Débat sur le rapport de la commission d'enquête Covid-19

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions du rapport de la commission d'enquête pour l'évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion.

M. Alain Milon, président de la commission d'enquête .  - Les hommes ont fait d'immenses progrès dans leur combat contre les épidémies, grâce aux vaccins et aux traitements, nous faisant oublier l'effroi de nos ancêtres. Les règles de base de cette lutte se sont rappelées à nous avec la covid : tester, tracer, isoler afin de casser la dynamique des contaminations. En l'absence de traitements et de vaccins, cette stratégie a fait la preuve de son efficacité mais le Gouvernement, après l'avoir appliquée au début de l'épidémie, dans l'Oise, aux Contamines et à Creil, y a ensuite renoncé. La constance et les moyens ont fait défaut. Le déploiement des tests a été laborieux, avec une approche d'abord malthusienne, alors que certains de nos voisins testaient beaucoup plus massivement. Certaines capacités de laboratoires privés, notamment vétérinaires et universitaires, ont été laissées à l'écart ; leur réintégration s'est faite tardivement. Pendant de trop longues semaines, notre pays a testé, testé, testé, conformément aux recommandations de l'OMS, mais en pure perte, les résultats arrivant trop tard aux intéressés.

Le traçage a été marqué par des retards et une perte globale d'efficacité. La Corée a été, à titre d'exemple, plus efficace, avec des moyens relativement rustiques, nous expliquait notre ambassadeur. Il fallait mobiliser le plus de moyens possible et agir vite ; je pense notamment aux médecins de ville, les premiers concernés par le contact avec les malades.

L'échec de « StopCovid » a été collectif et a pesé sur la capacité de diffusion de l'application « Tous AntiCovid ».

La commission des affaires sociales s'était penchée sur question de l'isolement des malades et des cas contacts au sujet d'une proposition de loi de notre collègue Amiel, dont M. Lévrier était rapporteur. Ce texte visait les cas de tuberculose résistante, mais la question reste la même : que faire face à un malade contagieux qui risque de susciter une flambée épidémique ? Notre commission avait suggéré de donner une compétence claire au préfet. Le Premier ministre d'alors avait considéré que l'isolement devait relever du civisme de chacun : « l'isolement doit être expliqué, consenti et accepté ».

Pourtant nos partenaires vont plus loin et nous avons des capacités disponibles pour l'isolement - 7 000 lits en Île-de-France avaient été pré-réservés par Valérie Pécresse. Il manquait donc une volonté politique. Un an après le déclenchement de la crise, la commission des affaires sociales a souhaité mesurer le degré de préparation de notre pays - nous n'étions pas prêts - et définir des pistes d'amélioration pour tester, tracer, isoler.

Le faisons-nous ? Clairement non. Avons-nous la volonté de mettre en place la stratégie « Tester, tracer, isoler » ? Que ferions-nous en cas de maladie beaucoup plus contagieuse et beaucoup plus létale ? Devrions-nous conserver la même stratégie ? J'espère que le débat nous permettra de répondre à ces questions de responsabilité individuelle, de responsabilité politique et de la confiance des citoyens dans leurs dirigeants. Ce n'est qu'en tirant les leçons de ce qui s'est passé que nous pourrons progresser. C'est ce à quoi la commission d'enquête s'est employée et j'espère que, sur le fondement de ses recommandations, nous pourrons avancer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur diverses travées du groupe SER)

M. Bernard Jomier .  - Notre rapport, établi avec Catherine Deroche et Sylvie Vermeillet, s'est attaché à proposer des pistes pour l'avenir de notre système de santé. Ces dernières décennies, notre pays a su construire un système de soins, non un système de santé publique.

D'autres pays, qui avaient connu une situation épidémique en 2003, étaient mieux préparés en 2020, car ils avaient modifié leur approche. Espérons qu'il en aille de même pour nous ! La principale leçon est notre défaut d'adaptation : notre réponse est souvent uniforme et verticale. Nous ne pouvons nous en satisfaire.

Quand allons-nous enfin modifier notre approche de la crise ? Sur la culture persiste la décision uniforme d'arrêt des activités, alors qu'il va falloir apprendre à vivre avec le virus... L'adaptation n'est toujours pas en cours, même si elle commence à être annoncée. Au printemps, nous étions dans la sidération ; à l'automne, l'ouverture et la fermeture des commerces selon les biens à la vente et non selon les conditions sanitaires donnèrent lieu à des épisodes ubuesques.

L'adaptation est donc très lente et nous appelons notre pays à aller plus vite.

Après une phase suraiguë puis des épisodes aigus, et dans l'attente peut-être d'une phase chronique, il est temps de légiférer pour modifier notre système de santé à la lumière du Covid-19.

Il a été difficile de territorialiser les réponses, ce qui est bien dommage. Cette approche aurait mérité d'être plus développée. Certains villages de Bretagne n'ont pas vu un cas de Covid et subissent les mêmes interdictions que partout ailleurs.

À quand une stratégie d'éradication complète du virus ? Le 12 janvier, on annonçait 77 millions de doses en juin ; le Président de la République a annoncé que tous les Français pourraient être vaccinés cet été. Les conditions d'une telle stratégie sont-elles désormais assurées ?

La démocratie a souffert pendant cette épidémie : cette question doit être largement débattue, et pas seulement au sein du Conseil de défense ou du Conseil scientifique.

Si nous réussissons ce pari, les victimes de cette épidémie, beaucoup trop nombreuses, auront au moins conduit à améliorer notre système de santé. (Applaudissements)

M. Emmanuel Capus .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Un nombre d'abord : 80 000 personnes, c'est le nombre provisoire de victimes. Je pense à elles au moment de prendre la parole. Dès les premiers jours de la crise, le Sénat a agi. Il a voté la loi sur l'état d'urgence sanitaire et quatre projets de loi de finances rectificative. Dans le but d'identifier les pistes d'amélioration des politiques publiques, il a créé une commission d'enquête. À ce stade, nous manquons encore de recul pour tirer des conclusions définitives.

La France, comme le monde, a subi les effets d'une pandémie qui nous a tous surpris. Certains pays - Taïwan, Corée du Sud - ont réagi rapidement, d'autres moins - États-Unis, Royaume-Uni. L'OMS a tardé à tirer la sonnette d'alarme. Les efforts de la Chine pour cacher le début de cette épidémie en sont sans doute en partie responsables.

Mais le pire a été évité. Le séquençage du génome du virus a été réalisé et des vaccins mis au point. Actuellement, la France compte moins de morts par jour que l'Allemagne, pourtant auparavant citée en exemple.

Le stock de masques de l'État - chirurgicaux et surtout FFP2 - a été fortement asséché ces dernières années : cela a sensiblement accru la vulnérabilité de notre pays. Le curare et les respirateurs nous ont aussi fait défaut.

La coopération européenne reste un point d'amélioration majeure. Il faudra aussi que la médecine de ville apporte tout son concours au secteur hospitalier. Les différents laboratoires, y compris vétérinaires, auraient pu être mieux associés pour effectuer davantage de tests. À titre personnel, je pense qu'il aurait fallu se poser la question de la contrainte - isolement et passeports vaccinaux.

Les collectivités territoriales devraient être mieux associées au fonctionnement des ARS et aux décisions prises par l'État.

Tels sont les premiers enseignements que nous pouvons tirer. D'autres questions, comme celles de notre souveraineté économique et sanitaire ou du sort réservé à notre jeunesse, restent en suspens. Elles devront nécessairement trouver des réponses. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme Catherine Deroche applaudit également.)

Mme Raymonde Poncet Monge .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Les conclusions du rapport sont accablantes : les alertes de la ministre de la Santé en janvier n'ont pas été entendues par l'exécutif ; le Grand Est a lutté quasiment seul contre une épidémie exponentielle ; la baisse du stock de masques a été cachée par la direction générale de la santé ; les populations les plus vulnérables ont été le plus durement touchées par le virus. Ces manquements et négligences ont coûté la vie à des milliers de personnes. La responsabilité de l'État est ainsi engagée.

Les préconisations du rapport sont justes : il convient de reconstituer le stock stratégique de masques, sortir de l'hospitalo-centrisme et faire vivre la démocratie sanitaire. Mais la gravité de la pandémie trouve aussi ses causes dans les politiques d'austérité budgétaire menées depuis des dizaines d'années.

Bien avant la covid, les hôpitaux publics étaient au bord de l'asphyxie avec un Ondam insuffisant, une tarification à l'activité (T2A) problématique et un virage ambulatoire à marche forcée. Nombre d'opérations ont dû être déprogrammées, avec des pertes de chances.

Face aux différentes pénuries, le Gouvernement n'a pas agi, notamment par idéologie. L'hyperprésidentialisme, avec ses comités et ses trois cabinets de conseil privés, brouille la gouvernance sanitaire, et les agences publiques, comme Santé Publique France, n'ont pu mener à bien leurs missions...

Cette crise doit infuser une transformation profonde de nos modes de vie ; car elle découle des bouleversements écologiques. Nous sommes entrés dans le temps des pandémies en raison de la perte de biodiversité. Ce volet aurait lui aussi mérité des recommandations comme la non-ratification des traités de libre-échange, tel le Mercosur.

Nous devons passer d'une politique publique curative à une politique préventive. La défense de la biodiversité doit accompagner l'émergence d'une société résiliente, respectueuse du vivant et dont le paradigme deviendrait le soin et la justice sociale. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER)

M. François Patriat .  - Encore inconnu il y a un an, le Covid-19 a donné lieu à une crise sanitaire inédite. Nous sommes réunis pour un débat non pas sur la crise mais sur les conclusions de la commission d'enquête, qui s'inscrit dans le rôle de contrôle de l'action du Gouvernement par le Parlement.

Nous saluons le travail de la commission d'enquête, avec 133 personnes auditionnées et 102 heures de réunion.

Comment contrôler l'action du Gouvernement sur une épidémie qui a fait hier encore 439 victimes en 24 heures ? Comment critiquer des mesures sans le recul nécessaire ?

Il y a un an, il y avait 814 victimes du Covid, plus que le SRAS... Aujourd'hui, nous en sommes à 2 millions de décès.

Un an de vagues, de reprises, d'accalmies et maintenant de variants. Douze mois de gestes barrières à s'approprier, douze mois de vie sociale à l'arrêt. Plus de trois millions de cas détectés, deux millions de doses de vaccins administrées. Nous sommes très réservés sur la temporalité de cette publication. Le temps du bilan arrivera plus tard, quand les hôpitaux auront du répit. Ce temps long force à l'humilité.

La commission d'enquête a commencé ses travaux à l'été, lorsque les courbes étaient au plus bas. La situation actuelle est différente de la première vague, les réponses ne sont plus les mêmes.

Les pays jugés comme exemplaires lors de la première vague ne le sont plus. La comparaison est souvent utile mais n'est pas une science exacte. Qui rappelle que certains pays ont fermé leurs écoles depuis huit ou neuf mois ?

Les masques ont focalisé de nombreux débats. Qui aurait cru il y a un an que nous devrions peut-être prendre encore des mesures plus restrictives, face à une troisième vague ? La ligne de crête a obligé le Gouvernement à faire preuve d'équilibre : entre liberté et restriction, entre gestes barrières et confinement, entre ouverture souhaitée de tous et fermeture nécessaire pour tous.

Il y a un an, la France n'était pas prête, mais aucun pays ne l'était. Un an plus tard, le constat n'est pas aussi noir que le rapport de la commission d'enquête le laisse croire.

Aux prémices de la crise, les transferts sanitaires ont désengorgé les hôpitaux des territoires les plus touchés.

La vaccination des publics prioritaires fonctionne, la coopération européenne dont la France était moteur est établie et notre capacité de tests est exemplaire en Europe. Les tests sont payants en Allemagne et en Angleterre, respectivement 100 et 300 euros, alors qu'ils sont gratuits en France. Personne ne le dit !

Les sénateurs du RDPI estiment qu'une commission de prospective serait nécessaire, une fois la crise passée. Accompagnons plutôt le Gouvernement dans ses mesures d'adaptation pour l'aider à poursuivre son action et pour éviter un confinement pour tous. (M. Julien Bargeton applaudit.)

Mme Véronique Guillotin .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Selon Chateaubriand, « presque toujours en politique, le résultat est contraire à la prévision ». L'épidémie de Covid-19 n'était pas prévisible, mais elle aurait pu être mieux préparée.

Je salue le travail remarquable des rapporteurs de la commission d'enquête. Nous avons entrepris cette tâche de façon rigoureuse et dépassionnée, mais avec un oeil critique. Je souscris aux préconisations des rapporteurs.

La commission d'enquête a souligné l'impréparation et le manque d'anticipation. Nous avons été démunis, à la différence de Taïwan, Singapour ou d'autres pays forts de leur expérience du SRAS et de la grippe A en 2009.

Mais nous avons eu un défaut de stratégie - tester, tracer, isoler - et une pénurie de moyens de protection individuels et de capacités de production. Pourtant, le Haut Conseil de santé publique et Santé Publique France préconisaient la constitution d'un stock stratégique de masques.

Nous devrons donc sécuriser la gestion des stocks de masques, de médicaments, de vaccins et relocaliser leur production en Europe. Nous pensions que cette impréparation de début de crise allait nous servir de leçon pour anticiper l'organisation de la vaccination. J'avais d'ailleurs alerté le Gouvernement sur le recueil anticipé des consentements en Ehpad et sur le déploiement des centres de vaccination.

Bonne nouvelle, aujourd'hui nos concitoyens veulent se faire vacciner. Hélas, ils ne peuvent le faire faute de doses.

Les rapporteurs ont également pointé une communication institutionnelle protéiforme, qui n'a pas su résister aux polémiques. Des prises de position successives divergentes, ou même contradictoires, du Gouvernement et des experts du monde scientifique ont rendu complexe le discours. Dans un pays caractérisé par une grande liberté d'expression, comment faire mieux ? Je ne sais pas.

J'avais alerté le Premier ministre et l'Agence régionale de santé sur la désertion des cabinets médicaux dès mars. Nous n'en mesurons encore pas toutes les conséquences.

Enfin, cette pandémie a mis en évidence une faille dans notre mode d'organisation territorial, hypercentralisé, participant à la lenteur des prises de décisions. Ainsi en fut-il dans la région Grand Est, dont je suis élue, où l'État est intervenu trop tard.

Faisons davantage confiance aux élus locaux et aux soignants de terrain pour alerter. Le futur projet de loi 4D prévoit de renforcer la place des élus dans les conseils d'administration des ARS.

Selon l'OMS, ce ne sera pas la dernière pandémie. J'ai confiance en la nature humaine et sa capacité d'adaptation. La France, malgré les difficultés qu'elle connaît, n'est pas le plus mauvais élève de l'Europe. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

Mme Laurence Cohen .  - Alors que la campagne de vaccination piétine en France, la commission d'enquête a mis en lumière des défaillances dans la gestion de la pandémie : déficits d'approvisionnement en masques, respirateurs, tests, médicaments, vaccins. Les stocks stratégiques financés par la sécurité sociale ont été laissés à l'abandon avec le transfert à l'État via l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus).

La logique de réduction des dépenses publiques a démontré ses limites et ses contradictions : le coût du renouvellement des stocks stratégiques était largement inférieur au coût du confinement.

L'impréparation de votre gouvernement, les déclarations contradictoires sur l'utilité des masques, la pénurie de lits de réanimation ne résultent pas d'un accident de parcours mais bien de choix stratégiques à l'oeuvre depuis près de trente ans.

Le rapport démontre la responsabilité du Gouvernement, son absence d'anticipation, de transparence et de concertation. Le Gouvernement a perdu la confiance des citoyens en tentant de cacher l'insuffisance des stocks de masques disponibles, puis celle des tests. Le directeur général de la santé a fait modifier un rapport d'experts sur les masques : c'est gravissime. En face, les élus étaient mobilisés sur le terrain pour les masques et les centres de tests puis de vaccination.

Les dépenses de santé des collectivités territoriales auraient dû être prises en charge par l'État. L'isolement du pouvoir exécutif, entouré d'experts, s'est renforcé au cours du temps.

Des commissions d'enquête parlementaires ont essayé de rétablir la transparence et de tirer les enseignements de cette pandémie. Je me félicite de la création d'une mission d'information sur les effets du confinement. Non pour remettre en cause votre investissement personnel, monsieur le ministre, mais pour dénoncer les erreurs de stratégie, comme le manque de moyens humains, matériels et financiers dans les hôpitaux publics. Qu'on ne nous parle pas du Ségur de la santé qui n'a débouché que sur de timides revalorisations salariales, inégalitaires au demeurant. ! Les praticiens hospitaliers sont à bout et nombreux envisagent de partir.

Gouverner, c'est prévoir : il faut plus de lits et réviser la gouvernance des hôpitaux. Donnez du pouvoir aux personnels, aux usagers et aux élus. Dotez les territoires de centres de santé en lien avec les hôpitaux et les médecins de ville.

Les grands laboratoires pharmaceutiques doivent laisser place à un pôle public du médicament et de la recherche pour que les vaccins soient un bien commun de l'humanité. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER)

Mme Sylvie Vermeillet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Notre commission d'enquête a mené 47 auditions et entendu 133 personnes très diverses : ministres, directeurs généraux de la santé, directeurs d'hôpitaux, élus locaux, chercheurs...

C'est en étant lucides sur les dysfonctionnements que nous pourrons avancer pour que l'État soit plus réactif.

Notre rapport ne saurait être réduit à l'analyse sur les masques, très médiatisée, qui est toutefois symptomatique du manque d'anticipation et de culture de la gestion de crise au sein du ministère de la Santé. Ainsi, le délai d'un mois entre les alertes d'Agnès Buzyn le 25 décembre et les informations transmises sur les stocks le 24 janvier n'a pu être rattrapé.

En juillet, l'émouvante audition de Jean Rottner, président de la région Grand Est, Josiane Chevalier, préfète, Brigitte Klinkert, présidente du conseil départemental du Haut-Rhin, et Christophe Lannelongue, ancien directeur de l'ARS Grand Est, témoignait de l'abandon du Grand Est face au Covid. Nous devons tirer les leçons de cette impréparation.

Pour éviter de reproduire les mêmes erreurs, il faut renforcer le pilotage avec un délégué interministériel aux urgences sanitaires, chargé de coordonner une vigilance permanente sur l'état de préparation du pays aux crises sanitaires ou autres.

Les coûts humains, économiques et financiers actuels doivent nous interroger sur les effets d'une une politique court-termiste. Assurons une veille continue afin de prémunir notre pays contre les catastrophes. La réactivité des services déconcentrés de l'État ne peut indéfiniment combler l'impréparation.

Le second enseignement concerne la gestion opérationnelle de la crise dans les établissements médico-sociaux où la double tutelle des ARS sur le sanitaire et des départements sur le social peut être nuisible, notamment dans les Ehpad. Nous avons vu que lorsqu' il y avait une coopération souple, la réponse était meilleure, les directeurs d'établissements n'avaient pas à constamment changer d'interlocuteur. Il faudra trancher cette question de la tutelle.

Il faut enfin accompagner une refonte de la gouvernance territoriale de crise. La coopération entre les ARS et les préfets a manqué de fluidité. Dans mon département du Jura, l'ARS a fait beaucoup avec très peu de moyens. Mais la gestion de crise est l'affaire du ministère de l'intérieur. Ce sont les échelons déconcentrés et les collectivités locales qui répondent aujourd'hui encore à la crise. La campagne de vaccination illustre ce besoin d'anticipation : préfets, présidents de conseils départementaux, ARS doivent toujours s'adapter dans l'urgence pour réparer des erreurs évitables.

La sidération du premier trimestre 2020 est loin derrière nous. Puisque le monde change, acceptons de changer l'État. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe SER)

Mme Catherine Deroche .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je concentrerai mon propos sur la gestion territoriale de la crise et la recherche. La commission d'enquête a fait des propositions : qu'en pense le Gouvernement ?

Il faut renforcer la fluidité des relations entre préfets et directeurs généraux des ARS. Les élus locaux connaissent mieux le préfet que les ARS. En temps de crise, le préfet pouvait prendre les commandes - mais ce ne fut pas le cas. Le défaut d'organisation a été général et pas seulement dû aux ARS. C'est pourquoi le Sénat n'a pas demandé leur suppression, à la différence de l'Assemblée nationale.

Mais il faut réarmer les délégations départementales, car la réforme des régions a percuté les ARS, trop éloignées du terrain. Le délégué départemental doit décliner un plan pandémique et disposer des données épidémiologiques nécessaires.

Nous pourrions ainsi apporter des réponses différenciées à des territoires particuliers. Au printemps, la Guyane a été confinée trop tôt, puis privée de cette mesure en pleine flambée épidémique.

Si les résultats en matière de recherche sur les vaccins ont été satisfaisants, nos efforts ont été trop dispersés. La multiplication des essais cliniques pour les mêmes molécules a nui à l'efficacité de la recherche française. Les Britanniques, avec l'essai Recovery, ont mieux coordonné leur effort de recherche. Les ministres de la Santé et de la Recherche devraient pouvoir prioriser les efforts de recherche.

L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) n'est pas en mesure de le faire ni de favoriser des méthodologies fiables.

Idem pour la recherche sur les maladies infectieuses émergentes. La commission préconise la création d'une structure de recherche sur ces maladies en rapprochant le consortium REACTing de l'Agence de la recherche pour le sida et les maladies infectieuses.

Quels enseignements le Gouvernement tire-t-il de la crise du secteur de la recherche ? Comment faire pour que la recherche se développe en France et pas qu'à l'étranger ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé .  - L'épidémie est encore là et nous oblige à la plus grande vigilance, dans notre vie quotidienne comme dans nos analyses. L'heure n'est pas au bilan, même si le débat est toujours bienvenu.

Il y a un an, la covid restait une maladie mystérieuse, un risque mal défini. Aujourd'hui, nous connaissons mieux l'ennemi qui a sévi partout dans le monde et qui a fait 80 000 morts dans notre pays.

La maladie évolue comme évoluent nos outils contre elle. Je salue tous ceux qui se mobilisent depuis des mois. Tout notre système de santé a été mis sous tension ; nos structures hospitalières ont été bousculées comme jamais ; tous les Français ont été obligés de vivre autrement.

Nous vivons une épreuve majeure, qui demande des sacrifices. Une crise est une perte de contrôle, un événement qui nous prend de court. Nous avons néanmoins repris un peu de contrôle. La vaccination représente un espoir, mais des variants se développent. Bien malin qui peut prédire les défis que nous aurons à affronter demain. « Un bon politicien est celui qui prédit l'avenir et peut expliquer pourquoi les choses ne se sont pas passées comme prévu », disait Churchill...

Une voix à droite.  - Bravo !

M. Olivier Véran, ministre.  - Nous avons franchi des étapes intermédiaires mais la ligne d'arrivée est loin. Nous devons tirer les enseignements. Des engagements forts ont été pris avec le Ségur de la santé : la revalorisation des carrières des soignants, un investissement inédit dans l'hôpital public.

Depuis la première minute de ma désignation, voici bientôt un an, je suis mobilisé contre cette pandémie. Par temps calme, mon ministère n'est pas comme les autres, car il touche à ce que chacun a de plus précieux, la santé ; en tempête, il cristallise les attentes, les espoirs, les angoisses. J'agis en temps réel, je ne commente pas en différé. Chaque jour, j'ai mesuré les attentes, les espoirs et les angoisses. Sachez que l'intérêt général a été ma seule boussole. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du RDSE)

Mme Angèle Préville .  - Le choc est inédit, le bilan humain sans précédent. Mais il y a eu un manque d'anticipation, une absence de décision, une accumulation de dénis et une défiance à l'égard des Français traités comme des élèves insouciants - laquelle a entraîné une défiance en retour à l'égard du Gouvernement.

La gestion de crise, à la main du conseil de défense, paie le prix de sa verticalité. Pour les masques, les tests, les vaccins, elle n'a pas été à la hauteur, avec, à chaque fois, une impression de retard jamais comblé.

Plutôt qu'un conseil scientifique créé à la hâte, n'aurait-on pas dû créer une structure pérenne, indépendante, multidisciplinaire, capable de piloter la réponse scientifique pour les crises futures, y compris au-delà des pandémies - je pense aux événements climatiques et aux accidents industriels ? C'est en tout cas l'une des propositions du rapport.

M. Olivier Véran, ministre.  - Si une crise peut être anticipée, ce n'est plus vraiment une crise. Quand on est en crise, les décisions ne se prennent pas par anticipation, mais sur le moment. Oui, le conseil scientifique a été mis en place à la hâte, car nous devions faire face heure par heure !

Vous soulevez la question démocratique... Ancien député, je suis un amoureux du Parlement ; c'est la vingt-quatrième convocation du Parlement à laquelle je réponds. Je n'ai donc l'impression de lui avoir manqué de respect : je crois y passer plus de temps comme ministre que comme parlementaire !

Mme Angèle Préville.  - Le conseil scientifique a été créé à la hâte car il n'existait rien, ce n'était pas un reproche. Ne devrait-on pas créer une instance indépendante et multidisciplinaire, prête à répondre à toute crise à l'avenir, telles qu'il en existe dans certains pays, avec des scientifiques disponibles pour ainsi dire à la seconde ?

Mme Martine Berthet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le déploiement des masques a cruellement manqué aux professionnels de santé. Idem pour la vaccination et les tests de dépistage. Les tests massifs n'ont pu avoir lieu que grâce aux collectivités territoriales. Il aurait fallu impliquer davantage la médecine de ville.

Les rapporteurs proposent de réformer la gouvernance des ARS en redéployant des compétences dans leurs délégations départementales.

La loi Santé de juin 2019 a créé les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), mais elles n'ont été que très peu mises en place.

Les ARS ne semblent pas s'être investies de cette mission. Ces communautés ne sont pas sollicitées pour la vaccination alors qu'elles répondraient à un besoin d'organisation fine du dernier kilomètre. Quelles sont vos intentions en matière de territorialisation de la santé ?

M. Olivier Véran, ministre.  - La crise aura eu quelques vertus : l'accélération de la télémédecine, avec le passage de 10 000 à 1 million de téléconsultations par semaine, le déploiement des CPTS, qui font l'unanimité, et des services d'accès aux soins (SAS), le renforcement de la coopération entre différents secteurs de la santé et de la médicalisation des Ehpad.

Le volet départemental des ARS a été renforcé avec la création des délégués départementaux, pour plus de proximité. Le Premier ministre a annoncé qu'ils seraient musclés. Les liens entre les ordres, les syndicats, les hôpitaux, les élus locaux se sont renforcés, je l'ai récemment constaté dans le Gers.

Je n'aurai de cesse de simplifier les procédures et de donner plus d'autonomie aux territoires.

Mme Colette Mélot .  - J'ai une pensée pour les victimes et je rends hommage aux soignants. Face à un virus inconnu et mutant, la tâche est loin d'être simple. Les différentes ARS n'ont pas été confrontées aux mêmes réalités.

Beaucoup d'élus ont eu le sentiment que ces agences n'ont pas été assez proches du territoire, que l'administration était déconnectée des réalités, notamment concernant les protocoles sanitaires. Une association plus étroite des collectivités territoriales aurait été pertinente. Comment rapprocher les administrations du terrain ?

M. Olivier Véran, ministre.  - Madame la sénatrice, nous étions ensemble à Melun il y a deux jours. Vous y avez vu comme moi nombre d'acteurs institutionnels et politiques qui travaillent ensemble, dont le délégué départemental de l'ARS.

Partout je vois coordination et entente. Hier, j'ai réuni le cinquième comité des élus. Les gens travaillent ensemble. Bien sûr, ce peut être plus compliqué dans tel département ou telle région. Mais j'ai roulé ma bosse dans les territoires et partout je sens cette envie. Je suis favorable à une décentralisation ou une déconcentration.

Mme Colette Mélot.  - Je vous remercie d'être venu à Melun. La situation n'est pas la même dans tous les territoires. Les protocoles sanitaires imposés par l'administration n'étaient pas toujours en adéquation avec le terrain. Ils ont mis certains élus en difficulté.

M. Guillaume Gontard .  - La question de la gouvernance est essentielle. Aucune autre démocratie ne fonctionne de manière aussi verticale. Huit jours après avoir été au théâtre pour rassurer les Français, le Président a décidé unilatéralement de confiner le pays. Le Parlement a certes validé la décision a posteriori, mais c'est usant et pesant.

La gestion de cette crise partie pour durer ne peut plus relever du seul Président de la République. La gouvernance adoptée par l'Afrique du Sud est très intéressante : elle s'appuie sur un barème à cinq niveaux entraînant des réponses différentes.

Pourquoi ne pas travailler sur le temps long ? Cela renforcerait l'acceptabilité des mesures (Mme Michelle Meunier le confirme.)

M. Olivier Véran, ministre.  - Il faut différencier la préparation des décisions et leur formalisation. La première est collégiale, elle implique les scientifiques, les élus ; vous avez vous-même participé au comité d'élus. Mais à la fin, il faut bien qu'une décision soit prise et le Président de la République prend ses responsabilités.

L'image, entretenue par une partie de la gauche, d'un homme qui décide seul n'est absolument pas conforme à la réalité. (Mme Cathy Apourceau-Poly ironise.)

Nous avons créé des indicateurs de crise à plusieurs reprises et avons été critiqués - tantôt la réponse était trop uniforme, tantôt elle était trop différenciée. Mais la critique fait avancer.

Je prends tous les jours connaissance des chiffres de Santé Publique France pour envisager des mesures. La réactivité est indispensable.

M. Bernard Fialaire .  - Je remercie la commission d'enquête pour son travail qui correspond à ce que les Français attendent du Parlement.

Nous ne demandons pas de prévoir l'imprévisible car nous ne voulons pas de vie sans imprévu. La résolution d'une crise n'est pas le retour en arrière mais le départ d'une nouvelle organisation.

Le bien-être psychique, physique et social des individus nécessite une harmonie à laquelle les doubles tutelles portent préjudice.

À quand la loi 4D ? Il ne faudrait pas que les 3D soient synonymes de désillusion, déception et désespérance.

Autre remarque, trop de communication tue la communication. On gagnerait en clarté si une seule entité scientifique s'exprimait.

M. Olivier Véran, ministre.  - La liberté de parole est totale. Je ne compte pas décider qui est légitime à s'exprimer ni exercer la censure. Je remarque bien sûr que certains chercheurs s'expriment en responsabilité, d'autres, non... Je comprends la perplexité des Français qui voient des blouses blanches dire une chose et son contraire à quelques jours d'intervalle.

Une sénatrice recommandait que la gestion de crise soit confiée au ministère de l'Intérieur. Mais le ministère de l'Intérieur gère des crises de sécurité publique ! L'armée gère d'autres crises, mais pas la logistique de centres de santé.

Les agents des ARS gèrent des situations inédites alors que ce n'était pas leur métier. Je suis très fier de ce qu'ils font, sept jours sur sept...

M. Jean-François Husson.  - Comme les élus locaux !

M. Olivier Véran, ministre.  - Ils ont dû se reconvertir. On ne change pas une organisation en pleine crise.

Mme Cathy Apourceau-Poly .  - Le rapport de la commission d'enquête démontre que le Gouvernement aurait pu anticiper la deuxième vague bien plus tôt. Hélas, il n'a ni écouté les alertes ni tiré les leçons de cette erreur. De nombreuses initiatives sont venues des collectivités territoriales, notamment concernant les masques.

Il serait intéressant de disposer à l'avenir d'une production nationale en cas de crise. Il est désormais obligatoire de porter un masque de catégorie 1. Comment aider la filière textile française à obtenir cette certification ? Pourquoi ne pas envoyer à chaque enfant un masque en tissu de catégorie 1 ?

M. Olivier Véran, ministre.  - La France a été le premier pays européen à mettre en place des normes Afnor pour les masques, en définissant deux catégories.

Les collectivités territoriales ont joué leur rôle, l'État aussi, avec le troisième envoi de 45 millions de masques pour les plus précaires.

Des masques textiles de catégorie 1 pour les enfants des familles modestes ont été distribués aux associations via les préfectures.

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - Pour les familles qui gagnent le Smic, le coût d'un masque d'enfant à l'année, soit 150 euros, est considérable. Pourquoi ne pas fournir un masque à tous les enfants scolarisés ?

Mme Jocelyne Guidez .  - Le Sénat est la chambre des territoires. La pandémie a révélé les faiblesses de notre gouvernance territoriale de crise, comme l'a confirmé la commission d'enquête. La décentralisation est insuffisante, le pilotage trop centralisé. Or les collectivités territoriales sont de vrais sismographes qui détectent les signaux faibles et garantissent le calibrage fin des politiques de santé.

La déconcentration, elle, est maladroite. Comme la commission d'enquête l'a souligné, la gestion des ARS a été trop éloignée du terrain.

Le groupe UC veut une vraie décentralisation et une vraie déconcentration, par exemple en régionalisant les conventions d'objectifs et de gestion signées avec la CNAM.

Accepteriez-vous de déléguer aux régions les compétences des ARS ? (Applaudissement sur les travées du groupe UC)

M. Olivier Véran, ministre.  - Franchement, je ne suis pas favorable à la décentralisation de la gestion des crises sanitaires. Les pays qui l'avaient décentralisée la recentralisent dès que ça chauffe. C'est ce qu'a fait Mme Merkel en réunissant les présidents de Länder pour demander un reconfinement dur jusqu'au 15 mars. En Espagne, les différences territoriales rendent la gestion illisible. Inversement, aux États-Unis, le président Trump n'a pas fait la pluie et le beau temps : heureusement que des gouverneurs ont pris des décisions responsables.

Ce qui m'intéresse, au-delà des modèles, c'est l'efficacité sur le dernier kilomètre, dans les territoires.

Mme Victoire Jasmin .  - À ce stade, il est indispensable de renforcer la démocratie sanitaire. Nombre de patients se sont sentis délaissés, non écoutés, exclus.

France Assos Santé indique que les personnes handicapées et leurs proches aidants se sont sentis très isolement. Plus que jamais, il faut entendre la voix des patients mais aussi des élus locaux, mis sous pression par l'État. Il faut mettre en avant les complémentarités des territoires.

Nous avons aussi assisté à une concurrence entre les SDIS et le SAMU. Ne faudrait-il pas renforcer leurs complémentarités ?

Enfin, comment valoriser les instances de démocratie sanitaire ?

M. Olivier Véran, ministre.  - Le conseil départemental d'analyse et de vigilance du Gers, mis en place par Philippe Martin et regroupant l'État, les professionnels de santé, les citoyens, est un très bon exemple de gestion sanitaire locale.

Les structures sont les plus à même d'identifier les personnes isolées, les CCAS aussi. Nous essayons de gommer les inégalités sociales grâce à la démarche « d'aller vers ».

M. Jean-François Husson .  - Le Président de la République a qualifié la crise de « temps de guerre », mais vous n'avez pas su mettre en place une territorialisation dynamique des décisions. C'est le cas notamment dans la région Grand Est.

Les élus locaux n'ont pas été dotés de moyens d'action et la lutte contre la covid s'est apparentée à une course d'obstacles, dans une stratégie nationale hésitante.

Comment remédier à cette gestion lente et désordonnée, qui a entretenu un climat anxiogène ?

M. Olivier Véran, ministre.  - Oui, le Grand Est a pris la crise de plein fouet. C'est là que nous avons organisé le plus d'évacuations sanitaires en urgence ; c'est là que le plus grand nombre de soignants sont venus prêter main forte pour éviter le tri des patients. Le Grand Est nous a occupés jour et nuit pendant des semaines. Je ne peux laisser dire que la région a été laissée seule, abandonnée.

M. Jean-François Husson.  - Ce n'est pas ce que j'ai dit !

M. Olivier Véran, ministre.  - Nous avons dû limoger le directeur de l'ARS à la demande des élus locaux... et vous l'avez auditionné.

M. Jean-François Husson.  - Pour d'autres raisons !

M. Olivier Véran, ministre.  - Non. La commission d'enquête a pu l'entendre sur les raisons de ce limogeage.

M. Jean-François Husson.  - Il a été limogé en raison d'un choix hasardeux au CHRU de Nancy. C'est cela la réalité ! (M. le ministre proteste.)

Au lieu de demander le paiement d'une cotisation, le Gouvernement ne pourrait-il demander aux complémentaires santé de prendre en charge les frais engagés pour les masques ?

M. Vincent Delahaye .  - Pendant deux mois, le directeur général de la santé enjoignait chaque soir les Français à faire preuve de responsabilité. Ils sont en droit de lui demander de répondre à son tour de ses actes, de ses fautes.

Dissimulation d'abord : en 2018, il n'a pas informé le Gouvernement de la caducité de centaines de milliers de masques.

Impréparation ensuite, puisqu'il n'a pas jugé bon de reconstituer les stocks de masques.

Manipulation enfin, car il a cherché à modifier un avis scientifique sur la nécessité de disposer des stocks de masques.

Quelles conséquences allez-vous en tirer ?

M. Olivier Véran, ministre.  - Je ne suis pas devant une chambre d'accusation. Je me suis déjà exprimé sur cette question : les éléments du rapport ont été envoyés par le directeur de la santé lui-même. Il a toute ma confiance dans son action au service de l'intérêt général.

M. Vincent Delahaye.  - Beaucoup de Français seront surpris de cette réponse. Il y a eu une gestion catastrophique des masques, chaotique des tests, une impréparation totale sur la campagne de vaccination - on se demande ce que l'administration a fait depuis septembre ! Être en responsabilité, cela suppose de rendre des comptes. Or la haute fonction publique n'en rend jamais. Je regrette la réponse du ministre. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, SER, Les Républicains et du RDSE)

Une voix à droite.  - Responsable, mais pas coupable !

Mme Michelle Meunier .  - Les conclusions de notre commission d'enquête ont étayé l'avis de beaucoup : notre pays n'était pas assez préparé. La communication de votre Gouvernement n'a pas su convaincre.

Depuis décembre, plusieurs vaccins sont autorisés et proposés à la population selon une stratégie définie par la HAS. Cela a suscité beaucoup d'espoirs, mais la coordination opérationnelle, elle, a fait défaut. Le manque d'anticipation en haut lieu est patent. Les ARS n'ont pu déployer les centres de vaccination. Les files d'attente sont gérées au jour le jour.

Désormais se pose la question des nouveaux variants. Combien de temps faudra-t-il attendre pour être informés de l'adaptation de notre stratégie à ces variants ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Olivier Véran, ministre.  - Vous aurez l'information quand elle sera disponible.

M. Étienne Blanc .  - À la lecture du rapport de la commission d'enquête, on s'aperçoit des difficultés d'articulation des décisions de l'État et des élus locaux. Il y a des grippages -  on se souvint de la réquisition sur le tarmac de masques commandés par des collectivités territoriales... Pourtant, l'État aurait tout intérêt à travailler de manière étroite avec celles-ci. Les plaintes que provoquent les décisions de l'État sont adressées d'abord aux collectivités.

Allez-vous intégrer les recommandations de ce rapport au projet de loi 4D ?

M. Olivier Véran, ministre.  - J'ai répondu à six ou sept questions sur le sujet. La loi 4D a pour objet d'améliorer les relations entre l'État les collectivités territoriales, mais il y a autant de relations que de collectivités... Un exemple : le testing de masse organisé à Saint-Étienne, avec le plein soutien de l'État. Je n'ai pas eu le sentiment d'être en opposition avec les élus en général. Il y a certes des élus avec lesquels il est difficile de ne pas l'être... Améliorons la coordination avec les territoires ; la loi 4D sera une étape législative intéressante.

M. Olivier Paccaud .  - On a beaucoup parlé de Louis Pasteur - bienfaiteur de l'humanité, gloire de la IIIe République, fierté française - mais moins de René Descartes. Il est vrai qu'au coeur du tourbillon de contradictions, ce chantre de la raison serait bien en peine d'expliquer ce qui se passe.

Lundi, l'Élysée dit rouge ; mardi, Matignon dit bleu ; mercredi, le Ségur dit vert...

D'abord faussement protecteur, le masque est devenu salvateur et obligatoire. Non à deux personnes dans un restaurant, oui à cent jeunes dans une cantine. On ferme les petits commerces et on laisse ouvertes les grandes surfaces, puis on fait l'inverse. Comprenne qui pourra !

Notre hémicycle ressemble à un amphithéâtre universitaire : ne peut-on pas faire des cours d'université à demi-effectif, ou les jeunes sont-ils trop irresponsables ? (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains et sur les travées des groupes CRCE et SER)

M. Olivier Véran, ministre.  - On finit par ennuyer à vouloir tout dire, disait aussi Descartes.

Nous nous adaptons à la situation sanitaire. En septembre, nous avons ouvert les universités, il y a eu des clusters...

Nous faisons ce que nous pouvons pour les étudiants, lorsque la situation sanitaire le permet. Nous avons autorisé un contingent à revenir, en priorisant les étudiants de première année.

Je remarque que votre hémicycle n'est pas plein comme un amphithéâtre bondé d'étudiants ! (Murmures)

M. Olivier Paccaud.  - Tout à l'heure, nous étions à mi-effectif.

M. Olivier Véran, ministre.  - Nous faisons au mieux, sans baisser la garde.

M. Laurent Duplomb.  - Tout va très bien, madame la marquise !

M. Yves Bouloux .  - Je salue le travail de la commission d'enquête et son rapport de 450 pages.

Une voix à droite.  - Le ministre ne le lira pas !

M. Yves Bouloux.  - Trois constats se dégagent : retard, impréparation et aveuglement. La crise a touché les plus vulnérables, notamment les personnes âgées. Les premières conséquences sont sans appel : anorexie, déclin cognitif accéléré, troubles du comportement, tristesse...

Le rapport propose de renforcer les outils de prévention des risques en établissements, d'élargir le plan bleu, de compléter les plans de continuité d'activité. Il faudrait aussi accroître la couverture des Ehpad par les médecins coordonnateurs et accélérer le déploiement des infirmières de nuit.

Le Gouvernement retiendra-t-il ces préconisations de bon sens ?

M. Olivier Véran, ministre.  - Nous avons fait appel à l'hospitalisation à domicile, numérisé les Ehpad, structuré des filières de prise en charge des patients âgés atteints du Covid. Comment dire que nous n'avons rien anticipé ? Des milliers de soignants se sont mobilisés afin que les personnes ne meurent pas dans les Ehpad, et nous continuerons.

M. Guillaume Chevrollier .  - La commission d'enquête a effectué un travail minutieux qui a révélé l'impréparation, les difficultés et les dysfonctionnements de notre système de santé.

Au pic de la crise, des infirmiers se sont formés aux gestes de la réanimation, des internes de première année ont exercé des compétences de troisième année. Nous manquons de médecins généralistes et spécialistes, alors que les besoins en santé augmentent.

Les problèmes de démographie médicale concernent une commune sur trois ; 7,5 millions de Français n'ont pas de médecin traitant, soit 11 % de la population. Comment vont-ils faire pour l'examen médical prévaccinal ? Le système français est hospitalo-centré. L'organisation des soins doit se faire en coordination avec les élus locaux et la médecine de ville. Comment assurer l'accès aux soins de tous ? Avec quelle participation des élus locaux ?

M. Olivier Véran, ministre.  - J'ai signé un décret pour le remboursement du transport sanitaire vers les centres de vaccination jusqu'au 31 mars. Nous développons les centres de vaccination ; des vaccino-bus, des barnums peuvent être mis en place avec l'appui des collectivités ; des structures ambulantes peuvent se rendre au domicile des personnes âgées pour la vaccination à domicile. Les élus et les soignants se parlent et se mobilisent. Vous avez peut-être participé au comité sur la vaccination organisé par le préfet dans votre département de la Mayenne ? Il regroupe tous les acteurs... Quand on cherche, on trouve des innovations, qui sont soutenues financièrement par l'État via les ARS.

M. Alain Milon, président de la commission d'enquête .  - « L'heure n'est pas encore au bilan », avez-vous affirmé, monsieur le ministre. C'est sans doute pourquoi votre réponse fut si brève.... Peut-être une lassitude à rendre des comptes au Parlement, malgré votre amour proclamé à son égard ? (Applaudissements sur de nombreuses travées)

« Il n'y a pas d'amour ; il n'y a que des preuves d'amour », écrivait Shakespeare. Venir vingt-quatre fois devant le Parlement en un an, soit une fois par mois et par assemblée, cela ne devrait pas suffire à vous lasser, si vous aimez !

Vous n'avez pas répondu sur la stratégie « Tester, tracer, isoler » qui s'est transformée en « Tester, alerter, protéger »...

Je regrette que la France ne réussisse pas à fidéliser des chercheurs et à financer ses biotechnologies, contrairement à l'Allemagne. Je pense notamment à Valneva, financée par le Royaume-Uni.

Sur les masques, nous avions le devoir de chercher à comprendre. Il est apparu que la stratégie et le discours avaient été dictés par les disponibilités. La commission d'enquête a proposé une méthode et un schéma d'organisation. Nulle trace de politique politicienne dans ce rapport.

Les tests sont certes gratuits mais leur usage n'a pas été suffisamment efficace pour casser les chaînes de contamination.

Nous ne tirerons les leçons de la crise que si vous acceptez le débat ! Un mot d'une réponse que vous avez donnée passablement énervé...

M. Olivier Véran, ministre.  - Je ne suis pas du tout énervé !

M. Alain Milon, président de la commission d'enquête.  - Fort heureusement, le contrôle de l'action du Gouvernement et de l'administration ne se fait pas uniquement devant les tribunaux. La commission d'enquête n'a déféré personne devant la Cour de justice de la République ; elle n'a fait que des recommandations et je n'accepterai sur ce sujet aucune caricature. (Applaudissements)

La séance, suspendue à 18 h 40, reprend à 18 h 50.