Vigilance sanitaire (Nouvelle lecture)

Discussion générale

Mme le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, adopté en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale, portant diverses dispositions de vigilance sanitaire.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée, chargée de l'autonomie .  - (M. Martin Lévrier applaudit.) Avant-hier, nous avons constaté qu'un accord en CMP sur ce projet de loi n'était pas possible.

Les deux assemblées considèrent que la situation sanitaire justifie de prolonger les outils donnés au Gouvernement pour lutter contre l'épidémie de covid-19. Les divergences portaient principalement sur l'échéance à fixer pour la prochaine période de gestion de la crise sanitaire et sur les modifications des prérogatives accordées au pouvoir réglementaire.

Même si le dépôt d'une motion tendant à opposer la question préalable laisse augurer un débat bref, je crois utile de rappeler le contexte de ce projet de loi et ce que celui-ci permet.

L'épidémie n'est pas terminée. Il y a un risque de rebond à l'approche de l'hiver.

Le nombre de cas augmente dans quasiment tous les pays européens. La situation est particulièrement préoccupante dans les pays de l'Est.

En France, la circulation épidémique reprend depuis quelques jours. Les hospitalisations et admissions en soins critiques sont en hausse dans plusieurs territoires. La vigilance s'impose, alors que notre système de santé est mis sous tension par d'autres maladies saisonnières.

Nous devons continuer à convaincre de la nécessité de la vaccination, en particulier pour les plus vulnérables. La campagne de rappel doit progresser encore plus vite.

En complément, nous devons conserver la faculté de prendre les mesures de freinage nécessaires. C'est l'objet du présent projet de loi.

L'échéance du 31 juillet prochain est pertinente ; elle a été entérinée par le Conseil scientifique et le Conseil d'État, chacun dans son domaine.

Cette prorogation a pour corollaire le renforcement de l'information du Parlement, avec des rapports d'étape sur lesquels des débats pourront se tenir, en commission ou en séance, en présence du Gouvernement. En outre, des synthèses mensuelles des mesures prises seront élaborées à destination des assemblées.

Le texte améliore aussi les outils de gestion de l'épidémie, sur la base de l'expérience des derniers mois. Le respect de l'obligation vaccinale pour les publics concernés et le contrôle contre les fraudes au passe sanitaire seront renforcés. Les campagnes de dépistage et de vaccination dans les établissements scolaires seront intensifiées.

Sans territorialiser le passe selon un critère unique, nous favorisons une mise en oeuvre strictement proportionnée au risque. Son utilisation sera ajustée si la situation le justifie.

Enfin, nous prorogeons des mesures d'accompagnement en les ciblant.

Ce texte reprend plusieurs dispositions importantes adoptées par le Sénat en première lecture. Je pense en particulier à la prorogation de l'état d'urgence en Martinique. Nous avons repris aussi des propositions de Mme Gruny, rapporteur pour avis, sur le périmètre de l'obligation vaccinale. Enfin, un article accompagne la création d'un système d'information analogue à Sidep en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, à la demande des élus.

Ce projet de loi est équilibré et adapté à la situation. Il concilie l'objectif de santé publique et le respect des droits et libertés. Le Sénat a largement contribué à préciser le cadre d'action lors des précédents rendez-vous législatifs sur ce sujet. Nous restons attachés à la nécessité et à la proportionnalité des mesures, et des recours seront possibles.

En cas de nouvel état d'urgence sanitaire, le Parlement serait saisi pour en autoriser la prolongation au-delà d'un mois.

M. Philippe Bas, rapporteur.  - Encore heureux !

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée.  - Gouverner, c'est prévoir. Nous nous employons tous les jours à anticiper et à maintenir le bon équilibre. Ce projet de loi nous donne les moyens de continuer à gérer cette crise, avec toutes les garanties requises en matière de libertés publiques.

Je salue la participation du Sénat aux nombreux rendez-vous législatifs ayant permis de gérer la crise. Je ne doute pas qu'il continuera de porter un regard constructif, bien que sévère, sur notre action pour protéger la santé de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du RDPI, ainsi qu'au banc de la commission)

M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Au début de l'épidémie, il y a un an et demi, nous avons été pris au dépourvu : pas de masques, pas de tests, pas de gels hydroalcooliques, pas d'habitude des gestes barrières, pas de pratique massive du télétravail, pas de vaccins, pas de médicaments.

Les autres pays étaient dans une situation ni meilleure ni pire, sauf peut-être en ce qui concerne les masques - la gestion des stocks n'a pas été satisfaisante - et les tests - nous les avons beaucoup attendus.

Ces dispositifs pratiques ne pouvant être mis en oeuvre, il a bien fallu procéder d'une autre manière : ce fut le premier confinement. Le Sénat a répondu présent, car c'était alors la seule option possible.

Les rebondissements furent nombreux, mais l'expérience acquise depuis mars 2020 démontre que la restriction des libertés individuelles n'est pas le seul moyen de lutter contre l'épidémie. Sur tous les points, la situation a changé - même les médicaments, préventifs et curatifs, ont fait des progrès, et d'autres sont annoncés. À certains égards, les restrictions d'aller et de venir sont désormais des solutions de facilité...

Le Sénat de la République a accepté des restrictions inévitables - contraires à son identité profonde, qui est de défendre les libertés - et a toujours accordé au Gouvernement les moyens d'action qui lui paraissaient proportionnés, notamment avec le passe sanitaire. On ne pourra pas dire que le Sénat n'a pas assumé ses responsabilités.

La contrepartie de cet engagement aux côtés de l'État, c'est l'exigence d'un contrôle parlementaire qui adapte les moyens de lutte à la réalité de la situation sanitaire.

L'état d'urgence sanitaire est un régime temporaire, qui peut être activé à tout moment en fonction des circonstances, mais dont les mesures les plus restrictives des libertés ne peuvent être prolongées au-delà d'un mois sans l'accord du Parlement.

Le Sénat ne s'oppose pas à la prolongation des instruments de lutte contre l'épidémie, mais au dessaisissement du Parlement de ses droits de contrôle. La représentation nationale représente toutes les sensibilités des Français, et non une majorité, comme le Gouvernement. C'est pourquoi notre Assemblée a un rôle crucial : elle apporte une voix originale ; son oui est un oui libre, celui d'une assemblée indépendante et non alignée. Cette parole participe de l'acceptabilité des mesures.

Je dois dire ma tristesse et mon étonnement de voir le Gouvernement refuser ce qu'il acceptait il y a trois mois. Qu'est-ce qui a changé ? Serait-ce la perspective de l'élection présidentielle ? Nous ne changerons pas de position, contrairement à vous. Votre intransigeance laisse soupçonner une intention politique...

Nous réprouvons le non-respect des principes fondamentaux de nos institutions. Nous ne pouvons pas admettre qu'il n'y ait pas eu de discussion - car, les députés l'ont avoué, le Gouvernement l'a interdit. C'est déplorable. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

Mme Éliane Assassi .  - L'épidémie est toujours là, mais l'urgence n'est plus la même. Rien ne justifie plus de perpétuer un état d'exception qui porte atteinte à des libertés essentielles, qui étend même la police sanitaire aux directeurs d'école.

Pourquoi une telle précipitation ? La France n'est plus à l'arrêt, l'épidémie a reculé, grâce à la vaccination. Les assemblées peuvent se réunir à tout moment pour débattre et voter, y compris pendant la suspension des travaux, pendant la campagne présidentielle.

La gestion solitaire par le Président de la République n'est plus acceptable : nous ne voulons plus de ses Conseils de défense opaques. La santé n'est pas un domaine réservé ! Au Parlement de reprendre ses prérogatives et de décider de chaque étape, démocratiquement.

Il y a pourtant une situation d'urgence qui exige des mesures urgentes : celle de l'hôpital public, menacé d'effondrement. En ne rouvrant pas les milliers de lits fermés, le Gouvernement nous fait courir un risque de grave crise en cas de nouvelle vague.

Le refus de la demande de rapport que le Sénat avait votée à notre initiative sur le sujet est éloquent.

Nous avons dénoncé la volonté de la majorité sénatoriale d'aménager l'état d'urgence et son excroissance, le passe sanitaire, sans renier la logique autoritaire et infantilisante du projet gouvernemental.

Notre groupe se prononce contre l'état d'urgence et le passe sanitaire : la priorité, c'est l'hôpital public. Nous refusons le passage à une société non pas de vigilance mais de surveillance. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et du GEST ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. Pierre Ouzoulias.  - Très bien !

Mme Nathalie Goulet .  - M. Bas a déjà décrit la situation. Mais nous ne parlerons plus du sujet jusqu'en juillet ! Donc, profitons-en ! (Sourires)

L'échéance du 31 juillet 2022, qui enjambe deux élections, est inacceptable et injustifiée. Il eût été plus démocratique de ne prolonger un régime aussi dérogatoire que pour trois mois, d'autant que rien n'empêche de convoquer le Parlement pendant la suspension des travaux.

La date de juillet 2022 s'explique sans doute par des raisons politiques.

Le Gouvernement n'a rien voulu entendre sur la territorialisation du passe sanitaire - j'étais moi-même réservée, mais je regrette que toutes les propositions du Sénat aient été balayées.

L'article 4 porte une atteinte grave au secret médical des enfants.

Enfin, comment distinguer la situation sanitaire du pays de celle de l'hôpital ? La demande de rapport du Sénat était parfaitement justifiée.

Les conditions d'un dialogue constructif n'étant pas réunies, nous soutiendrons la question préalable.

Enfin, j'attends avec gourmandise la décision du Conseil constitutionnel sur l'amendement n°90 du rapporteur de l'Assemblée nationale qui rétablit une habilitation à légiférer par ordonnance. Un parlementaire ne saurait se défaire de ses compétences au profit du Gouvernement : c'était à ce dernier de déposer l'amendement !

Le groupe UC votera la motion présentée par la commission.

M. Henri Cabanel .  - Il y a des CMP dont l'échec nourrit de profonds regrets. Mon groupe s'était prononcé contre ce projet de loi, y compris dans sa version sénatoriale : cet échec nous laisse donc indifférents.

La territorialisation du passe sanitaire était le minimum attendu.

Mais la reprise du texte de l'Assemblée nationale est inacceptable.

J'entends les arguments du Gouvernement en faveur de juillet : efficacité, performance, optimisation, tout le champ sémantique du management y passe. Pourquoi, dans ce cas, s'encombrer de cette vieillerie, la démocratie ?

Le choix du Sénat d'avancer la date au 28 février était le bon. Il faut savoir garder un cap. Le nôtre est toujours le même : refuser qu'un dispositif d'exception, par définition provisoire et extraordinaire, se pérennise et devienne la norme. Or c'est ce que fait ce projet de loi.

Pourquoi ne pas se réjouir du succès du passe sanitaire pour y mettre fin ? Les Français sont maintenant largement vaccinés et ne sont plus à la traîne. La liberté doit rester la règle et la mesure de police l'exception.

Nous sommes farouchement opposés à la diffusion des informations virologiques dans les écoles.

Le RDSE se prononcera toutefois contre la motion, conformément à son habitude.

Mme Esther Benbassa .  - Le Gouvernement fait une fois encore le choix de l'autoritarisme et de la concentration du pouvoir, au détriment du bon fonctionnement démocratique, de nos libertés et du secret médical. Je réitère mon désaccord avec ce texte.

Le virus est là pour longtemps. Le Gouvernement nous condamne-t-il à vivre sous le joug d'une prorogation éternelle de l'état d'urgence ? Il nous faut apprendre à vivre avec le virus ; cela suppose de posséder un système hospitalier fonctionnel, alors que le Conseil scientifique révèle son épuisement, résultat de la politique désastreuse du Gouvernement.

Vivre avec le virus, c'est aussi optimiser les armes que nous avons. Le vaccin a fait ses preuves, mais certains de nos concitoyens restent réticents ; d'autres, précaires, sont exclus du système de vaccination. Il faut redoubler de pédagogie, encourager le recours à la troisième dose et lever les brevets sur les vaccins.

Je déplore la question préalable, mais la voterai néanmoins, face à un Gouvernement qui refuse le débat. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Jean-Yves Leconte .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Voici le onzième texte sur la gestion de la crise sanitaire, le premier sur lequel nous ne nous sommes pas accordés en CMP. La position de l'Assemblée nationale nous inquiète. Neuf mois de durée : ce serait comme si nous vivions encore sous un régime voté en février 2021 !

Vous enjambez la campagne présidentielle. Cela signifie que le Gouvernement constitué après l'élection présidentielle - qui n'aura pas obtenu la confiance du Parlement - disposera de pouvoirs exceptionnels. Le Parlement ne peut renoncer à sa mission constitutionnelle de contrôle du Gouvernement, d'autant qu'il s'agit de nos libertés.

Depuis février 2020, les cafouillages sur les masques et les tests ont été particulièrement marqués en France. La gestion de la crise sanitaire a bénéficié du travail du Parlement qui renforce l'acceptabilité des mesures et repousse les fake news.

Mettre le Parlement dans un congélateur pendant neuf mois, c'est prendre des risques importants.

La situation en Europe de l'Est est effectivement inquiétante. Raison de plus pour ne pas mettre en route un pilote automatique.

Nous refusons la communication de données médicales aux directeurs d'école. Violer le secret médical parce que nous n'avons que 900 médecins scolaires pour 12 millions d'élèves, c'est inacceptable.

Nous regrettons que l'Assemblée nationale refuse la territorialisation du passe sanitaire, qui était un moyen de s'affranchir des contraintes là où la vaccination est suffisamment généralisée.

Seul petit sujet de satisfaction, l'évolution de l'Assemblée nationale sur les procurations pour les prochaines élections de l'Assemblée des Français de l'étranger.

Ce texte est prématuré. Quid de la troisième dose de rappel, notamment pour le Janssen ? Nous n'en saurons rien. Tout est laissé au secret du Conseil de défense.

La vaccination est un devoir civique. Le passe sanitaire doit évoluer avec les décisions européennes sur le certificat Covid UE attendues dans les prochaines semaines.

Nous voulons continuer à débattre. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Martin Lévrier .  - L'échec de la CMP a mis en exergue les divergences entre l'Assemblée nationale et le Sénat : la refonte des deux régimes -  état d'urgence sanitaire et sortie de l'état d'urgence sanitaire  - approuvés par les deux chambres et validés par le Conseil constitutionnel ; l'échéance ramenée au 28 février 2022, en dépit de la reprise pandémique ; la territorialisation et la gradation du passe sanitaire.

Trop de Français ne sont toujours pas vaccinés et l'apparition d'un nouveau variant plus contagieux est possible. L'hiver est propice à une circulation accrue du virus, qui alarme l'OMS. L'efficacité du vaccin semble s'affaiblir avec le temps. Le variant Delta est plus contagieux, et nous n'avons pas atteint l'immunité collective. Comment le texte dénaturé proposé par le Sénat aurait-il pu répondre à une nouvelle vague déjà perceptible ?

Dire que le Gouvernement voulait priver le Parlement de ses prérogatives ou enjamber l'élection présidentielle, c'est une figure de style.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - C'est la réalité !

M. Martin Lévrier.  - Les mesures les plus lourdes seront toujours soumises à la validation du Parlement au bout d'un mois.

On compte 250 000 cas et 3 600 décès par jour en Europe, les chiffres sont en hausse constante depuis des semaines, et il faudrait baisser la garde ? Le personnel soignant ne l'aurait pas compris.

Le « en même temps » qui allie sécurité sanitaire et libertés individuelles a fait ses preuves. Le contretemps que proposait le Sénat aurait mis en péril les bons résultats obtenus et fragilisé la protection de nos concitoyens.

Je me réjouis du vote à l'Assemblée nationale hier soir. Le RDPI votera contre la question préalable.

Mme Vanina Paoli-Gagin .  - Le temps presse, mais la CMP n'est pas parvenue à un accord. Bien sûr, la situation s'est améliorée. Les Français ont accepté les mesures barrières et nous faisons partie des pays les plus vaccinés au monde.

Mais l'épidémie est loin d'être terminée. La Russie est à l'arrêt jusqu'au 7 novembre et enregistre mille décès par jour. Plusieurs pays européens connaissent une reprise épidémique : 40 000 contaminations quotidiennes au Royaume-Uni, hausse de 40 % des hospitalisations en une semaine en Allemagne. Nous devons maintenir notre vigilance, d'autant que nous constatons nous aussi une hausse des hospitalisations.

Le passe sanitaire a amélioré le taux de vaccination ; certains veulent donc le supprimer, considérant qu'il a rempli sa mission. Mais les anticorps ne sont pas éternels, et une troisième dose sera sans doute nécessaire. Il faudra alors le maintenir.

Si la situation l'exige, le Parlement peut siéger pendant la suspension des travaux, mais la campagne présidentielle est un contexte peu propice à un débat serein. D'un autre côté, confier ces pouvoirs exceptionnels à un exécutif inconnu est préoccupant.

Beaucoup de doutes planent sur les prochains mois. Seule certitude : il va falloir continuer à lutter contre le virus. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

M. Stéphane Le Rudulier .  - Que de regrets, que d'amertume ! En première lecture, le Sénat avait fait preuve d'esprit de responsabilité, notamment grâce au travail remarquable de son rapporteur, animé par la même exigence depuis le début de la crise : la défense d'un double équilibre, entre préservation de la santé et respect de l'État de droit, entre régime d'exception et libertés fondamentales.

Il a ainsi accepté de confier au Gouvernement des pouvoirs inédits à de multiples reprises, mais à chaque fois pour deux à quatre mois, pas plus.

L'Assemblée nationale n'a rien voulu savoir et a rétabli son texte, y compris sur la prorogation des régimes dérogatoires jusqu'au 31 juillet, l'absence de territorialisation du passe sanitaire et l'accès des directeurs d'école aux données virologiques des élèves.

L'argument du rapporteur de l'Assemblée nationale selon lequel la sortie du régime d'urgence actuel serait source d'instabilité est douteux. Le texte du Sénat maintenait à la main du Gouvernement des pouvoirs exceptionnels de régulation des déplacements ou de mise en oeuvre du passe sanitaire, mais à condition de rendre compte de leur usage devant le Parlement avant la fin février, afin d'en évaluer la proportionnalité à l'aune de l'évolution épidémique.

Contre cette date de rendez-vous, aucun argument sérieux n'a été opposé. La promesse d'un débat ou de la remise de rapports ne remplace pas la discussion d'un projet de loi. J'y vois un nouvel affaiblissement du Parlement.

La gestion de la crise exigerait une prise de décision rapide ? Sénateurs et députés ont montré leur capacité à légiférer vite, en siégeant la nuit et le week-end quand la situation l'exigeait.

De plus, l'urgence n'est pas la même qu'en mars 2020. Nous avons progressé dans de nombreux domaines, y compris dans la connaissance du virus.

En quoi l'approche de grandes échéances électorales empêcherait-elle tout débat serein ?

Enfin, la communication des données virologiques des élèves aux directeurs d'école est une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée. La décision du Conseil constitutionnel de juin 2021 sur le secret médical laisse augurer de son inconstitutionnalité.

Le groupe Les Républicains votera la question préalable ; plus encore, ses membres déposeront dans les prochaines heures un recours devant le Conseil constitutionnel pour s'assurer de la constitutionnalité de certaines dispositions qui nous paraissent attentatoires aux droits et libertés fondamentales. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien !

M. Guy Benarroche .  - Je ne pensais pas avoir à déplorer encore l'absence du ministre de la Santé. Peut-être est-il encore à Blois ?

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée.  - Il est à l'Assemblée nationale.

M. Guy Benarroche.  - Notre pays a subi les décisions solitaires et tardives d'un Président n'écoutant personne si ce n'est un conseil ad hoc, ignorant et outrepassant les institutions existantes quand cela l'arrangeait.

Deux tiers des parlementaires refusent de vous laisser les mains libres pendant huit mois. Vous persistez pourtant dans votre volonté d'enjamber la consultation du Parlement. Après avoir réfléchi trop tard, vous voulez décider trop tôt... Nous refusons de vous accorder un tel blanc-seing, à vous ou à un futur Gouvernement inconnu.

Le GEST vous avait alerté dès le début sur les risques d'une généralisation excessive du passe sanitaire. Son efficacité réelle n'a pas été étudiée ni quantifiée. Elle a surtout consisté à inciter à la vaccination ; notre groupe y a toujours été favorable, mais dans le cadre d'un déploiement efficace qui atteigne les plus précaires. Le passe sanitaire les protègera-t-il ? Seule la moitié des personnes éligibles à la troisième dose l'ont reçue.

Alors que la moitié des personnes complètement vaccinées ont reçu les deux doses avant le 1er juillet, comment ne pas évoquer la baisse de l'immunité de la population, alors que vous voulez imposer le passe sanitaire jusqu'en juillet prochain ? Comment pouvez-vous refuser d'évoquer l'association du rappel vaccinal au passe sanitaire ? Pourquoi ne répondez-vous jamais ?

Le passe sanitaire a un effet pervers : l'illusion de la protection, qui s'accompagne du relâchement des gestes barrières. Ce projet de loi va trop loin en créant un état d'urgence de précaution contre un risque non quantifié. Le GEST votera contre. (Mme Esther Benbassa applaudit.)

La discussion générale est close.

Question préalable

Mme le président.  - Motion n°1, présentée par M. Bas, au nom de la commission.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée en nouvelle lecture, portant diverses dispositions de vigilance sanitaire n° 131 (2021-2022).

M. Philippe Bas, rapporteur .  - J'ai déposé une motion tendant à opposer la question préalable, pas de gaieté de coeur, mais en raison de l'obstination du Gouvernement à refuser tout dialogue avec le Sénat, à discuter d'amendements raisonnables et constructifs - qui nous laisse sans espoir.

Le travail parlementaire n'est pas un théâtre d'ombres. Nous n'allons pas faire semblant de croire que vous pouvez encore accéder à nos raisons.

Il aurait fallu que nous percevions au moins les prémices de la recherche d'un accord - et des arguments. Or nous n'en avons entendu aucun pour justifier cette demande extravagante de prolonger encore huit mois et demi un passe sanitaire conçu pour durer trois mois et demi.

Certes, rien n'impose d'utiliser le passe sanitaire, mais le Conseil scientifique vous a recommandé d'en préparer la sortie. Nous l'avons pris au mot.

Notre proposition ménage la possibilité de maintenir le passe sanitaire dans les territoires où l'immunisation est insuffisante tout en délivrant les habitants des autres territoires. Comment pouvez-vous vous opposer à cette proposition de bon sens ?

À chaque fois que vous les sollicitiez, le Sénat vous a donné sans hésiter des moyens d'action, après avoir vérifié qu'ils étaient appropriés à la situation.

Vous avez demandé à l'Assemblée nationale que le Président de la République, le Premier ministre et son gouvernement qui seront élus en mai 2022 reçoivent une lettre de crédit pour prendre des mesures de restriction des libertés, à un moment où les paramètres de l'épidémie auront profondément évolué.

S'il y a des signes préoccupants de reprise de l'épidémie, il y en a aussi d'autres montrant que notre manière de l'affronter doit changer. Ce n'est plus aux vaccinés de protéger les réfractaires, mais à ces derniers, qui ont eu toutes les possibilités de le faire, d'assurer leur protection.

Cette chape pesant sur nos libertés est périmée ; il faut se concentrer sur d'autres moyens, tout en se donnant la possibilité de prendre des mesures plus énergiques si l'épidémie l'impose.

Nous ne pouvons pas continuer à animer un débat rendu stérile par votre intransigeance.

Il y a d'autres motifs de voter cette question préalable. D'abord, l'adaptation des instruments de lutte contre le Covid doit prendre en compte l'évolution de la situation.

Ensuite, il y a ce stupéfiant amendement qui permettrait aux chefs d'établissement scolaire de discriminer les enfants selon leur statut vaccinal. Peut-on traiter les enfants différemment des adultes ? Si un salarié est cas contact ou positif, son employeur est-il prévenu de son statut vaccinal ? Non. Au salarié de prendre les mesures qui s'imposent. Un enfant positif doit respecter les mêmes règles, sans en donner les raisons au chef d'établissement qui ne saurait être investi de pouvoirs de police sanitaire.

Le Gouvernement largue les amarres du respect de l'État de droit et s'affranchit du contrôle parlementaire. Nous ne pouvons que rejeter dès à présent vos propositions, non sans avoir tenté de les amender afin de dégager un large consensus. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-Yves Leconte .  - Monsieur le rapporteur, le groupe SER partage vos inquiétudes sur la durée des dispositions proposées, sur la transmission des données vaccinales aux chefs d'établissement ou sur le refus de territorialisation du passe sanitaire.

Nous regrettons l'échec de la CMP et déplorons le refus de débattre de l'Assemblée nationale, ainsi que l'absence de réponse du Gouvernement sur la dose de rappel.

La ministre elle-même ne sait rien des arbitrages présidentiels. C'est terrifiant, sur un sujet qui nécessiterait l'adhésion de la population.

Nous sommes attachés au rôle du Parlement, et c'est justement pour cela que nous refusons qu'il soit absent des prochaines prises de décision. Il est paradoxal de refuser que le Sénat joue son rôle en nouvelle lecture. Pourquoi ne pas utiliser la possibilité de réécrire ce texte ? Ne désespérons pas, et allons jusqu'au bout de nos prérogatives en nouvelle lecture. Le contexte exige que la population adhère aux mesures qui seront prises.

Madame la ministre, convainquez votre majorité d'obtenir un consensus. Il ne peut y avoir un seul camp qui décide de tout.

Monsieur le rapporteur, même en défendant cette motion, vous n'avez pas résisté au besoin de continuer à essayer de convaincre. Il n'est pas trop tard pour la retirer. Remettons-nous à l'ouvrage pour arriver à un texte acceptable. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée.  - Avis défavorable.

Mme Éliane Assassi.  - Le CRCE est opposé à ce onzième projet de loi. La réécriture du Sénat ne nous avait pas convaincus, car elle ne remettait pas en cause le principe du passe sanitaire.

Ce projet de loi fait disparaître le Parlement des radars pour plusieurs mois. En première lecture, je vous avais alertés sur l'effet cliquet : des mesures exceptionnelles sont détournées vers d'autres objectifs. Nous en avons un exemple tout récent : l'utilisation, dans la lutte contre les violences conjugales, d'un dispositif introduit dans le code de procédure pénale en 2016 pour les besoins de la lutte antiterroriste. Cela nous interroge, même si l'on ne peut en rabattre pour combattre les violences conjugales.

Le groupe CRCE votera la question préalable, non pour valider la version sénatoriale, ni celle du Gouvernement, mais pour dire que nous ne sommes pas dupes. À l'approche des prochains scrutins, la vérité est ailleurs...

M. Guy Benarroche.  - Une fois de plus, le Gouvernement veut faire cavalier seul, sans concertation. Dès la discussion générale, madame la ministre, vous avez confirmé votre détermination à ne pas bouger d'un iota sur l'échéance de juillet 2022 que rien ne justifie.

Le GEST aurait abordé de la même manière cette motion si elle avait été présentée par un autre que le rapporteur. Le Sénat ne s'est pas défilé, depuis le début de cette crise, pour avaliser ou proposer des mesures parfois difficiles. Il faut aujourd'hui dire « Stop ! » à ce mode de fonctionnement. Prenez vos responsabilités et passez en force, ou écoutez-nous. Vous refusez la discussion et nos propositions. Dont acte.

Même si nous ne sommes pas en accord avec la version du texte du Sénat, le GEST votera la question préalable.

Mme Nathalie Goulet.  - Le groupe UC votera lui aussi cette motion. Je remercie la ministre de sa présence en séance - ce n'est pas le cas de tous vos collègues !

Vous le savez, nous aimons débattre. Ne pas débattre jusqu'au bout n'est pas un constat d'échec, mais un moyen de vous faire comprendre qu'il ne nous reste que les arguments de procédure pour être entendus. Nous préférerons toujours une CMP conclusive. Ce ne sera pas le cas aujourd'hui, je le regrette.

M. Alain Houpert.  - Je vous remercie d'être présente, madame la ministre, vous qui portez un nom qui me rappelle ma région... (Sourires) Cette question préalable n'est pas un mouvement d'humeur du Sénat ; ce mouvement a eu lieu à l'Assemblée nationale, où ce texte n'est passé qu'à une majorité de vingt voix... Vingt parlementaires, sur plus de 900, qui vont imposer ce texte à 67 millions d'habitants.

À la demande du groupe Les Républicains, la motion n°1 tendant à opposer la question préalable est mise aux voix par scrutin public.

Mme le président. - Voici le résultat du scrutin n°22 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 338
Pour l'adoption 222
Contre 116

Le Sénat a adopté.

Le projet de loi n'est pas adopté.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée.  - Je voudrais dire « merci quand même », pour la qualité des débats et le respect qui a prévalu dans cette assemblée, dans la sobriété et le calme. Ce n'est pas le cas partout ! (MMartin Lévrier applaudit.)

Prochaine séance, lundi 8 novembre 2021, à 16 heures.

La séance est levée à 20 h 30.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du lundi 8 novembre 2021

Séance publique

À 16 heures

Présidence : M. Roger Karoutchi, vice-président

Projet de loi de financement de la sécurité sociale, adopté par l'Assemblée nationale, pour 2022 (discussion générale) (n°118, 2021-2022)

Le soir et la nuit

Présidence : Mme Pascale Gruny, vice-président

Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale, adopté par l'Assemblée nationale, pour 2022 (discussion des articles) (n°118, 2021-2022)