Élection du Président de la République (Conclusions de la CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique relatif à l'élection du Président de la République.

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire .  - Je tiens à remercier les membres de la CMP réunie le 2 mars dernier, dont le rapporteur de l'Assemblée nationale, Alain Tourret.

Ce texte devait initialement se limiter à un toilettage technique périodique. Mais il a pris une tout autre dimension avec le dépôt de l'amendement du Gouvernement sur le vote par machines à voter. Cet amendement a été déposé très tardivement, devant la seconde chambre, sans consultation ni de l'Assemblée nationale, ni des forces politiques, ni du Conseil d'État. Cela a beaucoup ému le Sénat. Il y va du respect de nos institutions.

Je reste pourtant intimement convaincu que notre droit électoral doit évoluer, notamment dans les modalités de vote, comme l'a montré la récente mission d'information du Sénat sur le vote à distance. Mais cette réflexion doit être déconnectée de tout contexte électoral. Il n'y a pas de place pour l'expérimentation dans l'élection clé de voûte qu'est la présidentielle.

Nous avons besoin de recul pour évaluer des idées qui semblent séduisantes de prime abord mais peuvent présenter des effets pervers.

Hormis ce point, l'accord des deux chambres était possible. Je pense notamment à l'accessibilité de la campagne électorale pour les personnes en situation de handicap, à l'actualisation des listes des parrains, à la publication obligatoire des marges d'erreur des sondages, au caractère expérimental de la dématérialisation des comptes de campagne et des reçus, et à la publication des comptes de campagne en open data.

Deux sujets ont fait l'objet de discussions approfondies : la fixation d'une date limite plus précoce pour la publication de la liste des candidats et l'augmentation du plafond des dépenses de campagne, de 153 000 euros à 200 000 euros, au rythme de l'inflation.

La durée du financement de la campagne posait une question bien plus délicate : elle était fixée à un an, contre six mois pour les autres élections. Nous vous proposons une période de neuf mois qui débuterait le 1er juillet 2021, afin d'éviter un chevauchement avec les élections départementales et régionales qui aurait placé d'éventuels candidats aux deux élections en insécurité juridique.

Le délai d'un an avait été maintenu pour des primaires, mais aucun parti n'envisage d'en organiser. Nous retenons donc le délai de neuf mois proposé par le Gouvernement.

Voilà ce que nous vous proposons d'adopter de façon définitive. Je remercie la commission des lois pour la qualité de ses débats. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté .  - Notre pays connaît encore des moments difficiles, qui nous ont conduits à adapter notre calendrier électoral. Ce texte, accepté par le Gouvernement, nous invite à refermer la période dérogatoire pour regarder vers l'avenir où, vaccin aidant, les mesures exceptionnelles seront derrière nous.

Je salue l'esprit républicain qui a présidé à l'examen de ce projet de loi organique, empreint de la gravité qui sied à cette matière technique mais structurante ; car, comme le disait le juriste Rudolf von Jhering, « la procédure est la soeur jumelle de la liberté ».

La loi organique sort consolidée et enrichie par votre examen parlementaire. La durée de la campagne électorale ramenée de douze à neuf mois résulte d'une volonté de sécuriser les comptes de campagne qui vous honore : le Gouvernement en prend acte.

Je me félicite des avancées de ce texte, notamment l'accessibilité du vote pour les personnes en situation de handicap prévue à l'article 1er bis. La déterritorialisation du vote par procuration constitue aussi une avancée majeure, qui n'enlève rien à l'impératif de sécurité. Le système d'e-procuration facilitera ces procédures. Le vote par correspondance des détenus sera effectif pour l'élection présidentielle.

C'est dans ce même objectif que le Gouvernement avait proposé le vote anticipé sur des machines à voter, troisième voie entre un vote par correspondance trop peu fiable et un vote électronique pas assez sécurisé. Nous n'y reviendrons pas dans ce débat, mais il conviendra de réfléchir ensemble à de nouvelles modalités d'organisation du vote, pour autant qu'elles garantissent la sincérité du scrutin.

Je remercie M. le rapporteur qui a oeuvré à l'aboutissement de cet accord en commission mixte paritaire, et je rends un sincère hommage au Sénat.

M. Éric Kerrouche .  - Il s'agissait au départ d'un texte technique ; malheureusement, nous sommes restés à ce niveau. Il y a bien quelques avancées : date de publication anticipée du décret de convocation des électeurs, procédure de parrainage dématérialisée, vote par correspondance des détenus, déterritorialisation des procurations, accessibilité de la propagande aux personnes en situation de handicap, passage de douze à neuf mois de la durée d'enregistrement des comptes de campagne, publication des marges d'erreur des sondages...

Le vrai problème a été cette initiative à l'emporte-pièce, disruptive et mal ficelée du Gouvernement, contestée jusque par la majorité présidentielle et le rapporteur de l'Assemblée nationale, qui n'en sont pourtant pas à une couleuvre près... Je parle du vote anticipé sur les improbables machines à voter, objet d'un moratoire qui n'a pas été levé.

En démocratie, le pouvoir politique s'exerce selon des règles préétablies. Le pouvoir n'est concédé par le peuple à ses dirigeants que pour une période limitée, ce qui fait du moment du vote le pivot de la démocratie. Comme le disait Benjamin Barber, il faut avoir une conception forte de la démocratie. Elle passe par une évolution du droit électoral, alors que la linéarité de notre vie démocratique a été remise en cause par la pandémie.

Toute l'histoire des régimes représentatifs suggère une évolution vers une plus grande démocratie par un élargissement constant des publics appelés à voter, mais rien n'est plus faux.

Le droit électoral est un enjeu démocratique et politique : politique quand, dans le Sud des États-Unis, on tente de priver certains groupes, en général les minorités, du droit de vote. Enjeu démocratique quand certains se détournent du scrutin : les non-inscrits, les mal inscrits et ceux qui ne se considèrent pas compétents - ce véritable cens caché qui exclut.

Le droit électoral est un sport de combat, pour détourner la formule de Pierre Bourdieu sur la sociologie. Aucune voix ne devrait peser plus qu'une autre. Or la procuration bénéficie aux plus insérés et plus mobiles, comme, du reste, la disposition envisagée par le Gouvernement...

Si la participation baisse avec le grand âge, la procuration est une réponse. Par paresse, la majorité sénatoriale a refusé toutes nos propositions : ce n'est jamais le bon moment !

Le groupe SER votera ce texte, qui présente de petites avancées utiles, mais sans enthousiasme aucun.

M. Dany Wattebled .  - Je me félicite que la commission mixte paritaire soit parvenue à une rédaction commune et qu'elle ait maintenu l'ensemble des apports du Sénat. Je pense notamment à l'accessibilité de l'élection pour les personnes en situation de handicap, à la publication de la marge d'erreur des sondages, à la date de publication de la liste des candidats, aux règles de fonctionnement de la campagne électorale, à la revalorisation de l'avance financière faite aux candidats, à la publication en open data des comptes de campagne, à l'actualisation des listes de parrains.

Mais l'examen de ce texte a pris une dimension politique inattendue, avec le dépôt de l'amendement du Gouvernement sur le vote anticipé par machine à voter - moins de 24 heures avant la réunion de la commission...

Notre assemblée l'a fermement rejeté, ce dont je me félicite. Sur la forme, il a été déposé devant la seconde assemblée saisie, sans que l'Assemblée nationale et le Conseil d'État n'aient pu l'examiner. Sur le fond, comment voter alors que la campagne électorale n'est pas achevée ? A-t-on le même avis huit jours avant le scrutin que le jour même ? Sans compter que l'on ne sait pas où les machines seront installées.

Notre réflexion sur le droit électoral doit être apaisée, à bonne distance des échéances. Ce texte de réglage s'inscrit dans les toilettages réalisés depuis 1988. Le groupe INDEP le votera.

M. Guy Benarroche .  - Je ne m'étendrai pas sur l'avatar qu'a constitué le dépôt tardif de l'amendement gouvernemental, qui a déjà trop fait parler de lui.

Les parlementaires ont su s'accorder sur un texte équilibré. Je regrette l'abandon de la transmission électronique des parrainages, pourtant en expérimentation depuis quatre ans. Il aurait dû être aisé de sécuriser moins de 50 000 connexions simultanées, alors même qu'un téléservice sera mis en place pour le dépôt des comptes de campagne et la délivrance des reçus.

La prison est certes le lieu d'exécution d'une peine, mais elle doit aussi préparer la réinsertion. Malgré le succès relatif des bureaux de vote installés pour les élections européennes, il a été décidé de ne pas renouveler l'expérience, au profit du vote par procuration. Il appartiendra à l'administration pénitentiaire d'informer les détenus sur ce droit et ses modalités.

Le vote par procuration est désormais considéré comme une modalité propre du vote qui ne nécessite pas de justification. Soyons prudents : pour ma part, j'estime qu'il présente un fort risque d'insincérité.

Je me félicite de la publication des marges d'erreur des sondages, qui en montrent les limites, même si j'aurais souhaité aller plus loin sur les dates de publication.

Ces améliorations techniques étaient nécessaires mais nous devons aussi faciliter le vote de tous, et donner envie à nos concitoyens de voter en crédibilisant la capacité des élus de tout niveau à changer leur quotidien.

Il est grand temps de réfléchir à l'avenir de notre République et aux dangers de l'hyper-présidentialisation.

Le GEST s'abstiendra sur ce texte.

M. Thani Mohamed Soilihi .  - Notre assemblée a adopté ce projet de loi organique de réglage à une très large majorité.

Le groupe RDPI se félicite de l'accord en CMP, car il en finit avec le cadre dérogatoire de nos échéances électorales. Saluons la qualité du travail des deux chambres pour un scrutin plus sincère, transparent et démocratique.

Ce texte actualise la loi organique du 6 novembre 1962. Il crée des conditions de participation aussi large que possible, grâce aux dispositions sur la publication du décret de convocation des électeurs, le vote par procuration des détenus, l'adaptation de la liste des électeurs aux élections consulaires, l'actualisation de la liste des parrains en tenant compte des dernières réformes territoriales et en y ajoutant 152 conseillers consulaires.

Il adapte les règles de financements de la campagne, dématérialise le dépôt des comptes, les reçus de dons, et prévoit la publication des comptes de campagne en open data.

Il facilite le vote des personnes porteuses de handicap, grâce aux propositions de Philippe Mouiller.

Le dépôt tardif de l'amendement gouvernemental sur le vote par anticipation n'était certes pas de bonne méthode, mais retenons-en l'objectif : favoriser la participation du plus grand nombre. Nous devons poursuivre nos réflexions pour moderniser les règles électorales afin d'améliorer la participation, la sécurité et la sincérité des scrutins.

Le groupe RDPI votera ce texte issu de la CMP.

M. Jean-Claude Requier .  - Notre satisfaction est double. D'abord, celle d'une CMP conclusive, signe d'un travail en bonne intelligence ; ensuite, celle que le Sénat ait eu la sagesse et la fermeté de rejeter l'amendement du Gouvernement, découvert au dernier moment, qui aurait permis un vote sur plusieurs jours.

Sur le fond, cela reste une piste de travail pour réorganiser le scrutin et lutter contre l'abstention. C'est la forme qui interroge : on ne modifie pas les règles du jeu avant la finale du Top 14 !

Et si je prête beaucoup de défauts à nos amis du football (Sourires), reconnaissons qu'ils savent être prudents. L'assistance vidéo à l'arbitrage a été d'abord expérimentée dans quelques matchs amicaux, puis lors de la très peu disputée Coupe des confédérations en 2017. Qu'aurait-on pensé si elle avait été tout de suite introduite à la Coupe du Monde 2018 ? Qu'aurait-on pensé d'une équipe de France qui l'aurait remportée au bénéfice de cette expérimentation contestable ? Comme dans beaucoup de domaines, la première fois est rarement une réussite... (Sourires)

Il y va de la confiance de nos concitoyens dans leurs institutions. Nous sommes satisfaits que cet amendement ait été écarté, comme celui qui réduit l'importance des élus locaux dans le parrainage. Le RDSE votera ce texte. (Mme Jacky Deromedi applaudit.)

Mme Éliane Assassi .  - Sans crier gare, sans étude d'impact, le Gouvernement a déposé un amendement autorisant le vote par anticipation sur des machines à voter. Nous avons été pris de court sur le fond et la forme. C'est une atteinte à la sécurité du scrutin, et nous nous félicitons que la CMP n'ait pas réintroduit cet amendement.

La portée de la campagne électorale ne doit pas être amenuisée. Les électeurs doivent être correctement informés. C'est pourquoi nous avions déposé des amendements sur les sondages pour éviter la manipulation de l'opinion. En matière d'exposition audiovisuelle, le principe d'égalité, et non d'équité, doit être la norme.

Nous ne pouvons laisser aux grands groupes privés le soin d'organiser la campagne : c'est au législateur de réguler l'organisation des échanges démocratiques.

Sur le déroulement de la campagne, nous regrettons l'absence de dispositif pour anticiper de possibles perturbations du scrutin. Nous défendons la forme citoyenne du scrutin contre la déterritorialisation et la complexification de notre démocratie.

Nous avions aussi déposé un amendement pour l'installation de bureaux de vote dans les établissements pénitentiaires.

Nous regrettons que nos propositions n'aient pas été retenues. Ce projet de loi organique aurait pu comporter des avancées mais reste technique : point de remise en question du système hyper-présidentiel.

Le groupe CRCE, qui plaide pour une VIe République vraiment démocratique, s'abstiendra sur ce texte qui entérine le régime actuel.

M. Arnaud de Belenet .  - Je ne reviens pas sur les aspects techniques du texte, enrichi par plusieurs dispositions opportunes.

Un amendement gouvernemental instaurait le vote anticipé par machine électronique. Le groupe UC regrette un débat peu satisfaisant sur le fond : le sujet devra être étudié à l'avenir de manière sereine et approfondie pour répondre aux évolutions de la société et au risque de crise sanitaire. Nous ne pouvons pas reporter les élections présidentielles, comme nous l'avons fait pour les régionales et les départementales.

Le groupe UC se satisfait du raccourcissement de la période électorale, pour éviter le chevauchement avec celles des régionales et départementales. C'était nécessaire pour éviter des difficultés de ventilation des dépenses de campagne.

Nous nous réjouissons du renforcement de l'accessibilité de la campagne aux personnes en situation de handicap.

Avec ce texte, le Gouvernement s'inscrit dans la pratique qui consiste, depuis 1988, à adapter le droit électoral à la veille de l'élection présidentielle. L'ambition du texte, limitée, ne bouleverse ni son organisation ni la campagne. Le groupe UC le votera. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDPI)

Mme Jacky Deromedi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Technique dans sa forme, ce texte n'en est pas moins essentiel à la bonne tenue de l'élection présidentielle de 2022. Ce scrutin occupe la place centrale dans votre ordonnancement politique. Les Français ne s'y trompent pas, puisqu'ils y participent en nombre.

La loi organique de 1962 nécessite des mises à jour régulières pour rester en phase avec le droit électoral ordinaire.

Ce projet de loi a été examiné dans un esprit d'échange constructif. Il fixe le délai imparti à la convocation des électeurs, et sécurise la préparation du scrutin. La transmission des parrainages, le vote des détenus, la propagande électorale sont facilités. Un article porte également sur le vote par procuration des Français de l'étranger.

Ce texte a été encore amélioré par le Sénat, qui a adapté les règles de fonctionnement de la campagne électorale. Les comptes de campagne seront disponibles en open data.

À l'initiative de Philippe Mouiller, nous avons garanti l'accessibilité de la propagande électorale aux personnes à mobilité réduite.

Je me félicite que les 152 présidents des conseils consulaires puissent désormais parrainer des candidats.

Le Gouvernement avait introduit tardivement et maladroitement un amendement sur le vote par anticipation au moyen de machines à voter. La méthode a suscité notre vif étonnement - sans parler des fragilités juridiques et pratiques du dispositif.

Espérons que cet intérêt soudain du Gouvernement pour les machines à voter le conduira à prendre connaissance du rapport qu'Yves Détraigne et moi-même avons publié sur le sujet en 2018...

Le groupe Les Républicains votera ce texte.

L'ensemble du projet de loi organique est mis aux voix par scrutin public de droit.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°89 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 317
Pour l'adoption 317
Contre 0

Le Sénat a adopté.

Le projet de loi organique est définitivement adopté.

Prochaine séance, mardi 16 mars 2021, à 14 h 30.

La séance est levée à 20 h 15.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication