre des défis environnementaux doivent être relevés au niveau européen. Ainsi de la lutte contre le changement climatique et de la future loi Climat qui s'inscrira dans le cadre des orientations prises par l'Union européenne.

Le 6 octobre, un vote historique a eu lieu au Parlement européen, fixant pour 2030 un objectif de 60 % de réduction des gaz à effet de serre par rapport à 1990. Est-ce irréaliste ? La Commission européenne défend un objectif de 55 %, certains État sont réticents et demandent une évaluation de l'impact. Bref, ce n'est pas une surprise : la décision est reportée au Conseil européen de décembre.

Mais il est acté que la relève de l'objectif est nécessaire. Cela signifie que plus personne ne se satisfait de l'objectif actuel de 40 %. Le Conseil de décembre sera celui de la dernière chance pour renforcer les ambitions européennes. L'enjeu est de taille. La France et onze autres États se sont prononcés en faveur d'un objectif de 55 %.

La crise sanitaire, la catastrophe naturelle qui a touché les Alpes-Maritimes, l'augmentation des températures - le mois de septembre 2020 aura battu les records  - tout nous rappelle qu'il y a urgence à agir.

Les évènements climatiques extrêmes deviennent la nouvelle normalité. Personne n'est plus à l'abri du changement climatique. Il faut réagir, comme nous y appelle le climatologue américain Michael Mann.

La commission du développement durable s'implique et s'impliquera. Nous l'avons fait avec une mission d'information et une proposition de loi sur l'impact environnemental du numérique à l'initiative de nos collègues Chaize, Chevrollier et Houllegatte. Nous continuerons à être force de proposition pour une transition durable de notre économie. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ; M. Jacques Fernique applaudit également)

M. Jean-Yves Leconte .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le Brexit a montré que même en tissant des liens pendant plus de cinquante ans, s'il n'y a plus de volonté d'être ensemble, cela ne tient plus. Même avec de nouveaux instruments financiers, l'accord du 21 juillet, déjà inespéré, ne suffira pas à faire une Europe politique.

Le Conseil européen de la semaine passée n'a pas fait la une des journaux.

Sur le Brexit, nous restons dans l'incertitude : les Britanniques veulent-ils partir sans accord ou s'agit-il d'une tactique de négociation ?

Sur le cadre financier pluriannuel, alors que la pandémie reprend, les remarques du Parlement européen méritent d'obtenir des réponses.

Sur le Green Deal, nous saluons la volonté de la Commission européenne de porter l'objectif de baisse des émissions carbone à moins 55 %, mais constatons que nous n'avons guère avancé sur les moyens d'y parvenir. Attention surtout à ne pas compenser la baisse de nos émissions par des émissions importées, comme l'a fait la France.

Sur le pacte migratoire, on change le nom mais pas le contenu. Il est difficile dans ces conditions à l'Europe de parler le langage de la puissance.

Comment faire respecter l'accord de retrait, déjà mis à mal par le Gouvernement britannique, et garantir les droits des Britanniques en Europe et des ressortissants européens au Royaume-Uni ? Quelle place pour le Cour de justice de l'Union européenne s'il n'y a pas d'accord sur la relation future ?

L'accord du 21 juillet sur les nouveaux instruments de financement des politiques européennes, est symbolique : plus de 70 % des obligations souveraines émises par les États membres ont déjà été rachetées par la BCE. Comment tenir la distance face aux États-Unis et à la Chine qui mettent beaucoup plus que nous ?

Nous risquons de voir les recettes propres de l'Union baisser. Pendant ce temps, les nouvelles dépenses vont financer des politiques nationales, avec un réel risque de décrochage de certains États membres, à rebours de la politique de convergence. Il y a besoin de ressources propres nouvelles, sans quoi ce sera un « one shot » et on aura cassé la dynamique.

Comment envisagez-vous de répondre à la problématique de l'État de droit ? Aucun État membre n'est parfait et ils sont nombreux à être condamnés. Quels sont les critères objectifs ? Certains États membres ont des pratiques de corruption dans l'usage des fonds européens : nous avons besoin d'outils de contrôle. Il est à cet égard regrettable que la Hongrie ne participe pas au parquet européen.

Sur la question migratoire, on nous annonce la suppression de la procédure Dublin - mais la responsabilité du pays de premier accueil demeurera, alors que les pratiques sont très différentes. Sur ces sujets, avançons à quelques-uns, en instituant par exemple avec l'Allemagne une cour européenne du droit d'asile.

Enfin, la pandémie a mis à mal les principes de l'Europe de Schengen, avec le retour des contrôles aux frontières. Notre espace de libre circulation n'est absolument pas au niveau : il faut le faire évoluer.

Nous avons besoin d'une implication de l'Union européenne pour faire cesser le drame humanitaire au Haut-Karabakh. Je partage les propos tenus par Jérémy Bacchi. Je pourrais aussi vous interroger sur la Biélorussie où les manifestants sont poursuivis, ou sur notre partenariat avec l'Afrique et les modalités de négociation avec ce continent.

Enfin, les parlements nationaux, qui ont seuls la souveraineté budgétaire, doivent être au coeur du débat sur l'avenir de l'Europe. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Didier Mandelli .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-François Longeot applaudit également.) Le Conseil européen ne manquait pas de dossiers brûlants.

L'objectif de neutralité carbone en 2050 nous impose de revoir notre objectif de réduction d'émission des gaz à effet de serre. Nous sommes très volontaires pour nous fixer des objectifs, un peu moins pour les tenir. La France est loin des engagements pris dans l'accord de Paris. L'an passé, nous avons réduit nos émissions de 0,9 % au lieu des 1,5 % visés ; à compter de 2025, nous devons être à moins 3,2 % par an... Nous devons accélérer le rythme de réduction de nos émissions.

L'Union européenne mobilise des moyens considérables pour financer sa transition écologique. Entre le cadre financier pluriannuel 2021/2027 et la nouvelle capacité d'emprunt, l'Union européenne bénéficiera de 1 850 milliards d'euros, dont 30 % pour le climat.

Nombreux sont ceux qui considèrent que ces moyens sont insuffisants. Quels critères d'utilisation ? Quels contrôles ? Quel rythme de déblocage ?

Nous attendons des détails sur la stratégie européenne de réduction des émissions liées au secteur des transports, l'un des plus émetteurs, le seul dont les émissions ont augmenté depuis 1990. La Commission européenne n'attend qu'une baisse de 20 % entre 2015 et 2030. À quand un plan européen ambitieux en faveur des transports publics, ferroviaires, fluviaux et maritimes ? Il faut aller plus loin que le soutien à la conversion du parc automobile et encourager le report modal.

Le verdissement des transports maritimes est engagé mais des efforts sont encore nécessaires. Ils pourraient être intégrés au marché carbone. Quelle est la position de la France ?

Plus de 200 aéroports européens ont engagé une feuille de route pour atteindre l'objectif de 0 % de CO2 net en 2050. Airbus prévoit d'être le premier opérateur à adopter l'avion à hydrogène en 2035. Mais le choc lié à la crise sanitaire risque de remettre en cause ces objectifs. Quel soutien l'Europe compte-t-elle apporter à la décarbonation du secteur des transports ? Je souhaite que l'Union européenne soit au rendez-vous de ce défi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

Mme Catherine Fournier .  - Depuis que le Royaume-Uni a officiellement quitté l'Union européenne, les pourparlers patinent et l'échéance se rapproche dangereusement.

Une absence d'entente au 31 décembre se traduirait par la fermeture des eaux britanniques aux pêcheurs européens, la fin des quotas partagés et le retour des conflits d'usage entre flottes. Notre filière pêche est lourdement menacée par une absence d'accord. Entre 2011 et 2015, 98 000 tonnes de poissons ont été pêchées dans les eaux britanniques, représentant 171 millions d'euros de chiffre d'affaires et 2 566 emplois directs.

Englober la pêche dans un accord global est un vrai contrepoids dans la négociation. Trente ports français sont concernés. Le port de Boulogne-sur-Mer est le premier port français en termes de tonnages, il traite 36 000 tonnes de poissons et 360 000 produits de la mer par an. C'est une plateforme logistique leader en Europe. Ne faudrait-il pas assouplir le fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche pour l'utiliser comme fonds d'urgence, et se préparer à des marchés de substitution ?

Le port de Calais assure, quant à lui, le transport de 10 millions de voyageurs et de 44 millions de tonnes de marchandises. C'est un poumon économique pour notre territoire.

Il faut un accord de libre-échange ambitieux avec le Royaume-Uni. Pour cela, le Royaume-Uni devra actualiser ses règles pour éviter tout risque de dumping à nos portes.

Enfin, Eurotunnel représente 26 % des échanges entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, 138 milliards d'euros de marchandises et 21 millions de passagers par an. L'Union a encouragé la France à négocier un avenant au traité de Canterbury afin que le tunnel reste sous l'égide du droit européen et la juridiction de la Cour de justice de l'Union européenne. Qu'en est-il ?

M. le président.  - Il faut conclure.

Mme Catherine Fournier.  - Pour finir, je me félicite des progrès dans l'approche coordonnée de la crise sanitaire et des restrictions de circulation au niveau européen. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Marta de Cidrac .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le constat du réchauffement climatique et de la destruction des espaces naturels est bien réel. Les citoyens nous interpellent, nous les élus.

L'action européenne en faveur du climat a été évoquée lors du Conseil européen mais sans fixer de nouveaux objectifs. Ce n'est pas une surprise : vous nous aviez annoncé que la question ne serait pas tranchée avant le Conseil de décembre.

Même si la cible finale n'est pas précisée, le programme de la Commission, d'une baisse des émissions de 55 % d'ici 2030, figure dans les conclusions du Conseil. Cela signifie-t-il que la proposition du Parlement européen à 60 % est jugée inatteignable et donc exclue ?

Cela nécessitera des investissements importants. Nous devons fixer un cap mais aussi accompagner les économies des États membres. Le Conseil européen a demandé des évaluations précises dans les États membres, je m'en réjouis.

Quel est le rapport de force au sein du Conseil européen au sujet du rehaussement de l'objectif et de la nécessaire solidarité entre États membres ? Compte tenu des premiers échanges avec la Commission, quel serait l'impact pour la France ? Il faut prévenir le risque de fuite carbone. Un mécanisme d'ajustement carbone doit être installé rapidement aux frontières pour éviter toute distorsion de concurrence.

L'Europe ne doit pas être naïve. L'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre n'est pas technique ou mécanique ; il est éminemment politique. Il doit être pleinement accepté par les États membres. Il revêt des enjeux économiques, sociaux, industriels et d'aménagement du territoire dans chaque État membre. Il est bon d'avoir retenu un objectif intermédiaire à horizon 2040. Le Sénat le souhaitait.

Dans un contexte économique dégradé par la crise sanitaire, l'Europe doit veiller à poursuivre son objectif de réduction des gaz à effet de serre. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Guillaume Chevrollier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Comment faire de l'Union européenne un outil stratégique pour écrire la prochaine page de la mondialisation ? Le Sénat a proposé l'établissement d'une barrière écologique aux frontières de l'Union européenne dans un but autant économique qu'écologique. Je crois à l'échange, à la force de nos entreprises, à la compétence de nos agriculteurs mais pour que la liberté d'échange ait un sens, il faut que les règles soient les mêmes pour tous.

La politique européenne en faveur de l'écologie ne doit pas être dogmatique mais pragmatique. Nos objectifs doivent être réalisables et les règles simples. À horizon 2050, l'Europe doit s'engager sur la neutralité carbone conformément aux accords de Paris.

J'en viens à la question agricole. La Commission européenne a présenté sa stratégie de la ferme à la table, avec notamment des mesures législatives. Notre agriculture fait partie des plus vertueuses ; elle est forte et doit le rester grâce à une PAC qui simplifie la vie de nos agriculteurs.

Nous avons besoin de l'agriculture pour l'écologie et nos agriculteurs ont besoin du soutien de l'Europe. Nous serons vigilants sur ce point.

L'Europe doit aussi être moins technocratique et se rapprocher du territoire. Nous avons besoin de dialoguer entre l'État, les élus locaux et les corps intermédiaires. Nous comptons sur vous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Clément Beaune, secrétaire d'État .  - Je salue le président Jean-François Rapin et le travail accompli par Jean Bizet.

Monsieur Allizard, la question de la sécurité et de la défense avec le Royaume-Uni est importante. Il est impératif de maintenir un cadre de coopération bilatérale, de sécurité et de défense, avec le Royaume-Uni. Il reste notre premier partenaire de défense à bien des égards et le Brexit ne doit pas abîmer ce partenariat. Nous avons aussi mis en place un cadre informel de travail avec une dizaine de pays, l'initiative européenne d'intervention, qui perdurera après le Brexit.

Vous avez évoqué notre relation avec la Turquie. La tension n'est nullement temporaire. Il existe de multiples foyers de tensions dans diverses zones - Méditerranée orientale, Balkans, Syrie, Libye... - et parfois dans nos pays. Il ne faut faire preuve d'aucune naïveté et protéger nos valeurs.

Sur les six derniers mois, le Président de la République a contribué à la fermeté du discours européen et a envoyé cet été des signaux fort en Méditerranée orientale, avec des exercices de présence navale avec l'Italie, Chypre et la Grèce.

Monsieur Leconte, c'est aussi une façon de gagner en autonomie par rapport à la Turquie, notamment sur la question migratoire. Lors du sommet début octobre, nous avons ouvert la porte à la discussion avec la Turquie. Si elle refuse, des sanctions pourront être envisagées.

Monsieur Husson, le Brexit est effectivement une partie d'échecs interminable et je partage la frustration de nombre d'entre vous. Nous estimons qu'une absence d'accord aurait un impact limité de 0,1 point de PIB pour la France en 2021. Ce serait dix fois plus pour le Royaume-Uni compte tenu de la forte asymétrie de notre relation commerciale. Moins de 10 % des exportations européennes vont vers le Royaume-Uni alors que près de 50 % des exportations de ce pays se portent sur l'Union européenne.

Les estimations de la Commission européenne s'établissent entre 5 et 14 milliards d'euros de rendement annuel pour la taxe carbone aux frontières ; près de 15 milliards pour les seuls secteurs de l'acier et du ciment. Pour mémoire, le coût annuel du Brexit est estimé à 10 milliards d'euros.La question de la pêche est effectivement prioritaire, monsieur Rapin. Nous maintenons une forte pression sur ce point, lors des négociations. Il n'y aura en revanche pas de compromis déraisonnable. La bande des 6 - 12 milles est cruciale pour nous comme pour les Britanniques, notamment pour la pêche artisanale. 25 % de la pêche de notre façade nord-est se fait dans les eaux britanniques. En revanche, le Royaume-Uni a besoin de l'accès à notre industrie de transformation des produits de la mer qui traite les trois quarts de la pêche britannique, essentiellement dans les Hauts-de-France. C'est un fort levier de négociation.

Sur la question climatique, Monsieur Rapin, il faut conserver l'équilibre entre nos ambitions et la réalité. Pour la première fois, le Président de la République a soutenu avec onze autres pays l'objectif de 55 % de réduction des émissions en 2030, contre 40 % actuellement. Il est pourtant déjà difficile de tenir nos engagements pris.

N'ayons pas une forme d'exemplarité naïve vis-à-vis de nos concurrents commerciaux. La diplomatie climatique européenne a payé comme le prouvent les récents engagements de la Chine pour 2060. Ce n'est pas anodin.

Le fonds de transition juste, doté de près de 20 milliards d'euros, a été créé cet été. Il bénéficiera notamment aux Polonais pour les aider à atteindre leurs objectifs climatiques.

Le Conseil européen a demandé à la Commission européenne de préciser son étude d'impact par pays et par secteur d'ici sa réunion de décembre.

On peut regretter la lenteur de l'évolution, mais voyez l'accélération des engagements. En 2019, seuls quatre pays défendaient l'objectif de neutralité carbone en 2050. Nous parlons désormais d'un objectif plus ambitieux pour 2030.

Monsieur Verzelen, il faut une meilleure coordination européenne sur les masques, les tests et les vaccins, ainsi qu'une bonne information des parlements nationaux sur les contrats signés par la Commission européenne. Trois contrats sont signés et trois autres en cours de négociation : entre 200 et 400 millions de doses sont ainsi sécurisées pour chaque contrat.

Le plan de relance, qui compte 37 % de dépenses climatiques, et le budget européen, qui prévoit 30 % de dépenses favorables au climat, contribuent à l'objectif de réduction des gaz à effet de serre. Ils s'accompagnent en outre d'un principe général « Do not harm ». Il en va de même pour la PAC, dont le financement a été revu en conséquence.

Nous ne pouvons pas atteindre notre cible écologique sans une PAC bien financée au niveau européen.

Dans l'accord du 21 juillet, il y a un accord de principe sur la création de nouvelles ressources propres pour rembourser le plan de relance après 2027 et alléger les contributions nationales directes. Depuis les années soixante-dix, aucune ressource propre n'a été créée. Il faudra en fixer le cadre législatif.

S'agissant des accords bilatéraux de pêche conclus par le Royaume-Uni, l'annonce relative à la Norvège relève plutôt de la communication, mais il faut rester vigilant, notamment quant à l'impact sur nos propres quotas. Un accord annuel pour l'accès aux eaux britanniques est bien sûr inacceptable.

À l'occasion du Green Deal, la Commission européenne a évoqué l'étiquetage des produits alimentaires mais le combat est encore à mener.

Nous cherchons à maintenir un lien entre les parties au conflit du Haut-Karabakh, monsieur Bacchi. La priorité est que cessent les hostilités. Par deux fois, la France a obtenu par le groupe de Minsk qu'elle impose un cessez-le-feu. Il ne faut pas fragiliser les efforts diplomatiques. Nous avançons vers une position de fermeté à l'égard de la Turquie et nos partenaires européens sont en train de bouger.

Monsieur Longeot, le Conseil européen était un point d'étape pour un accord en décembre avant la COP de 2026 qui se tiendra au Royaume-Uni.

Monsieur Leconte, le risque de fuites carbone est identifié. L'Europe ne représente que 10 % des émissions de CO2.

La réforme du mécanisme ETS peut faire partie de cette boîte à outils, mais il faut rester prudent quant à l'extension du dispositif à certains secteurs. Nous ne sommes pas hostiles s'agissant du transport maritime. Cela est moins évident pour le transport aérien.

Nous avons engagé une procédure de mise en demeure à l'égard du Royaume-Uni. Le Parlement européen a dit qu'il ne voterait pas sur la relation future si les Britanniques ne retiraient pas leur projet de loi remettant en cause l'accord de retrait.

Mme Fournier, vous avez raison au sujet du tunnel sous la Manche. Nous ne pourrons envisager une suspension du trafic. Nous avons une habilitation depuis hier pour discuter avec le Royaume-Uni au nom de l'Union européenne. De fait, le traité de Canterbury ne suffit en effet pas. Si nous n'avions pas le temps, nous pourrions prendre des mesures de contingence unilatérales et symétriques.

L'outil européen qu'est la banque européenne d'investissement devient progressivement une banque européenne du climat, qui soutient notamment les projets des collectivités territoriales.

En matière d'équité dans les échanges commerciaux, soulignée par M. Chevrollier, nous avons besoin d'équité climatique. On ne peut pas commercer avec des grands partenaires qui ne respectent pas nos exigences minimales en matières sanitaires et environnementales, comme le Mercosur par exemple.

Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

M. le président.  - Je vous remercie pour vos réponses détaillées.

M. Jean-François Rapin, président de la commission .  - Ma conclusion sera en forme d'ouverture. Boulogne-sur-Mer est ma ville de naissance et je puis vous assurer que les Anglais ne sont pas nos ennemis. Quand il fait beau, nous voyons les côtes britanniques, mais nous savons aussi qu'il pleuvra le lendemain (Sourires). Demain, ce seront nos partenaires et nous devrons travailler étroitement avec eux.

Sur la pêche, nous aurons besoin de conditions idéales pour fonctionner correctement. Au niveau douanier, nous sommes prêts mais je suis plus inquiet sur les systèmes vétérinaires de surveillance. (M. Clément Beaune, secrétaire d'État, approuve.)

Sur la PAC, nous serons très attentifs à la question de l'utilisation des fonds européens. On ne peut pas les décentraliser au niveau des États. J'ai eu un échange avec deux députées européennes qui étaient très inquiètes à ce sujet.

Sur le Parlement de Strasbourg, le Parlement français sera proactif pour retrouver un équilibre et pour que l'hémicycle strasbourgeois soit à nouveau utilisé. L'argument sanitaire ne tient plus : la situation à Bruxelles est l'une des plus graves en Europe.

Je remercie tous les interlocuteurs de leur participation très active à ce débat. (Applaudissements)

Prochaine séance demain, jeudi 22 octobre 2020, à 14 h 30.

La séance est levée à 23 h 40.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication