Disponible au format PDF Acrobat


Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Mises au point au sujet d'un vote

Meilleur accès des jeunes dans la fonction publique et les entreprises

Discussion générale

Mme Hélène Conway-Mouret, auteure de la proposition de loi

Mme Jacky Deromedi, rapporteur de la commission des lois

Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques

Mme Nadia Hai, ministre déléguée chargée de la ville

Rappel au Règlement

M. Jean-Pierre Sueur

Discussion générale (Suite)

Mme Cécile Cukierman

M. Arnaud de Belenet

M. Jean-Pierre Sueur

M. Pierre-Jean Verzelen

M. Guy Benarroche

M. Teva Rohfritsch

Mme Maryse Carrère

M. Stéphane Piednoir

M. Yves Bouloux

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

ARTICLE 2

Mme Monique Lubin

M. Patrick Kanner

ARTICLE 3

Mme Viviane Artigalas

ARTICLE 4

M. Rémi Cardon

Mme Monique Lubin

M. Marc Laménie

Mme Michelle Meunier

M. Teva Rohfritsch

Mme Amélie de Montchalin, ministre

Mme Hélène Conway-Mouret

ARTICLE 5

M. Rémi Cardon

ARTICLE 6

M. Rémi Cardon

ARTICLE 7

M. Rémi Cardon

Mme Monique Lubin

Lutte contre l'indépendance fictive

Discussion générale

M. Olivier Jacquin, auteur de la proposition de loi

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur de la commission des affaires sociales

Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion

M. Michel Canévet

M. Serge Babary

M. Pierre-Jean Verzelen

Mme Raymonde Poncet Monge

M. Dominique Théophile

M. Henri Cabanel

M. Pascal Savoldelli

Mme Monique Lubin

Mme Frédérique Puissat

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

ARTICLE 2

M. Patrick Kanner

M. Pascal Savoldelli

Mme Élisabeth Borne, ministre

ARTICLE 3

M. Olivier Jacquin

Assistants maternels et salariés des particuliers employeurs (Procédure accélérée)

Discussion générale

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État chargé des retraites et de la santé au travail

M. Martin Lévrier, rapporteur de la commission des affaires sociales

Mme Michelle Meunier

Mme Béatrice Gosselin

Mme Colette Mélot

Mme Raymonde Poncet Monge

M. Bernard Fialaire

Mme Laurence Cohen

Mme Élisabeth Doineau

M. Dominique Théophile

M. Guillaume Chevrollier

Accès à certaines professions des personnes ayant une maladie chronique

Discussion générale

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État chargé des retraites et de la santé au travail

M. Xavier Iacovelli, rapporteur de la commission des affaires sociales

M. Christian Klinger

Mme Colette Mélot

Mme Raymonde Poncet Monge

M. Bernard Fialaire

Mme Laurence Cohen

Mme Nadia Sollogoub

M. Bernard Jomier

M. Dominique Théophile

Mme Céline Boulay-Espéronnier

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

ARTICLE 4 (Supprimé)

INTITULÉ DE LA PROPOSITION DE LOI

Explications de vote

M. Bernard Jomier

M. René-Paul Savary

Mises au point au sujet de votes

Gestion de la sortie de crise sanitaire (Conclusions de la CMP)

M. Philippe Bas, rapporteur pour le Sénat de la CMP

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État chargé des retraites et de la santé au travail

Mme Colette Mélot

M. Bernard Buis

M. Bernard Fialaire

Mme Éliane Assassi

Mme Nathalie Goulet

M. Jean-Yves Leconte

M. Christophe-André Frassa

Mme Esther Benbassa

Ordre du jour du mardi 1er juin 2021




SÉANCE

du jeudi 27 mai 2021

100e séance de la session ordinaire 2020-2021

présidence de Mme Laurence Rossignol, vice-présidente

Secrétaires : Mme Martine Filleul, Mme Corinne Imbert.

La séance est ouverte à 10 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Mises au point au sujet d'un vote

M. Stéphane Piednoir.  - Lors du scrutin n°126 sur l'article 4 de la proposition de loi pour un élevage éthique, juste socialement et soucieux du bien-être animal, Mmes Nadine Bellurot, Céline Boulay-Espéronnier, MM. Mathieu Darnaud, Marc-Philippe Daubresse, Jean-François Husson, Ronan Le Gleut, Mme Isabelle Raimond-Pavero, M. Stéphane Sautarel, Mme Elsa Schalck et M. Cédric Vial souhaitaient s'abstenir.

M. Patrick Kanner.  - Lors du même scrutin, MM. David Assouline, Hussein Bourgi, Mme Hélène Conway-Mouret, MM. Michel Dagbert, Gilbert-Luc Devinaz, Mme Martine Filleul, M. Jean-Michel Houllegatte, Mme Victoire Jasmin, M. Bernard Jomier, Mme Gisèle Jourda, Mme Claudine Lepage, M. Jean-Jacques Lozach, Mmes Michelle Meunier, Laurence Rossignol, MM. Rachid Temal et André Vallini souhaitaient voter pour.

Quant à M. Olivier Jacquin, il souhaitait ne pas participer au vote.

Mme la présidente.  - Acte vous est donné de ces mises au point. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l'analyse politique du scrutin.

Meilleur accès des jeunes dans la fonction publique et les entreprises

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi pour un meilleur accès des jeunes dans la fonction publique et les entreprises, présentée par Mme Hélène Conway-Mouret et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe socialiste, écologiste et républicain.

Discussion générale

Mme Hélène Conway-Mouret, auteure de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Je me réjouis de voir deux ministres au banc, signe de l'attention portée à notre jeunesse. Je remercie Mme Deromedi pour son travail et notre dialogue, tout en regrettant que nous n'ayons pu aboutir à un consensus.

L'égalité des chances et l'accès à l'emploi des jeunes issus des quartiers prioritaires et des zones de revitalisation rurale (ZRR) sont au coeur de notre projet républicain.

Cette proposition de loi s'inscrit dans la lignée de la mission d'information de Monique Lubin et de la proposition de loi de Rémi Cardon pour des droits nouveaux dès 18 ans. Elle s'appuie sur les observations des acteurs de terrain qui soulignent tous la reproduction sociale et économique des élites dans l'administration mais aussi dans l'entreprise.

Le diplôme, le concours d'entrée déterminent souvent toute la carrière. Or ceux-ci ne sont pas accessibles à tous, et les diplômés issus de certaines catégories sociales ont du mal à trouver un emploi : à cet égard, la France fait moins bien que la moyenne européenne. Elle est aussi l'un des États membres de l'Union européenne comptant le plus de jeunes n'étant ni en emploi, ni en formation, ni en études.

La crise sanitaire a exacerbé les inégalités et fait monter le taux de chômage des 18-25 ans, qui atteint 21,8 % en 2020. Leur taux d'emploi a reculé quatre fois plus que dans le reste de la population.

Leurs conditions de vie sont précaires ; un sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. L'éloignement géographique en milieu rural, outre-mer ou le fait de vivre dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) font barrage à l'accession aux classes préparatoires et aux grandes écoles, concentrées à Paris.

La haute fonction publique n'est pas à l'image de la société, ce qui alimente la défiance à l'égard de la classe dirigeante. Les enfants de cadres supérieurs représentent un quart des jeunes de leur âge mais 70 % des élèves de l'École nationale d'administration (ENA) ou de Polytechnique. On ne compte plus que 4 % d'enfants d'ouvriers à l'ENA, 2 % dans les écoles normales supérieures (ENS) et seulement 0,4 % à Polytechnique. Preuve que le recrutement de nos élites est socialement endogène.

Le mouvement des gilets jaunes a été le révélateur d'un sentiment de relégation. La confiance passe par une plus grande représentativité de la société dans la haute fonction publique et dans les entreprises.

L'ascenseur social n'est pas seulement en panne, il descend ! Le système scolaire ne garantit plus la réussite professionnelle, ce qui nourrit un sentiment d'abandon, de frustration, voire de fatalisme.

Les politiques dites de la ville ou de la seconde chance n'ont pas réussi à briser le plafond de verre, malgré les efforts des gouvernements successifs.

Cette proposition de loi vise à faciliter l'entrée sur le marché du travail de tous les jeunes, quel que soit leur lieu d'origine. Pour les jeunes, c'est l'autonomie et l'émancipation ; pour l'État, c'est le gage que tous les talents sont mis au service de la France, tout en régénérant la cohésion sociale.

Nous proposons des mesures concrètes pour une politique active de lutte contre les discriminations. Nous proposons ainsi la création d'une nouvelle autorité publique indépendante pour l'égalité des chances dans la fonction publique, chargée de veiller à la diversité sociale dans les voies d'accès et le déroulement de carrière.

Les politiques publiques ne semblent pas efficaces ; il nous faut des données fiables - c'est l'objet du rapport annuel que nous proposons.

Nous proposons aussi que les délégués du préfet dans les quartiers soient des personnes ayant travaillé dans un QPV : cela permettra aux jeunes de se reconnaître dans les représentants de l'autorité de l'État, et à ceux-ci de servir de relais.

Il faut promouvoir tous les talents en valorisant les personnes issues des zones prioritaires, urbaines et rurales. Pour cela, il convient de réhabiliter les diplômes qui y sont délivrés. Nous entendons ici promouvoir la diversité sociale et territoriale.

En particulier, les jeunes ruraux sont mal informés, s'autocensurent ou ne recourent pas à leurs droits, faute de les connaître. Le label « cité de la jeunesse » tend à y remédier.

Les plus modestes réussissent souvent les écrits des concours mais échouent aux oraux, faute de connaître les codes non écrits mais néanmoins requis. Les profils différents sont exclus d'office...

C'est pourquoi nous proposons que chaque jury de concours administratif comprenne au moins une personne de la société civile. Il ne suffit pas de changer le nom de l'ENA pour diversifier vraiment notre fonction publique !

De nombreuses études montrent que les discriminations fondées sur l'origine sont systémiques lors de la recherche d'emploi. Le système reproduit les inégalités, écrit Jacques Toubon, alors Défenseur des droits. Cela entame la confiance dans l'État et la cohésion de la société.

Nous proposons de supprimer la mention du lieu d'origine, et souhaitons que les candidats non retenus puissent avoir un retour sur leur performance, ce qui leur sera utile pour l'avenir. C'est l'objectif de l'amendement de M. Sueur à l'article 6.

Madame la ministre, vous souhaitez « casser l'entre-soi des corporatismes » et « lutter contre les inégalités de destin » : cette proposition de loi va dans ce sens.

Jaurès disait qu'il fallait aller vers l'idéal en passant par le réel : à nous de réaliser l'idéal d'une société égalitaire en passant par une intégration effective de tous les jeunes. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Jacky Deromedi, rapporteur de la commission des lois .  - Cette proposition de loi vise à favoriser l'accès des jeunes dans la fonction publique et l'entreprise. Nous ne pouvons qu'en partager l'objectif. Le Sénat travaille actuellement sur des sujets proches, au travers de trois missions d'information.

Mais la commission des lois n'a pas pu adopter ce texte, compte tenu de certaines difficultés pratiques et juridiques, notamment constitutionnelles, que les amendements ne lèvent pas.

Les inégalités de parcours sont indéniables. L'article premier réserve une proportion des nominations aux emplois de la haute fonction publique de l'État à des personnes ayant eu une expérience dans un QPV. Inspirée du dispositif de nominations équilibrées qui impose de nommer 40 % de personnes de chaque sexe dans les emplois supérieurs, cette proposition se heurte au principe constitutionnel d'égalité et à l'article VI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen sur les emplois publics. L'introduction de la parité a ainsi nécessité deux révisions constitutionnelles.

En outre, le critère d'expérience professionnelle dans un QPV interroge : s'agit-il d'inciter les hauts fonctionnaires à y travailler ou de favoriser la nomination de personnes issues de ces quartiers ? Les associations plaident plutôt pour une valorisation des parcours des candidats et de leur expérience de vie.

La commission des lois n'a donc pas adopté l'article premier, même amendé pour transformer le quota en simple objectif de priorisation.

L'article 3 impose la présence obligatoire dans chaque jury d'une personne extérieure à l'administration pour éviter les biais évaluatifs. Ajoutée à l'obligation de parité, cela risque d'être un véritable casse-tête. Et quid de la disponibilité de ces personnes pour participer aux très nombreux jurys organisés par l'État - 41 000 postes offerts aux concours externes en 2018 ? La commission des lois n'a pas retenu l'article 3, même amendé, pour cette raison pratique. (M. Stéphane Piednoir approuve.) La présence d'un membre de la société civile est une bonne pratique qui peut déjà être mise en place ; cela n'est en outre pas opportun pour toutes les épreuves. La généraliser rigidifierait les règles de composition des jurys.

La commission des lois n'a pas été favorable non plus aux mesures proposées pour les entreprises. L'ajout d'un vingt-sixième critère de discrimination à l'article 5 ne paraît pas utile ; il est satisfait par les critères d'origine et de lieu de résidence. L'obligation de retour sur les motifs de non-embauche, imposée à l'article 6, risque de faire naître un contentieux prud'homal, et pèserait sur les PME.

Enfin, l'obligation pour les entreprises de recueillir des données sur l'évolution des salariés selon leur origine sociale, culturelle ou géographique, n'est pas souhaitable non plus, tant ces données sont sensibles.

Ces mesures laissent à penser que les employeurs seraient priori discriminants. Or les difficultés de recrutement les conduisent au contraire à diversifier leurs viviers de candidats. Le principal problème réside dans l'inadéquation entre les compétences recherchées et les formations des jeunes.

Ce sujet doit recueillir toute notre attention mais cette proposition de loi présente trop de difficultés pratiques et juridiques. La commission vous propose de ne pas l'adopter.

Il reste beaucoup à faire, notamment dans le secteur de l'apprentissage et de la formation en alternance, qu'il faut développer dès 14 ans, avec des garanties d'instruction générale. De nombreux jeunes pourraient ainsi s'épanouir en apprenant un métier et avoir des perspectives d'avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Stéphane Piednoir.  - Très bien.

Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques .  - Notre fonction publique doit redevenir le symbole qu'elle a été pendant un siècle : un élément fondateur de notre ascenseur social républicain, un lieu de sens et de service de l'intérêt général. Tous les talents doivent pouvoir y accéder, en étant accompagnés.

Une partie de notre jeunesse ne croit plus en ses chances au sein de la République et il est de notre responsabilité d'agir. Cette proposition de loi s'inscrit dans cette perspective.

Ce Gouvernement n'a pas attendu pour agir pour l'égalité des chances. Dès mon arrivée, j'en ai fait une priorité. C'est le sens du programme « Talents du service public » présenté par le Président de la République en février à Nantes.

Il nous appartient d'aller chercher les talents, partout en France, de lutter contre l'autocensure, de les accompagner vers les concours de la fonction publique.

C'est l'objet des cordées de service public, appuyées sur le réseau des cordées de la réussite, qui développent tutorat et mentorat. Mais aussi de la création de 74 classes préparatoires ouvertes aux boursiers les plus méritants de l'enseignement supérieur - à Orléans, Valenciennes, Agen, Brest ou encore Limoges, 1 700 places seront offertes. La bourse Talents passe de 2 000 à 4 000 euros par an de complément, et les étudiants bénéficieront d'un tutorat par de jeunes fonctionnaires - car tout ne s'apprend pas dans les livres - et de stages.

Le troisième pilier de ce programme est l'ouverture d'une nouvelle voie d'accès aux concours de la fonction publique. Dès cette année, elle bénéficiera à trente-cinq jeunes pour l'accès à cinq écoles de service public ; ils subiront les mêmes épreuves que les candidats aux concours externes.

Ce programme répond à l'esprit de votre proposition. Laissons ces outils porter leurs fruits avant de légiférer à nouveau, pour éviter de superposer des dispositifs similaires.

Nous nous attachons aussi à renforcer l'attractivité de la fonction publique. Celle-ci prend toute sa part dans le plan « Un jeune, Une solution ». Nous allons recruter 15 000 apprentis dans la fonction publique d'État et y offrir 43 000 stages.

S'agissant du versant territorial, je salue l'engagement de votre rapporteure pour avis, Catherine Di Folco, avec qui nous travaillons. Le Gouvernement encourage les employeurs territoriaux à recruter les apprentis en prolongeant l'aide de 3 000 euros jusqu'à la fin de l'année 2021. Nous réfléchissons avec le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) à l'équation budgétaire à moyen et long terme. Par ailleurs, l'État s'est fixé un objectif de recrutement de 6 % d'apprentis en situation de handicap.

Pour accompagner ces mesures, j'ai lancé une campagne de communication, #RejoinsLeService Public, à destination des 16-24 ans.

La promotion de la diversité est également au coeur de la gestion des carrières. Nous créons une délégation interministérielle à l'encadrement supérieur de l'État, qui comprendra un responsable de la diversité et veillera notamment à l'égalité professionnelle.

Je suis convaincue que ces mesures susciteront des vocations et renforceront l'attractivité de la fonction publique pour nos jeunes.

Si nous partageons vos objectifs, les articles de cette proposition de loi se heurtent à des obstacles juridiques ou entreraient en collision avec ce que nous avons déjà engagé. Je serais donc contrainte d'appeler à son rejet, mais je vous associerai au suivi et à l'évaluation des mesures que nous mettons en oeuvre.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée chargée de la ville .  - Je connais l'engagement de Mme Conway-Mouret pour lutter contre les difficultés des jeunes dans les territoires fragiles, engagement que je partage.

Ces difficultés ont été aggravées avec la crise sanitaire. Les efforts faits depuis quatre ans commencent à porter leurs fruits et nous devons redoubler d'efforts pour réaliser la promesse républicaine.

Le Président de la République l'a affirmé dès mai 2018 : la politique de la ville est avant tout une politique d'émancipation et de dignité pour des personnes qui cumulent des difficultés sociales, économiques, éducatives. Le Conseil présidentiel des villes a été créé dans cet esprit, afin de nourrir la réflexion.

L'égalité des chances est au coeur de notre action, au plus près des dures réalités dans les territoires fragiles.

Agir sur ces questions n'implique pas forcément un nouveau texte de loi ; il faut une ambition et des moyens pour casser les codes et les corps établis, et rendre accessible ce qui semble impossible.

Dès 2017, nous avons mis fin à la baisse du budget de la politique de la ville, et l'avons augmenté ces trois dernières années. Dans un contexte dégradé par la crise sanitaire, sociale et économique, le Président de la République a ouvert un véritable agenda de l'égalité des chances, autour de mesures concrètes, au plus près des besoins.

Nous avons posé plusieurs briques. Amélie de Montchalin agit pour la fonction publique, Élisabeth Borne et Sarah El Haïry développent le mentorat sur tout le territoire, mon ministère y contribue via le soutien au tissu associatif. Le comité interministériel des villes a été réuni à Grigny par le Premier ministre pour la première fois depuis huit ans : un effort supplémentaire de 3,3 milliards d'euros a été décidé. C'est inédit !

La lutte contre les discriminations n'a pas de couleur politique ; sa seule couleur, c'est l'action. Et notre action part de constats de terrain. Oui, les discriminations existent, à l'embauche et dans le déroulement de carrière. Oui, notre arsenal législatif suffit pour les sanctionner. Nous ne restons pas inactifs pour autant.

Le Président de la République nous a exhortés à changer de méthode, à travailler avec les acteurs locaux, avec les élus locaux, territoire par territoire, pour construire des solutions au plus près de nos concitoyens.

Les inégalités de destin commencent dès la naissance ; d'où le programme des mille premiers jours porté par Adrien Taquet, qui vise à accompagner le développement de l'enfant.

Jean-Michel Blanquer agit pour prévenir le décrochage scolaire, avec le dédoublement des classes de grande section, CP et CE1 en réseau d'éducation prioritaire (REP) et REP+ et avec la création de 200 Cités éducatives en 2022.

Les cordées de la réussite sont un autre levier important, notamment dans le service public.

L'autre levier d'émancipation est évidemment l'emploi. Les cités de l'emploi visent à accompagner l'insertion professionnelle des jeunes des QPV en coordonnant davantage les acteurs de terrain.

Nous agissons aussi sur l'image des quartiers et la rénovation urbaine, avec l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), les élus et les bailleurs ; le programme « Quartiers productifs » vise à encourager les projets de développement économique - commerces de proximité, activités industrielles ou de service - créateurs d'emplois dans les quartiers.

Le label Cités de la Jeunesse que je viens de lancer permettra de lutter contre le non-recours aux droits.

Deuxièmement, nous faisons évoluer les pratiques et les mentalités, avec le « Pacte avec les quartiers pour toutes les entreprises » (PaQte) ou encore le programme « La France, une Chance », pour accompagner les entreprises qui oeuvrent à une meilleure inclusion. L'objectif est de faire avec les acteurs économiques et de développer les bonnes pratiques. Près de 2 200 entreprises sont engagées pour sensibiliser leurs 30 000 collaborateurs aux biais de recrutement. Je pense également à la plateforme de stages de Troisième, au parrainage et au mentorat, volet essentiel du PaQte.

Les mentalités changeront aussi grâce aux plans locaux de prévention et de lutte contre les discriminations - celui de Vitrolles est remarquable - qui vont être musclés et articulés avec la plateforme de signalement des discriminations afin de favoriser l'accès aux droits.

Une seconde vague de testing sera lancée courant 2021 et un référentiel de bonnes pratiques élaboré avec les associations, le Medef et les ministères concernés.

L'égalité des chances ne se décrète pas ; elle se pense et se construit au plus près des territoires, avec les acteurs de terrain.

Notre vision : que chacun trouve sa place dans la République. Notre méthode : la coproduction des solutions avec les acteurs locaux. Nos résultats : que ni l'origine, ni le lieu de résidence ne déterminent le cursus et le niveau d'ambition de nos jeunes !

Nous luttons concrètement contre les discriminations et pour l'égalité des chances, avec des moyens à la hauteur de nos ambitions.

Les mesures avancées par la proposition de loi ne semblent pas opportunes à ce stade, mais nous serons ravis de vous associer aux travaux que nous avons engagés avec les parlementaires de la majorité, que je remercie pour leur soutien.

Rappel au Règlement

M. Jean-Pierre Sueur .  - Madame la ministre vient de parler d'égalité, un très beau sujet. Or le Gouvernement vient d'étaler son action pendant vingt-cinq minutes, alors que nous ne disposons que de quatre à six minutes par orateur... Curieuse conception de l'égalité ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)

Mme la présidente.  - De la place que j'occupe, je me dois de laisser le Gouvernement s'exprimer autant qu'il le souhaite et de limiter le temps de parole des sénateurs.

Acte est donné de votre rappel au Règlement.

Discussion générale (Suite)

Mme Cécile Cukierman .  - Tout va si bien, à en croire nos ministres... La réalité est pourtant bien différente ! C'est un fait : notre système scolaire ne garantit pas un accès égal à l'enseignement supérieur ni à la vie professionnelle.

L'ascenseur républicain ne doit pas être idéalisé : il n'a jamais été l'alpha et l'oméga de la correction des inégalités. Quel est le rôle du système éducatif dans la régulation de ces dernières ? Cette proposition de loi montre la nécessité de briser les différentes logiques qui empêchent les jeunes des quartiers populaires ou des zones rurales d'accéder à un emploi pérenne et de qualité.

Cependant, la proposition de loi suggère des solutions en aval alors que c'est en amont qu'il faut agir. Les mesures proposées dans cette proposition de loi s'éparpillent. Elles pourraient aggraver certaines stigmatisations au lieu d'aplanir les inégalités.

Pour nous, il n'y a qu'une égalité : l'égalité républicaine. L'accès aux droits - formation, travail... - doit être le même pour tous, sans discrimination sociale ou territoriale.

Nous allons donc être enfin associés aux formidables mesures que le Gouvernement a prises... Malheureusement, les inégalités n'ont fait que s'aggraver depuis quatre ans. Nous nous abstiendrons sur la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

M. Arnaud de Belenet .  - Les conséquences particulièrement brutales des confinements sur les jeunes ont accentué les inégalités de destin entre eux. Ils devront en outre supporter le fardeau de la dette publique, qui nous engage toutes et tous.

Nous ne pouvons que partager les objectifs des auteurs de la proposition de loi, transpartisans, qui rejoignent les travaux de plusieurs missions d'information sénatoriales et des mesures gouvernementales.

Il y a un paradoxe français : pays très redistributeur, la France demeure un pays injuste, avec une école marquée par le déterminisme social et un marché du travail qui bloque la mobilité. Seule la Hongrie a des résultats plus médiocres, à en croire l'OCDE.

Toutes les catégories sociales ne sont pas égales face au chômage. Le taux d'emploi des descendants d'immigrés est de neuf points inférieur à celui des personnes sans lien avec l'immigration. L'écart de taux de chômage dépasse les cinq points.

Le système français est ankylosé : il redistribue, afin d'empêcher les citoyens de dégringoler, mais il ne permet pas d'escalader les marches. Notre système protège les rentes mais ne promeut pas l'égalité des chances.

La discrimination positive est-elle la réponse ? Non. Nous ne remplirons pas la promesse républicaine avec des rustines, d'autant que les mesures proposées se heurtent à des difficultés juridiques et pratiques.

Réserver des emplois à certaines personnes se heurte au principe constitutionnel d'égalité. Quant à la diversification de la composition des jurys de recrutement, elle correspond à un besoin réel mais le taux proposé impose des contraintes inextricables aux organisateurs.

Enjoindre les entreprises à motiver une non-embauche serait source de rigidité et alimenterait la société de défiance. Enfin, qui peut croire que la création d'une nouvelle autorité, énième comité dispendieux, suffirait à changer la donne ?

Le groupe UC partage le diagnostic mais diverge sur les remèdes ; il ne votera pas la proposition de loi.

Puissent les mesures prises par le Gouvernement et les travaux - passés et futurs - du Sénat offrir un meilleur accès des jeunes à la fonction publique et aux entreprises. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Jean-Pierre Sueur .  - « Circulez, il n'y a rien à voir... » Voilà ce qu'on répond à notre collègue Conway-Mouret.

Pourtant, dans les quartiers en difficulté, 31 % des moins de 30 ans sont au chômage. Un jeune sur trois : c'est énorme ! Qui ne voit pas le désarroi de nombreux jeunes - étudiants, apprentis ou jeunes « dans le vide » qui butent contre les portes du Pôle Emploi ? Qui peut nier cette réalité ?

L'esprit de notre texte est bon, nous dit-on. Vive l'esprit, donc ! La commission n'a pas voulu qu'un rapporteur de notre groupe soit nommé, sous un prétexte démenti, monsieur le président de la commission, à peine six minutes plus tard...

Conscients des aspérités du texte, nous avons déposé quatre amendements changeant profondément la donne. En commission, ils ont été balayés en moins de trente secondes.

M. Patrick Kanner.  - Quarante-cinq !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Pourtant, la rapporteure sait très bien que le texte aurait été très différent. Sous des flots d'éloquence, nous n'allons donc aboutir à rien. Ce n'est pas digne des jeunes de ces quartiers !

Mesdames les ministres, vous ne devriez pas vous livrer à un exercice d'autosatisfaction pendant vingt-cinq minutes dans le cadre d'un espace réservé !

Au groupe SER, nous ressentons une certaine colère.

Madame la rapporteure, vous le savez : il aurait été possible de travailler ensemble pour que certaines de nos dispositions soient adoptées. C'est pourquoi nous interviendrons sur les articles pour défendre nos idées.

Ce qui est proposé aux jeunes est humiliant : de l'Uber, de l'Uber, toujours de l'Uber !

Circulez, il n'y a rien à voir : ce message à la jeunesse de notre pays n'est pas recevable ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)

M. Pierre-Jean Verzelen .  - Les difficultés des jeunes à accéder au monde du travail nous préoccupent tous. Les chiffres interpellent : depuis le début de la crise, 24 % d'entre eux ont subi une interruption de leur formation, 21 % ont vu leur stage en entreprise annulé, 18 % ont été licenciés ou ont vu leur contrat non renouvelé. Beaucoup d'étudiants ou de lycéens galèrent à trouver un stage ou une formation.

Les blocages de l'ascenseur social se situent au niveau de l'éducation et du marché du travail. Mais cette proposition de loi se heurte à de nombreux obstacles, notamment juridiques. Elle manque aussi parfois de clarté ou de précision. Enfin, elle risque d'engendrer des contentieux prud'homaux. C'est pourquoi le groupe INDEP ne la votera pas.

Ce texte porte aussi sur les jeunes des zones de revitalisation rurale (ZRR). Les souffrances en ruralité sont réelles, même si l'on en parle moins. Toute une partie de la jeunesse est moins représentée, moins entendue et a l'impression de ne pas faire partie du film. Dans ces territoires, il faut une ambition nationale sur l'éducation, la culture et la mobilité. On ne peut pas tout résumer à Paris et quelques métropoles.

M. Guy Benarroche .  - Quel panégyrique de l'action gouvernementale, mesdames les ministres ! Le pragmatisme devrait dépasser la politique. Alors, vous posez des briques... Mais sans architecture politique d'ensemble, poser des briques ne construit pas une maison habitable, ni un pays égalitaire.

Les jeunes ont payé un lourd tribut à la crise sanitaire : difficultés alimentaires, de santé mentale, angoisses sur leur présent et leur avenir liées aux crises écologique, sanitaire et sociale.

Aussi, je salue cette proposition de loi.

Le Gouvernement s'apprête à déposer des ordonnances sur la transformation de l'accès à la fonction publique. Raison de plus pour adopter ce texte qui y contribue ! Je regrette la position de notre commission des lois.

Les quotas sont parfois mal acceptés, mais ils facilitent l'accès aux responsabilités de personnes qui apportent un nouveau regard. Le besoin s'en fait de plus en plus pressant. La parité est un exemple à suivre.

L'article premier semble pertinent : il réserve des postes à ceux qui ont déjà travaillé dans des quartiers relevant de la politique de la ville. Les articles 2 et 3 sur l'accès à la fonction publique sont également intéressants. Les trois derniers articles concernent l'accès au secteur privé. Les employeurs ne sont nullement pointés du doigt. Pourquoi refuser un nouvel outil de mesure des biais inconscients du recrutement ?

Cette proposition va dans le bon sens. Le GEST la votera. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Teva Rohfritsch .  - Cette proposition de loi a le mérite de centrer le débat sur la jeunesse et son avenir. De Tahiti à l'Alsace, nos jeunes n'ont pas été épargnés par la crise sanitaire.

Nous partageons les objectifs de la proposition de loi mais les articles premier à 4 sont déjà satisfaits ou posent des difficultés pratiques ou juridiques.

Ainsi, l'article premier prévoit une proportion minimale de nominations aux postes de délégués du préfet dans les QPV à des personnes présentant la même expérience. Or c'est déjà le cas. Autre exemple : les statistiques souhaitées sont déjà publiées. Des réformes de notre fonction publique sont en cours. Emmanuel Macron a créé l'Agenda de l'égalité des chances, qui concerne sept ministres. La Réunion accueille trois classes préparatoires Talents. Un plan de 3,3 milliards d'euros en faveur des QPV a été annoncé. À cela s'ajoute la récente création du Label Cités de la jeunesse par Nadia Hai.

La proposition de loi crée un vingt-sixième critère de discrimination, lié au lieu d'origine, mais mieux vaudrait appliquer pleinement la loi existante.

Enfin, l'obligation de motiver la non-embauche d'un candidat pourrait paradoxalement constituer un frein supplémentaire à l'embauche. Le groupe RDPI ne votera pas cette proposition de loi.

Mme Maryse Carrère .  - Réfléchir à un meilleur accès de nos jeunes à la fonction publique et à l'emploi, c'est avant tout penser aux failles de notre méritocratie républicaine et faire le constat de son échec. La mobilité sociale est à l'arrêt et l'ascension sociale est devenue une anomalie.

Mais mettre fin aux politiques d'égalité des chances serait une erreur. Les crises aggravent les inégalités.

Ce texte soulève de bonnes questions mais n'apporte pas les réponses adéquates. Je ne suis pas convaincue de l'effectivité de l'article premier. Je me réjouis que, à l'article 2, les ZRR soient mises sur le même pied que les QPV. L'erreur a longtemps été d'oublier les jeunes ruraux, tout aussi défavorisés que les urbains. Les problèmes sont les mêmes que l'on habite dans une commune de 400 habitants dans les Hautes-Pyrénées ou dans un quartier relevant de la politique de la ville. C'est une question d'équité.

La modification des profils des jurys à l'article 3 est indispensable. Je suis plus réservée sur la création, à l'article 4, d'un nouveau comité Théodule. Si je partage la volonté, exprimée à l'article 5, d'éviter les discriminations liées au lieu d'origine, les vingt-cinq critères actuels me semblent suffisants.

L'obligation posée à l'article 6 de fournir les raisons d'un non-recrutement ne me semble pas opérante.

Le groupe RDSE se partagera entre votes favorables et abstention sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe SER)

M. Stéphane Piednoir .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Malgré les multiples aides déployées, la période actuelle est difficile pour tous. Les recrutements ont le plus souvent été gelés par des entreprises qui manquent de visibilité. Les jeunes subissent de plein fouet cette situation : 37 % des étudiants salariés ont perdu leur emploi. Ils sont victimes d'un effet ciseau : le marché du travail est contracté et leur niveau de qualification est interrogé.

Qu'attendre des pouvoirs publics ? Quelle réponse apporter aux jeunes ? Il faut intervenir à la source et aider les entreprises à se relancer et à reprendre les embauches.

Les jeunes issus des QPV ont besoin d'une dynamique globale et non d'une commisération dévalorisante.

Je viens d'un milieu modeste et je suis reconnaissant à l'État des aides reçues par ma famille. J'ai accompli de bonne grâce divers petits boulots. L'effort donne plus de saveur à la réussite et la motivation en atténue les contraintes.

En revanche, j'aurais très mal vécu d'obtenir des passe-droits par quota, d'entendre mes collègues dire : « il est entré par la voie réservée à son profil »... La société française n'est pas constituée de castes. La méritocratie, c'est aussi l'acceptation du risque d'échouer. Les enfants des milieux modestes n'ont pas un droit à réussir. Le frein est souvent au niveau des familles : c'est le rôle des enseignants et des conseillers principaux d'éducation (CPE) de les convaincre qu'ils ont droit aux mêmes études et aux mêmes débouchés, tant qu'ils apportent la preuve de leur qualité. J'ai moi-même joué ce rôle, devenu enseignant. Nul besoin de quotas : faisons confiance aux enseignants et à tous les professionnels !

Je ne partage pas du tout les mesures apportées par cette proposition de loi, que je ne voterai pas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Yves Bouloux .  - Le titre de cette proposition de loi est séduisant mais prête à confusion. Certaines dispositions ne privilégient que quelques-uns de nos jeunes et d'autres ne les concernent pas. En outre, ce texte introduit une discrimination en fonction du lieu de résidence.

L'existence d'inégalités ne fait pas débat : dans les zones rurales, les élus se battent quotidiennement pour lutter contre cette inégalité des chances.

Mais on ne lutte pas contre l'inégalité des chances en créant de nouvelles inégalités. Il faudrait de surcroît une révision constitutionnelle.

On nous propose une nouvelle autorité administrative indépendante (AAI). C'est une lourdeur et un coût dont on pourrait se passer ! Souvent, leur rôle se limite à compiler des données jamais exploitées...

Des mesures concernent les entreprises : de nouvelles contraintes mais pour quelle efficacité ? Favorisons l'implantation d'entreprises dans les zones oubliées ; l'embauche sera locale.

Le groupe Les Républicains ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Je partage avec tous les orateurs l'ambition d'un cadre républicain dans lequel l'égalité des chances et la liberté des choix est primordiale.

La jeunesse a beaucoup souffert depuis 18 mois ; c'est pourquoi la fonction publique prend toute sa place dans le plan « Un jeune Une solution », en partenariat avec la fonction publique territoriale, avec: 43 000 offres de stages en 2021, 49 000 en 2022 et 15 000 places d'apprentissage.

Paris n'est pas un passage obligé : plus besoin de « monter à Paris » comme au XIXe siècle. Pour paraphraser Balzac, plutôt que des Illusions perdues, je voudrais que nous entamions le temps de la « confiance retrouvée ».

Nos prises de parole ne relevaient pas de l'autosatisfaction. Nous avons souhaité détailler notre action parce que nous sommes très engagées. On est loin du : « circulez, il n'y a rien à voir... » Nous prenons le taureau par les cornes ! Nous avons besoin d'action plus que de grands principes, de grands signaux et de grandes lois. D'où le développement du mentorat et du tutorat, la création de viviers, le développement de lieux de formation pour 1 700 jeunes. Pour cela, nous prenons des mesures législatives grâce à l'habilitation que vous avez votée dans la loi du 6 août 2019, mais surtout des mesures qui ne relèvent pas de la loi.

Je remercie le sénateur Piednoir pour son témoignage. Il n'y aura pas de passe-droits : nous mettons en place des outils pour aider des jeunes à préparer des concours exigeants, notamment une bourse de 4 000 euros par an.

À Angers, monsieur le sénateur, une classe préparatoire Talents ouvrira en 2022 pour les jeunes de Maine-et-Loire. (Protestations sur les travées du groupe SER)

Mme Nadia Hai, ministre déléguée chargée de la ville.  - Personne n'a dit : « circulez, il n'y a rien à voir », le Gouvernement moins que quiconque.

Monsieur Sueur, ce n'est pas moi qui nierai les difficultés. Vous vous plaignez que le Gouvernement ait parlé pendant vingt-cinq minutes ; mais visiblement, vous ne nous avez pas écoutées... (Protestations à gauche) En quatre ans, nous n'avons pas la prétention de dire que nous aurions réglé toutes les inégalités qui se sont creusées depuis des décennies, mais je maintiens que l'arsenal législatif en place est suffisant. Nous agissons, avec une nouvelle méthode et des moyens financiers.

Nous vous avons répondu sur le fond. Je regrette que cela vous ait éprouvés. Nous étions toutes deux parlementaires il y a peu et nous respectons le débat démocratique qui doit porter sur les actions concrètes.

Nous accueillons tous ceux qui veulent travailler avec nous pour faire évoluer les choses. (Marques d'ironie à gauche)

Mme Cécile Cukierman.  - Pendant quatre ans, vous n'avez pourtant travaillé qu'avec la majorité...

M. Pascal Savoldelli.  - Vive la pluralité... par ordonnances !

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - ... auxquelles vous nous habilitez.

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

Mme la présidente.  - Amendement n°1, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

I.  -  Alinéa 2

Remplacer les mots :

détermine une proportion minimale, qui ne peut être supérieure à 20 %, de nominations proposées à des

par les mots :

précise les conditions permettant de favoriser la nomination de

II.  -  Alinéa 6

Remplacer les mots :

détermine une proportion minimale, qui ne peut être supérieure à 20 %, de nominations

par les mots :

précise les conditions permettant de favoriser la nomination

Mme Isabelle Briquet.  - Tout en maintenant un même niveau d'ambition pour une haute fonction publique plus représentative de la société française, cet amendement clarifie la rédaction de l'article premier. Nous remplaçons les quotas par un objectif général d'ouverture de la fonction publique.

Mme Jacky Deromedi, rapporteur.  - Le critère choisi n'est pas forcément opérant et laisserait de côté de nombreux jeunes. Il y a aussi un risque constitutionnel. Avis défavorable.

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - L'amendement est bienvenu, car la logique de quotas est contraire à l'article 6 de la déclaration de 1789, qui ne tolère entre les candidats « d'autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ».

Les mesures que nous prévoyons dans le cadre de la réforme de la haute fonction publique que je présenterai la semaine prochaine au Conseil des ministres satisferont l'intention de ses auteurs. L'article 13 de la Constitution nous empêche de contraindre le Gouvernement dans ses nominations. Nous allons donc créer des viviers, composés de profils diversifiés ayant vocation à accéder à des postes de responsabilité. Un décret en Conseil d'État tracera des lignes directrices de gestion interministérielle des ressources humaines. Une stratégie claire sera connue de tous d'ici à la fin 2022. Retrait ou avis défavorable.

L'amendement n°1 n'est pas adopté.

L'article premier n'est pas adopté.

ARTICLE 2

Mme Monique Lubin .  - Les lycéens boursiers des QPV et ZRR souffrent d'un manque d'information sur leur orientation et d'un éloignement culturel et symbolique qui les conduit à l'autocensure.

L'école en milieu rural n'est pourtant pas un lieu d'échec. Mais les jeunes des territoires isolés peinent à se projeter dans un avenir professionnel.

Les jeunes des QPV redoublent plus souvent : en Pays de la Loire, ils sont 24 % au lieu de 9 % en moyenne. Après la Troisième, ils sont plus nombreux à partir vers des filières professionnelles. En zone rurale, les jeunes, ne bénéficiant pas de formations à la prise de parole et à la confiance en soi, sont démunis lors de leurs premiers oraux. Les jeunes Français sont déterminés par leurs origines sociales et géographiques, ce qui génère angoisse et autocensure.

Madame la ministre, qu'appelez-vous un jeune méritant ? Y aurait-il des jeunes bien nés pour qui tout est ouvert, et des jeunes méritants qu'il faudrait aider ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

M. Patrick Kanner .  - Convoqué à tout bout de champ et parfois abusivement en ces temps de campagne nauséabonde, le mot de République perd de sa force dans l'esprit de beaucoup de nos concitoyennes et concitoyens : les mots lassent, les actes manquent. Pour lui redonner de la vigueur, il faut une action déterminée en faveur de l'égalité. À la République sécuritaire devenue l'alpha et l'oméga du Gouvernement, je préfère la sécurité dans la République, l'équité, et un ascenseur social qui ne serait plus une chimère. L'égalité, c'est donner plus à ceux qui ont moins, c'est permettre à chacun de se mettre au service de l'État, même lorsqu'on vient d'un QPV ou d'une ZRR.

Nos concours de la haute fonction publique se posent comme un modèle suprême d'égalité, mais chacun sait qu'ils sont accessibles en réalité à des publics triés sur le volet possédant les clés d'entrée pour les meilleurs lycées et les classes préparatoires. Les quelques transfuges de classe ne doivent pas masquer cette réalité structurelle d'un ruissellement du déclassement.

Le Gouvernement aurait pu saisir l'occasion de la loi confortant les principes de la République pour introduire des mesures de justice sociale. C'est ce que nous proposons de faire dans l'accès aux emplois publics. Votre autosatisfaction est totalement décalée quand on sait que votre première mesure dans les QPV fut la destruction de centaines de milliers d'emplois aidés. Nous proposons des mesures concrètes dans l'esprit de l'article premier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « les hommes - et les femmes - naissent et demeurent libres et égaux en droit. La distinction sociale ne peut être fondée que sur l'utilité commune. » Or les inégalités sociales ont progressé depuis votre arrivée au pouvoir. (Marques de désapprobation sur le banc des ministres ; applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme la présidente.  - Amendement n°2, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

I.  -  Alinéa 2

Remplacer le mot :

assurent

par le mot :

favorisent

II.  -  Alinéas 7 et 8

Supprimer ces alinéas.

Mme Isabelle Briquet.  - Tout en maintenant le même niveau d'ambition du texte initial en matière d'amélioration de l'accessibilité des jeunes à la fonction publique, cet amendement propose une nouvelle rédaction, plus souple.

Mme Jacky Deromedi, rapporteur.  - La loi d'orientation pour la recherche favorise déjà la mixité géographique. Attendons de voir ses résultats. Le renvoi à un décret ne respecterait pas l'autonomie des établissements. Avis défavorable.

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Ce qui est excessif est insignifiant, monsieur Kanner.

Le mérite, madame Lubin, c'est ce qu'en disent Mirabeau, Mounier, Champion de Cicé, auteurs de la déclaration de 1789 : les vertus et les talents. Le talent, c'est bien ce que nous cherchons à promouvoir. Nous croyons au concours, procédure méritocratique. Il ne s'agit pas d'aménager les épreuves, mais d'y préparer tous les jeunes.

Je suis donc défavorable aux mesures proposées - même si l'amendement était un pas vers notre position.

L'amendement n°2 n'est pas adopté.

L'article 2 n'est pas adopté.

ARTICLE 3

Mme Viviane Artigalas .  - La composition des jurys de concours est importante pour la diversification de la fonction publique.

Les plus méritants sont de plus en plus issus des couches les plus favorisées de la société : la méritocratie est en échec.

Aux oraux, notamment, les jeunes issus de milieux défavorisés pâtissent de la non-maîtrise des codes. D'où la nécessité d'ouvrir les jurys.

La reproduction des élites par les concours et les corps d'État doit cesser. À vous entendre, le Gouvernement serait plutôt sur la position : « Restons entre nous et que rien ne change ». (Marques de désapprobation sur le banc des ministres)

Mme la présidente.  - Amendement n°3, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Alinéa 2

Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :

« Art. 20 bis.  -  Les jurys et comités de sélection constitués pour le recrutement ou la promotion des fonctionnaires de l'État comprennent au moins une personne qui n'appartient pas à l'administration, dans la limite de 50 % de l'effectif global du jury ou du comité de sélection.

« Les modalités d'application sont définies par décret. »

M. Jean-Luc Fichet.  - Sans revenir sur l'objectif poursuivi par l'article de prévoir une composition des jurys plus représentative de la diversité de la société, cet amendement propose un dispositif remanié. Il prévoit que ces jurys comprennent au moins une personne qui n'appartient pas à l'administration, sans que ces personnes extérieures comptent pour plus de la moitié de l'effectif global.

Mme Jacky Deromedi, rapporteur.  - Cette disposition compliquerait l'organisation des concours. Restons-en aux bonnes pratiques réservées à certaines épreuves, comme le grand oral. Avis défavorable.

Mme Amélie de Montchalin, ministre.  - Deux anciens Premiers ministres socialistes qui se sont exprimés récemment semblent penser que nous allons trop vite... Le conservatisme n'est pas toujours là où l'on croit ! (Mme Viviane Artigalas proteste.)

S'agissant des jurys, la loi d'août 2019 a clarifié les termes de la loi de 1983. Nous agissons en faveur de la parité, mais aussi du renouvellement et de la formation de leurs membres pour les prémunir contre des biais.

L'amendement me paraît donc satisfait. Je sollicite son retrait.

Mme Hélène Conway-Mouret.  - Nous proposons de recruter des membres du jury qui n'aient pas besoin de formation.

L'amendement n°3 n'est pas adopté.

L'article 3 n'est pas adopté.

ARTICLE 4

M. Rémi Cardon .  - La création d'une nouvelle autorité indépendante permettra de lutter contre les discriminations.

Les concours ne sont pas suffisants. Le concours d'entrée à diverses écoles « Accès », organisé à distance cette année, ont été un grand succès, permettant d'éviter autocensure et freins liés aux frais de déplacement.

Ceux qui ne finissent pas leurs études sont souvent issus des mêmes milieux ; les rapports - L'Horty, Rousselle, Borloo... - le montrent les uns après les autres. La Haute Autorité permettra une évaluation plus fine, préalable à une action efficace.

Mme Monique Lubin .  - La qualité moyenne des candidats est en hausse. De fait, la surqualification se développe, excluant les moins qualifiés de l'accès à la fonction publique.

Les enfants d'agents publics sont surreprésentés parmi les fonctionnaires. Les enfants de cadres du public représentent 2,6 % des actifs, mais 10 % des cadres du public. Quant aux immigrés - 10 % des actifs - ils ne sont que 5 % des agents publics.

Ces éléments chiffrés soulignent bien l'enjeu. L'accès inégal à la fonction publique est un paradoxe, car sa voie d'accès est le concours qui garantit le principe d'égalité...Or la mixité et l'égalité des chances, conditions de la vitalité du pacte républicain, sont des enjeux majeurs que traitera la mission d'information dont je suis la rapporteure.

M. Marc Laménie .  - On parle beaucoup d'égalité des chances, pour le monde rural ou pour les QPV. N'oublions pas les autres versants de la fonction publique qui est aussi territoriale et hospitalière. Les enseignants ont un rôle fondamental à jouer dès le premier cycle pour susciter des vocations.

Dans les Ardennes, où on a encore la chance d'avoir un régiment, des classes Défense dans les collèges et les lycées permettent de tisser le lien Armée-Nation. Je pense aussi aux échanges à développer avec les sapeurs-pompiers et les gendarmes. Je suivrai la position de la commission des lois.

Mme Michelle Meunier .  - L'évaluation de nos politiques publiques est cruciale. Le groupe SER est attaché à étudier les mécanismes qui empêchent de passer de l'égalité formelle - inscrite au fronton de nos mairies - à l'égalité réelle, que devraient vivre les jeunes. Hier, dans le cadre de la mission d'information dont Mme Lubin est la rapporteure, nous avons entendu Louis Schweitzer, ancien président de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde) et fin connaisseur des mécanismes de la discrimination : comme s'il annonçait la litanie de mesures dont les ministres nous ont abreuvés, il a dénoncé le maquis des dispositifs et stratégies, sans aucune évaluation. C'est un maquis pour les décideurs, mais aussi pour les personnes concernées ! C'est tout le sens de cet article 4.

M. Teva Rohfritsch .  - Cet article 4 est intéressant. L'égalité des chances, oui, mais il faut surtout l'égalité des choix. Je viens d'un QPV-TEM, quartier politique de la ville très éloigné de la métropole ! Il faut monter à Paris - 16 000 kilomètres ! - pour entrer en classe préparatoire.

Le mérite, c'est passer et réussir les mêmes concours. C'est la fierté d'y être arrivé sans quota. Ne tirons pas le talent vers le bas. Cette promesse républicaine devra être tenue de la Polynésie à La Réunion, de la Bretagne à l'Alsace. Je ne voterai pas cet article.

Mme Amélie de Montchalin, ministre .  - Je salue votre mission d'information sur l'égalité des chances. Vous aussi travaillez par étapes...

La création de l'Autorité que vous proposez est satisfaite par notre action : la Direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGFAP) et le Défenseur des droits publient un rapport bisannuel sur les discriminations dans les trois fonctions publiques. L'ensemble des données sont rendues publiques. Je propose que la direction interministérielle du numérique les rende accessible en open data. Cela me semble plus efficace que de créer une nouvelle entité, avec ses conséquences en termes de démembrement de l'action publique et de coût.

Le label Diversité permet de diversifier ses recrutements. Dans le cadre de la loi de 2019, le mécanisme de signalement des discriminations a été renforcé.

Votre article me semble donc déjà largement satisfait et nous améliorerons encore l'existant.

Mme Hélène Conway-Mouret .  - Je regrette vos propos, car vous décrivez un ensemble d'organismes, alors que nous proposons de regrouper leurs actions. Il est dommage de rejeter la création de cet outil.

L'article 4 n'est pas adopté.

ARTICLE 5

M. Rémi Cardon .  - Le lieu d'origine permet parfois de contourner les règles de non-discrimination à l'embauche. Certains jeunes sont amenés à modifier leur adresse postale sur leur CV !

Notre proposition permettrait de repenser globalement le recrutement.

L'article 5 n'est pas adopté.

ARTICLE 6

M. Rémi Cardon .  - En cas de refus de recrutement, l'entreprise devrait donner une réponse motivée au jeune pour qu'il puisse travailler sur ses points forts et ses points faibles. Pour ne pas surcharger les entreprises, cela se ferait à la demande expresse du candidat.

Mme la présidente.  - Amendement n°4, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Art. L. 1221-8-1.  -  En cas de refus de recrutement d'un candidat auditionné par les instances chargées des recrutements au sein de l'entreprise, celle-ci lui communique par écrit, s'il en fait la demande, les motifs de sa décision. »

Mme Martine Filleul.  - Cet amendement impose à l'entreprise d'informer - par écrit - le candidat des motifs de son non-recrutement. Cela ne constitue pas une charge importante puisqu'il s'agit uniquement des candidats reçus en entretien et qui en font la demande.

Ainsi les jeunes progresseront, et l'entreprise sera véritablement partie prenante dans le processus de recrutement.

Dommage que cet amendement n'ait pas été intégré : le débat aurait été plus simple.

Mme Jacky Deromedi, rapporteur.  - C'est une suggestion de l'Association française des managers de la diversité. Pour l'entreprise, elle réduit certes le périmètre, mais n'écarte pas le risque de contentieux devant les prud'hommes.

Je souligne que d'ores et déjà, les difficultés à recruter incitent les employeurs à diversifier les embauches. Un échec du candidat est le plus souvent lié à un manque de formation ou de savoir-être. Avis défavorable.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée.  - Après le témoignage de M. Piednoir, voici le mien : issue des quartiers de la politique de la ville, à Trappes, j'ai adressé une centaine de candidatures pour trouver un contrat d'alternance. Une explication du type « Nous vous avons préféré un candidat plus expérimenté » ou « plus proche de notre secteur d'activité » ne m'aurait rien apporté... Il vaut mieux réfléchir, comme le fait le groupe de travail sur la formation à la non-discrimination depuis juillet 2017, à un référentiel de bonnes pratiques contre les discriminations, volontaires ou non. Retrait ou avis défavorable.

L'amendement n°4 n'est pas adopté.

L'article 6 n'est pas adopté.

ARTICLE 7

M. Rémi Cardon .  - Avant que des mesures soient prises, il semblait difficile voire impossible d'instaurer la parité femmes-hommes dans les conseils d'administration. Et pourtant !

Pourquoi n'en irait-il pas de même aujourd'hui de l'égalité des chances dans les entreprises ?

Mme Monique Lubin .  - La manière dont a été mis en place le comité social et économique (CSE) a été révélatrice de la qualité du dialogue social dans l'entreprise. Prévoir l'implication du comité dans les mesures anti-discrimination me semble pertinent.

J'ai longtemps cru que les femmes pouvaient accéder aux fonctions politiques sur la base de leurs mérites et talents, j'étais hostile à la loi sur la parité... Heureusement qu'elle a été votée, sinon les sénatrices seraient moins nombreuses. Et pourtant nous sommes talentueuses ! (Rires et applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Henri Cabanel applaudit également.)

Mme Hélène Conway-Mouret.  - Je tiens à remercier tous les orateurs. Le courage est de chercher et dire la vérité : c'est ce que nous avons fait ce matin. Je regrette les votes négatifs successifs sur chacun des articles.

Nous devrons y revenir à l'avenir. Le Sénat est passé à côté d'une réforme modeste, mais aussi d'une vraie solution.

Mme la présidente.  - Je vous rappelle que, si cet article 7 n'était pas adopté, il n'y aurait plus lieu de voter sur la proposition de loi, dans la mesure où les sept articles qui la composent auraient été supprimés. Il n'y aurait donc pas d'explications de vote sur l'ensemble.

M. Guy Benarroche.  - Comme hier soir sur le bien-être animal, les membres du Gouvernement nous expliquent que nos propositions sont intéressantes et présentent des objectifs louables, mais qu'elles n'apportent rien...

Le Gouvernement nous oppose les briques qu'il accumule sur ces sujets, mais nous ne voyons apparaître aucune architecture crédible ; la majorité sénatoriale nous explique que nos solutions ne valent pas, elle invoque l'Europe, la méritocratie, la réalité sociale... Le jeune sénateur que je suis trouve tout cela frustrant et gênant.

Nos propositions pourtant auraient permis d'avancer, de l'avis général à l'extérieur de cet hémicycle et même sur certaines travées de la majorité sénatoriale. Le jeu parlementaire nous en empêche, cela est regrettable.

Le GEST votera, de coeur, pour cet article et les solutions de la proposition de loi.

Mme la présidente.  - Vous avez dépassé votre temps de parole, avec mon indulgence...

M. Patrick Kanner.  - Bientôt, nous ne pourrons plus parler que deux minutes puisque la majorité sénatoriale s'apprête à raboter les temps de parole...

Nous n'avons pas eu de rapporteur et notre texte est balayé : tel est le triste sort réservé à l'opposition... Je regrette que la rapporteure n'ait pas pu amender notre texte, puisqu'elle y semblait plutôt favorable.

La loi Égalité et citoyenneté a été votée sous le précédent quinquennat : j'étais au banc des ministres pour la défendre. Un texte de loi a un poids, il fixe un cap. Même si, en l'occurrence, tous les décrets d'application n'ont pas été publiés...

L'équité, c'est donner plus à ceux qui ont moins. L'ascenseur social n'ouvre pas ses portes à tous les jeunes. Je suis fier au moins du débat que nous avons suscité ce matin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

L'article 7 n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Je constate qu'un vote sur l'ensemble n'est pas nécessaire puisqu'il n'y a plus de texte.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

La séance est suspendue à 13 heures.

présidence de M. Roger Karoutchi, vice-président

La séance reprend à 14 h 30.

Lutte contre l'indépendance fictive

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à lutter contre l'indépendance fictive en permettant des requalifications en salarié par action de groupe et en contrôlant la place de l'algorithme dans les relations contractuelles, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Discussion générale

M. Olivier Jacquin, auteur de la proposition de loi .  - Je remercie mon groupe de me permettre de présenter ce texte. Merci aussi à M. Fichet pour la qualité de son rapport, au professeur de droit Stéphane Vernac, à maître Jérôme Giusti, à Brahim Benali, représentant du syndicat INV VTC, à Arthur Hay de la CGT livreurs et à tous les travailleurs qui se lèvent dans ce combat.

En trois ans, c'est la cinquième fois que nous débattons du statut des indépendants fictifs. Il y a eu, outre les projets et propositions de loi, le rapport de notre collègue Frédérique Puissat.

Cette proposition de loi fait suite à la décision du 4 mars 2020 de la Cour de cassation, une décision historique qui prouve que l'État de droit fonctionne malgré l'obstination du Gouvernement à protéger les plateformes.

Celui-ci persévère dans sa démarche de contournement du droit du travail en instaurant dans l'ordonnance du 21 avril dernier un sous-statut qui institutionnalise le travail pauvre, avec une protection sociale low cost. Un système de représentation est créé, pour les seuls chauffeurs de VTC et les livreurs. Mais il y a un problème constitutionnel, puisque si les autoentrepreneurs s'entendent aux dépens du donneur d'ordres, cela s'appelle un cartel, et c'est illégal.

Vous tergiversez, alors que la situation des ubérisés continue de se dégrader. Rumel, tué à la porte de la Chapelle ; Chahi, mort à Sotteville-lès-Rouen ; les sans-papiers en grève pour dénoncer les conditions effroyables de sous-traitance chez Frichti : Zola et Hugo n'auraient pu imaginer ce retour au tâcheronnage.

La technologie numérique a du bon et certaines plateformes, Doctolib, BlaBlaCar ou Le Bon Coin ne posent pas problème.

Mais l'ubérisation est un cocktail qui comprend deux explosifs : le dévoiement du statut d'autoentrepreneur, le management par un algorithme protégé par le secret de fabrication.

Je prendrai trois exemples pour démasquer ce cheval de Troie contre notre modèle social et illustrer les trois articles de la proposition.

Alexandre, serveur de 32 ans, est devenu autoentrepreneur sans changer d'employeur. Le confinement l'a laissé sans revenu et il a dû entamer une procédure de requalification en salarié, qui n'aboutira pas avant plusieurs années. C'est pour les travailleurs abusés que nous avons rédigé l'article premier, relatif à l'action de groupe pour la requalification des contrats identiques.

Laure, 29 ans, infirmière autoentrepreneure, a été recrutée via MediFlash : elle travaille dans un hôpital, dans une relation totalement subordonnée. C'est pour tous ceux qui se trouvent dans sa situation que nous souhaitons, à l'article 2, inverser la charge de la preuve : ils doivent être présumés salariés des plateformes. L'Espagne l'a fait en avril dernier !

Brahim, chauffeur de VTC chez Uber, appelait ses collègues à revendiquer leurs droits : il a été déconnecté brutalement, sans possibilité de recours. À l'article 3 nous donnons aux prud'hommes la faculté de rendre l'algorithme plus transparent, afin de mettre au jour les responsabilités humaines.

Le lobbying de la plateforme Uber est puissant. L'enjeu, pour lui, est de ne pas payer le temps d'attente des travailleurs. Si nous cédons, des pans entiers de l'économie basculeront dans le tâcheronnage, les travailleurs pauvres se multiplieront.

On peut baisser encore le coût du travail pour créer des services et de nouveaux emplois. Mais le jeu en vaut-il la chandelle ? Non ! Ni pour nous ni pour nos enfants.

Chers collègues, en vous prononçant sur ce texte, vous allez choisir votre camp. Soit, comme le propose le ministre, aller mezza voce vers le cyberprécariat et protéger les plateformes au lieu des travailleurs ; soit demander une juste régulation de l'algorithme, pour un travail décent et un progrès humain ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur de la commission des affaires sociales .  - Cette proposition de loi vise à mieux protéger les travailleurs des plateformes numériques.

Le développement rapide de ce type d'entreprises de mise en relation constitue une évolution marquante du marché du travail. Elle est inquiétante, d'autant que le phénomène s'étend à de nouvelles professions, comme les avocats ou les serveurs. C'est un retour insidieux au tâcheronnage et une remise en question de notre modèle social.

La situation de l'emploi incite une main d'oeuvre nombreuse à accepter des conditions indignes ; les plateformes exploitent parfois la détresse de migrants en situation irrégulière.

Ces travailleurs dits indépendants ne bénéficient pas des dispositions du code du travail relatives au salaire, au repos, aux congés payés. Ils ne sont pas couverts par l'assurance chômage, ni par la branche accidents du travail et maladies professionnelles, alors que l'activité de chauffeur ou de livreur est particulièrement risquée. Ils ne bénéficient pas de la généralisation de la couverture maladie complémentaire obligatoirement proposée par l'employeur depuis 2013.

Enfin, la cotisation retraite minimale de trois trimestres par an au titre de l'assurance vieillesse n'est pas applicable au statut de micro-entrepreneur, souvent choisi pour sa simplicité.

Or, dans les faits, l'activité s'apparente bien souvent à un travail salarié. Ces situations sont donc abusives. La requalification du contrat de travail par le conseil des prud'hommes est possible, puisque ce contrat est d'ordre public. Le juge peut prononcer une indemnisation des préjudices subis, y compris au titre de la rupture abusive du contrat.

Deux arrêts de la Cour de cassation visant Take Eat Easy et Uber ont marqué un tournant et d'autres affaires sont pendantes devant les prud'hommes et les cours d'appel. Mais les procédures sont longues, coûteuses, hasardeuses. Plusieurs cours d'appel ont refusé la requalification, ce qui entraîne des incertitudes juridiques.

L'article premier facilite l'accès aux droits pour les travailleurs faussement indépendants à travers l'action de groupe, introduite dans le droit français en 2014 par la loi Hamon, et qui est possible dans les domaines de la consommation, de la santé ou en cas de discriminations au travail.

Une association défendant les travailleurs indépendants, une organisation syndicale pourraient introduire agir devant le juge judiciaire. Une telle procédure rééquilibrerait le rapport de force, sans exclure des actions individuelles devant les prud'hommes.

Le législateur s'est refusé jusqu'à présent à reconnaître le statut de salarié à ces travailleurs des plateformes. Il s'est borné à prévoir plus de transparence, de dialogue social, et le financement d'avantages sociaux.

L'article 2 vise à substituer une présomption de salariat à la présomption actuelle d'indépendance. Il appartiendra aux plateformes de démontrer l'absence de lien de subordination : la charge de la preuve passe du côté du plus fort.

Enfin, à l'article 3, les prud'hommes pourraient apprécier la réalité des conditions de travail en accédant aux algorithmes et en désignant des experts pour les analyser.

M. le président.  - Il faut conclure.

M. Jean-Luc Fichet, rapporteur.  - Je regrette que la commission ait rejeté ce texte et j'espère que notre débat permettra de dépasser des frilosités devant ce geste politique nécessaire. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Henri Cabanel applaudit également.)

Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion .  - Je remercie le groupe SER de susciter ce débat.

Les plateformes numériques ont fait naître de nouveaux gisements d'emplois, offrant de nouvelles voies d'accès à la vie active et un choix de vie à ceux qui veulent échapper aux contraintes horaires et hiérarchiques du salariat.

Mais notre modèle social est mis en question par ces nouvelles formes d'emploi, qui exposent les travailleurs à un statut précaire et à une protection sociale réduite.

Oui, les relations contractuelles sont souvent déséquilibrées. Le Gouvernement entend bâtir les droits individuels et collectifs de ces travailleurs tout en accompagnant le développement des plateformes.

Monsieur Jacquin, ce n'est pas parce que nous empruntons un autre chemin pour y parvenir qu'il faut caricaturer. Je suis tout aussi déterminée que vous à donner des droits à ces travailleurs et à lutter contre les fraudes ! J'ai mobilisé l'inspection du travail pour sanctionner l'absence d'indépendance réelle ou l'emploi dans des conditions indignes de personnes en situation irrégulière.

Un renforcement du dialogue social entre les plateformes et les représentants légitimes des travailleurs indépendants rééquilibrera la relation.

Ce texte n'atteint pas ses objectifs et pourrait faire naître une insécurité juridique. Il méconnaît la compétence des juridictions prud'homales, seules habilitées à se prononcer sur les requalifications. Rien ne s'oppose aujourd'hui à ce qu'elles traitent simultanément plusieurs dossiers.

Ni le seuil de rémunération ni l'utilisation d'un algorithme ne suffisent à qualifier une relation salariale, l'élément essentiel, c'est bien la subordination. Je partage largement vos intentions, mais l'article 2 comporte des effets de bord massifs et pourrait porter préjudice à tous les indépendants, artisans et professions libérales.

Le Gouvernement s'attache plutôt à structurer le dialogue social dans ce secteur. Ce sujet me tient à coeur. Ministre des transports, j'ai oeuvré avec vous, monsieur Jacquin, dans le cadre de la loi d'orientation des mobilités, pour renforcer les garanties des chauffeurs.

Ainsi, les plateformes seront tenues de communiquer avant chaque prestation, la distance couverte et un prix minimum garanti.

Les premières briques d'un dialogue social dans le secteur ont été posées, notamment dans le secteur du VTC et celui de la livraison à domicile - au total, 100 000 indépendants qui voter en 2022, dans un scrutin à un tour. Seront considérés comme représentatifs les organismes ayant recueilli au moins 5 % des votes, et leurs représentants seront protégés contre tout risque de discrimination et bénéficieront d'une indemnisation, ainsi que d'une formation.

L'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi (ARPE) sera opérationnelle en septembre prochain pour organiser ces élections et favoriser le dialogue social dans le secteur ; une mission de préfiguration sera lancée dans les prochains jours.

L'ARPE et auparavant cette mission auront pour objectif d'initier le dialogue social pour parvenir à des solutions équilibrées.

Le Gouvernement et la majorité présidentielle ont obtenu de grandes avancées quant à la représentation des travailleurs, sans fragiliser un modèle économique fondé sur l'indépendance qui pourvoit à l'activité de 100 000 personnes.

Cette structuration du dialogue social sera complétée par des dispositions législatives précisant les modalités de représentation.

Nous aborderons ensuite la protection sociale, notamment celle des travailleurs à vélo, dont l'activité est éminemment accidentogène.

Nous travaillerons avec la Commission européenne pour faire évoluer le droit de la concurrence, afin que les travailleurs indépendants négocient des accords avec les plateformes, vers un revenu minimum corrélé à l'activité. Ce serait une convergence sociale vers le haut.

Il vaut mieux améliorer la protection sociale des travailleurs que leur imposer une requalification en salarié dont beaucoup ne veulent pas. Cette protection devra être déterminée par les travailleurs eux-mêmes.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement n'est pas favorable à cette proposition de loi.

M. Michel Canévet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le groupe de l'Union centriste salue l'initiative d'Olivier Jacquin et du groupe socialiste d'aborder la question des travailleurs des plateformes numériques. Celle-ci fait déjà l'objet d'un texte du groupe CRCE et d'un rapport de mes collègues Forissier, Fournier et Puissat au nom de la commission des affaires sociales. La délégation sénatoriale aux entreprises travaille également sur les nouvelles formes d'emploi. C'est dire combien le Sénat est investi.

Le groupe UC est particulièrement attaché à la libre entreprise ; il y a 3,5 millions à 4 millions d'indépendants en France, qui sont une force pour notre dynamisme économique qu'il ne faut pas altérer. Ne leur imposons pas de réglementations trop complexes.

Ce dynamisme s'exprime dans les potentialités offertes par le développement du numérique : chauffeurs de type Uber, mais aussi, à la faveur de la pandémie qui a accru la maturité digitale des entreprises, de nouvelles formes de services à la personne : livraisons à vélo ou vélomoteur, que nous pouvons observer dans nos rues.

Il faut dès lors se poser la question de l'organisation de ces nouvelles formes d'emploi : quel salariat, quel type de contrat pour régir les relations commerciales entre ces acteurs ? Il convient de conserver la dynamique de ces activités.

Nous devons attendre que les initiatives déjà prises, comme l'ordonnance du 21 avril 2021, produisent leurs fruits avant d'aller plus loin. Attendons que l'ARPE soit pleinement opérationnelle grâce aux décrets qui seront publiés le mois prochain. Le groupe UC a la conviction que c'est par le dialogue social que nous avancerons. Il faut une couverture des accidents du travail, une complémentaire santé. Le Gouvernement doit aller plus loin sur l'indemnisation du chômage.

Nous attendons des avancées sur le statut des indépendants mais en l'état, nous ne voterons pas ce texte.

M. Serge Babary .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La plateformisation de notre société ne fait que commencer. Elle couvre les secteurs de la mobilité - VTC et livraisons -, des services à la personne et aux entreprises.

La crise sanitaire a vu l'explosion du nombre de livreurs et mis en lumière leur exposition au risque et leur fragilité.

Le Sénat s'est saisi du sujet, notamment avec un rapport de la commission des affaires sociales en 2020, une proposition de loi du groupe CRCE et une mission de la délégation sénatoriale aux entreprises créée en 2020.

Le législateur doit veiller à la situation des travailleurs concernés, dont la majorité tient à son indépendance.

Comment placer le curseur autrement qu'au cas par cas ? Comment ne pas pénaliser les entreprises et favoriser le développement d'un modèle économique viable ?

Certains préconisent un statut intermédiaire entre salariat et indépendance, mais ce serait trop complexe.

La proposition de loi pose une vraie question, mais les solutions envisagées ne sont pas adéquates car elles ignorent la viabilité économique des activités économiques concernées.

Le rééquilibrage des relations de travail doit passer avant tout par la négociation collective. L'ordonnance sur la représentation des travailleurs devra être accompagnée d'un dialogue social nourri.

Il est urgent de réduire les disparités entre les 3,5 millions à 4 millions de travailleurs indépendants et les salariés ayant des revenus équivalents. La question des plateformes n'est qu'un des aspects du sujet.

Ces inégalités ont été relevées par le Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFIPS), dans son rapport de septembre 2020 : les collaborateurs des plateformes du secteur de la mobilité comptent parmi les non-salariés les plus précaires. Le HCFIPS préconise un rééquilibrage entre leurs droits et devoirs.

Le plan pour les indépendants, annoncé par Alain Griset pour fin avril, est toujours attendu.

Le groupe Les Républicains ne votera pas ce texte mais demeure attentif au respect des droits et obligations de chacun. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Pierre-Jean Verzelen .  - L'essor des plateformes a bouleversé le monde du travail. C'est une source de revenus pour plus de 200 000 personnes, souvent éloignées de l'emploi, qui pose toutefois beaucoup de questions juridiques.

La Cour d'appel de Paris a estimé en mars 2020 que la relation commerciale entre un chauffeur de VTC et Uber pouvait être requalifiée en contrat de travail dès lors qu'il y a subordination juridique.

L'impossibilité pour le travailleur d'organiser librement son activité ou de rechercher sa clientèle, ou l'existence d'un pouvoir de sanction démontrent le caractère fictif du statut de travailleur indépendant.

Cette proposition de loi étend l'action de groupe à ces travailleurs et supprime la présomption de non-salariat lorsqu'au moins trois quarts des revenus reposent sur l'utilisation d'un algorithme.

Il n'y a pas de réponse idéale. Le groupe INDEP est favorable au renforcement des droits des travailleurs indépendants et à leur protection sociale. Cette nouvelle forme de travail souple et accessible offre des revenus substantiels à des personnes écartées de l'emploi. Elles ne sont pas toujours précaires, mais les travailleurs exclusifs sont souvent sans qualification, étudiants, parfois sans papiers, empruntant l'identité d'un autre moyennant rétro commissions. Il faut lutter contre les dérives observées, sans remettre en cause les opportunités économiques.

Mme Raymonde Poncet Monge .  - Cette proposition de loi s'inscrit dans un mouvement de transformation profonde de notre rapport au travail lié au numérique. Les enquêtes de l'Organisation internationale du travail (OIT) montrent que l'aspiration à l'autonomie progresse chez les employés et motive une partie d'entre eux à se tourner vers les plateformes. Pour d'autres, il s'agit seulement de créer son emploi.

Exercer son activité de manière autonome, choisir son rythme de travail, ses horaires, voilà presque un idéal d'indépendance dont se réclament les plateformes, mais cette fiction est bien éloignée de la réalité : contrôle en temps réel de la course, opacité des tarifs, impossibilité de choisir son itinéraire, dépendance à l'algorithme.

Ces pratiques relèvent de la surveillance et du contrôle qui qualifient une subordination. En Grande-Bretagne, en Espagne, aux Pays-Bas ou au Portugal, des décisions de justice ont été rendues en ce sens. La Cour d'appel de Paris, en mars 2020, s'est aussi prononcée sur l'existence d'un lien de subordination susceptible de relever du salariat.

L'isolement du travailleur peut être utilement compensé par la possibilité d'actions collectives qui réduisent l'asymétrie avec les plateformes, quand le pouvoir de négociation est très défavorable au travailleur.

Le modèle des plateformes numériques n'est pas remis en cause par le salariat et le législateur doit rendre possible la lutte contre l'indépendance quand elle s'avère fictive. Le GEST est convaincu que pour répondre au désir d'autonomie, il faut surtout changer le travail ; mais c'est un autre combat... Nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE)

M. Dominique Théophile .  - Cette proposition de loi n'est pas la première sur le sujet ; elle a été précédée de deux autres textes, qui répondent au développement rapide de ce système de mise en relation numérique. Il est de notre responsabilité de faire évoluer le cadre juridique.

Les auteurs de la proposition de loi souhaitent étendre les actions de groupe aux procédures de requalification. Or cela ne répond pas à la diversité des situations - il y en a autant que de plateformes et de travailleurs - que les décisions de justice récentes prennent en compte.

De plus, la requalification n'est pas le souhait d'une majorité des travailleurs qui apprécient certains caractères de l'organisation de leurs activités.

La mission Mettling ne dit pas autre chose. Il faut privilégier le dialogue social et la concertation, mieux à même de faire émerger de nouveaux droits. L'ordonnance du 21 avril 2021 sur la représentation des travailleurs indépendants va dans ce sens.

Le texte réécrit aussi l'article L. 8221-6 du code du travail. Ce faisant, il exclut les travailleurs indépendants qui n'ont pas recours à l'algorithme.

En revanche, il convient que le cadre juridique entre travailleurs indépendants et plateformes évolue. La LOM a renforcé l'indépendance et le droit à la formation professionnelle de ces travailleurs. L'ordonnance du 21 avril crée aussi une autorité de régulation.

Ces progrès demandent du temps ; aussi le RDPI ne votera-t-il pas ce texte.

M. Henri Cabanel .  - Merci à Olivier Jacquin et au groupe SER de nous donner l'occasion de nous pencher sur ces plateformes, qui ont promis l'eldorado, avec des rémunérations alléchantes.

Mais la liberté a un prix et uberisation rime bien souvent avec précarisation : en l'espèce, travailler plus pour gagner moins. Comme l'a rappelé Jean-Yves Frouin dans son rapport de décembre dernier, les plateformes favorisent l'apparition d'une nouvelle classe de travailleurs précaires, reflet d'un modèle économique ultralibéral.

La protection des travailleurs indépendants est très insuffisante. Ils ne sont pas couverts par l'assurance chômage ni la branche accidents du travail et maladies professionnelles, ne cotisent pas pour la retraite et n'ont pas de complémentaire. Or n'a-t-on pas tous croisé des livreurs roulant à toute vitesse pour tenir les délais ?

Les algorithmes et leur opacité sont pointés du doigt. Les livreurs qui ne tiennent pas le rythme sont pénalisés, voire écartés. Comme le soulignait notre collègue Guylène Pantel, la technologie a évolué plus vite que notre droit.

La Cour de cassation, en 2018 puis en 2020, a estimé qu'il y avait bien subordination entre les travailleurs et les plateformes. L'ordonnance du 21 avril 2021 constitue une première étape. Mais à l'heure où l'Espagne leur reconnaît le statut de salariés de plein droit, il est temps d'offrir à ces travailleurs une protection, afin qu'ils ne deviennent pas « les prolétaires du XXIe siècle », selon les mots de Karim Amellal.

La majorité du RDSE votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, SER, GEST et CRCE)

M. Pascal Savoldelli .  - En juin 2020, notre groupe présentait une proposition de loi pour améliorer le statut des travailleurs des plateformes, les intégrer au code du travail, ouvrir leurs droits à la protection sociale et à la négociation collective. Tout le monde sait combien ils sont précaires. La Cour de cassation, par deux fois, les a reconnus comme des salariés déguisés.

Le Gouvernement se fait le VRP des plateformes. La ministre l'a confirmé cet après-midi. On a la chance de connaître sa méthode : des ordonnances présentées après-coup.

Le groupe SER s'était abstenu ; la droite sénatoriale, comme à chaque fois, avait préféré le statu quo. On ne fait rien. (Mme Frédérique Puissat le nie.)

Chers collègues socialistes, nous encourageons votre cheminement mais le contenu de ce texte me semble chaotique. Nous sommes favorables à la présomption de salariat prévue à l'article 2 - et pour cause, c'était notre idée. À l'article 3, relatif à la représentation de ces travailleurs, nous étions plus offensifs. En outre, vous évoquez des plateformes de mise en relation. C'est faux ! Il s'agit d'employeurs : elles doivent dès lors régler les cotisations sociales.

Je regrette le transfert du contentieux du juge prud'homal au juge judiciaire, qui n'aura pas la même lecture du droit des travailleurs. Il nous faut également être beaucoup plus clair sur la définition des algorithmes.

Avec beaucoup de réserves, nous voterons votre texte pour faire avancer la cause de ces salariés, déguisés et méprisés. (Applaudissements sur les travées des groupeCRCE, SER et GEST)

Mme Monique Lubin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Isaak, nouveau chef d'équipe de 130 000 travailleurs d'un millier d'entreprises dans plus de cent pays, mesure l'activité de ses collègues et leur productivité, en temps réel. Il est devenu le bras droit de milliers de managers qui peuvent ainsi attribuer une note aux employés. Isaak ne se soucie pas de régler son réveil pour le matin ni d'emmener ses enfants à l'école. En réalité, Isaak ne possède ni corps ni visage ; il n'a d'humain que le nom. C'est un algorithme, présenté abusivement comme un moyen de servir le bien-être des salariés en détectant les charges de travail excessives.

Nous imaginons tous les dérives qui peuvent découler de ce type d'outils de maximisation du rendement au détriment des conditions de travail. Ce contrôle fin de chacun sert la frénétique économie de l'individualisation, rompant avec la trajectoire historique de rééquilibrage des rapports de force entre travailleurs et employeurs, au péril des grandes luttes sociales.

Les plateformes ont transformé de nombreux secteurs d'activité. Elles ont certes offert de nouveaux services, mais au prix de la précarisation des travailleurs, séduits par des promesses et qui se retrouvent pieds et poings liés. Du jour au lendemain, leur compte peut être suspendu sans raison, alors que leurs droits sociaux sont presque inexistants et leur formation limitée. Ils n'ont plus que leurs yeux pour pleurer.

D'ici 2025, les plateformes devraient constituer la source principale de revenus de 500 millions de personnes. Il apparaît donc urgent de faire respecter les droits des travailleurs. Notre proposition de loi ne révolutionne pas les fondements de l'économie 2.0 mais elle garantit ces droits. On entend que certains seraient volontaires mais c'est trop souvent un miroir aux alouettes. Quand viendra le temps de la retraite, ils se retrouveront dans une extrême précarité.

Soutenons aussi les entreprises numériques qui proposent un modèle économique respectueux des travailleurs. Elles sont dépassées par les pratiques déloyales des concurrents qui recourent au dumping social sans plus se cacher.

Il est temps de contrer ce retour au tâcheronnage du XIXe siècle. Face aux dérives, la meilleure solution est celle du salariat. Agissons pour ces nouveaux esclaves du XXIe siècle. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Frédérique Puissat .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je salue Olivier Jacquin, le groupe SER et le rapporteur Jean-Luc Fichet et les remercie d'avoir travaillé sur ce sujet.

En janvier 2020, le rapport que j'ai présenté avec nos collègues Fournier et Forissier ne proposait pas du tout le statu quo, monsieur Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli.  - Quelle proposition de loi ?

Mme Frédérique Puissat.  - Nous estimions que la question du statut n'était pas prioritaire. Nous proposions d'étendre au-delà du salariat certaines garanties du code du travail, de prolonger la logique d'universalisation de la protection sociale et de remettre à plat les règles de la microentreprise. Il ne s'agissait nullement de laisser des situations inacceptables se développer.

Il n'y a pas, à gauche, les hommes et les femmes de coeur et, à droite ou au centre, les dangereux libéraux aveugles à toute dérive.

Mme Laure Darcos.  - Bravo !

Mme Frédérique Puissat.  - Le texte du groupe SER accable les plateformes alors qu'elles ont des pratiques très différentes en matière de protection sociale. Le manque de protection des travailleurs des plateformes est à nuancer.

Les demandes de requalification sont rares : beaucoup de travailleurs souhaitent conserver leur statut et l'appréciation doit se faire au cas par cas. L'action de groupe ne correspond pas à la réalité économique ni à une demande des travailleurs.

L'article 2 nous semble radical. La présomption s'appliqueraitposteriori sans que la plateforme sache quelle part des revenus la concerne.

Quant à l'article 3, sur la communication des algorithmes aux Conseils de prud'hommes, il me semble satisfait.

Notre groupe rejettera ce texte, d'autant que l'ordonnance du 21 avril sur la représentation des travailleurs indépendants devrait améliorer le dialogue social. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Ce sujet important mérite mieux que des caricatures. Il n'y a pas d'un côté ceux qui défendent les travailleurs et de l'autre ceux qui soutiennent aveuglément les plateformes.

Celles-ci ont créé de nouveaux services et de nouveaux emplois. Pour autant, nous ne pouvons nous satisfaire de la précarité de certains travailleurs. Nous en voyons dans l'espace public qui sont manifestement exploités. Il faut renforcer leurs droits tout en évitant une requalification massive en salariat. Notre chemin est de rétablir le rapport de force entre travailleurs et plateformes. Dans la loi d'orientation des mobilités (LOM), nous avons inscrit le droit à la déconnexion et au choix des courses par exemple.

La négociation collective devra proposer des avancées.

Il faut aussi améliorer la protection en matière d'accompagnement du travail et mieux sanctionner les abus. Encore une fois, évitons les caricatures ! (M. Martin Lévrier applaudit.)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

À la demande du groupe Les Républicains, l'article premier est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°127 :

Nombre de votants 330
Nombre de suffrages exprimés 312
Pour l'adoption   86
Contre 226

Le Sénat n'a pas adopté.

ARTICLE 2

M. Patrick Kanner .  - D'aucuns ont évoqué la caricature. Il est vrai, madame la ministre, qu'il est difficile d'être ministre de gauche dans un gouvernement de droite, mais c'est votre choix.

Avec cette proposition de loi, nous voulons alerter l'opinion. Ne vous en déplaise, nous avons le droit, au Parlement, d'imaginer d'autres solutions que les vôtres. Notre démarche aurait mérité un peu plus de compréhension.

Nous connaissons le sort de ce texte, mais nous continuerons à défendre ces travailleurs, qui sont des salariés dans les faits. Du reste, de plus en plus, la jurisprudence internationale nous donne raison.

La question de la liberté, souvent évoquée, concerne une extrême minorité de ces travailleurs.

Cette proposition de loi est une nouvelle pierre dans ce débat sur l'encadrement des plateformes.

M. Pascal Savoldelli .  - Ce n'est pas une question de caricature, madame la ministre. Je vous respecte, je respecte votre travail et votre parcours. Mais on ne peut confondre emploi et activité rémunérée.

Non, les plateformes ne créent pas d'emplois ! Les mots ont un sens. C'est justement pour cette raison que nous avons ce débat.

En quoi ces travailleurs sont-ils indépendants face aux algorithmes ?

Soyons humbles sur le sujet. J'ai eu de vifs débats avec ces travailleurs. Allons les voir ensemble, un représentant par groupe et vous-même, madame la ministre ! On verra s'ils ne veulent pas être protégés ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER)

M. le président.  - Monsieur Savoldelli, je vous rappelle une fois de plus au respect du temps de parole.

Mme Élisabeth Borne, ministre .  - Comme ministre du travail et de l'emploi, j'ai le sens des mots : emploi n'est pas synonyme de salariat. Beaucoup veulent être indépendants. Et je ne vous ai pas attendu, monsieur Savoldelli, pour discuter avec ces travailleurs.

M. Pascal Savoldelli.  - Quand ?

À la demande du groupe Les Républicains, l'article 2 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°128 :

Nombre de votants 330
Nombre de suffrages exprimés 327
Pour l'adoption 101
Contre 226

Le Sénat n'a pas adopté.

ARTICLE 3

M. Olivier Jacquin .  - Situation étrange, où la gauche est physiquement majoritaire (Mme Catherine Deroche le conteste.) mais minoritaire en raison de la procédure. Je remercie les membres de la majorité sénatoriale présents aujourd'hui, qui ont participé au débat, parfois vif mais encore heureux ! Car nous le voyons, nos positions sont très éloignées. Certains défendent les plateformes et d'autres les travailleurs. À chacun de choisir son camp.

Mme la ministre a annoncé saisir l'Inspection du travail, ce qui va dans le bon sens. Je l'en remercie. Mais il reste beaucoup à faire en matière de cotisations, de respect du RGPD notamment - car les données des travailleurs sont exploitées par les plateformes -, de loyauté des contrats, d'exercice du droit de concurrence.

Je ne vous ai pas caricaturée, madame la ministre, en expliquant que vous avanciez vers un tiers statut assorti de droits sociaux low cost, comme au Royaume-Uni, en Italie et en Espagne.

Bref, vous préparez l'émergence d'un nouveau prolétariat. Pour les travailleurs du clic, je comprends que vous attendiez une régulation européenne, mais pour les « GigaFactories », qui sont territorialisées, c'est bien le droit du travail français qui doit nous permettre de réguler. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

À la demande du groupe Les Républicains, l'article 3 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°129 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 340
Pour l'adoption 101
Contre 239

Le Sénat n'a pas adopté.

M. le président.  - Les articles de la proposition de loi ont été successivement supprimés. Un vote sur l'ensemble n'est pas nécessaire, puisqu'il n'y a plus de texte.

En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.

La séance est suspendue quelques instants.

Assistants maternels et salariés des particuliers employeurs (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à sécuriser les droits à protection sociale des assistants maternels et des salariés des particuliers employeurs, à la demande du RDPI.

Discussion générale

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État chargé des retraites et de la santé au travail .  - Cette proposition de loi est d'apparence technique, mais d'apparence seulement. Adoptée par l'Assemblée nationale le 18 mars, elle permet à 3,3 millions d'employeurs et à 1,3 million de salariés de voir leurs droits garantis avec des règles simples.

Je félicite la députée Annie Vidal pour son travail, qui a fait l'objet d'échanges constructifs avec mes services. Concernant les salariés de particuliers employeurs et les assistants maternels, des dispositifs de déclaration et de recouvrement ultra-simplifiés des cotisations ont été mis en place, les employeurs n'ayant pas les moyens administratifs des entreprises. Ces cotisations sont versées à une association paritaire nationale interbranches (APNI) qui redirige les cotisations vers l'Institution de retraite des employés de maison (Ircem). La déclaration de salarié se fait via le chèque emploi service universel (CESU) ou Pajemploi, dispositif qui permet aux particuliers de gérer l'emploi d'un salarié pour la garde d'enfant.

Cette simplicité est la meilleure garantie de la protection des salariés.

La fusion prévue entre le circuit des assistants maternels et ceux des salariés employeurs appelle des modifications pour renforcer la sécurité juridique.

Il n'est pas réaliste que chaque particulier choisisse un organisme de prévoyance. L'organisme unique est gage de simplicité. Mais le mandat explicite a été écarté par le Conseil constitutionnel. La proposition prévoit donc que l'APNI sélectionne par un appel d'offres l'organisme qui sera chargé de gérer la prévoyance.

Cette solution ménage les différentes contraintes et constitue un bon équilibre. Elle concilie simplicité pour les employeurs et garantie des droits pour les salariés.

Le Gouvernement appelle le Sénat à l'adopter.

M. Martin Lévrier, rapporteur de la commission des affaires sociales .  - Cette proposition de loi vise à sécuriser les droits à protection sociale des assistants maternels et des salariés des particuliers employeurs. La commission a adopté à l'unanimité ce texte attendu par les partenaires sociaux du secteur.

En France, 3,4 millions de particuliers emploient 1,4 million de salariés et assistants maternels.

La branche des assistants maternels s'est dotée d'une convention collective en 2004, les salariés de particuliers employeurs d'un accord collectif en 1999.

La forte instabilité, les changements fréquents d'employeurs et l'absence d'entreprises imposent que les déclarations de paiement soient simplifiées, ainsi que le recouvrement des cotisations.

Le groupe Ircem se voit reverser le produit des cotisations de prévoyance, mais les clauses de désignation ont été censurées par le Conseil constitutionnel en 2013 comme contraires à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre.

Désormais, des clauses de recommandation seront prévues, sans caractère contraignant pour les employeurs.

Après dix-huit mois de négociations, les partenaires sociaux se sont entendus sur une convention collective commune. L'APNI a été créée en 2018 pour coordonner les actions sociales, culturelles et de formation professionnelle. Avec ce texte, elle désignera par un appel d'offres respectant les règles de la concurrence l'organisme devant gérer leur prévoyance.

Ce texte sécurise l'unification des circuits de recouvrement. L'APNI reste une instance d'exercice indirect des droits des particuliers employeurs et des salariés, mais elle est nécessaire au regard de la pluralité des acteurs du secteur.

Le texte sera applicable au 1er janvier 2022, en même temps que la convention collective unifiée. Son adoption est nécessaire dans la perspective de la création de la future branche unifiée. Chacun des acteurs que j'ai entendus en audition me l'a confirmé.

La commission vous invite à adopter sans modification. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du GEST)

Mme Michelle Meunier .  - Ce texte inscrit dans la loi le fruit d'un dialogue social de dix-huit mois. Il n'est pas seulement technique : il concerne plus de 3 millions d'employeurs et 1,3 million de salariés et d'assistantes maternelles - j'utilise le féminin, car 98 % d'entre elles sont des femmes.

Nous nous intéressons aux métiers dits de deuxième ligne, appelés à être revalorisés. Ils répondent à l'aspiration grandissante des Français à vieillir à domicile et à mieux articuler temps familiaux et professionnels. Ces travailleuses et travailleurs relèveront désormais d'une convention fusionnée.

Atomisé, ce secteur se caractérise par la nécessité pour les salariés de cumuler employeurs et lieux de travail. Nous devons rester fidèles à l'esprit de la négociation pour sécuriser les droits des salariés de la nouvelle convention.

Nous voterons ce texte pour confirmer le nouveau dispositif, tout en restant vigilants sur les coûts de fonctionnement et lucides sur les lacunes qui subsistent pour mieux protéger ces métiers. Je pense notamment à la santé au travail et aux impayés de salaires dont la garantie doit être mutualisée et abondée par l'État. La durée quotidienne du travail est souvent très allongée, entre l'arrivée du premier enfant le matin et le départ du dernier le soir. La possibilité pour une assistante maternelle d'accueillir un ou une stagiaire doit aussi être reconnue.

Nous devons oeuvrer à rendre ces métiers plus attractifs dans la perspective d'une société de l'attention et du soin. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE ; M. Bernard Buis applaudit également.)

Mme Béatrice Gosselin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le métier d'assistant maternel s'est professionnalisé au fil du temps. La loi du 12 juillet 1992 a établi un véritable statut et le décret du 27 mai a fixé les bases de la rémunération et de la formation.

Dans ce secteur, les employeurs sont multiples, ce qui est source d'instabilité pour les salariés.

Les mécanismes sont simplifiés s'agissant d'employeurs souvent non professionnels, d'où un mécanisme de déclaration et de paiement adapté. C'est le sens du CESU et de Pajemploi.

Le 13 juin 2013, le Conseil constitutionnel a jugé que la clause de désignation privait l'employeur du libre choix de l'organisme de prévoyance. Mais cela induit un risque de fragmentation de la protection sociale des salariés. Lancée en 2015, une réforme générale de la structuration des branches a débouché sur la création d'une branche unifiée. Après dix-huit mois de négociations, une convention collective commune a été négociée. Elle confie la gestion de la prévoyance à l'APNI qui désignera un organisme de prévoyance par appel d'offres.

L'article 8 du texte unifie explicitement le recouvrement des cotisations des deux secteurs, et désigne l'APNI comme organisme recouvreur. Ainsi est conservé un collecteur unique, qui reverse aux organismes assureurs en respectant les exigences du Conseil Constitutionnel.

Le groupe Les Républicains votera ce texte, qui sécurise et rend ces professions plus attractives, dans l'attente du projet de loi sur le grand âge. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Colette Mélot .  - Le secteur de services à la personne ne connaît pas la crise. L'accompagnement des seniors connaît une hausse de 25 % depuis l'an dernier. Les soins à domicile sont préférés aux Ehpad.

Mais le secteur a des difficultés structurelles de recrutement et un fort taux de travail dissimulé.

Aussi, cette proposition de loi comporte des avancées concrètes pour renforcer l'accès aux droits dans un secteur appelé à se développer.

Le recouvrement des cotisations sociales complémentaires est effectué par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) et la Mutualité Sociale Agricole (MSA) qui en reverse le montant à l'Ircem.

Respectivement créés en 2004 et 2006, Pajemploi et le CESU ont facilité les démarches administratives et limité les fraudes. La loi de finances initiale pour 2017 a renforcé ce mouvement en établissant le prélèvement à la source.

Le circuit du recouvrement reposait sur deux conventions collectives distinctes pour les assistants maternels et les salariés des particuliers employeurs.

Une réforme des branches professionnelles a été engagée en 2015 afin de les harmoniser, dans l'objectif de passer de 900 à 200 branches. Dans ce cadre, dès 2018, la fusion des branches des assistants maternels et salariés des particuliers employeurs a été engagée ; pour cela, il fallait harmoniser le cadre juridique en intégrant l'ANPI dans le circuit de recouvrement.

Le groupe INDEP votera ce texte ; il faudra aller plus loin pour faciliter le recrutement de ces professionnels, notamment en revalorisant les salaires et en développant la formation professionnelle.

Mme Raymonde Poncet Monge .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Cette proposition de loi se présente comme un ajustement technique, dans le contexte de la convergence des branches des assistants maternels et salariés des particuliers employeurs, en faisant droit à l'interdiction de désignation d'office d'un assureur destinataire des cotisations.

Mais en matière de prévoyance, ce droit au libre choix par les employeurs était inapplicable au vu des 3,4 millions d'employeurs : chaque salarié a 2,7 employeurs en moyenne et il y a un fort turn over.

La branche a donc créé un outil paritaire pour attacher des droits sociaux non au contrat de travail, mais au salarié lui-même. C'était l'objet de l'APNI, créée en décembre 2018 pour opérer au nom des 3,4 millions d'employeurs via le CESU ou Pajemploi.

L'ouverture à la concurrence pour le choix de l'organisme de recouvrement a été assurée mais avec des modalités dérogatoires.

L'intégration de l'APNI dans le circuit de recouvrement était urgente ; le GEST votera le texte en l'état, mais aurait voulu l'ajout dans l'intitulé du terme « assistantes maternelles », au féminin, le métier étant exercé à 97 % ou 98 % par des femmes.

Nous aurions aussi aimé créer un fonds de garantie des impayés de salaires doté du super privilège.

Si grâce à l'APNI, la formation professionnelle est devenue un droit effectif et la médecine du travail le deviendra demain, le retard est grand pour ce secteur en matière de salaire et de valorisation.

Ces métiers essentiellement féminins doivent être reconnus à l'aune de leur utilité sociale. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)

M. Bernard Fialaire .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Les 320 0000 assistants maternels pour un million d'employeurs et les 1,3 million de salariés de particuliers employeurs - lesquels sont 3,4 millions l- assurent des tâches très diverses : garde d'enfants, entretien du domicile, soins aux personnes dépendantes ou handicapées, cours particuliers... Ils jouent un rôle très important pour le lien social dans nos territoires et pour le maintien à domicile. Or ils restent mal valorisés !

Assistants maternels et salariés des particuliers employeurs sont couverts par deux conventions collectives spécifiques, jusqu'à leur réunion prochaine qui nivellera leurs droits par le haut.

Cela implique une adaptation du circuit de recouvrement des cotisations sociales - le secteur paie chaque année 9 milliards d'euros de salaires - en centralisant la collecte auprès d'un opérateur unique.

Ce texte confie la gestion du régime de protection sociale complémentaire à un organisme, l'ANPI, dans un circuit adapté à l'atomicité et à la précarité des acteurs du secteur.

Le RDSE votera ce texte, mais il reviendra à la loi Grand Âge de répondre aux grandes attentes du secteur, notamment une meilleure information sur les droits et le maintien des revenus lors des fins de missions.

Pour ces « intermittents du social », c'est un glissement du système Bismarckien vers le système Beveridgien reposant sur tous les revenus et non les seuls revenus du travail qui serait nécessaire. Encore un effort, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées du RDSE)

Mme Laurence Cohen .  - La pandémie a mis en valeur le rôle des salariés à domicile. Le métier est pourtant peu valorisé. 17 % des aides à domicile, majoritairement des femmes, vivent en dessous du seuil de pauvreté, à cause d'horaires fractionnés, de contrats courts et de sous-traitance en cascade notamment. Cela a des conséquences évidentes sur leur vie familiale et sur leur santé.

L'intitulé de la proposition de loi participe de l'invisibilité notoire des femmes en parlant d'assistants maternels, alors que 98 % d'entre eux sont des femmes. Si la crise a rappelé leur utilité, il y a urgence à mieux rémunérer ces activités à forte valeur ajoutée sociale.

La centralisation des cotisations des assistantes et assistants maternels est saluée par les organisations patronales et syndicales.

Dans dix ans, la France comptera 21 millions de personnes de plus de 60 ans. Or les aides à domicile, avec un salaire moyen de 900 euros nets, restent désociabilisées.

Brigitte Bourguignon a annoncé une réévaluation de 300 euros par mois d'ici à octobre, mais elle ne concerne que le secteur associatif, soit la moitié des professionnels. Les autres se sentent oubliés.

Il incombe au Gouvernement d'accompagner des négociations en ce sens dans le privé et de revaloriser le point d'indice dans le public. Les primes exceptionnelles laissées à la discrétion des employeurs ne sont pas une solution.

Une ordonnance du 19 mai sur les services aux familles, avec un guichet unique, doit s'accompagner d'un renforcement des moyens de développement et de la branche famille.

Nous avons hâte de retrouver le pendant financier de ces mesures dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, monsieur le ministre...

En attendant, le groupe CRCE votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST et RDPI)

Mme Élisabeth Doineau .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le 26 mars, les partenaires sociaux des branches salariés des particuliers employeurs et assistants maternels, soit cinq organisations syndicales sur six, ont mis en place une convention collective nationale unique qui entrera en vigueur au 1er janvier prochain. Elle concerne 3,4 millions d'employeurs et 1,4 million de salariés dont 340 000 assistants maternels. En Mayenne, il y a 18 000 employeurs et 6 150 salariés.

La grande majorité des assistants maternels sont des femmes ; nous aurions pu mettre notre texte au féminin, même si ce n'est pas encore la règle grammaticale qui s'applique...

Ce texte unifie le recouvrement des cotisations et simplifie les démarches des particuliers employeurs, en préservant les droits des salariés.

C'est un premier pas vers la reconnaissance due aux métiers du lien et de l'accompagnement.

Lors du dernier confinement, les assistantes maternelles ont été laissées dans le flou pendant quelques jours sur le maintien de leur activité, c'est assez désinvolte... Elles ont ensuite travaillé la peur au ventre et ont joué un rôle essentiel pour la garde d'enfants des professions prioritaires.

Rappelons aussi le rôle pivot des salariés des particuliers employeurs dans le maintien à domicile, alors qu'ils sont en général à temps partiel, avec un risque plus général d'accident, de maladie professionnelle, une grande fragilité économique de leurs employeurs.

Le rapport El-Khomri de 2019 a révélé des besoins en forte hausse. En 2025, il y aura un million de personnes âgées supplémentaires, dont 100 000 en perte d'autonomie. Il faudra former 260 000 professionnels entre 2020 et 2024 pour remplacer les départs à la retraite et créer les 93 000 postes supplémentaires nécessaires. Cela donne le vertige, d'autant que le nombre de salariés à domicile diminue de 1 % chaque année : il y aura 700 000 départs à la retraite d'ici à 2030.

La loi sur le grand âge - qui vient d'être renommée « loi sur les générations solidaires » ne peut être repoussée plus longtemps. Je me réjouis que Mme Bourguignon ait paru très mobilisée lors de son audition.

L'accord du 19 décembre 2019 a créé l'APNI, qui renforce l'accès à la formation des salariés concernés, ce qui est tout à fait bienvenu. La prime de départ à la retraite, l'accès à des activités sociales et culturelles participent de l'attractivité de ces métiers.

Ce texte de sécurisation des droits et de simplification appelle à l'examen de la loi Grand Âge, que le groupe UC aimerait voter avant la fin du quinquennat. Ces métiers méritent une loi à la hauteur de leur engagement. (Applaudissements)

M. Dominique Théophile .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Cette proposition de loi a été votée à l'unanimité à l'Assemblée nationale le 18 mars. Elle s'insère dans la restructuration des branches professionnelles engagée depuis 2015.

Un nouvel accord collectif a été signé le 26 mars pour unifier les branches assistants maternels et salariés des particuliers employeurs au 1er janvier 2022. L'article unique du texte s'inscrit dans cette démarche, s'agissant des modalités de recouvrement des cotisations sociales, dans le respect du droit de la concurrence.

Quelque 56 % des salariés des particuliers employeurs ont au moins deux employeurs. Ainsi, pour préserver la simplicité des démarches, un nouveau circuit de collecte au titre de la protection sociale complémentaire est créé.

Le CESU ou Pajemploi peuvent être actualisés pour déclarer les cotisations versées à l'APNI.

Court et technique, ce texte n'en est pas moins très important pour les salariés concernés.

Les assistants maternels sont de loin le premier mode de garde des jeunes enfants : ils accueillent 60 % des enfants de moins de trois ans. On mesure aussi chaque année le rôle croissant de l'aide à domicile, notamment dans les outre-mer.

Les femmes représentent 90 % des salariés des particuliers employeurs et 97 % des assistants maternels. Conscient de la qualité du texte et de l'accueil très favorable des organisations du secteur, la commission des affaires sociales a voté ce texte conforme.

Le groupe RDPI le votera lui aussi. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Guillaume Chevrollier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cette proposition de loi assez technique sécurise les droits à protection sociale des assistants maternels et des salariés des particuliers employeurs. Leurs missions sont variées, mais leurs métiers sont mal rémunérés et insuffisamment valorisés alors qu'ils sont irremplaçables, nous l'avons vu pendant la crise sanitaire.

Le secteur comprend plus de 1,3 million de salariés et 3,4 millions d'employeurs. Il pèse 9 milliards d'euros de salaires nets versés et 3 milliards d'euros de cotisations en 2019.

Ce texte sécurise le circuit de recouvrement des cotisations pour le financement des garanties de protection sociale complémentaire.

L'APNI deviendra le collecteur unique. Il reviendra à la branche de sélectionner l'organisme assureur.

Du fait du vieillissement de la population, les besoins d'accompagnement des personnes à domicile vont augmenter considérablement dans les dix prochaines années. Or chaque année, le secteur perd 1 % de ses effectifs, et l'âge moyen est supérieur à celui de la population active. Avec 700 000 départs à la retraite d'ici 2030, les besoins en recrutement sont considérables.

Quelle place souhaitons-nous donner à ces professionnels, dans un contexte de baisse de la natalité, imputable en partie au démantèlement de la politique familiale sous François Hollande ? Nous avons besoin d'une politique familiale ambitieuse : il faut relever le plafond du quotient familial, créer des structures d'accueil des plus petits, sortir les assistantes maternelles de la précarité. En temps de crise, la famille, cellule de base de la société, est le meilleur des boucliers !

Ce texte représente un premier pas ; le groupe Les Républicains le votera. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur le banc de la commission)

La discussion générale est close.

L'article unique est adopté.

La proposition de loi est définitivement adoptée.

(Applaudissements sur de nombreuses travées)

Accès à certaines professions des personnes ayant une maladie chronique

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à améliorer l'accès à certaines professions des personnes atteintes de maladies chroniques à la demande du groupe RDPI.

Discussion générale

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État chargé des retraites et de la santé au travail .  - Nul ne peut faire l'objet d'une discrimination, directe ou indirecte, en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, garantit le code du travail. Pourtant, une partie de nos concitoyens vivent des discriminations sur le marché du travail en raison de leur état de santé.

Selon l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), un à deux millions de salariés, soit 5 % à 10 %, risqueraient une désinsertion professionnelle en raison d'une maladie chronique. Et le nombre de personnes atteintes de maladies chroniques devrait passer de 15 % de la population active à 25 % en 2025...

À l'épreuve de la maladie s'ajoutent les difficultés d'accès à l'emploi ou de maintien en emploi - refus d'embauches, d'aménagements raisonnables... Il en résulte parfois une sortie anticipée du marché du travail. Ainsi, un tiers des personnes atteintes d'un cancer perdent ou quittent leur emploi dans les deux ans suivant le diagnostic.

Ce sentiment de discrimination touche particulièrement les 3,3 millions de personnes diabétiques. Face à cette situation, il nous appartient de faire appliquer l'égalité des droits.

Ce texte propose une première réponse, avec une évaluation des textes qui encadrent l'accès au marché du travail pour identifier les restrictions d'accès qui n'ont parfois plus lieu d'être au vu des progrès thérapeutiques.

Dans la fonction publique, des conditions spécifiques d'aptitude physique sont imposées aux militaires et policiers, aux sapeurs-pompiers, aux douaniers et surveillants pénitentiaires. Des restrictions sont aussi prévues dans le domaine des transports, pour le personnel navigant, le contrôle aérien, la sécurité ferroviaire ou l'aviation civile. Souvent, elles découlent du droit européen et s'imposent donc en l'état. D'autres découlent du droit national.

Comme il l'a fait à l'Assemblée nationale, le Gouvernement apporte son soutien à cette proposition de loi qui permettra de dresser un état du droit et des connaissances sur les restrictions applicables. Certaines auront vocation à perdurer, d'autres apparaîtront comme obsolètes.

Je salue le travail de la rapporteure de l'Assemblée nationale, Mme Agnès Firmin Le Bodo. À l'initiative de votre rapporteur Xavier Iacovelli, dont je salue l'engagement, la commission des affaires sociales du Sénat y a apporté plusieurs modifications. Durée de vie du comité d'évaluation, parité de ses membres, remise du rapport au Parlement, suppression de la campagne de communication : nous sommes favorables à ces propositions.

Déjà, l'Assemblée nationale avait élargi le périmètre du texte du seul diabète à toutes les maladies chroniques.

M. René-Paul Savary.  - Très bien.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État.  - Vous y incluez toutes les personnes connaissant un problème de santé : nous vous rejoignons, mais il faudra apporter une attention particulière aux diabétiques, qui ont exprimé de fortes attentes.

L'article 2 a été profondément modifié. Votre rédaction cible le critère de proportionnalité - or le code du travail et le droit européen précisent que les différences de traitement doivent être objectives, nécessaires et appropriées : ces différents critères continueront à s'appliquer.

Nous nous retrouvons sur l'objectif et soutenons ce texte.

M. Xavier Iacovelli, rapporteur de la commission des affaires sociales .  - « Comment imaginer, en 2021, que je ne puisse être cuisinier dans l'armée, moniteur d'équitation, linguiste, brancardier, agent de restauration, géographe, mécanicien, maitre-chien, magasinier ou contrôleur de train ? Quel expert fou a pu imaginer que la couleur d'un uniforme pouvait augmenter les risques liés à nos pathologies ? »

Ce sont les mots d'Hakaroa Vallée, 16 ans, devant notre commission le 11 mai dernier. Ce jeune homme diabétique de type 1 mène depuis trois ans un combat formidable pour montrer l'absurdité de ces discriminations. Il se trouve en tribune ; je le salue, car ce texte lui doit beaucoup.

Il n'est pas seul : ils sont 20 millions de Français à subir cette double peine, à ne pouvoir réaliser leurs rêves. En Irlande, au Canada, au Royaume-Uni ou aux États-Unis, on peut être diabétique et pilote de ligne. En Espagne, le diabète a même été supprimé de la liste des maladies empêchant de postuler à un emploi public.

Je remercie mon groupe d'avoir inscrit ce texte à notre ordre du jour.

Nous sommes souvent interpellés, dans nos territoires, sur des discriminations fondées sur l'état de santé. En 2020, celles-ci ont motivé plus de 11 000 saisines du Défenseur des droits.

Selon le Conseil économique social et environnemental (CESE), les maladies chroniques toucheront 25 % de la population en 2025. L'inclusion de ces personnes est donc un enjeu incontournable du monde du travail.

Or certains emplois, notamment publics, sont soumis à des conditions particulières d'aptitude qui ne sont pas toujours justifiées. Les associations luttent pour que l'on tienne compte de l'état réel de la personne et des traitements existants, comme les pompes à insuline qui permettent d'éviter les malaises. Je salue leur engagement, notamment celui de la fédération française des diabétiques, et remercie notre collègue députée Agnès Firmin Le Bodo, à l'initiative de ce texte.

En tant que rapporteur, j'ai souhaité en renforcer la portée normative. Le comité d'évaluation des textes créé à l'article premier n'est pas de niveau législatif ; la commission a adopté plusieurs amendements, notamment pour limiter sa mission à trois ans et supprimer la présence de parlementaires en son sein.

Nous avons réécrit l'article 2 pour mieux encadrer les restrictions admises en rappelant le principe de proportionnalité. Les conditions de santé exigées doivent être justifiées par la santé et la sécurité de la personne ou des tiers. Nous avons aussi souhaité la prise en compte des traitements possibles et des moyens de compensation du handicap. La liste des restrictions devra être réévaluée régulièrement, au regard de l'évolution de la science et des emplois.

La demande de rapport à l'article 3 a été supprimée, tout comme la campagne d'information prévue à l'article 4. Je n'étais pas favorable à cette suppression, mais nous y reviendrons.

Le Gouvernement est mobilisé sur le sujet, et une mission de l'IGAS a été lancée en avril dernier. Des engagements clairs doivent être pris ; cette proposition de loi en est l'occasion.

C'est de notre pacte social dont il est question ; envoyons un message fort aux 20 millions de concitoyens victimes de discriminations, aux associations, et aux jeunes comme Hakaroa qui rêvent de pouvoir choisir librement leur avenir. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du GEST)

M. Christian Klinger .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) « Fais de ta vie un rêve et de tes rêves une réalité », disait Saint-Exupéry. Mais des réglementations obsolètes interdisent à nombre de nos concitoyens de réaliser leurs rêves.

Justin, jeune homme de 23 ans de mon département, rêve depuis l'enfance de devenir contrôleur aérien. Il allait être diplômé de l'École nationale de l'aviation civile (ENAC) en juillet 2021, mais il a été diagnostiqué diabétique de type 1 et déclaré inapte par son école. C'est la double peine ! J'ai demandé à la Direction générale de l'Aviation civile une évaluation médicale spécifique, mais elle m'a opposé un décret datant de 1990. L'Absurdistan dans toute sa splendeur !

Pourtant, en trente ans, beaucoup de choses ont changé pour les diabétiques grâce à la pompe à insuline et à l'auto-surveillance glycérique. La médecine a progressé, la réglementation doit évoluer en parallèle !

Bien sûr, certaines restrictions restent légitimes mais beaucoup de ces métiers sont compatibles avec le diabète. Les États-Unis, le Canada, l'Irlande, le Royaume-Uni acceptent les pilotes de ligne diabétiques.

Nous ne pouvons rester les derniers de la classe, surtout quand le diabète touche 5 % de la population.

Je salue donc cette proposition de loi que notre groupe soutient. Nous serons très attentifs à son application concrète. Nous devons ce travail à nos concitoyens atteints de maladies chroniques. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur le banc de la commission)

Mme Colette Mélot .  - Le 3 octobre 2018, le tribunal administratif de Strasbourg annulait le rejet de la candidature de la championne du monde de karaté au métier de gardien de la paix pour inaptitude physique.

Qu'ils soient diabétiques, asthmatiques ou atteints d'une affection médicale évolutive, plus de dix millions de Français ne pourront jamais réaliser leur rêve de devenir hôtesse de l'air, conducteur de train, contrôleur aérien, pompier ou militaire. Selon l'Assurance maladie, jusqu'à 20 millions de personnes pourraient être concernées !

Cette disqualification a priori semble désormais disproportionnée et discriminatoire, tant les traitements des maladies chroniques ont progressé ces dernières années.

Les associations de personnes diabétiques comme le jeune Hakaroa Vallée ont oeuvré à sensibiliser le Parlement. Cette proposition de loi, portée par la députée Agnès Firmin Le Bodo, est le fruit d'une volonté collective.

L'Assemblée nationale l'a étendue à l'ensemble des maladies chroniques, comme le préconisait le Défenseur des droits.

De nombreux pays ont déjà avancé. L'Espagne autorise ainsi l'accès à l'armée et à la police aux personnes diabétiques ou atteintes du VIH, de la maladie coeliaque ou de psoriasis. Les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni et l'Irlande ouvrent les métiers de l'aviation civile aux diabétiques, sur la base d'un examen au cas par cas.

Notre commission des affaires sociales a renforcé la portée normative du texte, tout en prévoyant une actualisation régulière des restrictions afin de tenir compte des avancées médicales. L'objectif est d'élargir l'employabilité des personnes atteintes de maladies chroniques, dans le respect des impératifs de sécurité imposés par certaines professions.

Le groupe INDEP votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur le banc de la commission)

Mme Raymonde Poncet Monge .  - Le GEST votera cette proposition de loi comme tout texte permettant de lutter contre les discriminations. Merci au RDPI de l'avoir inscrit à l'ordre du jour.

Selon les associations, des textes réglementaires limitent l'accès à certains métiers de façon disproportionnée, donc discriminatoire. Ainsi, la révision du référentiel d'aptitude physique et médicale dit Sigycop qui conditionne l'accès à l'armée, la police et la gendarmerie, tarde, alors qu'une mission d'information de l'Assemblée nationale recommande une révision relative au VIH.

En matière de diabète, les soins évoluent, ce qui implique une actualisation régulière des référentiels pour éviter leur obsolescence.

Le contrôle de l'aptitude doit s'évaluer individuellement, au cas par cas. C'est ainsi que l'on fera reculer les préjugés.

C'est d'autant plus nécessaire que les maladies chroniques comme le diabète sont qualifiées de maladies du siècle. Je saisis l'occasion pour appeler le Gouvernement à soutenir les initiatives de l'OMS pour une meilleure transparence des coûts de production de l'insuline, dont le brevet a été cédé il y a cent ans pour un dollar symbolique et que trois géants pharmaceutiques, dont Sanofi vendent un prix élevé, s'assurant une rente de situation, sans pour autant financer la recherche...

La crise de la covid l'a montré : nous ne pouvons laisser aux acteurs privés, obnubilés par la rentabilité immédiate, la réponse aux besoins de santé publique. Je me réjouis que la France se soit associée à une résolution de l'OMS sur l'accès à l'insuline.

En attendant un pôle public du médicament, le GEST votera cette proposition de loi. (Applaudissements à gauche)

M. Bernard Fialaire .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Cette proposition de loi vise à favoriser l'inclusion professionnelle des 20 millions de personnes atteintes d'une maladie chronique, dont 4 millions de diabétiques. Un quart de la population active pourrait être concerné en 2025.

Une série de métiers sont interdits aux porteurs de ces maladies, comme celui de militaire, de pilote de ligne, de sapeur-pompier ou d'hôtesse de l'air, en vertu de référentiels établis à une époque où les traitements lourds le justifiaient. Mais des réglementations en la matière sont devenues obsolètes, du fait des progrès thérapeutiques.

Ces malades mènent deux combats : contre la maladie et contre les discriminations. Le législateur doit moderniser cette réglementation devenue source d'injustice en instaurant une évaluation au cas par cas de l'aptitude des candidats.

La commission a prévu que toute restriction à un emploi sur cette base doit être strictement proportionnée aux risques pour la personne et les tiers. Certaines restrictions sont légitimes. Un comité sera chargé de recenser les textes concernés dans un délai de trois ans.

Mettons un terme à ces discriminations en votant cette indispensable proposition de loi, que la commission a rendue plus rigoureuse et plus équilibrée. (Applaudissements)

Mme Laurence Cohen .  - (Applaudissements à gauche) Cette proposition de loi s'inscrit dans la continuité de la pétition lancée en 2016 par la Fédération française du diabète, du dépôt d'une proposition de loi transpartisane en 2018 et de l'adoption d'une résolution à l'Assemblée nationale. Mme Gréaume a relayé les difficultés rencontrées par les personnes diabétiques durant la pandémie.

En France, 3,3 millions de personnes sont traitées pour un diabète, soit 5 % de la population, avec des inégalités sociales et territoriales marquées.

Leur situation est partagée par les personnes souffrant d'autres pathologies chroniques et évolutives. Comment accepter qu'un militaire atteint du VIH soit exclu de la marine nationale car déclaré inapte par le service de santé des armées, sans que ses capacités réelles soient prises en compte ?

Les outils thérapeutiques ont évolué, mais pas les textes réglementant l'accès à certaines professions. Une évaluation au cas par cas est indispensable.

Marisol Touraine, alors ministre de la Santé, souhaitait en 2017 que les conditions d'aptitude soient revues ; en 2019, Agnès Buzyn avait également pris des engagements. Malgré ces belles promesses, les textes interdisant l'accès à certaines professions demeurent.

Il y a urgence à passer des paroles aux actes, alors que les maladies chroniques pourraient concerner 25 % de la population active en 2025 ! Il s'agit avant tout d'un combat contre la discrimination et pour la justice.

Nous voterons cette proposition de loi enrichie par le rapporteur, en souhaitant que le Gouvernement l'accompagne d'un engagement à agir pour une meilleure inclusion, dans l'esprit du propos liminaire de monsieur le secrétaire d'État. (M. le secrétaire d'État opine ; applaudissements sur les travées du RDPI et du GEST)

Mme Nadia Sollogoub .  - Le brillant Hakaroa Vallée a entrepris un combat courageux pour faire bouger les lignes autour de sa pathologie. Je l'ai rencontré lors de son passage au Sénat, et il m'a beaucoup impressionnée. Il est déterminé à aller au bout de son combat pour la justice.

De fait, les listes de pathologies permettant de refuser l'accès à certaines professions, discutables sur le principe, ne sont pas réactualisées en fonction des progrès thérapeutiques ou de l'évolution des conditions de travail. L'État est le principal recruteur à pratiquer cette forme de sélection, source d'injustices voire d'incohérences.

Faut-il qu'un lycéen cogne à notre porte, avec son culot insensé, pour que nous ouvrions les yeux sur une injustice ? Pas de quoi être fier. On dit aux jeunes de briser le plafond de verre, mais on inscrit dans le marbre des réglementations d'un autre âge. Je comprends la colère d'Haka.

Les traitements évoluent et de nouvelles pathologies émergent - burn-out, Covid long - qui ne figurent pas dans les référentiels d'antan. Un être humain n'est pas réductible à une maladie. Bref, le référentiel doit être révisé.

Le groupe UC votera ce texte sagement aménagé par le rapporteur, même s'il est plus déclaratif que normatif. C'est au Gouvernement de s'emparer de ces listes, de les adapter, en évitant l'écueil de l'ultra-précaution, du giga-parapluie si tendance....

Comme le dit Haka, ce n'est pas parce qu'il y a eu le docteur Petiot qu'il faut refuser tous les médecins dans la fonction publique ! Ou, pour citer le Petit prince, « c'est une folie de haïr toutes les roses parce qu'une épine vous a piqué »...

Personne ne doit être confronté à un rejet a priori, sans examen de sa situation particulière. D'autant que ceux qui se savent malades se surveillent, ce qui minore le risque. Va-t-on, au nom du principe de précaution, soumettre tous les fonctionnaires à analyse médicale approfondie ? Que ne risquerait-on de découvrir !

Attention aux immenses espoirs qui vont naître : monsieur le ministre, il ne faut pas les décevoir ! Il faut faire évoluer les référentiels, et ce régulièrement, sans attendre qu'un autre lycéen génial vienne un jour nous demander pourquoi un champion de karaté ne peut pas être gardien de la paix... (Applaudissements sur plusieurs travées des groupes UC, Les Républicains et RDPI)

M. Bernard Jomier .  - Cette proposition de loi traite, au fond, de la façon dont notre société considère les personnes atteintes d'une maladie chronique.

En 2019, le Gouvernement s'était engagé à faire évoluer le Sigycop. Nous attendons toujours... Plus de 20 millions de personnes souffrent d'une maladie chronique, dont plus de 3 millions de diabétiques. Elles sont écartées de professions que les avancées thérapeutiques ont pourtant rendues tout à fait praticables pour des personnes souffrant de diabète, mais aussi d'épilepsie ou de maladies rhumatologiques.

La médecine avance, la loi traîne. L'interdiction systématique doit laisser la place à des évaluations individualisées.

De nombreuses mesures sont d'ordre réglementaire ; d'où notre amendement pour distinguer le législatif et le réglementaire.

Les règles d'accès à certaines professions relèvent du droit européen - c'est le cas de l'aviation civile, des gens de mer ou de la sécurité ferroviaire.

Fondamentalement, ce texte interroge la place de la différence dans le monde du travail. L'obligation d'emploi de 6 % de personnes en situation de handicap date de 1987, mais n'a pas eu les effets espérés. Le handicap qui survient au cours de la vie, soit 80 % des cas, entraine souvent des mécanismes d'exclusion et de désinsertion professionnelle progressive. Pourtant, de très nombreuses personnes en situation de handicap sont en mesure de travailler, et le souhaitent. Elles doivent pouvoir avoir une carrière professionnelle comme tout un chacun.

Il faut poursuivre la simplification dans l'accès à l'information et aux aides, développer les dispositifs de formation initiale et continue adaptés. À ce titre, l'augmentation du nombre d'apprentis handicapés est à saluer.

Le Défenseur des Droits a rappelé que l'état de santé reste le principal motif de discrimination dans l'emploi : nous attendons une politique volontariste ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et RDPI)

M. Dominique Théophile .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) La proposition de loi d'Agnès Firmin Le Bodo a été adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 30 janvier 2020. Les députés l'ont élargie au-delà des seules personnes diabétiques à l'ensemble des maladies chroniques.

Une réflexion globale s'impose sur la situation des 20 millions de Français atteints par une maladie chronique.

Le Gouvernement n'est pas resté les bras croisés ces dernières années. Mais la France continue d'accuser un retard. Cette proposition de loi accélérera les évolutions nécessaires.

Elle permettra une identification rapide des règles obsolètes ou incohérentes. Le principe de l'appréciation au cas par cas est affirmé. Nous saluons ces avancées et le travail du rapporteur pour aboutir à un texte consensuel et efficace.

Je proposerai néanmoins de rétablir l'article 4 qui prévoyait une campagne de communication publique sur le sujet, particulièrement nécessaire en Outre-mer où le diabète est un drame.

Le RDPI votera cette proposition de loi avec enthousiasme. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, UC et INDEP)

Mme Céline Boulay-Espéronnier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Un quart des Français actifs auront une maladie chronique en 2025. Les discriminations qui les frappent sont une double peine.

En 2020, le Défenseur des droits a comptabilisé 11 000 saisines au motif d'une discrimination en raison de l'état de santé. La Fédération française des diabétiques dénonce une réglementation obsolète, déconnectée des progrès thérapeutiques.

Pourquoi peut-on être pilote de ligne et diabétique au Canada et au Royaume-Uni mais pas en France ? Pourquoi, malgré l'existence de pompes à insuline de nouvelle génération, les diabétiques sont-ils exclus de la police ? Oui, il y a certaines restrictions légitimes pour des impératifs de santé ou de sécurité, mais cette proposition de loi est un grand pas vers l'inclusion des plus vulnérables dans l'emploi.

Les amendements du rapporteur ont remédié aux imprécisions du texte de l'Assemblée nationale afin d'en assurer l'opérabilité.

Je soutiens la décision de la commission de limiter dans le temps la mission du comité d'évaluation et l'obligation d'en rendre compte au Parlement et au Gouvernement.

À l'article 2, le régime dérogatoire prévu par l'Assemblée nationale a vidé de son sens le principe de non-discrimination et l'applicabilité juridique était douteuse, faute de définition claire des maladies chroniques. Comment apprécier la chronicité, quid de certaines formes d'asthme ou d'épilepsie non reconnues comme affection de longue durée (ALD) par l'assurance maladie ?

Il fallait introduire une obligation de proportionnalité. Un porteur du VIH ne pourra plus se voir interdire le métier de ses rêves, un diabétique deviendra contrôleur aérien ou gardien de la paix.

Reste la question des maladies évolutives affectant des salariés déjà en place. Les managers d'entreprises ne sont pas formés pour gérer ces situations. Le présent texte est néanmoins une première pierre à l'édifice, pour mieux prendre en compte les problèmes de santé dans le monde du travail. Nous le voterons. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Nathalie Goulet et M. Martin Lévrier applaudissent également.)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par M. Jomier et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Alinéa 3

Remplacer le mot :

empêchant

par les mots :

relatifs à

M. Bernard Jomier.  - Pour permettre au comité d'évaluation de travailler dans un périmètre aussi large que possible, il est important qu'il ne se cantonne pas aux textes qui empêchent l'accès à une formation ou à un emploi des personnes atteintes de maladies chroniques, mais s'intéresse aussi à ceux qui traitent de cas particuliers.

M. Xavier Iacovelli, rapporteur.  - La précision est bienvenue. Avis favorable.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État.  - La proposition de loi me semble suffisamment claire. Élargir la compétence de ce comité à tous les textes relatifs à l'accès à une formation ou à un emploi dépassera l'objectif.

Retrait ou avis défavorable, car l'intention de l'auteur est satisfaite par la rédaction.

M. René-Paul Savary.  - Je suis déçu par cette position. La création d'un comité d'évaluation est une tâche lourde et il travaillera trois ans. C'est long, trois ans, pour ceux qui restent éloignés de l'emploi à cause de l'archaïsme des textes ! Monsieur le ministre de la Santé au travail - plus que des retraites - vous avez exprimé la volonté du Gouvernement d'avancer. Et patatras, à la première tentative pour supprimer des blocages, vous délivrez un avis défavorable ! Je voterai l'amendement.

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission.  - Très bien.

L'amendement n°1 est adopté.

M. le président.  - À l'unanimité...

Amendement n°2, présenté par M. Jomier et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Alinéa 6

1° Remplacer le mot :

des

par le mot :

les

2° Remplacer les mots :

visant à

par les mots :

d'ordre législatif ou réglementaire permettant d'

M. Bernard Jomier.  - Le législateur a un rôle indispensable pour lancer une dynamique. Mais certains textes réglementaires mentionnent le diabète comme cause d'inaptitude, en particulier pour exercer une profession de transport. Le Sigycop est fixé par décret. Il convient de préciser que le comité d'évaluation fait des propositions à la fois au sujet des lois et des textes réglementaires.

M. Xavier Iacovelli, rapporteur.  - Les recommandations du comité porteront en premier lieu sur des évolutions normatives. La précision n'est pas nécessaire. Avis défavorable.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État.  - Avis défavorable. Chacun se saisira de son domaine.

M. Bernard Jomier.  - Je ne vois pas en quoi la précision n'est pas utile, mais soit.

L'amendement n°2 est retiré.

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par M. Jomier et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Alinéas 7 à 11 

Supprimer ces alinéas.

M. Bernard Jomier.  - L'alinéa 12 indique que la composition et le fonctionnement du comité sont fixés par décret, alors que les alinéas 7 à 11 en traitent. La Haute Autorité de santé (HAS), qui ne représente pas l'État, ne sera pas incluse dans le comité, puisqu'elle ne figure pas dans l'énumération ! Celle-ci est prématurée, d'autant qu'elle n'est pas complète.

M. Xavier Iacovelli, rapporteur.  - La composition du comité ne relève pas de la loi, mais à vrai dire sa création non plus... Le champ des personnalités qualifiées satisfait, en outre, votre amendement. Retrait ou avis défavorable.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État.  - Difficile d'être plus explicite ! Retrait ou avis défavorable.

M. Bernard Jomier.  - Le Gouvernement nous demande très souvent de supprimer d'un texte de loi la composition d'instances, qui doit être renvoyée à un décret. Et ici, s'agissant d'une énumération incomplète, il le refuse. Adressons à l'Assemblée nationale une rédaction bien cadrée !

L'amendement n°3 n'est pas adopté.

L'article premier, modifié, est adopté.

L'article 2 est adopté.

ARTICLE 4 (Supprimé)

M. le président.  - Amendement n°4 rectifié, présenté par M. Théophile et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

Une campagne de communication publique informant sur le diabète et sensibilisant à l'inclusion sur le marché du travail des personnes atteintes de diabète est mise en oeuvre au plus tard deux ans après la promulgation de la présente loi.

M. Dominique Théophile.  - La réalité des personnes atteintes de diabète est encore mal connue, tout comme les avancées thérapeutiques. Une campagne de communication publique serait efficace pour faire reculer les discriminations et favoriser l'accès à l'emploi.

M. Xavier Iacovelli, rapporteur.  - À titre personnel, je suis favorable à cet amendement, mais la commission a donné un avis défavorable. Le Gouvernement pourrait s'engager à mener une campagne de communication sur le diabète.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État.  - Elle ne relève pas de la loi. Mais l'IGAS a entrepris une mission sur les restrictions d'accès à l'emploi pour les personnes atteintes de maladie chronique. Nous attendons ses conclusions, en octobre prochain, pour lancer une campagne de sensibilisation étayée sur des éléments précis. Retrait ?

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission.  - La commission a supprimé l'article 4 parce qu'une campagne de communication ne relève pas du domaine législatif. Santé publique France communique très bien sur les pathologies - la campagne en cours sur le cancer le prouve. Mais j'apprécie l'engagement du Gouvernement, qui répond à une forte attente des associations...

M. le président.  - Puis-je rappeler que, si le sujet ne relève pas de la loi, l'amendement aurait dû être déclaré irrecevable ?

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission.  - Il nous a toutefois permis de débattre.

M. Dominique Théophile.  - C'était un amendement d'appel. Le diabète et, de manière générale, les maladies chroniques méritent une campagne de communication musclée, notamment dans les outre-mer.

L'amendement n°4 rectifié est retiré.

L'article 4 demeure supprimé.

INTITULÉ DE LA PROPOSITION DE LOI

M. le président.  - Amendement n°5, présenté par M. Iacovelli, au nom de la commission.

Rédiger ainsi cet intitulé :

Proposition de loi relative aux restrictions d'accès à certaines professions en raison de l'état de santé

M. Xavier Iacovelli, rapporteur.  - L'Assemblée nationale a étendu le champ du texte à l'ensemble des « maladies chroniques » ; mais ce terme n'est pas juridiquement opérant. D'où la modification du titre.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État.  - Sagesse bienveillante. Pour certaines situations, l'élargissement de l'intitulé est pertinent, comme pour l'impossibilité de percevoir certaines couleurs. Mais pour d'autres, ce n'est pas le cas. N'oublions pas que c'est la spécificité de certaines maladies chroniques comme le diabète qui a justifié le dépôt de la proposition. Il faut être attentif au signal envoyé.

De plus, les missions du Comité d'évaluation portent explicitement sur les maladies chroniques. Je comprends votre souci, mais je m'interroge...

M. Xavier Iacovelli, rapporteur.  - Il s'agissait de mettre le titre en cohérence avec la rédaction de l'article 2. Le comité créé à l'article premier a la capacité d'élargir son champ d'action.

L'amendement n°5 est adopté et l'intitulé de la proposition de loi est ainsi modifié.

Explications de vote

M. Bernard Jomier .  - Nous avons eu des échanges intéressants et j'en remercie le rapporteur. Ce texte va susciter de fortes attentes. Le comité travaillera pendant trois ans. Aussi, j'invite le Gouvernement à prendre des mesures réglementaires sans attendre. Je songe notamment à la révision du Sigycop. (Mme Nadia Sollogoub applaudit.)

M. René-Paul Savary .  - Le groupe Les Républicains votera ce texte et je remercie le rapporteur de l'avoir élargi à d'autres pathologies.

Monsieur le ministre, vous avez tout pour avancer, avec la mission de l'IGAS. Vous avez pris un engagement sur la campagne de communication. Le travail de l'Inspection peut aussi servir de base à des décrets, à prendre sans attendre la fin des travaux du comité.

Je compte sur votre détermination, monsieur le ministre. On ne peut plus décevoir ces personnes qui attendent depuis trop longtemps. (Mmes Nadia Sollogoub, Colette Mélot et Laurence Cohen applaudissent.)

La proposition de loi est adoptée.

(Applaudissements sur diverses travées)

Mises au point au sujet de votes

Mme Colette Mélot.  - Aux scrutins nos127 et 128, les sénateurs du groupe Les Indépendants - République et Territoires souhaitaient voter contre.

M. le président.  - Acte vous est donné de ces mises au point. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l'analyse politique des scrutins.

La séance est suspendue quelques instants.

Gestion de la sortie de crise sanitaire (Conclusions de la CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire.

M. Philippe Bas, rapporteur pour le Sénat de la CMP .  - Dix minutes, c'est plus qu'il n'en faut pour constater l'accord important intervenu en commission mixte paritaire, sur un texte inutile (rires à droite) mais qui a le mérite de rappeler... l'inutilité de certains principes qui y figurent. (Même mouvement)

Car tous les pouvoirs inscrits dans le régime de sortie de l'état d'urgence sanitaire existaient déjà dans le régime de l'état d'urgence sanitaire, qu'il suffisait donc de nous demander de prolonger, à l'exception du confinement et du couvre-feu.

D'accord avec l'état d'urgence sanitaire, nous pouvions difficilement être opposés à sa sortie... Un accord a donc pu se nouer avec l'Assemblée nationale, sans que nous soyons dupes.

Il y a toutefois des nouveautés, au premier rang desquelles le pass sanitaire, restriction à la liberté d'aller et venir qui permet de lever une interdiction plus radicale, celle d'organiser de grands événements tels que foires et festivals, lesquels impliquent une grande promiscuité.

Nous y avons apporté plusieurs garanties : les personnes chargées de son contrôle devront être habilitées et le support papier suffira. Aucune donnée ne pourra être conservée ; aucune donnée médicale ne figurera sur le pass.

Il y a hélas beaucoup de confusion avec l'outil européen de franchissement des frontières. Ce n'est pas le même instrument, non plus que le QR code évoqué pour l'entrée dans les restaurants ou les salles de sport. Ce dernier ne vise qu'à consigner ses coordonnées pour être prévenu de l'apparition d'un foyer de contamination.

L'accord en CMP tient compte de l'avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et des exigences du Sénat en matière de protection des libertés.

Nous ne voulions pas qu'on remette de l'état d'urgence sanitaire dans la sortie de l'état d'urgence sanitaire : ce nouveau régime ne comprend donc ni confinement ni couvre-feu. Cependant, le Parlement a autorisé ce dernier jusqu'au 30 juin.

Légitimement préoccupé par la situation de la Guyane, le Gouvernement souhaitait pouvoir rétablir un état d'urgence sanitaire territorialisé pendant l'été en tant que de besoin. Mais la durée de deux mois, sans autorisation du Parlement, nous a semblé excessive. Nous avons préféré voter un dispositif spécifique pour ce territoire.

Le texte comporte également des mesures importantes pour la désignation des délégués consulaires, également grands électeurs pour les élections sénatoriales. La CMP a retenu la rédaction que M. Frassa et moi avions imaginée. Elle règle le problème de la moins mauvaise manière, pour les sénateurs représentant les Français de l'étranger, renouvelables en septembre prochain.

Quelques dispositions concernent les élections départementales et régionales : il était temps ! L'Assemblée nationale, qui avait auparavant écarté le régime de procurations adopté par le Sénat, s'est laissée convaincre. Les mesures sur la campagne audiovisuelle me semblent dénuées de portée. Aussi, je les ai acceptées. (Sourires)

Au demeurant, la campagne régionale en cours est hors normes, compte tenu de la difficulté de tenir des réunions publiques.

Voilà... Je ne vois pas comment prolonger encore mon intervention... (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; rires)

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État chargé des retraites et de la santé au travail .  - Je ne montrerai peut-être pas la même qualité de synthèse que le rapporteur mais je vais m'efforcer de m'en approcher...

Après un travail parlementaire exigeant, un juste équilibre a été trouvé entre impératifs sanitaires et protection des libertés. Je me félicite de ce travail démocratique : la démocratie est le moyen le plus sûr de protéger les citoyens.

Je salue tous les élus locaux mobilisés depuis le premier jour. Nous avons tous fait bloc, sans éviter le débat.

Le Sénat n'a jamais manqué à l'appel. La démocratie n'a pas été mise en suspens.

Aujourd'hui, après une longue attente, la vie reprend enfin ; les indicateurs sont favorables et la campagne vaccinale progresse. Nos décisions sont entièrement guidées par ce que la science nous permet de savoir et d'espérer. Le 2 juin, l'état d'urgence sanitaire prendra fin et un régime intermédiaire entrera en vigueur jusqu'au 30 septembre. Le couvre-feu toutefois sera maintenu jusqu'au 30 juin.

En cas de rebond épidémique pendant l'été, si l'état d'urgence sanitaire devait être rétabli, il ne pourrait l'être que par un vote du Parlement.

La situation particulière de la Guyane, où la situation se détériore, a fait l'objet de mesures spécifiques : l'état d'urgence sanitaire y sera maintenu jusqu'au 30 septembre.

Le pass sanitaire a suscité des interrogations légitimes. Éclairé par l'avis de la CNIL du 12 mai dernier, le Sénat a su trouver une solution sécurisée.

Mme Catherine Di Folco, vice-présidente de la commission des lois.  - Oui !

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État.  - Le dispositif devrait éviter l'émergence de clusters lors des grands événements. Les gestes barrières devront toujours être respectés. Bien entendu, il n'est pas question d'exiger, sous peine de sanction, un pass sanitaire pour entrer dans un commerce ou un restaurant. (M. le rapporteur le confirme.)

Le texte prévoit aussi plusieurs prérogatives nécessaires au Gouvernement pour la sortie de la crise sanitaire. Des garanties ont été apportées à l'utilisation des données de santé. Le texte comporte aussi des mesures d'accompagnement économique et social et des précisions relatives aux prochaines échéances électorales.

Nous sommes à la croisée des chemins, entre ce que nous avons subi depuis un an et ce que nous déciderons pour les prochains mois. Nous espérons cette sortie de crise définitive, même si la vigilance doit rester de mise.

Mme Colette Mélot .  - Notre pays va entamer une période transitoire vers la fin de la crise. Malgré 10 000 contaminations par jour, le taux d'occupation des services de réanimation diminue et la vaccination progresse. Une première étape a été franchie le 19 mai avec la réouverture des terrasses, musées et cinémas.

Il fallait prévoir un régime de transition et je me réjouis de l'accord trouvé en CMP. Il sera toujours possible au Gouvernement d'agir en cas de rebond épidémique, mais il fallait enfin retrouver quelques libertés.

À cet effet est créé un pass sanitaire pour les grands rassemblements. Il a soulevé des inquiétudes, car des données de santé et la liberté d'aller et venir sont en jeu. La commission a strictement encadré la disposition et les recommandations de la CNIL ont été suivies. Le pass est temporaire et ne s'applique à aucune activité du quotidien.

Ce nouveau régime est une étape vers un retour à la vie normale ; les libertés ne sont pas retrouvées mais elles seront moins contraintes, sans que soit négligée la lutte contre le virus. En conséquence le groupe INDEP votera les conclusions de la CMP.

M. Bernard Buis .  - Nous pouvons saluer la convergence entre les deux chambres pour une sortie de crise équilibrée, conciliant vigilance et exercice des libertés individuelles.

Je remercie le rapporteur pour son travail exigeant. (M. le rapporteur remercie.)

Nous entrons le 2 juin et resterons jusqu'au 30 septembre dans un régime transitoire. Les prérogatives confiées au Premier ministre ont déjà été validées par le Conseil constitutionnel en juillet dernier. Elles ménagent une adaptation aux indicateurs épidémiologiques, sans fonder un nouveau confinement ni, à compter du 30 juin, un nouveau couvre-feu. Nos concitoyens attendaient cette étape.

Je pense à la Guyane, soumise à l'état d'urgence sanitaire. Nous espérons une amélioration rapide dans ce territoire.

La réouverture du pays est possible parce que la vaccination s'accélère. À ce jour 46 % de la population adulte a reçu une première injection.

Le pass sanitaire constitue, dans ce cadre, un outil valable. L'avis de la CNIL a été pris en compte : le pass sera temporaire, limité aux grands événements, contrôlé par des personnes habilitées et nommément désignées. Toute conservation des données serait sanctionnée.

Les dispositions économiques et sociales apparaissent également nécessaires. Le groupe RDPI votera ce texte de sortie de crise dont nous espérons qu'il sera le dernier. (M. le rapporteur applaudit.)

M. Bernard Fialaire .  - Pour lutter contre cette épidémie, il faut mobiliser toutes les ressources, logistiques, scientifiques, juridiques. Depuis plus d'un an, le Sénat a accordé sa confiance au Gouvernement. Mais aujourd'hui, il est temps de préparer la sortie du régime d'exception, en espérant ne pas avoir à revenir en arrière. Chacun convenait de l'intérêt de prolonger certains pouvoirs pour quelques mois, mais le dispositif soulevait des difficultés et suscitait des avis divergents.

La solution proposée par le rapporteur - prorogation d'un mois de l'état d'urgence puis, au 1er juillet, régime plus restreint de sortie de l'état d'urgence - était ingénieuse, mais source d'ambiguïtés.

Le texte issu de la CMP est plus convaincant, d'autant qu'il concerne l'ensemble des garanties apportées par le Sénat, s'agissant notamment du pass sanitaire et des réunions privées. Nous demeurons toutefois vigilants sur les nombreuses incertitudes.

Je rends hommage au travail d'anticipation du rapporteur Philippe Bas, qui devrait être poursuivi.

Le texte achève de définir le cadre de l'organisation des scrutins régionaux et départementaux. Le contexte sanitaire rend les campagnes électorales difficiles. J'espère que les candidats sauront mobiliser nos concitoyens. Il faut tout faire pour endiguer l'abstention autant que la tentation des extrêmes.

Si je suis favorable à ce texte, le RDSE est partagé et chacun se déterminera librement.

Mme Éliane Assassi .  - Nous nous réjouissons que la CMP ait maintenu les garanties introduites par le Sénat. Mais nous continuons de dénoncer les conditions de gestion de cette pseudo-sortie de crise sanitaire, difficilement compréhensible par le commun des mortels. Le dispositif d'état d'urgence sanitaire territorialisé est un régime exorbitant du droit de plus. Si je me félicite que sa durée maximale ait été ramenée à un mois, ces régimes sont nuisibles à notre démocratie sur le long terme.

J'appelle l'attention de chacun sur les conséquences d'un amendement gouvernemental à l'article 7 bis. L'allègement de la procédure de sauvegarde des petites entreprises est une bonne chose ; un mandataire judiciaire pourra aider les entreprises de onze à vingt salariés à éviter de mettre la clé sous la porte, mais représentants du personnel et conseils de prud'hommes, mis de côté, ne pourront plus contester les plans de redressement et d'apurement de créances des entreprises. La sortie de l'état d'urgence sanitaire ne doit pas servir de prétexte pour déroger aux droits collectifs.

Quant au pass sanitaire, je ne reviendrai pas sur les inquiétudes qu'il nourrit, notamment en matière de données personnelles. Il faudra également s'interroger sur la ségrégation en creux qu'il pourrait introduire. Nous serons extrêmement vigilants. Nous nous associons aux demandes de précisions de la Défenseure des droits qui a notamment pointé l'absence de limite d'âge pour les mineurs.

Le Conseil constitutionnel sera saisi par les groupes de gauche de l'Assemblée nationale, ce dont nous nous réjouissons. Les conclusions de cette CMP n'emportent pas notre adhésion.

Mme Nathalie Goulet .  - La perspective de sortie de cette période extrêmement compliquée est une bonne nouvelle. La majeure partie des membres du groupe UC votera ce texte. Je salue le sérieux travail de contrôle mené par le Sénat ces derniers mois.

L'inquiétante question des données de santé reste toutefois devant nous.

Y aura-t-il un pass sanitaire européen ? La décision de l'Union européenne risque de percuter notre droit national. Nous ne voulions pas d'un Passenger Name Record (PNR) quand les États-Unis l'ont imposé, mais nous avons fini par courber l'échine. Les Américains préparent-ils un dispositif équivalent ? Même Miss France a dû attendre des semaines pour obtenir sa National Interest Exception et s'envoler pour les Etats-Unis !

Nous plaçons de grands espoirs dans la campagne de vaccination, mais j'attends les réponses du Gouvernement sur le pass européen car nous devons nous y préparer.

M. Jean-Yves Leconte .  - Notre collègue de La Gontrie avait dénoncé un texte en trompe-l'oeil. Quelle différence entre l'état d'urgence sanitaire et la sortie de l'état d'urgence sanitaire ? Seule différence, le confinement complet, que le Gouvernement peut imposer par décret...

La majorité sénatoriale a dû reculer sur certaines garanties pour aboutir à un compromis ; beaucoup étaient issues de notre groupe.

La pandémie frappe encore très durement dans le monde. Nous ne pouvons pas totalement baisser la garde.

Le débat sur le pass sanitaire est indispensable. S'il est bien encadré, nous y sommes favorables. Mais l'ensemble des recommandations de la CNIL n'ont pas été prises en compte.

En particulier, aucun seuil minimal n'a été instauré. La CNIL suggérait aussi que la jauge et le type d'établissements concernés soient inscrits dans la loi. C'est l'une des raisons majeures de notre opposition à ce texte.

Le Gouvernement ne semble pas vouloir reconnaître les certificats de vaccination et de rétablissement établis à l'étranger. Il pourrait au contraire exiger des conditions d'entrée plus restrictives que celles du certificat européen ; elles devront être coordonnées à l'échelon européen, sans quoi elles ne seront pas utiles sur le plan sanitaire et ne seront que pour l'opinion publique. Le Royaume-Uni reste par exemple soumis à quarantaine alors que la situation sanitaire y est plus favorable qu'en France.

Sénateur des Français établis hors de France, je me devais d'évoquer l'article 12 (MM. Christophe-André Frassa et Philippe Bas s'exclament), introduit par un amendement du Gouvernement et réécrit par notre rapporteur pour le rendre plus robuste juridiquement.

Le texte initial, peu lisible, prévoyait notamment de proroger des mandats de conseillers des Français de l'étranger échus avant même la promulgation de la loi, surtout si le texte est déféré au Conseil constitutionnel. Nous savons désormais que la circonscription de Madagascar et les deux circonscriptions de l'Inde sont concernées.

Le report des élections à l'Assemblée des Français de l'étranger pose la question du report de l'élection au conseil d'administration de la Caisse des Français de l'étranger. Il faut prendre les mesures réglementaires nécessaires à cet égard.

Le groupe SER s'opposera à ce texte, ses amendements n'ayant pas été retenus.

M. Christophe-André Frassa .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'épidémie ralentit et la vaccination se poursuit gentiment. Il est donc légitime de réfléchir à doter l'exécutif des outils nécessaires à la nouvelle étape.

C'est la huitième fois qu'un texte d'urgence est discuté par le Parlement depuis mars 2020.

Le Sénat a abordé ce débat avec responsabilité, mais aussi une exigence de rigueur et de clarté, la rédaction de l'Assemblée nationale n'étant pas dépourvue d'ambiguïtés.

Le nouveau régime de sortie de l'état d'urgence sanitaire n'était que la poursuite déguisée de l'état d'urgence sanitaire. Notre position a été tout naturellement de limiter les atteintes aux libertés publiques. Le pass sanitaire a suscité de la circonspection dans l'opinion publique. Nous avons considéré que ses avantages étaient supérieurs à ses inconvénients. Les garanties prévues par le Sénat ont été maintenues en CMP ; je m'en félicite.

Aucun confinement ne pourra dépasser deux mois sans passage devant la Représentation nationale, des mesures particulières étant prévues pour la Guyane où elles sont nécessaires.

Nous avons également obtenu des garanties sur le pass sanitaire. La CNIL sera associée à la préparation des décrets d'application.

La réaction de l'article 12 par la CMP est grandement inspirée par le Sénat, ce qui préviendra les complications et donne enfin plus de visibilité aux Français de l'étranger. Il était manifeste que les élections des 29 et 30 mai étaient compromises.

Le Sénat n'a pas obtenu gain de cause sur tout, mais le bilan global est positif. Le groupe Les Républicains votera les conclusions de la CMP. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Esther Benbassa .  - La CMP a trouvé un accord sur ce texte qui met en place un ensemble d'outils pour sortir de la crise sanitaire. Nous nous réjouissons du début de reprise de l'activité. Les Français reprennent avec enthousiasme une vie sociale plus libre et soutiennent les commerçants.

Si le texte de la CMP confirme les garanties apportées par le Sénat, il ne précise pas suffisamment la notion de « grand rassemblement de personnes », ce qui contrevient à l'exigence constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la loi. Il fallait inscrire une jauge claire.

Nous regrettons aussi que les données de santé puissent être conservées pendant vingt ans. C'est beaucoup trop !

Il faudra faire, le moment venu, le bilan de la gestion de la crise par le Gouvernement. Nous ne pouvions pas prévoir la crise, mais nous aurions pu mieux la gérer.

Les mesures sanitaires ne peuvent être que temporaires. Une réflexion sur des mesures durables pour nous préparer à une éventuelle nouvelle pandémie est nécessaire, notamment en écoutant enfin le personnel soignant que nous avons applaudi tous les soirs à 20 heures, en donnant des moyens aux hôpitaux publics et en traitant le service public avec considération.

Nous nous abstiendrons sur les conclusions de la CMP.

M. le président.  - Monsieur le ministre, il n'est pas de coutume que le ministre reprenne la parole à la fin d'une lecture de conclusions de CMP, mais, puisque Mme Goulet vous a interpellé, je vous la donne.

M. Cédric O, secrétaire d'État.  - Je remercie la Haute Assemblée pour son esprit de responsabilité.

Madame Goulet, le pass sanitaire européen entrera en vigueur le 1er juillet prochain. Nous avons mené des tests techniques concluants avec quatre autres pays européens il y a dix jours. Les QR Codes délivrés par la France pourront être utilisés pour se rendre dans les autres pays européens.

Les conclusions de la CMP sont adoptées.

Prochaine séance, mardi 1er juin 2021, à 14 h 30.

La séance est levée à 19 h 30.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mardi 1er juin 2021

Séance publique

À 14 h 30 et le soir

Présidence :

Mme Nathalie Delattre, vice-présidente M. Vincent Delahaye, vice-président

1. Débat sur le coût pour les collectivités territoriales de la crise sanitaire et économique (demande du groupe Les Républicains)

2. Proposition de résolution visant à améliorer le suivi des ordonnances, rénover le droit de pétition, renforcer les pouvoirs de contrôle du Sénat, mieux utiliser le temps de séance publique et renforcer la parité, présentée par M. Gérard Larcher, président du Sénat (texte de la commission, n°629, 2020-2021)