SÉANCE

du jeudi 10 juin 2021

106e séance de la session ordinaire 2020-2021

présidence de M. Pierre Laurent, vice-président

Secrétaires : M. Pierre Cuypers, M. Loïc Hervé.

La séance est ouverte à 10 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Ticket restaurant étudiant

Discussion générale

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à créer un ticket restaurant étudiant, présentée par M. Pierre-Antoine Levi et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe UC.

M. Pierre-Antoine Levi, auteur de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je suis heureux de vous présenter ma première proposition de loi depuis le début de mon mandat. Quel que soit son sort, elle aura au moins le mérite de mettre le doigt sur les inégalités dans la restauration étudiante.

En tant que premier adjoint de Montauban puis sénateur, j'ai été comme vous sollicité par de nombreux jeunes qui n'arrivaient plus à manger à leur faim, et j'ai été frappé par les files d'attente pour obtenir une aide alimentaire.

Il n'est pas tolérable que de nombreuses familles de la classe moyenne peinent à subvenir aux besoins de leurs enfants étudiants. La France dispose pourtant du système d'aide généreux et performant des centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous), avec des bourses, des logements et de la restauration. Mais les effets de seuil ont pour effet de priver certains étudiants « trop riches » de ce dispositif. Les services des Crous ne peuvent pas non plus être présents partout. Ils couvrent en priorité les campus universitaires et moins les BTS, écoles d'ingénieurs, de commerce ou d'infirmières, ou les classes préparatoires. C'est un constat, non une critique.

Mais pouvons-nous nous satisfaire qu'aucun service de restauration ne soit proposé dans certains territoires ?

Le repas à 1 euro est une excellente initiative - dont je félicite le Gouvernement - mais elle ne règle pas le problème de l'absence de restaurant universitaire ou de restauration le soir et le week-end.

Tel est le sens de la proposition de loi, qui n'attaque nullement le travail du Crous - contrairement à ce que certains esprits de mauvaise foi ont prétendu. Inspiré du modèle du ticket restaurant des entreprises, qui a fait ses preuves, le ticket restaurant étudiant sera payé 3,30 euros par les étudiants, l'État prenant la même somme à sa charge.

Faut-il le territorialiser ? Il semble préférable de le réserver aux étudiants n'ayant pas accès à la restauration universitaire. Au Sénat, nos collaborateurs peuvent accéder au restaurant du Sénat, tandis qu'en circonscription, ils bénéficient de tickets restaurant.

Nous devons cette mesure à nos étudiants qui souffrent de la précarité.

La question du coût est légitime, mais elle doit être mesurée à l'aune de notre devoir moral de combattre une précarité étudiante qui n'a été qu'aggravée par la crise. Cela ne créera aucun surcoût pour le Crous, puisque cela répond à un droit non exercé.

D'aucuns évoquent un coût farfelu de 5 à 6 milliards d'euros. Quoi qu'il en soit, nous ne pouvons avoir une vision seulement comptable du sujet.

Madame la ministre, qu'est-ce qui est le plus cher ? La création d'un restaurant universitaire pour 50 étudiants en BTS ou des tickets restaurant pour ceux qui en sont privés ?

J'espère que cette mesure obtiendra le soutien du Gouvernement : il a celui de plus de 80 sénateurs, de tous bords politiques.

N'infantilisons pas les étudiants : ils n'iront pas acheter de la junk food ; et il est aussi possible de mal manger au restaurant universitaire...

Je vous exhorte à soutenir ce texte en faveur de nos jeunes. Je remercie la députée Anne-Laure Blin, qui a déposé une proposition de loi similaire, et mes collègues du groupe UC qui ont inscrit la mienne dans cette niche. Ce texte ne doit pas rester dans un tiroir. Je vous remercie pour les étudiants. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Arnaud Bazin applaudit également.)

M. Jean Hingray, rapporteur de la commission de la culture .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Comme notre collègue vient de le démontrer, cette proposition de loi entend redonner du pouvoir d'achat aux étudiants éprouvés par la crise sanitaire.

Le ticket à 1 euro en restaurant universitaire est une bonne chose, mais elle ne peut suffire, car il n'existe pas de restaurant universitaire partout. Cette solution amplifie même l'inégalité entre les étudiants des grands campus et les autres. Il ne constitue pas non plus un modèle économique viable, puisque le coût réel d'un repas est sept à huit fois supérieur.

Mme la ministre n'est pas en mesure de nous dire si cette mesure sera prolongée, mais nous avons toutes les raisons de penser qu'elle ne le sera pas. C'est dans ce contexte qu'intervient cette proposition de loi permettant à tous les étudiants de se nourrir.

Certains ont critiqué ce mécanisme et son coût, en versant dans la caricature. Certains ont prétendu que nous mettions en concurrence le Crous et la restauration privée. Le ticket restaurant ne remet pas en cause la restauration universitaire, mais apporte un peu de souplesse.

Je ne puis laisser dire non plus que nous jetterions les étudiants dans les bras des fast-foods, alors qu'ils pourront faire leurs courses dans des supérettes. Le risque d'un recours à la malbouffe peut d'ailleurs être évité par des moyens techniques.

En tant que rapporteur, j'ai écouté toutes les parties.

Les huit cents points de restauration des Crous sont inégalement répartis sur les territoires. Dans les zones blanches, les étudiants ne peuvent matériellement bénéficier du ticket à 1 euro. Avec Pierre-Antoine Levi, nous avons proposé à la commission de réserver le ticket restaurant à ces étudiants-là. Ce ciblage écarte tout risque de déstabilisation du réseau des oeuvres universitaires.

L'offre de restauration ne sera ainsi plus cantonnée aux grands pôles universitaires. Cette solution mettra fin à une iniquité territoriale.

L'Angleterre et la Suède ont montré que le ticket restaurant était une alternative pertinente, techniquement adaptée.

Le Gouvernement ne peut détourner le regard de cette jeunesse qui souffre et qui attend des solutions. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation .  - Je salue l'initiative du groupe UC. Cette proposition de loi a le mérite d'aborder le problème de la précarité alimentaire des étudiants, aggravée par la crise sanitaire qui a limité les stages rémunérés et les petits jobs.

La communauté universitaire et le Gouvernement ont agi dès mars 2020 via les Crous et les associations étudiantes notamment par la vente à emporter, la livraison, la distribution de colis alimentaires.

Le Gouvernement a également versé des aides exceptionnelles, augmenté les bourses, gelé les frais d'inscription, les loyers des Crous, financé la distribution gratuite de protections périodiques, créé 20 000 emplois étudiants.

La création d'un ticket à 1 euro - pour les boursiers au 1er septembre et élargi à tous les étudiants, deux fois par jour, au 1er janvier - est emblématique de la mobilisation du Gouvernement et de l'engagement des Crous, que je salue.

Ceux-ci se sont mobilisés fortement, en un week-end, pour mettre en place rapidement cette mesure et venir en aide aux étudiants. Imaginez le travail qu'il faut pour délocaliser certains sites et changer les chaînes de production ! Le service public a été aux rendez-vous de la crise. Près de dix millions de repas ont déjà été servis.

Aucun pays européen ne s'est engagé à ce point. Il faut cependant tirer les leçons de la crise et améliorer durablement les conditions de vie étudiante, qui déterminent largement la réussite et donc l'émancipation de chacun.

Nous souhaitons un parcours d'accompagnement coordonné avec les Crous, les étudiants, les collectivités territoriales et les associations. À chaque instant, l'étudiant doit être considéré comme un jeune adulte. La vie étudiante n'est pas un supplément d'âme ; c'est un objectif de premier plan.

Aussi, je salue l'initiative du Sénat qui se saisit du sujet à travers cette proposition de loi comme avec la mission d'information sur les conditions de la vie étudiante. Il faut envisager la vie étudiante dans l'ensemble de ses facettes.

La proposition de loi vise d'abord à adapter l'offre de restauration étudiante. Les étudiants ont besoin d'une alimentation de qualité, gage de santé et de bien-être. Dans ce domaine, les Crous ont beaucoup amélioré leur offre. De fait, 80 % des étudiants s'y rendent pour bénéficier d'un repas de qualité et varié - avant la crise, la fréquentation croissait de 5 % chaque année. L'offre des Crous est également créatrice de lien social. Je sais que vous reconnaissez pleinement la valeur ajoutée des Crous et que vous ne voulez pas les déstabiliser.

Le véritable enjeu est celui de l'égalité d'accès à la restauration universitaire. Actuellement, grâce aux 750 points de vente dans 221 villes, 2,3 millions d'étudiants sur 2,8 millions ont accès à un site de restauration dans leur environnement immédiat.

Sur 190 sites supplémentaires, les Crous ont noué des partenariats avec des collectivités et des associations pour ouvrir des points de restauration aux étudiants. Il demeure, il est vrai, des zones blanches, tandis que la pression étudiante dans les grandes villes peut aussi peser sur l'offre.

Cette proposition de loi pose une question centrale, mais le travail doit se poursuivre pour trouver une solution globale, mobilisant tous les leviers disponibles dans les territoires.

Je ne crois pas que le ticket restaurant soit suffisant, même s'il peut être utile. Il n'existe pas de titre de paiement réglementé à ce jour, sauf à ce que les entreprises se positionnent.

En outre, le ticket restaurant n'implique pas une équité sociale entre étudiants : certains ne peuvent payer au-delà du forfait. Je crois davantage aux partenariats avec les collectivités territoriales qui mettent à la disposition des étudiants des cantines administratives ou hospitalières - qui répondent aux mêmes exigences que les restaurants universitaires.

Dieppe, Draguignan, Guéret, Mende, Morlaix, Saint-Lô : de nombreuses villes s'engagent dans des solutions concrètes.

Dans le cadre de la loi de programmation sur la recherche, vous avez voté la contractualisation entre collectivités territoriales, étudiants et Crous.

Des solutions ont été trouvées dans 190 sites universitaires ; 15 demeurent encore en zone blanche. Sans doute faudrait-il envisager un accès plus simple des cantines conventionnées aux denrées des centrales d'achat du Crous : partout où c'est nécessaire, nous y pourvoirons.

Les principales organisations étudiantes, la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE) et l'Union nationale des étudiants français (UNEF), ont pris position, plutôt contre la mesure. J'espère trouver un point d'équilibre pour trouver des solutions pour nos étudiants.

Nous voulons tous leur offrir des conditions de vie favorables à leur réussite. Cela concerne également la réforme des bourses sur critères sociaux.

Nous pouvons prolonger le débat dans le cours de l'examen des amendements. Des outils existent pour couvrir les besoins. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Bernard Fialaire .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. le rapporteur applaudit également.) La crise sanitaire a profondément aggravé les conditions de vie étudiante - troubles psychologiques, perte de revenus d'appoint, décrochage - et a conduit à des situations matérielles difficiles. L'été dernier, le Gouvernement a instauré des repas servis à 1 euro pour les boursiers.

Mais les auteurs de la proposition de loi - dont Véronique Guillotin et André Guiol, du RDSE - soulignent que cela exclut les boursiers éloignés des campus et des centres-villes.

La proposition de loi initiale était trop large et aurait mis en concurrence Crous et restauration privée. En outre, il est difficile de trouver un repas équilibré et complet pour 6,60 euros.

La commission a recentré la proposition de loi sur les zones blanches privées de restaurant universitaire. Le coût budgétaire en sera atténué, autour de 1 à 2 milliards d'euros. Le ticket restaurant servira à se restaurer ou à acheter des denrées alimentaires dans des établissements conventionnés - selon quelles modalités ?

Cette solution écarte tout risque de déstabilisation de la situation financière des Crous. Elle créera un cercle vertueux avec les restaurateurs.

Le groupe RDSE votera ce texte avec enthousiasme, mais il faudra trouver des sources de financement pour pérenniser les repas à 1 euro, faute de quoi nous fragiliserons les autres missions du Crous, comme le logement ou l'accueil social. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. le rapporteur applaudit également.)

M. Pierre Ouzoulias .  - (Applaudissements à gauche) Je partage l'émotion collective qui s'exprime dans notre hémicycle. Un grand pays comme le nôtre ne peut accepter que ses étudiants souffrent de la faim et ne trouvent leur pitance qu'auprès d'associations caritatives.

C'est le symptôme d'une situation ancienne qui s'aggrave, sur laquelle se penche la mission d'information sur la vie étudiante dont vous m'avez fait l'honneur de me confier la présidence - et je vous en remercie.

Les images d'étudiants dans les files d'attente des soupes populaires ne doivent pas nous faire oublier l'engagement des Crous. Nous devons saluer collectivement l'extrême mobilité de tous leurs agents qui ont adapté en permanence leurs services pour offrir aux étudiants repas, accueil et chaleur humaine dans leurs restaurants et cités universitaires. De nombreux drames ont ainsi été évités.

La baisse du prix du repas à 1 euro pour les boursiers, puis pour tous, est une mesure d'humanité et de salubrité qu'il convient de pérenniser. Madame la ministre, vous devez nous assurer céans que la charge budgétaire supplémentaire pour le Crous sera compensée dans le projet de loi de finances rectificative et sa pérennisation assurée par le projet de loi de finances.

Malgré ses 400 restaurants, l'offre des Crous ne peut être partout.

Les 175 étudiants de l'antenne de l'université de Perpignan à Mende, en Lozère, par exemple, devraient plutôt avoir accès à la restauration collective des organismes publics, grâce à une convention avec les collectivités territoriales.

Ce n'est qu'en absence d'une offre des Crous et d'une offre partenariale que cette proposition de loi doit contribuer à l'extension du service public de la restauration universitaire.

L'action coordonnée des Crous et collectivités territoriales est essentielle. Madame la ministre, vous devez donner aux Crous les moyens de développer une politique d'agrément, pour assurer le service public de restauration universitaire sur tout le territoire.

Il n'appartient qu'à vous que les 175 étudiants de Mende puissent accéder à la restauration collective dès la rentrée prochaine. Je crois que vous y avez donné un avis favorable et je vous en remercie. (Applaudissements à gauche et sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Sabine Van Heghe .  - Je remercie les collègues de l'UC pour leur initiative et salue le travail de qualité du rapporteur.

Les étudiants n'ont pas tous accès à la restauration universitaire. L'utilisation d'un ticket restaurant est souple. Cette proposition de loi nous semblait frappée au coin du bon sens. Mais à y regarder de plus près, nous sommes plus sceptiques.

De nombreux étudiants craignent une « fausse bonne idée ». Son coût, sujet qui n'est ici qu'effleuré, dépasserait 1 milliard d'euros par an. Où ira l'argent ? Vers les enseignes de restauration rapide et non aux étudiants.

Pourquoi ne pas aider directement les étudiants en accédant à leur demande d'une aide de 1,5 milliard d'euros ?

Le groupe SER est également favorable à un RSA jeune, pour les 18-25 ans, surtout en période de crise.

Attention aux risques de malbouffe.

Cette proposition de loi fait l'impasse sur le sujet budgétaire. Qui prendra en charge le complément du ticket restaurant : l'État ou les collectivités territoriales ? C'est le grand flou. Ces dernières craignent une augmentation de leurs charges. En outre, les plus précaires des étudiants ne peuvent payer 3,30 euros. Pourquoi conserver le repas à 1 euro - à moins que cette mesure ne disparaisse ?

Les étudiants vont subir encore longtemps les conséquences de la crise, notamment dans le logement et l'emploi.

Je crains que le ticket restaurant étudiant affaiblisse, au bénéfice de la restauration privée, les restaurants universitaires qui ont aussi une mission de socialisation et de repérage des étudiants en difficulté. La restauration représente 30 % du chiffre d'affaires des Crous. Vous risquez de mettre à mal les autres missions des centres. Leur dotation - 367 millions d'euros en 2021 hors plan de relance - est très faible et ne permet de couvrir que 10 % du coût du ticket restaurant. Le risque de fermeture de sites est important.

Cette proposition de loi est fondée sur l'individualisme et le renvoi vers le secteur privé, alors que la solution serait plutôt d'augmenter les moyens des Crous pour multiplier les partenariats avec les collectivités territoriales.

Le rapporteur n'a agi que sur la géographie mais le flou demeure concernant les financeurs. Les risques d'un manque à gagner important pour un service public perdurent également.

Les sénateurs socialistes s'y opposeront. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

Mme Céline Boulay-Espéronnier .  - Personne n'ignore la précarité étudiante. Durant les auditions de la mission d'information, la crise sanitaire a fonctionné comme une loupe pour montrer les difficultés économiques des étudiants.

Quelque 56 % d'entre eux ont souffert de difficultés dans la gestion de leurs dépenses alimentaires et 25% n'ont pas pu manger à leur faim, contre 6 % avant la pandémie.

Face à cette situation, le ticket restaurant est bienvenu pour les étudiants les plus éloignés des grands centres et je salue le travail du rapporteur Hingray. Certes, le repas à 1 euro fut une initiative louable mais cette solution n'est pas viable budgétairement et ne résout pas le problème géographique d'accès aux restaurants universitaires.

Le ticket restaurant ne doit toutefois pas précipiter les étudiants vers la restauration rapide au détriment de leur santé. La vente de ticket restaurant par lots risque aussi de poser problème aux étudiants qui ne pourront pas tous faire une telle avance de trésorerie. Il ne faut pas non plus placer les Crous, qui rivalisent d'efforts pour adapter leurs offres aux besoins, en concurrence avec le secteur privé.

Le coût du dispositif initial était évalué entre 2 et 3 milliards d'euros. Aussi, je salue le recentrage opéré par le rapporteur vers les zones blanches, pour éviter de déstabiliser les Crous.

Je salue aussi les associations d'aide alimentaire, qui ont distribué plus de 40 000 paniers repas aux étudiants d'Île-de-France. En votant cette proposition de loi, le Sénat leur prouverait que leurs efforts ne sont pas vains et que la représentation nationale prend la mesure des difficultés rencontrées par la jeunesse de France. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur le banc de la commission)

Mme Vanina Paoli-Gagin .  - Avec cette proposition de loi, un ticket restaurant à 6,60 euros serait financé pour moitié par l'État ; il serait utile dans la lutte contre la précarité des jeunes.

La disparition de nombreux emplois ou stages rémunérés les a plongés dans une situation de grande fragilité financière. Un programme d'aide d'urgence du ministère complète les repas à 1 euro.

J'ai personnellement cosigné cette proposition de loi, mais non sans réserves : l'absence de ciblage risquait de fragiliser les Crous, dont 30 % du chiffre d'affaires proviennent de la restauration. En outre, le coût était estimé à près de 3 milliards d'euros.

La commission de la culture a ciblé le dispositif sur les étudiants établis en zones blanches. J'approuve cet ajustement.

Cette proposition de loi interroge sur le maillage des établissements d'enseignement supérieur, parfois éloignés des grands centres urbains. Les services étudiants et les prestations d'accompagnement doivent être adaptés à cette délocalisation.

Complétons les dispositifs dans les zones éloignées d'où le Crous est absent.

La suppression de cotisation à la sécurité sociale depuis 2018, la hausse des bourses sur critères sociaux, la construction de 60 000 logements étudiants d'ici 2022, le relèvement des montants des bourses sont des actions positives du Gouvernement. Mais il faut aller plus loin.

Le groupe Les Indépendants votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Monique de Marco .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La précarité des étudiants ne fait que s'aggraver. Le logement représente les deux tiers de leur budget. Si 36 % d'entre eux sont boursiers, ils doivent souvent travailler à côté - ce qui est la première cause d'échec.

La crise a aggravé les difficultés des étudiants : 20 % ont eu recours à l'aide alimentaire en 2020. Selon la Fondation Abbé Pierre, 50 % ont rencontré des difficultés à régler leurs repas et leur loyer.

Je salue l'initiative de M. Levi, mais c'est une fausse bonne idée : le montant du ticket restaurant est trop faible pour assurer l'accès à une alimentation de qualité, et il risquerait de favoriser les chaînes de restauration rapide.

Trouvons une solution en accord avec les besoins des étudiants. D'après une enquête du Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (Cnous), 59 % des étudiants vont au restaurant universitaire pour ses repas équilibrés et sains, et ils apprécient, en sus, le développement d'une offre bio et végétarienne. Ce sont aussi des lieux d'échanges, où l'on peut repérer les plus fragiles.

Avec ce texte, une dépense publique favoriserait la consommation dans le secteur privé.

La version initiale de la proposition de loi fragilisait les Crous. Le rapporteur a donc limité sa portée aux zones blanches, mais cela ne résout pas tous les problèmes. D'autres solutions sont possibles.

Il faut déployer plus de restaurants universitaires dans les zones blanches, élargir leur ouverture le soir et le week-end, développer des partenariats avec les hôpitaux et les Ehpad.

Le revenu universel d'autonomie (RUA) pour tous les jeunes, évoqué en 2019 par le Gouvernement, est un espoir déçu - un de plus.

Le GEST votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Julien Bargeton .  - Cette proposition de loi a un objectif louable : lutter contre la précarité alimentaire des étudiants. Certains sont éloignés des Crous ; les plages d'ouverture sont insuffisantes ; les files d'attente sont longues ; certains aspirent à une offre plus diversifiée. Les besoins évoluent, appelant de nouveaux modes de consommation.

Le RDPI partage le constat, mais pas la solution proposée par le texte. Il faut, en effet, renforcer et non fragiliser les Crous, qui ont mis en place avec succès les deux repas à 1 euro par jour. Les restaurants universitaires jouent aussi un rôle important de socialisation.

Des émetteurs de tickets restaurant classiques m'ont dit qu'ils avaient déjà distribué des tickets à des étudiants en grande détresse sociale.

L'UNEF et la FAGE ne sont pas très favorables à ce texte. Ce n'est pas un obstacle dirimant, mais comme on me dit souvent qu'il faut davantage prendre en compte les corps intermédiaires... (Sourires)

Il faut améliorer la qualité de la restauration collective, et continuer les efforts engagés en ce sens.

La commission a modifié substantiellement le dispositif qui est plus ciblé et moins coûteux, même s'il reste difficile de connaître par avance le coût d'un dispositif « à la demande ».

Il faudrait peut-être davantage de concertation pour l'affiner encore. Le rapporteur a réalisé un travail intéressant ; sans doute faut-il aller plus loin.

Le RDPI s'abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur le banc de la commission)

Mme Annick Billon .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ainsi qu'au banc de la commission) Avec le logement, l'alimentation représente la principale charge des étudiants, et devient une variable d'ajustement - en qualité ou quantité.

La crise sanitaire a particulièrement affecté les étudiants ne bénéficiant pas d'un soutien familial, et a accentué les inégalités au sein de cette population très hétérogène. Les confinements et la fermeture des restaurants universitaires ont souvent privé les jeunes d'un repas équilibré quotidien. Certains n'ont pas toujours mangé à leur faim. La hausse de la fréquentation des épiceries sociales et solidaires et l'affluence constatée lors de la distribution de colis alimentaires témoignent de l'aggravation de la précarité étudiante.

En janvier, le Gouvernement a mis en place le repas à 1 euro pour tous dans les restaurants universitaires. Mais du fait de zones blanches, trop d'étudiants en sont exclus. Les étudiants peuvent télétravailler, mais pas télémanger, aime à rappeler Pierre-Antoine Levi. En Vendée, la faculté d'Angers propose une formation en L3 aux Sables-d'Olonne : le Crous le plus proche est à la Roche-sur-Yon, à trente kilomètres.

Cette proposition de loi vise à améliorer l'accès à une restauration au tarif étudiant, en créant un ticket restaurant étudiant. L'idée n'est pas nouvelle : notre jeune collègue Jean Hingray la défendait déjà sur les bancs de l'université avant de la défendre sur ceux du Sénat. Elle devient cependant urgente au regard des conséquences de la crise. Cette mesure élargira l'offre de restauration accessible aux étudiants éloignés de toute structure collective ; ils pourront utiliser les tickets au restaurant ou pour faire leurs courses.

La clarification apportée en commission par le rapporteur évitera tout abus comme tout risque de déstabilisation du réseau des Crous. Je salue le travail mené par Pierre-Antoine Levi et Jean Hingray au bénéfice de nos étudiants affectés par la crise.

Le groupe UC votera unanimement cette proposition de loi. Entendez cet appel, madame la ministre, et faites en sorte que ce texte prospère rapidement ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains et sur le banc de la commission)

M. Stéphane Piednoir .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur le banc de la commission) La détresse de nombreux étudiants depuis le début de la crise sanitaire a été illustrée par les images de files d'attente lors des distributions de repas gratuits. Pour certains, se nourrir et se loger devient un véritable parcours du combattant.

Cette proposition de loi crée un ticket restaurant destiné aux étudiants, pour estomper leur précarité alimentaire. Je salue le travail de Jean Hingray qui en a mesuré les écueils, à commencer par un risque de déstabilisation du réseau des Crous, qui subissent déjà des pertes financières auxquelles vont s'ajouter les surcoûts liés à la loi EGalim.

La commission a limité la mesure aux antennes universitaires non pourvues de restaurant universitaire, ces zones blanches où chacun doit se débrouiller. Je salue une judicieuse territorialisation. Le décret d'application précisera le périmètre et l'usage de ce ticket restaurant étudiant

Il subsiste toutefois certaines interrogations, voire certains griefs - mais quand on veut noyer son chien, on dit qu'il a la rage.

Le coût de la mesure me parait très surévalué. L'assiette, si j'ose dire (sourires), sera réduite par la territorialisation et la concurrence avec les Crous doit être relativisée - seuls 50 % des étudiants les fréquentent.

Je ne crois pas non plus que les étudiants se précipiteront dans les chaînes de restauration rapide, au mépris de toute considération diététique. Cette mesure pourrait aussi venir soutenir des restaurateurs durement éprouvés par la crise ! Et les étudiants sont de jeunes adultes responsables, sensibilisés à ces sujets.

Faudrait-il, du reste, contrôler la façon dont sont dépensées les aides sociales, établir un mode d'emploi ou une autorisation de décaissement ? Je ne le crois pas.

Le groupe Les Républicains fait confiance aux étudiants et votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC et sur le banc de la commission)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Supprimer cet article.

Mme Sabine Van Heghe.  - Même restreint, ce dispositif va conduire l'initiative privée à se substituer partiellement au service public de restauration universitaire, sur fonds publics.

Cela risque d'entraîner une moindre fréquentation des restaurants universitaires et donc une baisse de leurs moyens, qui menace la pérennité du réseau.

La participation des financeurs est floue, et la garantie d'exigence de qualité nutritive des repas absente. Enfin, le reste à charge ne sera pas négligeable, ce qui pénalisera les plus précaires.

Il aurait mieux valu rediriger les fonds publics prévus pour financer ce ticket restaurant vers le renforcement des aides sociales.

M. Jean Hingray, rapporteur.  - Avis défavorable, naturellement... J'aurais préféré un amendement proposant des critères sociaux, dont nous aurions pu discuter.

Mme Frédérique Vidal, ministre.  - Je remercie le Sénat pour son soutien au Cnous et aux Crous. Le personnel y sera sensible.

Je remercie aussi l'auteur du texte, le rapporteur et la commission d'avoir mis en lumière ce sujet bien réel, et salue la qualité du débat. Sagesse.

L'amendement n°1 n'est pas adopté.

L'article premier est adopté.

ARTICLE 3

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Supprimer cet article.

Mme Sabine Van Heghe.  - Il s'agissait d'un amendement de coordination, il n'a plus de raison d'être.

L'amendement n°2 est retiré.

L'article 3 est adopté.

La proposition de loi est adoptée.

(Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP)

La séance est suspendue quelques instants.