Gel des matchs de football le 5 mai

Discussion générale

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant au gel des matchs de football le 5 mai.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée, chargée de la ville .  - Souvenons-nous du drame de Furiani. Dix-neuf décès, 2 357 blessés, tant de familles endeuillées - je salue celles qui sont présentes en tribune, et le député qui les accompagne. Souvenons-nous de ce mardi 5 mai 1992, qui devait être synonyme de liesse pour les amoureux du football venus assister, au stade Armand-Cesari, à la demi-finale de Coupe de France entre le Sporting Club de Bastia et l'Olympique de Marseille.

Je salue la mémoire de Bernard Tapie, mon prédécesseur au ministère de la Ville, présent ce soir-là à Furiani.

Ce qui s'est passé à Furiani a été un drame pour l'ensemble du sport français. Nous devons aux proches des victimes de le commémorer dignement. La ministre des sports, Roxana Maracineanu - dont je tiens à excuser l'absence - l'a redit à l'Assemblée nationale.

Dès 1992, François Mitterrand avait affirmé qu'aucun match de football ne se tiendrait désormais le 5 mai. Le 13 juillet 1992, la loi créait une procédure d'homologation des enceintes sportives par l'autorité administrative. Depuis, le préfet fixe le nombre maximal de spectateurs admis et les conditions d'aménagement de tribunes provisoires.

De nombreuses propositions de loi visant à sacraliser la date du 5 mai ont été déposées, mais jamais inscrites à l'ordre du jour.

Le 22 juillet 2015, un accord a été trouvé entre le ministère des Sports, la Fédération française et la Ligue professionnelle de football pour qu'un hommage soit rendu chaque 5 mai - minute de silence, port d'un brassard ou lecture d'un message - et que les matchs tombant un samedi 5 mai soient reportés.

Une plaque commémorative a également été dévoilée au ministère des Sports en 2016.

Mais le collectif des victimes juge ces mesures insuffisantes. Il réclame qu'aucun match n'ait lieu le 5 mai. Roxana Maracineanu a donc mobilisé les instances du football pour répondre à cette attente. Parallèlement, le Parlement s'est saisi du sujet avec cette proposition de loi de Michel Castellani. Je salue le travail du rapporteur Thomas Dossus et l'implication du sénateur Paul Toussaint Parigi.

Nous respectons ce travail et soutenons cette proposition de loi. Elle ne prévoit aucune sanction, le but étant que tous s'accordent à respecter le principe du gel.

Sur la nature de l'hommage, le choix vous appartient.

Le football est plus qu'un sport, c'est une culture universelle partagée, un vecteur de transmission. Nous ne devons pas oublier ce qui s'est passé à Furiani. En hommage aux victimes et à l'ensemble du sport français, nous soutenons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du GEST et du RDPI)

M. Thomas Dossus, rapporteur de la commission de la culture .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) La catastrophe de Furiani a causé la mort de 19 personnes et en a blessé plus de 2 300. La justice a mis en évidence la responsabilité des autorités administratives et sportives ainsi que des entreprises en charge de l'installation et du contrôle de la tribune.

Certes, les pouvoirs publics ont réagi afin qu'un tel drame ne se reproduise pas, et une loi a été votée dès juillet 1992. Mais cela a renforcé l'impression que le drame était évitable. De fait, il n'était pas imputable à la fatalité, mais à l'appât du gain...

La question de la commémoration a mis du temps à émerger. Ce n'est qu'en 2012 qu'un groupe de travail mis en place par la Fédération française de football a fait des propositions - qui n'ont pas satisfait le collectif des victimes, lequel souhaite un gel de tous les matchs le 5 mai, comme l'avait promis le président Mitterrand à Bastia.

L'État a cherché un compromis, matérialisé par l'accord du 22 juillet 2015. Force est de reconnaître que les engagements pris alors par le secrétaire d'État Thierry Braillard, n'ont pas été suivis d'effet.

Trente ans après le drame, l'incompréhension entre le collectif des victimes et les instances nationales du football demeure entière. Les membres du collectif considèrent que le foot est une fête et qu'il n'est pas possible de commémorer Furiani et de faire la fête en même temps.

Cette proposition de loi donne satisfaction à leur revendication : aucun match des championnats de France professionnels de première et deuxième divisions, de la Coupe de France et du Trophée des champions ne sera joué un 5 mai.

Le 5 mai 2022 marquera le trentième anniversaire du drame ; les victimes attendent une reconnaissance nationale. Le temps est compté. Si le Sénat n'adopte pas conforme ce texte, nous risquons de manquer ce rendez-vous symbolique.

Pourquoi une loi ? Les faits sont trop graves et le Parlement demeure le seul recours possible, l'accord étant impossible entre la Fédération et le collectif. Le gel prévu ne concerne ni les matchs amateurs ni les matchs internationaux. Il n'y a aucun obstacle technique ou économique à ce gel.

L'impact de ce drame sur l'évolution des normes renforce son caractère national.

L'attente des Corses comme du peuple du football nous invite à adopter cette proposition de loi, comme la commission de la culture l'a fait, sans modification. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe Les Républicains ; MM. Claude Kern et Pierre Ouzoulias applaudissent également.)

M. Didier Rambaud .  - Le 5 mai 1992, comme beaucoup, j'étais devant ma télévision. Ce devait être un match de haut niveau ; ce fut une catastrophe terrible.

J'adresse mes pensées aux familles des victimes de cette tragédie. Le collectif qui les rassemble réclame un gel des matchs le 5 mai.

Ce texte le limite aux championnats professionnels de ligue 1, de ligue 2, aux matchs de la Coupe de France et du Trophée des champions. Les matchs amateurs et internationaux ne sont pas concernés.

Nous voterons cette proposition de loi dans un esprit de consensus, malgré quelques réserves, personnelles ou partagées.

Pourquoi une telle proposition de loi, près de trente ans après le drame ?

À l'époque, le législateur avait réagi en votant, dès le 13 juillet 1992, une procédure d'homologation des installations sportives. La démarche de reconnaissance engagée en 2015 sous l'autorité de Thierry Braillard a abouti à un accord entre le ministère des Sports, la Fédération française et la Ligue professionnelle, signé le 22 juillet 2015 - mais insuffisant aux yeux du collectif des victimes.

Le football véhicule de nombreuses valeurs, et notamment celles de solidarité et de respect. Nous devons être solidaires de nos compatriotes corses et respecter le souvenir des victimes. Mais faut-il geler les matchs professionnels pour commémorer ? Je n'en suis pas sûr.

Je m'interroge sur la postérité du dispositif plutôt que sur sa portée juridique - discutable compte tenu de l'absence de sanctions. Je crois que la minute de silence, le port d'un brassard noir ou des hommages avant les matchs auraient été préférables.

Mes interrogations portent sur les modalités de la commémoration, non sur la commémoration elle-même.

Par respect pour les familles, mon groupe votera la proposition de loi.

M. Dany Wattebled .  - Les palmarès sportifs font apparaître, en creux, les événements tragiques qui marquent l'Histoire. La liste des vainqueurs de la Coupe du monde s'interrompt en 1938 pour ne reprendre qu'en 1950. Le vainqueur de l'Euro 2020 a été connu le 11 juillet 2021, pour cause de pandémie. En 1992, le palmarès de la Coupe de France ne donne aucun vainqueur, souvenir en creux du drame du 5 mai à Furiani.

La compétition s'y était arrêtée en demi-finale. Les images restent et nous sidèrent toujours. Le groupe Les Indépendants salue la mémoire des victimes et adresse une pensée aux milliers de blessés. Par son ampleur, ce drame a marqué toutes les familles de Corse. Et tout ce qui concerne la Corse concerne la France.

Un collectif s'est constitué, adressant ses premières demandes au début des années 2010. La Fédération française de football a mis en place un groupe de travail, mais aucune des solutions proposées - gel des matchs en Corse, les samedis 5 mai, pas de finale un 5 mai - n'a trouvé grâce aux yeux du collectif.

Il faut se souvenir, mais doit-on pour autant légiférer pour interdire les matchs le 5 mai ? Ne peut-on remplir autrement le devoir de mémoire ?

Doit-on interdire les matchs de Coupe d'Europe les 6 février, en mémoire du crash aérien du 6 février 1958 à Munich qui décima l'équipe de Manchester United ? Ou les 29 mai, en mémoire du drame du Heysel, en 1985, qui fit 39 morts lors de l'effondrement d'une tribune ?

La pratique du football ne fera jamais insulte à la mémoire des supporteurs. Ce sport place le respect au centre du jeu. Je considère qu'on commémorera mieux le drame de Furiani en jouant au football, plutôt qu'en empêchant le sport.

Je soutiens en revanche le principe d'une minute de silence en début de match, pour surtout ne pas oublier.

Le groupe Les Indépendants votera majoritairement contre le texte.

M. Jean-Jacques Panunzi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nous sommes là pour commémorer le drame survenu le mardi 5 mai 1992 à Furiani. Ce devait être une journée de fête, sur l'île de Beauté. Le stade est comble, mais la fête s'arrête à 20 h 23, quand la tribune provisoire s'effondre.

Pendant toute la nuit, un pont aérien médical qui évacue les blessés vers le continent.

Le drame marque la Corse dans sa chair. Dix-neuf morts et 2 300 blessés, certains paralysés à vie, c'est presque 1 % de la population de l'île de l'époque !

Depuis, familles et survivants se sont battus pour que l'on n'oublie pas. Je salue le collectif présent dans les tribunes, ainsi que les députés de Corse, la présidente de l'Assemblée de Corse et la conseillère en charge du sport.

Le 10 mars 2016, une plaque commémorative a été dévoilée au secrétariat d'État au sport.

Ce texte, qui répond à une demande juste, équilibrée et légitime, doit pouvoir être adopté en l'état. J'appelle chacun à le voter conforme, pour une promulgation rapide.

Nous allons commémorer le trentième anniversaire de la catastrophe. Le président Mitterrand avait assuré, en 1992, qu'aucun match n'aurait lieu le 5 mai. Que la route fut longue !

S'il faut en passer par la loi, c'est que les autorités sportives nationales n'ont pas été au rendez-vous.

Cette proposition de loi rend hommage aux victimes et aux familles et envoie un message à la Corse, lui signifiant que si ces spécificités en font une région à part, elle n'en demeure pas moins une région française à part entière.

M. Max Brisson.  - Très bien !

M. Jean-Jacques Panunzi.  - Le drame de Furiani a touché la Nation entière. Cette proposition de loi répond au devoir de mémoire. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et du GEST ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. Paul Toussaint Parigi .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Le soleil déclinait, l'ambiance montait. C'était un mardi. Chacun était venu, dans un élan de solidarité, pour la demi-finale de la Coupe de France entre le Sporting club de Bastia et l'Olympique de Marseille. Le rêve de victoire était encore permis.

Trois minutes avant le coup d'envoi, l'inouï, l'inconcevable est arrivé. La tribune Nord du stade Armand-Cesari s'effondre, happant 3 000 âmes dans le vide. L'effroi, la stupéfaction, l'horreur d'une tragédie née du choix de maximiser le profit au détriment de la sécurité, du choix de l'argent au détriment de la vie.

Pour les victimes et leurs familles, le 5 mai, c'était hier !

Le président Mitterrand avait déclaré qu'aucun match officiel ne devait plus se jouer le 5 mai.

Cette proposition de loi est le fruit d'un long combat, celui des familles de victimes, malgré les déceptions, les promesses non tenues, les hésitations des instances du football.

C'est la volonté de réconciliation du peuple du football avec sa mémoire, l'histoire d'une réparation.

Car Furiani porte le sceau d'une trahison, celle de fautes irréparables commises par cupidité.

De tels manquements obligent le service public, l'État et la représentation nationale à agir quand les ligues et les fédérations ne prennent pas leurs responsabilités.

Certains d'entre vous s'interrogent encore. Il n'est plus temps. L'indifférence a été trop loin pour que nous reculions.

La contrainte, dérisoire, ne porte que sur cinq journées sur les vingt prochaines années.

Honorons dignement la mémoire des victimes, accompagnons ceux qui les pleurent. Cette proposition de loi ne supprimera pas la peine et la douleur mais évitera la souffrance d'un nouveau désaveu.

Après le vote unanime de l'Assemblée nationale, c'est avec gravité et solennité que je vous demande de voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du GEST, des groupes CRCE, UC et Les Républicains)

Mme Céline Brulin .  - La catastrophe de Furiani est d'abord un drame humain qui a frappé de nombreux Corses. À mon tour de rendre hommage aux victimes, aux 19 morts, aux plus de 2 300 blessés, aux familles affectées.

Les tragédies sont parfois inévitables. Ce n'était pas le cas à Furiani. Il y a eu une série de manquements, de défaillances des organisateurs.

La commission de sécurité avait émis des réserves sur la conformité des installations ; une double billetterie a faussé le nombre de spectateurs accueillis dans la tribune provisoire, érigée à la va-vite. On a fait primer des intérêts mercantiles sur la sécurité.

Il est essentiel de rendre hommage aux victimes mais aussi de dire « plus jamais ça ».

Nous nous réjouissons que les normes et les contrôles aient été renforcés, et que l'émission des billets par les clubs soit mieux contrôlée.

Les familles de victimes souhaitaient un gel des matchs le 5 mai, mais les mêmes intérêts mercantiles qui ont mené au drame ont jusque-là empêché qu'on aboutisse.

L'État a essayé de trouver un compromis et un accord a été noué le 22 juillet 2015. Il demeure partiel et a déjà trouvé ses limites. Les familles de victimes estiment que la Fédération française de football et la Ligue de football professionnel n'en ont pas pleinement pris la mesure des attentes mémorielles.

Notre groupe votera cette proposition de loi, qui y répond.

Saisissons cette dernière chance de poser cet acte fort, à l'aube du trentième anniversaire du drame. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et du GEST ; M. Claude Kern applaudit également.)

M. Claude Kern .  - (Applaudissements sur les travées du groupUC) Il est des moments de fureur, de sidération qui ne peuvent s'éteindre. Depuis trente ans, Furiani se rappelle à nous tous, tous les 5 mai. Ce sera encore plus vrai l'année prochaine.

Rien de ce qui s'est passé ce 5 mai ne ressemble à une anecdote. Ce n'est pas une histoire de fracas et de fatalité, mais d'irresponsabilité et d'inconséquence.

Justice a été rendue - mais le drame doit rester gravé dans les mémoires, au-delà des mots. La France doit se souvenir de ce funeste soir par un recueillement digne, loin de la coupable indifférence qui s'ensuivit. Ce qui doit désormais caractériser le 5 mai, c'est le respect. Celui qu'on doit aux morts, aux accidentés de la vie, et le respect de la parole donnée.

Il y a eu des insuffisances, des failles, des manquements, des trahisons - et cela nous oblige, en tant que Nation.

Le gel des matchs le 5 mai, c'est tenir une promesse faite au lendemain de l'incurable incurie. C'est respecter le silence des morts et les souffrances des victimes.

Il n'est pas soutenable qu'un terrain de jeu soit devenu un jardin effroyable. Ce jour-là, il n'est pas supportable qu'on s'amuse, comme si de rien n'était, à faire du sport-business sur un rectangle vert, devant un public oublieux.

L'incompréhension demeure vive entre les victimes et les instances nationales du football.

Donnons à l'échéance du 5 mai 2022 la force d'une reconnaissance nationale. Ce drame épouvantable, profondément injuste, était évitable.

Cette proposition de loi est équilibrée. Aucun obstacle technique ni juridique ne se dresse.

La commission de la culture prend acte du compromis enfin trouvé, certes tardivement.

L'État a pris ses responsabilités avec l'accord de 2015. Il est regrettable que les instances du football n'aient pas suivi. Le législateur est donc contraint d'intervenir sur un terrain glissant.

Gardons-nous de faire jouer complaisamment le mauvais rôle aux sénateurs. Ce vote n'est pas purement technique. La dimension humaine nous invite à la cohérence intellectuelle mais aussi à l'ouverture du coeur.

Le groupe UC, dans sa majorité, ne participera pas au vote, afin de ne pas faire obstacle à ce texte. Personnellement, je voterai pour. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, GEST et Les Républicains ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. Jean-Claude Requier .  - Le 5 mai 1992, la tribune Nord du stade Armand-Cesari de Furiani s'effondrait, faisant 19 morts et plus de 2 300 blessés. Je rends hommage aux victimes, et rappelle la bravoure de Bernard Tapie lors de cette catastrophe, en saluant sa mémoire.

Cette proposition de loi traite de mémoire, de commémoration, de résilience. Nous sommes en accord avec le fond, mais avec mes collègues du RDSE, nous nous interrogeons sur la pertinence de recourir à la loi. L'organisation des matchs relève de la Fédération française de football et de la Ligue de football professionnel, qui se disent prêtes à renforcer les commémorations. Le gel des matchs est-il la meilleure solution ?

Nos voisins anglais commémorent la catastrophe du stade d'Hillsborough, qui a tué 96 personnes en 1989, en observant une minute de silence. D'autres solutions sont aussi intéressantes, comme le port d'un brassard noir. Lors d'un match joué le 5 mai 2019, l'AS Saint-Étienne arborait un maillot portant la mention « L'ASSE n'oubliera jamais, 5 mai 1992. »

La Grèce, la Belgique, touchées par des drames similaires, les commémorent sans pour autant annuler de match.

La mémoire ne résonne pas dans le silence. Honorons les victimes en laissant s'épanouir ce ciment social qu'est le football. Après le confinement des stades et des supporteurs, après les tristes matchs à huis clos, rendons hommage aux victimes en entretenant la flamme de leur passion.

Pourquoi légiférer trente ans après le drame ? Ne commémorons pas nos victimes dans le silence, mais ensemble !

À l'exception de Jean-Noël Guérini, qui votera le texte par solidarité corse, les membres du RDSE ne prendront pas part au vote.

M. Jean-Jacques Lozach .  - Le 5 mai 1992, le Sporting Club de Bastia recevait l'Olympique de Marseille pour une place en finale de la Coupe de France de football. Les autorités du club décidèrent de maximiser le nombre de spectateurs en portant la capacité du stade Armand-Cesari de 6 800 à 18 000 places.

Faute de temps et de main-d'oeuvre, l'entreprise niçoise Sud-Tribune, responsable du chantier, utilise en partie des éléments d'ordinaire réservés aux échafaudages. La Socotec, en charge du contrôle technique, rend un avis favorable sur la solidité du sol d'assise. La commission départementale de sécurité, sous la présidence du directeur de cabinet du préfet, autorise la rencontre.

L'enquête révélera la falsification de plusieurs procès-verbaux et la mise en place d'une billetterie parallèle, par appât du gain.

Quatre mille des dix mille places créées à la hâte s'effondrèrent quelques minutes avant le coup d'envoi, devant les caméras de télévision. Bilan, 19 morts et 2 357 blessés.

Le président Mitterrand, accouru à Bastia le lendemain, déclara que plus aucun match ne sera joué un 5 mai.

Le jugement des différents responsables fut mal reçu dans l'opinion, donnant l'impression que l'autorité judiciaire faisait preuve des mêmes défaillances.

Depuis, les acteurs et les pouvoirs publics tentent de s'entendre sur la forme que doit prendre l'hommage aux victimes, mais les conceptions s'opposent.

La Fédération française de football et la Ligue de football professionnel défendent une vision active du souvenir et prônent des gestes symboliques lors des matchs ; le collectif des victimes, lui, souhaite une trêve d'une journée dédiée au recueillement.

Une avancée mémorielle importante est réalisée sous l'égide de Thierry Braillard avec l'accord du 22 juillet 2015 - mais les actions instaurées à cette occasion restent largement négligées.

Cette proposition de loi prévoit une dérogation aux modalités actuelles d'organisation des matchs de football professionnels. Ce faisant, elle remet en cause l'autonomie du mouvement sportif, d'où une forme d'ingérence.

Nous nous interrogeons sur l'opportunité d'une loi.

Pourquoi ne pas geler aussi d'autres rencontres sportives, au nom de la solidarité interdisciplinaire ? Quid de la commémoration d'autres catastrophes qui pourraient survenir ?

Plus fondamentalement, nous revient-il de légiférer sur le calendrier des manifestations sportives ?

M. Stéphane Piednoir.  - Eh non !

M. Jean-Jacques Lozach.  - Seulement voilà : ce texte a valeur de rattrapage, voire de réparation, pour panser les plaies d'un traumatisme profond.

Le drame de Furiani a révélé la cupidité de certains acteurs. Du choc est née une prise de conscience collective, qui a conduit à l'évolution des règles. Le même phénomène s'était produit une génération plus tôt, après le plus grand drame du sport français - 84 morts en 1955 sur les 24 heures du Mans.

Nombre de nos équipements sportifs sont vétustes ou inadaptés, ce qui dessert la pratique. En 2019, la Cour des comptes a évalué à 21 milliards d'euros les investissements nécessaires à la rénovation du patrimoine sportif.

De fait, 42 % de nos équipements ont plus de 36 ans et 70 % d'entre eux n'ont jamais été rénovés, selon l'Association nationale des élus en charge du sport. Nos complexes aquatiques sont encore plus vétustes que la moyenne. Nous aurions besoin d'une loi de programmation à hauteur de 1 milliard d'euros sur cinq ans.

Au cours de la cérémonie en l'honneur des médaillés des Jeux olympiques de Tokyo, le Président de la République a annoncé un plan massif en faveur des équipements sportifs de proximité. Pouvez-vous nous en dire plus sur l'accompagnement des collectivités territoriales, propriétaires de la grande majorité des équipements ?

Malgré les réserves que j'ai exprimées, le groupe SER, solidaire du large consensus manifesté à l'Assemblée nationale et saluant la mémoire des victimes, votera la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; MM. Pierre Ouzoulias, Claude Kern et Max Brisson applaudissent également.)

M. Michel Savin .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP) Le 5 mai 1992, l'effondrement d'une tribune du stade de Furiani faisait 19 morts et 2 357 blessés - l'un des drames les plus meurtriers de l'histoire du sport.

Les responsabilités directes ont été définies et de nouvelles règles de sécurité établies, notamment par la loi du 13 juillet 1992, qui ont fait la preuve de leur efficacité en prévenant de nouveaux drames.

Mais depuis trente ans, ce drame hante la Corse. Aucune initiative de commémoration n'a abouti, malgré les engagements pris par la quasi-totalité des Présidents de la République. À nous de régler une question mémorielle qui ne relève pas forcément du niveau de la loi.

Le dispositif proposé est avant tout symbolique : un gel qui ne concernera que quelques journées d'ici à 2040, des brassards noirs. L'ambition aurait pu être plus grande.

En particulier, je regrette que le texte ne reprenne pas deux des cinq points de l'accord du 22 juillet 2015, restés sans suite : une réflexion sur la promotion des valeurs du sport dans les écoles et un prix des valeurs citoyennes du sport, qui aurait pu être décerné chaque 5 mai. Il est possible d'honorer la mémoire des victimes tout en dépassant le drame de Furiani pour promouvoir les valeurs du sport.

Je constate avec regret l'inertie du ministère des Sports.

En outre, la proposition de loi n'implique pas les supporters, alors qu'un hommage aurait pu se concevoir en présence du public. Le devoir de mémoire ne peut passer uniquement par un gel des rencontres : il faut transmettre aux jeunes générations la mémoire de l'événement.

On peut donc s'interroger sur l'opportunité d'adopter ce texte. Pour ma part, je vous appelle à l'adopter sans modification, afin que le dispositif s'applique le 5 mai prochain, mais j'espère que les hommages ne se limiteront pas aux mesures prévues. Le rapporteur l'a dit fort justement : il s'agit de reconnaître le caractère national du drame de Furiani.

Il est dommage que, compte tenu de l'inertie des instances du sport, la loi soit devenue l'ultime espoir pour les familles des victimes d'être entendues. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-Raymond Hugonet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Permettez-moi d'avoir une pensée pour ceux qui sont tombés, comme l'on dit en Corse, ce maudit 5 mai 1992. Le football, c'est la vie ; la mort n'aurait jamais dû s'inviter, ce soir-là, au stade Armand-Cesari de Furiani.

L'heure n'est plus à la recherche des responsabilités ; la justice est passée.

L'heure n'est pas non plus à la récupération politique, qui consisterait à faire maladroitement de ce drame un symbole du sport-business, alors qu'il ne s'agissait que de bêtise, d'irresponsabilité et de cupidité.

Il est toujours délicat pour le législateur d'intervenir dans le domaine mémoriel. Il faut résister à la tentation de légiférer par émotion, comme nous en avons pris la triste habitude depuis trente ans.

Pour ma part, je pense que le plus beau, le plus puisant des hommages consisterait, justement, à jouer au football le 5 mai. (M. Stéphane Piednoir acquiesce.) Dans le Sud, on ne se tait pas lors des minutes de silence : on applaudit.

Néanmoins, après mûre réflexion, je voterai cette proposition de loi.

D'abord, parce que, en Corse, on se souvient - chose heureuse dans notre société du zapping. C'est même une passion insulaire : à quoi servirait-il de vivre, demandent les Corses, si personne ne se souvenait de vous après votre mort ?

Ensuite, parce que, depuis trente ans, l'État, la fédération et la ligue ont été incapables de dégager une solution consensuelle.

Je comprends les réticences de certains d'entre nous. Pour tenter d'emporter leur conviction, qu'il me soit permis de citer le grand Albert Camus : « Ce que je sais de la morale, c'est au football que je le dois. » Cette morale, rappelons aux représentants de ce merveilleux sport combien il est périlleux de s'en écarter. Pace e salute ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du GEST ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

Mme Nadia Hai, ministre déléguée.  - De nombreux arguments ont été avancés en faveur d'un vote conforme. C'est l'issue que le Gouvernement souhaite pour nos débats.

M. Savin a regretté le manque d'action de l'État. Je rappelle que, dans la loi confortant les principes de la République, nous avons renforcé l'engagement des fédérations et ligues sportives sur les enjeux de société, dont le devoir de mémoire. Cette proposition de loi s'inscrit donc dans la continuité de ce qui a été voté il y a trois mois.

La discussion générale est close.

Discussion de l'article unique

M. Stéphane Piednoir .  - Je suis traversé à cet instant par des sentiments mêlés.

Je me souviens de mon émotion de jeune adulte devant mon poste de télévision, le 5 mai 1992 à 20 h 23.

M. Hugonet a souligné l'échec des négociations menées depuis trente ans. Il est regrettable que la position des instances sportives n'ait pas pu être infléchie.

Le législateur avait à renforcer les règles de sécurité et d'accueil, pour éviter tout nouveau drame, ce qu'il a fait. En revanche, je considère que cette proposition de loi n'est pas d'ordre législatif.

Par ailleurs, un hommage muet et punitif risque de faire tomber cette date dans l'oubli. Il y a de nombreuses autres façons de commémorer - en applaudissant, par exemple.

Compte tenu de ces réserves, je ne pourrai pas voter ce texte.

M. Jacques Grosperrin .  - Il est regrettable que la ministre des sports ne soit pas au banc du Gouvernement ce matin.

Je me suis abstenu en commission, car j'avais de nombreux doutes. Mon collègue Jean-Jacques Panunzi m'a convaincu. Songez que ce drame a touché 1 % de la population corse : en Île-de-France, cela aurait représenté 120 000 personnes !

De nombreuses promesses ont été faites par le passé. Puisse notre vote conforme contribuer à cicatriser les souffrances des familles. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP et sur quelques travées du GEST)

M. Ronan Dantec .  - Un acte fort doit être posé. Ne pas jouer peut permettre de consacrer cette journée à une réflexion, y compris avec les joueurs, sur les difficultés du football professionnel. Depuis Furiani, il y a eu d'autres drames - des supporteurs morts dans des violences, notamment. Cette journée de commémoration pourra devenir aussi une journée de réflexion pour tous les acteurs du football.

M. Max Brisson .  - Pourquoi les instances du football n'ont-elles pas été capables de répondre aux attentes des familles ? Pourquoi la justice n'a-t-elle pas pu apaiser les souffrances ? Pourquoi la ministre des sports n'est-elle pas présente ce matin ?

Le Parlement de la République s'honore lorsqu'il marque de son sceau l'unanimité de la Nation.

J'ai été sensible à l'appel de Jean-Jacques Panunzi et Paul Toussaint Parigi. La Corse, dans sa pluralité, nous demande un vote conforme. Faisons-le aujourd'hui, pour être au rendez-vous du 5 mai 2022 ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du GEST)

M. Michel Savin .  - Les engagements pris en 2015 n'ont pas été tenus. Je ne parle pas des fédérations, madame la ministre déléguée : il s'agissait d'une réflexion conjointe entre les ministères des sports et de l'éducation nationale.

Je regrette d'autant plus cette inertie que geler des matchs ne suffit pas : il faut un travail de sensibilisation et de mobilisation.

M. Jean-Jacques Lozach .  - Malgré les réserves dont j'ai fait part, le groupe SER est attaché à l'adoption conforme de cette proposition de loi. C'est la dernière occasion, au vu du calendrier parlementaire, pour rendre hommage aux victimes. C'est maintenant ou jamais.

L'absence de rencontre ne signifie pas l'absence d'événement.

M. Michel Savin.  - Tout à fait !

M. Jean-Jacques Lozach.  - Les clubs professionnels auront toute liberté pour organiser des manifestations, dans un esprit de responsabilité sociale, comme l'on dit pour les entreprises.

Mme Nadia Hai, ministre déléguée .  - La ministre des sports est avec le Président de la République et le Premier ministre en Seine-Saint-Denis pour annoncer un plan d'investissement ambitieux...

M. Michel Savin.  - De 250 millions d'euros...

Mme Nadia Hai, ministre déléguée.  - ... en faveur des équipements sportifs. (Murmures sur diverses travées)

M. Max Brisson.  - Elle devait être ici !

M. Jacques Grosperrin.  - Et les familles ?

Mme Nadia Hai, ministre déléguée.  - J'avais 12 ans quand le drame de Furiani est arrivé ; ce que je regrette, monsieur Savin, c'est que rien n'ait été fait avant 2015 !

Depuis 2015, des décisions ont été prises pour que les valeurs du sport et la commémoration de ce drame qui a touché la Nation tout entière soient rappelées dans l'éducation nationale.

M. Max Brisson.  - Ce n'est pas le sujet !

M. Pierre Ouzoulias.  - En effet !

Mme Nadia Hai, ministre déléguée.  - Les ministères de la ville et des sports ont été rapprochés.

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par M. Folliot.

Supprimer cet article.

M. Philippe Folliot.  - Le 5 mai 1992, j'étais, moi aussi, devant mon écran de télévision, lorsque la fête s'est transformée en terrible drame pour Bastia, la Corse et le pays tout entier. De très nombreuses personnes ont été touchées dans leur chair.

Prenons garde, toutefois, à ne pas créer un précédent. D'autres demandes pourraient nous être faites, parfois moins légitimes, parfois tout autant.

Je trouverais préférable que cette journée serve, dans tous les stades - bien au-delà du football -, à rappeler le drame de Furiani et la fonction inclusive du sport.

Bref, je crains que, en voulant bien faire, on aboutisse à une fausse bonne solution.

Définir des formules mémorielles, est-ce le rôle de la loi ? Demain, on pourrait proposer, peut-être à juste titre, d'interdire les spectacles tous les 13 novembre, en souvenir du Bataclan. Pour ma part, je préfère ne pas y mettre les doigts.

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par M. Folliot.

Alinéa 4

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Art. L. 334-1.  -  En hommage aux victimes du drame national survenu en marge de la rencontre de Coupe de France disputée au stade Armand-Cesari de Furiani le 5 mai 1992, lors de toutes les rencontres ou manifestations sportives entre clubs amateurs et professionnels organisées par la Fédération française de football, une minute de silence est observée.

M. Philippe Folliot.  - Ayant pu exposer ma position, je retire mes deux amendements.

Les amendements nos1 et 2 sont retirés.

Interventions sur l'ensemble

M. Guy Benarroche .  - Je remercie M. Folliot pour le retrait de ses amendements.

Je comprends les réserves exprimées sur le chemin choisi pour ce devoir de mémoire, mais rien n'a été fait pendant trente ans. Ne pas voter cette proposition de loi, ce serait continuer à ne rien faire pour une durée indéterminée.

Ce soir-là, j'étais devant ma télévision, mais plusieurs de mes amis marseillais étaient à Furiani - l'un d'eux a été blessé. Les supporteurs marseillais soutiennent cette initiative et le collectif bastiais. Si vous avez encore un doute, écoutez-les !

M. Paul Toussaint Parigi .  - Je suis reconnaissant au GEST d'avoir permis l'inscription de ce texte à l'ordre du jour et je remercie chaleureusement l'ensemble des groupes, qui se sont exprimés avec bienveillance. Je remercie aussi la ministre des sports pour son soutien indéfectible. Merci à tous pour ce vote historique qui fait honneur à nos valeurs ! (Applaudissements)

M. Max Brisson .  - J'ai eu avec Mme la ministre déléguée un échange quelque peu musclé ; je n'y reviendrai pas.

Je souhaite que ce moment d'émotion et d'hommage ne fasse l'objet d'aucune instrumentalisation politique.

La Corse, fortement représentée en tribunes et dont les deux sénateurs ont parlé d'une seule voix, attend que l'on se souvienne. C'est une terre où l'on n'oublie pas les morts.

Soyons à la hauteur de l'enjeu ! Notre groupe, à une large majorité, votera la proposition de loi.

M. le président.  - Au nom de la présidence et du Sénat tout entier, je m'associe à la sympathie exprimée vis-à-vis des familles des victimes.

L'article unique constituant la proposition de loi est adopté.

(Applaudissements)

La séance est suspendue quelques instants.