Mineurs non accompagnés

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur les mineurs non accompagnés, à la demande du groupe Les Républicains.

Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la Conférence des Présidents.

Je vous rappelle que l'auteur du débat dispose d'abord d'un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

M. Laurent Burgoa, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je me réjouis de ce débat. Ce sujet sensible suscite vives inquiétudes et récupérations politiques. C'est précisément parce que c'est un sujet sensible qu'il faut l'aborder.

Je remercie Élisabeth Doineau et notre ancien collègue Jean-Pierre Godefroy pour le rapport d'information qu'ils avaient rédigé.

Notre pays doit rester un territoire d'accueil ; pour qu'il le demeure, nous devons être fermes avec ceux qui veulent dévoyer cette politique.

Nous parlons de vies brisées, d'enfants déracinés. Oui, tout enfant privé de sa famille mérite protection. Mais certains individus sans vergogne cherchent à bénéficier d'une aide indue. C'est un drame humain, mais qui a aussi un coût : 2 milliards d'euros par an.

Or, selon l'association des départements de France, 70 % des prétendus mineurs ne le sont pas. Pour faire honneur à nos idéaux, nous devons lutter sans relâche contre les réseaux qui exploitent la misère humaine. Dans les réseaux de l'aide sociale à l'enfance (ASE), on voit parfois arriver plusieurs individus avec le même certificat de naissance. Ils sont aidés par des passeurs qui connaissent très bien les failles de notre système.

Les départements sont débordés et le soutien de l'État est insuffisant. Il est passé de 12 % à 14 % alors qu'en 2010, il y avait 4 000 mineurs contre 40 000 aujourd'hui.

La gestion des flux migratoires est bien une compétence régalienne. Or un tiers des départements, par posture politique, refusent la création d'un fichier national permettant de lutter contre les demandes abusives. À cause de cela, aujourd'hui, des individus reconnus majeurs dans un département peuvent demander à nouveau une prise en charge dans un autre département, puis dans un autre encore... Les forces de l'ordre ne peuvent déterminer la minorité ou la majorité des jeunes concernés, ce qui les empêche de procéder à une reconduite à la frontière des majeurs.

Dans un entretien au Midi libre, le ministre de l'Intérieur se désole qu'il ne soit pas obligatoire de remplir le fichier centralisé. Heureusement que vous êtes aux affaires ! L'incitation financière prévue par le décret du 23 juin 2020 ne suffit pas.

Puisque certains mineurs se présentent avec de faux papiers, voire sans papiers, nous devons pouvoir recourir aux tests osseux, qui ne sont pas infaillibles mais contribuent au faisceau d'indices. Rappelons qu'il s'agit d'une simple radiographie, qui peut être refusée.

Nous devons nous assurer de la minorité de l'individu comme de son isolement. Un débouté en situation irrégulière reste sur le sol français et doit subvenir à ses besoins. Il peut être en proie aux réseaux mafieux qui profitent de sa vulnérabilité et sont ainsi doublement gagnants.

C'est encore plus vrai pour les véritables mineurs. La générosité d'apparat nuit à notre capacité d'accueil : les enfants - car ce sont des enfants - doivent pouvoir suivre une formation, être logés et suivis, et cela représente une somme de 58 000 euros par an.

Pas moins de 37 000 prétendus mineurs arrivent chaque année sur notre territoire. L'enjeu n'est pas départemental mais national. Le Gouvernement entend-il fournir une réponse à la hauteur du problème ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l'enfance et des familles .  - Monsieur Burgoa, merci d'avoir évoqué la sensibilité du sujet. Ces enfants méritent notre protection. C'est notre devoir et notre honneur de les protéger.

Merci au groupe Les Républicains de porter ce sujet. Depuis que j'ai été nommé, il y a deux ans, j'ai demandé à assurer le pilotage de cette politique interministérielle car, derrière cet acronyme de MNA, ne l'oublions pas, il y a des jeunes, des enfants qui doivent être protégés.

Cet acronyme recouvre aussi des réalités très différentes : les MNA ne sont pas un bloc homogène. Les enfants viennent de pays différents - quel point commun entre un enfant venu du Bangladesh et un autre arrivé du Mali, ou encore du Maghreb, si ce n'est que qu'ils sont tous des enfants ?

Leur parcours, leurs motivations, leur volonté d'intégration dans notre pays peuvent aussi différer.

En toute sincérité, j'essaie de considérer la question avec humilité. Je sais que le sujet est compliqué pour les départements. J'essaie d'être pragmatique et j'ai pour seule boussole l'intérêt de l'enfant.

Pour bien débattre, nous devons avoir une vision précise de la réalité. Les MNA étaient 13 000 en 2016 ; fin 2019, ils étaient 31 000. L'augmentation a été particulièrement forte entre fin 2016 et fin 2018. Alors que 17 000 personnes avaient été reconnues mineures en 2018, elles n'étaient plus que 9 000 en 2020 ; 95 % des mineurs sont des garçons, la grande majorité a 15 et 16 ans ; deux tiers viennent de Guinée, du Mali et de Côte d'Ivoire, 10 % d'entre eux - soit 1 771 - sont originaires du Maghreb.

Il y a trois types de protection pour ces mineurs. D'abord un forfait de 100 euros sur les 500 euros fournis par le Gouvernement pour un bilan de santé physique et psychique. La partie psychologique sera renforcée, au vu des traumatismes vécus, au terme d'une mission quadripartite rassemblant, outre mon ministère, ceux de l'Intérieur, de la Justice, de la Santé. Lancée en octobre dernier, elle rendra ses conclusions à la fin du premier semestre.

Autre outil, le fichier d'aide à l'évaluation de la minorité (AEM). Établi pour que des majeurs n'embolisent pas le système, il est aussi une protection pour les mineurs : une fois que leur minorité aura été établie, elle ne pourra plus être remise en cause en cas de changement de département.

Enfin, l'examen par la préfecture du droit au séjour à la majorité doit être anticipé, et intervenir au plus tard aux 17 ans du jeune, afin de faciliter son insertion professionnelle.

M. le président.  - Il faut conclure.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Le financement de l'État est assuré via le programme 304. Un forfait de 90 euros pendant quatorze jours, puis 20 euros pendant neuf jours a été fixé en concertation avec les départements. Cela a représenté 96 millions d'euros en 2018 et 33 millions d'euros en 2019. Et l'aide exceptionnelle dite Cazeneuve a été reconduite.

Dès mon arrivée, Stéphane Troussel m'a alerté sur les difficultés liées à la clé de répartition. J'y ai travaillé.

M. le président.  - Il faut vraiment conclure.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - J'évoquerai d'autres exemples lors de mes réponses.

Mme Éliane Assassi .  - Une fois de plus, nous débattons des MNA, autrefois mieux décrits comme des mineurs isolés étrangers.

Le groupe CRCE avait voulu, dès 2018, un débat consacré à la prise en charge de ces mineurs. De prise en charge, aujourd'hui, il n'est plus question. En l'absence d'une problématique précise, ne s'agirait-il pas surtout d'évoquer les troubles qu'ils posent et la réponse pénale nécessaire ? Nous ne partagerions pas cette approche.

Forcés à l'exil par nos politiques, les MNA sont enfermés, criminalisés, pointés du doigt. Il faut cesser de les enfermer, mais assurer leur mise à l'abri inconditionnelle, en supprimant les tests osseux. Il faut aussi un cadre de prise en charge contraignant pour tous les départements. Qu'en pensez-vous ? (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Ce dispositif que vous appelez de vos voeux existe déjà : le droit international et notre droit interne nous obligent à mettre à l'abri de manière inconditionnelle toute personne se déclarant mineure.

L'État accompagne les départements dans cet effort, et pas seulement financièrement. Les pratiques ont été homogénéisées, notamment grâce à un guide de l'évaluation de minorité, établi par la direction générale de la cohésion sociale.

Attention à ne pas « filiariser » les enfants : les mineurs non accompagnés ont droit à la même protection que les enfants nés sur notre sol.

L'évaluation de la minorité doit se faire par faisceau d'indices. Il doit y avoir une évaluation sociale ; et le Conseil constitutionnel a estimé que si le test osseux n'est pas, en soi, une preuve de l'âge de l'enfant, il ne portait pas atteinte à la dignité humaine. C'est donc un indice parmi d'autres.

Mme Éliane Assassi.  - Vos propos sont en contradiction avec la réalité : les droits des mineurs isolés étrangers ne sont pas respectés lorsque ceux-ci sont enfermés en centre de rétention ou en zone d'attente. C'est cela qu'il faut traiter.

Mme Élisabeth Doineau .  - Merci à M. Burgoa pour ce débat. Avec Jean-Pierre Godefroy, j'avais rédigé un rapport sur ce thème, qui reste central. Nous avions émis trente propositions pour améliorer la prise en charge.

Le boulanger Stéphane Ravacley avait entamé une grève de la faim pour que son apprenti Laye Fodé Traoré obtienne un titre de séjour ; il avait obtenu gain de cause. Il n'est pas seul dans ce cas.

Notre proposition 27 suggérait un partenariat entre le Centre académique pour la scolarisation des enfants nouvellement arrivés (Casnav) et les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte).

Notre proposition 28 recommandait d'élargir à l'enseignement général le critère de formation qui figure dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda).

Notre proposition 30 préconisait de réitérer par circulaire le droit inconditionnel des MNA à travailler, dans le cadre d'une formation.

Comment faciliter l'insertion professionnelle des MNA et, ainsi, leur obtention d'un titre de séjour ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Merci pour les propositions de votre rapport. Il faut anticiper la majorité : une circulaire du 20 septembre 2020 du ministère de l'Intérieur invite ainsi les préfets à se rapprocher des conseils départementaux dès les 17 ans du jeune, pour lui offrir des perspectives. Je sais qu'elle n'est pas encore appliquée sur tout le territoire.

Tous les jeunes de l'ASE, dont les MNA, bénéficieront du partenariat signé avec l'Assemblée des départements de France (ADF) et l'Union nationale des missions locales, afin que ces dernières aillent vers les jeunes pour évaluer de quel dispositif ils pourront bénéficier, notamment « Un jeune, une solution ».

M. Hussein Bourgi .  - Je me félicite de ce débat et en remercie le groupe Les Républicains. Dans un courrier du 8 octobre 2020 au Premier ministre, le président de la Cour des comptes a pointé les défaillances de l'État dans la prise en charge des MNA, à commencer par le manque de pilotage interministériel.

Dans l'Hérault comme dans le Gard - M. Burgoa pourrait en témoigner - nous avons le sentiment que l'État se défausse sur les départements. Une politique ambitieuse exige de réunir autour de la table tous les intervenants : les départements, votre ministère, les ministères de l'Éducation nationale, de la Santé, de l'Emploi. Quelles mesures ont été ou seront prises à la suite de ce courrier ? Comment desserrer l'étau autour des départements ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Les remarques du président de la Cour des comptes s'appliquent à l'ASE dans son ensemble. Je l'ai toujours dit clairement, à vous comme aux conseillers départementaux : l'État n'a pas toujours été au rendez-vous de ses responsabilités. Or la protection de l'enfance n'est pas une compétence décentralisée mais une compétence partagée. La vie d'un enfant n'est pas calquée sur notre organisation administrative et institutionnelle. Les points de contact entre les compétences de l'État et des départements sont nombreux : scolarité, santé relèvent de l'État. C'est là tout l'enjeu de la réforme dont, j'espère, vous aurez à débattre bientôt.

M. Alain Cadec .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Deux milliards d'euros, c'est le coût annuel de la prise en charge des MNA par les départements : 50 000 euros par an et par mineur en 2020. Le nombre de ces jeunes a triplé entre 2016 et 2018 et les services départementaux doivent s'organiser dans l'urgence.

Les Côtes d'Armor par exemple dépensaient 2,5 millions d'euros par MNA en 2016, mais 8 millions aujourd'hui ! L'État ne compense pas tout : il apporte 141 millions d'euros pour des besoins évalués à 2 milliards...

Chaque département se voit imposer un pourcentage de mineurs - parfois majeurs - à accueillir. L'État laisse les collectivités gérer son manque de courage politique. Il est aux abonnés absents !

Or la politique migratoire est une prérogative régalienne. Cerise sur le gâteau, on interdit l'hébergement dans les hôtels, alors qu'il n'y a pas d'autre solution. L'État va-t-il enfin prendre ses responsabilités ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Quand le Gouvernement décide que dans notre pays il ne peut y avoir d'enfant à l'hôtel - des gamins de quinze ans parfois, sans accompagnement éducatif - il prend ses responsabilités. Le confinement a exacerbé ces situations.

Je ne fais pas de politique sur ces sujets. C'est moi qui ai commandé à l'inspection générale des affaires sociales (IGAS), il y a un an, un rapport sur cette situation. On compte 7 000 à 10 000 mineurs hébergés à l'hôtel. Dans 95 % des cas, ce sont des MNA - les 5 % restants sont des enfants aux parcours complexes. Nos concitoyens ne comprendraient pas que nous laissions perdurer cette situation.

Il faut cependant proposer des alternatives aux départements ; c'est ce que nous allons faire en coopération avec l'ADF.

M. Joël Guerriau .  - En septembre dernier, quelques jours après l'attentat de Charlie Hebdo, je me suis entretenu avec une famille hébergeant deux MNA pakistanais venus du même foyer que le terroriste. Ils considéraient, de bonne foi, que le blasphème était un crime et que l'attentat était justifié. Le couple qui les hébergeait leur avait confisqué leurs téléphones, car ils communiquaient avec des personnes partageant leur vision. Ils n'avaient aucun suivi psychologique et éducatif dans leur foyer. Ils arrivent avec leur culture et ignorent la nôtre, mais ne bénéficient d'aucun cours d'éducation civique. L'insertion en lieux de vie serait une bien meilleure solution que les foyers.

Ces mineurs gardent des contacts réguliers avec leur famille ; pourquoi restent-ils en France ?

Les passeurs - ils sont connus - utilisent la misère du monde. Quels moyens prévoyez-vous pour lutter contre eux ? Quelles coopérations avec les pays d'origine envisagez-vous pour démanteler les filières ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Le cas dramatique auquel vous vous référez avait suscité des amalgames englobant le suivi par l'ASE. Mais l'auteur de l'attentat n'était pas mineur, selon les services départementaux, et il n'avait donné aucun signe de radicalisation en foyer ni en famille d'accueil. Je m'étonne qu'il n'ait reçu aucun suivi éducatif alors que c'est un principe.

Merci de prendre le sujet dans sa globalité : oui, il faut agir avec les pays d'origine. J'ai toujours considéré qu'il fallait tout faire pour qu'un môme de 15 ans ne traverse pas la Méditerranée sur un canot pneumatique : cela relève de la protection de l'enfance.

Mme Esther Benbassa .  - Malgré une baisse des arrivées en 2020, les MNA sont dans une situation alarmante. Les procédures sont si longues que certains arrivent à majorité avant d'obtenir une réponse de la justice. D'autres sont évalués en un jour, de façon expéditive, et remis à la rue. Problèmes d'hébergement et de scolarisation, absence de prise en charge sanitaire, notamment dentaire. Et ce, en plein hiver et en pleine pandémie. Il est urgent d'appliquer la présomption de minorité et même d'aller au-delà, avec une prise en charge pluridisciplinaire. Quand l'État prendra-t-il ses responsabilités ? (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - En moyenne, les conseils départementaux et les associations délégataires évaluent la minorité en quinze jours. C'est un délai en baisse. Le forfait de 90 euros par jour pendant quatorze jours crée à cet égard une incitation.

Si vous n'êtes pas évalué mineur, vous êtes considéré comme majeur. Les recours en justice ne sont pas des appels. Notre dispositif est là pour protéger avant tout les mineurs. C'est le même problème qu'avec l'asile ! On ne peut pas prendre le risque de pénaliser les vrais mineurs en acceptant une embolie du système.

En 2018, 40 000 personnes se sont déclarées mineures et 17 000 à 18 000 ont été effectivement reconnues telles.

Mme Esther Benbassa.  - Plus de la moitié des jeunes qui font un recours sont reconnus comme mineurs par la justice : ce sont des centaines de mineurs laissés à la rue pendant des mois, voire des années.

M. le président.  - Il faut conclure... Il y a un Règlement à respecter.

M. Thani Mohamed Soilihi .  - La question des MNA à Mayotte déborde largement la question de la protection de l'enfance. Il y a des événements très graves avec des bandes de jeunes armés - deux mineurs ont été tués récemment. Plus de 4 000 MNA étaient dénombrés en 2016 sur notre territoire. Leur proportion parmi les jeunes de l'ASE est le double de la moyenne nationale. La Cour des comptes juge cette situation « atypique », au point qu'elle ne prend pas nos chiffres en compte dans ses statistiques !

Il y a certes la pression migratoire insupportable depuis les Comores. Et l'on ne peut répartir ces MNA entre plusieurs départements. La solution ne peut se trouver en mépris du droit. Monsieur le ministre, vous êtes venu sur place cet automne, vous avez constaté nos difficultés. Quelles actions envisagez-vous ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - La situation à Mayotte est atypique et ne peut être comprise depuis Paris. Je me suis rendu sur place avec vous ; je suis également allé en Guyane l'an dernier.

Il y a 300 MNA, mais plus de 4 000 jeunes ne sont pas véritablement isolés, ils ont de la famille sur place. Une convention spécifique s'est accompagnée d'une dotation de l'État de 10 millions d'euros par an. Nous travaillons à la poursuite de ce financement exceptionnel. En outre, j'ai débloqué 2 millions d'euros pour les associations opérant auprès des enfants à Mayotte. J'ai proposé au président du conseil départemental de contractualiser : il réfléchit... Je reste à sa disposition.

La politique de reconduite à la frontière a concerné 27 000 personnes en 2019, essentiellement vers les Comores.

Mme Nathalie Delattre .  - Depuis deux ans, la quiétude de Bordeaux n'existe plus. Pour la préfecture, 40 % de la délinquance est liée aux MNA. Ce phénomène inquiète les habitants et désarme les forces de police.

Notre politique d'évaluation de l'âge est manifestement un échec.

L'avis du Conseil constitutionnel en 2019 sur les tests osseux aurait dû mettre un terme à la controverse. Pourquoi le recours aux radios osseuses n'est-il pas systématique ? C'est la seule manière de déterminer l'âge ! (Applaudissements sur plusieurs travées au centre et à droite)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - L'évaluation est un sujet complexe. Les tests osseux déterminent un âge avec un intervalle d'incertitude de plusieurs mois : c'est ce que nous disent les scientifiques. En outre, dans cette tranche d'âge des 15-18 ans, le corps se développe. C'est pourquoi le Conseil constitutionnel a considéré que ces tests pourraient constituer un élément du faisceau d'indices, avec l'évaluation sociale, notamment l'entretien.

La question du fichier AEM se pose aussi. Dans les 80 départements qui l'utilisent ou sont en passe de l'utiliser, le nombre de jeunes qui se présentent a diminué de 20 à 30 % : c'est un outil contre le nomadisme administratif...

Mme Nathalie Delattre.  - Les MNA représentent 15 à 20 % des enfants de l'ASE, pour un coût de 50 000 euros par an. Ces radios osseuses sont fiables. Beaucoup de ces mineurs sont majeurs en Espagne, où ils bénéficient de droits meilleurs en tant que majeurs.

Mme Annick Jacquemet .  - Le nombre de jeunes mineurs étrangers semble se stabiliser. Les départements réclament de la cohérence. Le parcours en deux étapes crée de fausses espérances pour les jeunes - et des coûts pour les collectivités territoriales.

L'étape 1, à la majorité, lorsqu'il y a des doutes sérieux sur l'identité, est marquée par une éventuelle reconduite à la frontière. Il est donc nécessaire de fixer très rapidement les chances du jeune de rester en France, avant qu'il y prenne racine. On a cité le jeune Traoré.

Le fichier AEM est très efficace. Son utilisation doit être généralisée. Il faut rendre obligatoire une demande anticipée de titre de séjour afin que ces jeunes sachent à quoi s'en tenir. Articulons l'usage de l'AEM avec une réponse plus rapide de la préfecture. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - C'est tout le sens du fichier AEM. Les services de la préfecture interrogent d'autres bases ainsi que les états civils des pays d'origine - lorsque ces registres existent toujours... C'est aussi le sens de la circulaire du 21 septembre 2020 qui vise à mieux anticiper la situation du jeune à sa majorité. On a connu des situations ubuesques. Si au cours de cette procédure, il apparaît que le jeune n'est pas mineur, la prise en charge s'arrêtera.

Mme Victoire Jasmin .  - (Mme Michelle Meunier applaudit.) Je remercie le groupe Les Républicains pour ce débat sur un sujet épineux. La situation est particulière, outre-mer, en raison de la situation géographique qui entraîne l'arrivée de beaucoup de personnes en situation irrégulière.

En Guyane, c'est la catastrophe, notamment à Saint-Laurent du Maroni : les enfants sont utilisés pour transporter de la drogue à travers le fleuve.

En Guadeloupe et en Martinique, les situations sont critiques aussi. Certains enfants sont confiés à des personnes de leur famille, qui ne sont pas leurs parents. Ils sont très souvent renvoyés après un séjour en centre de rétention.

Enfin c'est triste mais c'est la réalité, certains jeunes alimentent les réseaux de prostitution et de drogue. Ils vivent dans des squats, des zones de non-droit. L'État doit mener des discussions bilatérales avec les autres pays afin que ces derniers prennent leurs responsabilités.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - La situation est complexe en Guyane. À Saint-Laurent du Maroni, beaucoup de jeunes mères sont arrivées du Surinam en traversant le fleuve. Nous travaillons à des coopérations avec le Surinam ou le Brésil, comme avec les Comores s'agissant de Mayotte.

Les données fiables manquent. La déclaration à l'état civil a peu cours en forêt. On compte peu ou pas d'enfants sans identité venus d'Haïti ou du Brésil. Les enfants nés sur le territoire français sont Français et ne peuvent être expulsés, d'autant qu'ils ne sont pas enregistrés au Surinam. Il y a aussi la question de la prostitution et celle des « mules ». Nous avons décidé une intensification des contrôles sur les vols entre la Guyane et Paris.

M. Gilbert Favreau .  - Les jeunes en situation irrégulière en France ne sont pour la plupart pas mineurs et ils prolongent le plus longtemps possible leur présence sur le sol national, notamment via des recours. Ifine, vrais ou faux mineurs, ils restent tous sur le territoire national en situation irrégulière.

Combien sont-ils aujourd'hui, monsieur le ministre ? Je suis certain qu'on en dénombre plusieurs dizaines de milliers. L'État n'a jamais fait ce qu'il fallait pour leur donner un statut légal - ou à l'inverse leur signifier une obligation de quitter le territoire.

Ce ne sont pas les départements qui sont en cause : ils font ce qu'ils peuvent ! Raisonnons en stocks et en flux : quel est le calcul, monsieur le ministre ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Je suis ravi de vous retrouver ici au Sénat, après vous avoir rendu visite, quand vous étiez président du conseil départemental des Deux-Sèvres.

En 2017, 44 000 jeunes se sont déclarés mineurs non accompagnés, 14 000 ont été reconnus tels ; en 2018, 17 000 l'ont été sur 51 000 ; et 16 000 sur 31 000 en 2019. Soit entre 30 et 40 %. Chaque année, environ 11 500 accèdent à la majorité. En 2019, 5 630 titres de séjours ont été délivrés et 400 ont été refusés.

M. Hussein Bourgi .  - Évoquer un sujet aussi sensible et grave oblige à parler avec générosité, gravité mais aussi lucidité.

Dans mon département de l'Hérault, des jeunes arrivent de pays en guerre, après avoir traversé mers et continents pour venir travailler ici et envoyer de l'argent à leur famille. Mais il y a aussi les filières mafieuses. Dans l'Hérault l'an dernier, 77 MNA ont été mis en cause dans 254 infractions... et remis en liberté à la charge du département.

Si 90 % des MNA ne posent pas de problèmes, 10 % jettent le discrédit sur tous. La France semble liée par le pacte de Marrakech qui empêche les reconduites à la frontière. Qu'en est-il ? (Mme Victoire Jasmin, MM. Sébastien Meurant et Laurent Burgoa applaudissent.)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - En effet, presque tous ces mineurs sont là pour s'intégrer. Une petite partie d'entre eux sont des victimes de la traite ou des délinquants eux-mêmes.

Un certain nombre de jeunes viennent du Maroc. Ils ne sont pas du tout là pour s'intégrer. Ils ont de gros problèmes de santé, étant polytoxicomanes, souvent accro au Rivotril.

Nous avons mis en place une procédure particulière avec le ministre de l'Intérieur, le garde des Sceaux et des juges. Un schéma de procédure a été élaboré, pour une prise en charge à droit constant dans le cadre de la convention de La Haye, avec une coopération sur la décision de retour. Je vous renvoie à la circulaire du 8 février 2021.

M. Bernard Bonne .  - Les vrais mineurs non accompagnés ne sont pas bien pris en charge.

Le dispositif actuel de l'ASE répond à leurs besoins vitaux mais n'apporte pas un accompagnement social pour une réelle insertion professionnelle.

Si certains, au parcours chaotique, ont besoin d'une aide de type Maison d'enfants à caractère social (MECS), d'autres pourraient entrer en alternance ou en apprentissage. Mais l'hébergement en hôtel ne favorise pas l'accompagnement ni le parcours vers l'emploi.

L'accueil en foyer de jeunes travailleurs se développe-t-il ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Nous faisons tout pour que les jeunes non accompagnés s'inscrivent dans des filières professionnalisantes, qui facilitent l'intégration.

Nous avons mis en place pour l'ensemble des jeunes de l'ASE un système « aller vers » en partenariat avec les missions locales, dans le cadre de « Un jeune, une solution ». Nous voulons aussi augmenter le quota de jeunes ASE dans les foyers de jeunes travailleurs.

Les progrès sont réels. Nous voulons éviter une rupture supplémentaire dans le parcours de ces jeunes qui en ont déjà connu beaucoup.

M. Bernard Bonne.  - Lorsqu'Olivier Cigolotti était directeur d'un foyer de jeunes travailleurs, nous avions créé des places supplémentaires car le coût est moindre et le suivi allégé.

Vous avez parlé de partage des responsabilités entre l'État et les départements ; très bien, mais 140 millions d'euros sur 2 milliards d'euros, ce n'est pas un partage très équitable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Sébastien Meurant .  - Monsieur le ministre, 70 % des mal nommés mineurs non accompagnés sont majeurs.

Dans le Val d'Oise, 65 mineurs étaient pris en charge par l'ASE pour 3 millions d'euros en 2017. En 2019, ils étaient 731, pour 43 millions d'euros.

Selon l'ADF, il y a 40 000 MNA sur le territoire ; 16 700 selon le ministère de la Justice. Qui dit vrai ? Les services de police sont débordés par les plaintes : squat, vols, drogue... Les chiffres d'interpellation et d'infractions sont accablants : 10 000 en 2019 pour la seule agglomération parisienne.

L'absence de recours aux tests osseux conduit à remettre en liberté les « mijeurs » comme dit la police, ces majeurs qui se disent mineurs.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Je n'ai jamais nié la difficulté de la situation mais je n'adhère pas à votre vision catastrophiste.

Notre système protège des dizaines de milliers d'enfants et c'est notre honneur. L'ADF a estimé la charge à 2 milliards d'euros. Nous n'avons pas la même évaluation.

En 2019, dans le Val-d'Oise, 1 192 jeunes ont été évalués mineurs. Grâce à la nouvelle clé de répartition, 421 d'entre eux ont été envoyés dans d'autres départements.

M. Sébastien Meurant.  - Laisser faire, c'est être complice des trafiquants d'humains.

Faire passer un mineur, c'est faire passer toute une famille, en raison du regroupement familial entériné par la loi Collomb.

En 2020, la France confinée a accueilli 115 000 demandeurs d'asile, conséquence de votre incapacité à maîtriser les frontières.

En Île-de-France, 60 à 70 % des cambriolages sont dus aux MNA.

Mme Éliane Assassi.  - Nous voilà en plein délire...

Mme Laurence Muller-Bronn .  - L'évaluation de la minorité est défaillante. La fraude est massive et il en résulte pour la protection de l'enfance un coût qui augmente de manière exponentielle.

L'État ne finance que l'évaluation et la mise à l'abri, sur une durée de vingt-trois jours. Les départements, eux, prennent en charge les MNA pendant deux ans en moyenne. Pour la collectivité européenne d'Alsace, où les MNA sont amenés par des filières mafieuses de l'Est, depuis des pays qui ne sont pas en guerre, cela représente 20,3 milliards d'euros, et l'apport de l'État est de 0,5 milliard d'euros, soit 2,5 %. La violence explose dans les lieux d'incarcération pour mineurs où huit jeunes sur dix sont en fait des majeurs.

Seul un contrôle centralisé national, harmonisé, rendrait aux départements la possibilité de se concentrer sur les vrais mineurs. Pourquoi votre futur projet de loi se concentre-t-il surtout sur le contrôle des départements ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Je m'entretiens régulièrement du problème avec le président de votre département : et j'ai compris que l'engagement marqué du Bas-Rhin sur ces questions était lié à l'histoire de ce territoire.

Mon intention n'est absolument pas de faire contrôler par les préfets l'action des départements. Quant à la définition d'un pays en guerre, vous la connaissez, vous venez de débattre de Barkhane. Le Mali est en guerre et il est le principal pays d'origine des MNA.

Je n'ai pas de souci idéologique avec les tests osseux, je m'appuie sur les avis scientifiques.

Le travail d'évaluation est très compliqué et nous essayons d'accompagner les départements, avec les services de la protection judiciaire de la jeunesse, la direction générale de la cohésion sociale et le ministère de l'intérieur.

M. Stéphane Sautarel .  - Le sujet est d'abord migratoire. Il relève donc de l'État, comme le Président de la République l'a reconnu en 2018.

Il y a un enjeu de continuum de la protection de l'enfance. Ces jeunes bénéficient de l'accompagnement de l'ASE, mais pour beaucoup, le parcours s'arrête à la majorité.

Le même État qui demande au département de financer les études des MNA décide ensuite d'expulser ceux-ci. Ils sont chassés, jugés, alors qu'ils étaient en phase d'insertion et construisaient un projet de vie.

Ce contexte kafkaïen engendre des drames humains et met en difficulté des entreprises qui se retrouvent accusées d'emploi de clandestins.

Quelle cohérence y a-t-il à investir sur ces jeunes pour ensuite les renvoyer ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Pour les MNA comme pour les jeunes de l'ASE, les sorties sèches peuvent engendrer des drames.

La coopération entre l'État et les départements doit être mobilisée au maximum.

L'État contribue à hauteur de 500 euros par jeune via les missions locales. Ce, indépendamment de la conclusion de contrats jeunes majeurs.

L'anticipation de la majorité est bénéfique pour tout le monde. Faisons en sorte que le noble investissement sur ces jeunes ne soit pas perdu pour l'avenir.

M. Arnaud Bazin, pour le groupe Les Républicains .  - Mon propos ne posera pas de point final à ce débat indispensable. Une politique publique qui voit son volume multiplié par 12 ou 13 en cinq à sept ans doit nous conduire à nous interroger sur les causes et les conséquences.

La prise en charge des MNA est une compétence majeure et emblématique de l'action sociale des départements. J'ai siégé sept ans au bureau de l'ADF : je puis attester que l'ensemble des présidents de départements sont attachés à bien remplir cette mission pour donner une seconde chance à ces enfants.

Mais les départements sont en difficulté financière. Le nombre de bénéficiaires du RSA a encore augmenté en 2020, parfois de deux chiffres alors que les recettes, les DMTO en particulier, ont baissé.

Nous sommes confrontés à la surdité de l'État qui maltraite les départements. NOTRe, Maptam, baisse des dotations de fonctionnement de 40 %...

Il y a également un angle mort de la politique migratoire.

Ces jeunes mineurs sont souvent mandatés par leurs familles. Le phénomène économique est adossé à des groupes mafieux. On peut vous donner les tarifs par pays et même par région !

Enfin, l'évaluation de minorité est un exercice très délicat.

Les moyens n'ont pas été au rendez-vous, loin de là. Des crédits de 120 millions d'euros, en baisse, c'est incompréhensible. Or cet état d'urgence, temporairement masqué par la situation sanitaire, va prospérer. Il faut des réponses plus solides.

Le phénomène actuel met en danger à la fois la mission de protection de l'enfance assignée aux départements, les finances départementales, et les Français eux-mêmes, confrontés à une délinquance de plus en plus préoccupante, surtout en outre-mer.

Soit nous pouvons agir à droit constant - à vous de nous le dire, monsieur le ministre -, soit il faut s'engager dans une réflexion plus large sur ce qui ne fonctionne pas. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains ainsi que sur les travées du groupe SER)

La séance est suspendue à 20 h 30.

présidence de M. Roger Karoutchi, vice-président

La séance reprend à 22 heures.