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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Décès d'un ancien sénateur

Épargne des Français

Discussion générale

Mme Vanina Paoli-Gagin, auteur de la proposition de loi

M. Philippe Dallier, rapporteur de la commission des finances

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable

M. Pascal Savoldelli

Mme Sylvie Vermeillet

M. Patrice Joly

M. Emmanuel Capus

Mme Sophie Taillé-Polian

M. Didier Rambaud

M. Christian Bilhac

Mme Christine Lavarde

M. Serge Babary

M. Cyril Pellevat

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

Favoriser le retour à l'emploi des bénéficiaires du RSA

Discussion générale

M. Claude Malhuret, auteur de la proposition de loi

M. Daniel Chasseing, rapporteur de la commission des affaires sociales

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée chargée de l'autonomie

M. Olivier Henno

Mme Monique Lubin

M. Laurent Burgoa

Mme Raymonde Poncet Monge

M. Martin Lévrier

M. Bernard Fialaire

Mme Cathy Apourceau-Poly

Mme Colette Mélot

M. Vincent Segouin

Modifications de l'ordre du jour

Favoriser le retour à l'emploi des bénéficiaires du RSA (Suite)

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

M. Bruno Rojouan

Explications de vote

Mme Monique Lubin

Mme Cathy Apourceau-Poly

M. René-Paul Savary

M. Olivier Henno

M. Daniel Chasseing

M. Claude Malhuret

Poursuite de la procédure de ratification du CETA

Discussion générale

M. Fabien Gay, auteur de la proposition de résolution

M. Rachid Temal

M. Laurent Duplomb

Mme Colette Mélot

M. Guillaume Gontard

M. Richard Yung

M. Henri Cabanel

M. Pierre Laurent

Mme Anne-Catherine Loisier

M. Didier Marie

M. Yves Bouloux

M. Olivier Cadic

M. Jean-François Rapin

M. Franck Riester, ministre délégué chargé du commerce extérieur et de l'attractivité

Droit à l'eau

Discussion générale

Mme Marie-Claude Varaillas, auteure de la proposition de loi

M. Gérard Lahellec, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État chargée de la biodiversité

M. Mathieu Darnaud

M. Jean-Louis Lagourgue

Mme Sophie Taillé-Polian

Mme Nadège Havet

M. Christian Bilhac

M. Jean-Paul Prince

M. Hervé Gillé

M. Guillaume Chevrollier

M. Laurent Duplomb

Discussion des articles

Mme Marie-Claude Varaillas, auteure de la proposition de loi. 

Ordre du jour du mardi 4 mai 2021




SÉANCE

du jeudi 15 avril 2021

87e séance de la session ordinaire 2020-2021

présidence de M. Pierre Laurent, vice-président

Secrétaires : M. Loïc Hervé, Mme Marie Mercier.

La séance est ouverte à 10 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Décès d'un ancien sénateur

M. le président.  - J'ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Michel Berson, qui fut sénateur de l'Essonne de 2011 à 2017.

Épargne des Français

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à orienter l'épargne des Français vers des fonds souverains régionaux, présentée par Mme Vanina Paoli-Gagin et plusieurs de ses collègues à la demande du groupe INDEP.

Discussion générale

Mme Vanina Paoli-Gagin, auteur de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Le 30 juillet 1953, le Congrès américain, à la demande du président Eisenhower récemment élu, votait le Small Business Act, priorité politique forte mettant les petites entreprises au coeur du développement économique et social, qui faisait de la commande publique un levier stratégique au service de l'économie.

Depuis, aucun virage technologique n'a été manqué par les États-Unis. La loi de 1953 a eu des effets sur le temps long : l'avance américaine repose en large part sur la robustesse d'un tissu de PME et d'entreprises de taille intermédiaire (ETI). Même chose en Allemagne, avec le Mittelstand qui assure aux entreprises un savoir-faire technique fondamental.

En France, nous n'avons pas su développer industriellement les innovations de notre recherche fondamentale, ce qui explique en grande partie le décrochage de notre économie.

La pandémie a le mérite de remiser un certain nombre d'idées fausses, comme celle selon laquelle une France sans usine serait plus forte dans la mondialisation. Que de temps perdu, que d'innovations manquées à cause de cette doxa ! Nos difficultés de production de masques et de vaccins le prouvent hélas.

La nécessité de réindustrialiser la France fait désormais consensus. La baisse de 10 milliards d'euros des impôts de production dans le cadre du plan de relance et le soutien sans faille de l'État aux entreprises depuis le début de la crise l'illustrent. Notre groupe partage cette approche : sans entreprise, pas de reprise.

Ce n'est cependant pas suffisant et nous nous trouvons face à un paradoxe économique historique : une dégradation des finances publiques depuis 2020 avec une augmentation de vingt points de PIB de l'endettement public, et un cumul de près de 200 milliards d'épargne privée d'ici la fin de l'année 2021 en raison des restrictions sanitaires.

Nous devons éviter deux écueils. Le premier serait de ne rien faire, conformément à la maxime d'Henri Queuille, comme si la vie d'avant aller reprendre son cours ; le second, de croire que toutes les solutions seront incubées au 139 rue de Bercy. Il faut aussi partir des territoires.

Cette proposition de loi n'est pas un texte de circonstance, mais le fruit d'une longue expérience professionnelle, en France, aux États-Unis et en Asie. La crise nous oblige à envisager de façon plus holistique notre futur économique en investissant davantage pour la transition écologique. L'inaction climatique coûte plus cher que les efforts en faveur de la transition, comme une étude de l'Université de New-York, rassemblant 138 économistes, l'a récemment montré.

Je vous propose donc de mobiliser l'épargne des Français vers des fonds souverains régionaux. Le texte comprend à cet effet deux volets : la création d'un nouveau produit d'épargne réglementé sous forme d'un livret de développement des territoires (LDT) et celle de fonds souverains pour aider au développement économique des régions qui le souhaitent.

L'épargne serait collectée par le réseau bancaire et utilisée par la commande publique, notamment pour le financement d'infrastructures et de la transition écologique. Cette proposition se fonde sur une vision dynamique de la dépense publique.

Les débats en commission ont soulevé d'importantes questions techniques. Je remercie le rapporteur pour son travail, mais regrette qu'il n'ait pas fait de propositions. J'ai compris ce que vous ne vouliez pas, pas ce que vous vouliez... Emmanuel Capus vous proposera des amendements qui devraient répondre à vos craintes légitimes en matière de sécurisation du dispositif.

Votre principal argument contre le texte réside dans le supposé manque d'intérêt des régions pour un tel dispositif. Le taux du livret A s'élève à 0,5 % : dans le mécanisme que je propose, elles emprunteraient à 1 % au maximum. Or, en 2020, dites-vous, elles se sont financées en moyenne à 0,58 % sur le moyen terme ; les autres collectivités territoriales, à 0,56 %. Elles n'auraient donc nul besoin d'une solution de financement alternative.

Mais souvent les taux varient, bien fol qui s'y fie. En 2014, la moyenne des taux obtenus par les collectivités territoriales était ainsi de 2,4 %. Et le programme de stabilité présenté par Olivier Dussopt montre que Bercy envisage une augmentation des taux.

En outre, les banques ne prêtent pas forcément à des taux raisonnables pour des projets gourmands en capitaux comme des infrastructures de transport d'hydrogène vert.

Cette proposition de loi n'apporte pas une solution ponctuelle à un problème conjoncturel, mais créé un outil structurel pour répondre à une probable remontée des taux. John Fitzgerald Kennedy, qui succéda à Eisenhower, disait : « le meilleur temps pour réparer sa toiture, c'est quand le soleil brille ». Mieux vaut donc travailler à un tel outil tant que les taux demeurent bas.

Le Sénat aurait tort de repousser cette proposition de loi sans proposer une alternative. Nous devons faire face au double défi de la dette Covid et de la dette climatique. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

M. Emmanuel Capus.  - Excellent !

M. Philippe Dallier, rapporteur de la commission des finances .  - Je ne goûte pas le propos de notre collègue. Je ne pars pas d'une page blanche, mais de votre proposition de loi, à laquelle s'appliquent les articles 40 et 45 de la Constitution qui contraignent mon travail. Si vous avez des regrets sur votre texte, repensez-y et soumettez-le à nouveau !

Les constats sont partagés : la surépargne des Français, du fait des confinements, atteint 110 milliards d'euros selon la Banque de France, dont 42 milliards d'euros qui gonflent l'encours du livret A et du livret de développement durable (LDD) ; l'État et les entreprises ont besoin d'investir massivement pour repartir.

Mais ce surplus d'épargne n'a pas vocation à être sanctuarisé. D'abord, nous pouvons espérer une reprise de la consommation. Ensuite, ces sommes sont mobilisées pour le financement de politiques publiques, notamment le logement social et les investissements des collectivités territoriales.

J'ai vu, dans le titre de la proposition de loi, l'objectif légitime de permettre aux Français de donner du sens à leur épargne. De même, les fonds propres des entreprises doivent être renforcés pour accompagner la sortie de crise et je salue les régions qui agissent dans ce sens.

Mais le fonds souverain régional envisagé ici se limite à un mécanisme d'emprunt bancaire pour les régions, sans offrir aux Français plus de visibilité sur l'utilisation de leur épargne.

Le nouveau livret d'épargne réglementé créé par l'article premier, avec les caractéristiques du livret A, comporte deux difficultés. D'une part, la liquidité permanente, la rémunération majorée après cinq ans, l'exonération de charges sociales et fiscales sur les intérêts, le fléchage de la ressource à 90 % vers les régions et l'absence d'une garantie de l'État en font un mécanisme coûteux. Ainsi, pour 80 milliards d'euros récoltés, la dépense fiscale annuelle atteindrait une centaine de millions d'euros.

D'autre part, le dispositif n'apparaît pas opérationnel, car la liquidité permanente et la rémunération élevée de cette épargne ne permettent pas de prêter les fonds à long terme, d'autant qu'ils ne seront pas mutualisés comme les fonds déposés sur le livret A.

Les amendements déposés ne répondent pas à ces difficultés.

L'article 4 de la proposition de loi crée un fonds souverain pour chaque région. Ils n'auraient aucune personnalité morale et seraient, à ce titre, indistincts des régions au plan juridique et comptable. Il ne s'agira pas de structures dont la fonction est d'investir dans des actifs ; ils financeraient plutôt les équipements des régions conformes aux schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet). Les autres collectivités territoriales seraient également invitées à participer à ces investissements.

Le taux du livret A étant de 0,5 %, les banques ne pourraient prêter aux régions, compte tenu du mécanisme prévu et du coût de la collecte, qu'à 1 %. Ce dispositif introduit un nouveau produit d'emprunt bancaire pour des régions qui n'en ont pas besoin -  de l'aveu même de l'association des régions de France (ARF) - et à des taux peu attractifs. La région Île-de-France vient ainsi de lancer un emprunt obligataire à taux négatif. Elles n'auront donc pas recours à cette ressource.

En outre, pourquoi les banques proposeraient-elles un tel produit ? Elles devront rémunérer les livrets de développement des territoires, dont le taux de collecte sera élevé, mais ne pourront pas placer les fonds.

Enfin, La nomenclature comptable ne permettra pas de rendre compte de l'emploi des fonds aux épargnants.

J'ai toutefois cherché des pistes d'amélioration, comme de créer de véritables fonds souverains régionaux capables de prendre des participations au capital des entreprises, mais les articles 40 et 45 de la Constitution ne le permettaient pas et cela posait des questions de fiscalité. Cela coûterait 3 milliards d'euros aux régions !

Je rappelle qu'elles peuvent déjà doter des fonds d'investissements ou prendre des participations au capital de sociétés. Aussi, et les principaux acteurs concernés me l'ont dit : l'objectif du texte ne répond pas à une carence constatée.

Je vous invite donc à rejeter la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable .  - La crise économique et sanitaire dessine un paysage inédit et modifie les paramètres économiques avec une épargne accumulée depuis le premier confinement, qui pourrait effectivement être mise au service de la relance.

Les élus locaux et nationaux sont mobilisés pour trouver des solutions novatrices. De nombreuses idées se font jour dans le sens d'un grand emprunt national. Mais attention au contexte : l'offre abondante de crédit perdure grâce aux taux bas permis par l'action de la Banque centrale européenne (BCE), y compris pour les collectivités territoriales.

Elles ont ainsi abordé la crise dans de meilleures conditions qu'en 2008 et bénéficient d'une offre de financement diversifiée et peu chère. Le taux moyen auquel elles empruntent était de 0,71 % en 2019 et de 0,56 % en 2020 - la tendance se poursuit en 2021.

N'ayant nulle difficulté à se financer par l'endettement, les collectivités territoriales qui souhaitent participer à la relance peuvent déjà le faire. Je n'ignore pas que certaines collectivités ont plus de difficultés que d'autres à se financer. Toutefois, le livret A et le LDD, dont les ressources sont centralisées par la Caisse des dépôts et consignations, répondent déjà à certains besoins, notamment pour le financement de projets de long terme de rénovation énergétique et d'infrastructures.

Votre dispositif offrirait des ressources très chères pour les collectivités territoriales, car il faudrait rémunérer l'épargnant à 0,5 %, plus le réseau de distribution et le fonctionnement du dispositif. Il serait également peu adapté à l'investissement productif : on ne peut financer des entreprises par des ressources garanties et liquides. Nous ne souhaitons pas créer un tel risque pour les collectivités territoriales.

La Banque de France relève que le taux d'épargne des ménages est passé de 14 % à 18 % en 2020, mais une bonne part de ces sommes a vocation à être dépensée, ce qui explique que les Français les aient placées sur des supports liquides.

Mais une partie ne sera pas résorbée par la consommation, et il est légitime de se demander comment l'orienter.

J'entends souvent que cette épargne serait dormante. C'est faux, car elle contribue au financement de l'économie via les crédits bancaires. À 60 %, les livrets A et les LDD sont centralisés auprès de la Caisse des dépôts pour financer notamment le logement social ou la politique de la ville.

Certes, le Gouvernement souhaite orienter davantage l'épargne des Français vers les territoires. C'est l'objectif de France Relance, afin de financer le service public local et la transition écologique.

Le label « Relance » identifie les fonds qui mobilisent des ressources nouvelles pour les régions. Les fonds labellisés s'astreignent à un reporting semestriel dans lequel ils identifient la localisation territoriale de leurs investissements dans les PME et ETI non cotées. Quelque 147 fonds ont été labellisés pour 13 milliards d'euros d'encours, dont une cinquantaine seront accessibles par les fonds d'assurances vie.

Enfin, l'action de l'État et des régions permettra d'apporter directement des financements en fonds propres aux entreprises, avec l'appui de la Banque publique d'investissement. La France va abonder à hauteur de 250 millions d'euros des véhicules d'investissements privés pour renforcer le capital des PME. Cet abondement aura un effet de levier sur l'investissement privé.

Grâce à France Relance, nous allons plus loin pour mobiliser efficacement l'épargne au bénéfice de la dynamique de l'économie de nos territoires. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Pascal Savoldelli .  - La crise sanitaire exacerbe les inégalités financières, qui sont criantes.

Selon la Banque de France, l'épargne a atteint 100 milliards d'euros fin 2020. Ce serait 200 milliards d'euros fin 2021, soit le double du montant du plan de relance.

Entre mars et août, 70 % de l'épargne a été réalisée par les 20 % les plus aisés. Les 10 % de ménages les plus modestes ont dû s'endetter pour compenser la diminution de leur salaire ou leur perte d'emploi, pour 365 000 salariés.

La création d'un livret de développement territorial serait une aubaine pour les plus fortunés, qui maximiseraient leur épargne grâce à la défiscalisation des plus-values.

Le Fonds monétaire international (FMI) recommande la mise en place d'une fiscalité supplémentaire provisoire sur les revenus les plus élevés. Nous devons envisager d'augmenter l'impôt sur le revenu des tranches les plus élevées ou sur le patrimoine.

Nous regrettons le régionalisme de la proposition de loi. Pourquoi se concentrer sur les régions, qui en ont moins besoin, et rejeter les départements et les communes ? Le taux d'emprunt moyen actuel des régions est de 0,58 %. Rappelons que ce n'est pas de l'argent frais...

M. Philippe Dallier, rapporteur.  - Ni de l'argent magique !

M. Pascal Savoldelli.  - D'autres possibilités existent déjà.

L'épargne doit favoriser l'emploi Or, les conditionnalités ne sont pas là. Il faut aussi une transparence démocratique des investissements réalisés et de leur impact économique, social et environnemental.

Notre groupe propose des fonds régionaux pour l'emploi et la formation : les régions bonifieraient et garantiraient des financements bancaires de projets créant ou consolidant des emplois.

Ce texte manque de clarté sur son application et sur son périmètre. Il constitue un risque pour le logement social, via une décollecte du Livret A.

Oui, il faut mettre à contribution les plus riches, oui, les élus locaux doivent être intégrés à la relance, mais nous nous abstiendrons sur ce texte.

Mme Sylvie Vermeillet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Pas moins de 424 milliards d'euros : c'est l'évaluation que fait Olivier Dussopt de la facture de la crise sanitaire.

Du sauvetage de l'économie au plan de relance, d'importants moyens financiers sont mis en oeuvre, auxquels s'ajoute l'effet de la récession sur les recettes fiscales.

Alors que la France a doublé le niveau de son déficit et dégradé de vingt points le ratio de dette publique, les Français ont considérablement épargné.

Face à ce constat paradoxal, Mme Paoli-Gagin nous propose de réorienter cette épargne vers l'économie réelle. Je partage l'objectif du livret de développement territorial et j'ai cosigné cette proposition de loi avec six collègues du groupe UC.

Selon la Banque de France, les Français auront épargné 165 milliards d'euros entre le printemps 2020 et la fin 2021. Cette épargne sanctuarisée constitue une formidable opportunité de relance.

Créer des fonds souverains, c'est aller plus loin dans le développement des territoires et faire des Français les acteurs du développement économique. C'est du gagnant-gagnant.

Malheureusement, le dispositif proposé ne conduit pas à créer de véritables fonds souverains régionaux. La commission des finances a mis en évidence d'importantes difficultés pratiques. Les régions risquent d'être exposées à des taux d'emprunt supérieurs au marché.

Une piste d'amélioration serait de créer d'authentiques fonds souverains régionaux pour que les régions attribuent des prêts en entrant au capital d'entreprises régionales. Mais le ticket d'entrée, avec la nécessité de fonds propres, serait trop élevé.

M. Canevet, dont je salue la sagacité, propose d'abonder les fonds par le mécénat : c'est une piste intéressante.

Le groupe UC se réjouit de débattre de ce projet de loi, même inabouti. Il s'abstiendra, avec bienveillance. Nous espérons que le Sénat travaillera collectivement à un texte opérationnel. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Jean-Pierre Decool applaudit également.)

M. Patrice Joly .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Cette proposition de loi met en exergue la hausse historique de l'épargne des Français, la baisse des opportunités de consommation et la hausse de l'épargne de précaution liée aux incertitudes.

La Banque de France estime la surépargne à 130 milliards d'euros par rapport à un scénario sans crise sanitaire et prévoit qu'elle atteigne 200 milliards d'euros à la fin de l'année. Cette épargne de court terme est placée sur les comptes courants ou les livrets. Or, des supports à échéances plus longues seraient mieux adaptés aux besoins des entreprises. Pour ces dernières, un appui régional pourrait être utile.

L'État, nos collectivités locales et nos entreprises doivent investir massivement pour faire face aux enjeux du monde à venir. Je partage le souhait d'une épargne régionale, notamment pour investir dans la revalorisation et l'attractivité des territoires, s'adapter au changement climatique, moderniser les infrastructures.

Mais le livret de développement des territoires nous interroge : les ressources des livrets réglementés sont déjà mobilisées pour financer des politiques publiques, comme le logement social, financé par le livret A - que le livret de développement des territoires viendrait concurrencer.

Selon le Conseil d'analyse économique, les 20 % des ménages les plus aisés concentrent 70 % de l'épargne supplémentaire.

Attention à l'accroissement des inégalités. Pourquoi ne pas mobiliser les plus aisés pour cofinancer l'effort exceptionnel de l'État, en instaurant un impôt sur le capital et en supprimant la taxe forfaitaire sur les dividendes ? La réponse doit être simple et directe : taxation exceptionnelle des revenus des foyers les plus riches et des entreprises dont les profits ont explosé.

Dans les territoires ruraux, l'encours de dette est largement inférieur à l'épargne locale : les territoires avec un faible taux d'investissement financent les autres.

Il faut donc des circuits courts de financement. C'est cela, le développement durable ! Inspirons-nous de la loi américaine sur le financement communautaire, qui contraint les banques à rendre compte de leur politique d'investissement en les incitant à prêter aux habitants et aux entreprises des quartiers fragiles. En 35 ans, le dispositif a mobilisé 1 400 milliards de dollars de crédits pour promouvoir le développement local, sans impact négatif sur les banques.

La proposition de loi pose de bonnes questions mais n'apporte pas de bonnes réponses. Nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Emmanuel Capus .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Mi-février, la commission des finances débattait de la mobilisation de l'épargne en faveur de l'économie. Début mars, Bruno Le Maire annonçait des mesures incitatives pour que l'épargne des Français finance la relance. Fin mars, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes annonçait la création d'un fonds souverain régional, sous réserve d'un agrément de l'Autorité des marchés financiers. Tous s'accordent sur la nécessité de mobiliser l'épargne des Français pour les territoires.

Pourtant, on nous dit que le moment est mal choisi et que le dispositif est mal ficelé. Il y a un décalage entre un discours très volontaire et une très grande prudence.

Quel est le problème ?

J'en vois quatre. D'abord, l'intérêt pour les collectivités territoriales, avec des prêts à taux insuffisamment attractifs. Mais qu'en sera-t-il demain ? Les taux d'intérêt peuvent remonter à court terme. Or, le dispositif proposé est structurel.

Ensuite, les régions n'auraient pas besoin de nouveaux moyens de financement des infrastructures mais pourraient vouloir investir dans les entreprises. Nous proposons un amendement pour abonder des fonds souverains.

Autre problème, on ne finance pas à long terme avec une épargne liquide. Certes, mais pourquoi ne pas bloquer les dépôts ? Un de nos amendements sécurise financièrement le dispositif.

Enfin, le livret de développement des territoires risque de concurrencer le livret A et donc de mettre à mal le logement social. Mais ce nouveau livret permettrait aux Français de financer la relance autrement que par la dette, au plus près de chez eux.

Nous proposons une solution concrète et faisons confiance au débat parlementaire pour la muscler. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC)

Mme Sophie Taillé-Polian .  - La crise sanitaire met à mal notre idéal d'égalité. Une partie de la population a subi de plein fouet les conséquences économiques du confinement - les petits indépendants et auto-entrepreneurs, intermittents de l'emploi, chômeurs déjà privés d'emploi avant la crise. De l'autre côté, les stable, les détenteurs de capitaux, ont, eux, largement surépargné.

D'après le Conseil d'analyse économique, les 20 % de ménages les plus faibles ont vu leur épargne diminuer quand la moitié du surcroît d'épargne a été réalisée par les 10 % de ménages les plus aisés. Les inégalités salariales se doublent de profondes inégalités patrimoniales.

Il y a là un enjeu majeur de réforme fiscale. La défiscalisation prévue par cette proposition de loi ne nous semble pas aller dans le bon sens.

Cette réorientation de l'épargne est une goutte d'eau face aux baisses de dotations subies par les collectivités territoriales depuis des années.

Il faut préparer une société durable et résiliente pour toutes les collectivités, pas seulement les régions. Cette épargne devrait être fléchée vers l'économie sociale et solidaire (ESS) - ce qui devrait intéresser Mme la ministre.

La proposition de loi est intéressante mais source de risques, vis-à-vis du logement social notamment. À défaut de fléchage, ce livret de développement des territoires sera un simple palliatif à la baisse des dotations et accroîtra l'endettement des collectivités. Aussi, le GEST s'abstiendra.

Plutôt qu'une fuite en avant vers la société de consommation, nous devrions rechercher la sobriété. Or, ce sont les plus aisés qui polluent le plus.

La proposition gouvernementale de don intergénérationnel exonéré d'impôt va à rebours de ce qu'il faut faire.

M. Didier Rambaud .  - Si les objectifs de cette proposition de loi sont louables, le dispositif n'est pas adapté.

Le nouveau livret d'épargne concurrencerait le livret A -  et rudement, car il serait bien plus attractif : absence de plafonnement, exonération totale de prélèvements fiscaux et sociaux... Le livret A est utile car il bénéficie au logement social et les Français y sont très attachés.

La proposition de loi ne crée pas de fonds souverains régionaux : elle instaure plutôt un nouveau mécanisme d'emprunt pour les régions - qui n'en ont pas besoin, comme l'a dit le rapporteur.

L'amendement n°5 rectifié de Mme Paoli-Gagin ouvre la possibilité aux fonds souverains d'investir en fonds propres, mais cela concurrencerait les autres fonds souverains.

Le grand rendez-vous de l'investissement productif mené par Amélie de Montchalin et les propositions de Sicav d'Olivier Véran datant de 2018, sont les premières pierres à l'édifice.

Cette proposition de loi crée des fonds régionaux factices et ajoute une nouvelle strate administrative sans renforcer l'investissement. Elle fait courir un risque important à l'équilibre des finances publiques. Mon groupe votera donc contre. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Christian Bilhac .  - L'utilisation de l'épargne accumulée par les Français est un enjeu important. Son orientation est toujours débattue, comme celui de l'assurance vie, qui représente trois quarts du PIB. Les épargnants sont souvent soucieux de donner du sens à leurs placements, au-delà d'objectifs de sécurité ou de rentabilité.

La consommation a chuté, d'où une surépargne qui pourrait atteindre 200 milliards d'euros fin 2021. Comment l'utiliser ? La proposition de loi d'Éric Gold créait un grand emprunt national de 50 milliards d'euros pour le financement de notre système de santé. Celle-ci crée un livret de développement des territoires pour financer des politiques régionales, des projets d'infrastructures et des plans de relance décentralisés.

La commission des finances s'est montrée particulièrement sévère. Il faut saluer cette initiative, même si elle n'est pas parfaite.

La principale caractéristique du livret de développement des territoires est une rémunération de plus en plus importante au fil du temps.

J'ai déposé un amendement pour préserver l'encours du livret A et éviter tout effet d'éviction. Je propose aussi d'étendre le dispositif aux départements, communes et intercommunalités.

Le RDSE se partagera entre vote favorable et abstention. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP)

Mme Christine Lavarde .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La proposition de loi part d'un double constat partagé : le surcroît d'épargne de plus de 100 milliards d'euros et la nécessité de soutenir l'activité économique.

Mais nous ne pourrons pas voter ce texte : les régions n'ont pas de problème pour soutenir les entreprises, comme en témoignent l'Île-de-France et la Normandie, avec des prêts Rebond, des fonds régionaux de garantie, des aides supplémentaires aux prêts garantis par l'État (PGE) et des investissements directs.

Flécher la surépargne des ménages vers les entreprises : l'idée n'est pas nouvelle. Depuis 2004, le PEA-PME existe ; il a été dynamisé par la loi Pacte.

Le groupe Les Républicains a pris des initiatives lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2021 : augmentation de l'IR-PME, création d'un IFI-PME, ouverture d'un PEA-PME pour les jeunes majeurs, transfert du compte épargne-temps vers un PEA... Mais tout a disparu à l'Assemblée nationale. (M. Jean-François Husson s'en afflige.)

Chers collègues, ne vous désespérez pas : je relève avec malice que le don intergénérationnel proposé par le groupe Les Républicains, supprimé à l'Assemblée nationale, serait repris par le Gouvernement.

Votre idée est perfectible, mais nous ne pouvons pas la voter en l'état. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Serge Babary .  - Pendant la crise du Covid, les ménages ont surépargné pour 100 milliards d'euros, souvent placés sur les comptes courants, les livrets ou l'assurance-vie.

Pas moins de 800 000 PEA ont été ouverts ces deux dernières années.

Quel est le besoin des entreprises ? À la fin de la crise, leur trésorerie aura été asséchée, notamment celle des PME. Depuis le début de la crise, 30 % des ETI ont déjà été approchées par des fonds spéculatifs. Il est urgent de renforcer leurs fonds propres. Fin mars, 156 fonds ont reçu le label « relance », pour un encours de 14 milliards d'euros.

Les Français s'inquiètent pour leur avenir. Il faut leur proposer une épargne liquide et garantie, avec proximité et traçabilité. Selon la BPI, chacune de nos régions a des projets similaires au fonds régional de la région Auvergne-Rhône-Alpes.

Les entreprises ne bénéficieraient que partiellement du dispositif proposé. Attendons les premiers retours des régions avant de légiférer.

Notre groupe ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Cyril Pellevat .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'intention de ce texte, qui crée des fonds souverains régionaux après la hausse record de l'épargne des Français, est louable. Conseiller régional, j'ai été intéressé par le projet. Mais il présente des lacunes et les difficultés de financement des régions sont relatives.

Le texte ne crée pas un fonds souverain comme celui de la région Auvergne-Rhône-Alpes, mais seulement un nouveau produit bancaire.

Il n'y a pas de réelle territorialisation. Le fonds finance des équipements régionaux, alors que la priorité est d'aider les entreprises. Les régions s'endettent en moyenne à 0,58 %, alors que le dispositif conduirait à un taux de 1 %.

Je ne suis donc pas favorable à l'adoption de ce texte, mais il faudrait établir un bilan sur les possibilités pour les régions de prendre des participations dans les entreprises. Ce texte a eu le mérite d'attirer l'attention du Sénat sur le sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

M. le président.  - Amendement n°8 rectifié bis, présenté par MM. Bilhac, Requier et Guérini.

Alinéa 4

Après la référence :

L. 221-3

insérer les mots :

, sous réserve que leur livret A soit abondé au minimum à 50 % du montant du plafond mentionné à l'article L. 221-4,

M. Christian Bilhac.  - Cet amendement préserve l'épargne placée actuellement sur le livret A du risque d'éviction vers le livret de développement des territoires.

Un particulier ne pourrait déposer des fonds sur un tel livret que s'il a déjà déposé la moitié du plafond de son livret A, soit 11 475 euros.

M. Philippe Dallier, rapporteur.  - Cela exclurait 35 millions de Français de la possibilité d'ouvrir un livret de développement des territoires. Cela me semble donc présenter un risque constitutionnel. Merci d'avoir mis en évidence le risque de décollecte du livret A, mais j'émets un avis défavorable.

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État.  - Même avis car nous souhaitons préserver le livret A. Cette mesure serait en outre complexe à mettre en oeuvre.

L'amendement n°8 rectifié bis n'est pas adopté

M. le président.  - Amendement n°4 rectifié bis, présenté par Mme Paoli-Gagin, MM. A. Marc, Chasseing, Guerriau, Menonville, Wattebled, Médevielle et Decool, Mme Mélot, MM. Lagourgue, Verzelen, Burgoa, Canevet et Hingray, Mme F. Gerbaud, M. Haye et Mme N. Delattre.

Alinéa 5

Remplacer le taux :

90 %

par le taux :

80 %

Mme Vanina Paoli-Gagin.  - Cet amendement répond à une partie des critiques du rapporteur sur le décalage entre liquidité de la partie recettes et stabilité de la partie dépenses.

Il baisse le taux de la part des encours distribués par les banques de 90 % à 80 %.

M. Philippe Dallier, rapporteur.  - Nous avons un problème d'interprétation du texte. Les 10 % qui n'étaient pas consacrés aux régions allaient à d'autres collectivités territoriales. C'est toujours le cas, mais dans une proportion de 20 %. Cela ne change rien au problème soulevé. Avis défavorable.

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État.  - Même avis pour les mêmes raisons.

L'amendement n°4 rectifié bis n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°10 rectifié, présenté par MM. Bilhac, Requier et Guérini.

Alinéas 5 et 13

Après le mot :

régionaux

insérer les mots : 

ou territoriaux

M. Christian Bilhac.  - C'est un amendement de coordination avec mon amendement à l'article 4 instituant des fonds souverains régionaux et des fonds souverains territoriaux.

M. Philippe Dallier, rapporteur.  - N'étant pas favorable à la création de ces fonds pour les régions, je ne suis pas favorable à leur extension aux autres collectivités territoriales. Avis défavorable.

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État.  - La ressource émanant du livret de développement des territoires serait moins compétitive que les marchés. Vous recréez une Banque des territoires qui existe déjà et assure les besoins de financement non couverts par les marchés. Avis défavorable.

L'amendement n°10 rectifié n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°6 rectifié bis, présenté par Mme Paoli-Gagin, MM. Burgoa, Canevet et Hingray, Mme F. Gerbaud, MM. Guerriau, Chasseing et A. Marc, Mme Mélot, MM. Lagourgue, Menonville, Haye et Decool et Mme N. Delattre.

Alinéa 12, seconde phrase

Compléter cette phrase par les mots :

lorsque le retrait intervient sur un dépôt effectué depuis au moins trois ans

Mme Vanina Paoli-Gagin.  - Cet amendement soumet aux prélèvements sociaux et à l'impôt sur le revenu les intérêts produits par un livret de développement des territoires en cas de retrait intervenu moins de trois ans après le dépôt sur le compte des sommes en question. On sécurise le dispositif en décourageant les retraits.

M. Philippe Dallier, rapporteur.  - Avis défavorable par cohérence avec notre position défavorable à cet article.

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État.  - Sagesse.

L'amendement n°6 rectifié bis n'est pas adopté.

À la demande du groupe Les Républicains, l'article premier est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°114 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 198
Pour l'adoption   28
Contre 170

Le Sénat n'a pas adopté.

Mme Vanina Paoli-Gagin.  - Je retire la proposition de loi, le rejet de son article premier la vidant de sa substance.

Nous remettrons cet ouvrage sur le métier, pour proposer un dispositif qui vous convienne techniquement et qui nous rassemble politiquement. Peut-être dans le projet de loi de finances... (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

Mme Olivia Gregoire, secrétaire d'État.  - Merci de la qualité de nos échanges ; le Gouvernement est disponible pour les poursuivre.

Acte est donné du retrait de la proposition de loi de l'ordre du jour. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur plusieurs travées du groupe INDEP)

La séance est suspendue quelques instants.

Favoriser le retour à l'emploi des bénéficiaires du RSA

M. le président.  - L'ordre du jour appelle, à la demande du groupe INDEP, la discussion de la proposition de loi visant à favoriser le retour à l'emploi des bénéficiaires du Revenu de solidarité active (RSA).

Discussion générale

M. Claude Malhuret, auteur de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) La pauvreté est un enchaînement de privations matérielles et financières, un mécanisme d'exclusion conjoncturelle ou structurelle. C'est une vie au fil du rasoir, avec quelques heures de travail hebdomadaires, ou sans travail.

Or la crise sanitaire a aggravé les inégalités de santé, de logement, d'alimentation, de travail. Il n'existe aucun antidote, aucun vaccin à cela.

Des collectivités territoriales, des entreprises, des associations recherchent des solutions pour rendre à ces personnes l'espoir, lequel tient en trois mots : retrouver un travail. Deux millions de personnes sont allocataires du RSA aujourd'hui.

Cette proposition de loi s'inscrit dans la lignée d'une initiative du département de l'Allier. Le dispositif est largement soutenu ; de nombreux chefs d'entreprises sont favorables à son expérimentation.

D'un côté, il y a une augmentation du nombre de bénéficiaires du RSA, de l'autre les entreprises ont du mal à recruter. Recréons des liens. Cela ne concurrence pas la réinsertion par l'activité économique ni, plus largement, les entreprises de l'économie sociale et solidaire (ESS).

Une personne en fin de droit au chômage perçoit le RSA, mais aussi l'aide personnalisée au logement (APL) ; elle a une couverture maladie universelle complémentaire (CMUC) et bénéficie de tarifs sociaux pour l'électricité, la cantine, les transports. Lorsqu'elle retrouve un travail, elle perd beaucoup de ces droits connexes, que la prime d'activité de 200 euros en moyenne ne compense pas totalement.

Ma proposition de loi permet de cumuler, pendant la première année suivant le retour à l'emploi, le RSA et un salaire, et la possibilité de se former. Ainsi le gain associé au travail est sans ambiguïté. Allemagne, Portugal, Luxembourg révisent annuellement leurs droits sociaux, seules la France, l'Estonie et la Lituanie persistent à le faire tous les trois mois.

On n'enlève pas une béquille à une personne qui recommence à peine à marcher. Tel est l'esprit de cette expérimentation ; et la disposition est simple et lisible.

J'ai conscience que de nombreuses initiatives d'insertion ont été menées. Je n'ai pas la science infuse. C'est pourquoi je ne vous propose pas une solution clé en main mais une expérimentation pour décider ensuite, sur la base d'un bilan, de généraliser ou non.

Départements et entreprises sont, au côté de l'État, des acteurs essentiels contre l'exclusion.

Pour permettre à ces personnes de retrouver une dignité par le retour au travail, je vous invite à adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC ; M. Laurent Burgoa applaudit également.)

M. Daniel Chasseing, rapporteur de la commission des affaires sociales .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) La proposition de loi met en oeuvre un dispositif de retour à l'emploi, ciblé, inspiré d'une initiative du département de l'Allier. Les entreprises peinent à recruter et de nombreux chômeurs ne trouvent pas d'emploi, en raison de nombreux freins.

Depuis quinze ans, des efforts d'activation du système d'aide sociale ont été accomplis, afin de supprimer la désincitation à l'emploi. L'objectif n'est pas totalement atteint : 76 % des allocataires du RSA ont plus d'un an d'ancienneté et les chances d'en sortir diminuent avec le temps. La crise sanitaire a aggravé la situation. Nos collègues proposent une solution de transition.

L'article premier prévoit une expérimentation de quatre ans ; il s'agit de cumuler une embauche et le bénéfice, pendant un an, du RSA. Le texte initial prévoyait un cumul avec la prime d'activité, nous avons modifié le texte sur ce point.

Le coût pour le département serait compensé par l'État, via la dotation globale de fonctionnement (DGF).

L'expérimentation serait évaluée au moins un an avant terme. Elle s'inscrirait en complément des outils existants comme les territoires zéro chômeur longue durée (TZCLD).

C'est une solution de type « travail pour tous », fondée sur l'association d'un travail, d'un accompagnement personnalisé et d'un complément de revenu transitoire. L'Association des départements de France (ADF) la soutient.

Ainsi, les personnes bénéficieraient d'un accompagnement spécifique pour sécuriser leur parcours et éviter l'abandon. L'Allier le prévoit pour trois mois renouvelables.

Cette expérimentation responsabilisera les entreprises, en les incitant à favoriser l'insertion, sans les contraindre excessivement. De nombreux employeurs de l'Allier soutiennent cette démarche.

La commission des affaires sociales a adopté la proposition de loi tout en la modifiant pour qu'elle atteigne mieux sa cible. Il faudra une condition d'ancienneté d'un an dans le RSA et être inscrit à Pôle emploi.

Nous avons prévu la possibilité de déroger à la durée minimale de 24 heures hebdomadaires. Les bénéficiaires pourraient être embauchés pour 15 heures minimum. Une durée de 24 heures est une marche trop haute pour ceux n'ayant pas travaillé depuis plusieurs années.

Pour éviter les distorsions, les bénéficiaires ne pourront bénéficier de la prime d'activité en plus du RSA. Les ressources de celui qui revient dans l'emploi seront ainsi plus élevées que dans le droit commun, mais un écart sera préservé avec le revenu de salariés à temps plein percevant la prime. Dans la rédaction de la commission, le maintien du RSA est assuré pour un CDI ou CDD jusqu'à 800 euros par mois. Au-delà, la part du RSA versée se réduira.

Un bilan sera dressé un an avant la fin de l'expérimentation pour envisager, éventuellement, une généralisation.

La commission des affaires sociales a également précisé les conditions d'application du dispositif. La date de début sera précisée dans le décret d'application. Le ministre de l'Action sociale dressera la liste des départements retenus, selon des critères concertés avec les territoires à l'initiative de l'expérimentation.

Un amendement de Pascale Gruny limite à neuf mois la durée du dispositif, car les intéressés devraient alors pouvoir passer à 24 heures hebdomadaires, avec accès à la prime d'activité, ce qui accroîtra leur revenu.

Un amendement de René-Paul Savary, adopté par la commission, permet aux allocataires du RSA sans ancienneté de participer à l'expérimentation. Dans le droit actuel, le cumul est possible sur trois mois...

M. le président.  - Veuillez conclure !

M. Daniel Chasseing, rapporteur.  - Puis la personne accède à la prime d'activité. Avec l'expérimentation, l'articulation entre RSA et prime d'activité sera décalée dans le temps. L'accompagnement sera personnalisé et géré en binôme par un travailleur social et un conseiller pour l'emploi.

Je vous propose d'adopter cette proposition de loi telle que modifiée par la commission. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains)

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée chargée de l'autonomie .  - Le retour à l'emploi des bénéficiaires du RSA est un sujet majeur. Je connais la mobilisation des élus ; quant à moi, qui ai créé trois structures d'insertion, je suis active en cette matière.

L'expérimentation proposée n'est pas une solution adaptée (on s'en désole sur les travées du groupe Les Républicains), elle fragiliserait la cohérence du dispositif actuel articulant RSA et prime d'activité, et pourrait même avoir des effets contreproductifs pour les bénéficiaires.

Actuellement, les départements peuvent déjà autoriser le cumul du RSA et d'un revenu d'activité. Ils peuvent créer aussi une prestation sociale supplémentaire.

Plusieurs départements ont mis en oeuvre de tels dispositifs, comme la Gironde, la Dordogne et le Loir-et-Cher, notamment dans le secteur agricole, pour pallier la pénurie des saisonniers.

Votre expérimentation a une valeur ajoutée plus limitée : elle permet seulement la prise en charge du cumul par l'État... Or le projet de loi 4D vise à recentraliser le financement du RSA afin d'annuler les restes à charge des départements.

Votre expérimentation prévoit en outre de déroger à la durée minimale du travail et risque de favoriser des contrats précaires. Pérennisée, elle pourrait avoir des effets négatifs.

L'articulation entre RSA et prime d'activité est pensée pour être lisible et garantir un gain à ceux qui reviennent à l'emploi. Votre proposition crée des effets de seuil. En outre, l'expérimentation augmenterait la charge administrative et les coûts de gestion pour les départements, déjà surchargés.

Nous avons déjà pris des mesures en faveur du retour à l'emploi. Nous avons contractualisé avec les départements sur l'accompagnement et créé le service public de l'insertion et de l'emploi (SPIE) que Brigitte Klinkert déploie depuis le 1er janvier, doté de 80 millions d'euros.

Trente territoires expérimentent déjà ce SPIE et il y en aura trente-cinq de plus d'ici 2022.

Le plan de relance renforce les structures d'insertion, les parcours emploi compétences, les TZCLD. Nous avons revalorisé de 90 euros le pouvoir d'achat, amélioré ainsi les taux de recours à cette prestation. Nous avons engagé des travaux sur un revenu universel d'activité, qui aboutiront à la remise d'un rapport fin 2021.

Le Gouvernement s'est engagé pour des tremplins et une transition durable vers l'emploi ; il sait pouvoir compter sur les départements. Le défi est grand. Nous pouvons le relever.

M. Olivier Henno .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe INDEP) Je salue M. Malhuret, qui trouve toujours les mots justes, ainsi que le président du département de l'Allier, et le rapporteur Chasseing pour son écoute et son travail méthodique et approfondi.

Le groupe UC votera cette proposition de loi, petite en nombre d'articles mais grande par les sujets traités.

En tant qu'ancien vice-président du conseil départemental du Nord chargé de l'insertion, je suis sensible à ce sujet. Depuis 2015, nous avons fait du retour à l'emploi des allocataires du RSA un cheval de bataille ; leur nombre a diminué de 125 000 à 103 000 familles, avec une stratégie comparable à la présente proposition, accompagnement renforcé, lien avec les entreprises, actions de formation avec la région.

Le Sénat s'honore à reprendre des propositions de collectivités territoriales. Je connais le président du conseil départemental de l'Allier Claude Riboulet, qui ouvre avec cette expérimentation une brèche saluée par de nombreuses entreprises locales.

Déjà, avec le RSA, le législateur avait mis en ligne de mire les désincitations au travail du RMI.

Notre rôle, en tant qu'élus, est de tout faire pour inciter à l'embauche de chômeurs de longue durée, afin qu'ils intègrent progressivement le monde de l'entreprise. L'ouverture du dispositif dès 15 heures travaillées est une bonne chose pour les plus fragiles.

Cette proposition de loi ne peut tout résoudre mais elle est un pas dans la bonne direction. Elle devrait être complétée par une coopération encore plus forte entre les départements et les régions, compétentes en matière de formation professionnelle. C'est ce à quoi le Nord et les Hauts-de-France s'attachent.

Un autre apport de cette proposition de loi est d'étendre le principe de la compensation par l'État via la DGF. De nombreux départements souhaitent s'engager ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Monique Lubin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Toutes les initiatives pour soutenir les bénéficiaires de minima sociaux dans leur parcours vers l'emploi sont bienvenues. Les freins sont variés, logement, transport, santé, moyens financiers et garde d'enfants - car les premières concernées sont des femmes seules avec des enfants.

Le directeur de l'Unedic l'a dit clairement : rien dans la littérature économique ne permet de penser que des chômeurs resteraient volontairement au chômage.

En janvier dernier, nous avons soutenu une proposition de loi étendant le RSA aux jeunes de 18 à 24 ans, rejetée par la majorité sénatoriale. C'est sous François Hollande que la prime d'activité et la garantie jeunes ont été mises en place. (Protestations à droite)

Nous ne sommes pas convaincus par le dispositif proposé : la durée de 15 heures laisse craindre un effet d'aubaine. Nous ne voulons pas voir apparaître un sous-contrat pour des sous-salariés.

L'obtention d'un contrat de travail d'un an minimum est très ambitieuse ; celle d'un CDI est encore plus chimérique, s'agissant de personnes non insérées.

Dans les Landes, nous offrons aux bénéficiaires du RSA de cumuler leur allocation avec des revenus d'emplois saisonniers ou d'emplois d'aide à domicile.

Le RSA saisonnier existe en Dordogne, Gironde, Meurthe-et-Moselle ou en Charente-Maritime. Dans la Marne, il a été mis en place il y a dix ans et a bénéficié à 340 allocataires. Dans le Rhône, 100 personnes le perçoivent - des saisonniers faisant la cueillette et les vendanges.

La crise sanitaire en a renforcé la pratique. Le Lot-et-Garonne a expérimenté ce cumul dans les secteurs essentiels à la Nation. Idem pour l'Hérault et l'Aude pour les vendanges.

Si l'expérimentation était généralisée, elle pourrait devenir contre-productive. Nous attendons l'issue des débats pour fixer notre vote, qui pourrait glisser d'une abstention vers un vote négatif. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)

M. Laurent Burgoa .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Après la loi Territoires zéro chômeur de longue durée, ce texte porte sur le retour à l'emploi et l'émancipation de nos concitoyens, car l'emploi donne à chacun sa place dans la société, une possibilité de s'y épanouir.

L'ubérisation fait rage. Il faut lutter contre les trappes à l'inactivité. Fin 2019, 78 % des allocataires du RSA l'étaient depuis plus d'un an, 37 % depuis cinq ans et 16 % depuis dix ans.

J'apprécie l'esprit de cette proposition de loi qui se fonde sur le volontariat et nous vient du terrain. Il est peu probable toutefois que Bercy accepte la compensation par l'État des dépenses supplémentaires.

Un accompagnement est prévu à la fois par Pôle emploi et un tuteur dans l'entreprise. Le cumul serait possible dès 15 heures hebdomadaires. La prime d'activité ne serait pas perçue.

Comme mon groupe, je voterai le texte assorti de ces garanties. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Raymonde Poncet Monge .  - Les conseils départementaux, compétents pour l'insertion, ont multiplié les expérimentations. Le taux de couverture de cette dépense dynamique les contraint pourtant, avec une hausse de 9 % du nombre des allocataires en 2020. Je prends note, madame la ministre, que ces contraintes devraient être desserrées.

Ce texte s'appuie sur des diagnostics biaisés, en premier lieu concernant les freins à la reprise d'emploi : la désincitation financière est extrêmement minoritaire, mais les obstacles se cumulent, immobilier, financier, absence de moyen de transport et autres. L'énergie des allocataires se concentre souvent sur la survie...

Garantir un revenu décent ouvre vers l'emploi, comme Esther Dufflo l'a démontré. Il faudrait un accompagnement personnalisé dès le départ et un revenu minimal, qui permette de se projeter vers l'activité. Une majorité d'allocataires aspirent à retrouver leur place dans la société.

La prime d'activité, revalorisée à la suite du mouvement des gilets jaunes, existe déjà.

Le deuxième biais concerne l'offre de travail. Le problème est double : les emplois vacants ne trouvent pas preneurs car ils ne sont pas attractifs. Ils le deviendront temporairement par le relèvement du taux horaire pour un temps partiel, mais ils ne le seront plus dès le retour au droit commun, au bout d'un an.

Les effets d'aubaine pour les employeurs sont très probables.

Faute de réelles solutions, telles qu'un revenu décent et une levée des véritables freins au retour à l'emploi, le GEST votera contre le texte. (Applaudissements sur les travées du GEST et celles du groupe CRCE)

M. Martin Lévrier .  - Cette proposition de loi s'inspirant d'une initiative de l'Allier prévoit une expérimentation de quatre ans pour que les allocataires du RSA cumulent RSA et rémunération salariée.

En 2020, 2,7 millions de foyers étaient allocataires du RSA, les deux tiers depuis plus de deux ans. Entre 2019 et 2020, leur nombre a augmenté de 9 %. Et 4,9 millions de foyers étaient éligibles à la prime pour l'emploi. Quant aux bénéficiaires de l'allocation de solidarité spécifique, leur nombre a augmenté de plus de 10%.

Mais quel serait l'impact d'une telle loi ? Le cumul RSA-salaire saisonnier est déjà expérimenté sur deux à six mois dans nombre de départements. Il s'est développé avec la pandémie, afin de soutenir les secteurs en tension.

La durée de 15 heures comporte un risque d'inégalité de taux horaire et sera donc source de tensions au sein des entreprises.

La proposition de loi ne prévoit ni suivi spécifique ni mesures transitoires à la fin de la période. Il aurait fallu assurer le maintien dans l'emploi au terme d'un contrat à durée déterminée (CDD) d'un an. Les personnes concernées perdront les bénéfices de l'expérimentation et se retrouveront à nouveau loin de l'emploi.

Les TZCLD, les parcours emploi compétences, l'insertion par l'activité économique sont, en revanche, des outils gouvernementaux pertinents. Le RDPI est favorable aux initiatives locales, mais la plupart de ses membres s'abstiendront.

M. Bernard Fialaire .  - Cette proposition de loi revient aux sources de la création du RSA en 2008 et promeut les solidarités actives, afin que le travail paie davantage que l'inactivité.

Ce dispositif s'inspire d'une initiative du département de l'Allier. Toutes les expérimentations de terrain sont intéressantes. C'est un parfait exemple de différenciation telle qu'annoncée dans le futur projet de loi 4D - qui se fait attendre...

La peur de perdre les aides compromet le retour à l'emploi. Ce texte instaure une transition. Le coût du dispositif serait compensé par l'État, sans reste à charge pour les départements déjà asphyxiés. Cette solution compléterait la mesure TZCLD. La commission des affaires sociales a renforcé la condition d'ancienneté d'un an dans le RSA pour cibler les plus fragiles, et limité les éventuelles distorsions en supprimant le cumul avec la prime d'activité.

Je salue ce texte. Si François Mitterrand disait : « Contre le chômage, on a tout essayé », la présente proposition de loi prouve le contraire.

Après le RMI et le RSA, cette expérimentation s'inscrit dans la vision solidariste de Léon Bourgeois, pour que nos concitoyens retrouvent leur dignité. Je voterai cette proposition de loi avec quelques collègues mais d'autres membres du RDSE s'abstiendront. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe RDSE ; Mme Colette Mélot applaudit également.)

Mme Cathy Apourceau-Poly .  - Cette proposition de loi se veut plus incitative pour un retour à l'emploi. Mais elle repose sur un postulat biaisé : les titulaires du RSA ne feraient pas les démarches nécessaires pour retrouver un emploi, alors qu'il suffit de traverser la rue, comme on sait...

Le mythe du vivier d'emplois disponibles est solide. Mais les intentions d'embauche ne sont pas les recrutements ! D'après la Direction de l'Animation de la recherche, des études et des statistiques (Darés), 185 000 emplois étaient vacants par exemple au 1er février 2020 ; mais sur ce total, 50 % des offres sont ensuite retirées, 25 % pourvues en interne. Les offres réelles sont donc de 46 000, à comparer aux deux millions de bénéficiaires du RSA en décembre 2020.

Il restera impossible de trouver un prêt bancaire ou un logement avec un CDD de 15 heures par semaine.

Or, avec cette dérogation, vous aggravez les inégalités sociales. La proposition de loi ne comporte aucune solution d'accompagnement et de formation des allocataires du RSA. Alors qu'il y a 6 millions de chômeurs, l'État doit mobiliser des moyens financiers pour les réinsérer. Il devrait, surtout, s'attaquer au non-recours au RSA, estimé à 36 % des personnes éligibles.

Fidèles à l'idée fausse selon laquelle les pauvres seraient responsables de leur situation, vous stigmatisez les allocataires du RSA... Nous parlons de 565,34 euros par mois pour une personne. Qui peut vivre dignement avec cette somme ?

Dans son rapport de 2020, le Secours catholique avait défendu un revenu minimum de 893 euros par mois, soit la moitié du revenu médian. Il faut un filet de sécurité protecteur et des solutions pour retrouver un emploi durable.

Le groupe CRCE votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

Mme Colette Mélot .  - La proposition de loi est avant tout issue d'une initiative locale de l'Allier avec soixante entreprises. Elle pourrait bénéficier à de nombreux départements volontaires. Elle s'appuie sur l'ingéniosité et l'expérience locales.

Elle favorise le recrutement par les entreprises du territoire, pour un retour à l'emploi durable. De nombreux dispositifs d'insertion existent, comme le TZCLD initié par ATD Quart-monde ou l'insertion par l'activité. La prime d'activité offre un complément de salaire progressif aux chômeurs moins éloignés de l'emploi.

Mais nous n'avons rien pour les allocataires anciens du RSA qui, s'ils retrouvent un travail, vont perdre des aides sociales et des tarifs avantageux, alors qu'ils sont souvent à temps partiel.

Cette proposition de loi sécurise et rend plus sereines les reprises d'activité dans les entreprises locales.

Pour limiter les distorsions, il suffit de plafonner le cumul à un certain plafond et le réserver aux bénéficiaires du RSA depuis un an ou plus. Dans l'emploi, ils continueront à bénéficier d'allocations et de droits connexes. Ensuite, ils entreront dans un parcours emploi compétences puis bénéficieront de la prime d'activité.

Plus nous ajouterons de contraintes, moins les résultats seront au rendez-vous. Adoptons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

M. Vincent Segouin .  - Créé il y a quinze ans, le RSA fait encore parler de lui. En 2007, la gauche accusait la droite d'enfermer les Français dans la précarité ; désormais, elle fait du RSA un totem inviolable. Lorsqu'Édouard Philippe a souhaité une contrepartie au versement de l'allocation - comme Laurent Wauquiez en 2001 - il a été très critiqué.

Cette proposition de loi est courageuse, mais vous auriez pu aller plus loin. Le RSA vise la dignité des personnes, non leur emprisonnement dans la précarité ; mais tout n'est pas une question d'argent, et c'est l'activité qui donne la reconnaissance. Il faut donc passer éventuellement par une activité bénévole pour avoir des contacts et une vie sociale. Tout travail mérite salaire, et inversement. (Mme Monique Lubin s'impatiente.)

Le budget de la Nation, en outre, est mis à mal actuellement, il serait bon de revoir la logique de distribution de l'argent du contribuable.

Inclure des contreparties obligatoires, quelques heures d'action civique ou d'oeuvre d'intérêt général, assure à l'intéressé de conserver des liens sociaux, c'est un rempart pour ne pas sombrer dans la précarité matérielle et morale. Sinon, les bénéficiaires voient le RSA comme une obole, ils y sentent une forme de mépris. On les retrouve aux ronds-points.

Je voterai ce texte mais il faut motiver les Français les plus précaires à sortir de la pauvreté et non les y enfermer. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, tandis que Mme Monique Lubin s'indigne.)

La discussion générale est close.

La séance est suspendue à 13 h 20.

présidence de M. Georges Patient, vice-président

La séance reprend à 14 h 50.

Modifications de l'ordre du jour

M. le président.  - Par lettre en date du 14 avril, le Gouvernement demande l'inscription à l'ordre du jour du mardi 18 mai, après-midi et soir, et, éventuellement, du mercredi 19 mai, après-midi, sous réserve de son dépôt et de sa transmission, du projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire.

En conséquence, d'une part, l'examen du projet de loi relatif à la régulation et à la protection de l'accès aux oeuvres culturelles à l'ère numérique et du projet de loi organique modifiant la loi organique relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution est reporté au mercredi 19 mai, après midi et soir, et, éventuellement, au jeudi 20 mai matin, à l'issue de l'examen des deux propositions de loi déjà inscrites à l'ordre du jour, après-midi et soir ; d'autre part, l'examen du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne est reporté au jeudi 20 mai, à la suite des textes déjà inscrits à l'ordre du jour, et, éventuellement, vendredi 21 mai, matin et après-midi.

Nous pourrions fixer le délai limite pour le dépôt des amendements de séance sur le projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire au mardi 18 mai à 12 heures.

Par ailleurs, par courrier en date du 14 avril, M. François Patriat, président du groupe RDPI, et, par courrier en date de ce jour, M. Claude Mlahuret, président du groupe INDEP, demandent l'inscription à l'ordre du jour de la proposition de résolution présentée par MM. Alain Richard et Joël Guerriau, en application de l'article 34-1 de la Constitution, en faveur de l'association de Taïwan aux travaux de plusieurs organisations internationales. Nous pourrions inscrire ce texte, sous réserve du respect du délai d'information préalable du Gouvernement, en complément de l'ordre du jour du jeudi 6 mai après-midi.

Enfin, à la demande du groupe SER, en accord avec le GEST, et après consultation de l'ensemble des groupes politiques, le débat sur le thème : « Les enjeux nationaux et internationaux de la future PAC » serait désormais inscrit à l'ordre du jour du mardi 4 mai, le soir et le débat sur le thème : « Contrat de relance et de transition écologique, ne pas confondre vitesse et précipitation » serait désormais inscrit à l'ordre du jour du mercredi 5 mai en dernier point de l'ordre du jour de l'après-midi.

Il en est ainsi décidé.

Favoriser le retour à l'emploi des bénéficiaires du RSA (Suite)

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

M. Bruno Rojouan .  - Conseiller départemental de l'Allier pendant vingt-cinq ans, je rappelle que c'est une initiative de ce département qui est à l'origine de ce texte.

Des départements sont souvent à l'origine de politiques volontaristes en faveur de l'insertion et du maintien de l'emploi. Cette expérimentation encourage la reprise d'activité des bénéficiaires du RSA, tout en répondant aux besoins des entreprises. Dans mon département, le nombre de bénéficiaires du RSA s'élève à 10 000 - soit le nombre d'offres d'emploi !

Le département, échelon de proximité, finance le RSA en partie sur ses fonds propres, or le nombre de bénéficiaires ne cesse d'augmenter. Il est pertinent de limiter, à terme, la hausse du nombre de bénéficiaires en facilitant leur retour à l'emploi.

Je soutiens donc pleinement cette proposition de loi, qui émane du terrain. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP)

M. le président.  - Amendement n°2 rectifié bis, présenté par M. Savary, Mme Gruny, M. Mouiller, Mme Deseyne, MM. Bonne et Belin, Mmes Belrhiti et Berthet, MM. Bonhomme, Bouchet, Bouloux, Brisson, Cardoux et Charon, Mme Chauvin, MM. Courtial et Cuypers, Mme L. Darcos, M. de Legge, Mmes Delmont-Koropoulis, Deromedi, Di Folco, Dumont et Estrosi Sassone, M. B. Fournier, Mmes F. Gerbaud et Gosselin, M. Gremillet, Mme Imbert, MM. Karoutchi et Laménie, Mme Lassarade, MM. D. Laurent et Lefèvre, Mmes Malet, M. Mercier et Micouleau, MM. Milon, Pellevat et Piednoir, Mmes Pluchet, Puissat et Raimond-Pavero, MM. Rapin, Sautarel et Savin et Mme Schalck.

I. - Alinéa 1, seconde phrase

Compléter cette phrase par les mots :

précisant le nombre de bénéficiaires relevant de cette expérimentation

II. - Alinéa 2

Supprimer les mots :

depuis au moins un an

M. René-Paul Savary.  - Cet amendement ouvre le dispositif à l'ensemble des bénéficiaires du RSA, notamment les plus proches de l'employabilité. Le critère de durée n'est pas pertinent.

Il y a trois groupes d'allocataires : ceux qui ont été victimes d'accidents de parcours mais ne sont pas très éloignés de l'emploi ; ceux qui ont besoin d'actions d'insertion professionnelle ; enfin, ceux pour qui l'insertion sociale est la priorité.

D'où cet amendement qui lève le critère de durée dans le RSA, mais en contingentant le nombre de bénéficiaires, article 40 oblige. L'État ne va pas ouvrir son carnet de chèques à l'aveugle...

Prendront part à l'expérimentation des départements urbains de plus d'un million d'habitants, des départements intermédiaires et des départements ruraux de moins de 300 000 habitants. Il faut, pour fixer les critères, discuter avec l'Assemblée des départements de France (ADF).

Mme Pascale Gruny.  - Très bien.

M. Daniel Chasseing, rapporteur.  - La condition d'ancienneté d'un an est en effet quelque peu rigide ; il y a des bénéficiaires du RSA depuis moins d'un an en situation d'exclusion qui peuvent être volontaires et motivés. Cet amendement laisserait davantage de latitude aux départements pour les identifier. Avis favorable.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée.  - Nous partageons bien sûr l'objectif. Il faut que le dispositif d'insertion soit proposé le plus tôt possible dans le parcours. Sagesse, car nous ne sommes pas d'accord sur la forme.

Mme Monique Lubin.  - Le groupe SER avait déposé un amendement similaire mais s'est heurté à l'article 40. Les bénéficiaires du RSA sont souvent éloignés de l'emploi depuis un moment déjà - ils sont passés par une période de chômage, puis d'ASS. Le critère d'un an n'a pas lieu d'être. Le dispositif doit pouvoir s'appliquer immédiatement.

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - Très bien.

M. Olivier Henno.  - La segmentation des bénéficiaires selon un critère de durée dans le RSA n'est pas pertinente. Je voterai cet amendement qui améliore le texte.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Je doute que l'évaluation d'un dispositif élargi à tous les bénéficiaires sans critère de temps soit pertinente. Il y aura des effets d'aubaine ; les entreprises trieront et choisiront les bénéficiaires les plus proches de l'employabilité.

Ceux qui sont provisoirement bloqués dans le RSA du fait de la conjoncture en sortiront de toute façon. De même, les nouveaux publics, comme les indépendants qui ne sont pas forcément passés par une longue période de chômage préalable, sauront rebondir. Beaucoup de bénéficiaires ont perdu leur petit boulot avec la crise, et viennent ainsi augmenter les chiffres.

L'effet d'aubaine pour les entreprises compromet l'intérêt de l'évaluation.

M. Laurent Burgoa.  - Si le Sénat ne défend pas les initiatives des élus de terrain, autant siéger à l'Assemblée nationale, déconnectée des réalités ! Pourquoi ne pas étendre cette initiative, en l'ouvrant à tous les bénéficiaires du RSA ? Expérimentons, au lieu de débattre pour ne rien dire !

M. Philippe Mouiller.  - Le plus important serait l'efficacité de l'évaluation ? Je dis que le plus important, c'est que l'expérimentation aide à retrouver du travail ! Si des personnes qui ne sont pas trop éloignées de l'emploi retrouvent un travail, formidable ! Je suis atterré par les propos de Mme Poncet-Monge qui traduisent une déconnexion complète.

M. René-Paul Savary.  - Madame la ministre, votre avis de sagesse montre bien que ce texte est une réponse adaptée. (Mme la ministre s'en défend.)

Madame Poncet-Monge, ce n'est pas l'entreprise mais l'accompagnateur social, en lien avec Pôle emploi, qui identifie des bénéficiaires potentiels. On leur donne une possibilité de s'en sortir. Il n'y a aucun effet d'aubaine pour les entreprises !

Mme Pascale Gruny.  - Je voterai cet amendement.

Mme Poncet-Monge estime que les indépendants rebondiront quoi qu'il arrive. Je n'en suis pas sûre...

Pour l'entreprise, il n'est pas facile d'intégrer des publics très éloignés de l'emploi. Ce n'est d'ailleurs pas son rôle ; dans le secteur marchand, il s'agit de faire du résultat.

L'essentiel, c'est d'essayer de remettre les gens au travail. L'élargissement est justifié.

Je conseille à Mme Poncet-Monge de faire un stage en entreprise. (Protestations indignées à gauche)

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - Ces propos sont particulièrement discourtois. (On renchérit à gauche.) Ce mépris à l'égard d'une de nos collègues qui exprime simplement sa position, comme elle en a le droit, n'est pas acceptable. («  Très bien » et applaudissements à gauche)

L'amendement n°2 rectifié bis est adopté.

M. le président.  - Amendement n°14 rectifié, présenté par Mmes Jacquemet, Doineau, Berthet, Puissat, Demas et Billon, M. Lefèvre, Mme Paoli-Gagin, M. Hingray, Mmes Gruny, de La Provôté, Gosselin et Guidez, M. Longeot, Mme Sollogoub, M. Courtial, Mme Vérien, MM. Moga et Chauvet, Mme F. Gerbaud, M. Saury, Mme Gatel, M. Kern, Mmes N. Goulet et Herzog, MM. Levi, Delahaye, Louault, S. Demilly, Folliot, Cadic, P. Martin, Canevet et Delcros, Mmes Vermeillet et Loisier, M. Lafon, Mmes Létard et Morin-Desailly et MM. Laugier, Le Nay et Prince.

Alinéa 2

Après le mot :

an,

insérer les mots : 

ayant signé le contrat d'engagements réciproques prévu à l'article L. 262-35 du code de l'action sociale et des familles,

Mme Annick Jacquemet.  - La commission réserve l'expérimentation aux personnes volontaires bénéficiaires du RSA, privées d'emploi depuis au moins un an et domiciliées dans les départements participant à l'expérimentation.

Cet amendement introduit un nouveau critère : avoir signé un contrat d'engagements réciproques. Le CER formalise la mise en oeuvre du projet d'insertion précisant les droits et obligations du demandeur et de la collectivité.

Au plan national, le taux de contractualisation n'est que de 52 %, c'est peu. Ce contrat atteste de la bonne foi et de la motivation de ceux qui entrent dans le dispositif.

Cette obligation figure déjà dans la loi, m'a-t-on objecté en commission. Mais comme disait Talleyrand, ce qui va sans dire va mieux en le disant...

M. Daniel Chasseing, rapporteur.  - Le CER ne concerne que les bénéficiaires du RSA qui sont orientés vers un organisme autre que Pôle emploi. Avis défavorable mais le taux de contractualisation est en effet assez faible. Que dit le Gouvernement ?

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée.  - Retrait, sinon rejet. Cette condition est déjà prévue dans le code de l'action sociale. La stratégie nationale contre la pauvreté et la contractualisation avec les départements s'attachent à améliorer le taux de contractualisation. Il n'y a pas lieu d'imputer cette charge aux allocataires du RSA, qui n'en sont pas responsables.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Les expérimentations sur le RSA se font sur tous les territoires, mais elles varient selon la couleur politique des départements. Ainsi, la métropole de Lyon expérimente le RSA pour les moins de 25 ans. Ces propositions ne sont pas hors sol.

Quant à l'expérience professionnelle, je vous la souhaite aussi longue que la mienne !

Dans un contrat, il y a deux parties. Quand le premier rendez-vous d'accompagnement a lieu en moyenne 78 jours après l'inscription du bénéficiaire, qui ne tient pas ses engagements ?

J'espère que l'on formalisera l'engagement de l'entreprise dans ce contrat.

Mme Monique Lubin.  - Lorsqu'un bénéficiaire du RSA est orienté vers Pôle emploi, c'est qu'il n'est pas éloigné de l'emploi. Lorsqu'il est orienté vers les travailleurs sociaux, c'est qu'il y a des freins qui nécessitent un accompagnement social préalable.

Pourquoi faire signer en plus un CER, alors que le contrat de travail est déjà un engagement ? (Mme Cathy Apourceau-Poly approuve.) C'est superfétatoire, et lourd de sous-entendus...

Mme Annick Jacquemet.  - L'amendement est satisfait juridiquement, certes, mais pas sur le terrain. Un taux de contractualisation de 52 %, c'est très insuffisant.

Certes un contrat de travail sera signé avec l'entreprise, mais le CER doit être signé en amont, quand le bénéficiaire rentre dans le processus d'insertion.

M. Jean-François Longeot.  - Je voterai cet amendement présenté par une sénatrice qui, il y a six mois, était vice-présidente de son département, en charge de l'action sociale.

L'idée du CER, c'est d'accompagner les allocataires ; c'est un droit et un devoir. Le contrat engage les deux parties, le département et l'allocataire. Plus on s'y prend tard, plus la réinsertion est difficile. Or l'activité professionnelle est le meilleur remède aux maux de la société.

Mme Michelle Meunier.  - Quand on a siégé dans un conseil départemental, on sait que l'accompagnement existe. Les comités locaux d'insertion se réunissent, les bénéficiaires qui ne remplissent pas leurs devoirs sont rappelés à l'ordre. Cet amendement n'apporte rien.

Mme Nadège Havet.  - Il y a six mois, j'étais encore employée de Pôle emploi. Nous faisions signer aux allocataires des projets personnalisés d'accès à l'emploi (PPAE), des plans d'accompagnement. Il y a un accompagnement global, associant les travailleurs sociaux.

Pourquoi en rajouter ? Mieux vaut se concentrer sur le contenu du plan d'accompagnement.

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission.  - J'entends que le taux de contractualisation est insuffisant ; nous avons alerté Mme la ministre. Mais remettre dans la loi ce qui y figure déjà est inutile. Je maintiens l'avis défavorable de la commission.

M. René-Paul Savary.  - La personne concernée par cette expérimentation sera suivie par le travailleur social, par le conseiller de Pôle emploi, et un amendement prévoit le tutorat en entreprise. Le CER n'apporte aucune valeur ajoutée.

L'amendement n°14 rectifié est retiré.

M. le président.  - Amendement n°12, présenté par Mme Lubin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Alinéa 3

1° Supprimer les mots :

d'une durée d'un an ou à durée indéterminée

2°  Remplacer les mots :

une période maximale de douze mois

par les mots :

la durée de ce contrat

Mme Monique Lubin.  - Limiter le dispositif à un CDD d'un an au moins ou à un CDI serait contreproductif, car une personne qui est allocataire du RSA depuis un an est éloignée de l'emploi. Mieux vaut y aller par petites touches, en commençant par des contrats plus courts.

M. le président.  - Amendement n°6 rectifié bis, présenté par Mme Gruny, MM. Cuypers et Savin, Mme Deseyne, M. Lefèvre, Mme Delmont-Koropoulis, M. Rapin, Mme M. Mercier, MM. Bascher et Bonne, Mmes Dumont et Lassarade, MM. D. Laurent, Burgoa et Calvet, Mmes Garriaud-Maylam, Thomas, Chauvin, Micouleau et Demas, M. Bouloux, Mme Deromedi, MM. Cardoux, Panunzi, Bacci, Sautarel et Pointereau, Mme Drexler, MM. Laménie et Babary, Mme Muller-Bronn et MM. Bonhomme et B. Fournier.

Alinéa 3

Remplacer les mots :

douze mois

par les mots :

six mois

Mme Pascale Gruny.  - Cet amendement limite la possibilité de cumul avec le RSA à six mois. Lorsque Martin Hirsch imaginait le RSA, je l'avais invité à additionner toutes les aides pour les personnes sans emploi et comparer le résultat avec le salaire minimum. Souvent, les personnes perdent de l'argent en prenant un travail - même si elles en ont besoin pour leur dignité.

M. le président.  - Sous-amendement n°15 à l'amendement n°6 rectifié de Mme Gruny, présenté par M. Malhuret.

Amendement n° 6, alinéa 5

Remplacer le mot :

six

par le mot : 

neuf

M. Claude Malhuret.  - La durée d'un an visait à sécuriser la reprise d'activité, mais j'entends vos arguments.

Aujourd'hui, le cumul est autorisé pendant trois mois - six mois, ce n'est guère plus. Je vous propose un compromis : neuf mois.

M. Daniel Chasseing, rapporteur.  - Cette proposition de loi ne s'adresse pas aux saisonniers ; il ne s'agit pas de donner une prime aux contrats courts, mais d'encourager l'insertion dans l'emploi durable. Avis défavorable à l'amendement n°12.

La durée de neuf mois est un bon compromis. Avis favorable à l'amendement n°6 rectifié bis sous réserve de l'adoption du sous-amendement n°15.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée.  - Le Gouvernement est en désaccord sur le principe du cumul : avis défavorable dès lors, quelle que soit la durée. Gare aux effets de seuil à la sortie du dispositif et aux inégalités entre salariés travaillant sur un même poste. On risque en outre d'inscrire durablement les bénéficiaires du RSA dans des contrats limités dans le temps.

Les bénéficiaires du RSA veulent surtout en sortir. Nous pouvons trouver d'autres modes de suivi social via la prime d'activité et des contrats d'engagement plus larges.

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - Je partage pleinement le plaidoyer de Mme Gruny en faveur des travailleurs au Smic, qui ne parviennent pas à joindre les deux bouts. Je compte sur votre soutien à l'avenir, ma chère collègue, quand nous proposerons de relever les salaires !

Ce ne sont pas les pauvres qui reçoivent 564 euros par mois qui ont trop, mais les salariés au Smic qui n'ont pas assez.

Mme Michelle Meunier.  - Il peut être utile de donner un coup de pouce pour des retours à l'emploi de durée réduite. Nous le faisons en Loire-Atlantique pour les nombreux emplois saisonniers dans la logistique ou l'agriculture - la carotte nantaise, la mâche et bientôt le muguet - qui représentent 5 % des offres d'emploi ; 5 000 annonces sont à pourvoir, et ne trouvent pas toujours preneur. Veillons à répondre aux besoins.

Certains parcours ne sont pas linéaires, mais sont faits d'une succession d'emplois courts.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Il faut mener la bataille idéologique contre les idées fausses.

C'est une idée fausse de dire que l'on perd de l'argent quand on reprend un emploi, en particulier depuis que la prime d'activité a été augmentée à la suite du mouvement des gilets jaunes - la Drees le confirme.

Deuxième idée fausse, la personne ferait un calcul économique, typique de l'homo economicus de l'analyse libérale, et choisirait de s'installer dans le RSA, par confort.

Ne fermons pas la possibilité d'avoir un CDI.

M. René-Paul Savary.  - Ce n'est pas ce que fait l'amendement.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Sinon, on en revient à l'enchaînement des contrats courts... Que l'expérimentation, si elle doit avoir lieu, soit la plus longue possible.

L'amendement n°12 n'est pas adopté.

Le sous-amendement n°15 est adopté.

L'amendement n°6 rectifié bis, sous-amendé, est adopté.

M. le président.  - Amendement n°3 rectifié, présenté par M. Savary, Mme Gruny, M. Mouiller, Mme Deseyne, MM. Bonne et Belin, Mmes Belrhiti et Berthet, MM. Bonhomme, Bouchet, Bouloux, Brisson, Cardoux et Charon, Mme Chauvin, MM. Courtial et Cuypers, Mme L. Darcos, M. de Legge, Mmes Delmont-Koropoulis, Deromedi, Di Folco, Dumont et Estrosi Sassone, M. B. Fournier, Mmes F. Gerbaud et Gosselin, M. Gremillet, Mme Imbert, MM. Karoutchi et Laménie, Mme Lassarade, MM. D. Laurent et Lefèvre, Mmes Malet, M. Mercier et Micouleau, MM. Milon, Pellevat et Piednoir, Mme Raimond-Pavero, MM. Rapin, Sautarel et Savin et Mme Schalck.

Alinéa 4

Rédiger ainsi cet alinéa :

La prime d'activité versée par l'État vient en déduction du montant du revenu de solidarité active versé par le département.

M. René-Paul Savary.  - L'avis défavorable du Gouvernement à la proposition de loi est de mauvais augure sur la compensation par l'État vers les conseils départementaux. La loi 4D, qui recentralise le dispositif avec l'argent des départements, ne marque guère une avancée significative. Bref, la copie est à revoir...

L'amendement n°3 rectifié est retiré.

M. le président.  - Amendement n°8 rectifié bis, présenté par Mme Gruny, MM. Lefèvre et Savin, Mme Delmont-Koropoulis, M. Rapin, Mmes Deseyne et M. Mercier, MM. Bascher et Bonne, Mmes Dumont et Lassarade, MM. D. Laurent, Burgoa et Calvet, Mmes Garriaud-Maylam et Thomas, M. Cuypers, Mmes Chauvin, Micouleau et Demas, MM. Bouloux, Husson, Cardoux, Panunzi, Bacci et Sautarel, Mme Drexler, MM. Laménie et Babary, Mme Muller-Bronn et MM. Bonhomme et B. Fournier.

Alinéa 5

Supprimer cet alinéa.

Mme Pascale Gruny.  - La durée minimale de 15 heures est insuffisante pour permettre aux deux parties de juger de leur capacité de travailler ensemble. C'est aussi une dérogation au temps de travail à temps partiel.

M. le président.  - Amendement identique n°13, présenté par Mme Lubin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Mme Monique Lubin. - Nous sommes opposés à toute dérogation au droit du travail. Ne revenons pas sur la règle des vingt-quatre heures hebdomadaires. Au-delà des effets d'opportunité pour certains employeurs, nous ne voulons pas de sous-contrats pour des sous-salariés.

M. le président.  - Amendement n°4 rectifié bis, présenté par M. Savary, Mme Gruny, M. Mouiller, Mme Deseyne, MM. Bonne et Belin, Mmes Belrhiti et Berthet, MM. Bonhomme, Bouchet, Bouloux, Brisson, Cardoux et Charon, Mme Chauvin, MM. Courtial et Cuypers, Mme L. Darcos, M. de Legge, Mmes Delmont-Koropoulis, Deromedi, Di Folco, Dumont et Estrosi Sassone, M. B. Fournier, Mmes F. Gerbaud et Gosselin, M. Gremillet, Mme Imbert, MM. Karoutchi et Laménie, Mme Lassarade, MM. D. Laurent et Lefèvre, Mmes Malet, M. Mercier et Micouleau, MM. Milon, Pellevat et Piednoir, Mmes Puissat et Raimond-Pavero, MM. Rapin, Sautarel et Savin et Mme Schalck.

Alinéa 5, première phrase

Compléter cette phrase par les mots :

pendant neuf mois au plus

M. René-Paul Savary.  - Je partage une partie des propos de mes collègues. Mon amendement, intermédiaire, limite cette dérogation à neuf mois.

Et 15 heures, c'est une première étape avant 24 heures puis, on espère, un temps complet. Elle ne doit pas durer trop longtemps.

M. le président.  - Amendement n°5 rectifié bis, présenté par M. Savary, Mme Gruny, M. Mouiller, Mme Deseyne, MM. Bonne et Belin, Mmes Belrhiti et Berthet, MM. Bonhomme, Bouchet, Bouloux, Brisson, Cardoux et Charon, Mme Chauvin, MM. Courtial et Cuypers, Mme L. Darcos, M. de Legge, Mmes Delmont-Koropoulis, Deromedi, Di Folco, Dumont et Estrosi Sassone, M. B. Fournier, Mmes F. Gerbaud et Gosselin, M. Gremillet, Mme Imbert, MM. Karoutchi et Laménie, Mme Lassarade, MM. D. Laurent et Lefèvre, Mmes Malet, M. Mercier et Micouleau, MM. Milon, Pellevat et Piednoir, Mmes Puissat et Raimond-Pavero, MM. Rapin, Sautarel et Savin et Mme Schalck.

Alinéa 5

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Lorsque l'employeur est une entreprise de plus de cinquante salariés, il désigne pour chaque bénéficiaire un tuteur parmi les salariés qualifiés de l'entreprise.

M. René-Paul Savary.  - Nous proposons, dans les entreprises de plus de cinquante salariés, la mise en place d'un tutorat pour mieux accompagner le bénéficiaire. Ainsi, les capacités professionnelles de ce dernier pourront mieux se révéler.

M. Daniel Chasseing, rapporteur.  - Avis défavorable aux amendements identiques nos8 rectifié bis et 13.

Avis favorable à l'amendement n°4 rectifié bis et à l'amendement n°5 rectifié bis.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée.  - Sagesse sur ces amendements. Nous sommes plutôt défavorables aux dérogations sur les CDD, en vertu de la loi sécurisant les parcours professionnels. Les dérogations ne sont justifiées que dans le sens d'une meilleure protection des salariés. Je crains ici, au contraire, une précarisation des travailleurs.

De plus, même si je suis favorable au principe d'un accompagnement, le tutorat risque de faire peser une charge sur les entreprises. Il doit être volontaire et non imposé par la loi.

Mme Pascale Gruny.  - Je retire mon amendement n°8 rectifié bis au profit de l'amendement n°4 rectifié bis. L'amendement n°5 rectifié bis a certes un coût pour l'entreprise, mais le tutorat est indispensable à la réussite du dispositif.

L'amendement n°8 rectifié bis est retiré.

Mme Laurence Cohen.  - Je suis d'accord sur ce point avec la ministre : les mesures dérogatoires aux contrats de travail légaux ne vont pas dans le bon sens. En France, les femmes représentent 48 % de la population active, mais 82 % des salariés à temps partiel et deux tiers des travailleurs pauvres.

L'égalité professionnelle, après quarante ans de lois, reste un voeu pieu. Avec la crise, le recours de plus en plus massif au temps partiel pénalise d'abord les femmes : 32 % d'entre elles travaillant à temps partiel sans l'avoir choisi.

Au lieu d'autoriser les contrats de 15 heures, encadrons le temps partiel imposé, source de précarité professionnelle et d'inégalité entre les femmes et les hommes.

L'amendement n°13 ne va pas assez loin : nous nous abstiendrons, car nous sommes contre cette proposition de loi.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Si pendant neuf mois, on travaille 15 heures par semaine, comment gravir la marche suivante à vingt-quatre heures hebdomadaires ? Il ne faut pas que cela soit contreproductif. L'insertion par l'économie permet d'ajuster la quotité de travail aux capacités du salarié. Il n'y a pas lieu de déroger au droit du travail.

Je suis favorable au tutorat, mais 80 % des entreprises impliquées dans les dispositifs d'insertion sont des PME ; elles ne seront donc pas concernées par la mesure proposée à l'amendement n°5 rectifié bis.

L'amendement n°13 n'est pas adopté.

L'amendement n°4 rectifié bis est adopté, de même que l'amendement n°5 rectifié bis.

M. le président.  - Amendement n°9 rectifié bis, présenté par Mme Gruny, M. Savary, Mmes Deromedi et Deseyne, MM. Lefèvre et Savin, Mme Delmont-Koropoulis, M. Rapin, Mme M. Mercier, MM. Bascher et Bonne, Mmes Dumont et Lassarade, MM. D. Laurent, Burgoa et Calvet, Mmes Garriaud-Maylam et Thomas, M. Cuypers, Mmes Chauvin, Micouleau et Demas, MM. Bouloux, Belin, Panunzi, Cardoux, Bacci, C. Vial, Sautarel et Pointereau, Mme Drexler, M. Laménie, Mme Muller-Bronn et MM. Bonhomme et B. Fournier.

Après l'alinéa 5

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

En cas de rupture du contrat de travail à l'initiative du bénéficiaire de ladite expérimentation, celui-ci voit son revenu de solidarité active suspendu, sauf motif valable, sur décision du président du conseil départemental.

Mme Pascale Gruny.  - Cet amendement responsabilise le bénéficiaire du RSA en l'incitant à rester en activité professionnelle. S'il rompt son contrat de travail à son initiative, le RSA serait suspendu durant le temps où il a cumulé salaire et RSA. (M. Rachid Temal proteste vigoureusement.) Cela arrive ! Il s'agit de protéger les entreprises contre les abus.

M. le président.  - Amendement n°10 rectifié bis, présenté par Mme Gruny, MM. Milon et Savary, Mme Deseyne, MM. Cuypers, Lefèvre et Savin, Mme Delmont-Koropoulis, M. Rapin, Mme M. Mercier, MM. Bascher et Bonne, Mmes Dumont et Lassarade, MM. D. Laurent, Burgoa et Calvet, Mmes Garriaud-Maylam, Thomas, Chauvin, Micouleau et Demas, MM. Belin, Bacci et Pointereau, Mme Drexler, M. Laménie, Mme Muller-Bronn et M. Bonhomme.

Après l'alinéa 5

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Les bénéficiaires de ladite expérimentation s'engagent à rester dans l'entreprise dans laquelle ils sont embauchés en contrat à durée indéterminée pendant une durée minimale de deux ans.

Mme Pascale Gruny.  - L'amendement n°10 rectifié bis inscrit une clause de dédit-formation, pour que l'entreprise ne perde pas le crédit de son engagement.

Mais je retire ces amendements et voterai la proposition de loi.

L'amendement n°9 rectifié bis est retiré, de même que l'amendement n°10 rectifié bis.

(Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

L'article premier, modifié, est adopté.

L'article 2 est adopté.

Explications de vote

Mme Monique Lubin .  - Nous regardons toujours avec attention les propositions pour renforcer l'insertion dans l'emploi des bénéficiaires de minima sociaux. Nous pilotons des initiatives en ce sens dans nos départements. Mais nous refusons un discours stigmatisant les bénéficiaires du RSA : certains sont allés jusqu'à affirmer que les pauvres, vivant de ce qu'on leur donne, doivent le mériter en effectuant des travaux d'intérêt général - ceux-là même qui sont infligés aux délinquants !

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - Exactement !

Mme Monique Lubin.  - Depuis quelque temps, c'est la fête à la maison ! On supprime les allocations familiales pour les parents indignes dont les enfants sèchent les cours et maintenant, si un allocataire doit quitter son emploi pour maladie, vous voulez lui retirer son RSA ! Ces retours en arrière me désolent...

Nous nous sommes toujours opposés à un recul du droit du travail. Aussi, nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)

Mme Cathy Apourceau-Poly .  - Si nous partageons la volonté d'améliorer la vie de nos concitoyens, nous sommes opposés à ces mesures. Nous voterons contre ce texte, pour ce qu'il contient et ce qu'il révèle. Il stigmatise les plus pauvres.

Nous ne pouvons accepter la casse du code du travail avec des temps partiels à 15 heures. Nous ne pouvons non plus accepter l'idée de bénéficiaires du RSA manquant d'initiative ou d'un code du travail trop rigide.

Certes l'Observatoire de la pauvreté a été supprimé ; certes, ATD Quart-monde ne siège plus au Conseil économique, social et environnemental (CESE), ce qui est regrettable, mais ce n'est pas en cassant le thermomètre qu'on éradique la maladie.

Nous continuerons à lutter pour les droits des travailleurs ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER, ainsi que sur celles du GEST)

M. René-Paul Savary .  - Il faut de l'humilité en la matière et je vois beaucoup de postures politiques... Notre volonté partagée est de trouver des moyens différents pour faire sortir nos concitoyens de la pauvreté.

Ce texte n'est pas révolutionnaire, mais pragmatique. Président de conseil départemental pendant quinze ans - et je ne suis pas le seul ici -, j'ai appris à revoir mes certitudes.

Voyons avec les personnes comment les orienter. La prospective, c'est une culture de projet, pas des certitudes !

M. Philippe Mouiller.  - Très bien !

M. René-Paul Savary.  - Tant mieux si ce dispositif permet le retour de quelques-uns dans l'emploi. En matière de dignité, chacun a des droits et des devoirs.

Mme Pascale Gruny.  - Très bien !

M. René-Paul Savary.  - Le groupe Les Républicains votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Olivier Henno .  - Le groupe UC votera également cette proposition de loi, que je ne juge nullement culpabilisante pour les allocataires de RSA.

Elle prône une logique de la main tendue pour lever les freins au retour à l'emploi. Les allocataires du RSA sont encore nombreux ; l'insertion et la solidarité active restent des questions posées.

La valeur du travail nous tient à coeur. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Daniel Chasseing .  - Ce matin, la ministre évoquait le revenu universel d'activité (RUA). Nous proposons un RUA temporaire, favorisant l'insertion et l'accès au travail à long terme.

Je m'étonne que certains ne votent pas cette proposition de loi qui améliorera la situation économique de nombreuses personnes.

N'oublions pas que 15 heures de travail représentent 1 025 euros. L'objectif, ensuite, est que la personne travaille 24 heures et gagne plus de 1 300 euros.

Le texte porte des mesures sociales et généreuses. Il prône une synergie entre économie et insertion. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC)

M. Claude Malhuret .  - Je remercie la présidente de la commission des affaires sociales, Catherine Deroche ; Philippe Mouiller, son vice-président ; Daniel Chasseing, rapporteur de la proposition de loi, ainsi que la ministre malgré ses réserves et nos divergences.

Même si ce texte ne représente pas un changement fondamental, il permet un petit geste dans la bonne direction.

Je remercie mes collègues de leur travail et de leur débat respectueux.

Si la proposition de loi prospère à l'Assemblée nationale, l'expérimentation nous dira si nous sommes allés dans le bon sens. J'espère que le Gouvernement en acceptera le principe, à l'approche du projet de loi dit 4D. Nos concitoyens au RSA le valent bien ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme Catherine Deroche et M. Marc Laménie applaudissent également.)

La proposition de loi, modifiée, est adoptée.

(Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, Les Républicains, UC et RDSE)

La séance est suspendue pour quelques instants.

Poursuite de la procédure de ratification du CETA

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution invitant le Gouvernement à envisager la poursuite de la procédure de ratification du CETA présentée, en application de l'article 34-1 de la Constitution, à la demande du groupe CRCE.

Discussion générale

M. Fabien Gay, auteur de la proposition de résolution .  - Si nous sommes réunis pour évoquer l'accord économique et de commerce CETA, ce n'est pas à l'initiative du Gouvernement, mais du groupe CRCE, qui vous y invite pour la deuxième fois, après un débat en novembre 2018, un an après la mise en application provisoire du traité.

Depuis trois ans, des parlementaires de presque tous les groupes demandent des précisions sur le traité et sur sa date de ratification. Le Sénat a été assez patient : il est temps d'en débattre !

Groupe minoritaire, nous n'avons que deux niches par an, soit quatre textes ! C'est peu, et pourtant nous fourmillons d'idées... Nous ne nous résignons pas à ce déni démocratique. Puisque le Gouvernement nous empêche de débattre, le CRCE met son espace réservé à votre disposition.

De nombreux collègues m'ont interrogé sur la formulation alambiquée de la proposition de résolution : elle a dû être remaniée trois fois avant que le Gouvernement la valide pour l'inscription à l'ordre du jour.

Certes, le Gouvernement est responsable de l'inscription du projet de loi de ratification à l'ordre du jour. Le Parlement ne peut l'enjoindre. Mais nous demandons seulement le respect de la Constitution, des institutions et de la démocratie !

Le Gouvernement bafoue les droits du Parlement et s'insurge lorsque nous le lui rappelons.

Ses trois refus visaient peut-être à nous faire abandonner ; c'était mal nous connaître... Si ce débat vous déplaît, monsieur le ministre, il eut été plus aisé, au lieu d'ergoter, de donner au Bureau du Sénat le calendrier de ratification du CETA.

L'article 53 de la Constitution dispose que le traité ne peut être ratifié qu'en vertu d'une loi, votée par le parlement national, en l'occurrence bicaméral. Le Gouvernement donne pourtant l'impression que l'avis du Sénat ne compte guère. Le Parlement est sans cesse contourné ou malmené. C'est révélateur d'une crise plus profonde de nos institutions. Depuis que je suis parlementaire, en 2017, je n'ai connu que les procédures accélérées ; je ne sais pas ce qu'est une deuxième lecture, même si on m'a dit qu'elle était fort utile pour améliorer la loi ! (Mme Cécile Cukierman s'esclaffe.)

Selon Gérard Larcher, 51 % des textes ont été pris par ordonnance, ce qui est inédit depuis la guerre d'Algérie. Or, puisqu'il faut ensuite les ratifier, le processus des ordonnances est plus long : c'est bien le débat parlementaire qui vous déplaît.

La démocratie et le débat parlementaire se révéleront utiles pour la sortie de crise. La pandémie a montré qu'une gestion centralisée par l'exécutif n'était pas gage d'efficacité. Le comble du mépris fut atteint avec le troisième débat sur le confinement, le lendemain des annonces du Président de la République. Est-ce là la République que nous voulons ?

Ne jouez pas ainsi avec nos institutions : cela renforce la défiance de nos concitoyens. Si le Gouvernement piétine ainsi les institutions, à quoi bon voter ? Entre l'Union européenne, les citoyens français et la démocratie, il y a une histoire : en 2005, ils ont rejeté massivement le traité sur l'Union européenne, ratifié deux ans plus tard par le Parlement. Cela reste une meurtrissure dans le coeur des Français. De tels comportements nourrissent le fatalisme, le désespoir et, dans une certaine mesure, l'extrême droite.

Avec le CETA, le vote du Sénat est empêché, l'opacité totale. L'accord est entré en vigueur de façon provisoire le 21 septembre 2017, pour 90 % du traité, ce qui relève des compétences de l'Union européenne.

Le CETA fait tomber les barrières tarifaires, mais les barrières non tarifaires posent davantage problème. Abandon de nos normes sociales et environnementales, tribunaux d'arbitrage privé... Au-delà du Parlement, il devrait faire l'objet d'un débat citoyen !

La crise nous invite à repenser le monde différemment. Hier, ces traités étaient dangereux ; aujourd'hui, ils sont caducs, alors qu'il faut réfléchir à la mise en concurrence, au partage, à la sortie des biens et des ressources essentiels du secteur marchand - le Président de la République lui-même le dit !

La ratification du CETA devait intervenir dans un délai d'un an. Nous attendons depuis plus de trois ans... Monsieur le ministre, de quoi avez-vous peur ?

L'Assemblée nationale a approuvé le traité par 266 voix contre 213 et 74 abstentions. Il se murmure que vous auriez peur d'un vote contre au Sénat ; préférez-vous contourner l'obstacle ? Je n'ose croire une telle explication... En sport, cela s'appelle un forfait, un aveu de faiblesse !

Vous l'avez compris, ce n'est pas un débat sur le contenu du CETA, mais sur la procédure de ratification. Il y a urgence : il serait inconcevable que la France prenne la présidence de l'Union européenne le 1er janvier sans avoir ratifié un traité aussi important. Après tout, la pandémie n'empêche pas le Gouvernement de démanteler EDF ou de réformer l'assurance chômage !

Nous ne doutons pas que cette proposition de résolution recevra un vote favorable du Sénat. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, INDEP et UC ; M. Mathieu Darnaud applaudit également.)

M. Rachid Temal .  - Lettonie, Lituanie, Danemark, Malte, Espagne, Croatie, République tchèque, Portugal, Estonie, Suède, Roumanie, Slovaquie, Autriche et enfin le Luxembourg en mai 2020 ont engagé la ratification du CETA. Même le Royaume-Uni l'a fait, en 2018. Chypre a voté contre, mais cela n'a pas été notifié à l'Union européenne.

L'article 53 de la Constitution prévoit que chaque chambre ratifie l'accord, mais le Sénat attend toujours de savoir quand et comment il sera saisi. Situation pour le moins paradoxale, alors que la France, sous la présidence de François Hollande, a obtenu que les parlements nationaux soient saisis des traités !

Le CETA n'est pas anodin, il touche à des pans entiers de notre vie : environnement, télécommunications, alimentation, concurrence, accès à la commande publique, etc. Pourquoi ce silence assourdissant ? Pourquoi le Gouvernement, qui avait engagé la procédure accélérée, refuse-t-il d'inscrire la ratification à l'ordre du jour ? Le Sénat demande pourtant gentiment de pouvoir en débattre. Nous en sommes réduits à voter des propositions de résolution...

Dix-huit mois après, l'argument du manque de temps ne tient plus. Autre explication : l'encombrement législatif, mais on a connu plus encombrant que le CETA, qui n'a nécessité à l'Assemblée nationale qu'une réunion de commission et deux séances publiques. Enfin, dernière explication : l'oubli volontaire qui arrange, alors que l'issue du vote au Sénat est incertaine.

Le Président de la République est favorable au traité, dont le Gouvernement a soutenu la ratification devant l'Assemblée nationale.

Je remercie donc le groupe CRCE d'avoir pris cette initiative. Le groupe SER votera cette proposition de résolution, en regrettant d'être obligé de demander au Gouvernement de respecter nos institutions et la démocratie. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)

M. Laurent Duplomb .  - Voilà trois ans que le CETA est entré provisoirement en vigueur ; trois ans que le Gouvernement refuse au Sénat un vote solennel.

Le traité divise. Ce n'est ni l'accord, ni nos relations historiques avec le Canada qui sont en jeu, mais une volonté constante de sanctionner certaines filières agricoles.

Pour protéger notre agriculture de la concurrence déloyale, le respect de nos normes sanitaires est en jeu. Or il ne fait l'objet d'aucune garantie. Vous nous assurez que les organismes certificateurs nous protègent, mais personne ne vous croit !

Permettez-moi de vous raconter une histoire : un consommateur voulait acheter des graines de sésame pour en mettre sur son pain ou dans son houmous. Il en importa d'Inde, où l'on retrouve sur les graines de l'oxyde d'éthylène, dans des concentrations mille fois supérieures au résidu maximal toléré en agriculture conventionnelle et cinq mille fois la valeur acceptée en agriculture biologique. Comment ces graines ont-elles pu entrer en Europe ? Par magie ? Non, mais parce que la France ne consacre aux contrôles qu'un budget de 50 centimes d'euros pour 1 000 euros de marchandises.

Les douaniers avaient déjà repéré des anomalies dans 20 % des produits contrôlés venant d'Inde. Sur 1 500 substances actives, seules 600 sont contrôlées. Nos importations sont donc indemnes de 900 substances, parce que nous ne les testons pas !

Si nous ne pouvons pas contrôler les graines de sésame indiennes, comment contrôler tous les produits canadiens - pays où les OGM et certaines farines animales sont autorisés, sans la même traçabilité qu'en Europe ?

Dans le même temps, vous sacrifiez notre agriculture en multipliant les normes.

Mme Cécile Cukierman.  - Exactement !

M. Laurent Duplomb.  - C'est pour éclipser cette vérité que vous refusez le débat ! Je ne peux l'accepter et je voterai cette proposition de résolution avec mon groupe, à l'unanimité. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, CRCE, SER et UC)

Mme Colette Mélot .  - Le Sénat doit évidemment étudier le projet de loi de ratification transmis par l'Assemblée nationale le 23 juillet 2019. Le bicamérisme, c'est la chance donnée à l'équilibre, à la précision et à la qualité des débats.

L'enjeu est de taille ; le moment sera décisif pour la France et pour l'Union européenne. Rappelons-nous le vote de la Wallonie en 2016 et le « non » chypriote de l'été dernier.

Le groupe Les Indépendants partage l'objectif de la proposition de loi, mais moins ses arguments. Nous avons négocié pendant sept ans avec le Canada et le retard pris dans la ratification n'est pas le fait du Gouvernement : le Covid a bouleversé le calendrier parlementaire.

M. Rachid Temal.  - Ah ! La pandémie a bon dos !

Mme Colette Mélot.  - De plus, l'accord est déjà applicable à 90 % - la part relevant de la compétence exclusive de l'Union européenne. Ce n'est pas antidémocratique : le mandat a été confié à la Commission européenne pour conclure l'accord en 2016 par les États membres, avant une ratification par le Parlement européen.

Deux mesures ont retenu notre attention : la lutte contre la concurrence déloyale et le respect des accords de Paris sur le climat. Nous y souscrivons.

La vigilance s'impose sur l'harmonisation des normes : les règles et les consommateurs européens doivent être défendus. C'est le cas : la viande bovine canadienne, qui ne respecte pas ces normes, n'est pratiquement pas importée. En revanche, les exportations ont bondi de 7 %, en particulier concernant le fromage.

Autre point contentieux, le règlement des conflits entre États et investisseurs. La Cour de justice de l'Union européenne, le 30 avril 2019, les a jugés compatibles avec les règles de l'Union européenne. Là encore, la vigilance s'impose.

Le groupe Les Indépendants se tient prêt pour un débat constructif et pertinent ; d'ici là, concentrons-nous sur la lutte contre la pandémie. Nous nous abstiendrons.

M. Laurent Duplomb.  - C'est du courage !

M. Guillaume Gontard .  - Merci au groupe CRCE de cette initiative. Sa proposition de résolution, comme la présentation qu'en a faite Fabien Gay, est des plus limpides.

J'imagine que le banc des ministres, aujourd'hui, n'est pas très confortable... La position du Gouvernement est indéfendable. Nous attendons toujours que le CETA soit soumis à notre ratification.

Quand il s'agit de saccager la République avec une loi électoraliste et d'instaurer un État policier, il y a du monde ; quand il s'agit de tenir des débats 50-1 pour nous faire entériner des décisions déjà arrêtées par le Président de la République, il y a du monde ; mais quand il s'agit de nous soumettre un accord international, il n'y a plus personne !

Le Gouvernement ne cesse de professer son respect pour notre chambre. Pierre Reverdy disait : « Il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour. » L'absence du ministre des Affaires étrangères est une preuve d'indifférence, voire de mépris.

Le CETA est un traité du monde d'avant ; c'est le sparadrap du capitaine Haddock. Le Canada autorise les farines animales et certains OGM. Avec des multinationales comme Lactalis qui piétinent les normes sociales et environnementales, la concurrence internationale tire les prix vers le bas. Donner toujours plus de pouvoir aux intérêts privés, est-ce là votre vision du monde ?

L'Assemblée nationale examine un projet de loi sur le climat en deçà des engagements de la France sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le Gouvernement fait un pied de nez aux 149 propositions de la Convention citoyenne pour le climat. Nous sommes passés du sans filtre à un filtre jauni, encrassé de renoncements.

Il est vrai que le Président de la République a refusé à raison un traité avec le Mercosur parce que le Brésil ne respectait les accords de Paris : le « en même temps » fait des noeuds au cerveau, même des intelligences supérieures.

Nous voulons, nous, relocaliser les productions, protéger les agriculteurs, préserver les emplois et instaurer un revenu paysan digne de ce nom, développer les circuits courts et de vente directe, loin des multinationales agronomiques qui exploitent les agriculteurs et sont les principales responsables de la plus morbide des pandémies, l'obésité.

Votre politique faussement écologique est un bel exemple de greenwashing...

Le Président de la République, qui pense que la France a besoin d'un monarque, affiche son mépris pour les corps constitués ; ce qui est nouveau, c'est qu'il ne respecte même plus le cadre de cette République monarchique. Comment vous faire à nouveau confiance en 2022 ?

Le GEST votera ce texte des deux mains. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Richard Yung .  - La demande du groupe CRCE est légitime, même si je vois poindre derrière un autre débat, sur le cadre même du CETA. Ce n'est pas ce qui est en question ici : vous avancez masqués, comme disait Descartes.

Le CETA, signé il y a quatre ans et demi, n'a été ratifié par le Parlement canadien qu'en 2017 et par l'Assemblée nationale en 2019.

M. Rachid Temal.  - Ils ont de la chance !

M. Richard Yung.  - Mais le CETA n'est pas un cas isolé. L'accord commercial entre la France et le Japon attendait, jusqu'à il y deux heures, l'inscription de sa ratification à l'ordre du jour et celui entre la France et l'Australie, conclu depuis quatre ans, n'a toujours pas été ratifié.

M. Patrick Kanner.  - Nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes !

M. Richard Yung.  - La France n'est pas le seul État membre de l'Union à n'avoir pas ratifié le CETA : seize autres États ne l'ont pas fait, dont l'Allemagne, qui n'a même pas commencé la procédure.

M. Patrick Kanner.  - Vive les mauvais élèves !

M. Richard Yung.  - L'étude d'impact fait notamment référence à l'étude de la commission Schubert.

L'ambassadrice du Canada en France souligne que les agriculteurs canadiens doivent se conformer aux règles du marché importateur, en l'occurrence l'Union européenne - le flux d'importation de viande bovine est très faible. Elle nous rappelle que le Canada a ouvert ses marchés publics dans des secteurs où l'expertise française est reconnue mondialement.

L'excédent commercial est passé pour l'Union européenne de 15,7 milliards d'euros en 2018 à 17,6 milliards en 2019 et pour la France de 26 millions d'euros en 2017 à 650 millions en 2019.

Restent à régler les quotas de fromages, de vins et spiritueux français et la reconnaissance des indications géographiques.

Sans tabou, le Président de la République s'est dit prêt à abandonner le CETA s'il n'était pas conforme à la trajectoire de l'accord de Paris.

Le RDPI s'abstiendra sur le projet de résolution.

M. Henri Cabanel .  - Ce débat n'aurait jamais dû exister ; le Sénat aurait dû dire oui ou non au CETA, accord mixte qui requiert le vote positif de toutes les chambres des États membres. Or un seul vote a été organisé, à l'Assemblée nationale, en juillet 2019. Pourtant, depuis septembre 2017, l'accord est appliqué provisoirement. Le provisoire dure... De qui se moque-t-on ? C'est nier la démocratie !

Pourquoi la Haute Assemblée est-elle privée de vote ? Qu'est-ce qui bloque ? Merci à Fabien Gay de placer cette situation grotesque sous les projecteurs. Nous exigeons de voter.

La commission Schubert, dont les conclusions sont nuancées, propose des engagements ambitieux sur le rôle du Parlement. C'est sans doute oublié. Pourtant, les enjeux ne sont pas anodins. Le CETA, c'est 2 000 pages, dont des réductions d'obstacles non tarifaires ou des harmonisations de normes en matière de propriété intellectuelle. Certaines clauses relèvent de la compétence des États membres.

L'accord de partenariat stratégique (APS) n'a toujours pas été promulgué par le Canada, qui attend la fin de la ratification européenne. On en parle peu ; pourtant, il rassemble les clauses politiques.

Cette proposition de résolution est primordiale. Une partie du Sénat risque de s'opposer à la ratification du CETA. Certains sénateurs socialistes, d'accord sous le quinquennat de François Hollande, ont changé d'avis. Tant mieux ! Les députés européens Les Républicains et UDI y étaient également favorables.

Cet accord affecte notablement la politique agricole et la dimension environnementale n'est pas assez prise en compte.

La Convention citoyenne sur le climat avait demandé la suspension du CETA tant que le respect de l'accord de Paris, prévu par l'APS, n'était pas assuré.

Si les chiffres fournis témoignent d'une hausse de 15 % des exportations européennes vers le Canada et les États-Unis en 2018, nous devons objectiver ces données en 2021, plus particulièrement pour l'agriculture, qui souvent paye le prix fort dans ces accords internationaux.

N'oublions pas que l'accord avec le Mercosur suivra, toujours au détriment des agriculteurs, sacrifiés au bénéfice d'autres secteurs.

La gouvernance de l'Union européenne montre bien ses limites : la Commission décide, les accords sont appliqués et les Parlements nationaux ratifient plus tard... ou pas !

Le RDSE votera la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, CRCE, SER et UC)

M. Pierre Laurent .  - Le 23 juillet 2019, l'Assemblée nationale approuvait, en urgence, le projet de loi de ratification du CETA. Quatre ans après sa signature, le Sénat n'en a toujours pas été saisi. Le Gouvernement compte-t-il jouer la carte de l'application provisoire indéfinie pour le contourner ? Cela ne condamne-t-il pas définitivement les accords mixtes ?

Cette attitude du Gouvernement, qui veut s'éviter un vote défavorable, est inacceptable. D'abord pour des raisons démocratiques. Les chefs d'État européens ont pris la fâcheuse habitude de contourner les Parlements. Comment s'étonner ensuite du désaveu populaire ?

Le CETA, ensuite, s'inscrit dans une libéralisation effrénée des échanges, une dépendance accrue de notre pays dans des secteurs essentiels comme l'agriculture ou les produits pharmaceutiques.

La révolution écologique n'est plus une option, pas plus que la relocalisation de la production.

L'évitement de l'exécutif révèle un embarras problématique.

La mondialisation financière bâtie sur la libre concurrence sans garde-fou est responsable de l'incapacité de nombreux États à faire face aux défis du niveau de vie et de la lutte contre le changement climatique.

Le CETA touche tous les domaines, tirant toujours les normes vers le bas, notamment sur l'environnement, ainsi que l'a noté la commission Schubert. C'est davantage d'émissions de dioxyde de carbone liées au fret transatlantique. S'y ajoutent les dangers que révèle la pandémie et face auxquels nous avons besoin de coopération et non de production rentable quoiqu'il en coûte. Est-ce le moment de continuer la logique moins-disante et concurrentielle du CETA ?

Ensemble, nous pouvons demander au Gouvernement de prendre ses responsabilités en votant cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et RDSE)

Mme Anne-Catherine Loisier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Cette proposition de résolution rappelle au Gouvernement qu'il serait temps de nous soumettre la ratification du CETA, qui a été approuvée par 266 députés en juillet 2019. Nous sommes impatients de connaître le motif de ce retard ; tout se passe comme si le Gouvernement n'était pas prêt à assumer les conséquences de cet accord dans les territoires.

Le traité est seulement partiellement en vigueur, pour une durée indéterminée.

Beaucoup de centristes pensent que l'avenir de la France passe par une Europe plus démocratique, plus unie, plus forte. La procédure choisie, qui écarte le référendum et relègue les parlements nationaux à des chambres d'enregistrement, porte déjà préjudice à l'ambition européenne par défaut de transparence.

Ce traité de deuxième génération est-il toujours pertinent dans un monde post-Covid ? Le bilan carbone, la souveraineté industrielle, les circuits courts, le Green Deal et la responsabilité sociale des entreprises sont une nouvelle réalité. Les défis sont devant nous. Alors que la France envisage une taxe carbone aux frontières, est-il pertinent de supprimer les droits de douane ? Devons-nous continuer à laisser entrer des produits qui ne répondent pas à nos critères ?

M. Laurent Duplomb.  - Très bonne question !

Mme Anne-Catherine Loisier.  - À l'heure de l'urgence climatique, peut-on encore importer ce dont nous ne voulons pas pour vendre ce que nous voulons exporter ? Le moment est-il bien choisi pour soumettre nos États à des arbitrages défendant non l'intérêt des citoyens mais les intérêts légitimes des investisseurs internationaux ?

Le problème n'est pas celui des échanges internationaux mais des modalités du traité. De nouveaux impératifs nous obligent à nous adapter, d'autant qu'il y a des urgences : neutraliser les changements climatiques, assurer la relance de l'économie et de l'emploi, faire renaître l'espoir chez nos concitoyens.

Par respect pour les peuples, pour l'Europe, le groupe centriste soutiendra cette résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe CRCE)

M. Didier Marie .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Merci au groupe CRCE pour son initiative. Cela fait vingt et un mois que l'Assemblée nationale a voté à une courte majorité la ratification du CETA et que nous attendons que le Gouvernement l'inscrive à notre ordre du jour. C'est un déni et une aberration démocratiques, une mauvaise manière faite au Sénat, et un facteur de défiance de nos concitoyens à l'égard d'accords commerciaux dépassés.

Dépassés parce qu'ils accroissent les inégalités et nuisent à l'environnement. Dépassés parce que les multinationales dictent leurs lois, accumulent les profits et échappent à l'impôt. Dépassés parce que le centre de gravité de l'économie mondiale s'est clairement déplacée vers la Chine, dont l'essor bouleverse la concurrence et la gouvernance.

L'Union européenne doit changer de politique commerciale ; elle doit être motrice pour réformer l'OMC, porter à l'international un niveau d'exigence élevé en matière de normes et exiger que les accords commerciaux comportent des objectifs d'environnement et de protection sociale.

La Commission européenne évoque la réforme de l'OMC, mais sans remettre en cause le dogme libéral. La politique commerciale doit être au service du bien commun.

Au-delà, c'est la compétence exclusive de la Commission et la durée du mandat de négociation - vingt ans pour l'accord avec le Mercosur - qui sont en jeu. Nous nous interrogeons aussi sur les accords mixtes, l'absence de date butoir de ratification, la mise en oeuvre provisoire de l'accord et le contrôle posteriori.

Nous avons besoin d'un moratoire sur les négociations.

La France aura à ce titre une responsabilité particulière, avec la présidence de l'Union européenne l'année prochaine. Ce sera l'occasion de clarifier les termes du débat autour de la politique commerciale commune.

Le groupe SER espère une inscription très rapide du projet de loi de ratification à notre ordre du jour et votera la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE et sur quelques travées du groupe UC)

M. Yves Bouloux .  - Signé le 30 octobre 2016 par le Canada et l'Union européenne, le CETA a été ratifié par le Parlement européen en février 2017.

C'est un accord mixte, qui ne se limite pas à baisser les droits de douane, mais protège les appellations d'origine contrôlée, assouplit la mobilité professionnelle, ouvre les marchés publics canadiens et augmente les quotas de viande canadienne vers l'Europe.

Certaines clauses relevant de la compétence des États membres, sa ratification est nécessaire. Mais seuls treize États membres l'ont effectivement ratifié et Chypre l'a repoussé. Le Conseil de l'Union européenne a néanmoins acté d'une application provisoire de 90 % de l'accord sans que le Parlement ait eu à se prononcer.

À l'Assemblée nationale, au moins, il y a eu débat - même si l'accord a été adopté à une courte majorité. La commission des affaires économiques du Sénat s'est préparée ; elle a même désigné un rapporteur. En vain.

Le Président de la République a repoussé l'appel de la Convention citoyenne pour le climat de renégocier l'accord. Le Gouvernement craint-il que nous imitions nos collègues chypriotes ?

Le CETA a été négocié en 2009, dans une société qui n'était pas pleinement consciente des enjeux environnementaux. Traçabilité du bétail, conflits d'intérêts possibles chez les vétérinaires : des problèmes se sont fait jour.

Une fois n'est pas coutume, je félicite le groupe CRCE pour son initiative. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et CRCE)

M. Olivier Cadic .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Depuis près de deux ans, l'Assemblée nationale a ratifié le CETA, qui organise les aspects tarifaires des échanges de biens et services, régit les investissements et le droit de la propriété intellectuelle entre l'Union européenne et le Canada.

Le CRCE propose une résolution invitant le Gouvernement à mettre la ratification à notre ordre du jour. Nous y sommes favorables. Nous pourrions ainsi approuver cet accord...

M. Laurent Duplomb.  - Peut-être pas !

M. Olivier Cadic.  - ... mis en oeuvre depuis plus de quatre ans et qui produit des résultats très positifs pour la France.

Dans le domaine des droits de l'homme; le CRCE est plus Maduro que Trudeau. (Protestations sur les travées du groupe CRCE) En économie, c'est pareil : la « mondialisation malheureuse », dites-vous, le libre-échange, décidément cela ne passe pas.

Le CETA bénéficie seulement aux multinationales ? C'est faux. Sur les 10 000 entreprises qui exportent, 8 000 sont des PME. Je ne relèverai pas toutes les contrevérités et élucubrations scandaleuses qui relèvent du Canada-bashing.

Plus de 90 % des clauses du CETA relèvent des compétences exclusives de l'Union européenne.

M. Didier Marie.  - C'est bien le problème !

M. Olivier Cadic.  - Nos exportations vers le Canada ont progressé de 24 %, de 63 % pour les fromages, de 96 % pour la boulangerie, de plus de 30 % pour les cosmétiques ; même chose pour le textile et l'habillement.

M. Rachid Temal.  - C'est le monde des Bisounours !

M. Olivier Cadic.  - Grâce au CETA, nos entreprises accèdent aux marchés publics fédéraux. On observe de nombreux succès : EDF avec une centrale en Alberta ; Vinci avec une usine de traitement des eaux.

Pour Pierre Touzei, conseiller des Français de l'étranger à Vancouver, le CETA est une chance inouïe de mettre l'Europe au centre du jeu dans l'ouest canadien qui a un fort tropisme asiatique.

De son côté, Marc-Albert Cormier, élu de Toronto, témoigne que nos compatriotes de l'Ontario accèdent désormais à des produits issus de l'agroalimentaire français à des coûts abordables dans les grandes surfaces et magasins spécialisés, et que nombre d'entre eux bénéficient également de l'accord dans le cadre de leur emploi.

Le CETA est un accélérateur de croissance et donne aux Canadiens accès à nos produits de qualité. D'après Marc-Albert Cormier, les habitants de l'Ontario acceptent désormais les produits agro-alimentaires français. C'est aussi un signe de l'amitié entre nos peuples. C'est un bon accord. Sa ratification serait un signal fort avant la présidence française de l'Union européenne. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP)

M. Rachid Temal.  - Tout va bien, madame la marquise !

M. Jean-François Rapin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le CETA est un accord mixte. Une large partie relève des compétences exclusives de l'Union européenne, mais une autre concerne des conséquences partagées. C'est à ce titre que cet accord doit être ratifié par les États membres.

Les parlements nationaux ne sont pas saisis d'un morceau de texte mais de sa totalité. Si un État membre le refuse définitivement, il faudra renégocier et l'application provisoire, en vigueur depuis 2017, cessera.

Encore faut-il débattre de sa ratification !

Le Gouvernement a déposé à l'Assemblée nationale le projet de loi, adopté le 23 juillet 2019, en procédure accélérée. Depuis, plus rien. Le Gouvernement oublie de l'inscrire à l'ordre du jour du Sénat. Monsieur le ministre, seriez-vous gêné ? Pourquoi ?

Si l'application provisoire du CETA est bénéfique, pourquoi attendre ? La démocratie n'est pas une option. Le débat est toujours mieux que le contournement.

Oui, le CETA est contesté par la filière bovine et la Commission européenne a pu être trop lente. Premier partenaire commercial de nombreux pays, l'Union européenne est une puissance commerciale. Elle n'a pas été suffisamment proactive. Il faut lutter contre les pratiques déloyales. La politique de l'Union européenne doit viser l'autonomie stratégique de l'Europe.

Il faut mieux intégrer la politique industrielle et la politique commerciale. Je l'ai dit à Valdis Dombrovskis, Commissaire européen au commerce.

Le Parlement n'est pas l'adversaire du Gouvernement ni de la Commission européenne. L'adversaire, c'est la méfiance et la défiance de nos concitoyens.

Poursuivons le processus de ratification. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ainsi que sur quelques travées des groupes SER et CRCE)

M. Franck Riester, ministre délégué chargé du commerce extérieur et de l'attractivité .  - Jean-Yves Le Drian est en Inde et vous prie de l'excuser. Ministre du commerce extérieur, je suis assez compétent sur le sujet.

J'essaierai de vous apporter des réponses et suis à la disposition du Sénat pour échanger. Je le fais dans le cadre du comité de suivi des politiques commerciales.

J'ai été étonné des prises de position de certains sénateurs socialistes alors que l'accord a été signé sous François Hollande...

M. Rachid Temal.  - Démagogie !

M. Franck Riester, ministre délégué.  - ...et de certains sénateurs Les Républicains alors que c'est en contradiction avec l'ADN de cette grande famille politique qu'est la droite républicaine.

J'essaierai de vous convaincre de l'importance de cette procédure.

Il y a quelques années, nous avons obtenu une renégociation significative et l'accord a été perfectionné avec un plan d'action en 2017, aux premiers jours du quinquennat d'Emmanuel Macron.

Le CETA est un accord mixte avec des compétences exclusives de l'Union européenne et des compétences partagées entre l'Union européenne et les États membres, ce qui justifie la procédure de ratification.

L'Assemblée nationale a approuvé le projet de loi le 23 juillet 2019. Le Sénat sera amené à se prononcer.

Plusieurs voix à gauche : Quand ?

M. Franck Riester, ministre délégué.  - Voyez où en sont nos partenaires : quinze États membres l'ont ratifié, douze ne l'ont pas encore fait. L'Allemagne n'a même pas saisi son Parlement !

M. Rachid Temal.  - Et alors ?

Il n'y a pas du tout de déni de démocratie, monsieur Gay (M. Fabien Gay proteste), mais un respect scrupuleux du cadre institutionnel.

M. Laurent Duplomb.  - Cela, c'est de la blague !

M. Franck Riester, ministre délégué.  - Pas de leçon de démocratie : le temps viendra, et le Sénat en débattra.

L'application provisoire depuis 2017 ne remet pas en cause les compétences du Parlement. Elle ne concerne que les compétences exclusives ; elle a été autorisée après un vote du Parlement européen le 19 février 2017 et a été acceptée par le Conseil constitutionnel le 31 juillet 2017. Enfin, c'est prévu par le droit international.

Nous pouvons suivre les conséquences économiques, sanitaires et environnementales grâce au comité de suivi. Nous avons besoin d'accords commerciaux pour relancer notre économie. Voyons la réalité économique de celui-ci. Le premier bilan est très positif pour la France.

Mme Éliane Assassi.  - Peut-on en débattre ?

M. Franck Riester, ministre délégué.  - Entre 2016 et 2019, les échanges ont augmenté de 24 %, avec 650 millions d'euros d'excédent commercial en 2019 contre une balance équilibrée en 2017.

Lorsqu'il y a moins de tarifs douaniers et moins de quotas, il y a plus d'exportations...

M. Laurent Duplomb.  - Et avec aucun contrôle, plus d'importations !

M. Franck Riester, ministre délégué.  - Nous avons de bons produits agricoles et industriels. Nos exportations ont progressé même pendant la crise sanitaire. Grâce au CETA, le secteur agricole bénéfice d'une baisse de droits de douane et certaines indications d'origine sont garanties : nous relevons une augmentation de 18 % des exportations pour les vins, de 77 % pour le fromage - ancien maire de Coulommiers, j'y tiens !

Quarante-deux IGP françaises sont protégées au Canada. En 2020, le vin est le premier produit exporté au Canada, à hauteur de 391 millions d'euros. Voyez l'impact des surtaxes Trump de 25 % dans le contentieux Boeing-Airbus.

Pour autant, le CETA suscite des préoccupations légitimes. Les enjeux sanitaires sont au coeur de notre action. Seuls les produits respectant nos normes peuvent entrer dans l'Union européenne et donc en France. Le CETA ne remet pas en cause ce principe. C'est vrai pour les farines animales et les OGM.

Nous sommes attentifs et vigilants vis-à-vis du système de contrôle canadien, sur les normes et la traçabilité.

M. Laurent Duplomb.  - C'est faux !

M. Franck Riester, ministre délégué.  - Nous avons demandé, avec la Commission européenne, un rehaussement du niveau d'exigence au Canada, notamment sur les viandes bovines. Jusqu'à présent, aucun défaut de conformité n'a été constaté. (Exclamations sur diverses travées à droite et à gauche) Le respect des normes sanitaires européennes ne se limite pas au CETA : vous pouvez compter sur ma mobilisation.

La France soutient la mise en place de clauses miroirs pour l'application des mêmes clauses de production lorsque cela est pertinent et scientifiquement justifié, ainsi en interdisant l'importation de viande nourrie aux hormones.

Nous n'accepterons plus l'importation de viande nourrie aux antibiotiques pour accélérer la croissance, ils engendrent de l'antibiorésistance. (M. Fabien Gay proteste.) Vous devriez vous en réjouir !

Nous importons seulement 104 tonnes de viande de boeuf dont 45 tonnes bénéficient de réductions tarifaires, soit 1,45 million d'euros. Cette viande doit être nourrie sans hormone. Un quatrième rapport du comité de suivi est en cours.

M. Christian Bilhac.  - Parlons-en !

M. Franck Riester, ministre délégué.  - Selon le Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII), l'impact du CETA sur les émissions de CO2 sera réduit. Mais nous partageons le partenariat bilatéral sur le changement climatique.

Notre droit à réguler ne sera pas remis en cause par le CETA. La coopération ne peut conduire à des normes inférieures au plan social, environnemental ou sanitaire.

La France est attentive à publier les comptes rendus des comités de suivi et groupes de travail, et l'Union européenne consulte régulièrement les parties civiles.

L'Investor state dispute settlement (ISDS), très contesté, a été réformé pour devenir l'Investment Court System (ICS), une quasi-juridiction, avec des juges permanents au sein d'un tribunal d'instance et un organe d'appel inédit, obéissant à des règles d'éthique.

Le droit à réguler des États est garanti, reflet des réformes ambitieuses portées par la France.

Le CETA apporte ainsi sa pierre à notre volonté de voir une cour multilatérale d'investissement. Des textes complémentaires prévoient un veto climatique, qui pourrait s'étendre à des questions sanitaires ou sociales.

Nous sommes pragmatiques : le CETA bénéficie à nos entreprises et à nos agriculteurs. Le plan d'action CETA visait à garantir une mise en place exemplaire, à préserver l'environnement et à optimiser la valeur commerciale. Il comprend de nombreuses propositions retenues par l'Union européenne comme la taxe carbone aux frontières.

Le poste de procureur commercial européen a été créé ; il est occupé par le Français Denis Redonnet.

Nous devons faire davantage sur l'environnement. Nous poursuivrons notre action pour une plus grande prise en compte du développement durable durant la présidence française de l'Union européenne.

Nous ne pouvons soutenir en l'état l'accord avec le Mercosur. Nous voulons plus de garanties environnementales. Le CETA poursuivra son chemin parlementaire au Sénat (on s'en réjouit de manière appuyée sur plusieurs travées), mais ne nous précipitons pas par principe. (Rires et applaudissements ironiques sur les travées des groupes CRCE et SER)

Nous continuons à évaluer l'impact climatique de l'accord : avec la COP26 à la fin de l'année, nous voulons amplifier notre action contre le dérèglement climatique.

À la demande du groupe CRCE, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°115 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 309
Pour l'adoption 309
Contre    0

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, UC et Les Républicains)

La séance est suspendue quelques instants.

Droit à l'eau

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à garantir effectivement le droit à l'eau par la mise en place de la gratuité sur les premiers volumes d'eau potable et l'accès pour tous à l'eau pour les besoins nécessaires à la vie et à la dignité, à la demande du groupe CRCE.

Discussion générale

Mme Marie-Claude Varaillas, auteure de la proposition de loi .  - En 2006, la loi sur l'eau et les milieux aquatiques (LEMA) affirmait que « chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d'accéder à l'eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ».

L'ONU consacrait à son tour, en 2010, le droit fondamental à une eau potable, salubre et propre. Les dix-sept Objectifs 2030 du développement durable, adoptés en 2015, comportent un droit à l'eau potable, à l'assainissement et à l'hygiène.

Enfin, une directive européenne de décembre 2020 oblige les États membres de l'Union à assurer l'accès à l'eau potable pour tous.

Ce droit est donc défini et reconnu en droit positif mais il reste fictif faute d'instrument légal pour garantir sa mise en oeuvre.

Pour 1,2 million de personnes, l'eau reste inabordable ; 140 000 personnes n'ont pas accès au réseau de distribution.

Après un premier échec au Sénat, nous remettons l'ouvrage sur le métier.

Certes, des outils existent pour soulager les plus fragiles. La loi Brottes a lancé une expérimentation de tarification sociale qui s'applique jusqu'au 15 avril 2021 - c'est aujourd'hui. L'article 15 de la loi Engagement et proximité crée une boîte à outils : chèque eau, allocation, tarification sociale, gratuité. Mais ces dispositifs optionnels, assez peu utilisés, ne garantissent pas le droit à l'eau.

S'agissant d'un droit universel, c'est à l'État d'adopter le mécanisme législatif adéquat. Nous proposons ainsi un dispositif universel d'accès applicable en tout point du territoire et pour chacun, raccordé ou non.

Nous demandons par conséquent une gratuité, dont le niveau est à définir ; cinq litres par personne et par jour correspondent à la nécessité vitale.

Le budget des collectivités territoriales ne serait pas impacté puisqu'elles ne peuvent financer l'eau au-delà de 2 % des redevances. Le coût sera donc lissé entre les usagers, selon un principe de solidarité.

À charge des collectivités territoriales, en revanche, d'assurer l'accès à la ressource pour les plus démunis, avec une augmentation à due concurrence de la DGF. La DETR et la DSIL pourront être mobilisées pour les travaux sur les réseaux d'assainissement.

Quatre remarques d'opportunité politique s'imposent. D'abord, une directive européenne nous impose d'installer des fontaines gratuites dans les lieux publics et de multiplier les points d'accès à l'eau. Faute de transposition, la France sera condamnée.

La crise sanitaire nous oblige aussi à repenser l'accès à l'eau, quoi qu'il en coûte. Le Gouvernement a pris des dispositions le 27 mars 2020 pour que les préfets et collectivités territoriales veillent à garantir l'accès à l'eau, aux sanitaires, aux douches et aux laveries.

Alors que la consommation moyenne est de 140 litres par jour par personne, la gratuité de 5 litres pour tous et 40 litres pour les personnes non raccordées ne gaspillerait pas la ressource.

Nous assumons de laisser un décret en Conseil d'État définir le niveau de gratuité, après avis du Comité national de l'eau. C'est une souplesse, pour une mise en place progressive.

Cette loi n'entrave en rien la libre administration des collectivités territoriales. Le Conseil constitutionnel a déjà jugé, le 7 décembre 2000, sur la loi SRU, qu'une contrainte de ce type était acceptable à des fins d'intérêt général. Ce motif est ici caractérisé.

Nous opposons le modèle de la gratuité et de la solidarité à celui de la marchandisation. Sans aller jusqu'à rendre le droit à l'eau opposable, il convient de lui donner un cadre légal, en sortant de la notion caritative d'aide aux ménages, pour s'orienter vers un droit universel.

La gratuité est un levier puissant d'égalité sociale et territoriale ainsi que d'universalité. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER)

M. Gérard Lahellec, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - C'est le premier texte que je suis chargé de rapporter : je me jette donc à l'eau... (Sourires) Les auditions ont montré que l'accès à l'eau potable et à l'assainissement est un droit vital, dont dépendent la survie mais aussi la santé, l'hygiène et la dignité. Les données sont alarmantes, les chiffres vertigineux. C'est le défi du siècle.

La relative abondance de l'eau en France nous cache l'urgence  à agir et les effets de l'exclusion de l'eau. Quoi de plus banal qu'un robinet ou une fontaine ?

Je suis née à quatre kilomètres du bourg de Plufur, dans les Côtes d'Armor ; mes petits camarades qui habitaient le bourg allaient jusqu'au robinet du village pour avoir de l'eau. J'en avais conclu que l'eau courante, c'était celle qu'on allait chercher en courant... (Sourires)

Aujourd'hui, les plus démunis n'ont pas toujours l'eau courante ; l'été, le stress hydrique conduit de plus en plus souvent à rationner l'eau dans certaines régions. Or sans accès sécurisé à une eau potable de qualité, pas de dignité, pas de développement durable, pas de justice sociale.

Personne ici ne contestera que l'eau potable est un bien commun. Des progrès ont déjà été accomplis, notamment sous l'impulsion des ONG. Des pays, des collectivités territoriales ont instauré la gratuité des premiers volumes. Nous ne sommes pas sur un terrain vierge ; il ne s'agit pas de se montrer révolutionnaire, mais de parfaire l'oeuvre déjà accomplie, dans un esprit humaniste.

Le droit, trop souvent déclaratoire, ne reflète pas le fait. Il y a les exclus de l'eau : 2,2 milliards d'êtres humains sur terre, 1,4 million de Français, personnes sans domicile fixe ou vivant dans des habitats de fortune. Il y a aussi les précaires en eau : plus d'un million de personnes consacrent plus de 3 % de leur budget à l'eau.

La loi Brottes de 2013 prévoit une expérimentation de la tarification sociale de l'eau. C'est le principe des aides préventives. La ville de Rennes a ainsi instauré une première tranche gratuite de dix mètres cubes pour tous.

Il faut maintenant consolider les acquis. L'eau n'a pas de prix, mais elle a un coût : celui de son acheminement, de son traitement, de son assainissement.

Certains collègues considèrent que la gratuité inciterait au gaspillage. Ce n'est pas l'esprit de ce texte : la gratuité ne concerne qu'une volumétrie essentielle, indispensable à la vie et la dignité. Le surplus continuerait bien entendu à être facturé à l'usager.

La directive européenne impose l'installation d'équipements dans les espaces publics. Ce texte en est un début de transposition.

La commission de l'aménagement du territoire n'a pas adopté ce texte ; à titre personnel, bien sûr, j'y suis favorable. La France s'honorerait de l'adopter. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER)

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État chargée de la biodiversité .  - En France, l'eau est un bien commun de la Nation et son usage appartient à tous. Notre droit consacre d'ores et déjà cet objectif. Les articles 19 et 19 bis du projet de loi Climat et résilience renforcent cette ambition.

La notion de service public de l'eau a pris tout son sens avec la crise sanitaire, et je salue les collectivités et entreprises qui ont assuré sa continuité en rassurant les Français.

Mais en 2021, en France, 235 000 personnes sont encore privées d'un accès permanent à l'eau. Nul ne peut s'y résoudre. Votre assemblée a récemment voté un texte sur l'eau et l'assainissement en Guadeloupe ; il était temps de répondre à cette attente.

Le plan de relance consacre 300 millions d'euros à la modernisation des infrastructures de distribution d'eau et d'assainissement. Les agences de l'eau et l'Office français de la biodiversité en assurent le pilotage.

Le prix de l'eau, en France, correspond au prix du service facturé à l'usager. Il est fixé par la collectivité ou le syndicat en charge de ce service. Le prix moyen est de 4,08 euros TTC par mètre cube, ce qui représente 1,4 % du budget moyen des ménages.

N'oublions pas nos concitoyens les plus démunis : le Gouvernement a facilité la mise en place d'une tarification sociale et incitative. Une expérimentation a été menée dans plus de cinquante collectivités ; elle a montré l'importance du principe de subsidiarité.

À chaque collectivité de mettre en place des mesures adaptées à son territoire et à son organisation.

Rendre gratuits les premiers mètres cubes est déjà une possibilité ; mais cette gratuité pourrait aller à l'encontre de l'objectif de bonne gestion de la ressource. Les Assises de l'eau en 2019 s'en sont largement fait l'écho.

Il reste beaucoup de travail pour assurer un meilleur accès à l'eau potable, mais la clé réside, plus que dans une modification de la loi, dans la mobilisation la plus large possible des outils existants.

Je partage pleinement votre combat pour la dignité humaine, mais je ne pourrai pas soutenir cette proposition de loi.

M. Mathieu Darnaud .  - Le rapporteur nous a rappelé qu'autrefois, il fallait aller à l'eau ; désormais, c'est l'eau qui vient à nous. C'est un bien commun, mais il nous faut nous interroger sur son caractère durable.

Je viens d'un département, l'Ardèche, qui, comme d'autres, s'interroge sur la ressource.

Nous devons tout mettre en oeuvre pour réaffirmer la nécessité d'une gestion de l'eau par les élus, en proximité : la compétence doit demeurer au niveau communal ou syndical, car l'eau répond à une logique de bassins versants.

Depuis la loi NOTRe, le transfert obligatoire de la compétence eau et assainissement aux intercommunalités a occasionné une inexorable augmentation du prix de l'eau.

Oui à la tarification sociale, mais le préalable, c'est le coût de la ressource. Le groupe Les Républicains ne cesse de le réaffirmer : c'est en proximité que l'eau sera le mieux gérée. Laissons les élus libres ! Il y a des communes où l'eau est gratuite, car elle vient directement des sources communales.

L'eau est une nécessité première dont l'accès doit être garanti - nous en convenons. Je crains cependant que ce texte ne soit insuffisamment expertisé. Vous dites qu'il n'occasionnera pas de coût supplémentaire pour les collectivités territoriales. Je ne le crois pas. Il eût été intéressant de procéder à une étude d'impact et de réfléchir davantage à ce texte.

Nous pourrons y revenir dans le cadre de l'examen de la loi 4D. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-Louis Lagourgue .  - L'eau est un enjeu majeur, y compris en France. Le stress hydrique engendre des tensions de plus en plus fréquentes.

Rappelons que l'eau constitue 60 % du corps humain... Elle est indispensable à la vie.

Cette proposition de loi, dont nous saluons l'esprit, rappelle l'objectif n°6 de développement durable des Nations unies. La gestion durable de cette ressource n'est en effet pas assurée partout. Un tiers de l'humanité n'a pas accès à un assainissement convenable.

En France, nous avons la chance d'avoir une eau salubre au robinet, mais 1 % de la population n'y est pas raccordée. Ce n'est pas acceptable. Nos infrastructures vieillissent, il faut adapter les réseaux au changement climatique ; le directeur général de Suez estime que les investissements, de 6,5 milliards d'euros par an, devront être multipliés par deux.

La crise que nous traversons a éclairé la nécessité de l'accès à l'hygiène et à l'eau potable.

La loi Engagement et proximité a étendu la tarification sociale de l'eau et permis aux collectivités de moduler les tarifs. Les élus locaux peuvent ainsi rendre gratuit le premier volume consommé. À eux de choisir la solution la plus adaptée.

Cette proposition de loi ne correspond pas à la flexibilité requise et ne tient pas compte des outils existants. Le groupe INDEP s'abstiendra.

Mme Sophie Taillé-Polian .  - L'accès à l'eau est un droit fondamental et élémentaire, un bien commun de l'humanité qui ne peut être accaparé et doit être garanti à tous.

Ce sujet mêle étroitement les enjeux écologiques, de justice sociale et de santé publique.

L'eau est un patrimoine commun et une ressource précieuse. Seules 44 % des eaux de surface seraient en bon état écologique. Dérèglement climatique et catastrophes naturelles -  amenées à se multiplier  - privent les populations les plus vulnérables de cette ressource.

Dans le monde, 2,2 milliards de personnes seraient privées d'eau ; la moitié de l'humanité n'a pas accès à un assainissement sûr.

En France, 300 000 personnes seraient privées d'accès à l'eau courante ; un million de ménages peinent à payer leur facture d'eau. Comment garantir un besoin aussi vital ? Merci au groupe CRCE de poser cette question cruciale.

La prise de conscience mondiale est croissante. Une directive européenne de décembre 2020 oblige les États membres à prendre les mesures nécessaires pour améliorer ou préserver l'accès à l'eau, en particulier des groupes vulnérables et marginalisés. Comme elle devra bien être transposée, saisissons l'occasion !

Des équipements gratuits au plus près des populations sont une première étape.

Ensuite, une aide préventive pour les ménages, afin que la facture d'eau ne dépasse pas 3 % de leurs ressources, est de nature à répondre à l'esprit de la directive. Actuellement, les allocations sont dérisoires et limitées aux personnes ayant un compteur individuel.

Certains s'inquiètent des charges que la gratuité et la mise à disposition des équipements feraient peser sur les collectivités. Mais elle diminuera le nombre d'impayés et déchargera ainsi les centres communaux d'action sociale et les fonds de solidarité pour le logement. (M. Laurent Duplomb ironise.)

Thomas Sankara disait : « Il faut choisir entre le champagne pour quelques-uns et l'eau potable pour tous. » C'est vrai. Même si l'appel à la justice sociale sonne parfois un peu dans le vide ici, le GEST votera cette proposition de loi. (Applaudissements à gauche)

Mme Nadège Havet .  - Cette proposition de loi propose la gratuité pour les premiers volumes d'eau consommés. L'eau, c'est la vie. Les dommages environnementaux dus au changement climatique ne font qu'aggraver la situation.

L'objectif n°6 du développement durable adopté par les Nations unies vise à réduire de moitié la proportion d'eaux usées non traitées et d'augmenter le recyclage et la réutilisation.

L'accès à l'eau potable et à l'assainissement est reconnu comme un droit de l'homme depuis 2010 ; pourtant, 2,2 milliards de personnes n'ont pas accès à une alimentation domestique en eau potable, et 2,6 millions meurent chaque année de maladies liées à l'eau.

L'accès à l'eau et à l'assainissement est un enjeu social, environnemental mais aussi économique.

En France, le cadre juridique a évolué, permettant aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics d'adapter leur politique tarifaire, dans un esprit de subsidiarité. En 2023, la loi Brottes a ouvert la faculté d'expérimenter la tarification sociale, que la loi Engagement et proximité a étendue.

Pourtant, il reste encore 235 000 Français exclus de l'eau ; un million d'entre eux y consacrent plus de 3 % de leur budget annuel.

Si l'eau n'a pas de prix, elle a un coût. La loi NOTRe a transféré cette compétence aux intercommunalités. Un litre sur cinq d'eau traitée et mise en distribution est perdu. C'est l'équivalent de la consommation de 18,5 millions d'habitants ! En cause, un sous-investissement dans un réseau de distribution vieillissant. Le transfert devait y remédier en partie, mais les investissements restent très insuffisants. Il faut une gestion patrimoniale, financer recherches de fuites, réparations, renouvellement des conduits.

Avec les phénomènes de stress hydrique, l'eau devient rare. Pour y avoir travaillé dans ma communauté de communes du Pays des Abers, je vous assure que la mise en place d'une tarification différenciée relève de la quadrature du cercle. La compétence y est exercée en régie ; nous avons mis en place une tarification très progressive : plus on consomme, plus le mètre cube coûte cher. Mais comment concilier tarification sociale, équilibre économique et préservation de la ressource ?

Faisons confiance aux collectivités. Le principe de subsidiarité doit prévaloir. Il ne peut y avoir de réponse unique et centralisée à tant de situations particulières.

M. Laurent Duplomb.  - Très bien !

Mme Nadège Havet.  - Le groupe RDPI ne votera pas le texte.

M. Christian Bilhac .  - L'accès à l'eau est un droit fondamental consacré par la résolution des Nations unies du 28 juillet 2010.

L'article 2 du présent texte entend garantir cet accès aux personnes non raccordées au réseau, via l'action des collectivités.

Malgré la loi Brottes de 2013, qui interdit les coupures d'eau ou la réduction du débit pour les résidences principales en cas d'impayés, un million de Français ont des difficultés à payer leur facture d'eau.

Cette proposition de loi me replonge plusieurs années en arrière. Quand j'ai été élu maire de Péret, en 1983, la tarification forfaitaire, bon marché, incluait l'abonnement et 50 mètres cubes. Cette tarification au forfait est devenue illégale, et j'ai dû me résoudre à augmenter le prix, tenu par l'exigence d'équilibre financier du service.

Nous n'avons guère progressé depuis, avec une politique de gribouille : un pas en avant, deux pas en arrière.

Une étude de l'UFC-Que choisir révèle des écarts énormes entre territoires, parfois justifiés par les réalités géographiques, mais aussi certaines dérives en matière de gouvernance. Les Français ne sont pas égaux face au prix du mètre cube d'eau, qui varie entre 2,68 et 8,46 euros - le prix d'une bouteille de vin ! (Sourires)

Il n'y a pas d'eau gratuite. L'article 4 propose d'ailleurs de compenser ce coût. Mais si le consommateur ne paie pas, il faudra que le contribuable le fasse ; ou alors il faudra mettre des bassines sur les terrasses pour récupérer l'eau de pluie !

Même s'il partage les intentions de ses auteurs, le RDSE ne votera pas cette proposition de loi.

M. Jean-Paul Prince .  - Le but de cette proposition de loi est tout à fait légitime. L'accès au volume d'eau nécessaire à l'hydratation et à l'hygiène est primordial, comme l'accès à l'assainissement.

Ce droit a été reconnu par plusieurs textes de droit international et européen. Une directive européenne du 26 décembre 2020 a affirmé le droit de tous à l'eau potable ; en France, la loi du 30 décembre 2006 consacre « le droit d'accéder à l'eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ».

En France, le législateur a consacré en 2006 le droit d'accès à l'eau potable dans des conditions économiquement acceptables.

Depuis la loi du 7 février 2011, les communes et les EPCI peuvent verser des subventions au fonds de solidarité logement pour financer des aides en cas de cumul d'impayés, et les impayés ne donnent plus lieu à des coupures d'eau.

La loi de 2013 permet aux communes d'expérimenter une tarification sociale de l'eau, possibilité élargie à toutes les collectivités territoriales par la loi Engagement et proximité de 2019. Elle peut être financée par le budget général. Le code général des collectivités territoriales offre beaucoup de latitudes aux élus locaux pour les modalités d'application et les critères : composition, revenus du foyer, aide au paiement des factures ou aide directe à l'accès à l'eau. L'aide préventive est déjà possible.

Une proposition de loi, votée en 2016 par les députés, n'avait pas convaincu le Sénat.

Le présent texte a plusieurs défauts. Quelle articulation entre la gratuité et la tarification sociale de l'eau ? La superposition de ces deux dispositifs n'est ni efficace ni lisible.

L'eau et l'assainissement font l'objet de budgets annexes des communes et des EPCI, sauf exceptions prévues par la loi. Faute d'étude d'impact, difficile d'estimer le manque à gagner entraîné par la gratuité que les collectivités territoriales devront compenser par une hausse de la facture d'eau des usagers.

M. Laurent Duplomb.  - Bien sûr !

M. Jean-Paul Prince.  - L'article 2 prévoit des toilettes gratuites dans les communes de plus de deux mille habitants et des douches dans celles de plus de quinze mille habitants, financées par les communes et les EPCI . Combien sont déjà en place, et quels sont les besoins ? Ne faudrait-il pas faire confiance à l'échelon local ? Dans ma commune de mille habitants, nous avons des toilettes publiques accessibles aux personnes en situation de handicap.

Comme en 2017, je déplore que les outre-mer ne bénéficient pas d'un régime adapté à leur spécificité. Je regrette aussi l'absence de politique de sensibilisation du public aux enjeux de la consommation d'eau et de l'assainissement.

Le groupe UC ne votera pas ce texte. La législation actuelle assure l'effectivité du droit à l'eau et laisse aux collectivités territoriales le soin de déterminer les modalités d'application de la tarification sociale.

Certes, des améliorations sont à envisager et il est nécessaire de mieux dénombrer ceux qui ont des difficultés d'accès à l'eau potable. Mais l'ajout d'un principe préventif rigide et uniforme engendrant un manque à gagner pour les collectivités territoriales gestionnaires n'est pas souhaitable.

M. Hervé Gillé .  - Je remercie Mme Varaillas et le groupe CRCE pour cette proposition de loi.

Posons enfin ce principe universel ! Il faut affirmer un droit à l'eau pour tous pour répondre aux besoins élémentaires. L'eau est un bien commun indispensable à l'hygiène et à la vie.

Les collectivités territoriales devront mettre à disposition des équipements en fonction de seuils démographiques. La proposition de loi fixe également un volume d'eau potable minimum accessible à titre gratuit pour les plus modestes.

Une proposition de loi examinée dans le cadre de l'espace réservé du groupe écologiste n'avait pas abouti en 2017, démantelée par la majorité sénatoriale.

Pour autant, depuis 1992, la loi reconnaît l'eau comme patrimoine commun de la Nation. La loi Brottes a permis une tarification sociale de l'eau, ainsi que l'aide au paiement de l'eau. En 2018, Monique Lubin et Éric Kerrouche ont déposé une proposition de loi pour en étendre l'expérimentation, mais peu de syndicats des eaux ont mis en place ce dispositif.

Envisager la gratuité de l'eau est une solution moins onéreuse que la tarification sociale.

Malgré l'interdiction des coupures d'eau et de la réduction du débit, le droit à l'eau n'est pas garanti pleinement en France. Or, en juillet 2010, l'assemblée générale des Nations unies l'a reconnu comme un droit fondamental. L'Uruguay et la Slovénie l'ont intégré dans leur Constitution. Il fait partie des dix-sept objectifs de développement durable des Nations unies et l'Organisation mondiale de la santé (OMS) le juge indispensable à la santé. Des associations nous interpellent depuis de nombreuses années, comme la Coalition Eau.

À l'échelle de la planète, 2,2 milliards de personnes n'ont pas accès à l'eau potable ; 2,6 millions meurent de maladie à cause d'une eau impropre, dont de nombreux enfants.

Certes, 99 % de nos compatriotes ont accès à l'eau, mais 1,4 million de Français indirectement seulement. Quelque 143 000 personnes sans domicile et 24 000 personnes hébergées dans des foyers de migrants ont un mauvais accès à l'eau ; un million de familles ont du mal à payer leur facture. Nous ne pouvons ignorer cette situation. Pour des personnes déjà fragilisées et marginalisées, quelle insertion possible sans accès à l'eau ? Quelle dignité ?

L'hygiène est essentielle pour lutter contre les maladies, notamment en période de pandémie. Comment se laver les mains régulièrement sans eau ? Assurer l'accès de tous à l'eau nous protège tous. Le Covid a bouleversé nos habitudes et nous incite au partage des ressources. Ceux qui s'opposent à la gratuité de l'eau envisagent-ils celle des vaccins ?

L'eau, accessible à tous, doit être mise en partage. Elle fait pourtant l'objet d'une spéculation, comme l'illustre l'affaire Suez-Véolia. « L'eau pour la vie, pas pour le profit » titrait une tribune dans Libération le 22 mars dernier, Journée mondiale de l'eau. Le droit à l'eau est incontournable. Protégeons ce bien commun des règles du marché !

La solution est d'affirmer un droit à l'eau potable, d'assurer la distribution d'une eau de qualité et bien transportée et de mettre à disposition des équipements. Sur cette base, la dépense est acceptable pour les collectivités territoriales, qu'il conviendra toutefois d'accompagner.

Inscrivons dans la loi un volume d'eau gratuit : selon les associations, 5 millions de mètres cubes par an pour les besoins vitaux, 15 millions de mètres cubes pour les besoins essentiels. Cela correspondrait à un surcoût de 60 euros par an.

Les consommateurs assumeraient ensemble le coût de la mesure : plus l'on consomme, plus l'on paie. Ce principe nous semble vertueux. En outre, des gains pourraient être réalisés en améliorant la qualité du réseau.

La gratuité n'ouvre pas la voie à une augmentation de la consommation ou à la multiplication des branchements illégaux, pas plus qu'elle ne menace les compétences des collectivités territoriales. Faisons confiance à la population et aux territoires !

Il nous faut poser un acte politique fort. Pouvons-nous accepter que la France, sixième puissance mondiale, refuse ce droit essentiel à la dignité humaine ? Prenons nos responsabilités ! Nous voterons cette proposition. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)

M. Fabien Gay.  - Nous débattons d'une proposition de loi de notre groupe assurant la gratuité des premiers mètres cube d'eau et garantissant l'accès à une eau de qualité, comme le prévoit la directive-cadre sur l'eau.

L'accès à l'eau et la protection de la ressource représentent des défis majeurs du XXIe siècle. L'eau conditionne la vie, mais les politiques de marchandisation et de libéralisation ont rendu son accès plus difficile et plus onéreux.

En France, son prix a augmenté de 10 % en dix ans, avec de fortes disparités : le prix de l'eau varie de un à huit selon les territoires. La perte d'ingénierie publique et les regroupements XXL ont conduit les collectivités territoriales à livrer à des opérateurs privés comme Suez ou Veolia la gestion de l'eau.

Si l'accès à l'eau est vital, il doit être gratuit pour les premiers mètres cubes. Cette obligation découle de nos engagements internationaux et de l'article premier de loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques (LEMA). Les pouvoirs publics doivent la rendre effective, alors que, selon les associations caritatives, un million de Français a basculé dans la pauvreté depuis le début de la crise sanitaire.

Il ne peut y avoir de transition écologique sans partage des richesses, des savoirs et des pouvoirs. Nous avons déjà fait beaucoup en interdisant les coupures d'eau, mais cela ne suffit pas, car un droit ne saurait se définir par la négative.

Au-delà de sa dimension sociale, la proposition de loi pose la question de la gestion de l'eau. Comment gérer un bien commun ? Faire confiance aux collectivités territoriales pour plus de solidarité ? La baisse continue des dotations les pousse à privatiser les services de l'eau, mais beaucoup reviennent à des régies. Le service public apparaît plus efficace, en effet, pour gérer des biens communs. Comment ne pas penser aux tentations oligopolistiques avec la fusion Suez-Veolia et aux conséquences qu'elle aura sur les collectivités territoriales, les usagers et les salariés ?

Il faut sortir l'eau de la marchandisation. Repensons également les exigences de la compétence eau et assainissement des collectivités territoriales ; nous déposerons à cet effet des amendements dans le projet de loi dit 4D.

Le groupe CRCE prône la constitution d'un pôle public de l'eau pour fédérer les acteurs, coordonner l'investissement public et privé et faire converger les compétences. Créer, en somme, une gestion démocratique de l'eau, garantissant un prix unique et un accès universel.

Cela constituerait un levier pour garantir une gestion écologique de la ressource, mais également pour maintenir l'emploi et les savoir-faire. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)

M. Guillaume Chevrollier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie Mme Varaillas, MM. Gay et Lahellec pour leur travail. Le 22 janvier 2017, le Sénat avait rejeté un texte similaire qui visait à rendre effectif un accès à l'eau pour les plus vulnérables.

L'objectif est louable : l'accès à l'eau et à l'assainissement représente un droit fondamental aux termes de plusieurs traités internationaux.

Le Sénat avait rejeté le texte de 2017 en raison de l'exigence de nouveaux équipements, comme des toilettes, des laveries et des douches, imposés aux collectivités territoriales ; et de la création de deux aides préventives financées par des ressources douanières.

La présente proposition de loi remplace ces deux aides par la gratuité des premiers mètres cubes. L'initiative est préférable, bien qu'insuffisante pour recueillir un avis favorable, car le texte instaure toujours de nouvelles obligations pour les collectivités territoriales, sans chiffrage du coût d'équipement et d'entretien.

Quelles solutions peut-on apporter pour un accès universel à l'eau dans des conditions économiques raisonnables ?

La gratuité de l'accès à l'eau pose problème dans un contexte de nécessaire attention portée à la consommation en raison du changement climatique. La vigilance s'impose, et sobriété ne rime pas avec gratuité. Pensons un système de solidarité autre, qui n'exerce pas de pression supplémentaire sur les finances des collectivités territoriales et préserve le modèle économique.

Des aides existent déjà. On peut ainsi réaliser une tarification progressive de l'eau pour les immeubles d'habitation. En outre, le prix moyen de l'eau - 4 euros par mètre cube - reste modeste en France. À titre de comparaison, il atteint 5,5 euros par mètre cube en Allemagne.

Ce prix ne prend hélas pas en compte certaines dépenses nécessaires. Il faut investir dans les infrastructures et réduire les fuites d'eau pour rénover les réseaux et les adapter au changement climatique. Le budget consacré aux investissements doit donc être augmenté, au risque de voir s'établir une fracture territoriale entre la ville et la campagne. Préservons aussi le principe selon lequel « l'eau paie l'eau ».

Le groupe Les Républicains ne votera pas ce texte, même s'il y a urgence à accompagner nos compatriotes en difficulté financière.

M. Laurent Duplomb .  - Chers collègues, cette proposition de loi représente un réel progrès par rapport au texte rejeté par le Sénat le 22 février 2017. Mais cela ne suffit pas pour aller vers un vote favorable, pas même pour une abstention.

Progrès, car cette proposition de loi a été expurgée de deux dispositions du premier texte que nous avions combattues : l'aide préventive pour l'eau et une allocation forfaitaire d'eau quand le prix dépasse un point de référence fixé par décret.

Elles instauraient de la confusion entre bénéficiaires et mettaient à contribution la taxe sur les boissons embouteillées, dont le produit est versé aux collectivités territoriales. Nous les avions combattues.

Le droit à l'eau potable et à l'assainissement a rang constitutionnel depuis le Préambule de 1946. Aussi, l'article premier ne pose-t-il aucune difficulté.

Mais je voterai contre cette proposition de loi en raison de l'article 2. Ne demandons pas aux collectivités territoriales d'assurer une responsabilité qui n'est pas la leur, d'autant qu'en l'absence d'étude d'impact, il est impossible de chiffrer le coût de la mesure.

La gratuité des premiers mètres cubes, créée par l'article 3, est certes plus simple qu'une allocation, mais attention à la gratuité injustifiée, alors que les collectivités territoriales sont obligées d'écraser chaque année des centaines de milliers d'euros de factures impayées.

Il y a d'autres priorités : moderniser les infrastructures, dont le rythme de renouvellement est de 200 ans, afin de réduire les pertes. En outre, l'Agence de l'eau agit bien souvent au-delà de ses objectifs initiaux.

Nous passons trop de temps à examiner des propositions de loi sur les aides sociales. Les situations de détresse ne tombent pas du ciel : il faut les traiter en amont, avec une agriculture florissante et une industrie puissante qui permettraient à tous d'accéder à un emploi.

La discussion générale est close.

Discussion des articles

L'article premier n'est pas adopté.

La proposition de loi est retirée de l'ordre du jour.

Mme Marie-Claude Varaillas, auteure de la proposition de loi .  - Cet article n'étant pas voté, nous retirons la proposition de loi.

Je tiens à vous remercier d'avoir participé à l'examen de ce texte qui nous tient à coeur - en particulier ceux qui ont exprimé leur soutien.

L'accès à l'eau et à l'hygiène représente pour les personnes mal-logées, dont 30 % sont des enfants, un enjeu majeur. Il faudra y revenir. Je tiens à redire mon soutien aux associations qui se battent pour cette cause.

Avec le changement climatique, l'accès à l'eau et à l'énergie - biens communs de l'humanité - et leur sortie du secteur marchand apparaissent d'autant plus indispensables. Nous restons mobilisés ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)

Prochaine séance, mardi 4 mai 2021, à 14 h 30.

La séance est levée à 19 h 20.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mardi 4 mai 2021

Séance publique

À 14 h 30

Proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, relative à l'avenir du régime de garantie des salaires (demande du groupe Les Républicains)

. Débat sur l'avenir institutionnel, politique et économique de la Nouvelle-Calédonie, dans la perspective du terme du processus défini par l'accord de Nouméa du 5 mai 1998 (demande du groupe Les Républicains)

. Débat sur la souveraineté économique de la France (demande du groupe Les Républicains)

Le soir

. Débat sur le thème : « Les enjeux nationaux et internationaux de la future PAC » (demande du groupe SER)