Droit de visite pour les malades en établissements

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à créer un droit de visite pour les malades, les personnes âgées et handicapées qui séjournent en établissements, présentée par M. Bruno Retailleau et plusieurs de ses collègues.

Discussion générale

M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de loi .  - La crise sanitaire a représenté un choc collectif considérable, mais aussi une épreuve de vérité pour la Nation française.

Elle a révélé certaines faiblesses : excès de centralisme et de bureaucratie, manque d'anticipation, notamment. Mais surtout, au-delà des défaillances de gestion, elle a mis au jour un défaut d'humanité.

Dans nos établissements de santé et médico-sociaux, des personnes fragiles se sont retrouvées privées de tout contact avec leurs proches. Derrière ces portes closes se sont noués des drames terribles, en particulier pour les personnes en fin de vie, laissées seules face à la mort - malgré le dévouement de personnels soignants débordés.

Terrible, l'épreuve le fut aussi pour les familles, privées du rite de passage, parfois même d'un rite funéraire digne de ce nom. J'ai été profondément ému, comme beaucoup, par les témoignages de Stéphanie Bataille et Laurent Frémont, fondateurs de l'association « Tenir ta main » ; ce qu'ils ont vécu n'est pas admissible.

En mars dernier, le Conseil d'État a rappelé certaines évidences. La Défenseure des droits elle-même s'est émue de ces situations, au mois de mai. « Protéger nos aînés, ce n'est pas les isoler », a affirmé Emmanuel Macron.

La présente proposition de loi tire les enseignements de ces situations, en instaurant trois garanties.

D'abord, le droit de visite, aujourd'hui virtuel, deviendra effectif ; consacré comme disposition d'ordre public, il s'imposera aux règlements des établissements.

Ensuite, le bon sens requiert de confier ce droit non aux autorités administratives des établissements, qui obéissent à des circulaires uniformes tombant de Paris, mais aux autorités médicales, plus à mêmes de trouver les bons équilibres. Ce sera un rempart contre une froide mécanique bureaucratique.

Enfin, il s'agit de rendre inconditionnel, au nom de la solidarité et de la fraternité, le droit de visite pour les personnes en fin de vie. C'est là un principe fondamental.

Cette proposition de loi n'est ni un texte partisan ni un texte inspiré par l'émotion, si légitime soit-elle. Il s'agit de réaffirmer des devoirs d'humanité eu égard à la place que nous réservons, dans nos sociétés dites avancées, aux personnes les plus vulnérables.

Ce débat engage l'idée que nous nous faisons de la vie : en cherchant à protéger des vies humaines, n'avons-nous pas réduit la vie humaine à sa seule dimension biologique ?

En coupant leurs liens affectifs, nous avons ôté à certaines personnes leur raison de vivre : elles ont oublié que, au-delà de leur corps souffrants ou affaiblis par le grand âge, elles étaient des coeurs aimants et aimés.

Au nom de la sécurité de tous, nous ne devons pas sacrifier la dignité de chacun - demain, peut-être, un parent ou un ami. La question n'est pas simple, et nous ne faisons le procès de personne. Simplement, nous entendons tirer les leçons de la pandémie aussi sur le plan humain. Telle est la raison d'être de ce texte.

Ne laissons pas une forme d'hygiénisme sanitaire dénouer les liens entre les personnes. Nous ne sommes pas des individus, mais des personnes ; nous avons besoin les uns des autres. Souvenons-nous de la belle formule de Victor Hugo : « Ma vie est la vôtre, votre vie est la mienne (...) ; la destinée est une. »

Ne laissons pas, par excès de précaution, confiner la compassion ! Les plus fragiles d'entre nous doivent savoir qu'une main se tendra toujours pour les accompagner. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur le banc de la commission ; M. Daniel Chasseing et Mme Laurence Cohen applaudissent également.)

Mme la présidente.  - Je salue le Conseil municipal des jeunes de Gujan-Mestras, présent en tribune à mon invitation. (Applaudissements sur toutes les travées)

Mme Corinne Imbert, rapporteure de la commission des affaires sociales .  - Voici un texte de nature à nous rassembler très largement.

Il s'agit de préciser le droit à la visite des proches pour les personnes résidant en établissement et de rendre ce droit inconditionnel pour les personnes en fin de vie.

L'initiative est motivée par les événements récents : des milliers de personnes hospitalisées ou résidant en Ehpad ont subi un isolement forcé difficile à vivre, parfois même fatal - ce que la gériatrie nomme pudiquement le « glissement », ce sont des humains qui meurent de ne plus être considérés comme tels.

Soyons clairs : nulle intention de montrer du doigt, ni de refaire la commission d'enquête sur la gestion de la crise. Les directeurs d'établissement ont fait de leur mieux, avec les moyens dont ils disposaient et en appliquant des instructions nécessairement erratiques, car formulées sans visibilité.

Reste que nous avons assisté à une véritable catastrophe psychologique, individuelle et collective. Des proches ressentent angoisse et culpabilité face à un deuil impossible. Les fondateurs du collectif « Tenir ta main » n'ont sans doute pas tort de dénoncer un recul de civilisation sans précédent. De fait, au printemps 2020, des centaines de personnes décédées ont été mises en sac - je pèse mes mots - sans avoir revu une dernière fois leurs proches, ni même reçu les derniers soins que l'humanité doit aux défunts.

L'organisation des visites continue de susciter des interrogations : ici la prudence reste excessive, là les plages de visite sont trop étroites, parfois par manque de personnel.

La commission des affaires sociales a jugé le dispositif proposé opportun.

D'aucuns avancent que le droit de visite serait déjà garanti au niveau constitutionnel par le droit à la vie privée et le droit à la santé et consacré par la Convention européenne des droits de l'homme. Mais mieux vaut le préciser dans la loi pour éviter le recours au juge.

Quant à la Charte des personnes hospitalisées et au livret d'accueil du résident en Ehpad, ces documents de droit souple, plus ou moins précis, ne suffisent pas. Il appartient à la loi de définir le régime des droits et libertés. Au reste, elle est déjà plus explicite sur le secret médical ou encore le droit d'aller et venir.

Le texte de la commission est très proche de la proposition de loi initiale. Il consacre le droit de visite comme principe fondamental, responsabilise les directeurs d'établissement pour sa mise en oeuvre et le sanctuarise dans les cas extrêmes comme garde-fou contre les situations d'inhumanité.

Les refus de visite -  justifiés par une menace à l'ordre public ou un risque sanitaire  - devront être notifiés aux intéressés et motivés. L'avis sur le risque sanitaire pourra être rendu par tout professionnel de santé, car tous les établissements n'ont pas de médecin coordonnateur.

La commission a élargi le dispositif de la visite inconditionnelle, notamment pour inclure les amis de la personne en fin de vie. L'état d'urgence sanitaire ne pourra y faire obstacle. Aujourd'hui, certains patients en fin de vie refusent l'hospitalisation par peur ne plus pouvoir revoir leurs proches...

D'ordre public en vertu de l'article 6, ces mesures ne pourront être contredites par des stipulations contractuelles.

Cette proposition de loi vise des objectifs d'intérêt général avec des moyens proportionnés. Je vous invite à l'adopter dans le texte de la commission. La dignité humaine nous le commande. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP. -  Mme Laurence Cohen applaudit également.)

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée, chargée de l'autonomie .  - Des relations familiales sereines, la liberté, l'intimité : tels sont les sujets abordés par la présente proposition de loi, au regard des enjeux de protection et de sécurité.

Comment concilier deux droits apparemment contradictoires : être libre et être protégé ? Cette question n'est évidemment pas née avec la pandémie, mais il nous faut aujourd'hui repenser cette articulation sensible.

Je prends la parole avec une profonde humilité, car en ce domaine nul ne détient la vérité ; il n'y a place ni pour l'arrogance ni pour les certitudes.

Je remercie M. Retailleau d'avoir ouvert cet espace de débat. En revanche, je ne puis me résoudre à entendre parler de défaut d'humanité. Les soignants ont été engagés aux côtés des plus vulnérables ; il faut leur rendre hommage.

Si l'intention est empreinte d'humanisme, le droit de visite est déjà un principe législatif pour les établissements de santé comme pour les établissements médico-sociaux.

Au demeurant, je rappelle que, à l'exception de la période de mars- à mai 2020, il n'y a pas eu d'interdiction générale des visites.

Les établissements de santé sont avant tout des lieux de soins. Le droit de visite est celui d'un patient à être visité ; il peut refuser une visite au nom du droit à la vie privée.

Le patient et les visiteurs ont des droits, mais aussi des devoirs vis-à-vis des autres patients et des professionnels.

Le droit de visite est un principe déjà bien établi. Il ne serait pas réaliste de le rendre opposable, compte tenu des exceptions nombreuses : réanimation, urgences, maternité, psychiatrie, infectiologie, soins de suite, pour ne citer que ces cas. Il faut tenir compte aussi de la configuration des locaux ou des nécessités d'organisation des services.

Alors que les médecins sont pleinement mobilisés par leur activité de soin, la notification et la motivation systématiques ne sont pas souhaitables.

Dans le cas d'une fin de vie, le caractère particulier de la visite est déjà reconnu, avec possibilité de mesures adaptées. L'article R. 1112-68 du code de santé publique est même plus ouvert que le dispositif proposé.

Il est préférable de privilégier la médiation locale à la judiciarisation des situations.

Au reste, nombre de familles étaient très soucieuses de voir leurs proches protégés du virus. Certaines ont même menacé d'engager des procédures pour mise en danger de la vie d'autrui...

Je mesure la souffrance, parfois la colère, des familles qui ont souffert des décisions prises, très difficiles pour les directeurs d'établissement et toujours guidées par des recommandations scientifiques. Ces événements douloureux ne doivent jamais plus se produire.

Nous avons toujours eu à coeur de protéger les plus vulnérables dans cette période -  pas tout à fait terminée  - où la mort était omniprésente et l'incertitude, si grande.

Pour ma part, j'ai toujours défendu le principe : protéger sans isoler. Lors de la deuxième vague, nombre de directeurs ont dû réactiver des mesures de protection -  visites sur rendez-vous, par exemple  - , mais nous avons cherché à maintenir autant que possible les liens sociaux. Ce fut une ligne de crête, avec ses dilemmes éthiques et pratiques.

Nous avons voulu aussi donner aux professionnels un cadre, des directives à suivre. Les protocoles, sur lesquels le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) a été consulté, ont été allégés dès que les situations l'ont permis. Sans relâche, nous nous sommes efforcés de tirer les conséquences de ce que nous étions en train de vivre.

Contre des vents parfois puissants, je me suis battue pour que la liberté soit la règle et l'isolement, l'exception.

En septembre 2020, j'ai lancé un groupe de réflexion éthique réunissant de nombreux acteurs - Défenseure des droits, associations, éthiciens, notamment. Nous avons construit ensemble des outils, notamment sur le consentement à la vaccination. Je remercie Fabrice Gzil pour son travail sur la charte éthique de l'accompagnement du grand âge. Ces travaux continueront d'être utiles après la crise.

L'éthique est première ; elle précède la norme et lui succède. La réflexion sur ce terrain est exigeante, mais nécessaire.

Il n'y a pas d'éthique d'exception. Il s'agit de trouver une juste mesure entre des principes qui entrent en conflit.

La Constitution garantit la liberté individuelle ; l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, le droit à la vie privée. L'article L. 311-3 du code de l'action sociale et des familles précise l'application de ces principes.

Dans un référé-liberté du 15 avril 2020, le Conseil d'État a jugé que des autorisations exceptionnelles de visite pouvaient être accordées, si la sécurité de chacun était assurée, notamment dans le cas d'une fin de vie. Il est donc déjà possible de faire valoir un droit de visite devant le juge.

Nombreux sont les textes et décisions rappelant qu'aller et venir est une liberté fondamentale. D'un point de vue strictement juridique, le droit de visite est déjà garanti.

Une nouvelle norme est-elle donc la bonne réponse ? La loi doit être connue et appliquée : le débat d'aujourd'hui participe à cet objectif.

Je suis une ministre de terrain, je vais à la rencontre des soignants, et j'ai vu que malgré l'adhésion de principe, malgré l'impulsion donnée sur la lutte contre la maltraitance, des atteintes aux droits des usagers demeurent, au nom de la protection des personnes - y compris contre elles-mêmes. Même si l'objectif est toujours faire au mieux pour les personnes accueillies, il reste une marge d'interprétation, un arbitrage entre droits et obligations. Le risque est d'entériner des atteintes aux droits des personnes, d'autant que les responsables ont peur d'être mis en cause à titre personnel en cas de prise de risque.

Il s'agit donc, au-delà de la loi, de penser des outils, des guides, des formations pour accompagner les personnels et les personnes, en s'inspirant du vécu.

Le Gouvernement a déjà engagé ce travail. Avec Éric Dupond-Moretti, Olivier Véran et Sophie Cluzel, nous avons missionné un groupe de travail interministériel, réunissant la direction générale des affaires civiles et du sceau et la direction générale de la cohésion sociale, chargé d'élaborer un cadre juridique clair pour les mesures de restriction de la liberté d'aller et venir.

Un État responsable accompagne ceux qui agissent et prennent des décisions.

Il faut aussi prendre la mesure du moment. Les professionnels, rodés, ont été soudainement confrontés à l'incertitude, à la mort, à la maladie. L'année 2020 fut éprouvante et je pense à ceux qui nous ont quittés. J'ai écouté, guidé et adapté les réponses au gré de l'évolution sanitaire : c'était le rôle de l'État.

Un procès en inhumanité ne grandirait personne.

Kant définissait le droit comme les conditions qui permettent à la liberté de chacun de s'accorder avec la liberté de tous. Le Gouvernement s'est engagé dans la mise en oeuvre du cadre juridique existant et veut avancer avec les familles et les directeurs.

En dépit des excellentes intentions qui la motivent, je ne peux donc soutenir l'adoption de cette proposition de loi.

Mme Laurence Cohen .  - Depuis le début de la pandémie, nous avons tous observé des restrictions, voire des interdictions de visite de patients hospitalisés. Protéger les patients du virus pouvait paraître légitime, mais cet isolement contraint a généré des traumatismes : sentiment d'emprisonnement, syndrome de glissement pour les résidents, deuils traumatiques pour les familles. Les professionnels du secteur médical et médico-social ont été exemplaires, mais eux aussi sont traumatisés. Les alternatives numériques ne remplacent pas le contact direct.

L'interdiction d'un dernier échange a été vécue comme une violence faite aux mourants et aux proches. Certains directeurs d'Ehpad ont imposé des limitations de visites de manière autoritaire et disproportionnée. À l'hôpital, les pratiques ont été très variables, d'un établissement à un autre, voire d'un service à l'autre, malgré les assurances du ministre de la santé.

Faute de texte contraignant, les directeurs demeurent libres pour édicter leurs règles de visites. Or les témoignages de reculs éthiques sont nombreux.

Le Conseil national professionnel de gériatrie estimait en février que la surmortalité due aux mesures de protection contre l'infection était au moins équivalente à celle liée au Covid-19, et rappelait le bénéfice sanitaire des visites.

Si la Charte de la personne hospitalisée de 2006 prévoit un droit aux visites, celui-ci se heurte au pouvoir de police laissé aux directeurs d'établissement. Une centaine d'Ehpad garderaient encore leurs portes closes.

Cette proposition de loi ne règle certes pas tout - notamment le problème des moyens financiers - mais ce n'est pas son objet : elle améliore les droits et dépasse les clivages. Le groupe CRCE y apportera son soutien. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, UC et Les Républicains)

Mme Jocelyne Guidez .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le droit de visite est celui de pouvoir dire « Au revoir, et à bientôt ». Un message simple mais profondément humain.

Merci à M. Retailleau pour son initiative et à Mme Imbert pour son travail en tant que rapporteur.

Nous saluons le courage et l'engagement des acteurs de la chaîne du soin. Malgré les difficultés structurelles et les dysfonctionnements, ils ont admirablement fait face à la crise, tantôt la peur au ventre, tantôt les larmes aux yeux...

La présente proposition de loi vise à garantir le droit de visite à l'hôpital et en établissement médico-social. En effet, les mesures de confinement ont isolé les patients les moins autonomes, pour qui la présence des proches est pourtant primordiale. Les Ehpad, qui ont concentré 25 % des décès de la covid, ont été mis sous cloche.

Le virus, très agressif pour nos aînés, a nécessité dans un premier temps des mesures de restriction strictes, qui ont rendu inhumaine la fin de vie des mourants, privés du soutien de leurs proches, et plongé les familles dans la culpabilité.

La Défenseure des droits a dénoncé cette mise à mal des droits et libertés des résidents, pour qui les proches sont le seul lien avec le monde extérieur, leur raison de vivre.

Nos aînés méritaient une autre fin de vie. L'Ehpad est devenu un lieu d'enfermement, favorisant le syndrome de glissement, malgré le dévouement des professionnels. Pour les familles endeuillées, c'est la double peine : le deuil sans contact, sans adieu ni visage, est aussi douloureux que le deuil sans corps...

Le 3 mars 2021, le Conseil d'État a suspendu l'interdiction générale de sortie des résidents d'Ehpad, jugée disproportionnée. Selon la Défenseure des droits, les restrictions à la liberté d'aller et de venir ne peuvent être laissées à la seule appréciation des directions d'Ehpad. Au-delà des seuls risques viraux, il faut prendre en compte les risques psychosociaux et affectifs qui pèsent sur nos aînés et mettre un terme à leur isolement.

La situation a changé : les établissements disposent désormais de tous les outils pour prévenir l'apparition de clusters et l'immense majorité des résidents sont vaccinés.

En l'état actuel du droit, aucun texte ne garantit le droit de visite. Cette proposition de loi comble donc un vide juridique.

Interdire le droit de visite ne serait plus le fait du directeur d'établissement mais du médecin chef ou d'un professionnel de santé, qui connaissent mieux la situation des résidents. Dans les Ehpad, le refus doit être motivé au cas par cas.

Ce texte cherche à concilier liberté et protection : le tout sanitaire atteint ses limites.

N'oublions pas les familles endeuillées : trouvons des solutions plus humaines, protégeons sans isoler.

Le groupe UC votera ce texte utile, tel qu'enrichi par la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP)

Mme Véronique Guillotin .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Alors que l'épidémie connaît un recul significatif, grâce à la vaccination, nous pouvons en tirer les premiers bilans.

Solitude et isolement ont sans doute conduit des personnes âgées à un syndrome de glissement, voire à se laisser mourir.

La santé est aussi liée à des facteurs humains, environnementaux et sociaux. Nombre d'erreurs ont été commises au début de la pandémie. La Défenseure des droits, dans son rapport, a dénoncé les effets délétères du confinement sur les personnes en Ehpad. Nous avons tous le souvenir de ces familles qui n'ont pu dire adieu à leur proche...

S'il est sain de se pencher avec un oeil critique sur cette période, n'oublions pas le contexte : nous ne savions rien de ce virus qui causait une hécatombe. À la maison de retraite de Mars-la-Tour, en Meurthe-et-Moselle, 47 % des résidents ont été emportés par le Covid en mai 2020 ! France Assos indiquait alors qu'interdire les visites relevait du principe de responsabilité et de solidarité. Les services hospitaliers étaient sous tension, le matériel de protection inadéquat. Difficile de juger a posteriori de mesures prises dans l'urgence et dans un tout autre contexte.

Le maintien du lien social demeure un objectif.

La majorité des membres du groupe RDSE votera la proposition de loi, mais une partie s'abstiendra.

L'éthique est centrale : il faut renforcer la collégialité au sein des établissements de santé, relancer les conseils de la vie sociale dans les Ehpad. Le débat doit aboutir à des chartes d'éthique. Directeurs et médecins référents ne doivent pas être laissés seuls face à de lourdes responsabilités.

Enfin, en ces temps de déclinaison du Ségur, il nous faut aussi penser à la restructuration des établissements pour une meilleure adaptation aux crises sanitaires. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées du groupe UC)

Mme Annie Le Houerou .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Cette proposition de loi entend préciser le droit de visite à l'hôpital et en établissement médico-social et le rendre inconditionnel en fin de vie.

Les autorités sanitaires ont pris des mesures inédites face à une crise elle-même inédite. Je salue l'engagement de directeurs et des soignants, confrontés à des objectifs contradictoires : protéger contre un virus méconnu et respecter les droits des résidents et patients.

Le premier confinement a été particulièrement brutal ; parant à l'urgence, la prise en charge des patients en établissement a souvent négligé l'humain et l'aspect psychologique.

La solitude et le chagrin ont poussé certains à cesser de s'alimenter et à se laisser glisser vers la mort.

Boris Cyrulnik a qualifié de « rupture anthropologique » le fait que les familles n'aient pu dire adieu à leur proche, du fait d'une décision politique. Tout individu a le droit d'avoir une vie intime et affective. Le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) a rappelé en mai 2021 que le respect de la dignité humaine inclut le maintien du lien social, y compris en contexte de crise sanitaire. Le collectif « Tenir ta main », qui défend l'inscription dans la loi d'un droit de visite, a reçu plus de dix mille témoignages.

La Défenseure des droits, dans son rapport de mai 2021, a dénoncé les trop nombreuses atteintes aux droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en Ehpad, avec des restrictions disproportionnées au regard de la situation sanitaire. Ces mesures sont dues à une absence de cadre normatif. Cette proposition de loi comble un vide juridique afin que de tels drames ne se reproduisent plus.

Faut-il légiférer sur le droit de visite ? L'article L.311-3 du code de l'action sociale et des familles précise que les libertés fondamentales des résidents en établissement d'accueil sont garanties.

La Charte des droits de la personne âgée de la Fondation nationale de gériatrie, qui date de 1987, mentionne l'importance du maintien des liens familiaux et amicaux, et prévoit l'accompagnement de la personne en fin de vie et de sa famille.

Passé la situation d'urgence extrême, le fait que le ministère ait laissé les directeurs d'établissement apprécier seuls la situation a fait prospérer des interdictions de visites disproportionnées au regard de la situation sanitaire.

Il faut donc distinguer le droit de visite en période de crise et en période normale. Ainsi, le délai de vingt-quatre heures prévu à l'article 3 semble difficile à appliquer en période de crise, et inutilement formaliste hors crise.

Les amendements adoptés en commission vont dans le bon sens. L'inscription du droit de visite dans la loi est une garantie d'humanité. Cela offre aux professionnels de santé et aux directeurs d'établissement un texte clair et précis pour fonder un refus de visite.

Même si l'épidémie actuelle semble refluer, nous ne sommes pas à l'abri d'une nouvelle épidémie.

Grâce à l'action de la rapporteure Corinne Imbert, dont je salue le travail pragmatique, ce texte clarifie le droit. Le groupe SER le votera. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Dominique Théophile .  - Ce texte part du constat que le Covid s'est accompagné de restrictions de visites parfois drastiques dans les Ehpad et les établissements de santé.

Elles ont permis d'éviter le pire, mais généré une profonde souffrance pour les patients, isolés, pour les soignants et pour les familles, qui ont eu du mal à accepter que les restrictions soient parfois décidées en dehors de tout cadre, et parfois sans réel fondement médical.

Cette proposition de loi qui garantit un droit de visite est séduisante, mais le cadre légal existe déjà : les articles L.311-3 et L.311-9 du code de l'action sociale et des familles, la charte des personnes hospitalisées y pourvoient, comme l'article R.1112-68 du code de la santé publique.

Il est en revanche évident qu'il reste beaucoup à faire pour rendre ce droit de visite effectif.

La Défenseure des droits préconise que les mesures de contrainte sanitaire soient prises pour une durée limitée dans le temps, et qu'elles soient individualisées. Elle rappelle aussi la nécessité pour les Ehpad de proposer des moyens de communication à distance, via la vidéoconférence.

Le groupe de travail interministériel sur la question est aussi bienvenu.

En ce qui concerne les établissements de santé, la Charte du patient hospitalisé, vieille de quinze ans, pourrait utilement être remise à jour.

Nous estimons que le cadre juridique en vigueur satisfait déjà cette proposition de loi. Il s'agit pour nous d'en assurer l'efficacité. Cette proposition de loi prématurée complexifierait le droit. Nous nous abstiendrons donc.

M. Daniel Chasseing .  - Cette proposition de loi aborde un sujet d'une grande importance. Nous avons tous été touchés, de près ou de loin, par la détresse d'hommes ou de femmes mourant dans la solitude, par celle de leurs proches qui n'ont pu les accompagner dans leurs derniers instants.

Je salue néanmoins l'action des directeurs, des médecins et du personnel des établissements pour éviter autant que possible les contaminations.

En 2020, nous n'avions ni vaccin, ni traitement : le virus était très contagieux, occasionnant de nombreux décès.

Cette proposition de loi, dans son article 4, précise que le droit de visite est absolu pour les personnes en fin de vie.

Je félicite Corinne Imbert pour ses amendements clairs et pragmatiques. Ce sont le chef de service ou le médecin coordonnateur qui prendront la décision d'autoriser ou non les visites. Nous ne sommes pas à l'abri d'une nouvelle vague hivernale qui rendra des restrictions à nouveau nécessaires...

La rédaction de la commission apporte un cadre précis et adapté sur lequel pourront s'appuyer les responsables, et replace l'humain au coeur du système de soins, conformément au serment d'Hippocrate.

Le lien social est déterminant pour traverser les épreuves de la vie, mais souvenons-nous cependant que dans un établissement d'hébergement collectif, la contamination d'un seul patient par un proche risque d'entraîner la mort de dizaines de personnes !

La commission des affaires sociales a su trouver un juste équilibre entre sécurité sanitaire et préservation du lien social. Le groupe INDEP votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Philippe Mouiller .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les interdictions de visite à leurs proches hospitalisés ou en Ehpad ont créé un traumatisme pour les Français. Des personnes âgées isolées se sont laissées mourir, les enfants qui n'ont pas pu les accompagner, ni même revoir le visage de leurs parents avant leur inhumation, se sentent coupables et ne parviennent pas à faire leur deuil.

Compte tenu de la grande vulnérabilité des personnes âgées et des taux de mortalité élevés au début de la crise sanitaire, des entraves à la liberté d'aller et de venir ont dû être prises, légitimement, pour préserver leur santé. Rappelons-nous, en mars 2020, nous n'avions ni gel ni masque ; les directeurs d'établissement n'ont pas voulu faire courir de danger aux résidents ou voir leur responsabilité mise en cause. Certains ont fait preuve de plus de mansuétude que d'autres. La plupart des professionnels ont montré une abnégation admirable : je pense à ceux d'un Ehpad charentais qui s'y sont confinés sept jours sur sept avec les résidents, pour les protéger.

Le droit de visite est une composante du droit à une vie privée et familiale reconnu et protégé par la Convention européenne des droits de l'homme ; il figure dans la Charte de la personne hospitalisée et celle des droits et libertés de la personne âgée.

Faut-il dès lors légiférer, compte tenu du cadre juridique actuel ? Oui, car ce qui peut sembler naturel ne l'a pas été pendant la période la plus critique de la crise sanitaire.

La Défenseure des droits a pointé des abus, ce qui plaide en faveur d'une clarification.

Ce texte, pour lequel je remercie le président Retailleau, y pourvoit.

Le droit de visite sera ainsi appliqué de façon uniforme surtout le territoire et deviendra la norme - et non l'exception.

C'est le médecin qui décidera des restrictions ; dans les établissements pour personnes dépendantes, le refus ne pourra être prononcé qu'au cas par cas. Le droit de visite deviendrait inconditionnel en fin de vie pour les membres de la famille, mais aussi pour les proches aidants, grâce à la rapporteure Imbert.

J'espère que cette proposition de loi transpartisane sera adoptée unanimement en séance comme elle l'a été en commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Raymonde Poncet Monge .  - La crise sanitaire a été un révélateur des inégalités sociales et territoriales, mais aussi de notre résilience. Le premier confinement a été un traumatisme national.

Le droit de visite dans les établissements médico-sociaux est une expression du droit fondamental à la vie privée. Les directives qui se sont imposées ont conduit, pendant la crise, à des mesures de surprotection sanitaire des personnes vulnérables, entraînant parfois des conséquences irréversibles. Des restrictions ont parfois été inutilement maintenues.

La Défenseure des droits décrit des personnes ayant le sentiment d'être emprisonnées et ne voulant plus vivre.

Le droit au maintien des liens familiaux doit être respecté. La crise sanitaire a révélé combien il était nécessaire de rappeler les droits fondamentaux.

Madame la ministre, dans un débat éthique, il faut toujours s'interroger sur ce que dit le droit - qui gagne toujours à être formalisé.

La minoration de la santé mentale et affective a conduit à la mort de certaines personnes victimes du syndrome du glissement. La gestion a été uniquement médicale, interdisant toute prise de risque.

Il reste donc à travailler sur les bonnes pratiques en cas d'urgence et à s'assurer de l'effectivité des droits.

La formalisation du droit par cette proposition de loi est bienvenue, mais le problème des moyens alloués aux Ehpad demeure. Nous attendons hélas toujours la grande loi autonomie qui ferait enfin des personnes âgées ou en situation de handicap des sujets de droits et non des objets de soins

Le GEST votera cette proposition de loi pour qu'elle prenne place dans une réforme systémique à la hauteur des enjeux. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Yves Bouloux .  - Merci au président Retailleau d'avoir été à l'initiative de ce texte bienvenu.

Avant le Covid, nous n'avions jamais eu l'occasion de nous pencher sur ce sujet. Je salue le rapport empreint de pragmatisme de Mme Corinne Imbert.

Nous devons, non pas stigmatiser, mais préparer l'avenir.

Le droit de recevoir des visites n'est pas expressément prévu par la loi. Il découle du droit à la vie privée et figure en général dans la charte du patient hospitalisé ou dans le livret d'accueil de l'établissement.

Il revient aux directions des établissements de l'organiser et de le limiter. Mais la crise sanitaire a entraîné sa suspension uniforme sur tout le territoire, sans qu'il soit tenu compte des conditions locales. De nombreux malades et résidents sont décédés seuls, sans avoir été accompagnés par leurs proches.

Les conséquences de ces entraves ont été catastrophiques pour les personnes âgées et leurs proches - ce fut le cas de ma propre mère. Privés de contact pendant de longs mois, certains ne reconnaissaient plus leurs proches au moment des retrouvailles et se murent désormais dans le silence.

Selon la Défenseure des droits, la crise du Covid a mis en lumière des pratiques inadaptées. Elle recommande la possibilité d'une visite quotidienne par ses proches si le résident le souhaite. Si nous adoptions ce droit de visite, il pourrait être effectif dès demain.

Chers collègues, avez-vous réalisé que les restrictions de visites avaient été moins dures pour les détenus ? Leur droit de visite n'a été suspendu que lors du premier confinement, et il ne faut pas de passe sanitaire pour se rendre en prison, alors qu'il est exigé pour aller en Ehpad. Peut-être est-ce parce que le droit de visite des détenus est inscrit dans le code de procédure pénale...

Le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

L'article premier est adopté.

L'article 3 est adopté.

ARTICLE 4

Mme la présidente.  - Amendement n°1, présenté par Mme Imbert, au nom de la commission.

Alinéa 2, dernière phrase

Supprimer les mots :

mentionnés à cet article

Mme Corinne Imbert, rapporteure.  - Clarification légistique.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée.  - Ne soutenant pas le texte, je suis défavorable à l'amendement.

L'amendement n°1 est adopté.

L'article 4, modifié, est adopté.

L'article 5 est adopté, ainsi que l'article 6.

Explication de vote

M. Bruno Retailleau .  - De toute évidence, l'équilibre fragile entre sécurité sanitaire et risque de déshumanisation doit être préservé.

Cette proposition de loi ne met nullement en accusation les soignants, d'autant qu'ils ont probablement souffert de cette situation.

Madame la ministre, je ne remets pas en doute votre engagement personnel. Je sais que vous vous êtes battue, et que vous vous opposez à de nouvelles normes, mais nous votons tant de textes inutiles... Nous ne proposons pas celui-ci d'un coeur léger, mais que de manquements !

J'ai été saisi, au printemps, du cas d'un Ehpad où 100 % des résidents et des personnels avaient été vaccinés, mais où des restrictions de visites étaient encore appliquées, dans la limite de deux personnes et sous le regard d'un tiers. C'est insupportable !

Il est essentiel de faire entrer ce droit dans la loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin n°3 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 318
Pour l'adoption 318
Contre    0

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et CRCE)

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée.  - Merci pour la qualité des débats et pour votre travail, madame la rapporteure.

Ne pas soutenir ce texte n'est pas s'opposer au droit de visite. Je remercie M. Retailleau de l'avoir rappelé. Le travail sur le terrain se poursuit, mais nous préférons que le droit de visite soit applicable dans le cadre des textes déjà en vigueur.

Nous voulons en finir avec les blessures vécues durant cette crise sanitaire.